Lessard (Succession de) |
2009 QCCLP 8447 |
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[1] Le 23 janvier 2009, la Succession Fernand Lessard exerce, par requête, un recours à l’encontre d’une décision rendue le 1er décembre 2008 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Cette décision confirme une décision rendue le 26 mars 2008 par la CSST et détermine que la Succession Fernand Lessard « n’a pas droit au remboursement des dépenses reliées à l’hébergement du travailleur ainsi qu’aux dépenses attenantes au téléphone, à la location de la télévision et à l’abonnement à Vidéotron.»
[3] La succession de Fernand Lessard a été convoquée à une audience, à Longueuil, le 1er octobre 2009, et la CSST a été avisée de cette convocation. Francine Lessard représente la succession de son père. La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance du dossier, entendu la preuve soumise par madame Lessard, autant sur le délai à produire la requête à la Commission des lésions professionnelles que sur le fond de sa réclamation, son argumentation puis a délibéré.
OBJET DU RECOURS
[4] La Succession Fernand Lessard demande à être relevée du défaut d’avoir présenté sa requête à la Commission des lésions professionnelles hors le délai prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) puis, sur le fond, demande le remboursement des frais de résidence de Fernand Lessard (le travailleur) ainsi que les frais afférents.
PREUVE SUR LE HORS DÉLAI DE CONTESTATION
[5] Francine Lessard témoigne qu’elle a reçu la décision de la CSST, à la suite d’une révision administrative, le 4 décembre 2008. Comme elle n’agit pas seule, elle veut consulter ses frères et sa sœur afin de prendre une décision. Elle estime que la période des fêtes de fin d’année permettra aux personnes concernées de se rencontrer. Malheureusement, elle est affectée d’une maladie dégénérative qui l’empêche d’agir à sa guise lorsqu’elle est en crise. Elle doit alors prendre une médication pour contrôle la douleur et ne peut agir avant que les symptômes ne se résorbent. C’est dans ce contexte qu’elle a été incapable d’agir au cours des deux premières semaines de l’année. De plus, elle pense que le délai exclut les fins de semaine.
AVIS DES MEMBRES SUR LE HORS DÉLAI DE CONTESTATION
[6] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que la preuve soumise par Francine Lessard permet de conclure qu’elle a fait valoir un motif raisonnable justifiant qu’elle n’a pas respecté le délai prévu à la loi, soit son incapacité d’agir au cours de cette période, compte tenu de son état de santé.
MOTIFS SUR LE HORS DÉLAI DE CONTESTATION
[7] Le délai pour produire une requête à la Commission des lésions professionnelles est de 45 jours[2]. Ce délai commence à courir à compter de la notification de la décision rendue à la suite d’une révision administrative, soit à la date de sa réception, le 4 décembre 2008. En l’instance, le délai pour contester la décision rendue à la suite de la révision administrative expirait le 18 janvier 2009. Or, Francine Lessard poste la requête le 23 janvier 2009, soit avec cinq jours de retard.
[8] La loi, à l’article 429.19 prévoit ce qui suit :
429.19. La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle-ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.
[9] En l’instance, Francine Lessard fait valoir trois raisons pour lesquelles elle n’a pas agi dans le délai.
[10] Tout d’abord, elle doit consulter les membres de sa fratrie afin de déterminer s’il y a lieu de poursuivre ou non les procédures. Elle veut profiter des fêtes de fin d’année pour ce faire. Cette attitude est raisonnable. Ensuite, lorsque vient le temps d’agir, elle est terrassée par les symptômes d’une maladie qui l’empêche d’agir. Puis, elle est sous l’impression que le délai se compute en jours ouvrables. Cette croyance est erronée.
[11] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la Succession Fernand Lessard n’a pas respecté le délai prévu pour un motif raisonnable. Sa mandataire n’a pas pu agir durant une partie importante du délai de contestation. Lorsqu’elle a été rétablie, elle a agi avec diligence. Il y a donc lieu de relever la succession des conséquences de son défaut de respecter ce délai de contestation.
PREUVE
[12] Le travailleur est né le [...] 1924.
[13] Il vit avec Thérèse Bergeron depuis de nombreuses années.
[14] Il se présente au centre hospitalier Pierre-Boucher le 19 décembre 2006, souffrant de douleurs au dos et de difficulté à respirer. Il est hospitalisé jusqu’au 20 mars 2007. Les médecins ont découvert qu’il souffre d’amiantose et d’un cancer du poumon.
