Costco—Boisbriand |
2012 QCCLP 7588 |
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[1] Le 7 décembre 2011, Costco - Boisbriand (l'employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d'une révision administrative, le 11 novembre 2011.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision du 11 août 2011 et déclare qu’il y a lieu d'imputer à l'employeur la totalité du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par madame Iolaine Charest le 5 février 2010.
[3] Le 6 septembre 2012, la Commission des lésions professionnelles tient une audience à Saint-Jérôme à laquelle l'employeur est représenté par monsieur Paul Côté.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L'employeur demande de lui imputer 30 % seulement du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par madame Charest le 5 février 2010.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s'il y a lieu d'imputer à l'employeur la totalité du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par madame Charest le 5 février 2010.
[6]
L’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[7] Il ressort de cette disposition que le principe général en matière de financement est d'imputer le coût des prestations dues en raison d'une lésion professionnelle au dossier de l'employeur à l'emploi duquel le travailleur se trouve au moment où il subit cette lésion.
[8] L'employeur peut toutefois obtenir une imputation moindre ou un transfert d’imputation s'il démontre qu'il supporte injustement le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers[2], qu'il est obéré injustement[3], qu'il s'agit d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31[4], qu'il s'agit de prestations d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion[5], que la maladie professionnelle du travailleur a été engendrée chez un ou d'autres employeurs[6], que le travailleur est déjà handicapé au moment de la manifestation de sa lésion professionnelle[7] ou que le coût des prestations résulte d’un désastre[8].
[9] Dans le présent cas, madame Charest est âgée de 40 ans lorsqu'elle est victime, le 5 février 2010, d'un accident du travail lors duquel elle subit une lésion professionnelle en soulevant une boîte pour la replacer sur une étagère. La lésion professionnelle est diagnostiquée comme entorse lombaire aiguë.
[10] Cette lésion est consolidée le 14 juin 2010 sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[11]
L'employeur demande au tribunal de lui
imputer 30 % seulement du coût des prestations dues en raison de la lésion
professionnelle subie par madame Charest le 5 février 2010 en application
de l'article
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[12] L'employeur soutient que madame Charest présentait une déficience au niveau lombaire au moment de l'événement du 5 février 2010.
[13] C'est ce qui ressort de l'avis exprimé le 20 juin 2012 par le docteur A. Blouin, professionnel de la santé désigné par l'employeur.
[14] Le docteur Blouin produit un rapport d’expertise médicale dans lequel il explique que madame Charest présente une maladie discale dégénérative qui touche deux niveaux, soit L4-L5 et L5-S1, et qu'en 2008, elle a présenté une hernie discale L5-S1. Le docteur Blouin souligne aussi la présence d'arthrose facettaire en L5-S1 qui réduit les trous de conjugaison à l'émergence des racines L5 bilatéralement.
[15] Selon le docteur Blouin, cette condition était symptomatique en 2008. Il est donc manifeste qu'elle est antérieure à l'événement du 5 février 2010.
[16] Le docteur Blouin estime que le fait de présenter une hernie discale dès l'âge de 38 ans correspond à une déficience et que cette condition est prématurée.
[17] Le docteur Blouin considère que cette déficience a entraîné des effets sur les conséquences de la lésion professionnelle du 5 février 2010 et plus particulièrement sur la période de consolidation de la lésion.
[18] Le tribunal note, en effet, qu'une entorse lombaire guérit habituellement dans un délai de 35 jours selon la table sur les Conséquences moyennes des lésions professionnelles les plus fréquentes en termes de durée de consolidation[9]. Or, dans le présent cas, la lésion professionnelle a été consolidée le 14 juin 2010 seulement, soit plus de 18 semaines après le fait accidentel.
[19] Le tribunal considère qu’il y a lieu d'accueillir la requête de l'employeur.
[20]
L'article
[21] La notion de travailleur handicapé n'est pas définie par la loi. Toutefois, depuis plus de dix ans, la jurisprudence quasi unanime de ce tribunal interprète les termes « travailleur déjà handicapé » selon les principes qui se dégagent de l’affaire Municipalité Petite-Rivière-St-François et C.S.S.T.-Québec[10] et qui ont été repris de façon majoritaire par la suite[11].
