Beauséjour et Entreprises Tag

2012 QCCLP 8059

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jérôme

20 décembre 2012

 

Région :

Lanaudière

 

Dossiers :

464451-63-1203      468701-63-1204      474286-63-1206

 

Dossier CSST :

137832374

 

Commissaire :

Martine Montplaisir, juge administrative

 

Membres :

Luc Dupéré, associations d’employeurs

 

Régis Gagnon, associations syndicales

 

 

Assesseure :

Huguette Dumais, médecin

______________________________________________________________________

 

464451

468701          474286

 

 

Mario Beauséjour

Les Entreprises Tag

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

et

 

 

Les Entreprises Tag

Mario Beauséjour

Partie intéressée

Partie intéressée

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

Partie intervenante

Partie intervenante

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

464451-63-1203

[1]           Le 7 mars 2012, monsieur Mario Beauséjour dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d'une révision administrative, le 27 février 2012.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme la décision du 17 janvier 2012 et déclare que la lésion diagnostiquée comme sténose foraminale L4-L5 n'est pas en relation avec l'accident du travail dont monsieur Beauséjour a été victime le 11 avril 2011 et que ce dernier n'a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) en relation avec cette lésion.

468701-63-1204

[3]           Le 13 avril 2012, l'employeur, Les Entreprises Tag, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue par la CSST à la suite d'une révision administrative, le 9 mars 2012.

[4]           Par cette décision, la CSST confirme la décision du 18 janvier 2012 et déclare que la lésion diagnostiquée comme pied tombant est en relation avec l'accident du travail dont monsieur Beauséjour a été victime le 11 avril 2011 et que ce dernier a droit aux prestations prévues par la loi en relation avec cette lésion.

474286-63-1206

[5]           Le 13 juin 2012, l'employeur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue par la CSST à la suite d'une révision administrative, le 30 mai 2012.

[6]           Par cette décision, la CSST confirme la décision du 22 mars 2012 et déclare que la lésion diagnostiquée comme radiculopathie L4-L5 est en relation avec l'accident du travail dont monsieur Beauséjour a été victime le 11 avril 2011 et que ce dernier a droit aux prestations prévues par la loi en relation avec cette lésion.

[7]           Les 30 avril 2012 et 15 août 2012, Vigneault Thibodeau Bergeron, procureurs de la CSST, déposent des avis d'intervention à la Commission des lésions professionnelles.

[8]           Le 6 juillet 2012, la Commission des lésions professionnelles adresse un avis d'enquête et d'audition aux parties pour les convoquer à une audience à Joliette en date du 12 novembre 2012.

[9]           Le 5 novembre 2012, Me Marie-France Quintal, procureure de la CSST, adresse une lettre à la Commission des lésions professionnelles pour informer le tribunal que la CSST ne sera pas présente ni représentée à l'audience prévue le 12 novembre 2012.

[10]        Le 12 novembre 2012, la Commission des lésions professionnelles tient une audience à Joliette à laquelle monsieur Beauséjour est présent et est représenté par monsieur François Massie.  L'employeur est représenté par Me François Pinel.

L'OBJET DES CONTESTATIONS

[11]        Monsieur Beauséjour et l'employeur s'entendent pour demander au tribunal de reconnaître que les lésions diagnostiquées comme sténose foraminale L4-L5, pied tombant et radiculopathie L4-L5 constituent des lésions professionnelles en relation avec l'accident du travail du 11 avril 2011 dans la mesure ou cet événement a eu pour effet d'aggraver ou de déstabiliser une condition personnelle préexistante.

L'AVIS DES MEMBRES

[12]        Les membres issus des associations syndicales et d'employeurs sont d'avis qu’il y a lieu d'accueillir les requêtes de l'employeur et de monsieur Beauséjour, d'infirmer la décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative le 27 février 2012, de modifier les décisions rendues par la CSST à la suite de révisions administratives les 9 mars 2012 et 30 mai 2012 et de déclarer que les lésions diagnostiquées comme sténose foraminale L4-L5, pied tombant et radiculopathie L4-L5 sont en relation avec l'accident du travail dont ce dernier a été victime le 11 avril 2011 sous la forme d'une aggravation ou d'une déstabilisation d'une condition personnelle préexistante.

