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[1] Le 15 septembre 2003, monsieur Thomas Brière (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 10 septembre 2003 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 2 juin 2003 et déclare que le travailleur est capable d’occuper son emploi à compter du 12 mai 2003 et qu’il n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date.
[3] À l’audience tenue le 30 avril 2004, le travailleur est présent et représenté. La compagnie Vinyle Kaytec Inc. (l’employeur) est absente.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de déclarer que la procédure d’évaluation médicale est irrégulière et de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle donne suite au dossier conformément à la procédure d’évaluation médicale prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
LES FAITS
[5] Le travailleur est actuellement âgé de 52 ans. Le 1er février 2002, il signe un formulaire de réclamation alléguant avoir subi une lésion professionnelle le 9 novembre 2001 alors qu’il était au service de l’employeur à titre d’emballeur.
[6] Le 11 novembre 2001, le docteur Fujioka remplit une attestation médicale initiale. Il pose un diagnostic de tendinite à l’épaule droite et gauche, épitrochléite au coude droit et gauche et étirement musculaire de l’avant-bras droit. Le docteur Fujioka recommande un arrêt de travail jusqu’au 16 novembre suivant.
[7] Le 12 novembre 2001, le docteur Laguë remplit une attestation médicale complémentaire. Il diagnostique une tendinite bilatérale aux épaules et mentionne que le travailleur accuse des douleurs aux coudes. Il recommande des travaux légers jusqu’au 2 décembre 2001.
[8] Le 16 janvier 2002, le docteur Desmeules diagnostique une tendinite bilatérale aux épaules « qui n’a jamais guérie ». Il recommande des travaux légers.
[9] Le 22 janvier 2002, le docteur Desmeules parle d’une tendinite bilatérale sévère aux épaules et prescrit un arrêt de travail de deux semaines.
[10] Le 30 janvier 2002, le docteur Desmeules rapporte que la tendinite bilatérale aux épaules est améliorée. Il prescrit des traitements de physiothérapie et prévoit un retour au travail le 18 février 2002.
[11] Le 15 février 2002, le docteur Desmeules écrit que la tendinite aux épaules s’améliore, maintient la physiothérapie pour deux semaines et prévoit un retour au travail le 4 mars 2002.
[12] Le 4 mars 2002, le docteur Desmeules recommande de continuer la physiothérapie pour un mois et recommande un retour au travail pour le 1er avril 2002.
[13] Le 5 avril 2002, la CSST accepte la réclamation du travailleur pour une maladie professionnelle qui lui causé une tendinite bilatérale aux épaules.
[14] Le 10 avril 2002, le docteur Desmeules prolonge l’arrêt de travail jusqu’au 29 avril 2002 et mentionne qu’il a référé le travailleur au docteur Dubuc, orthopédiste.
[15] Le 17 avril 2002, le docteur François Dubuc, orthopédiste, diagnostique une tendinite du sus-épineux et procède à une infiltration de cortisone. Il prévoit un retour au travail pour le 29 avril suivant.
[16] Le 1er mai 2002, le docteur Desmeules remplit une attestation médicale complémentaire. Il mentionne que le travailleur a repris son travail régulier le 29 avril 2002 mais qu’il n’a pu le faire à cause de la douleur. Il écrit qu’il faut une réorientation vers un autre travail et conclut à un arrêt de travail prolongé.
[17] Le 14 mai 2002, le docteur Giannangelo diagnostique une tendinite bilatérale de la tête proximale du biceps et une épicondylite bilatérale. Il mentionne que le travailleur a eu peu d’amélioration avec les infiltrations de cortisone et il le réfère au docteur Duval, orthopédiste.
[18] Le 29 mai 2002, la CSST accepte la relation entre les nouveaux diagnostics de tendinite bilatérale de la tête du long biceps et une épicondylite latérale droite et l’événement du 9 novembre 2001.
