Reynoso-Munoz et Résidence Mance-Décary |
2011 QCCLP 2287 |
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[1] Le 16 octobre 2009, madame Martha Reynoso-Munoz (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 9 octobre 2009, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 9 juillet 2009 et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle et qu’elle n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] L’audience a eu lieu à Montréal le 12 janvier 2011. La travailleuse est présente et représentée tout comme la Résidence Mance-Décary (Pavillon St-Henri et Pavillon des Seigneurs) (l’employeur). Le dossier est pris en délibéré le jour même.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que la travailleuse a été victime d’un accident du travail dont le diagnostic est une tendinite à l’épaule droite occasionnée à la suite de microtraumatisme.
LES FAITS
[5] La travailleuse occupe le poste d’infirmière auxiliaire pour le compte du CSSS-Verdun depuis cinq ans. Le 20 mai 2009, elle est affectée à un remplacement d’un poste d’infirmière auxiliaire au Centre d’hébergement du Pavillon des Seigneurs. Elle travaille à ce pavillon depuis le mois de janvier 2007.
[6] L’horaire de travail de la travailleuse est de 7 h 30 à 15 h 30 et elle travaille huit jours par quinzaine. Elle travaille auprès d’une clientèle aux prises avec des problèmes de comportement et d’agressivité. Elle est affectée soit au 4e ou au 5e étage. Elle travaille sur un seul étage par quart de travail et il y aurait entre 19 et 25 patients par étage.
[7] Le 20 mai 2009, la travailleuse consulte la docteure Alicja Bedkowska, médecin de famille. Celle-ci complète un rapport médical sur lequel elle retient le diagnostic de tendinite à l’épaule droite en précisant le long tendon du biceps droit. Elle recommande des travaux légers sans usage du bras droit et elle prescrit des traitements de physiothérapie.
[8] Le jour même, soit le 20 mai 2009, la travailleuse déclare l’événement à son employeur. Le 26 mai suivant, elle complète un formulaire Réclamation du travailleur de la CSST en regard d’un événement allégué être survenu le 20 mai précédent. À la description de l’événement, on peut lire ce qui suit :
Depuis un mois j’ai de la douleur au bras droit. Cette douleur ne m’empêchait pas de travailler, mais depuis deux semaines la douleur a augmenté, surtout lorsque j’écrace les médicaments. Je l’ai beaucoup de difficulté à fair mon travail à cause de la douleur. Le médecin a diagnostiqué une tendinite causée par les mouvements repetitifs à mon travail. [sic]
[9] Le 26 mai 2009, l’employeur complète un formulaire Avis de l’employeur et demande de remboursement. À la section portant sur la Description de l’événement selon la version du travailleur, la mention suivante apparaît :
Depuis un mois j’ai de la douleur au bras droit. C’est en écrasant des pilules ce matin que j’ai réalisé que la douleur à la région épaule-bras supérieur D était constante et inconfortable. La douleur était sous forme de brûlure irradiant dans mon bras D jusqu’au poignet. J’ai alors pris 2 co de 324 mg de tylenol pour m’aider à continuer mon travail. [sic]
[10] Le 27 mai 2009, la travailleuse complète un rapport d’accident sur lequel elle précise les détails de l’accident, allégué être survenu le 19 mai 2009, vers 10 h, comme suit :
Depuis un mois, j’ai de la douleur au bras droit. C’est en écrasant des pilules ce matin que j’ai réalisé que la douleur à la région épaule-bras supérieur D était constante et inconfortable. La douleur était sous forme de brulure irradiant dans mon bras D jusqu’au poignet. J’ai alors pris 2 cos de 325 mg de tylenol pour m’aider a continuer mon travail. [sic]
[11] À l’audience, la travailleuse précise avoir fait une réclamation à la CSST puisqu’elle ressentait de la douleur depuis la fin du mois d’avril 2009. Elle localise la douleur au niveau du bras droit avec une irradiation jusqu’à l’épaule. Elle affirme avoir constaté la présence de douleurs lorsqu’elle adoptait une position avec le bras en élévation lors de la distribution des médicaments.
