Agropur DFF — Oka |
2010 QCCLP 4686 |
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[1] Le 27 août 2009, Agropur D.F.F. - Oka (l'employeur) dépose une requête devant la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 6 août 2009, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision initialement rendue le 16 février 2009 et déclare que l’imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Christian Larouche (le travailleur) le 10 mars 2006 demeure inchangée.
[3] L'employeur est représenté à l’audience qui a lieu devant la Commission des lésions professionnelles siégeant à St-Jérôme, le 2 mars 2010. La cause est mise en délibéré le 30 mars 2010 sur réception des informations médicales manquantes requises du tribunal.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de lui accorder un partage des coûts résultant de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 10 mars 2006 de l’ordre de 15 % à son dossier et 85 % à l’ensemble des employeurs.
[5]
Plus précisément, l'employeur se base sur l’article
LES FAITS
[6] L'employeur n’a fourni aucune preuve additionnelle à l’audience, hormis les informations médicales manquantes requises du tribunal. C’est donc sur la base de l’ensemble des informations produites au dossier que le tribunal retient les faits suivants.
[7] Le travailleur occupe un emploi de manœuvre chez l'employeur au moment où il subit une lésion professionnelle le 10 mars 2006. L’accident survient alors que le travailleur est assigné au département du fromage Feta. En coupant un bloc de 12 kilogrammes, un morceau tombe. En voulant le récupérer, il se penche et effectue un faux mouvement. Il ressent alors une vive douleur à l’épaule droite.
[8] Le jour même, il déclare l’événement à son employeur.
[9] Le 14 mars 2006, le travailleur consulte le docteur Gaudet qui pose les diagnostics d’entorse à l’épaule droite, douleurs importantes et limitation et d’entorse cervicale. Il ne prescrit pas d’arrêt de travail, mais indique que le travailleur est en assignation temporaire. Il prescrit cependant des traitements de physiothérapie.
[10] Le 23 mars 2006, le travailleur est évalué par le docteur Alain Neveu, omnipraticien oeuvrant en médecine du travail, à la demande de l'employeur.
[11] Dans le cadre du rapport d'évaluation médicale rédigé par le docteur Neveu, ce dernier décrit le fait accidentel comme suit :
Monsieur Larouche a rapporté le 10 mars dernier l’apparition d’une douleur soudaine à l’arrière de l’épaule droite lorsqu’il s’est penché brusquement pour tenter de rattraper des morceaux de fromage Feta qui risquaient de tomber au sol. Il m’explique travailler avec un collègue placé à sa gauche; il prend à sa droite des blocs de Feta, les place devant lui pour les sectionner à travers un couteau à broche et par la suite, son collègue doit prendre les morceaux coupés, se retourner vers sa gauche pour les déposer dans un bassin. Le bloc qui venait d’être coupé a été poussé vers l’extérieur de la table par le bloc suivant. Monsieur Larouche n’a pas réussi à le rattraper, les fromages sont tombés au sol. Il décrit une douleur qui était comme une chaleur à l’arrière de l’épaule lors du mouvement lui-même.
[12] Sous la rubrique « Antécédents », le docteur Neveu réfère notamment à une tendinite à l’épaule gauche en 2003 qui aurait nécessité une chirurgie pour réparation de la coiffe des rotateurs. Le travailleur avait réclamé à la CSST en lien avec cette lésion. Cette réclamation avait été refusée. Cependant, selon ce qu’indique le docteur Neveu, la Commission des lésions professionnelles aurait infirmé cette décision et reconnu qu’il s’agissait d’une condition personnelle dégénérative associée à des ostéophytes et à une arthrose qui avait été rendue symptomatique par le travail. D’ailleurs, la CSST avait accordé à l'employeur un partage de l’imputation des coûts de l’ordre de 15 % à son dossier et 85 % à l’ensemble des employeurs.
[13] Quant à l’épaule droite, le travailleur a mentionné au docteur Neveu qu’il avait été opéré il y a environ 12 ans à la Cité de la santé de Laval pour une déchirure de la coiffe des rotateurs.
