Chouinard et Emballage Smurfit-Stone Canada |
2012 QCCLP 4905 |
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[1] Le 6 décembre 2011, monsieur Alain Chouinard (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 23 novembre 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 1er septembre 2011 et déclare qu’elle était justifiée de refuser la demande de remboursement d’accessoires de prothèses auditives du travailleur qui excède la fréquence prévue à sa politique.
[3] Une audience est tenue à Québec le 2 mai 2012 en présence du travailleur. Emballage Smurfit-Stone Canada (l’employeur) est absent et n’est pas représenté. L’affaire est mise en délibéré à compter du 8 mai 2012 sur réception d’une lettre de madame Annie Lambert, audioprothésiste.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande le remboursement d’accessoires pour ses prothèses auditives. Plus précisément, il demande le remboursement de 146 piles par année, par prothèse auditive.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d'employeurs recommandent d’accueillir la requête du travailleur. La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit que le travailleur a droit à l’assistance médicale que requiert son état suite à la lésion professionnelle. Cette assistance médicale comprend les prothèses auditives qui d’ailleurs, ont été payées par la CSST. Ils sont d’avis que le tribunal n’est pas lié par une politique administrative de la CSST et que ce sont les dispositions générales de la loi qui doivent les guider.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La CSST refuse d’autoriser la demande du travailleur relative aux accessoires pour ses prothèses auditives. Elle accorde le remboursement de 80 piles par année par prothèse, selon sa politique, alors que le travailleur allègue que l’utilisation qu’il fait des prothèses auditives commande 146 piles par année, par prothèse.
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement de ces accessoires supplémentaires.
[8] Le travailleur souffre d’une surdité neurosensorielle. Il s’agit d’une maladie professionnelle[2].
[9] L’atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur résultant de cette maladie professionnelle est de 20.40 % donnant droit à une indemnité pour préjudice corporel de 18 188,80 $[3].
[10] L’achat de prothèses auditives CIC péri-tympanique droite et gauche est autorisé par la CSST. Dans la demande d’autorisation, madame Annie Lambert, audioprothésiste, précise ce qui suit :
Monsieur Chouinard est toujours au travail et il éprouve des difficultés temporaires lorsqu’il donne des cours de premiers soin il doit utiliser un stéthoscope et faire face à diverses situations d’écoute de type de p/a permettra l’utilisation du stéthoscope amplifié et l’utilisation d’une télécommande facilitera donc d’adaptation à l’appareillage et permettra à monsieur d’avoir accès à l’ajustement du volume (pas possible d’effectuer l’ajustement sur la prothèse, ne peut avoir accès à cette fonction sans télécommande). Le tout limitera l’effet de privation neuro-sensorielle à long terme et permettra à monsieur de continuer à travailler. [sic]
[11] À l’audience, le travailleur confirme qu’il travaille comme enseignant en technique de soins ambulanciers dans un CÉGEP de la région de Québec. Il travaille également comme technicien à la logistique pour les services de transport ambulancier. Il fait ce travail du jeudi au dimanche, à raison de 12 heures par jour.
[12] Le travailleur confirme qu’il porte ses prothèses auditives en moyenne de 14 à 16 heures par jour.
[13] Dans une note du 3 mai 2012, madame Annie Lambert précise maintenant ce qui suit :
1) Les prothèses auditives de monsieur Chouinard ont été vérifiées en février 2011 et elles répondent à la Norme ANSI en vigueur. La consommation de la pile correspond à la fiche technique du manufacturier.
2) Monsieur dit porter ses prothèses auditives 16 heures/jour en moyenne.
3) Monsieur utilise un modèle avec écouteur puissant.
4) Puisque qu’une pile #10 (type de pile dans cette prothèse) a une capacité de 60mA et que la consommation est d’environ 1.2mA selon ce calcul la durée de vie de la pile devrait être environ 50 heures donc environ 3 jours. Bien entendu ces calculs sont basés sur des moyennes et ne tiennent pas compte de l’utilisation d’une télécommande et des variations de consommation lorsque le patient change souvent de types d’environnements.
