Valiquette et Lithographie Dickson ltée |
2009 QCCLP 8598 |
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[1] Le 14 mars 2008, monsieur Stéphane Valiquette (monsieur Valiquette) dépose une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative, le 27 février 2008.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une première rendue initialement le 29 novembre 2007 pour conclure que les diagnostics de tendinopathie à l’épaule et au coude droits ne sont pas reliés à l’événement initial du 2 août 2001.
[3] La CSST maintient une deuxième décision du 29 novembre 2007 dans laquelle elle considère que les traitements d’acupuncture, le médicament Gabapentin et un humidificateur ne sont pas autorisés, donc non remboursables.
[4] La CSST confirme une dernière décision, datée du 30 novembre 2007, dans laquelle elle considère qu’il n’y a pas de relation entre l’apnée du sommeil et l’événement du 2 août 2001.
[5] Une audience a lieu, à Longueuil, le 26 novembre 2009. Monsieur Valiquette est présent et représenté par Me Véronique Brisebois.
[6] Bien que dûment convoqué, Lithographie Dickson ltée (l’employeur) n’est pas représenté lors de l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[7] Monsieur Valiquette demande de déclarer que l’apnée du sommeil constitue une lésion professionnelle puisque reliée à l’événement initial du 2 août 2001. Par conséquent, la machine Bi-PAP doit être autorisée.
[8] Celui-ci demande également de déclarer que les diagnostics de tendinopathie à l’épaule et au coude droits constituent des lésions professionnelles. Comme le médicament Gabapentin et l’acupuncture sont reliés à cette lésion professionnelle, ils doivent donc être autorisés.
L’AVIS DES MEMBRES
[9] Conformément à l'article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), la soussignée fait état de l'avis des membres nommés en vertu de l'article 374 de la loi ainsi que des motifs de cet avis.
[10] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que la preuve ne permet pas de relier les diagnostics de tendinopathie à l’épaule et au coude droits avec la lésion professionnelle initiale du 2 août 2001.
[11] À ce sujet, ils retiennent qu’à la suite de l’événement initial, les diagnostics retenus ont été ceux de tendinite de De Quervain à la main droite, de tendinopathie à la main droite et de stress post-traumatique. Bien que monsieur Valiquette ait allégué avoir présenté des symptômes nouveaux de l’épaule et du coude droits, il n’y a aucune preuve médicale appuyant cette affirmation. De plus, comme ce dernier n’a jamais réintégré le marché du travail à la suite de la consolidation de sa lésion professionnelle le 30 novembre 2005, ayant été déclaré inemployable le 13 janvier 2006, ils ne peuvent retenir l’affirmation du médecin voulant que cette lésion pourrait être consécutive à une surutilisation. D’ailleurs, la preuve est muette voulant que monsieur Valiquette ait effectué des mouvements répétitifs au niveau de l’épaule et du coude droits de façon quotidienne responsables de telles lésions. Par conséquent, les traitements et la médication prescrits en relation avec ces lésions ne peuvent être autorisés.
[12] Quant à l’apnée du sommeil et la machine Bi-PAP prescrite, ces deux membres considèrent que la preuve médicale permet de conclure, en toute probabilité, que ce diagnostic est relié à la lésion professionnelle initiale puisqu’il résulte d’une prise de poids bien documenté au dossier chez monsieur Valiquette, résultant de la médication antidépressive à la suite de la lésion professionnelle de stress post-traumatique.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[13] Le 2 août 2001, monsieur Valiquette, âgé de 34 ans, est victime d’un accident du travail causé par une explosion au moment du nettoyage d’un réservoir. Il subit des brûlures au premier et au deuxième degrés aux mains et au visage, un hémotympan gauche ainsi qu’une abrasion cornéenne à l’œil droit.
[14] La réclamation pour un accident du travail est acceptée par la CSST.
[15] À compter du 8 février 2002, un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique est posé pour lequel celui-ci sera suivi en psychothérapie. La psychologue note alors la présence de symptômes sévères et recommande une médication antidépressive.
[16] La CSST, dans une décision rendue en révision administrative le 7 janvier 2003, accepte une récidive, rechute ou aggravation, du 8 février 2002, pour le diagnostic de syndrome de stress post-traumatique.
[17] Le 30 novembre 2005, le docteur M. Pelletier consolide la lésion professionnelle physique. Dans son rapport d’évaluation médicale, il établit le bilan des séquelles suivant, à la suite de la récidive, rechute ou aggravation du 8 févier 2002 :
Déficit anatomo-physiologique actuel
Aucun.
Préjudice esthétique actuel
Hypertrophie articulation MCP1 droite. Règle particulière numéro 4, par analogie
224 475 P.E. 1 %
Séquelles antérieures
Déformation légère de la forme et de la symétrie du visage affectant deux éléments anatomiques (les deux (2) joues) 244 028 P.E. 4%
Hypertrophie de l’articulation métacarpo phalangienne du pouce droit, règle particulière numéro 4, par analogie 224 475 P.E. 1 %
[18] Entre temps, le suivi pour la lésion de nature psychologique est poursuivi auprès du psychiatre Bergeron et monsieur Valiquette fait également l’objet d’une psychothérapie auprès d’une psychologue, madame Rachel Marquis.