[14] À l’issue de son évaluation, le docteur Neveu conclut ce qui suit :
Diagnostic :
Douleur à la coiffe des rotateurs droite;
Compte tenu qu’il y a toujours un acromion de type III (c’est-à-dire des ostéophytes à son rebord inférieur) il est probable que monsieur présente une déchirure dégénérative de la coiffe, à nouveau, rendue symptomatique par le geste brusque fait le 10 mars. Ce geste de tenter, sans succès, de rattraper un morceau de fromage, n’a pas pu cependant produire en soi une déchirure traumatique puisque le mouvement était de faible amplitude et sans soulèvement de charge lourde. Je souligne de plus que la douleur initiale était à l’arrière de l’épaule, la douleur antérieure est apparue plus tard.
Il n’y a jamais eu d’entorse cervicale et il ne présente aucune douleur ni limitation de mouvements à ce niveau.
[15] De plus, le docteur Neveu est d’opinion que la lésion professionnelle n’est pas consolidée et qu’il serait utile d’obtenir un examen par résonance magnétique pour décrire l’état des tissus mous de l’articulation. Il est d’opinion que les modalités actuelles de traitements sont adéquates et indique qu’il est trop tôt pour se prononcer quant à l’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique et aux limitations fonctionnelles.
[16] Ce même jour, le travailleur passe une radiographie simple des épaules dont les résultats sont interprétés par la docteure Nicole Messier-Nepveu, radiologiste. À l’épaule droite, elle note un pincement de l’articulation acromioclaviculaire de même qu’une irrégularité du rebord inférieur de l’acromion avec début d’ostéophyte et une légère diminution de l’espace entre l’acromion et la tête humérale. De même, elle constate des calcifications linéaires de 2 mm x 9 mm dans les tissus mous avoisinant le versant externe de la tête humérale. Elle note également des îlots de sclérose osseuse au niveau de la tête et du col huméral.
[17] À l’épaule gauche, elle constate des modifications post-chirurgicales avec présence de deux vis insérées au niveau de la tête humérale en relation probable avec une réinsertion ligamentaire. Elle note également une déformation au niveau de l’acromion et une légère diminution de l’espace acromio-huméral. Elle constate aussi la présence d’une ossification ectopique ou d’une calcification moins probable avoisinant la tête humérale dans la région de l’une des vis.
[18] En réaction à l’expertise médicale du docteur Neveu, le docteur Pierre Loiselle, médecin qui a charge du travailleur, complète un rapport complémentaire à la demande de la CSST.
[19] Dans le cadre de ce rapport complémentaire, le docteur Loiselle indique ce qui suit :
La sollicitation constante et continuelle du tendon dans le cadre de son poste exigeant est à la base d’un processus érosif lentement progressif. Déjà fragilisé par la chirurgie antérieure, le geste allégué est amplement suffisant à mes yeux pour avoir provoqué une rupture complète.
[20] Le docteur Loiselle est d’opinion que le travailleur doit passer un examen par résonance magnétique pour préciser le diagnostic et il le réfère d’emblée en orthopédie.
[21] Le 12 avril 2006, le travailleur passe un examen par résonance magnétique de l’épaule droite dont les résultats sont interprétés par le docteur François Hudon, radiologiste. Comme renseignements cliniques, il appert du rapport du radiologiste qu’il est question de réparation de la coiffe en 1989 et de déchirure à nouveau. À la lecture des résultats de ce test, le docteur Hudon est d’opinion et conclut à un petit épanchement intra-articulaire gléno-huméral, une déchirure complète du tendon sus-épineux à point de départ de son insertion distalement avec légère rétraction proximalement du moignon tendineux. Une légère distension liquidienne de la bourse sous-acromiale sous-deltoïdienne secondairement, de légers signes de tendinopathie à l’insertion humérale du tendon sous-scapulaire, une légère atteinte dégénérative acromio-claviculaire sans ostéophyte vraiment dominant au versant inférieur de l’interligne; des modifications présumées d’acromioplastie; une légère composante d’atrophie des plans musculaires périarticulaires sans atrophie vraiment dominante focalisée en regard du sous-épineux; des changements de dégénérescence mixoïdes en regard du labrum glénoïdien postéro-supérieur sans déchirure franche surajoutée; une petite lésion intra-osseuse à la diaphyse proximale humérale non spécifique, soit en relation avec un petit kyste ganglionnaire versus un petit enchondrome sans signification clinique particulière.