Pour l’ensemble de ces raisons je suis en accord avec monsieur Chouinard, dans son dossier il est clair que 80 piles/par année/par prothèses semble insuffisant. [sic]
[14] Dans le cadre de l’assistance médicale, la CSST acquitte le coût d’achat de l’ajustement, de la réparation et des prothèses qui sont visées à l’article 189.4 de la loi :
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
[…]
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
[…]
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1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166; 2009, c. 30, a. 58.
198.1. La Commission acquitte le coût de l'achat, de l'ajustement, de la réparation et du remplacement d'une prothèse ou d'une orthèse visée au paragraphe 4° de l'article 189 selon ce qu'elle détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
Dans le cas où une orthèse ou une prothèse possède des caractéristiques identiques à celles d'une orthèse ou d'une prothèse apparaissant à un programme administré par la Régie de l'assurance maladie du Québec en vertu de la Loi sur l'assurance maladie (chapitre A-29) ou la Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec (chapitre R-5), le montant payable par la Commission est celui qui est déterminé dans ce programme.
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1992, c. 11, a. 11; 1999, c. 89, a. 53.
[15] C’est donc en vertu de ces dispositions que le coût d’achat des prothèses auditives a été remboursé au travailleur.
[16] Par ailleurs, on retrouve au Recueil des politiques en matière de réadaptation-indemnisation[4], une politique administrative visant les prothèses et orthèses. L’article 3.2 de cette politique vise précisément les prothèses auditives et prévoit ce qui suit :
3.2 Prothèses auditives
La CSST paie les prothèses auditives selon les tarifs publiés par la RAMQ dans son Manuel du programme des aides auditives pour une prothèse comprise dans ce programme, ou le tarif déterminé dans sa politique administrative amendée pour une prothèse non comprise dans ce programme. Les services professionnels et les accessoires sont payés selon les tarifs déterminés par la CSST dans sa politique administrative amendée.
[17] Enfin, dans un guide administratif à l’intention des audioprothésistes, on retrouve à l’annexe 4, les codes et tarification des accessoires qui peuvent être fournis aux travailleurs. Au code 6900625, on retrouve les piles au zinc-air pour lesquelles la fréquence maximale de facturation est de 100 piles par année par prothèse, au coût unitaire de 1 $.
[18] Il n’existe donc pas de règlement encadrant les conditions et limites monétaires des paiements pouvant être effectués pour l’ajustement des prothèses, comme le prévoit l’article 198.1 de la loi précité.
[19] Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles a déjà conclu qu’il y a lieu d’appliquer le premier alinéa de l’article 194 de la loi, énonçant que le coût de l’assistance médicale est à la charge de la CSST[5] :
194. Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.
Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.
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1985, c. 6, a. 194.
[20] De plus, la Commission des lésions professionnelles a aussi rappelé que le tribunal n’est pas lié par les politiques de la CSST, mais doit rendre la décision en considérant la loi, les règlements et le mérite de chaque cas[6].
[21] En l’espèce, le travailleur a fait la preuve d’une utilisation prolongée de ces prothèses auditives considérant ses activités professionnelles. Pour les exigences de son travail, le travailleur doit s’assurer d’un fonctionnement optimal de ses prothèses auditives. Par ailleurs, les explications fournies par madame Annie Lambert, audioprothésiste, justifient l’utilisation de piles au-delà de ce que prévoit la politique administrative de la CSST.
[22] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles estime être en présence d’une preuve prépondérante établissant que les accessoires demandés par le travailleur sont utiles et nécessaires au bon fonctionnement des prothèses auditives. Leur remboursement fait partie de l’assistance médicale à laquelle le travailleur a droit.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Alain Chouinard;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 23 novembre 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Alain Chouinard a droit au remboursement de l’achat de 146 piles annuellement, par prothèse auditive.
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MARIE BEAUDOIN |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Voir décision finale de la CSST du 14 octobre 2010.
[3] Voir décision de la CSST du 22 décembre 2010.
[4] Recueil des politiques en matière de réadaptation-indemnisation, Politique 5.04 « Les prothèses et orthèses », mars 2012.
[5] Poirier et Ville de Montréal, [2006] C.L.P. 49 ; Philippe et Bowater Pâtes et Papiers (Gatineau), [2007] C.L.P. 48 ; Dubois, C.L.P. 389447-63-0909, 26 avril 2010, D. Besse.
[6] Bouchard et Reboitech inc., C.L.P. 367837-02-0901, 31 juillet 2009, A. Vaillancourt.
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