[22]
Dans cette affaire[12], « la Commission des lésions professionnelles considère qu’un travailleur déjà handicapé au sens de
l’article
[23] Pour déterminer en quoi consiste la déficience, la Commission des lésions professionnelles se réfère à la Classification internationale des handicaps : déficiences, incapacités et désavantages : un manuel de classification des conséquences des maladies[13] « parce que ce manuel a l’avantage de représenter un consensus de la communauté médicale internationale sur ce que constitue un handicap »[14]. On y décrit la déficience comme une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale.
[24] Le présent tribunal retient de ce qui précède qu'un travailleur handicapé est une personne qui présente, au moment de la manifestation de sa lésion professionnelle, une déficience, physique ou psychique, qui entraîne des effets sur la production de sa lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.
[25]
L'employeur qui désire obtenir, en vertu de l'article
[26] La déficience peut être congénitale ou acquise et peut ou non se traduire par une limitation de la capacité du travailleur de fonctionner normalement. La déficience peut aussi exister à l'état latent sans qu'elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.
[27] Une fois la déficience démontrée, l'employeur doit établir que celle-ci a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.
[28] Les paramètres suivants sont utiles aux fins d'apprécier l'influence du handicap sur la lésion professionnelle[15] :
Ø la nature et la gravité de l’événement ou du traumatisme ;
Ø le diagnostic initial de la lésion professionnelle ;
Ø l’évolution des diagnostics et de la condition du travailleur ;
Ø la durée normale de la période de consolidation pour ce type de lésion ;
Ø la présence de limitations fonctionnelles et d’une atteinte permanente à la suite de cette lésion professionnelle ;
Ø la capacité du travailleur de reprendre son emploi prélésionnel par rapport à la gravité de l’événement ;
Ø la nature, l’importance et le caractère bilatéral de la déficience ;
Ø l’évolution naturelle et la durée habituelle de la période de consolidation pour ce type de déficience.
[29] Outre de rares cas[16] dont les principes n'apparaissent pas avoir été retenus par la Commission des lésions professionnelles dans des décisions ultérieures[17], la Commission des lésions professionnelles continue à ce jour à reconnaître qu'un travailleur handicapé est une personne qui présente, au moment de la manifestation de sa lésion professionnelle, une déficience, physique ou psychique, qui entraîne des effets sur la production de sa lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.
[30] Dans le présent cas, le tribunal estime que l'employeur a démontré de façon probante que madame Charest présente une déficience, soit une altération d’une structure qui correspond à une déviation par rapport à la norme biomédicale.
[31] En effet, il a été établi que madame Charest présentait une hernie discale L5-S1 depuis 2008, donc deux ans avant l'accident du travail du 5 février 2010.
[32] La Commission des lésions professionnelles a maintes fois reconnu les hernies discales à titre de déficience.
[33] Dans l'affaire Centre de la petite enfance Fleur de Soleil[18], la Commission des lésions professionnelles écrit que « toute hernie discale équivaut à une déviation par rapport à la norme biomédicale et ce, peu importe l’âge du travailleur ».
[34] Dans l'affaire Brault & Martineau inc.[19], la Commission des lésions professionnelles en arrive à la même conclusion et souligne qu'à moins de résulter d’un traumatisme, les hernies discales « constituent une déviation à la norme pour tous les groupes d’âge ».
[35] Cette position est aussi partagée par la Commission des lésions professionnelles dans l'affaire Four Points par Sheraton Montréal[20] dans laquelle la juge administrative S. Séguin précise même « qu’il est de connaissance d’office qu’une hernie discale est hors norme biomédicale ».
[36] La Commission des lésions professionnelles reprend ce principe dans l'affaire Manoir Montréal-Nord[21].
[37] Enfin, dans l'affaire Quincaillerie Richelieu inc.[22], la soussignée en arrive également à la conclusion que la hernie discale « ne fait pas partie du processus normal de vieillissement d'un individu, mais constitue une complication de la dégénérescence du disque » et, par conséquent, que cette « altération d’une structure correspond nécessairement à une déviation par rapport à la norme biomédicale chez un individu, peu importe son âge ».
[38] Le tribunal est donc d'avis, à la lumière de ces principes et de l'avis exprimé par le docteur Blouin, que madame Charest présentait une déficience au moment de la manifestation de sa lésion professionnelle du 5 février 2010.
[39] Le tribunal estime, par ailleurs, que cette déficience a entraîné des effets sur la période de consolidation de la lésion professionnelle.
