Décision

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Duval et Centre Gertrude Lafrance & Georges Phaneuf

2011 QCCLP 2696

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jean-sur-Richelieu

13 avril 2011

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

414764-62A-1007

 

Dossier CSST :

135729499

 

Commissaire :

Esther Malo, juge administratif

 

Membres :

Mario Lévesque, associations d’employeurs

 

Néré Dutil, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Sylvie Duval

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Centre Gertrude Lafrance & Georges Phaneuf

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 12 juillet 2010, madame Sylvie Duval (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 22 juin 2010 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 12 février 2010. Elle déclare que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle et qu’elle n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]           L’audience s’est tenue à Saint-Jean-sur-Richelieu le 1er avril 2011 en présence de la travailleuse, de sa représentante, madame Caroline Ouellette Chartrand, et de la représentante de la CSST, maître Leyka Borno. Le Centre Gertrude Lafrance & Georges Phaneuf (l’employeur) est absent bien que dûment convoqué.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           La représentante de la travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 26 octobre 2009, soit une réaction du syndrome oculo-respiratoire.

LES FAITS

[5]           La travailleuse occupe un poste de préposée aux bénéficiaires chez l’employeur.

[6]           Le 26 octobre 2009, la travailleuse reçoit le vaccin contre la grippe A(H1N1).

[7]           Le 29 octobre 2009, le docteur Lionel Doucet diagnostique un syndrome oculo-respiratoire et une réaction à la vaccination H1N1. Il prescrit un arrêt de travail jusqu’au 1er novembre 2009.

[8]           Le 20 novembre 2009, l’employeur s’oppose à l’admissibilité de la réclamation de la travailleuse. Il allègue que la travailleuse s’est présentée sur une base volontaire dans une clinique de vaccination.

[9]           Le 29 janvier 2010, la travailleuse fournit à la CSST des renseignements concernant l’événement du 26 octobre 2009. Elle mentionne qu’elle s’est présentée à cette date, soit la première journée de la campagne de vaccination à l’intention du personnel de l’Hôpital du Haut-Richelieu, selon la recommandation fortement suggérée par son employeur. Dès le lendemain, une douleur apparaît au site de l’injection. La travailleuse ressent des frissons diurnes et nocturnes, un mal de gorge, une toux sèche, une oppression thoracique, de la faiblesse, une gêne respiratoire et de la difficulté à avaler. Les symptômes se sont intensifiés les jours suivants. Elle consulte le docteur Doucet le 29 octobre 2009.

[10]        Le 12 février 2010, la CSST refuse la réclamation de la travailleuse et déclare que celle-ci n’a pas subi un accident du travail le 26 octobre 2009. Elle précise que le syndrome oculo-respiratoire n’a pas été subi par le fait ou à l’occasion du travail. Cette décision est contestée par la travailleuse.

[11]        Le 22 juin 2010, la CSST rend la décision contestée en l’espèce à la suite d'une révision administrative, d’où le présent litige.

[12]        À l’audience, la travailleuse mentionne qu’elle a reçu le vaccin pour éviter de contracter le virus H1N1 et pour protéger la clientèle. Il s’agit d’un moyen de prévention. L’employeur a recommandé fortement aux employés de se faire vacciner.

[13]        La travailleuse est en congé le 26 octobre 2009. Le 27 et le 28 octobre 2009, elle a un congé autorisé par son supérieur.

[14]        Lorsque la travailleuse revient au travail le 2 novembre 2009, elle a encore des quintes de toux. Elle doit porter un masque durant deux semaines et elle se sent faible. Après deux semaines, la toux diminue.

[15]        La travailleuse affirme que l’employeur incite fortement les employés à se faire vacciner. Le fascicule préparé par le CSSS Haut-Richelieu-Rouville indique que « Se faire vacciner cette année est d’autant plus crucial, car nous faisons face à une toute nouvelle souche du virus de l’influenza. » Selon la travailleuse, la vaccination est obligatoire, car l’employeur l’exige pour prévenir la pénurie de personnel. Elle ajoute qu’elle ne s’est pas renseignée sur les conséquences appliquées par l’employeur si elle ne se fait pas vacciner.

