Fix Auto Brossard et Groulx |
2012 QCCLP 4836 |
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Dossier 438151-62C-1105
[1] Le 10 mai 2011, Fix Auto Brossard (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 28 mars 2011, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision initiale du 15 novembre 2010 et déclare que monsieur Robert Groulx (le travailleur) a subi une lésion professionnelle le 31 août 2010, soit une dermite de contact.
Dossier 461191-62C-1201
[3] Le 31 janvier 2012, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 21 décembre 2011, à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme une décision initiale du 1er septembre 2011 et déclare que la CSST était justifiée de refuser de reconsidérer la décision du 15 novembre 2010 puisqu’aucun nouveau fait essentiel n’avait été démontré.
[5] L’audience s’est tenue à Salaberry-de-Valleyfield le 5 juin 2012 en présence des parties et de leur procureur.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
[6] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la dermite de contact irritative diagnostiquée chez le travailleur ne résulte pas d’une lésion professionnelle.
LA PREUVE
[7] Le travailleur œuvre depuis une trentaine d’années dans le domaine de la peinture d’automobile et depuis 2006 pour le compte de l’employeur.
[8] Vers décembre 2009, il constate la présence de problèmes cutanés sous forme de boutons et démangeaisons au niveau de la nuque. Cela se répand par la suite au cou, aux oreilles, aux bras et descend sur tout le corps sauf sous les bras et sur les pieds. Le travailleur s’interroge alors sur la présence d’acariens puis change de savon et de détergents, mais la condition persiste.
[9] Après deux semaines de vacances en juin 2010, les symptômes de travailleur s’estompent et disparaissent presque complètement. À son retour au travail, sa condition s’aggrave à nouveau. Devant ces faits, le travailleur consulte le 1er septembre 2010 le docteur Pinard qui conclut à des lésions de dermite de contact probablement secondaire aux habits de travail. Il dirige le travailleur en dermatologie et prescrit un arrêt de travail.
[10] Dans la réclamation qu’il produit à la CSST en septembre 2010, le travailleur écrit qu’il a des lésions partout sur le corps, que celles-ci s’améliorent après quelques jours de retrait du travail et qu’elles sont pires après un retour au travail. À l’annexe, il écrit « chaleur excessive et nouveau produits de peinture à l’eau. Habit et mask en contact avec le corps et sueurs cause les lésions selon le docteur. Lésions depuis 5 à 8 mois » [sic].
[11] À l’audience, le travailleur explicite davantage et associe sa dermite de contact à l’arrivée d’une nouvelle peinture chez l’employeur, un an et demi environ avant l’apparition de ses premiers symptômes. De plus, le temps de séchage de cette nouvelle peinture exige qu’il travaille à des températures plus élevées, provoquant davantage de transpiration et des sueurs partout sur le corps.
[12] Le 13 septembre 2010, le travailleur consulte la docteure Ohayon, dermatologue. Puisqu’il est en arrêt de travail depuis plus de 10 jours, sa condition s’est améliorée de sorte que la docteure Ohayon ne peut poser un diagnostic et autorise le retour au travail.
[13] Quelques jours après son retour au travail, les lésions cutanées sous forme de papules et de démangeaisons réapparaissent et le travailleur consulte à l’urgence d’un centre hospitalier où on le réfère à nouveau à la docteure Ohayon qui le voit le 27 septembre 2010. À son rapport, la docteure Ohayon retient le diagnostic de dermite eczémateuse importante à l’exposition d’un produit au travail qui a récidivé lors d’un retour au travail. Elle dirige le travailleur au docteur Sasseville, dermatologue, pour la réalisation de tests d’allergie et prescrit un arrêt de travail.
[14] Les résultats d’une biopsie réalisée le même jour confirment des modifications histologiques compatibles avec une dermite de contact.