[19] Le docteur Giannangelo remplit des rapports médicaux le 13 juin, le 18 juillet et le 29 août 2002. À cette date, il réfère le travailleur au docteur Arsenault, orthopédiste. Le docteur Giannangelo revoit le travailleur le 24 septembre 2002.
[20] Le 30 septembre 2002, le travailleur est examiné par le docteur Florent Blanchet, orthopédiste, à la demande de la CSST. Le docteur Blanchet conclut à un diagnostic de syndrome facettaire C3-C4, C5-C6 plus à gauche qu’à droite avec douleur référée mais sans signe radiculaire. Il retient également un diagnostic de tendinopathie bilatérale d’insertion du sous-scapulaire avec une légère bursite sous-acromiale droite et il constate une perte de poids et dysphagie actuellement en investigation. Le docteur Blanchet recommande une résonance magnétique des épaules et prévoit qu’il y aura probablement une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles qui seront à déterminer après avoir complété l’investigation.
[21] Le 3 octobre 2002, le docteur Giannangelo écrit qu’une arthrographie est prévue le 10 décembre prochain et qu’ensuite, il y aura réévaluation par l’orthopédiste.
[22] Le 4 octobre 2002, le docteur Arsenault retient un diagnostic de tendinite à la coiffe des épaules. Il demande une arthrographie et prolonge l’arrêt de travail.
[23] Le 12 décembre 2002, le docteur Giannangelo parle d’une possibilité de rupture de la coiffe des rotateurs à l’épaule gauche et indique que le travailleur est suivi par le docteur Arsenault et qu’il est en arrêt de travail pour deux mois.
[24] Le 22 janvier 2003, le docteur Arsenault diagnostique une tendinite de la coiffe, indique que l’arthrographie est normale et prolonge l’arrêt de travail de six semaines.
[25] Le 11 mars 2003, monsieur Hamelin de la CSST, note que la prochaine visite médicale est le 21 mars 2003 et que s’il n’y a pas de date de consolidation, il y aura un bilan avec le docteur Arsenault.[2]
[26] Le 18 mars 2003, le docteur Barakett rapporte un syndrome douloureux neuropathique secondaire à un trauma vibratoire. Il prévoit que la période de consolidation est de plus de 60 jours.
[27] Le 1er avril 2003, le docteur Barakett diagnostique une tendinite bilatérale des épaules et le 15 avril suivant, il écrit qu’il y a de la douleur aux épaules, que le diagnostic est obscur et que le travailleur verra le docteur Arsenault qui a le résultat de la résonance magnétique.
[28] Le 10 avril 2003, une résonance magnétique des épaules est interprétée par le docteur Kaplan comme étant normale.
[29] Le 12 mai 2003, le docteur Arsenault remplit un rapport médical d’évolution. Il diagnostique une myalgie des épaules, prescrit du Norflex et prévoit que la période de consolidation sera de moins de 60 jours.
[30] Le 14 mai 2003, le docteur François Cartier, médecin conseil à la CSST, adresse une demande de bilan médical au docteur Arsenault. Les questions posées et les réponses du docteur Arsenault (en caractères gras) en date du 20 mai 2003 sont les suivantes :
1. Le ou les diagnostic (s) à retenir actuellement;
Diagnostic : douleur d’origine musculaire épaule (G) et (D) (IRM (N) aux 2 épaules).
2. Le Dr Giannangelo dans son rapport du 14 mai 2002 mentionnait la présence d’une épicondylite latérale droite. Ce diagnostic est-il toujours valable ? Si oui, y a-t-il possibilité de consolidation et à quelle date ?
Épicondylite (D) consolidée 2003/5/12
3. Le docteur Barakett dans son rapport du 18 mars 2003 mentionnait la présence d’un syndrome douloureux neuropathique secondaire à un trauma vibratoire. Ce diagnostic est-il toujours valable. Si oui, y a-t-il consolidation possible et à quelle date?
