Agribrands Purina Canada |
2010 QCCLP 5169 |
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[1] Le 1er septembre 2009, l’employeur, Agribrands Purina Canada, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) le 18 août 2009, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a rendue initialement le 15 avril 2009 et déclare que la totalité des coûts dus en raison de la lésion professionnelle subie par le travailleur, monsieur Yannick Fortier à compter du 6 mars 2006, doit être imputée à l’employeur.
[3] À l’audience tenue à Drummondville le 11 juin 2010, l’employeur est représenté par son procureur. L’affaire est prise en délibéré ce même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de lui accorder un partage de coûts de l’ordre de 10 % à son dossier et de 90 % aux employeurs de toutes les unités puisque le travailleur était déjà handicapé au moment de la survenance de la lésion professionnelle.
LA PREUVE
[5] Du dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles et de la preuve additionnelle produite à l’audience, le tribunal retient les éléments suivants.
[6] À l’époque pertinente, le travailleur est âgé de 26 ans. Il occupe un poste d’opérateur de mélange et cubeuse chez l’employeur depuis 2001. L’entreprise de l’employeur fabrique de la moulée.
[7] Il appert du dossier qu’en juin 2005, le travailleur consulte un médecin. Il note qu’auparavant, le travailleur présentait occasionnellement des sibilances respiratoires, depuis 8 mois, un peu plus dyspnéique. Un diagnostic d’asthme léger et atopies est posé.
[8] En septembre 2005, le travailleur consulte le pneumologue Cantin, qui conclut à un diagnostic d’asthme d’intensité légère à modérée. Il rapporte de plus de multiples allergies.
[9] Le 15 février 2006, le travailleur rencontre le docteur Dorval, allergiste. Il rapporte qu’un asthme a été diagnostiqué il y a environ un an et demi après une exposition irritante prolongée lors d’un spectacle de motocross et une séance de karting intérieur. Il reconnaît la présence d’allergies au pollen et une sensibilisation aux chats, aux acariens et aux poussières de moulée.
[10] Le 6 mars 2006, le travailleur consulte la docteure Lemière, pneumologue, qui retient un diagnostic d’asthme et rhinite professionnels probables. Elle réfère le travailleur au Comité des maladies professionnelles pulmonaires (CMPP).
[11] Dans sa note de consultation, la docteure Lemière rapporte que la symptomatologie du travailleur a débuté il y a environ deux ans par une rhinorée, des éternuements et des symptômes respiratoires apparus de façon concomitante à une toux, des sillements et de la dyspnée. Un diagnostic d’asthme a été porté et du Ventolin a été prescrit. Par la suite, Advair a été prescrit, médicament que le travailleur prend encore au moment de la consultation.
[12] La docteure Lemière mentionne de plus que le travailleur présente une rhinite saisonnière vers la fin de l’été. Il a déjà fait de l’eczéma. Elle rapporte également que les tests ont révélé une allergie aux chats, à l’herbe à poux et à la poussière de grains.
[13] Elle conclut que l’examen est suggestif de rhinite et asthme professionnels.
[14] Le 8 mars 2006, le travailleur produit une réclamation à la CSST dans laquelle il se dit exposé à la poussière de moulée et prétend avoir développé un asthme professionnel.
[15] Le 24 avril 2006, la docteure Lemière reprend les diagnostics d’asthme et de rhinite professionnels.
[16] Le 12 mai 2006, les pneumologues Bégin, Boileau et Cantin, membres du CMPP émettent leur avis, après avoir examiné le travailleur. Comme antécédent, ils retiennent une allergie aux chats. Ils concluent à une vraisemblance d’asthme professionnel. Ils recommandent de procéder à des tests de provocation spécifique en usine.
[17] Après avoir pris connaissance des résultats des tests demandés, le CMPP émet un avis complémentaire dans lequel il conclut que le travailleur est porteur d’asthme professionnel à la moulée. Le déficit anatomophysiologique est évalué à 3 % et le travailleur ne doit plus être exposé à l’aire de travail de l’usine de l’employeur; il doit être retiré de son travail.
[18] Le 7 juillet 2006, le Comité spécial des présidents entérine les conclusions du CMPP.
[19] Le 29 septembre 2006, la CSST reconnaît que le travailleur est porteur d’une maladie professionnelle pulmonaire dont le diagnostic est asthme professionnel à la moulée. Ce même jour, elle rend une autre décision par laquelle elle reconnaît que la lésion professionnelle entraîne pour le travailleur une atteinte permanente de 3,30 %.
