DÉCISION
[1] Le 6 mars 2003, monsieur Marcel Ménard (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 29 janvier 2003 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 14 novembre 2002 et déclare que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle le 29 août 2002 ni une récidive, rechute ou aggravation le 10 septembre 2002.
[3] À l’audience, le travailleur est présent, accompagné de son représentant. Pour sa part, l’employeur est absent, ayant toutefois avisé le tribunal préalablement de cette absence.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de reconnaître qu’il a subi une lésion professionnelle le 29 août 2002 et une récidive, rechute ou aggravation le 10 septembre 2002.
LES FAITS
[5] Le travailleur, âgé de 44 ans, est calorifugeur depuis 15 ans. Il est à l’emploi de Thermopro inc. (l’employeur) depuis juillet 2002.
[6] Son travail consiste, entre autres, à isoler des réservoirs de produits pétroliers. Généralement, cela s’effectue sur des surfaces plutôt plates. Toutefois, à compter du 26 août, il est assigné sur un réservoir dont le toit est très bombé, générant une forte inclinaison. C’est la première fois qu’il travaille dans une telle situation, marchant toujours en angle. Il est alors attaché par un harnais.
[7] Après 4 jours de travail, durant l’après-midi du jeudi 29 août, il dit avoir commencé à faire de la fièvre. Le lendemain, il constate que le dessous de son pied gauche est enflé. Il n’entre pas travailler, croyant que le repos de ce jour et celui de la fin de semaine lui sera bénéfique. Ce n’est toutefois pas le cas, puisqu’à l’enflure s’ajoute la sensation de chocs électriques sous le pied. Cela l’amène à consulter un médecin le 3 septembre. Le docteur Nadeau pose alors le diagnostic de fasciite plantaire et il recommande du repos pendant une semaine. Les 9 et 10 septembre, il reprend le travail mais sur un autre réservoir moins incliné. La sensation de choc persistant sous le pied l’amène à consulter de nouveau. Après un autre arrêt de travail, il reprend ses fonctions le 23 septembre et il ne présente plus aucun problème depuis.
[8] Le travailleur déclare que c’est la première fois qu’il éprouvait de tels problèmes à son pied gauche ; au droit, il n’a jamais rien eu. Il mentionne ne pas avoir les pieds plats.
[9] Il attribue l’apparition de sa fasciite plantaire au pied gauche au fait qu’il ait eu à travailler sur un réservoir dont le toit était bombé, faisant en sorte que son pied était toujours en angle. Son représentant prétend que cela peut constituer soit un événement imprévu et soudain ou un risque particulier, au sens de l’article 30 de la loi. À cet effet, il dépose une lettre du médecin traitant du travailleur, à qui il a demandé si cette fasciite pouvait être en relation avec le travail de monsieur Ménard. À cette question, le docteur Nadeau a répondu que la position inhabituelle de travail maintenu par le travailleur était la cause de sa fasciite. Aussi, le représentant a déposé un article qu’il a trouvé sur internet où y sont identifiées les causes de la fasciite soit :
Causes : On connaît mal la cause exacte de cette inflammation, mais on sait que le vieillissement normal du fascia plantaire y joue un rôle majeur. Comme celui-ci perd de sa souplesse avec l’âge, il risque de subir de petites déchirures lorsque le poids de la personne et certains mouvements provoquent des tractions excessives et répétées. L’inflammation apparaît alors pour réparer la membrane fibreuse, mais cause aussi une douleur aiguë et persistante qui risque même de produire d’autres dommages. Parfois, ceux-ci résultent d’une chute, mais le plus souvent, ce sont les excès de charge ou d’étirement qui en sont responsables.
L’AVIS DES MEMBRES
[10] Conformément aux dispositions de l'article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), la commissaire soussignée a demandé aux membres, qui ont siégé auprès d'elle, leur avis sur la question faisant l'objet de la présente contestation, de même que les motifs de cet avis.
[11] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis d’accueillir la contestation du travailleur. Tout deux considèrent que, le 29 août 2002, il a subi une lésion professionnelle et le 10 septembre 2002, une récidive, rechute ou aggravation. Toutefois, ils divergent d’opinion quant au motif d’acceptation.