[15] Le 9 novembre 2010, après une étude du dossier, la docteure Gariépy, médecin-conseil à la CSST, écrit aux notes évolutives :
les fiches signalétiques de tous les produits utilisés indiquent la possibilité d’une irritation de la peau lors d’exposition prolongée ou répétée; il est également mentionné « enlever les habits contaminés et les laver avant de les porter à nouveau »,
il est noté une amélioration du tableau clinique lors de l’arrêt de travail,
Suite à la ré-exposition aux produits au travail, le dermatologue constate la réapparition des symptômes, il diagnostique une dermite et réfère pour des tests d’allergie,
le diagnostic de dermatite de contact est confirmé par la biopsie du 27 septembre 2010,
outre une composante allergique qui reste à identifier par les tests, la composante irritative des produits peut entraîner une dermite de contact,
considérant ces éléments le diagnostic de dermite de contact (RM 2010-10-25) est en lien médical probable avec l’exposition aux produits identifiés.[sic]
[16] C’est sur la base de cette opinion que la CSST accepte la réclamation du travailleur, décision confirmée par l’instance de révision administrative le 28 mars 2011 et qui fait l’objet d’un des présents litiges.
[17] Le 6 décembre 2010, le travailleur rencontre le docteur Sasseville qui conclut à une dermatite de contact possible versus une névrodermatite généralisée. Il indique qu’il y a eu une amélioration suivant le retrait du travail le 24 septembre 2010, sans rémission complète et retrouve la présence de papules aux quatre membres, aux fesses et aux parties génitales. Il poursuit l’arrêt de travail et débute une série de « patch tests ».
[18] Au terme de cette série de tests, le docteur Sasseville écrit, à son rapport médical du 17 décembre 2010, que la dermatite de contact professionnelle semble peu probable vu la persistance des lésions et leur distribution de même que les résultats des « patch-tests ». Le travailleur a une réaction positive aux carbamates, mais le docteur Sasseville n’a retrouvé aucune trace de cet agent dans les fiches signalétiques soumises et estime qu’une recherche plus poussée est nécessaire. À ses notes cliniques, il écrit à titre de commentaires :
Névrodermatite? Dermatite de contact irritative? Seule une tentative de retour au travail permettra de préciser le rôle du travail dans son état.
[19] Le travailleur fait une tentative de retour au travail cette fois, à la succursale de Candiac opérée par le même employeur. Une fois de plus, sa condition s’aggrave. Lorsqu’il consulte le docteur Sasseville, le 16 mai 2011, ce dernier ne peut procéder à une nouvelle série de « patch tests » considérant la gravité de son état. Il écrit, à son rapport médical :
Dermatite de contact possible chez un peintre d’auto. Eczéma encore une fois généralisée après 8 jours de retour au travail. Les patch tests complémentaires doivent être reportés au 13 juin 2011.
[20] Les tests complémentaires, réalisés le 13 juin 2011 avec cinq produits du milieu de travail, s’avèrent négatifs. À son rapport médical du 17 juin 2011, le docteur Sasseville émet les diagnostics de dermatite de contact par irritation et névrodermatite. Il indique que les « patch tests » sont négatifs, mais compte tenu des cinq rechutes lors de tentatives de retour au travail, chaque fois plus sévères, le travailleur devrait être retiré de son travail de façon permanente.
[21] Dans le rapport d'évaluation médicale qu’il complète le 23 juin 2011, le docteur Sasseville retient le diagnostic de dermatite de contact par irritation. Il précise que l’équipement de protection utilisé par le travailleur, soit un masque, des gants et une combinaison étanche, provoque frottements et transpiration. Il souligne que deux tentatives de retour au travail ont provoqué des récidives de plus en plus sévères précisant « j’ai pu constater moi-même l’aggravation des lésions en mai 2011; j’ai dû alors sursoir à une deuxième séance de patch test et traiter M. Groulx par corticothérapie ».
[22] Le docteur Sasseville mentionne qu’une partie de la dermatite du travailleur est probablement d’origine personnelle, compte tenu de sa distribution et sa persistance malgré le retrait du travail. À son examen physique, il remarque la présence de lésions eczémateuses excoriées sur les quatre membres, ce qui constitue probablement des manifestations de la composante personnelle. À titre d’examens spécifiques, il écrit :
Le 13 décembre 2010, le patient a subi des patch tests avec la batterie NADCG standard et la série de colles et adhésifs. Le 17 décembre, la réaction positive suivante a été notée :
Réaction 1+ au CARBA MIX : M. Groulx ne travaille pas avec des gants ou de l’équipement de caoutchouc, et la revue de près de 2000 fiches signalétiques ne me permet pas d’établir de pertinence avec le milieu de travail.