[15] Au cours de l’hospitalisation, il reçoit des traitements de radiothérapie. Il subit également une thrombophlébite. Pour soigner cette thrombophlébite, il doit recevoir des injections. Lors de son retour à domicile, il reçoit donc la visite d’une infirmière du Centre local de services communautaires (CLSC). On peut lire, dans le dossier hospitalier, qu’en février 2007, une consultation en physiatrie est demandée compte tenu de la diminution de l’autonomie du travailleur.
[16] Le travailleur signe une réclamation à la CSST le 27 mars 2007, alléguant avoir une maladie professionnelle. Il joint, à cette réclamation, un rapport médical signé par le docteur Nguyen qui diagnostique une amiantose et un cancer épidermoïde. La réclamation du travailleur est soumise à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.
[17] On peut lire, dans les notes évolutives de l’infirmière visiteuse du CLSC, que le 30 mars 2007, le travailleur est affaibli et son état général s’est détérioré d’un point de vue cognitif et physique. Il demande une surveillance 24 heures par jour et présente des hallucinations. Il a un comportement répétitif. Il signe une demande d’admission à Victor-Gadbois, une résidence offrant des soins palliatifs. La compagne du travailleur, âgée de 80 ans, est épuisée.
[18] Le travailleur est donc réadmis au centre hospitalier Pierre-Boucher le 4 avril 2007, à la suite de cette évaluation. Il quittera ce centre hospitalier le 9 mai 2007.
[19] Au cours de cette hospitalisation, le travailleur est évalué par une travailleuse sociale afin de déterminer son degré d’autonomie. Le 2 mai 2007, ce rapport conclut ainsi :
M. est autonome pour ses AVQ. […]
[…]
Fonction mental très bonne. Avoue avoir quelques pertes de mémoire parfois. Les AVD doivent être assurée par autrui. Anxiété ++ face à son état de santé.
Environnement
Bien entouré par sa conjointe et ses enfants. Épuisement de sa conjointe qui est l’aidante principale. RAD [retour à domicile] compromis ++. Demande de relocalisation dans le réseau public.
[20] C’est dans ce contexte que le travailleur est admis à la résidence Les Habitats Lafayette, en mai 2007, où il est sous la supervision d’infirmières qui lui administrent sa médication. Le travailleur demande l’installation d’un téléphone. Il est également abonné à un service de câblodistribution.
[21] Le 13 septembre 2007, le comité des maladies pulmonaires professionnelles B de Montréal examine le travailleur. On peut lire, dans le rapport de ce comité, qu’à la suite de l’examen du travailleur, ces médecins constatent qu’il est confus et ne peut raconter un long récit. Ce comité en arrive à la conclusion que le travailleur souffre d’une amiantose et qu’il est également porteur d’un cancer d’origine professionnelle. Un déficit anatomo-physiologique de 125 % est octroyé. Il est totalement invalide.
[22] Ce rapport est entériné par le comité spécial des présidents le 1er novembre 2007, soit deux jours après le décès du travailleur.
[23] La réclamation du travailleur est acceptée, ainsi que celle de sa succession. Une indemnité pour l’atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur est déterminée.
[24] Le dossier révèle que le travailleur a déboursé 4 400 $ pour les frais d’hébergement, soit le loyer, 73,86 $ pour les frais de service de câblodistribution et 202,81 $ pour le service de téléphonie, pour une réclamation totale de 4 686,67 $.
[25] Appelé à répondre à l’interrogation de l’agent d’indemnisation, un médecin de la CSST, après analyse du rapport d’évaluation, est d’avis que la condition médicale du travailleur ne demande pas un hébergement spécialisé, mais que d’un point de vue social, le travailleur a besoin d’un hébergement à court terme.
ARGUMENTATION
[26] La représentante de la succession du travailleur est d’avis que ces frais devraient être remboursés car il s’agit de dépenses encourues dans le contexte de la maladie du travailleur. Il était autonome auparavant et vivait dans sa maison, sans assistance.
AVIS DES MEMBRES
[27] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la succession du travailleur a droit au remboursement des frais reliés à la location d’une chambre à la résidence Les Habitats Lafayette. Cependant, il est d’avis que les autres frais ne doivent pas être remboursés.
[28] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que les débours encourus par le travailleur résultent de la lésion professionnelle et qu’ils doivent être remboursés par la CSST.
MOTIFS
[29] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la succession du travailleur a droit au remboursement des frais encourus pour loger le travailleur ainsi que des frais pour le service téléphonique et la câblodistribution.
[30] La Commission des lésions professionnelles ne tire pas d’argument du fait que ces dépenses ont été encourues avant que la réclamation du travailleur soit acceptée.
[31] Par ailleurs, la preuve est clairement à l’effet que l’état du travailleur justifiait qu’il soit admis dans une résidence offrant certains services spécialisés. La détérioration rapide de son état de santé et les limites à son autonomie résultent de la maladie professionnelle dont il est atteint.