Non
4. L’évolution clinique en ce qui concerne les diagnostics à retenir;
Consolidé.
5. La consolidation prévue pour les tendinites aux épaules;
2003/5/12
6. Y a-t-il possibilité d’une forme de retour au travail avec limitations fonctionnelles provisoires ou permanentes et si oui, lesquelles.
Retour au travail sans restrictions permanentes.
[31] Le 30 mai 2003, madame Mercier, agente à la CSST, écrit qu’elle a reçu la réponse du docteur Arsenault et que celui-ci l’informe que le travailleur est consolidé (sic) depuis le 12 mai 2003 et qu’il peut reprendre le travail sans restrictions. Madame Mercier écrit qu’elle a téléphoné au travailleur pour l’aviser de l’opinion du docteur Arsenault et lui dire qu’il doit reprendre le travail lundi. Elle l’avise également qu’elle met fin aux indemnités de remplacement du revenu « dès aujourd’hui » et qu’elle lui fera parvenir une « lettre de capacité ». Elle indique que le travailleur lui dit qu’il va se rendre chez l’employeur lundi et voir les possibilités de travail.
[32] Le 2 juin 2003, la CSST rend la décision suivante :
After studying your file regarding the event of november 9, 2001, we note that you have been capable of performing your job since may 12, 2003. Hence, you are no longer entitled to income replacement benefits.
However, the income replacement benefits paid to you for the period from may 12 to may 29, will not be reclaimed. In fact, you were not advised that you were capable of performing your job.
[33] Le 8 juillet 2003, le docteur Lagacé remplit un rapport médical d’évolution. Il diagnostique une cervico-brachialgie bilatérale persistante post-traumatique et s’interroge sur la présence d’une algodystrophie. Il demande une scintigraphie osseuse. Le même jour il complète un deuxième rapport médical dans lequel il écrit qu’il réfère le travailleur au docteur Gauthier.
[34] Le 14 août 2003, le docteur Michel Gauthier remplit un rapport final. Il retient un diagnostic de tendinite de la coiffe des rotateurs bilatérale consolidée à cette date et mentionne qu’il fera un rapport d’évaluation médicale. Il complète effectivement ce rapport le 9 septembre 2003. Il établit le déficit anatomo-physiologique à 10 % et recommande des limitations fonctionnelles.
[35] Le travailleur témoigne à l’audience. Il explique qu’il a été référé au docteur Arsenault, orthopédiste, par le docteur Giannangelo. Il a su que sa lésion professionnelle était « guérie » et qu’il devait retourner au travail seulement lorsque la CSST l’a avisé. Après quelques heures, il a dû abandonner à nouveau, à cause de la douleur.
L’AVIS DES MEMBRES
[36] Conformément à la loi, la soussignée a reçu l’avis du membre issu des associations d’employeurs et de la membre issue des associations syndicales ayant siégé auprès d’elle dans la présente affaire.
[37] Tant le membre issu des associations d’employeurs que la membre issue des associations syndicales sont d’avis que la procédure médicale suivie par la CSST est irrégulière car elle ne respecte pas l’article 203 de la loi. De plus, ils retiennent que le docteur Arsenault a fourni à la CSST des informations contradictoires qui ne permettaient pas à celle-ci de se prononcer sur la capacité de travail du travailleur. Ils sont tous deux d’avis de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle procède conformément à la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[38] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur pouvait occuper son emploi à compter du 12 mai 2003. Pour répondre à cette question, la Commission des lésions professionnelles doit disposer de la question préalable soulevée par le procureur du travailleur concernant les irrégularités dans la procédure d’évaluation médicale.
[39] La procédure d’évaluation médicale est prévue au chapitre VI de la loi. Notamment, les articles 199 et 203 de la loi édictent ceci (nos soulignements) :
199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et:
1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou
2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.
Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.
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1985, c. 6, a. 199.