[22] Le 19 avril 2006, le travailleur consulte le docteur Clermont, orthopédiste, qui pose le diagnostic de tendinopathie versus redéchirure de la coiffe de l’épaule droite et mentionne une « RRA de 1989 ». Il maintient les traitements de physiothérapie.
[23] Le 26 avril 2006, la CSST rend une décision relativement au nouveau diagnostic de déchirure de la coiffe des rotateurs droite qu’elle considère en relation avec l’événement du 10 mars 2006.
[24] Le 18 mai 2006, le travailleur est évalué par le docteur Hany Daoud, orthopédiste et membre du Bureau d'évaluation médicale (BEM). Le docteur Daoud doit se prononcer sur le diagnostic et la nature, nécessité, suffisance ou durée des soins ou traitements.
[25] Au terme de son évaluation médicale, le docteur Daoud retient le diagnostic de déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite et conclut que le diagnostic d’entorse cervicale ne peut être retenu puisque le rachis cervical n’a pas été sollicité au cours du mouvement décrit par le travailleur et les symptômes étaient scapulaires et péri-acromiaux droits.
[26] Quant à la nécessité de soins ou traitements, le docteur Daoud est d’opinion que les médecins traitants poursuivent une approche raisonnable et adéquate et il leur laisse le soin de la suite des traitements.
[27] Le travailleur continue de faire l’objet d’un suivi médical régulier auprès des docteurs Loiselle et Clermont et poursuit son assignation temporaire chez l'employeur.
[28] Le 17 janvier 2007, le travailleur subit une intervention chirurgicale relativement à la déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite, soit une réparation, immobilisation et réinsertion osseuse de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite. Cette intervention chirurgicale est pratiquée par le docteur Clermont. Le compte rendu de l’examen anotomo-pathologique effectué le jour de l’intervention chirurgicale est interprété par le docteur Louis R. Bégin, médecin pathologiste, et révèle une composante osseuse avec changement dégénératif au niveau de la composante articulaire et remaniement osseux dans la zone subchondrale.
[29] Le 28 mai 2007, le travailleur est évalué à nouveau par le docteur Neveu à la demande de l'employeur. Au terme de son évaluation, le docteur Neveu consolide la lésion professionnelle en date de son examen et est d’opinion que le travailleur n’a plus besoin de traitements de physiothérapie, mais qu’il doit continuer la pratique d’exercices enseignés pour maintenir le renforcement. De même, il est d’avis que le travailleur ne conserve aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle consécutive à la lésion. Il conclut son rapport comme suit :
Tout comme le dossier antérieur de déchirure de la coiffe à
l’épaule gauche de 2003, ce présent dossier doit faire l’objet d’une demande de
partage d’imputation des coûts. En effet, monsieur Larouche est porteur
d’antécédents significatifs à cette épaule ayant déjà eu une acromioplastie et
une réparation de coiffe dans les années 80 et étant porteur d’une condition
dégénérative avec un acromion de type 3. Sans cette anomalie acromiale et cet
antécédent, il n’y aurait jamais eu de déchirure de la coiffe lors de
l’événement de mars 2006 et il n’y aurait jamais eu nécessité de cette deuxième
chirurgie et de ses longues périodes de physiothérapie préopératoires et
postopératoires. Tout comme la CSST l’avait reconnu pour l’épaule gauche, je
recommande donc que le présent dossier fasse l’objet d’une demande de partage
d’imputation de l’ordre de 15 % à l’employeur et de 85 % à l’ensemble des
employeurs en vertu de l’article
[30] Le 20 juin 2007, le docteur Loiselle rédige un rapport final où il pose le diagnostic de réparation de la coiffe des rotateurs droite (déchirure) et indique des limitations selon le protocole pour une chirurgie de l’épaule/Laurentides. Il est d’opinion que le travailleur conserve une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles et le réfère au docteur Clermont pour l’évaluation de ses séquelles.