[16]        Le docteur Doucet témoigne à l’audience. Après avoir observé les symptômes ressentis par la travailleuse, il prescrit un sirop contre la toux. Il mentionne que le personnel des hôpitaux et les médecins étaient le premier groupe ciblé lors de la campagne de vaccination. Il s’agit de la première cohorte à avoir été vaccinée. Il ajoute que Santé Canada précise que les réactions post-vaccinales sont rares. Elles peuvent survenir dans différents délais après l’injection du vaccin.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[17]        La représentante de la travailleuse soutient que la preuve démontre un lien de connexité avec le travail. Il s’agit d’une activité de prévention et tous les travailleurs de la santé sont ciblés. Il s’agit d’une obligation morale et professionnelle de se faire vacciner pour ne pas être contaminé et ne pas contaminer les autres. De plus, la campagne de vaccination a un caractère exceptionnel. L’employeur a incité fortement les employés à se faire vacciner pour faire face à la pandémie et à la prévenir. Le mot « crucial » dans le fascicule préparé par l’employeur est un terme fort. Il exhorte les employés à poser un geste responsable. Selon la représentante, si un travailleur ne se fait pas vacciner, il pose un geste irresponsable.

[18]        La représentante de la travailleuse n’invoque pas l’application de la présomption prévue par l’article 28 de la loi ni la survenance d’un accident du travail. Elle soutient plutôt que la travailleuse a subi une maladie professionnelle en vertu de l’article 30 de la loi en raison des risques particuliers de son travail. La maladie est reliée au travail et a un lien de connexité avec celui-ci. Il s’agit d’une responsabilité professionnelle de toute personne travaillant dans le domaine de la santé dans un but de prévention. Les complications découlant de la vaccination représentent un risque particulier réel et elles ont un lien connexe et direct avec le travail exercé par la travailleuse. La vaccination est une activité parmi tant d’autres qui est exercée dans le cadre du travail.

[19]        La représentante de la CSST prétend que la présomption prévue par l’article 28 de la loi ne s’applique pas. Le syndrome oculo-respiratoire n’est pas une blessure et la travailleuse n’est pas à son travail, car elle est en congé.

[20]        Quant à l’accident de travail, la preuve n’établit pas la survenance d’un événement imprévu et soudain. La vaccination n’est pas imposée par l’employeur. La travailleuse s’est présentée sur une base volontaire dans une clinique de vaccination. Le fascicule préparé par l’employeur n’indique nulle part que la vaccination est obligatoire. Le mot « crucial » signifie « important », mais il n’a pas un sens d’obligation. Recommander ou suggérer fortement une vaccination ne démontre pas que le vaccin est obligatoire. Si l’employeur avait voulu que le vaccin soit obligatoire, il l’aurait spécifié. La travailleuse s’est plutôt imposé une obligation morale de se faire vacciner. De plus, ce n’est pas la complication découlant du vaccin qui doit être imprévue et soudaine, mais c’est l’événement lui-même. Or, la travailleuse a choisi de se faire vacciner. Finalement, l’activité de recevoir le vaccin n’est pas connexe avec le travail.

[21]        Aussi, l’article 31 de la loi ne peut s’appliquer, car la maladie de la travailleuse n’est pas survenue par le fait ou à l’occasion des soins reçus pour une lésion professionnelle déjà reconnue.

[22]        Enfin, la présomption prévue par l’article 29 de la loi ne s’applique pas, car il ne s’agit pas d’une maladie énumérée à l’annexe 1. La travailleuse n’a pas établi pas non plus que la maladie est caractéristique de son travail ou qu’elle est reliée aux risques particuliers de son travail. Le syndrome oculo-respiratoire est plutôt relié au vaccin reçu par la travailleuse et il n’est pas relié à son travail ni aux risques particuliers de celui-ci.


L’AVIS DES MEMBRES

[23]        Les membres issus des associations syndicales et des associations d'employeurs sont d’avis de rejeter la requête de la travailleuse et de déclarer que celle-ci n’a pas subi une lésion professionnelle le 26 octobre 2009. D’une part, la présomption prévue par l’article 28 de la loi ne s’applique pas, car le syndrome oculo-respiratoire n’est pas une blessure et la travailleuse n’est pas à son travail. D’autre part, la travailleuse n’a pas établi la survenance d’un événement imprévu et soudain susceptible d’entraîner un syndrome oculo-respiratoire. La présomption prévue par l’article 29 de la loi ne s’applique pas non plus, car ce syndrome n’est pas une maladie énumérée à l’annexe I. Enfin, la travailleuse n’a pas non plus démontré que la maladie est reliée aux risques particuliers de son travail, puisque le syndrome oculo-respiratoire est plutôt relié au vaccin.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[24]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 26 octobre 2009, soit un syndrome oculo-respiratoire.