[12] Le premier assimile à un accident du travail le fait que le travailleur ait dû maintenir, pendant 4 jours, une position inconfortable lui demandant des étirements du pied gauche en raison de la pente accentuée du toit du réservoir. Le second est d’avis que la fasciite plantaire diagnostiquée chez le travailleur est reliée aux risques particuliers de son travail, plus particulièrement le fait d’avoir travaillé debout dans une position contraignante. Par ailleurs, tous deux accordent prépondérance à l’avis du médecin du travailleur qui fait la relation entre le travail et la fasciite diagnostiquée chez le travailleur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[13] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 29 août 2002 et une récidive, rechute ou aggravation le 10 septembre 2002.
[14] La loi définit comme suit la lésion professionnelle :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation ;
[15] D’emblée, la Commission des lésions professionnelles élimine la notion de récidive, rechute ou aggravation, puisque telle n’est pas la prétention du travailleur. Ce dernier n’ayant d’ailleurs pas subi une lésion professionnelle antérieurement, au même siège de lésion que la présente réclamation, il ne peut donc être question d’une récidive, rechute ou aggravation.
[16] En ce qui concerne l’accident du travail, la loi offre au travailleur deux moyens d’établir sa preuve : l’article 28 qui prévoit une présomption de lésion professionnelle et l’article 2 qui implique la démonstration de chacun des éléments de la définition d’un accident du travail.
[17] L’article 28 est ainsi libellé :
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 28.
[18] Ici, le diagnostic liant les parties est fasciite plantaire du pied gauche. La CSST n’a pas reconnu qu’il s’agissait d’une blessure et la Commission des lésions professionnelles est aussi de cet avis. En effet, la fasciite est avant tout une maladie et non pas une blessure. Toutefois, la jurisprudence reconnaît qu’elle puisse constituer une blessure lorsque survient un traumatisme direct. Il doit alors y avoir présence d’un agent extérieur ayant pu causer cette fasciite. Dans la présente affaire, la preuve entendue n’a pas permis de retenir que la fasciite diagnostiquée chez le travailleur puisse être de nature traumatique. Donc, il ne peut s’agir d’une blessure. Il est ainsi impossible au travailleur de bénéficier de cette présomption. Mais, cela n’empêche pas qu’il puisse démontrer avoir subi une lésion professionnelle découlant d’un accident du travail, que la loi définit comme suit à l’article 2
«accident du travail» : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
[19] Ici, le travailleur a décrit sa tâche de calorifugeur et plus spécifiquement, le travail exécuté sur un réservoir dont le toit était plus bombé qu’à l’habitude. Il n’a pas décrit un événement bien circonstancié à l’origine de sa douleur au pied, prétendant plutôt que c’est le fait général d’avoir eu à travailler sur un réservoir dont le toit était bombé, faisant en sorte que son pied était toujours en angle, qui était à l’origine de son problème. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, cela réfère bien plus à une maladie professionnelle qu’à un accident du travail.
[20] La maladie professionnelle est ainsi définie à l’article 2 :
« maladie professionnelle » :une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail ;
[21] Par ailleurs, l’article 29 établit une présomption de maladie professionnelle en faveur d’un travailleur. Il se lit comme suit :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
[22] Ici, le diagnostic posé n’est pas une maladie prévue à l’annexe I. Ainsi, la présomption de maladie professionnelle ne peut s’appliquer.
[23] Reste à déterminer si le travailleur a démontré que la fasciite plantaire diagnostiquée chez lui est une maladie caractéristique du travail qu’il exerce ou qu’elle est reliée directement aux risques particuliers de son travail, et ce, tel que le commande l’article 30 de la loi.
[24] Pour qu’une maladie soit considérée caractéristique du travail, il faut démontrer qu’un nombre significatif de travailleurs a présenté, dans des conditions semblables, la même maladie. Ici, il ne peut en être question puisque, pour avoir gain de cause sur ce point, il aurait été nécessaire que le travailleur démontre que l’incidence de sa maladie est plus grande dans la population de travailleurs qui effectuent le même genre de travail que lui par rapport à la population en général ou à un groupe témoin. Cette preuve peut être faite de plusieurs façons, notamment par des études scientifiques et épidémiologiques. Mais elle doit nécessairement porter sur un nombre significatif de personnes tendant ainsi à éliminer une simple association fortuite. Or, aucune preuve de la sorte n’a été présentée.
[25] Par ailleurs, pour qu’une maladie soit considérée reliée aux risques particuliers du travail, on doit faire la preuve que son travail présente un danger plus ou moins prévisible et propre à l’exécution de ses fonctions et qu’il existe un lien entre sa maladie et le risque invoqué. La preuve relève donc de données factuelles et de données médicales; il faut démontrer le lien entre la maladie et les risques.