[12] La douleur était, au départ, tolérable. La travailleuse consomme alors des Tylenols et elle applique des compresses chaudes, ce qui lui procure un soulagement. La douleur augmente par la suite.
[13] À l’audience, la travailleuse précise qu’au cours de la nuit du 19 mai 2009, la douleur devient insupportable. Elle ressent une sensibilité au toucher. Elle confirme également que rien de spécifique n’est survenu au cours de la journée du 19 mai 2009.
[14] La travailleuse confirme avoir reçu des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie. Elle effectue une assignation temporaire, à compter du 27 mai 2009.
[15] Un rapport d’évolution en physiothérapie daté du 1er juin 2009 fait état que la travailleuse présente une diminution de l’amplitude articulaire au niveau de la flexion, d’une diminution de la force musculaire au niveau de la flexion du coude et d’une douleur à la palpation du tendon du biceps et du sus-épineux à droite.
[16] Le 3 juin 2009, la docteure Catherine Turcot complète un rapport médical sur lequel elle retient le diagnostic de tendinite de la coiffe des rotateurs du côté droit en amélioration. Elle recommande la poursuite des traitements de physiothérapie, ajoute des traitements d’ergothérapie, puis prescrit la prise de Celebrex.
[17] Les notes cliniques de cet examen font état d’une limitation de l’abduction de l’épaule droite à 170 degrés et de la rotation externe à 20 degrés. La manœuvre de Jobe était positive à droite. La docteure Turcot mentionne que la douleur est surtout localisée au niveau du trapèze droit sous forme de brûlure.
[18] La docteure Turcot revoit la travailleuse le 17 juin 2009. Elle réitère le diagnostic et recommande la poursuite des traitements entrepris. Elle autorise la reprise du travail régulier à raison de deux jours non consécutifs par semaine, et la continuation des travaux légers trois jours par semaine.
[19] Le 24 juin 2009, la travailleuse est vue par la docteure Lise Choquette. Celle-ci complète un formulaire Rapport final de la CSST. Elle y inscrit que la tendinite de l’épaule droite est guérie et autorise un retour au travail. Elle recommande, par ailleurs, la continuation des traitements de physiothérapie pour deux semaines, et ce, pour renforcer l’épaule. Elle ne prévoit pas d’atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles. Elle retient la date du 25 juin 2009 comme étant celle de la consolidation de la lésion.
[20] Madame Lucie Jacques, agente à la CSST, inscrit une note d’accès au régime datée du 8 juillet 2009. Elle rapporte le contenu d’une conversation téléphonique avec la travailleuse. Celle-ci précise qu’aucun événement ou traumatisme particulier est à l’origine de sa lésion. Elle affirme également que sa lésion a été causée par les mouvements répétitifs à son travail, qu’elle est de petite taille et qu’elle doit souvent lever les bras. La travailleuse ajoute également que le fait d’écraser les pilules constitue des mouvements répétitifs.
[21] Le 9 juillet 2009, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la réclamation de la travailleuse pour une tendinite du biceps droit, au motif qu’il ne s’agit pas d’un accident du travail ni d’une maladie professionnelle.
[22] Cette décision sera maintenue à la suite d’une révision administrative en date du 2 octobre 2009, d’où l’appel devant le présent tribunal.
[23] L’employeur dépose un document intitulé Répartition quotidienne des activités de l’infirmière auxiliaire - quart de jour (E-1). Les tâches y sont décrites comme suit :
7 h 30 . Assister au rapport inter-services jour-nuit.
Faire le relevé des résidents nécessitant un laxatif.
7 h 40 . Préparer, faire vérifier et donner insuline.
8 h . Préparer et distribuer médicaments selon l’horaire prévue
participer activement aux soins d’hygiène selon les résidents attribués.