Le 13 juin 2011, j’ai procédé à une 2e séance de tests avec 5 produits du milieu de travail, dilués aux concentrations appropriées. Le 17 juin, aucune réaction positive n’a été notée.[sic]
[23] Le docteur Sasseville estime néanmoins que compte tenu des récidives de plus en plus sévères lors des tentatives de retour au travail, le travailleur devrait être retiré de son milieu de travail de façon permanente. À titre de limitations fonctionnelles, il précise que le travailleur doit éviter toute condition provoquant frictions et transpiration par équipements de protection occlusifs et toute exposition cutanée avec des vapeurs de solvants et peintures industrielles.
[24] Le 24 août 2011, l’employeur demande à la CSST de reconsidérer sa décision d’admissibilité étant donné que le docteur Sasseville confirme dans son rapport d'évaluation médicale que les tests ne démontrent aucune pertinence avec le travail et que la condition du travailleur est en partie d’origine personnelle. La CSST refuse de reconsidérer, faute de fait essentiel, d’où le second litige en l’instance.
[25] À l’audience, le travailleur indique ne jamais avoir eu de problèmes de peau auparavant, mais explique avoir développé de l’eczéma parallèlement à sa dermite de contact. L’eczéma se manifestait sous forme de plaques sèches qui provoquent des démangeaisons alors que la dermite de contact se présentait sous forme de papules composées de liquide à l’intérieur. Il note que les papules sont disparues quelques mois après le retrait du travail, mais que ses problèmes d’eczéma ont persisté. Il relie l’eczéma au stress et à la phobie des produits chimiques qu’il a développée suivant sa dermite de contact. Sa phobie l’a amené à changer tous ses bas et sous-vêtements en janvier 2011 et sa condition s’est par la suite améliorée. Cette amélioration s’explique, selon lui, par le fait qu’il est devenu moins stressé.
[26] Relativement à sa combinaison de travail, le travailleur explique qu’il la revêt par-dessus ses vêtements (chandail et jeans) et l’enlève en fin de journée. Il la remplace après trois à quatre jours d’utilisation. Il souligne que cette combinaison est étanche et provoque une importante transpiration et des sueurs sur tout le corps.
[27] Le travailleur précise qu’il doit théoriquement porter sa combinaison uniquement dans la chambre à peinturer, mais qu’en pratique, il la porte pratiquement toute la journée et il lui arrive de rouler les manches de celle-ci lorsqu’il est à l’extérieur de la chambre à peinturer. Il tient des propos semblables lors d’une rencontre avec les agents de la CSST le 3 décembre 2010, précisant que plusieurs employés portent leur combinaison en tout temps.
[28] Lors d’une conversation téléphonique entre l’agente d’indemnisation et l’employeur le 6 octobre 2010, celui-ci reconnaît que le travailleur porte son habit de travail à longueur de journée. D’ailleurs, dans un avis que l’employeur a fait parvenir au travailleur le 24 septembre 2010, il est notamment indiqué qu’il lui est interdit de porter sa combinaison en dehors de la chambre à peinturer et que cet habit est destiné à être utilisé pendant l’application de produits à l’intérieur de la cabine seulement.
[29] Selon les fiches signalétiques de divers produits utilisés chez l’employeur qui sont versées au dossier, plusieurs (peinture, solvant)[1] peuvent provoquer une irritation de la peau suivant une exposition prolongée ou répétée. On y indique qu’il faut éviter tout contact avec la peau et les yeux et que l’on doit, à titre de premiers soins, enlever les habits contaminés et les laver avant de les porter à nouveau. Selon le travailleur, les fiches signalétiques de plusieurs produits provenant des sous-traitants de l’employeur n’ont pas été versées au dossier ni analysées par le docteur Sasseville.
[30] Le travailleur précise que suivant son retrait permanent du travail, ses lésions (papules) ont graduellement disparu et il n’a plus jamais fait de récidive.