[31] Le 19 septembre 2007, le docteur Clermont rédige un rapport d'évaluation médicale après avoir examiné le travailleur. Il réfère aux antécédents pertinents à la lésion professionnelle dont notamment un antécédent de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite en 1989, de même qu’une déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche opérée en 2005.
[32] Relativement à ces antécédents, l'employeur produit une décision rendue par la CSST le 7 février 1991 concernant l’événement survenu le 16 mai 1989 chez l'employeur qui détermine que le travailleur conserve une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de 10,35 % consécutive à la déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite subie au travail en 1989.
[33] De même, il produit un extrait du rapport d'évaluation médicale complété par le docteur Chawki Cortbaoui, orthopédiste, le 10 janvier 1991, qui conclut qu’à la suite de l’opération pour une déchirure de la coiffe des rotateurs, le travailleur conserve une faiblesse et une limitation de la mobilité et il devrait donc éviter tout travail où il aura à forcer avec les bras au-delà de l’horizontale et il ne devrait pas lever de charges de plus de 20 à 30 livres.
[34] Toujours en rapport avec cette lésion professionnelle du 16 mai 1989, la CSST a rendu une décision de capacité le 24 août 1990 où elle déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi ou un emploi équivalent à compter du 20 août 1990.
[35] Quant à l’intervention chirurgicale pour déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche qu’a subie le travailleur en 2005, elle fait suite à une lésion professionnelle survenue le 19 septembre 2002 pour laquelle le travailleur s’est vu reconnaître une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de 4,4 % et les limitations fonctionnelles suivantes :
Le travailleur devra éviter les contrecoups à l’épaule gauche, il devra éviter le travail au-dessus de 90 degrés de flexion antérieure ou d’abduction et il devra éviter de soulever des charges de plus de 10 kilos dans les mouvements de 0 à 60 degrés de flexion antérieure et d’abduction de l’épaule gauche.
[36] À la suite de cette lésion professionnelle, la CSST a rendu une décision le 24 août 2004, déclarant que le travailleur avait la capacité d’exercer son emploi à compter du 25 août 2004 malgré les limitations fonctionnelles qu’il conserve.
[37] Au terme de son évaluation médicale, le docteur Clermont dresse le bilan suivant des séquelles :
Séquelles antérieures :
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102 383 atteinte des tissus mous épaule gauche 2 %
102 383 atteinte des tissus mous épaule droite 2 %
Bilatéralité : 2 %
Séquelles actuelles :
102 383 atteinte des tissus mous épaule gauche 2 %
102 383 atteinte des tissus mous épaule droite 2 %
Préjudice esthétique :
224 224 atteinte cicatricielle non vicieuse de l’épaule droite 0 %
Autre déficit relié à la bilatéralité : le principe de bilatéralité s’applique.
102 383 atteinte des tissus mous
membre supérieur épaule droite
(déchirure de la coiffe des rotateurs) 2 %
[38] De plus, le docteur Clermont est d’opinion que le travailleur conserve les limitations fonctionnelles suivantes :
Ø Éviter les contrecoups aux épaules droite et gauche;
Ø Éviter les mouvements répétitifs des deux épaules;
Ø Éviter le travail ou de soulever des poids au-delà de 70 degrés de flexion antérieure ou d’abduction des épaules droite et gauche;
Ø Éviter de soulever des poids au-delà de 7 kilogrammes entre 0 et 60 degrés de flexion antérieure ou d’abduction de l’épaule opérée.