9 h 30 ou . Pause santé - 15 minutes.
9 h 45
9 h 45 . Administrer les traitements (suppositoires, lavements, pansements, etc)
en collaboration avec l’infirmière.
10 h 15 . Pendre les signes vitaux des résidents le nécessitant
finaliser les soins d’hygiène des résidents qui lui sont attribués.
10 h 45 . Glucométrie et insuline.
10 h 50 . Préparer, distribuer et enregistrer les médicaments de 11 h.
11 h . 1er dîner.
12 h 45 2e dîner, lorsqu’elle est prévue pour le deuxième dîner, aider aux dîner des résidents à l’étage.
13 h 00 . Distribuer les médicaments prévus en p.m. selon l’horaire;
. Vérifier si traitements p.m. et/ou prendre signes vitaux trimestriels.
13 h 45 . Participer à la réunion clinique.
14 h 30 . Rédiger les notes aux dossiers s’il y a lieu;
. Accomplir les tâches différées qui lui sont attribuées.
15 h 00 . Aviser l’infirmière de toutes particularités pour le rapport quotidien. [sic]
[24] La travailleuse commente les tâches qui y sont indiquées lors de l’audience. Elle témoigne à l’effet que la préparation de médicaments requiert environ deux heures. Elle ajoute qu’elle prend une petite pause, si elle a le temps, et ce, vers 10 heures.
[25] La travailleuse précise que lors de la distribution des médicaments, elle se rend à la chambre, salue le patient, prend les médicaments, ensuite, lorsque requis, elle écrase les comprimés. Cette dernière étape consistant à écraser les pilules requiert cinq secondes. Pour ce faire, elle doit donner, en moyenne, quatre coups, puis elle verse la préparation dans une compote.
[26] Par la suite, la travailleuse donne le médicament au patient puis signe le rapport. Elle précise que, parfois, certains patients refusent de prendre leurs médicaments et, dans ce cas, elle doit revenir un peu plus tard. L’intervalle entre deux opérations consistant à écraser les médicaments est, au minimum, de quatre minutes. L’opération consistant à la préparation requiert, selon son témoignage, environ deux minutes.
[27] La travailleuse témoigne à l’effet qu’elle effectue une deuxième distribution de médicaments, soit de 11 h 30 à 12 h 30 ou de 12 h 30 à 13 h 30. Elle précise être, sauf exception, la seule à effectuer la préparation et la distribution de médicaments lors de son quart de travail.
[28] La travailleuse affirme que chaque patient prend entre cinq et dix pilules. Presque tous les patients prennent des médicaments le matin, et environ la moitié de ceux-ci en reprennent l’après-midi. Les médicaments sont placés sur un support posé sur un chariot. Le support mesure, selon la travailleuse, environ 20 cm. Le chariot atteint une hauteur de 105 cm, soit au niveau de la poitrine de la travailleuse, celle-ci mesurant 1 mètre 53.
[29] La travailleuse, à l’aide d’un gobelet, prend les pilules et les place dans un sac en plastic. Ses bras sont alors positionnés en flexion et abduction, et ce, dans un angle d’environ 90 degrés. Elle doit, par la suite, écraser les pilules, et ce, pour environ 50 % des patients, selon son témoignage. Elle effectue alors un mouvement de rotation interne et externe de l’épaule. L’écrase-pilule serait à une hauteur d’environ 115 cm du sol.
[30] À l’audience, la travailleuse précise donc devoir procéder à l’écrasement des pilules environ douze fois en avant-midi et environ cinq fois en après-midi.
[31] La travailleuse ajoute que la douleur apparaît davantage lorsqu’elle effectue les mouvements avec les bras en élévation. Elle effectue ce mouvement lorsqu’elle prend les médicaments dans le pharmacarte, une plaquette contenant les pilules et qui nécessite que l’on applique une pression afin d’en dégager les comprimés. Cette opération prend environ cinq secondes. Dans les semaines précédant son arrêt de travail, aucun changement n’a été apporté à ses tâches de travail. De plus, sa charge de travail n’est pas augmentée.