L’AVIS DES MEMBRES
[31]
Conformément à l’article
[32] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis de rejeter les requêtes de l’employeur. Selon eux, la présomption de maladie professionnelle s’applique en regard de la dermatite de contact par irritation puisque la preuve démontre que le travailleur est en contact avec des solvants ou autres agents irritants dans le cadre de son travail, notamment lorsqu’il porte sa combinaison « contaminée » à l’extérieur de la chambre à peinture. De plus, l’employeur n’a soumis aucune preuve médicale de nature à renverser cette présomption et aucun fait essentiel de nature à reconsidérer la décision d’admissibilité n’a été démontré. Le membre issu des associations d’employeurs tient à préciser que la reconnaissance d’une maladie professionnelle doit être maintenue, malgré qu’une condition personnelle ait pu rendre le travailleur plus vulnérable ou ait pu influer sur les conséquences de la lésion professionnelle.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
Dossier 438151-62C-1105
[33] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 31 août 2010 sous forme de dermatite de contact par irritation.
[34] Il n’est ni prétendu ni soutenu en preuve que la dermite de contact par irritation puisse résulter d’un accident du travail ou d’une récidive, rechute ou aggravation. C’est donc sous l’angle de la maladie professionnelle que le tribunal doit disposer des présents litiges.
[35] La loi définit ainsi la notion de maladie professionnelle :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
[…]
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[36]
L’article
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
__________
1985, c. 6, a. 29.
[37] En l’instance, le diagnostic final retenu par le docteur Sasseville, et non contesté par une procédure d’évaluation médicale, est celui de dermatite de contact par irritation.
[38] Ce diagnostic est prévu à la section 3 de l’annexe 1 qui traite des maladies de la peau causées par des agents autres qu’infectieux :
SECTION III
MALADIES DE LA PEAU CAUSÉES PAR DES AGENTS AUTRES QU’INFECTIEUX
MALADIES |
GENRES DE TRAVAIL |
1. Dermite de contact irritative : |
un travail impliquant un contact avec des substances telles que solvants, détergents, savons, acides, alcalis, ciments, lubrifiants et autres agents irritants; |
2. (...)
|
(...) |
[39] La dermatite de contact par irritation diagnostiquée chez le travailleur sera donc présumée être d’origine professionnelle si la preuve démontre que celui-ci a exercé un travail impliquant un contact avec des substances telles qu’énumérées à la section 3 de l’annexe 1.
[40] À cet égard, la Commission des lésions professionnelles note que les fiches signalétiques de plusieurs produits utilisés chez l’employeur démontrent de manière non équivoque la présence de solvants et de produits irritants pour la peau.
[41] Par ailleurs, même si le travailleur porte un équipement de protection lors des tâches en chambre de peinture, composé d’un masque, de gants et d’une combinaison, la preuve révèle que lui-même et d’autres travailleurs conservent cette combinaison une grande partie de la journée, ailleurs que dans la chambre de peinture. Cet état de fait n’a pas été contesté par l’employeur et est même corroboré par ce dernier lors d’une conversation téléphonique avec une agente d’indemnisation et dans un avis envoyé au travailleur en septembre 2010.
[42] En portant toute la journée une combinaison sur laquelle a pu se déposer des résidus ou particules de produits irritants, il est évident que le travailleur a pu être en contact direct avec des agents irritants en touchant ou effleurant avec ses mains ou ses avant-bras sa combinaison. Compte tenu de la preuve non contestée que plusieurs employés conservent leur combinaison, le travailleur a aussi pu être en contact en touchant un collègue. Un contact est également possible quand le travailleur enfile sa combinaison déjà « contaminée », car il porte la même pendant trois ou quatre jours.
[43] Le tribunal estime donc que les conditions d’application de la présomption de maladie professionnelle sont satisfaites et la dermatite de contact par irritation diagnostiquée chez le travailleur est présumée être d’origine personnelle.
[44] Cette présomption de maladie professionnelle n’est pas irréfragable et peut être renversée par l’employeur s’il démontre, par une preuve prépondérante, que le travail exercé par le travailleur ne peut être la cause de sa maladie.
[45] C’est ce qu’invoque l’employeur en l’instance.
[46] Sur le plan médical, le représentant de l’employeur s’en remet essentiellement aux commentaires du docteur Sasseville contenus dans son rapport d'évaluation médicale de juin 2011 qui, selon lui, sont suffisants pour exclure un lien entre la condition du travailleur et le travail.