[13]        La preuve médicale prépondérante révèle que la théorie du crâne fragile s'applique au cas de monsieur Beauséjour en ce que l'accident du travail dont il a été victime le 11 avril 2011 a eu pour effet d'aggraver ou de déstabiliser une condition personnelle préexistante de sténose foraminale L4-L5 et, par le fait même, d'engendrer les lésions diagnostiquées comme pied tombant et radiculopathie L4-L5.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[14]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si les lésions diagnostiquées comme sténose foraminale L4-L5, pied tombant et radiculopathie L4-L5 sont en relation avec l'accident du travail dont monsieur Beauséjour a été victime le 11 avril 2011.


[15]        La lésion professionnelle et l'accident du travail sont définis à l'article 2 de la loi comme suit :

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

 

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[16]        En vertu de la théorie du crâne fragile, une condition préexistante n’est pas un obstacle à la reconnaissance d’une lésion professionnelle.  Toutefois, l'aggravation d'une condition personnelle n'est pas une catégorie de lésion professionnelle qui s'ajoute à celles déjà décrites par le législateur.  Il doit être établi, dès le départ, qu’un événement inhabituel, dans le cadre du travail, a aggravé ou déstabilisé cette condition[2], autrement dit, qu'un accident du travail s'est produit ou qu'il y a eu aggravation causée par les risques particuliers du travail[3] 

[17]       La Cour d'appel reprend ce principe dans l'affaire PPG Canada inc. c. CALP & Al[4] et rappelle que « pour qu'une aggravation d'une condition personnelle préexistante constitue une lésion professionnelle, il faut que soit survenu un accident du travail ou une aggravation causée par les risques particuliers du travail ». 

[18]       Ce principe a été suivi dans de nombreuses autres décisions[5] rendues par la Commission des lésions professionnelles.

[19]        Dans le présent cas, l'accident du travail a déjà été reconnu par la CSST et cette question ne fait pas l'objet des contestations des parties. 

[20]        Effectivement, par une décision rendue le 4 mai 2011, la CSST déclare que monsieur Beauséjour a subi une lésion professionnelle diagnostiquée comme entorse lombaire à la suite de l'événement imprévu et soudain survenu au travail le 11 avril 2011 lors duquel il a ressenti une douleur lombaire en tirant sur un billot.

[21]        Les litiges dont est saisi le tribunal consistent donc seulement à déterminer si les lésions diagnostiquées comme sténose foraminale L4-L5, pied tombant et radiculopathie L4-L5 sont en relation avec l'accident du travail — déjà reconnu — dont monsieur Beauséjour a été victime le 11 avril 2011.

[22]        Le tribunal estime que la preuve sur cet aspect est très claire et révèle sans l'ombre d'un doute que la théorie du crâne fragile s'applique au cas de monsieur Beauséjour en ce que l'accident du travail dont il a été victime le 11 avril 2011 a eu pour effet d'aggraver ou de déstabiliser une condition personnelle préexistante de sténose foraminale L4-L5 et, par le fait même, d'engendrer les lésions diagnostiquées comme pied tombant et radiculopathie L4-L5.

[23]        C'est la conclusion à laquelle en arrivent les professionnels de la santé qui ont examiné monsieur Beauséjour et qui se prononcent sur cette question.