[20] Le 20 décembre 2006, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que le travailleur est capable, à compter du 19 décembre 2006, d’occuper l’emploi convenable de conducteur de machines industrielles, secteur agro-alimentaire exclu.
[21] Le 30 juin 2008, l’employeur présente une demande de partage de coûts à la CSST, alléguant que le travailleur était déjà handicapé au moment de la lésion professionnelle.
[22] Le 15 avril 2009, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare qu’il n’est pas démontré que le travailleur présentait déjà un handicap lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle. En conséquence, la totalité des coûts dus en raison de la lésion professionnelle doit être imputée à l’employeur. Cette décision est confirmée le 18 août 2009, à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.
[23] Le 29 janvier 2010, le docteur Renzi, pneumologue et professeur titulaire à l’université de Montréal, produit un avis médical, sur dossier, à la demande de l’employeur. Le mandat qui lui est confié est de déterminer si le travailleur était porteur d’un handicap personnel qui a favorisé le développement d’un asthme professionnel.
[24] Le docteur Renzi passe en revue le dossier médical du travailleur. À la lumière de cette preuve documentaire, il retient les diagnostics d’eczéma antérieur à son emploi chez l’employeur, d’allergies multiples telles que démontrées par les tests d’allergies positifs, d’asthme aux chats et d’asthme professionnel à la moulée tel que démontré au test de provocation spécifique.
[25] À la révision du dossier, le docteur Renzi identifie trois conditions personnelles qui ont prédisposé le travailleur au développement de l’asthme professionnel.
[26] D’abord, le travailleur a fait de l’eczéma dans le passé, ce qui est un signe d’allergie ou d’atopie et prédispose au développement d’autres allergies, dont l’asthme.
[27] Aussi, le travailleur souffre d’allergies multiples dont la présence augmente les chances de sensibilisation à d’autres agents et le développement de l’asthme. Au soutien de cette opinion, le docteur Renzi produit de la littérature médicale. Les différentes études[1], réalisées dans divers milieux de travail auxquelles il réfère, mentionnent que la présence d’atopie était plus importante chez les personnes souffrant d’asthme professionnel. Les tests positifs aux allergènes communs, comme dans le cas du travailleur, identifiaient les sujets qui étaient à risque de sensibilisation et de développement de l’asthme. L’atopie est identifiée comme un facteur prédisposant au développement de l’asthme.
[28] Malgré que les tests d’allergies aient été administrés après que le travailleur ait débuté son emploi chez l’employeur, le docteur Renzi est d’avis qu’il est fort probable que le travailleur avait des tests positifs aux allergènes communs avant de débuter cet emploi.
[29] Le docteur Renzi est également d’avis, littérature médicale à l’appui[2], que les tests d’allergies positifs aux acariens ainsi que la rhinite saisonnière prédisposent au développement de l’asthme.
[30] Il conclut qu’il est peu probable que sans ces trois conditions personnelles préexistantes le travailleur aurait développé de l’asthme professionnel. C’est pourquoi il recommande un partage de coûts de l’ordre de 10 % à l’employeur et de 90 % aux employeurs de toutes les unités.
[31] À l’audience, l’employeur dépose un rapport complémentaire du docteur Renzi (E-1). Il y affirme que l’eczéma, les allergies multiples et la rhinite allergique sont une déviation par rapport à la norme biomédicale à cause d’une prédisposition génétique. Ces trois conditions ne sont pas très fréquentes et, par définition, une personne normale n’en est pas atteinte.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[32]
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de lui
accorder un partage de coûts en vertu de l’article
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[33] Le tribunal constate en premier lieu que la demande de partage de coûts présentée par l’employeur le 30 juin 2008 respecte le délai prescrit.
[34] La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer si le travailleur était déjà handicapé au moment de la survenance de la lésion professionnelle le 6 mars 2006.
[35] La loi ne définit pas la notion de handicap. Il convient donc de s’en remettre à la définition retenue par la jurisprudence de façon pratiquement unanime depuis l’affaire Municipalité Petite-Rivière St-François[4] :
« La Commission des lésions professionnelles considère
qu’un travailleur déjà handicapé au sens de l’article
[36] La jurisprudence nous enseigne également qu’une déficience est une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut être congénitale ou acquise et elle peut se traduire ou non par une limitation des capacités du travailleur à fonctionner normalement. Elle peut aussi être asymptomatique jusqu’à la survenance de la lésion professionnelle[5].
[37] L’employeur doit donc démontrer que le travailleur était, au moment de la lésion professionnelle, porteur d’une déficience, laquelle correspond à une déviation par rapport à la norme biomédicale.
[38] Dans le cas où l’employeur réussit cette démonstration, il doit démontrer que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.