[32] La travailleuse effectue les tâches décrites en utilisant ce matériel depuis le mois de janvier 2007.
[33] Madame Céline Thomas occupe le poste de chef d’unité à l’unité spécifique au pavillon des Seigneurs depuis près de huit ans. Les infirmières auxiliaires se rapportent à elle. Elle affirme avoir fréquemment observé la préparation et la distribution des médicaments. Elle ajoute avoir rarement vu des gestes effectués en élévation.
[34] Madame Thomas souligne qu’il n’y a pas, à sa connaissance, d’autres réclamations par des employées de la nature de celle sous étude.
[35] Le 24 juin 2009, la travailleuse reprend son travail régulier. Elle témoigne à l’effet que, lors de la reprise de ses tâches régulières, les méthodes de travail enseignées par l’ergothérapeute l’ont aidée. Ses tâches n’ont toutefois pas été modifiées et elle utilise le même matériel.
[36] La travailleuse affirme, cependant, avoir utilisé un support différent afin d’abaisser le niveau de la « pharmacarte ». Madame Thomas affirme, quant à elle, ne pas avoir eu connaissance d’une modification effectuée à ce niveau.
[37] La travailleuse précise avoir adopté une meilleure position de travail en travaillant plus rapprochée du chariot. De plus, elle abaisse le niveau du support de médicaments afin de réduire l’élévation de son bras droit.
[38] La travailleuse témoigne à l’effet qu’elle n’a pas, avant le mois d’avril 2009, eu de problèmes avec son membre supérieur droit.
[39] Le 4 novembre 2010, la travailleuse, à sa demande, est expertisée par le docteur Claude Bouthillier, physiatre. La description des tâches, telle qu’il la rapporte, correspond au témoignage de la travailleuse sauf pour la précision à l’effet que lorsqu’elle récupère les médicaments, elle devait effectuer des mouvements d’élévation et d’abduction de l’épaule droite au-dessus de 90 degrés. Il mentionne également que la travailleuse doit administrer la médication à environ 25 bénéficiaires, sans nuancer que ce nombre diminue de moitié en après-midi.
[40] Au moment de cette expertise, la travailleuse n’a pas douleur et elle fonctionne bien dans les activités domestiques et quotidiennes.
[41] À l’examen physique, le docteur Bouthillier retrouve une amplitude de la flexion de la colonne cervicale de 40 degrés et une extension à 50 degrés. Les deux latéro-flexions atteignent 45 degrés et les rotations sont mesurées à 70 degrés. En ce qui a trait aux épaules, les mouvements sont symétriques et complets.
[42] Le reste de l’examen objectif du docteur Bouthillier est sans particularité.
[43] Le docteur Bouthillier retient le diagnostic de tendinite ou tendinopathie de l’épaule droite (coiffe des rotateurs et longue portion du biceps). Il base sa conclusion sur les douleurs telles que rapportées par la travailleuse, les diagnostics retenus par les médecins traitants, la manœuvre de Jobe décrite par la docteure Turcot et les limitations de mouvements avec douleurs en flexion et abduction de l’épaule droite notées en physiothérapie le 1er juin 2009.
[44] Quant à la relation entre le diagnostic retenu et les événements survenus au travail, le docteur Bouthillier est d’avis que les gestes effectués par la travailleuse lors de la distribution des médicaments étaient susceptibles de favoriser l’apparition d’une tendinite de l’épaule droite. Il ajoute que la hauteur du chariot semble être l’élément le plus problématique.
[45] À titre de considérant, le docteur Bouthillier mentionne que la travailleuse avait à passer la médication trois heures par jour. Il considère, par ailleurs, que le délai de consultation est habituel. La travailleuse ne présentait pas, selon lui, de condition personnelle préexistante.