[24]        Dans un rapport intitulé Information médicale complémentaire écrite qu’il produit le 12 décembre 2011, le docteur V. C. Tran, médecin qui a charge de monsieur Beauséjour, qualifie de multifactorielle la sténose foraminale gauche sévère présentée par son patient et précise qu'elle est « en partie secondaire » au bombement discal et à l'arthrose facettaire et que ce dernier était asymptomatique avant l'accident du travail.  Le libellé utilisé par le docteur Tran est le suivant :

« Dx — sténose foraminale G multifactorielle sévère (L4-L5) — en partie secondaire au bombement discale + de l'arthrose facettaire — Bombement diffuse du disque (L5-S1) — spondylodiscarthrose et discopathie dégénérative de tous les niveau.  On note : Le patient était asymptomatique avant l'accident de travail et actuellement il souffre encore de la lombosciatalgie et le pied tombant temporaire est disparu. » [sic]

 

 

[25]        Deux jours plus tard, le docteur C. Giasson, professionnel de la santé désigné par l'employeur, fait un constat similaire dans un rapport d'expertise médicale.  Le docteur Giasson écrit que monsieur Beauséjour présente une radiculopathie L5 gauche « secondaire à une sténose foraminale gauche multifactorielle » et que cette condition personnelle a « pu être aggravée et/ou rendue symptomatique » par l'événement.

[26]        Le chirurgien orthopédiste J. Boivin, professionnel de la santé désigné par l'employeur qui examine monsieur Beauséjour en date du 24 mai 2012, indique dans son rapport qu'il partage l'opinion du docteur Giasson en regard du diagnostic qu’il établit comme étant celui de « radiculopathie L5 gauche chez un travailleur porteur d'une spondylodiscarthrose qualifiée de sévère au niveau lombaire, avec sténose foraminale sévère L4-L5 gauche d'origine multifactorielle (condition personnelle préexistante) ».  L’orthopédiste souligne que monsieur Beauséjour « nie tout antécédent pertinent à la présente symptomatologie au niveau lombaire et au niveau du membre inférieur gauche ».  Le docteur Boivin ajoute, enfin, que son opinion diagnostique rejoint entièrement celle du docteur Giasson.

[27]        Les commentaires de la membre du Bureau d'évaluation médicale Y. Michaud vont aussi dans le même sens.  La neurochirurgienne Michaud indique qu'à son avis, « monsieur Beauséjour s'est clairement infligé une blessure radiculaire L4 gauche au travail le 11 avril 2011 dans un contexte de sténose foraminale sévère L4-L5 gauche » [sic].

[28]        Le neurochirurgien M. Giroux, qui produit un rapport d’expertise médicale le 16 juillet 2012 à la demande du représentant de monsieur Beauséjour, est lui aussi d'avis que l'événement du 11 avril 2011 a eu pour effet de rendre symptomatique une condition préexistante. 

[29]        Le docteur Giroux explique que de façon préalable à l'accident du travail du 11 avril 2011, monsieur Beauséjour présentait une condition préexistante de discopathie, d'arthrose et de sténose foraminale. 

[30]        Le docteur Giroux fait alors référence à l'interprétation faite par le radiologiste P. Lacaille-Bélanger de l'examen par résonance magnétique réalisé le 17 mai 2011.  Ce dernier conclut que monsieur Beauséjour présente une spondylodiscarthrose et une discopathie dégénérative à tous les niveaux ainsi qu'une sténose foraminale L4-L5 gauche qu’il qualifie de sévère et de multifactorielle.

[31]        Le docteur Giroux précise que cette condition préexistante était asymptomatique avant l'événement du 11 avril 2011 et que l'effort en flexion lombaire et en torsion fourni par monsieur Beauséjour ce jour-là est susceptible d'entraîner une irritation radiculaire en raison de la présence de la sténose foraminale décrite par le radiologiste à l'examen par résonance magnétique.

[32]        Le neurochirurgien relate ensuite que l'événement a produit une radiculopathie L4-L5 gauche laquelle s'est exprimée par une lombosciatalgie avec engourdissement et par une diminution sensitive du membre inférieur gauche associée à une faiblesse de la dorsiflexion du pied gauche.