[40] En effet, la lésion professionnelle diagnostiquée comme entorse lombaire aurait dû guérir à l'intérieur d'un délai de cinq semaines alors que dans les faits, elle a été consolidée après plus de 18 semaines.
[41] Cette disproportion suggère fortement que la déficience présentée par madame Charest a contribué à prolonger la période de consolidation.
[42] De plus, selon l'avis exprimé par le docteur Blouin, « seule la sténose foraminale L5-S1 gauche pourrait expliquer une partie de la symptomatologie » de madame Charest.
[43] Le docteur Blouin explique, dans son rapport, que la « présence d'une sténose foraminale limite en effet le déplacement des racines et fait en sorte que la personne peut être plus susceptible de développer un problème irritatif avec douleur de type sciatique ».
[44] Le professionnel de la santé désigné par l'employeur estime que « n'eut été de cette sténose foraminale, il est probable que la symptomatologie se serait limitée exclusivement à la région lombaire et qu’il n'y aurait pas eu de manifestation sous forme de sciatalgie ». À son avis, c'est cette « sciatalgie qui a fait en sorte que cette entorse lombaire s'est révélée plus compliquée », qu'elle a « nécessité davantage de traitements et a prolongé ainsi l'indice de gravité de ce dossier ».
[45] Le tribunal retient l'avis du docteur Blouin, et ce, d'autant plus que dès le 5 février 2010, le médecin qui a charge indique sur l'Attestation médicale initiale qu'une rechute de hernie discale n'est pas exclue.
[46] Le tribunal note, de plus, que dès le 11 février 2010, le médecin note une douleur qui irradie à la fesse gauche et que la sciatalgie persiste dans les jours et les semaines qui suivent.
[47] L'opinion du docteur Blouin selon laquelle la prolongation de la période de consolidation est en lien avec la déficience présentée par madame Charest est donc tout à fait probante.
[48] Aussi, en comparant la période de consolidation de la lésion professionnelle de madame Charest qui est de 130 jours à celle de 35 jours qui est prévue à la table sur les Conséquences moyennes des lésions professionnelles les plus fréquentes en termes de durée de consolidation[23] pour une entorse lombaire, le tribunal en arrive à la conclusion qu'il y a lieu d'imputer à l'employeur 27 % seulement du coût des prestations dues en raison de cette lésion professionnelle et d'imputer 73 % des coûts de cette réclamation aux employeurs de toutes les unités.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Costco - Boisbriand en date du 7 décembre 2011 ;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d'une révision administrative le 11 novembre 2011 ;
DÉCLARE qu’il y a lieu d'imputer à Costco - Boisbriand 27 % seulement du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par madame Iolaine Charest le 5 février 2010 et que 73 % des coûts de cette réclamation doivent être imputés aux employeurs de toutes les unités.
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Martine Montplaisir |
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Monsieur Paul Côté |
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Santragest inc. |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Article 326, alinéa 2.
[3] Article 326, alinéa 2.
[4] Article 327, paragraphe 1.
[5] Article 327, paragraphe 2.
[6] Article 328, alinéas 2 et 3.
[7] Article 329.
[8] Article 330.
[9] COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL, Annexe 1. Partage d’imputation en vertu de l’article
[10]
[11] À titre d'exemples, voir notamment les affaires
suivantes : Hôpital général de Montréal,
[12] Municipalité Petite-Rivière-St-François et C.S.S.T.-Québec, précitée, note 10.
[13] ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ et INSTITUT NATIONAL DE LA SANTÉ ET DE LA RECHERCHE MÉDICALE, Classification internationale des handicaps : déficiences, incapacités et désavantages : un manuel de classification des conséquences des maladies, coll. « Flash informations », Paris, CTNERHI/INSERM, 1988, 203 pp.
[14] Municipalité Petite-Rivière-St-François et C.S.S.T.-Québec, précitée, note 10.
[15] Centre hospitalier de Jonquière et CSST, précitée, note 11 ; Pinkerton
du Québec ltée et CSST, C.L.P.
[16] RHIM inc., C.L.P.
[17] Créations Morin inc., C.L.P.
[18] C.L.P.
[19] C.L.P.
[20] C.L.P.
[21] C.L.P.
[22] C.L.P.
[23] COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL, loc. cit., note 9.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.