[39]
Le 6 juin 2008, l'employeur produit à la CSST une demande de partage de
coûts conformément à l’article
[40] Au soutien de sa demande, l'employeur réfère aux antécédents significatifs à l’épaule droite dont est porteur le travailleur en raison d’une acromioplastie et réparation de la coiffe subie dans les années 80 et à la condition dégénérative avec un acromion de type III. L'employeur soutient que sans cette anomalie et cet antécédent, il n’y aurait jamais eu de déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite lors de l’événement de mars 2006 et il n’y aurait jamais eu nécessité d’une deuxième chirurgie et de longues périodes de physiothérapie pré et postopératoires.
[41] L'employeur demande à la CSST, tout comme elle l’a fait dans le dossier antérieur, de lui accorder un partage de l’imputation des coûts de l’ordre de 15 % à son dossier et 85 % à l’ensemble des employeurs.
[42] Au soutien de sa demande, l'employeur réfère à l’évaluation médicale à laquelle a procédé le docteur Neveu le 28 mai 2007.
[43] Le 13 février 2009, madame Francine Jobin, agente de financement à la CSST, analyse la demande de partage des coûts formulée par l'employeur.
[44] D’entrée de jeu, elle constate que la demande est recevable puisqu’elle a été faite à l’intérieur du délai prévu à la loi. Elle rappelle que la lésion professionnelle a été consolidée le 20 juin 2007 et a donc nécessité une période d’incapacité de 458 jours. Elle conclut au fait que le travailleur est porteur d’un handicap préexistant puisqu’il a subi, en 1989, une chirurgie à l’épaule droite. Par ailleurs, elle est d’opinion qu’il n’y a pas de relation entre le handicap et la lésion professionnelle puisque le fait accidentel a été suffisamment significatif pour causer la déchirure de la coiffe des rotateurs droite. Elle considère également qu’il n’y a pas eu d’augmentation des séquelles antérieures. Elle conclut que le handicap n’a pas eu de conséquence sur la lésion professionnelle.
[45] La CSST refuse donc la demande de partage de coûts dans le cadre de la décision qu’elle transmet le 16 février 2009. La révision administrative confirme ce refus et le tribunal est actuellement saisi d’une requête à l’encontre de cette décision.
[46] Au soutien de ses prétentions devant la Commission des lésions professionnelles, l’employeur produit une analyse sur dossier à laquelle a procédé le docteur André Mathieu, omnipraticien oeuvrant en médecine du travail, le 23 février 2010.
[47] Il appert de cette analyse sur dossier qu’après avoir procédé à une revue de l’ensemble des informations contenues au dossier, le docteur Mathieu émet l’avis suivant :
À mon avis, il est évident ici que monsieur Larouche est porteur d’un handicap puisqu’il avait déjà subi une chirurgie en 1989; chirurgie qui avait laissé des séquelles, à savoir une atteinte permanente à l’intégrité physique, telle qu’objectivée dans le présent dossier.
L’agente de la CSST, d’ailleurs, reconnaît à la page 14, qu’il y a existence préalable du handicap.
À la page 107, le réviseur conclut aussi qu’il y a présence d’un handicap préexistant pour ce travailleur.
De plus, la radiographie de l’épaule droite faite le 23 mars 2006 confirme les phénomènes dégénératifs, tel qu’on peut le constater à la lecture du rapport ci-haut.
Et enfin, le rapport anatomo-pathologique confirme les changements dégénératifs au niveau de la composante articulaire et remaniements osseux dans la zone subchondrale.
[48] Le docteur Mathieu poursuit son analyse en affirmant que la déficience dont est porteur le travailleur dévie par rapport à la norme biomédicale pour une personne de 58 ans, compte tenu de l’antécédent à l’épaule droite rapporté.
[49] De plus, le docteur Mathieu est d’avis que n’eût été de la déficience préexistante du travailleur, ce dernier n’aurait pas subi de déchirure lors de l’événement. Il s’exprime en ces termes à ce sujet :
Je considère que l’événement décrit est considéré comme relativement bénin.