[33]        L'extrait suivant des conclusions du docteur Giroux résume son opinion :

« […]

À la lecture du dossier m'ayant été remis, on ne retrouve aucun antécédent de douleur lombaire, de sciatalgie ou de faiblesse des membres inférieurs.  L'événement tel que décrit par le patient est tout à fait compatible avec l'apparition d'une radiculopathie et d'un pied tombant gauche chez un patient porteur d'une condition médicale préexistante de discopathie, d'arthrose et de sténose foraminale.

 

Cette condition de discopathie multiétagée, d'arthrose facettaire et de sténose foraminale est une condition personnelle préexistante qui était préalablement asymptomatique.  L'effort fourni par le patient le 11 avril 2011 alors qu’il était en flexion lombaire d'environ 60o et en torsion vers la gauche est tout à fait compatible avec la production d'une irritation radiculaire compte tenu de la présence de cette sténose foraminale.

 

On se doit donc de reconnaître à mon avis qu’il est probable que l'événement du 11 avril 2011 ait rendu symptomatique cette condition préexistante qui était préalablement asymptomatique et que l'événement ait produit une radiculopathie L4-L5 gauche s'exprimant par une lombosciatalgie avec engourdissement et diminution sensitive du membre inférieur gauche associée à une faiblesse de la dorsiflexion du pied gauche.

 

À cet effet, au dossier m'ayant été remis, on retrouvera dans les notes de physiothérapie du 22 juin 2011 la première description de cette faiblesse de la dorsiflexion des orteils du pied gauche.  Par la suite, la faiblesse de dorsiflexion et le terme pied tombant gauche seront utilisés par les médecins à compter du 22 juillet 2011.  On retrouvera par la suite aux notes médicales et aux notes de physiothérapie la présence de cette faiblesse au pied gauche. 

 

Fort heureusement, le patient a bien évolué avec résolution de cette atteinte motrice.  Lorsque j'ai examiné ce patient, on ne retenait qu'une atteinte sensitive au membre inférieur gauche.  À l'histoire, le patient semble présenter une claudication neurogénique.  Cette condition s'explique tout à fait par la sténose foraminale démontrée à la résonance magnétique.  Puisque le patient n'a pas répondu aux infiltrations cortisonées, à ce moment il serait judicieux qu’il soit examiné par un orthopédiste spécialisé en colonne ou encore un neurochirurgien pour statuer sur un traitement chirurgical approprié.

[…]

Les diagnostics à retenir sont qu’il était porteur d'une condition médicale lombaire préexistante, laquelle condition est devenue symptomatique suite à l'événement du 11 avril 2011 produisant une radiculopathie L4-L5 gauche avec atteinte motrice s'exprimant par un pied tombant gauche et une atteinte sensitive s'exprimant par une diminution sensitive au niveau du membre inférieur gauche avec lombosciatalgie gauche.

 

Le diagnostic de sténose foraminale est une condition personnelle qui était présente préalablement qui a cependant été rendue symptomatique par l'événement du 11 avril 2011.

[…] » [sic]

 

 

[34]        Le tribunal considère que l'avis du neurochirurgien Giroux est clair et permet de comprendre comment le mécanisme accidentel du 11 avril 2011 a eu pour effet de déstabiliser la condition préexistante que monsieur Beauséjour présentait au niveau lombaire.

[35]        Cette opinion est également partagée par le docteur A. Arcand, professionnel de la santé désigné par l'employeur qui produit un rapport le 5 octobre 2012 après avoir analysé le dossier de monsieur Beauséjour. 

[36]        Dans ce document, le docteur Arcand explique, dans un premier temps, la signification du qualificatif « multifactorielle » utilisé par le radiologiste au rapport d'imagerie par résonance magnétique du 17 mai 2011. 

[37]        Le docteur Arcand indique que le radiologiste fait alors référence au fait que cette sténose foraminale sévère est secondaire tant à l'arthrose facettaire qu'au bombement du disque.