[19] Le 1er décembre 2005, docteur Nicolas Bergeron, psychiatre, émet un rapport médical final consolidant le diagnostic de trouble de stress post-traumatique chronique. Dans rapport d’évaluation médicale, il retient les limitations fonctionnelles suivantes ainsi que le bilan des séquelles psychiques suivant :
9- Décrire les limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion professionnelle […] :
Troubles de l’attention et de la mémoire, accentués sous l’effet du stress. Fatigabilité. Incapacité à prendre des décisions ou à accomplir des tâches simples sous le stress.
[…]
12- Bilan des séquelles :
1- Séquelles actuelles
Système psychique :
DAP 222556 Névrose groupe 2 (modéré) 15 %.
[20] Le 13 janvier 2006, monsieur Valiquette est déclaré inemployable par la CSST.
[21] Le 29 août 2007, à la suite d’une référence par le docteur Pelletier, le docteur Blier, physiatre, émet un rapport médical dans lequel il pose le diagnostic de tendinite à l’épaule et au coude droits.
[22] Dans son opinion écrite, le docteur Blier diagnostique une tendinopathie de l’épicondyle externe et une tendinopathie de la coiffe des rotateurs au membre supérieur droit. Étant donné que monsieur Valiquette présente des douleurs chroniques et un lymphoedème post-traumatique probable chronique nouveau de la main droite, il considère que ce dernier a dû compenser en se servant davantage de ses articulations proximales, ce qui a provoqué les blessures par surutilisation.
[23] Le docteur Blier émet l’opinion suivante :
IMPRESSION : Poly-trauma avec choc post-traumatique. Lymphoedème post-traumatique au niveau de la main droite avec possiblement des douleurs causalgiques associées. Tendinopathie épicondyliens externes et tendinopathie coiffe des rotateurs droite. Dysfonctions segmentaires multi-étagées en cervical intéressant les éléments de l’arc postérieur du côté droit avec possiblement céphalées spondylogéniques associées. Tensions musculaires associées au niveau de la musculature de la ceinture scapulaire droite.
Nous croyons que les tensions myofasciales au niveau de l’avant-bras droit, la tendinite au coude droit et à l’épaule droite, sont directement reliées à l’accident et qu’étant donné qu’il présente des douleurs chroniques, un lymphoedème post-traumatique probable chronique au niveau de la main droite, il a dû compenser en se servant davantage de ses articulations proximales, ce qui a provoqué des blessures par sur utilisation. Nous croyons aussi que les dysfonctions segmentaires cervicales sont probablement chroniques, découlant directement de l’accident étant donné que sa tête était proche de l’explosion, et que l’on peut penser que l’explosion crée une hyperextension type whiplash de sa tête.
[24] Le 5 octobre 2007, le docteur Pelletier recommande des traitements d’acupuncture en raison d’un polytraumatisme, des tensions myofasciales cervicales et d’une tendinopathie à l’épaule et au coude droits.
[25] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, la thèse du docteur Blier repose sur la présence de douleurs chroniques à la suite d’une surutilisation des articulations proximales au motif que monsieur Valiquette a dû compenser en se servant davantage de ses articulations proximales, ce qui aurait provoqué ses lésions de tendinopathie au coude et à l’épaule, côté droit, diagnostiquées en 2007. Or, cette thèse est difficilement appuyée par la preuve factuelle qui est bien mince pour corroborer une telle affirmation.
[26] D’une part, à la suite de l’événement initial du 2 août 2001, c’est une lésion professionnelle au niveau de la main droite qui éventuellement a été consolidée au 30 novembre 2005 avec une atteinte permanente. Également, le diagnostic de stress post-traumatique a été accepté à titre de lésion professionnelle, également consolidé avec un déficit anatomo-physiologique de 15 %.
[27] D’autre part, la preuve révèle également que le 13 janvier 2006, monsieur Valiquette a été déclaré inemployable par la CSST.
[28] Ainsi, la preuve démontre que depuis son accident du travail du 2 août 2001, celui-ci n’est jamais retourné au travail.
[29] Au surplus, monsieur Valiquette a été reconnu porteur d’une lésion professionnelle psychique qui a requis la prise d’une médication antidépressive pendant plusieurs années. Dans le cadre du présent litige, il réclame aussi pour le développement d’une apnée du sommeil sévère vraisemblablement reliée à une diminution importante de ses activités qui ont contribué à son gain de poids significatif.
[30] Dans un tel contexte, il est alors difficile d’entériner la thèse du docteur Blier quant à une surutilisation découlant du fait que monsieur Valiquette se serait servi davantage de ses articulations proximales. D’autant plus, d’une part, que monsieur Valiquette n’a pas démontré avoir effectué des mouvements répétitifs de façon quotidienne au niveau de l’épaule et du coude droits, susceptibles de causer des lésions de tendinite ou encore de tendinopathie à l’épaule et au coude droits.