En effet, selon les documents au dossier, le travailleur n’aurait pas retenu le bloc de 12 kilos de fromage, mais aurait fait strictement un geste brusque pour tenter de le rattraper.
Sur le coup, il y a eu douleur à la face postérieure de l’épaule mais le travailleur a pu continuer sa journée de travail et travailler les jours suivants pour ne consulter que quatre jours plus tard, tel que clairement décrit au dossier.
Monsieur Larouche a eu sa résonance magnétique de façon très contemporaine, c’est-à-dire un mois seulement après l’événement. Et sur cette résonance, nous ne retrouvons qu’un petit épanchement intra-articulaire gléno-huméral.
La résonance magnétique décrit aussi une déchirure complète du tendon sus-épineux à point de départ de son insertion distalement avec légère rétraction proximalement du moignon tendineux.
Et on ne décrit qu’une légère distension liquidienne de la bourse sous-acromiale.
Nous sommes loin ici d’avoir tous les critères d’une rupture traumatique pure avec le peu de liquide ou d’épanchement que cette articulation démontre.
Il faut aussi noter que la déchirure a lieu à son point d’insertion sur la grosse tubérosité; en fait, il s’agit exactement du site où la chirurgie antérieure s’est située.
D’ailleurs, dans le protocole opératoire, nous pouvons constater que le docteur Clermont refait la même chirurgie; c’est-à-dire rattache la coiffe après l’avoir débridé, au niveau de la grosse tubérosité, avec deux ancrages cette fois-ci.
Il est clair donc que cette déchirure a eu lieu au même site que la déchirure antérieure.
Il est évident que les tissus n’étaient pas dans leur intégrité maximale puisque l’antécédent décrit par le travailleur avait altéré les tissus pour fragiliser ceux-ci.
D’ailleurs, même le médecin traitant, sur un rapport complémentaire, confirme qu’il y a fragilisation des tissus en rapport à l’antécédent antérieur.
Il ne faut pas oublier aussi les phénomènes dégénératifs mis en évidence tant sur la radiographie que sur le rapport anatomopathologique confirment cette fragilisation préexistante.
À mon avis donc, le fait que le travailleur ait été fragilisé de par son antécédent, a fait que le faux mouvement qu’il a fait lors de l’événement du 10 mars 2006, a provoqué à nouveau cette déchirure.
Il est peu probable, à mon avis, qu’une telle déchirure se serait produite s’il n’y avait pas eu une telle fragilisation des tissus.
[50] Par ailleurs, le docteur Mathieu est d’opinion que cette déficience préexistante a eu un impact sur les conséquences de la lésion professionnelle en prolongeant considérablement la durée de la consolidation. À ce propos, il rappelle que la durée de consolidation moyenne établie par la CSST, pour une déchirure de la coiffe, est de 11 semaines ou 77 jours. En l’espèce, la durée réelle de consolidation est plutôt de 458 jours ou 65 semaines.
[51] De plus, le docteur Mathieu constate une aggravation de la condition du travailleur puisque des limitations fonctionnelles permanentes ont été reconnues.
[52] Dans ce contexte, le docteur Mathieu est d’opinion que l’employeur devrait pouvoir bénéficier d’un partage de coûts de l’ordre de 15 % à son dossier et de 85 % à l’ensemble des employeurs.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[53] D’une part, l'employeur précise qu’il ne remet pas en question la conclusion de la CSST selon laquelle elle a reconnu que le travailleur était porteur d’un handicap préexistant à l’épaule droite.
[54] Cependant, il affirme que n’eût été du handicap préexistant, le travailleur n’aurait pas subi une déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite à la suite de l’événement banal décrit. À cet égard, l'employeur se base notamment sur la description de l’événement que le travailleur a fourni au docteur Neveu qui ne comporte aucun soulèvement de charges ne pouvant produire une déchirure de la coiffe des rotateurs.