[38]        Dans sa conclusion, le docteur Arcand relate que préalablement à l'accident du travail dont il a été victime le 11 avril 2011, monsieur Beauséjour était porteur d'un « handicap sérieux, à savoir une sténose foraminale L4-L5 gauche, multifactorielle, de spondylodiscarthrose sévère multiétagée, présence de disques pathologiques et d'arthrose facettaire, qui avait atteint un point de non-retour et fortement susceptible d'être symptomatique sous la forme d'une radiculopathie L4-L5 gauche » [sic].

[39]        Le docteur Arcand est donc d'avis que « le diagnostic à retenir est celui d'entorse lombaire aggravée par l'effet de la symptomatisation de la sténose foraminale L4-L5 gauche, avec radiculopathie sensitive et motrice gauche, le tout découlant du handicap préexistant déjà identifié » [sic].

[40]        Le tribunal retient, de l'ensemble de cette preuve, que les médecins qui se sont prononcés dans ce dossier, que ce soit à titre de médecin qui a charge, de médecin expert mandaté par le représentant de monsieur Beauséjour, de professionnels de la santé désignés par l'employeur ou de spécialiste agissant en sa qualité de membre du Bureau d'évaluation médicale, ont constaté que préalablement à la manifestation de sa lésion professionnelle, monsieur Beauséjour présentait une condition préexistante de discopathie, d'arthrose et de sténose foraminale, que celle-ci était asymptomatique et que cette condition a été rendue symptomatique par le mécanisme accidentel du 11 avril 2011.

[41]        Le tribunal estime que l'opinion émise dans les notes évolutives des 13 janvier 2012 et 30 mars 2012 par la docteure M. Martin, médecin régional de la CSST, ne vont pas à l'encontre de la reconnaissance des lésions diagnostiquées comme sténose foraminale L4-L5, pied tombant et radiculopathie L4-L5 à titre de lésions professionnelles sous la forme d'une aggravation ou d'une déstabilisation d'une condition personnelle préexistante. 

[42]        La docteure Martin écrit que le pied tombant gauche témoigne d'une atteinte radiculaire L4-L5 qui n'était pas présente avant l'événement du 11 avril 2011 et est en relation avec le fait accidentel, car « la racine nerveuse a pu être blessée lors du traumatisme étant donné la présence d'une sténose foraminale sévère qui enserre la racine au niveau L4L5 » [sic].  Le médecin régional de la CSST accepte aussi le lien entre l'événement du 11 avril 2011 et la lésion diagnostiquée comme atteinte radiculaire L4-L5, « car l'atteinte des dorsifléchisseurs causant le pied tombant est compatible avec l'atteinte radiculaire au niveau L4L5 » [sic].  Ce médecin émet toutefois l'opinion que la sténose foraminale gauche L4-L5 n'est pas en relation avec le fait accidentel « puisqu'il s'agit d'une condition personnelle préexistante de dégénérescence (spondylodiscarthrose et arthrose facettaire) ». 

[43]        Le tribunal remarque que la docteure Martin ne discute pas, à l'instar du neurochirurgien Giroux, de l'effet du fait accidentel survenu le 11 avril 2011 sur cette condition préexistante.  Son avis est donc incomplet et ne peut être utilisé pour contrer celui des autres médecins qui militent dans le sens d'une déstabilisation d'une condition personnelle préexistante.

[44]        Ainsi, la preuve établit clairement que les lésions diagnostiquées comme sténose foraminale L4-L5, pied tombant et radiculopathie L4-L5 constituent des lésions professionnelles sous la forme d'une aggravation ou d'une déstabilisation d'une condition personnelle préexistante.  Monsieur Beauséjour a donc droit aux prestations prévues par la loi en relation avec ces lésions.

[45]        Ceci étant, le tribunal considère nécessaire d'émettre un commentaire relativement à l'absence de la procureure de la CSST à l'audience.

[46]        Le tribunal remarque que les 30 avril 2012 et 15 août 2012, les procureurs la CSST déposent des avis d'intervention à la Commission des lésions professionnelles relativement à deux des trois litiges dont est saisi le tribunal.