[46] Le docteur Bouthillier témoigne à titre de médecin expert. Il souligne que la description, faite par la travailleuse, correspond à ce qu’elle lui rapportait lors de leur rencontre. Seule la mention à l’effet que l’ergothérapeute lui avait recommandé de modifier son positionnement ne lui avait pas été rapporté.
[47] Il décrit les symptômes de la travailleuse comme étant « classique » d’une tendinite et d’une tendinopathie, apparaissant lors de l’élévation et de l’abduction de l’épaule. Il souligne que l’apparition des symptômes, de manière graduelle, correspond effectivement à ce diagnostic.
[48] En ce qui a trait à la relation entre le diagnostic et le travail exécuté, le docteur Bouthillier souligne l’absence d’antécédents, l’apparition des symptômes lors du travail et plus spécifiquement lors de la distribution des médications. Il mentionne également que la symptomatologie est amendée lors du repos et par les modifications apportées à la suite des recommandations de l’ergothérapeute.
[49] Le docteur Bouthillier ajoute que la travailleuse devait adopter une position combinant une élévation et une abduction, et ce, de manière éloignée du corps ce qui augmente la pression et la tension exercées dans la coiffe des rotateurs. Il s’agit, selon lui, de vices ergonomiques. Il affirme que les études démontrent que la pression augmente lors de position à plus que 60 degrés.
[50] Le docteur Bouthillier souligne que la travailleuse devait effectuer des mouvements de flexion et d’extension en exerçant une pression assez importante lors de l’opération consistant à écraser les médicaments. Il ajoute que les positions d’élévation et d’abduction doivent donc être maintenues environ deux minutes par patient, soit entre 30 et 45 minutes par jour, et ce, sans appui et en suspension de façon soutenue.
[51] Le docteur Bouthillier précise que, selon lui, la période de récupération est un élément à considérer, mais qu’il n’y a pas de relation entre la charge et la durée de temps de repos ou de pause nécessaire. Il réitère que la charge est un élément à risque supplémentaire, mais il n’y aurait pas d’étude démontrant qu’une charge significative requiert un temps de repos plus long.
[52] Le docteur Bouthillier affirme, à l’audience, que le poids et la durée des mouvements sont des facteurs à considérer, tout comme le temps de repos qui constitue un élément supplémentaire qui rentre en ligne de compte afin d’évaluer ce qui favorise l’apparition d’une tendinite.
[53] Le docteur Bouthillier conclut qu’il y a relation entre les gestes décrits par la travailleuse et l’apparition des symptômes de la travailleuse. Il ne peut expliquer pourquoi la symptomatologie apparaît à un moment précis, après environ 17 mois, sinon qu’il s’agissait de l’effet cumulatif des gestes posés dans les circonstances décrites.
[54] Il ajoute avoir déjà vu, dans sa pratique, que lorsque les gens ont des travaux ou des gestes à risque, l’effet cumulatif dans le temps fait en sorte qu’à un moment donné, il y a décompensation.
L’AVIS DES MEMBRES
[55] Conformément aux dispositions de l’article 429.50 de la loi, la juge administratif soussignée a obtenu l’avis motivé du membre issu des associations d’employeurs et de la membre issue des associations syndicales ayant siégé auprès d’elle dans la présente affaire.
[56] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête de la travailleuse doit être rejetée puisque la preuve révèle qu’elle n’effectue pas des répétitions de mouvements sollicitant son épaule droite. En effet, les efforts déployés lors de l’accomplissement de sa tâche de distribution de médicaments ne peuvent être considérés comme étant suffisants pour expliquer l’apparition d’une tendinite au niveau de la coiffe des rotateurs et de la longue portion du biceps.
[57] De plus, les positions non ergonomiques maintenues pour une période de 30 à 45 minutes, tel que l’allègue la travailleuse, ne sauraient être considérées comme un événement imprévu et soudain au sens de l’article 2 de la loi.