[39] Dans le présent dossier, le tribunal s’en remet à l’opinion du docteur Renzi, pneumologue. La spécialité du docteur Renzi confère à son opinion une force probante, considérant le diagnostic de la maladie professionnelle reconnue et les déficiences préexistantes identifiées. De plus, cette opinion du docteur Renzi est appuyée de la littérature médicale. Enfin, cette opinion n’a pas été contredite.
[40] Dans son opinion, le docteur Renzi identifie trois conditions personnelles préexistantes chez le travailleur, soit l’eczéma, des allergies multiples et une rhinite saisonnière. Dans son rapport complémentaire, il affirme que ces trois conditions sont liées à une prédisposition génétique et qu’il n’est pas normal de présenter de telles conditions. De plus, à son avis, il est probable que ces conditions étaient présentes chez le travailleur avant le début de son emploi chez l’employeur.
[41] Il n’est pas reconnu en l’espèce que l’eczéma, les allergies multiples ou la rhinite soient de nature professionnelle. Dans son avis, le CMPP retient comme antécédent personnel une allergie aux chats.
[42] Le tribunal retient également que le docteur Renzi identifie non pas une mais trois conditions personnelles préexistantes, ce qui ajoute à la déficience.
[43] Considérant la définition du handicap retenue par la jurisprudence, le tribunal conclut donc que le travailleur est porteur d’une condition personnelle préexistante qui constitue une déficience qui dévie de la norme biomédicale.
[44] Selon le docteur Renzi il est peu probable que sans la présence de ces conditions personnelles préexistantes le travailleur ait développé un asthme professionnel. La littérature médicale appuie son opinion.
[45] Le tribunal en vient donc à la conclusion que la déficience préexistante a eu un impact sur le développement de la maladie professionnelle. De plus, le travailleur n’est plus en mesure d’exercer son travail chez l’employeur à cause de sa maladie professionnelle.
[46] Pour ces raisons, il y a lieu d’accorder à l’employeur un partage de coûts dont le pourcentage demandé apparaît justifié, considérant l’impact du handicap sur la survenance de la lésion.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de l’employeur, Agribrands Purina Canada;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 18 août 2009, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur a droit à un partage des coûts dus en raison de la lésion professionnelle subie par le travailleur, monsieur Yannick Fortier à compter du 6 mars 2006 de l’ordre de 10 % à son dossier et de 90 % aux employeurs de toutes les unités.
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Diane Lajoie |
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Me François Bouchard |
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LANGLOIS KRÖNSTROM DESJARDINS |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] 1. L’asthme. Les Presses de l’Université Laval 1997.
2. Ucgun I. et al. Prevalence of occupational asthma among automobile and furniture painters in the center of Eskisehir (Turkey) : the effects of atopy and smoking habits on occupational assthma. Allergy 1998; 53 : 1096-1100.
3. Walusiak J. et al. The risk factors of occupational hypersensitivity in apprentice bakers - the predictive value of atopy markers. Arch. Occup. Environ. Health. 2002; 75 : S117-S1121.
4. Skjold T. et al. The incidence of respiratory symptoms and sensitisation in baker apprentices. Eur Respir. Journal 2009; Aug 32(2) : 452-459.
5. Romano C. et al. Factors related to the development of sensitization to green coffee and castor bean allergens among coffee workers. Clinical and Experimental Allergy. 1995; Vol. 25 :643-650.
6. Zuskin E. et al. Immunologic findings in confectionary workers. Annals of Allergy. 1994; Vol. 73 : 521-526.
7. Sjöstedt L. et al. A follow-up study of laboratory animal exposed workers : the influence of atopy for the development of occupational asthma. American Journal of Industrial Medicine. 1993; 24 : 459-469.
8. Prichard, M.G. et al. Skin test and RAST responses to wheat and common allergens and respiratory disease in bakers. Clinical Allergy. 1985; Vol. 15 : 203-210.
[2] 9. Leung R. et al. Sensitization to inhaled allergens as a risk factor for asthma and allergic diseases in Chinese population. J. Allergy Clin. Immunol. 1997; Vol. 99(5) : 594-599.
10. Plaschke P. et al. Onset and remission of allergic rhinitis and asthma and the relationship with atopic sensitization and smoking. American Journal of respiratory and critical care medicine. 2000; Vol. 162 : 920-924.
[3] L.R.Q., c. 3.001
[4] [1999] C.L.P. 779
[5] Municipalité Petite-Rivière St-François et CSST, citée note 3; Centre hospitalier
Baie-des-Chaleurs, C.L.P.,
AVIS :
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