[47]        Ces avis sont déposés conformément à l'article 429.16 qui prévoit que la CSST « peut intervenir devant la Commission des lésions professionnelles à tout moment jusqu'à la fin de l'enquête et de l'audition ».  En vertu du deuxième alinéa de cet article, la CSST est considérée « partie à la contestation » dès qu'elle transmet un avis d'intervention.  Cet article est libellé comme suit :

429.16.  La Commission peut intervenir devant la Commission des lésions professionnelles à tout moment jusqu'à la fin de l'enquête et de l'audition.

 

Lorsqu'elle désire intervenir, elle transmet un avis à cet effet à chacune des parties et à la Commission des lésions professionnelles; elle est alors considérée partie à la contestation.

 

Il en est de même du travailleur concerné par un recours relatif à l'application de l'article 329 .

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[48]        Le tribunal constate qu'en dépit de ses interventions faites les 30 avril 2012 et 15 août 2012, la procureure de la CSST dépose une lettre à la Commission des lésions professionnelles le 5 novembre 2012 pour informer le tribunal qu'elle ne sera pas présente à l'audience prévue le 12 novembre 2012.  La représentante de la CSST s'exprime comme suit :

« […]

La présente est à l'effet de vous informer que nous ne serons par présents lors de l'audience du 12 novembre 2012 dans les dossiers mentionnés ci-dessus.  Notez que nous demeurons toutefois parties aux dossiers advenant une conciliation.

[…] » [sic]

Les soulignés sont de la soussignée.

 

 

[49]        À première vue, ce message laconique semble traduire, d'une part, l'intérêt de la CSST pour toute tentative des parties de régler le litige dont est saisie la Commission des lésions professionnelles par le biais de la conciliation et, d'autre part, un renoncement de celle-ci à être représentée à une audience devant le même tribunal.

[50]        Cette approche, qui traite l'audience et le processus de conciliation d'une manière distincte, est-elle appropriée de la part d'un organisme comme la CSST dont le devoir de réserve est la norme, vu l’intérêt public qu'elle est chargée de défendre ?

[51]        La double démarche de la CSST auprès de la Commission des lésions professionnelles amène le tribunal à se questionner sur l'objectif réel poursuivi par celle-ci.

[52]        En effet, en début d'audience, les représentants de monsieur Beauséjour et de l'employeur informent le tribunal qu'ils ont tenté de « régler à l'amiable », mais en raison du fait que la CSST est intervenue dans le dossier, il n'a pas été possible de conclure une entente en conciliation, d'où l'obligation qui en a découlé de se présenter à l'audience.

[53]        Cette déclaration est déconcertante dans la mesure où, comme il est relaté dans ce qui précède, la preuve est nettement prépondérante en faveur de la reconnaissance des lésions diagnostiquées comme sténose foraminale L4-L5, pied tombant et radiculopathie L4-L5 à titre de lésions professionnelles sous la forme d'une aggravation ou d'une déstabilisation d'une condition préexistante.

[54]        Aussi, le présent tribunal est étonné du soi-disant intérêt manifesté par la CSST à participer au processus de conciliation alors qu'en réalité, son intervention a plutôt pour effet de court-circuiter ledit processus.  Ceci est d'autant plus curieux que la procureure de la CSST ne se présente pas à l'audience et ne soumet pas de représentations au tribunal relativement aux litiges dont il est saisi.

[55]        De l'avis de la soussignée, il est inconcevable que l'intervention de la CSST faite en vertu de l'article 429.16 de la loi vise à faire obstacle à la conclusion d'un accord entre les parties qui tentent de régler un litige dont l'issue apparaît aussi manifeste.

[56]        Le tribunal estime que cette démarche cadre difficilement avec le rôle de la CSST qui agit à titre d'administrateur du régime et d'organisme chargé de l'application de la loi.  