[58] La membre issue des associations syndicales est plutôt d’avis que la requête de la travailleuse doit être accueillie. La preuve médicale est cohérente et l’expertise du docteur Bouthillier établit que les mouvements effectués par la travailleuse sont suffisants pour expliquer l’apparition de la lésion. La travailleuse a donc été victime d’une lésion professionnelle causée par le cumul des effets des microtraumatismes subis au travail.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[59] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a subi une lésion professionnelle dont le diagnostic est une tendinite de la coiffe des rotateurs et de la longue portion du biceps du côté droit.
[60] Ce diagnostic a été posé, pour la première fois, le 20 mai 2009 par la docteure Bedkowska. Il sera maintenu tout au long du suivi médical de la travailleuse, soit les 3 et 17 juin 2009 par la docteure Turcot et le 24 juin 2009 sur le rapport final émanant de la docteure Choquette. Il s’agit également du diagnostic retenu par le docteur Bouthillier et ayant fait l’objet des décisions rendues par la CSST.
[61] Aussi, en l’espèce, non seulement s’agit-il du diagnostic ayant un caractère liant en vertu de l’article 224 de la loi, mais il s’agit du seul diagnostic en cause.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[62] La notion de lésion professionnelle est définie à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[63] La loi crée une présomption de lésion professionnelle à son article 28 :
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 28.
[64] La tendinite peut, lorsque les circonstances le permettent, être qualifiée de blessure lorsqu’elle est de nature traumatique, permettant ainsi l’application de cette présomption. En l’espèce, ce n’est pas la prétention de la travailleuse et ce n’est pas, non plus, ce que révèle la preuve.
[65] En effet, la travailleuse demande plutôt que sa lésion soit qualifiée de professionnelle puisqu’elle serait survenue à l’occasion d’un accident du travail par l’accumulation de microtraumatismes.
[66] La notion d’accident du travail, quant à elle, est définie comme suit :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[67] La jurisprudence a établi que la notion d’un événement imprévu et soudain ne se limite pas à un seul fait accidentel, circonstancié et unique[2]. En effet, la notion d’accident de travail a été élargie[3] afin d’englober, notamment, les situations découlant des circonstances suivantes :
· Modifications significatives apportées aux conditions d’exercice d’un travail[4];
· Conditions d’exercice d’un travail qui s’inscrivent dans un contexte de circonstances inhabituelles, incluant une surcharge de travail[5];
· Efforts inhabituels ou soutenus[6] y compris l’utilisation d’une mauvaise méthode de travail[7];
· Microtraumatismes[8];
[68] En ce qui a trait aux microtraumatismes, ceux-ci peuvent donc être assimilés, lorsqu’accumulés les uns aux autres, à un événement imprévu et soudain permettant de conclure en la survenance d’un accident du travail.
[69] La preuve prépondérante doit, pour permettre de tirer une telle conclusion, établir que les gestes à l’origine des microtraumatismes sollicitent, de manière importante, le site anatomique lésé[9]. Ces gestes doivent, de plus, être posés de façon répétitive et sur une courte période de temps en opposition à des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées, lesquels correspondent à une maladie professionnelle et non pas à un accident du travail[10].
[70] Ainsi, la jurisprudence a déjà reconnu que les microtraumatismes, générés par des efforts répétés, déployés par une travailleuse, constituaient ou étaient assimilables à un événement imprévu et soudain puisqu’ils avaient été exorbitants de sa capacité physique compte tenu de son manque de préparation et de ses particularités physiques peu adaptées eu égard à la mécanique des mouvements impliqués[11].
[71] Cette notion élargie d’accident du travail découlant de l’accumulation de microtraumatismes ne doit pas, cependant, s’appliquer aux risques associés aux circonstances habituelles de travail[12]. Elle ne doit pas, non plus, être invoquée afin de combler une lacune dans la preuve requise afin d’établir l’existence d’une maladie professionnelle.
