Décision

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LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

MONTRÉAL, le 13 mai 1998

 

 

RÉGION:  LANAUDIÈRE                                                 DEVANT LE COMMISSAIRE :  Réal Brassard

DOSSIER: 86790-63-9702

 

DOSSIER CSST:111535746                                                ASSISTÉ DES MEMBRES   :                                               Jean L'Italien,

DOSSIER BRP:  62286770                                                                                                                                                                      associations d'employeurs

 

Gérald Dion,

associations syndicales

 

AUDITION TENUE LE     :  29 avril 1998

 

 

À                     :                               Joliette

                                                  

 

 

 

PARTIE APPELANTE     MADAME MÉLANIE ROUSSY

497, Place Pierre Paul, # 6

Le Gardeur (Québec)

J5Z 3M9

 

 

et

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE    RÉSIDENCE COEUR-SOLEIL

100, Grande Ligne

St-Alexis (Québec)

J0K 1T0

 

 

 

                                                                       PARTIE INTERVENANTE                                                             COMMISSION DE LA SANTÉ ET

DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL

432, rue de Lanaudière

Joliette (Québec)

J6E 7N2

                                                                                                                                    


                                                                                                          D É C I S I O N

 

Le 19 février 1997, madame Mélanie Roussy (la travailleuse) en appelle de la décision unanime rendue le 22 janvier 1997 par le Bureau de révision de la région de Lanaudière.

 

Par cette décision, le bureau de révision rejette la demande de révision de la travailleuse relativement à la décision rendue le 30 juillet 1996 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST).  La décision de la CSST est à l'effet que le trouble d'adaptation de type anxieux et modérément sévère dont a été victime la travailleuse à la suite d'un événement survenu à son travail ne constitue pas une lésion professionnelle en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001).

 

OBJET DE LA CONTESTATION

 


La travailleuse demande d'infirmer la décision rendue le 22 janvier 1997 par le bureau de révision et de déclarer que la lésion psychique dont elle a été victime constitue une lésion professionnelle. Elle demande, en conséquence, d'ordonner à la CSST de l'indemniser conformément aux dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

LES FAITS ET LA PREUVE

 

Lors des événements en cause, la travailleuse occupe un emploi d'éducatrice spécialisée à la Résidence Coeur-Soleil (l'employeur).  Cette résidence est un établissement de santé spécialisée pour une clientèle intellectuellement handicapée avec des troubles sévères de comportements.

 

Le 2 juin 1996, elle est impliquée dans un événement qu'elle décrira comme suit lors de sa réclamation pour lésion professionnelle:

 


«La situation s'est déroulé dimanche le 2 juin 1996, j'exerçais alors ma fonction d'éducatrice spécialisée, à la Résidence Coeur-Soleil.  L'événement s'est déroulé ainsi, j'étais à la salle de bain avec "x" j'ai alors entendu la personne qui étais  là comme intervenant crier "x" calme toi. En entendant ce crie, je suis sortie de la salle de bain, à ce moment il avait déjà frappé un autre bénéficiaire et se dirigeait vers la cuisinière, il a d'abord visualisé la cafetière, ensuite la poêle. Heureusement il n'a rien cassé. C'est à ce moment que l'autre personne l'a sorti dehors, j'ai donc désamorcé l'agressé, ce qui s'est bien passé, il n'a que serré le poing. J'ai regardé dehors et l'agresseur arrachait l'herbe et garochait des billots de bois au bout de ses bras. À ce moment j'ai été prise de panique, le coeur me battait dans la poitrine, mon corps tremblait, mai j'essayais avec tout mon possible de dissimuler mes ressentis. L'autre intervenant a pris l'initiative d'entrer l'agresseur dans sa chambre, non pas par la porte principale, mais par celle d'en avant, car il craignait de nouveau des affrontements. Je lui ai donc ouvert la porte, à ce moment il m'a regardé avec des yeux qui mes saisissait. Lorsqu'il était dans sa chambre, il voulait sortir à ce que j'entendais.  (...) Je devais passer la nuit de dimanche à lundi seule avec ces 4 bénéficiaires, j'ai donc dis à Richard que je ne me sentais pas capable, que j'étais nerveuse.  La nuit fut un enfer pour moi impossible de dormir, parce qu'un bénéficiaire se réveillait souvent, mais en majeure partie parce que mon coeur me faisait mal, j'avais une boule dans l'estomac, je revoyais les scènes (2 crises) comme un film et je suis même allé jusqu'à pleurer, j'étais prise de panique. Jamais je ne me suis sentie comme ça, mon corps tremblait. J'avais peur pour ma vie. C'est à la suite de bref remise en question que j'ai consulté un médecin qui lui m'a référé au centre de traumatys (...).»  (sic)

 

 

 


Le 6 juin 1996, le docteur Dubé que la travailleuse consulte, pose le diagnostic de désordre de stress aigu et met cette dernière en arrêt de travail.  Le 18 juin, la travailleuse fait une demande d'indemnisation en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.  Elle annexe à sa demande un avis d'expertise signé par madame Louise Gaston, docteur en psychologie.

 

Dans son avis d'expertise, madame Louise Gaston mentionne notamment ce qui suit:

 

«Le 18 juin 1996, j'ai rencontré Madame Roussy afin d'évaluer la problématique présentée par celle-ci à l'aide du "Structured Clinical Interview for DSM‑III-R" (SCID; Spitzer, Williams, Gibbon et First: version 85) et des critères additionnels du DSM-IV (American Psychiatric Association, 1994).  Selon la classification du DSM-IV, elle a donc été confrontée à un événement impliquant une blessure sérieuse à autrui, soit un autre éducateur, et à un événement impliquant une perte de contrôle de ses impulsions agressives de la part d'un bénéficiaire, présentant une menace à son intégrité physique et à celle d'autrui. Lors de ce dernier événement, elle rapporte avoir ressenti un sentiment intense de peur.