[31] D’autre part, l’opinion médicale du docteur Blier est assez laconique à ce sujet, puisqu’il se contente que d’affirmer, sans fournir de plus amples explications, quant à cette surutilisation des articulations proximales dans le présent cas.
[32] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles est d’avis de refuser à titre de lésion professionnelle les diagnostics de tendinopathie à l’épaule et au coude droits diagnostiqués en août 2007, puisque la preuve médicale ne démontre pas en quoi ceux-ci seraient reliés à l’événement initial survenu le 2 août 2001. Comme cette réclamation est refusée à titre de lésion professionnelle, il en découle nécessairement que les traitements d’acupuncture prescrits pour des tensions myofasciales cervicales de même que la médication, telle le Gabapentin, ne peuvent être autorisés.
[33] Quant à l’apnée du sommeil, la Commission des lésions professionnelles constate qu’une étude polysomnographique, effectuée le 20 août 2007, a confirmé ce diagnostic pour lequel un appareil Bi-PAP a d'ailleurs été prescrit le 12 octobre 2007.
[34] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’elle dispose d’une preuve médicale suffisamment probante lui permettant de conclure que la médication antidépressive prescrite en relation avec la lésion psychique de choc post-traumatique, reconnue par la CSST à titre de lésion professionnelle, a amené une importante prise de poids chez monsieur Valiquette. Or, ce gain de poids a contribué à la sévérité de l’apnée du sommeil.
[35] À se sujet, la Commission des lésions professionnelles retient comme étant prépondérante l’opinion émise par le docteur V. Jobin, pneumologue, qui l’a suivi pour une apnée du sommeil très sévère et qui lui a également prescrit un appareil Bi-PAP afin d’atténuer ses symptômes :
La présente confirme que monsieur Stéphane Valiquette est sous mes soins pour de l’apnée du sommeil très sévère. Il est essentiel qu’il soit traité par un appareil qui se nomme Bi-PAP qu’il doit porter toutes les nuits.
Le patient souffrirait aussi de désordre de stress post traumatique suite à un accident de travail. Il a pris des anti-dépresseurs pour cette condition et affirme que c’est suite à la prise de ces médicaments qu’il a eu une prise de poids importante. Cette affirmation est plausible. Sans être nécessairement causale, cette prise de poids peut certainement avoir contribué à la sévérité des apnées du sommeil et au traitement qui s’ensuit.
[36] La Commission des lésions professionnelles remarque une augmentation significative de poids chez monsieur Valiquette, constatée d'ailleurs dans plusieurs expertises médicales que l’on retrouve au dossier. Ainsi, le 2 janvier 2004, on constate un poids de 83 kg; le 7 janvier 2005 celui de 93.5 kg; le 12 août 2005 on note 101 kg; le 16 juin 2006 celui de 109 kg; le 11 août 2006 environ 107 kg et le 5 octobre 2007 une augmentation à 115 kg. Il s’agit donc d’un gain significatif de poids noté du moins au cours de cette période.
[37] Par ailleurs, lors de son témoignage à l’audience, monsieur Valiquette indique être passé d’un poids de 183 livres à 253 livres entre 2004 à 2007. Au moment de l’audience, son poids était d’environ 235 livres. Il a aussi mentionné, depuis qu’il a cessé les médications antidépressives, avoir connu une perte de poids d’environ 20 livres.
[38] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le diagnostic d’apnée du sommeil, secondaire à une importante prise de poids causée par des antidépresseurs, ayant donné lieu à la prescription d’une machine Bi-PAP, est reliée à la lésion professionnelle initiale du 2 août 2001.
[39] Par conséquent, puisque l’apnée du sommeil constitue une lésion professionnelle, la Commission des lésions professionnelles conclut également que monsieur Valiquette a droit à l’assistance médicale en relation avec ce diagnostic conformément aux articles 188 et 189 de la loi.
[40] Dans la cause Beaudet et Camoplas inc.[2], dans laquelle les faits sont similaires, la Commission des lésions professionnelles a reconnu qu’une surcharge pondérale constituait un facteur de risque pour l’apnée du sommeil qui avait été induite par des antidépresseurs.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête déposée par monsieur Stéphane Valiquette le 14 mars 2008;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative, le 27 février 2008;
DÉCLARE que les diagnostics de tendinopathie à l’épaule et au coude droits ne sont pas reliés à l’événement du 2 août 2001 et que, par conséquent, les traitements et médicaments prescrits ne peuvent être autorisés ni remboursés;
DÉCLARE que le diagnostic d’apnée du sommeil constitue une lésion professionnelle et que la prescription pour un appareil Bi-PAP doit être autorisée.
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Doris Lévesque |
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Me Véronique Brisebois |
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Slogar inc. |
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Représentante de la partie requérante |
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