[72] Or, en l’espèce, la travailleuse allègue que l’opération de distribution de médicaments, particulièrement la tâche consistant à écraser les comprimés, constitue des mouvements répétitifs à l’origine de sa lésion professionnelle, telle qu’elle l’affirme d’ailleurs lors de sa conversation avec madame Jacques en date du 8 juillet 2009.
[73] L’opération de préparation des médicaments nécessite, selon la preuve non contredite, un maximum de 1 heure 16 minutes, soit 2 minutes à 38 reprises, et ce, au cours d’une journée.
[74] Quant à la tâche identifiée comme étant la plus à risque, soit lorsque la travailleuse procède à l’écrasement des comprimés, celle-ci requiert 1 minute 25 secondes par jour en moyenne, soit 68 coups donnés à l’aide de l’écrase-pilule pour une moyenne de 17 patients par jour. L’opération consistant à retirer les comprimés des pharmacartes exige une période équivalente, soit 1 minute 25 secondes par jour.
[75] Or, le docteur Bouthillier considérait, dans son expertise, que la travailleuse devait procéder à la distribution de médicaments pour une durée de trois heures par jour. La preuve révèle plutôt que cette opération identifiée comme étant à risque ne correspond qu’à une durée de 30 à 40 minutes par jour. Cette nuance, apportée lors de l’audience, affaiblit la force probante des conclusions de cette expertise médicale.
[76] Le tribunal souligne que, contrairement aux circonstances de la présente affaire, celles prévalant dans les affaires Ricci[13] et Doucet[14], déposée par la représentante de la travailleuse, impliquait une position à risque maintenue de façon presque continue lors de l’exécution du travail en cause. En ce qui a trait à l’affaire Trépanier[15], la preuve avait établi que la travailleuse devait effectuer un effort comportant des répétitions importantes au cours de son quart de travail et également transporter un poids correspondant à près de moitié de son poids corporel.
[77] D’autre part, la preuve révèle qu’aucun changement n’a été apporté aux tâches de la travailleuse dans les semaines précédant son arrêt de travail et que sa charge de travail n’avait pas augmenté. Elle exécutait ses tâches habituelles, à l’aide du même matériel, comme elle le faisait depuis le mois de janvier 2007, soit près de deux ans et demi.
[78] Dans ce contexte, les gestes considérés par le docteur Bouthillier comme étant à risque étaient exécutés dans les circonstances habituelles de travail de la travailleuse. De plus, ces gestes ont été effectués sur une période de temps prolongée, à savoir près de deux ans et demi.
[79] Enfin, les changements aux méthodes de travail allégués par la travailleuse lors de son retour au travail, à savoir le fait de travailler de manière plus rapprochée du chariot et le fait d’avoir abaissé le niveau de la pharmacarte, la preuve étant par ailleurs non concluante quant à ce dernier élément, ne change pas le caractère habituel des tâches qu’elle exécutait depuis plus de deux ans.
[80] Les circonstances de l’espèce ne permettent donc pas l’application de la notion élargie d’un accident du travail par l’accumulation de microtraumatismes.
[81] À la lumière de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles conclut que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de madame Martha Reynoso-Munoz, la travailleuse;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 9 octobre 2009, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle et qu’elle n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Isabelle Therrien |
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Me Christine Longpré |
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F.I.Q. |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Simon-Pierre Hébert |
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MCCARTHY TÉTRAULT |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Métro Richelieu inc. Boily et al. C.L.P. 303130-31-0611, 10 août 2009, M. Beaudoin; Drouin et RRSSS de l’Abitibi-Témiscamingue, C.L.P. 124945-08-9910, 29 novembre 2002, P. Prégent.
[3] Beaulieu et Commission scolaire des Premières-Seigneuries, C.L.P. 360525-31-0810, 25 septembre 2009, M. Racine.