[25]        La loi définit la lésion professionnelle comme suit :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.

 

 

[26]        L’article 2 de la loi précise qu’un accident du travail est un événement imprévu et soudain, attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l’occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle.

[27]        L’article 28 de la loi prévoit une présomption qui permet d’alléger le fardeau de la preuve appartenant à la travailleuse :

28.  Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 28.

 

 

[28]        Afin de pouvoir bénéficier de cette présomption, la travailleuse doit démontrer qu’elle a subi une blessure, que celle-ci est survenue sur les lieux du travail, alors qu’elle effectuait son travail.

[29]        La travailleuse n’a pas démontré la survenance d’une blessure puisque le syndrome oculo-respiratoire n’est pas une blessure. La première condition d’application de la présomption n’est pas satisfaite. La travailleuse ne peut donc bénéficier de la présomption de lésion professionnelle prévue par l’article 28 de la loi.

[30]        Par ailleurs, le tribunal considère que la travailleuse n’a pas subi un accident du travail le 26 octobre 2009. Elle doit faire la preuve d’un événement imprévu et soudain, par le fait ou à l’occasion de son travail, qui entraîne pour elle une lésion professionnelle. En l’espèce, l’événement doit être imprévu et soudain et non pas les complications ressenties à la suite du vaccin.

[31]        La preuve démontre que la vaccination n’a pas été imposée par l’employeur. Les travailleurs de la santé, pas plus que la population en général, n’ont pas été obligés de se faire vacciner. La travailleuse s’est présentée à la clinique de vaccination sur une base volontaire.

[32]        La Commission des lésions professionnelles est d’accord avec la représentante de la CSST sur le sens du mot « crucial ». Selon la définition du dictionnaire[2], ce mot veut dire « fondamental, très important ». Recommander ou suggérer fortement une vaccination ne prouve pas que le vaccin soit obligatoire. La travailleuse s’est plutôt imposé une obligation morale de recevoir le vaccin.

[33]        La preuve n’établit donc pas la survenance d’un événement imprévu et soudain, la travailleuse ayant choisi de se faire vacciner. Par conséquent, celle-ci n’a pas subi un accident du travail le 26 octobre 2009.

[34]        La travailleuse prétend avoir subi une maladie professionnelle. D’entrée de jeu, le tribunal est d’avis que la présomption prévue par l’article 29 de la loi ne s’applique pas, puisque le syndrome oculo-respiratoire n’est pas une maladie énumérée à l’annexe 1. Cet article se lit ainsi :

29.  Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

[35]        La travailleuse invoque qu’elle a subi une maladie reliée aux risques particuliers de son travail en vertu de l’article 30 de la loi.

[36]        Cet article s’énonce ainsi :

30.  Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[37]        Aucune preuve ne permet au tribunal de conclure que le syndrome oculo-respiratoire est caractéristique du travail de préposée aux bénéficiaires occupé par la travailleuse.

[38]        De plus, la travailleuse n’a pas prouvé de façon prépondérante que le syndrome oculo-respiratoire est relié aux risques particuliers de son travail. D’une part, il n’y a aucun lien de connexité avec le travail. D’autre part, ce syndrome découle du vaccin donné à la travailleuse dans le cadre de la campagne contre le virus A(H1N1) et n’est pas relié au travail occupé par celle-ci.

[39]        Enfin, la travailleuse n’a pas fait la preuve de facteurs de risques résultant de son travail.

[40]        Le tribunal conclut donc que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le 29 octobre 2009.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de madame Sylvie Duval, la travailleuse;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité au travail rendue le 22 juin 2010 à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE que madame Sylvie Duval n’a pas subi une lésion professionnelle le 26 octobre 2009 et qu’elle n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

__________________________________

 

Esther Malo

 

 

 

 

Mme Caroline Ouellette Chartrand

C.S.N.

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Leyka Borno

Vigneault Thibodeau Giard

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Paul ROBERT, Josette REY-DEBOVE et Alain REY (dir.), Le petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouv. éd. millésime 2011, Paris, Le Robert, 2010.

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