Poupart et R & G Legault inc. |
2011 QCCLP 571 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 28 mai 2010, monsieur Martin Poupart (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 11 mai 2010, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 1er février 2010 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement du coût de remplacement du moteur électrique d’une porte de garage.
[3] À l’audience tenue à Salaberry-de-Valleyfield le 21 janvier 2011, le travailleur est présent et la CSST est représentée; l’audience est tenue en l’absence de R & G Legault inc. (l’employeur).
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement du coût de remplacement du moteur électrique d’une porte de garage.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales est d'avis que le travailleur a droit au remboursement du coût de remplacement du moteur électrique d’une porte de garage. Pour les travaux de peinture et de grand ménage, la CSST a évalué que l’effort déployé lors de ces travaux, par les muscles dorso-lombaires, peut entraîner des risques de fatigue musculaire ou de traumatisme. Pour les mêmes raisons, l’effort déployé pour ouvrir manuellement une porte de garage peut entraîner un risque de blessure au niveau de la colonne dorso-lombaire. Les frais réclamés par le travailleur peuvent être remboursés à titre d’adaptation du domicile. La requête du travailleur doit être accueillie.
[6] Le membre issu des associations d'employeurs est d'avis de rejeter la requête du travailleur. Depuis plus d’un an, le travailleur dit ouvrir et fermer sa porte de garage manuellement et aucun incident traumatique n’est survenu. Au surplus, les frais réclamés par le travailleur ne peuvent être remboursés à titre de frais d’adaptation du domicile.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit au remboursement du coût de remplacement du moteur électrique d’une porte de garage.
[8] Le travailleur subit une lésion professionnelle le 14 mars 2005. De façon finale, il est établi que :
· les lésions reliées à la lésion professionnelle sont une contusion au thorax, une costochondrite et une entorse dorso-lombaire;
· la lésion professionnelle du 14 mars 2005 est consolidée depuis le 22 février 2006 et l’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique reliée à cette lésion est évaluée à 2,20 % pour une entorse dorso-lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées;
· les limitations fonctionnelles reliées à la lésion professionnelle du 14 mars 2005 sont celles évaluées par le docteur Jean-Marie Latreille, physiatre :
Compte tenu de l’intolérance de monsieur Martin à toutes contraintes mécaniques au niveau dorso-lombaire, nous recommandons les limitations fonctionnelles suivantes :
1) éviter de soulever ou de tirer de façon répétitive des charges de plus de 10 kilos;
2) éviter les mouvements répétitifs de flexion, extension et rotations de la colonne dorso-lombaire;
3) éviter le travail en position penchée ou à bout de bras;
4) éviter les vibrations de basses fréquences et les contrecoups sur la colonne dorso-lombaire. [sic]
· le travailleur subit une nouvelle lésion professionnelle le 16 juin 2008, soit une récidive, rechute ou aggravation reliée à la lésion professionnelle initiale du 14 mars 2005, les lésions acceptées par la CSST étant séquelles d’entorse dorso-lombaire et trouble d’adaptation avec anxiété et humeur dépressive;
· sur le plan psychique, la lésion professionnelle du 16 juin 2008 est consolidée depuis le 22 janvier 2009; un déficit anatomo-physiologique de 5 % est retenu en relation avec la lésion psychique mais aucune limitation fonctionnelle;
· sur le plan physique, la lésion professionnelle du 16 juin 2008 est consolidée le 4 mai 2009 et n’a entraîné aucune nouvelle atteinte permanente ni aucune nouvelle limitation fonctionnelle;
· le travailleur est incapable de reprendre son emploi pré-lésionnel de livreur d’huile.
[9] La lésion professionnelle du 14 mars 2005 ayant entraîné une atteinte permanente, le travailleur a droit à la réadaptation comme le prévoit l’article 145 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 145.
[10] La réadaptation peut comprendre un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle. Ici, il est question de réadaptation sociale :
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
__________
1985, c. 6, a. 151.
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
__________
1985, c. 6, a. 152.
[11] Lors d’une rencontre avec une conseillère en réadaptation, le 17 novembre 2009, le travailleur mentionne qu’il aimerait avoir un moteur à sa porte de garage, car il se blesse à chaque fois qu’il la manipule. Le travailleur est informé que ces frais ne sont pas remboursables.
[12] Il réitère sa demande le 11 décembre 2009 et le travailleur essuie un nouveau refus. Une troisième demande est faite le 27 janvier 2010, le travailleur mentionnant cette fois qu’il s’est fait mal au dos en ouvrant sa porte de garage. Une autre fois, le travailleur est verbalement avisé que ces frais ne sont pas remboursables.
[13] La décision qui refuse de rembourser les frais pour un moteur électrique d’une porte de garage est rendue le 1er février 2010 et le travailleur demande la révision de cette décision le 9 février 2010. Dans sa décision rendue le 11 mai 2010, à la suite d’une révision administrative, la CSST précise :
La Révision administrative est d’avis que l’ouverture et fermeture manuelle de la porte de garage du domicile du travailleur selon un usage habituel, soit de façon sporadique ou quelques fois par jour, n’est pas contraire au respect de ses limitations fonctionnelles, que cela n’est pas répétitif ou encore que cela ne correspond pas à une incapacité de la part du travailleur. Il n’est donc pas nécessaire d’assumer le coût d’une adaptation du domicile du travailleur pour lui permettre d’avoir accès de façon autonome à son garage.
De plus, dans le présent cas, la demande du travailleur survient conséquemment à un bris probablement attribuable à l’usure normale de la motorisation de la porte de son garage. La Commission n’a pas à assumer les coûts de remplacement à la suite d’une usure normale ou à un bris d’une commodité du domicile, même si cela a une incidence avec les conséquences de la lésion professionnelle.