[4] Métro Richelieu, supra note 2; Roussel et Novabus Corporation, C.L.P.103871-61-9808, 18 janvier 1999, M. Denis; Aliments Flamingo et Lepage, C.L.P. 111268-62A-9902, 29 octobre 1999, J. Landry, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. St-Jean-sur-Richelieu, 755-05-001412-996, 8 juin 2000, j. Viau; Verreault et VTL Transport, C.L.P. 169414-64-0109, 5 février 2002, J.-F. Martel
[5] Tembec inc. et Duquette, 286361-08-0603, 17 septembre 2007, P. Prégent; Exeltor inc. et Forget, C.L.P. 304458-62A-612, 7 juin 2007, J. Landry. Cafétérias Montchâteau et Leclerc, [1998] C.L.P. 1289 ; Station touristique Mont-Tremblant et Cusson, C.L.P. 162176-64-0105, 11 février 2002, R. Daniel; Groupe matériaux à bas prix ltée et Lamoureux, C.L.P. 225735-61-0401, 14 septembre 2004, S. Di Pasquale; Molloy et Fairmont Château Montebello, C.L.P. 239992-07-0407, 20 juin 2005, M. Langlois, requête en révision rejetée le 20 février 2007, L. Boucher; Entr. Cara ltée et Boivin, [1998] C.L.P. 1330 ; Martineau et Diogène Café, C.L.P. 105990-31-9810, 99-04-30, G. Godin et C. Lavigne; Berkline inc. et Prud’homme, C.L.P.90052-63-9707, 28 mai 1999, J. M. Charette ; St-Amand et Centre Hospitalier régional de Sept-Iles, CLP 118650-09-9906, 9 novembre 1999, Y. Vignault ; Station Touristique Mont-Tremblant et Cusson, C.L.P. 162176-64-0105, 12 février 2002, R. Daniel.
[6] Entreprises Cara (supra); Groupe matériaux (supra); Bombardier inc. et Verdy, C.L.P. 101357-64-9806, 4 novembre 1999, L. Turcotte; Permafil ltée et Fournier, C.L.P. 148090-03B-0010, 28 février 2001, M. Cusson.
[7] Lalande et Boulangerie Weston ltée, C.L.P. 101703-62-9806, 2 juin 1999, L. Couture.
[8] Bernier et CSST, C.L.P. 118218-02-9906, 9 février 1999, P. Simard; Bacon International inc. et Mailhot, C.L.P. 119579-04-9907, 16 mars 2000, P. Brazeau; Trépanier et Ritz Carlton inc., C.L.P. 125371-72-9910, 4 février 2000, R. Langlois; Ricci et Les Installations Joe Mineiro, C.L.P. 304762-71-0611, 25 mars 2008, A. Suicco; Larose et Beaulieu et Laflamme, C.L.P. 365618-62A-0812, 31 mai 2010, C. Burdett.
[9] Tousignant et Tousignant Électrique inc., C.A.L.P. 15543-08-8911, 30 juin 1992, Y. Tardif; Arsenault et Centre du camion Beaudoin inc., C.L.P. 209801-05-0306, 17 octobre 2003, L. Boudreault.
[10] Bombardier Inc. (division Canadair) et Borduas, C.L.P. 91471-62B-9709, 98-11-30, G. Marquis; Camiré et Fibre de verre niteram inc., C.L.P. 137912-04B-0005, 26 février 2002, L. Collin.
[11] Bacon international inc. et Mailhot, C.L.P. 119579-03B-9907, 16 mars 2000, P. Brazeau.
[12] Blouin et Société des établissements de plein air du Québec (siège social), C.L.P. 279170-32-0512, 12 juin 2006, G. Tardif.
[13] Ricci et Les installations Joe Mineiro, C.L.P. 304762-71-0611, 25 mars 2008, A. Suicco.
[14] Doucet et Centre dentaire Roux Nappert & ass. et al., C.L.P. 316099-04B-0705, 24 septembre 2008, L. Collin.
[15] Trépanier et Ritz Carlton, C.L.P. 125371-72-9910, 4 février 2000, R. Langlois.
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