[47] L’employeur soumet la décision Beaudoin et Division Mines Sigma[3], dans laquelle la Commission des lésions professionnelles conclut à l’absence de maladie professionnelle, car « le propre médecin du travailleur reconnaît une possible relation, mais l’impossibilité de prouver cette relation avec le travail ». Il estime que l’opinion du docteur Sasseville dans le dossier sous étude est au même effet.
[48] Le tribunal ne partage pas cet avis.
[49] Même si le docteur Sasseville rapporte que les tests d’allergie réalisés sont essentiellement négatifs, sauf pour un produit dont aucune pertinence avec le travail ne peut être établie, cela n’est pas suffisant pour renverser la présomption de maladie professionnelle.
[50] D’une part, contrairement à la décision soumise dans laquelle la présomption de maladie professionnelle n’avait pas été reconnue et le fardeau de preuve incombait au travailleur, la relation entre la dermite de contact et le travail est en l’instance présumée. Que l’on ne puisse établir avec une certitude scientifique quels produits provoquent des réactions cutanées chez le travailleur ne démontre pas, de manière prépondérante, que le travail ne peut être la cause. D’autre part, il semble que certaines fiches signalétiques de produits provenant de sous-traitants n’ont pas été soumises au docteur Sasseville aux fins d’étude et ses conclusions doivent donc être prises avec réserve.
[51] De plus, malgré les examens spécifiques non concluants, le docteur Sasseville retient clairement une relation entre le travail et la condition du travailleur sur la base de faits graves, précis et concordants à savoir la présence de récidives de plus en plus sévères lors des tentatives de retour au travail du travailleur, récidive qu’il a lui-même constatée à une occasion.
[52] Le fait que le docteur Sasseville note qu’une partie de la condition est probablement d’origine personnelle n’exclut en rien la reconnaissance d’une dermite de contact d’origine professionnelle. Ces deux conditions médicales distinctes peuvent coexister et en l’absence d’opinion médicale expliquant que le travail ne peut être la cause, aucune preuve ne permet de renverser la présomption de maladie professionnelle.
[53] Le représentant de l’employeur allègue également que le fait que les lésions cutanées soient généralisées et non localisées aux seules zones de contact prouve qu’il s’agit d’une dermatite de contact d’origine personnelle et non professionnelle. Il en est de même de la persistance des lésions, plusieurs semaines après le retrait du travail.
[54] Au soutien de ses prétentions, il soumet trois décisions de la Commission des lésions professionnelles[4] dans lesquelles ces éléments sont mis en preuve, discutés et retenus afin de conclure à l’absence de relation entre une dermite de contact irritative et le travail.
[55] Le tribunal doit être prudent en regard de la preuve faite dans d’autres dossiers. Comme il a déjà été décidé, la jurisprudence ne peut combler les lacunes d’une preuve médicale qui n’a pas été faite et introduire le témoignage d’experts ou de littérature médicale par la voie d’une décision rendue dans un autre dossier contrevient aux règles de justice naturelle, puisque le travailleur ne peut contre-interroger les experts[5].
[56] De même, en important la preuve d’autres dossiers, le tribunal ne peut apprécier la force probante des opinions médicales qui y sont rapportées ni évaluer qu’elles s’appliquent sans nuance aux faits propres au dossier qui l’occupe.
[57] Une des particularités du dossier en l’instance est la présence d’une sudation importante sur une grande partie du corps lorsque le travailleur porte sa combinaison dans la chambre à peinturer. Est-ce que cet élément peut expliquer la présence de lésions généralisées? De même, la coexistence d’une condition d’origine personnelle peut-elle expliquer la persistance des symptômes chez le travailleur malgré le retrait du travail? Ces questions, plus que pertinentes, demeurent sans réponse, faute de preuve. Or, il incombait à l’employeur de fournir une preuve prépondérante à l’appui de ses prétentions afin de renverser la présomption de maladie professionnelle.