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant:
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
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1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
[40] Dans le cas présent, la CSST a considéré que le docteur Arsenault, médecin spécialiste, à qui le docteur Giannangelo a référé le travailleur, était le médecin qui a charge pour la période concernée. Cette façon de faire est conforme à ce qui est établi par la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles.
[41] Cependant, le docteur Arsenault n’a jamais complété de rapport final comme le requière l’article 203 de la loi. En effet, la Commission des lésions professionnelles constate que lorsqu’il voit le travailleur le 12 mai 2003, le docteur Arsenault remplit un formulaire d’évolution. Il prescrit un nouveau médicament, considère que la lésion professionnelle n’est pas consolidée et évalue qu’elle le sera dans un période de 60 jours ou moins. C’est donc de façon tout à fait inattendue que le 20 mai 2003, il établit la date de consolidation rétroactivement au 12 mai 2003 sans avoir ni vu ni examiné le travailleur à nouveau. Cette façon de procéder porte à confusion notamment sur un élément essentiel, soit la date de consolidation. Dans un tel contexte, la CSST ne pouvait considérer que les précisions du docteur Arsenault tenait lieu du rapport final prescrit par l’article 203 de la loi et dès lors, ne pouvait considérer que le travailleur ou elle-même était liée par ces informations.
[42] De plus, la Commission des lésions professionnelles constate que les informations transmises à la CSST par le docteur Arsenault, l’ont été à l’insu du travailleur. La CSST le reconnaît dans sa décision du 2 juillet 2003, lorsqu’elle écrit que le travailleur n’a pas été avisé avant le 30 mai 2003 (lorsque l’agente lui a téléphoné) qu’il était capable d’occuper son emploi. La Commission des lésions professionnelles constate en outre que cette décision ne mentionne aucunement la date de consolidation et l’absence de séquelles permanentes. En fait, la CSST n’a pas rendu de décision sur ce sujet.
[43] La cour d’Appel dans un jugement récent[3], a rappelé que le médecin qui a charge du travailleur a l’obligation en vertu du dernier alinéa de l’article 203 de la loi d’informer le travailleur sans délai du contenu de son rapport. S’il est avéré que le travailleur ignore le contenu du rapport final, la CSST ne peut considérer qu’elle-même ou le travailleur est liée par lui car il y a violation de l’article 203 de la loi et de sa finalité sous-jacente, soit celle du droit du travailleur de choisir le médecin de son choix et d’être informé du contenu du rapport final de ce dernier.
[44] La procédure d’évaluation médicale est donc irrégulière et la décision qui en découle, soit la capacité du travailleur à occuper son emploi à compter du 12 mai 2003 est prématurée et doit être annulée.
[45] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles constate que le travailleur, après avoir été informé par la CSST des conclusions du docteur Arsenault, a consulté un autre médecin de son choix, en l’occurrence le docteur Michel Gauthier qui est devenu le médecin qui a charge. Compte tenu de la façon de faire du docteur Arsenault, on peut difficilement reprocher au travailleur d’avoir agi de la sorte. Le docteur Gauthier pour sa part, a rempli suivant les exigences de l’article 203 de la loi, un rapport final le 14 août 2003 et un rapport d’évaluation médicale le 9 septembre 2003.
[46] Le dossier est donc retourné à la CSST pour qu’elle donne suite à la procédure d’évaluation médicale conformément à la loi. Ainsi, si elle le juge approprié, la CSST pourra se déclarer liée par le rapport final et le rapport d’évaluation médicale du docteur Gauthier. Dans le cas contraire, elle pourra les contester selon ce qui est prévu à l’article 206 de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Thomas Brière (le travailleur);
INFIRME la décision rendue le 10 septembre 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE nulle la décision rendue le 2 juin 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
RENVOIE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin que la procédure d’évaluation médicale soit poursuivie conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Me Johanne Landry |
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Commissaire |
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Me Louis Cousineau |
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Trudeau, Provencal & associés |
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Représentant de la partie requérante |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.