[26] De la preuve médicale documentaire soumise, la Commission des lésions professionnelles retient que la cause exacte de la fasciite plantaire demeure inconnue, mais que le vieillissement normal du fascia plantaire joue un rôle ainsi que certains mouvements provoquant des tractions excessives et répétées sur le fascia. Dans le présent cas, la Commission des lésions professionnelles est d’opinion que ces éléments ont été prouvés à sa satisfaction. La description des fonctions bien particulières de calorifugeur, exercées par le travailleur pendant 4 jours, démontre qu’il y a eu une importante tension exercée sur le fascia plantaire du fait qu’il ait eu à travailler dans une forte inclinaison du toit du réservoir impliquant des postures contraignantes et soutenues pour les chevilles et les articulations des pieds. La Commission des lésions professionnelles accorde prépondérance à l’avis du médecin traitant et conclut que le travailleur a été exposé à des risques particuliers susceptibles de favoriser l’apparition de sa fasciite plantaire, laquelle constitue ici une maladie professionnelle.
[27] Le présent cas s’apparente à celui de Joanne Théroux Ferraro et Onetex inc.[2], où il a été reconnu que les conditions de travail étaient compatibles avec la preuve médicale qui avait été présentée et qui voulait qu’une fasciite soit provoquée par le fait de demeurer debout longtemps sur une surface dure. La travailleuse devait alors adopter une position debout stationnaire durant une moyenne de quatre heures par jour de travail. La Commission des lésions professionnelles avait alors considéré que la fasciite plantaire constituait une maladie professionnelle en raison des risques particuliers causés par les conditions de travail exigeantes pour ses pieds.
[28] Dans Stacy Baker et Restaurant Jack Astor’s Bar et Grill[3], la Commission des lésions professionnelles a décidé que la marche et les conditions d’exercice de ce mouvement pouvaient constituer un facteur de risque particulier de développer une fasciite plantaire. La travailleuse était serveuse et la marche constituait sa principale activité de travail. Il avait été aussi tenu compte du fait qu’elle marchait sur un plancher rigide, qu’elle transportait des cabarets pesant entre 30 à 45 livres sur de bonnes distances, et ce, sur de très longues heures de travail.
[29] Dans Vicky Laplante et Maxi-Crisp Canada inc.[4], il a été décidé que l’exercice des fonctions de la travailleuse mettait à contribution, de façon importante, la région anatomique lésée et qu’il s’agissait là de facteurs de risques reliés au travail et prédisposant au développement de la fasciite plantaire. La travailleuse travaillait debout sur une surface dure pendant 7h45 par jour et la majorité de son poids était soutenu par sa jambe gauche. En plus, une fois par heure, elle se plaçait sur la pointe des pieds avec la majorité de son poids sur le pied.
[30] Dans François Marchand et Ville de Montréal[5], l’ensemble des faits démontrait que la marche sur une surface dure, comme le trottoir d’une rue, pendant cinq heures et demie par jour, présentait un risque particulier au sens de la loi et qu’il était plausible que la fasciite du travailleur, agent de stationnement, y soit liée directement. Certes, il a été convenu que la Commission des lésions professionnelles avait déjà refusé, dans d’autres cas, de reconnaître la fasciite plantaire comme lésion professionnelle, mais dans ces dossiers, la preuve avait été jugée insuffisante, ce qui n’était pas le cas dans cette affaire ni dans la nôtre.
[31] Par ailleurs, en ce qui concerne l’arrêt de travail du 10 septembre 2002, il ne fait nul doute qu’il s’agit là d’une récidive, rechute ou aggravation de la lésion initiale. Les critères généralement reconnus dans un tel cas sont ici présents, dont entre autres, similitude de diagnostics, identité de site anatomique, un court laps de temps séparant la récidive, rechute ou aggravation de la lésion initiale.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Marcel Ménard, le travailleur ;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 29 janvier 2003 à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 29 août 2002 et une récidive, rechute ou aggravation le 10 septembre 2002 et qu’en conséquence, il doit être indemnisé selon la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Nicole Blanchard |
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Commissaire |
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Regroupement des accidentés de la Montérégie (M. Richard Beaulieu) |
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Représentant de la partie requérante |
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