[14] Les conditions d’ouverture pour une adaptation du domicile sont prévues à l’article 153 de la loi :
153. L'adaptation du domicile d'un travailleur peut être faite si :
1° le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique;
2° cette adaptation est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile; et
3° le travailleur s'engage à y demeurer au moins trois ans.
Lorsque le travailleur est locataire, il doit fournir à la Commission copie d'un bail d'une durée minimale de trois ans.
__________
1985, c. 6, a. 153.
[15] Dans Aubé et École de conduite Tecnic Rive-Sud[2], la Commission des lésions professionnelles retient :
[88] Pourtant, la cour arrière du travailleur constitue une annexe de son domicile et l’adaptation dont il est question à l’article 153 de la loi n’a pas pour unique but de permettre d’entrer et de sortir, de façon autonome, du domicile, mais également d’avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de ce domicile.
[89] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, la cour arrière est assimilable aux biens et commodités du domicile et le travailleur doit donc pouvoir y accéder en toute autonomie.
[16] De la même manière, ici, la Commission des lésions professionnelles conclut qu’un garage est assimilable aux biens et commodités du domicile et que l’article 153 de la loi n’a pas pour unique but de permettre d’entrer et de sortir du domicile, de façon autonome, mais aussi, d’avoir accès aux biens et commodités de ce domicile, de façon autonome.
[17] Dans Morin et The James Maclaren Co. ltd[3], la Commission des lésions professionnelles énonce : « La loi est claire, lorsque la CSST assume les coûts d’adaptation du domicile, elle doit assumer aussi le frais d’entretien qu’entraîne l’adaptation ».
[18] Concluant qu’un garage fait partie des biens et commodités du domicile et que les frais d’adaptation d’un garage peuvent être remboursés en vertu de l’article 153 de la loi, la Commission des lésions professionnelles retient que les frais d’entretien reliés à une adaptation du domicile peuvent être remboursés.
[19] Ici, la CSST n’a pas eu à débourser des sommes pour l’adaptation du domicile du travailleur puisque la porte du garage du domicile du travailleur était déjà munie d’un moteur électrique. Ce n’est pas un empêchement à rembourser les coûts pour les frais d’entretien si l’adaptation est toujours nécessaire pour permettre au travailleur d’avoir accès, de façon autonome, au garage.
[20] Pour refuser de rembourser au travailleur le coût de remplacement du moteur électrique d’une porte de garage, la CSST retient que l’ouverture et la fermeture manuelles de la porte de garage ne se font pas de façon répétitive et que ça ne correspond pas à une incapacité du travailleur.
[21] Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles constate que la CSST, le 3 avril 2006, décide que le travailleur est admissible au remboursement des frais pour certains travaux d’entretien courant du domicile c’est-à-dire, le ratissage du terrain, le déneigement de l’entrée, la peinture intérieure et extérieure et le grand ménage. Pour ce faire, la CSST reconnaît que le travailleur est porteur d’une atteinte permanente grave à son intégrité physique.
[22] Aux notes évolutives contenues au dossier de la CSST, nous retrouvons l’évaluation faite par une conseillère en réadaptation, à la suite d’une visite faite au domicile du travailleur. La Commission des lésions professionnelles note que, pour décider si le travailleur avait droit au remboursement des frais pour des travaux d’entretien du domicile, la conseillère en réadaptation, tenant compte des limitations fonctionnelles émises par le docteur Latreille, a retenu que certains travaux pouvaient entraîner des risques de fatigue musculaire ou de traumatisme, à cause de l’effort déployé, sans réellement tenir compte du critère de répétitivité.
[23] À l’audience, le travailleur mentionne avoir mesuré la force requise pour ouvrir et fermer, manuellement, la porte du garage. Une force de 75 à 80 livres est exigée pour ouvrir la porte et de 30 à 50 livres pour la fermer.
[24] La Commission des lésions professionnelles retient que le travailleur est porteur d’une atteinte permanente grave à son intégrité physique puisque, parmi les limitations fonctionnelles, il y a celle d’éviter de soulever et de tirer de façon répétitive des charges de plus de 10 kilogrammes.
[25] Lorsqu’il a émis ses limitations fonctionnelles, le docteur Latreille a tenu compte de l’intolérance du travailleur « à toutes contraintes mécaniques au niveau dorso-lombaire ».
[26] Considérant cette précision du docteur Latreille et considérant l’effort que doit déployer le travailleur pour ouvrir et fermer manuellement la porte du garage, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur risque d’aggraver sa condition dorso-lombaire s’il continue d’ouvrir et fermer manuellement la porte du garage.
[27] Tout comme l’a fait la CSST pour décider si le travailleur avait droit au remboursement de frais pour certains travaux d’entretien du domicile, la Commission des lésions professionnelles estime que la contrainte mécanique qui peut être exercée au niveau dorso-lombaire, lorsque le travailleur doit ouvrir ou fermer manuellement la porte du garage, doit être d’abord considérée avant d’analyser le critère de répétitivité.
[28] La Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur a droit au remboursement du coût de remplacement du moteur électrique d’une porte de garage.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée le 28 mai 2010 par monsieur Martin Poupart;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 11 mai 2010, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Poupart a droit au remboursement du coût de remplacement du moteur électrique d’une porte de garage.
|
|
|
Richard Hudon |
|
|
Me Mark-André Archambault |
|
Vigneault, Thibodeau, Giard, avocats |
|
Représentant de la partie intervenante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.