[32] Quelles sont les dispositions pertinentes de la loi ?
[33] L’article 1 de la loi énonce ce principe :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
[34] L’article 145 énonce les conditions d’ouverture au droit à la réadaptation :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
[35] Bien que l’atteinte permanente à l’intégrité physique n’ait été déterminée précisément que par la signature de l’avis du comité spécial des présidents, en novembre 2007, le travailleur, en mai 2007, présente une atteinte permanente importante à son intégrité physique résultant de la maladie professionnelle dont il souffre. Le comité spécial des présidents a déterminé l’ampleur de cette atteinte. L’avis de ce comité a un effet rétroactif au moment de la réclamation.
[36] En ce qui a trait à la réadaptation sociale, l’article 151 de la loi prévoit :
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
[37] Cet article est moins précis quant à l’exigence d’une atteinte permanente pour permettre à la CSST d’offrir au travailleur de l’aide pour surmonter, dans la mesure du possible, les conséquences sociales de la lésion professionnelle.
[38] L’article 152 de la loi vient préciser les secteurs d’intervention pour aider le travailleur à surmonter les conséquences sociales de la lésion professionnelle :
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
[39] Il faut noter qu’au second alinéa de cet article la mention de l’expression « procurer au travailleur un domicile […] adaptés à sa capacité résiduelle; ».
[40] Cette notion de « procurer » est différente de la notion « d’adapter » que l’on retrouve aux articles de la loi qui suivent :
153. L'adaptation du domicile d'un travailleur peut être faite si :
1° le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique;
2° cette adaptation est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile; et
3° le travailleur s'engage à y demeurer au moins trois ans.
Lorsque le travailleur est locataire, il doit fournir à la Commission copie d'un bail d'une durée minimale de trois ans.
[…]
155. L'adaptation du véhicule principal du travailleur peut être faite si ce travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique et si cette adaptation est nécessaire, du fait de sa lésion professionnelle, pour le rendre capable de conduire lui-même ce véhicule ou pour lui permettre d'y avoir accès.
(nos italiques)
[41] Or, le dictionnaire Larousse[3] définit ainsi « procurer » :
PROCURER […] 1. Faire obtenir ; mettre à la disposition de ; fournir; pourvoir. Procurer un emploi à qqn. 2. Être la cause, l’occasion de ; apporter, occasionner. Cela nous a procuré bien des ennuis.
[42] Ainsi, dans les circonstances mises en preuve en l’instance, soit :
- qu’un retour à domicile est compromis, de l’avis d’une travailleuse sociale, spécialiste dans ce domaine;
- que la compagne du travailleur n’est plus en mesure de lui procurer de l’assistance;
- que la seconde hospitalisation, en avril 2007, est proposée par l’infirmière visiteuse du CLSC;
- l’état du travailleur décrit par les pneumologues qui l’ont examiné;
- que le travailleur n’est pas admis dans une institution offrant des soins palliatifs, compte tenu du fait que son espérance de vie dépassait, de peu, trois mois;
[43] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la réadaptation sociale du travailleur, dans le but de l’aider à surmonter les conséquences sociales de sa lésion professionnelle, consistait à lui procurer un domicile à la mesure des besoins déterminés par la travailleuse sociale qui a effectué une évaluation à ce sujet.
[44] Il y a donc lieu, dans ce contexte, de rembourser à la succession les frais encourus par le travailleur, soit le loyer déboursé de mai à octobre 2007, le service de téléphonie, incluant les interurbains que le travailleur a pu faire, compte tenu de l’éloignement des membres de sa famille, ainsi que le service de câblodistribution durant cette période, le tout représentant la somme de 4 686,67 $ et les intérêts.
[45] Francine Lessard n’a pas soumis d’argument au sujet du paiement du service de télévision au cours du séjour de son père à l’hôpital.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de la Succession Fernand Lessard;
RELÈVE la Succession Fernand Lessard du défaut d’avoir contesté, dans le délai prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la décision rendue le 1er décembre 2008 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE recevable la requête de la Succession Fernand Lessard;
Et se prononçant sur le fond, la Commission des lésions professionnelles :
ACCUEILLE la requête de la Succession Fernand Lessard,
DÉCLARE qu’elle a droit au remboursement des frais de résidence, de téléphonie et de câblodistribution encourus à compter de mai 2007;
ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de verser, à la Succession Fernand Lessard, la somme de 4 686,67 $ et les intérêts.
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Richard L. Beaudoin |
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Francine Lessard |
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Représentante de la partie requérante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.