[57]        Comme le rappelle la Commission des lésions professionnelles dans l'affaire Castonguay et St-Bruno Nissan inc.[6], « la CSST est un organisme public, créé par la loi, dont les fonctionnaires sont assujettis à une obligation d’impartialité lorsqu’ils exercent leur mission de service public "d’aider à administrer la loi" »[7]

[58]        La Commission des lésions professionnelles précise aussi dans cette affaire qu'en dépit du fait que l'article 429.16 de la loi prévoit que la CSST peut intervenir de plein droit devant le tribunal, il n'est pas clair « que cette disposition, qui habilite la CSST à agir à titre d’intervenante dans l’intérêt public, doive être interprétée comme écartant momentanément l’obligation imposée à la CSST d’agir impartialement à l’égard de sa clientèle, composée à la fois de travailleurs et d’employeurs ».   

[59]        Dans l'affaire McKenna c. Commission des lésions professionnelles[8], la Cour d'appel souligne que la CSST a le locus standi devant les tribunaux judiciaires « non seulement pour défendre sa compétence lorsque celle-ci est attaquée, mais aussi pour intervenir sur le fond du litige, lorsqu'il s'agit de décider de l'interprétation à donner à la Loi dont elle est chargée de l'application ».  Elle devient alors une véritable partie aux contestations.  La Cour d'appel précise que le rôle de la CSST est toutefois encadré par « une grande réserve et retenue » dont elle doit faire preuve dans son intervention « de façon à ne pas être perçue comme un adversaire constant et systématique de la partie qui a perdu sa cause devant la juridiction administrative ».  La même approche peut s'appliquer à la Commission des lésions professionnelles.  Ce principe est exprimé comme suit par la Cour d'appel :

« […]

[48]      Toutefois, il est bien évident que la CSST, face au pouvoir d'intervention que lui donne le législateur, doit faire preuve d'une grande réserve et de retenue, de façon à ne pas être perçue comme un adversaire constant et systématique de la partie qui a perdu sa cause devant la juridiction administrative.  Elle doit donc faire abstraction de toute partisanerie.  Elle est, finalement, et toutes proportions gardées, un peu dans la même situation qu'un procureur de la Couronne dans une cause pénale dont le premier devoir reste à la justice et qui doit constamment rester neutre et impartial.  De toute façon, et si besoin est, les tribunaux judiciaires qui dirigent les débats sont là pour lui rappeler son véritable rôle et ses devoirs.

[…] »

 

 

[60]        C'est aussi ce que la Commission des lésions professionnelles réitère dans l'affaire Restaurants McDonald du Canada ltée et Nolet et CSST[9].  La Commission des lésions professionnelles souligne que « le droit d’intervention de la CSST est acquis, mais que c’est son exercice qui est encadré ».

[61]        Ce principe est repris dans Rioux et Réalisations Burmacom inc. et CSST[10].  La Commission des lésions professionnelles souligne que « le rôle de la CSST en tant que véritable partie lui est acquis tant par la loi que par la jurisprudence » et que l'obligation de grande réserve et retenue dont elle doit faire preuve ne nie pas ce droit, mais « l'encadre davantage dans la façon dont elle le fait ». La Commission des lésions professionnelles ajoute aussi ce qui suit en ce qui a trait à cette réserve et à cette retenue :

« […]

[23]      "Faire preuve de grande réserve et de retenue afin de ne pas être perçue comme un adversaire constant et systématique de la partie qui a perdu sa cause" est une obligation qui réfère notamment à la perception d’une partie face à une autre, en l’instance, l’organisme public qu’est la CSST qui administre un régime face au travailleur.  La Commission des lésions professionnelles estime néanmoins que la CSST, comme toute autre partie, ne peut se permettre d’avoir une attitude arrogante ou déplacée à l’endroit d’une partie.  Comme l’a précisé le juge Guilbault dans l’affaire Les contenants industriels ltée précitée, elle doit faire preuve de discrétion, de sobriété et agir sans agressivité, dans un esprit de collaboration. 