[58] L’employeur n’a déposé aucune preuve médicale ou opinion motivée particularisée au cas spécifique qui démontre en quoi le travail de peintre d’automobile, dans les conditions telles qu’exercées par le travailleur et compte tenu des faits particuliers du présent dossier, ne peut être la cause de sa dermatite de contact par irritation. Il soulève des hypothèses favorables à sa thèse, mais n’a pas démontré, par preuve médicale prépondérante, qu’elles s’appliquent en l’instance.
[59] Les seules opinions médicales dont dispose la Commission des lésions professionnelles dans ce dossier sont celles du docteur Sasseville, médecin qui a charge, et de la docteure Gariépy, médecin-conseil à la CSST. Ces deux médecins en arrivent à la conclusion que la relation entre la condition du travailleur et l’exercice de son travail est probable. L’employeur ne s’est donc pas déchargé de son fardeau de preuve.
Dossier 461191-62C-1201
[60] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant déterminer si la CSST était justifiée de ne pas reconsidérer sa décision du 15 novembre 2010 reconnaissant la dermite de contact à titre de maladie professionnelle.
[61] Dans sa demande produite le 24 août 2010, l’employeur estime qu’une reconsidération doit être faite, car le docteur Sasseville confirme dans son apport d'évaluation médicale, que les tests spécifiques ne démontrent aucune relation avec les produits utilisés au travail et que la condition du travailleur est en partie d’origine personnelle.
[62]
L’article
365. La Commission peut reconsidérer sa décision dans les 90 jours, si celle-ci n'a pas fait l'objet d'une décision rendue en vertu de l'article 358.3, pour corriger toute erreur.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel, reconsidérer cette décision dans les 90 jours de la connaissance de ce fait.
Avant de reconsidérer une décision, la Commission en informe les personnes à qui elle a notifié cette décision.
Le présent article ne s'applique pas à une décision rendue en vertu du chapitre IX.
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1985, c. 6, a. 365; 1992, c. 11, a. 36; 1996, c. 70, a. 43; 1997, c. 27, a. 21.
[63] La décision d’admissibilité du 15 novembre 2010 pouvait être reconsidérée en raison de la découverte d’un fait essentiel, même si elle avait fait l’objet d’une décision rendue à la suite d’une révision administrative, puisque la condition d’exclusion portant sur l’existence d’une décision rendue suivant les termes de l’article 358.3 ne s’applique pas au deuxième alinéa de l’article 365 de la loi.[6]
[64] Toutefois, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la CSST était justifiée de ne pas reconsidérer sa décision.
[65] Les motifs soumis par l’employeur à l’appui de sa demande de reconsidération sont en partie les mêmes que ceux invoqués au soutien de sa contestation de l’admissibilité à savoir l’absence de réaction positive à des tests spécifiques et la coexistence d’une condition personnelle chez le travailleur pouvant être à l’origine de ses lésions.
[66]
Or, pour les motifs précédemment exprimés, le tribunal est d’avis que
ces éléments ne permettent pas de renverser la présomption de maladie
professionnelle déjà établie et, par conséquent, ils ne peuvent être considérés
à titre de faits essentiels au sens de l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 438151-62C-1105
REJETTE la requête de Fix Auto Brossard, l’employeur;
CONFIRME la décision rendue le 28 mars 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Robert Groulx, le travailleur, a subi une lésion professionnelle le 31 août 2010 sous forme de dermatite de contact par irritation.
Dossier 461191-62C-1201
REJETTE la requête de Fix Auto Brossard, l’employeur;
CONFIRME la décision rendue le 21 décembre 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifiée de refuser de reconsidérer sa décision du 15 novembre 2010 portant sur l’admissibilité de la lésion professionnelle du 31 août 2010.
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Sonia Sylvestre |
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Me Sylvain Jourdain |
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ADP santé et sécurité au travail |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Audrey Richer |
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Représentante de la partie intéressée |
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[1] Produits numéros 0025, ES15, CC921, CC920, SR15, UH900 notamment.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] C.L.P.
[4] Mondor et Ministère des relations avec les citoyens
et de l’immigration, C.L.P.
[5] Mine Jeffrey inc. et Pratte, C.L.P.
[6] CLSC Lasalle et Félix, C.L.P. 148793-72-0010, 1er novembre 2002, F. Juteau.
[7] Commission scolaire de
l'Or-et-des-Bois et Higgins, C.L.P.
AVIS :
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