[55] L'employeur se base également sur l’avis du docteur Mathieu qui conclut qu’il n’y a pas les critères d’une rupture traumatique pure. Il insiste également sur le fait que le docteur Mathieu confirme qu’il s’agit exactement du même siège de lésion et de la même chirurgie que celle subie à la suite de la lésion professionnelle de 1989.
[56] Selon lui, les tissus étaient donc clairement fragilisés et sans cette fragilisation, il n’y aurait pas eu de handicap. L'employeur insiste sur le fait que même le docteur Loiselle, médecin qui a charge, reconnaît cette fragilité.
[57] Quant à l’impact du handicap préexistant sur les conséquences de la lésion professionnelle, il est clair, selon la procureure de l'employeur, qu’il a prolongé la période de consolidation puisque la durée moyenne de consolidation, pour une déchirure de la coiffe des rotateurs, est de 77 jours alors qu’en l’espèce, la durée réelle de consolidation est de 477 jours. De plus, le travailleur a bénéficié de 23 traitements de physiothérapie et il conserve des limitations fonctionnelles beaucoup plus importantes à la suite de cette lésion professionnelle.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[58]
La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si
l'employeur a droit à un partage des coûts résultant de la lésion
professionnelle subie par le travailleur le 10 mars 2006 conformément à
l’article
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[Nos soulignements]
[59] D’entrée de jeu, le tribunal constate que la demande de partage de coûts a été produite par l’employeur à l’intérieur du délai prévu à la loi et la considère donc recevable.
[60] Qu’en est-il du fond du litige ?
[61] Pour bénéficier d’un partage de l’imputation des coûts, l'employeur doit d’abord démontrer que le travailleur était handicapé avant la survenance de sa lésion professionnelle.
[62] En l’espèce, la CSST a conclu que le travailleur présentait une déficience préexistante à la lésion professionnelle. L’employeur ne remet pas en cause cette conclusion.
[63] Au surplus, le tribunal est d’avis que la preuve prépondérante milite en ce sens, notamment l’analyse du dossier à laquelle procède le docteur Mathieu et au terme de laquelle il conclut ce qui suit :
À mon avis, il est évident ici que monsieur Larouche est porteur d’un handicap puisqu’il avait déjà subi une chirurgie en 1989; chirurgie qui avait laissé des séquelles, à savoir une atteinte permanente à l’intégrité physique, telle qu’objectivée dans le présent dossier.
L’agente de la CSST, d’ailleurs, reconnaît à la page 14, qu’il y a existence préalable du handicap.
À la page 107, le réviseur conclut aussi qu’il y a présence d’un handicap préexistant pour ce travailleur.
De plus, la radiographie de l’épaule droite faite le 23 mars 2006 confirme les phénomènes dégénératifs, tel qu’on peut le constater à la lecture du rapport ci-haut.
Et enfin, le rapport anatomo-pathologique confirme les changements dégénératifs au niveau de la composante articulaire et remaniements osseux dans la zone subchondrale.
[Nos soulignements]
[64] Le docteur Neveu conclut dans le même sens dans le rapport qu’il rédige le 28 mai 2007 où l’on peut lire ce qui suit :
Tout comme le dossier antérieur de déchirure de la coiffe à l’épaule gauche de 2003, ce présent dossier doit faire l’objet d’une demande de partage d’imputation des coûts. En effet, monsieur Larouche est porteur d’antécédents significatifs à cette épaule ayant déjà eu une acromioplastie et une réparation de coiffe dans les années 80 et étant porteur d’une condition dégénérative avec un acromion de type 3.
[65] Il est vrai que cette déficience relève, en partie, des séquelles d’une lésion professionnelle survenue chez le même employeur. Habituellement, en de telles circonstances, le tribunal ne considère pas qu’il s’agisse d’une déficience préexistante au sens où l’entend la jurisprudence.
[66] Cependant, la déficience préexistante provient également de la condition dégénérative et morphologique (acromion de type III) dont est porteur le travailleur qui, elle, ne découle pas d’une lésion professionnelle antérieure survenue chez le même employeur.