[…] »

 

 

[62]        En l'espèce, l'annonce de l'absence de la procureure de la CSST à l'audience après avoir déposé des avis d'intervention dont l'effet ultime a été de bloquer le processus de conciliation dans le présent dossier correspond-elle à une conduite traduisant la grande réserve, la retenue et l'esprit de collaboration[11] qui sied à cet organisme ?  La question mérite réflexion.


POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

464451-63-1203

ACCUEILLE la requête de monsieur Mario Beauséjour en date du 7 mars 2012 ;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d'une révision administrative le 27 février 2012 ;

DÉCLARE que la lésion diagnostiquée comme sténose foraminale L4-L5 est en relation avec l'accident du travail dont monsieur Beauséjour a été victime le 11 avril 2011 sous la forme d'une aggravation ou d'une déstabilisation d'une condition préexistante et que ce dernier a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en relation avec cette lésion ;

468701-63-1204 et 474286-63-1206

ACCUEILLE les requêtes de l'employeur, Les Entreprises Tag, en date des 13 avril 2012 et 13 juin 2012 ;

MODIFIE les décisions rendues par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite de révisions administratives les 9 mars 2012 et 30 mai 2012 ;

DÉCLARE que les lésions diagnostiquées comme pied tombant et radiculopathie L4-L5 sont en relation avec l'accident du travail dont monsieur Beauséjour a été victime le 11 avril 2011 sous la forme d'une aggravation ou d'une déstabilisation d'une condition préexistante et que ce dernier a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en relation avec cette lésion.

 

__________________________________

 

Martine Montplaisir

Monsieur François Massie

Confédération des syndicats nationaux

Représentant de monsieur Beauséjour

 

Me François Pinel

Beauvais, Truchon avocats

Représentant de l'employeur

 

Me Marie-France Quintal

Vigneault Thibodeau Bergeron

Représentante de la CSST



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Lavoie et Communauté urbaine de Montréal, C.A.L.P. 48078-62-9212, 28 juin 1995, J. L’Heureux ; St-Pierre et Bell Canada, C.A.L.P. 79206-02-9605, 11 avril 1997, C. Bérubé ; Lazaro et C.L.S.C. Gaston Lessard, [1998] C.L.P. 1285  ; Crête et Ville de Québec, C.L.P. 89052-32-9706, 9 avril 1999, M. Carignan.

[3]           Botter et J. Pascal inc., C.A.L.P. 39621-60-9205, 16 décembre 1994, M. Kolodny ; Lavoie et Communauté urbaine de Montréal, précitée, note 2 ; St-Pierre et Bell Canada, précitée, note 2 ; Crête et Ville de Québec, précitée, note 2.

[4]           500-09-005954-979, 29 mars 2001, jj. Mailhot, Deschamps et Pidgeon.

[5]           Voir notamment : Beaudet et Cie américaine de fer & métaux inc., C.L.P. 153079-71-0012, 19 novembre 2001, L. Crochetière ; Chevalier et Saga International, C.L.P. 141955-63-0007, 16 janvier 2002, D. Besse ; Gagné et C.H.U.S. Hôtel-Dieu, C.L.P. 163084-05-0106, 27 mars 2002, M.-C. Gagnon ; Germain et Bourassa Automobiles International, [2003] C.L.P. 553  ; Miron et Rayonese Textile inc., C.L.P. 181282-64-0203, 6 février 2003, J.-F. Martel.

[6]           [2000] C.L.P. 540 .

[7]           Lafontaine c. Commission d’appel en matière de lésions professionnelles, [1994] R.J.Q. 1523 (C.A.) ; Re Bambrick, (1992) 10 Adm. R.R. (2d) 112 (C.S. Terre Neuve).

[8]           [2001] C.L.P. 491 (C.A.), jj. Baudouin, Rousseau-Houle et Robert.

[9]           C.L.P. 159601-07-0104, 30 mai 2003, M. Langlois.

[10]         C.L.P. 155227-63-0102, 15 janvier 2003, D. Beauregard.

[11]         Contenants industriels ltée c. CLP, [2001] C.L.P. 851 (C.S.).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.