[67] Dans ces circonstances, le tribunal partage les conclusions de la CSST selon lesquelles le travailleur était porteur d’une déficience préexistante à la lésion professionnelle.
[68] Il reste donc à déterminer si cette déficience préexistante a eu un impact relativement à la survenance de la lésion professionnelle et/ou à ses conséquences.
[69] À la lumière de la preuve offerte, le tribunal est d’opinion que n’eût été de la déficience préexistante, le travailleur n’aurait vraisemblablement pas subi de lésion professionnelle et les conséquences de celle-ci n’auraient pas été celles constatées.
[70] Pour en venir à cette conclusion, le tribunal se base notamment sur la description détaillée du fait accidentel livrée par le travailleur au docteur Neveu dans le cadre de son évaluation du 23 mars 2006. Il en ressort que le travailleur n’a pas eu à soutenir une charge importante mais a, tout au plus, effectué un geste brusque pour tenter de retenir une meule de fromage Feta qui s’apprêtait à tomber au sol. Il s’agit là d’un geste relativement banal, tel que le qualifie d’ailleurs le docteur Mathieu.
[71] Le docteur Neveu va dans le même sens lorsqu’il écrit ce qui suit :
Sans cette anomalie acromiale et cet antécédent, il n’y
aurait jamais eu de déchirure de la coiffe lors de l’événement de mars 2006 et
il n’y aurait jamais eu nécessité de cette deuxième chirurgie et de ses longues
périodes de physiothérapie préopératoires et postopératoires. Tout comme la
CSST l’avait reconnu pour l’épaule gauche, je recommande donc que le présent
dossier fasse l’objet d’une demande de partage d’imputation de l’ordre de 15 %
à l’employeur et de 85 % à l’ensemble des employeurs en vertu de l’article
[72] Dans ce contexte, la déficience préexistante a eu un impact sur la survenance même de la lésion professionnelle, soit la déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite. Sur cette base, l’employeur a droit à un partage de coûts.
[73] Par ailleurs, la déficience préexistante a-t-elle eu un impact sur les conséquences de la lésion professionnelle ?
[74] Le tribunal répond par l’affirmative à cette question pour les motifs ci-après exposés.
[75] D’une part, le tribunal constate de la preuve médicale que la lésion professionnelle a nécessité une période d’incapacité de 458 jours environ alors que la durée moyenne de consolidation pour une telle lésion est établie par la CSST à 77 jours.
[76] Le docteur Mathieu explique notamment cette prolongation de la période de consolidation par le fait que « il est évident que les tissus n’étaient pas dans leur intégrité maximale puisque l’antécédent décrit par le travailleur avait altéré les tissus pour fragiliser ceux-ci. »
[77] Le tribunal considère probable qu’en raison des antécédents du travailleur et du fait qu’il a dû être opéré exactement au même siège de lésion que lors de sa première intervention chirurgicale, sa période d’incapacité ait été prolongée considérablement en raison notamment du suivi post-chirurgical plus important requis.
[78] De plus, le tribunal constate que le travailleur conserve des limitations fonctionnelles consécutives à la lésion professionnelle, lesquelles découlent en bonne partie de la déficience préexistante.
[79] Ainsi, le tribunal considère, dans les circonstances, que le partage de coûts demandé par l’employeur, soit 15 % à son dossier et 85 % à l’ensemble des employeurs lui apparaît raisonnable et tout à fait justifié dans les circonstances.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par Agropur D.F.F.- Oka, l’employeur, le 27 août 2009;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 6 août 2009, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur a droit à un partage des coûts résultant de la lésion professionnelle subie le 10 mars 2006 par monsieur Christian Larouche, le travailleur, de l’ordre de 15 % à son dossier et de 85 % à l’ensemble des employeurs.
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Ann Quigley |
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Me Geneviève De La Durantaye |
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OGILVY RENAULT |
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Représentante de la partie requérante |
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