 


Madame Roussy rapporte faire l'expérience des cinq symptômes intrusifs[1] associés à un DSPT, soit: des reviviscences répétées et troublantes du dernier événement, ayant des flash-back trois à quatre fois par jour; des rêves troublants à propos du dernier événement, lors desquels elle se fait frapper; une impression que l'événement, lors desquels elle se fait frapper; une impression que l'événement se produit à nouveau, se sentant soudainement très en danger et devant barrer sa porte continuellement et s'assoyant près du téléphone; une détresse psychologique intense suite à l'exposition à des stimuli symbolisant ou ressemblant à l'événement, tel que d'y penser; et l'expérience d'une réactivation physiologique suite à l'exposition à de tels stimuli, tel que des tremblements et des difficultés respiratoires.

 

Elle rapporte faire l'expérience de cinq des sept symptômes d'évitement[2] fréquemment rencontrés chez des personnes traumatisées, soit: faire des efforts pour éviter des pensées, sentiments ou conversations associés au dernier événement, s'occupant beaucoup; faire des efforts pour éviter les activités, endroits ou personnes lui rappelant le dernier événement, dont principalement son travail; démontrer une diminution marquée d'intérêt ou de participation à des activités significatives; avoir un sentiment de détachement face aux autres; et avoir l'impression d'un futur tronqué par rapport à son travail.

 

Madame Roussy rapporte vivre quatre des cinq symptômes d'activation[3] recensés dans ce type de problématique, soit: avoir de la difficulté à s'endormir ou le demeurer; faire preuve d'irritabilité ou faire de crises de colère; faire preuve d'hypervigilance tant à la maison qu'à l'extérieur; et avoir des réactions de sursaut exagérées suite à des bruits soudains.

 

Madame Roussy présente donc un Trouble d'adaptation de type anxieux et modérément sévère, ce qui est favorable au pronostic. Comme complication psychiatrique, elle présente cependant un Désordre d'Agoraphobie et un Désordre de Panique, ce qui est défavorable au pronostic.»

 


Le 30 juillet 1996, la CSST refuse la demande d'indemnisation dans une lettre adressée à la travailleuse et qui se lit comme suit:

 

«Madame,

 

Nous devons vous informer que nous ne pouvons accepter votre réclamation pour l'événement du 1996-06-02.

 

Selon les renseignements consignés à votre dossier:

 

Vous occupez un poste d'éducatrice spécialisée dans un établissement de santé avec clientèle intellectuellement handicapée avec troubles de comportements sévères.

 

Les événements rapportés dans votre réclamation n'ont aucun caractère imprévu et soudain dans ce cadre, et constituent la nature même de votre travail.

 

Votre réclamation n'est donc pas admissible à titre d'accident du travail puisqu'il ne s'agit pas d'un événement imprévu et soudain au sens de la loi. De plus, l'événement décrit ne correspond à aucune autre catégorie de lésion professionnelle.

 

En conséquence, nous ne pouvons vous rembourser vos frais ni vous verser d'indemnités.

 

De plus, nous vous avisons que vous devez à la CSST la somme de 463.46 $, ce qui représente l'indemnité que vous a versée votre employeur pour la période du 96‑06‑06 au 96‑06‑19. La CSST vous réclamera cette somme dès que la présente décision sera devenue finale. Cet avis interrompt la prescription prévue à la loi.»


Le 5 août 1996, la travailleuse demande la révision de cette décision.

 

Le 16 septembre 1996, le docteur Dubé déclare que la lésion psychique de la travailleuse est consolidée depuis le 10 septembre 1996 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.

 

Le 9 janvier 1997, le Bureau de révision de la région de Lanaudière entend la demande de révision.  Le 22 janvier 1997, il rend une décision unanime rejetant la demande de révision.  Cette décision est motivée dans les termes suivants:

 

«Le Bureau de révision retient de tous ces faits que l'événement du 2 juin 1996 constitue un événement auquel il faut s'attendre lorsqu'une personne travaille auprès de bénéficiaires dits de comportements sévères. De plus, dans le présent cas, la travailleuse était parfaitement au courant des différents comportements adoptés, à certaines occasions, par les bénéficiaires, et qu'elle devait connaître également la façon de les prévenir ou comment assister le bénéficiaire afin de «le sécuriser». Ainsi, le Bureau de révision considère que l'événement rapporté par la travailleuse du 2 juin 1996 ne constitue pas un événement imprévu et soudain puisqu'il fait partie de la nature même du travail de madame Roussy. Ses tâches ou ses fonctions étaient justement de prévenir ou de répondre à des actes semblables à celui qui est survenu le 2 juin 1996. Elle était formée pour faire face à de tels événements.


De plus, le Bureau de révision est d'avis que la travailleuse ne courrait aucun danger et qu'en aucun moment elle n'a été directement visée par le bénéficiaire en crise le 2 juin 1996.  Ainsi, il serait difficilement acceptable de reconnaître que ledit événement puisse être identifié  à un événement imprévu et soudain.  Donc , puisqu'il n'y a eu aucun événement imprévu et soudain le 2 juin 1996, la travailleuse n'a pu être victime d'un accident du travail. D'ailleurs, le Bureau de révision est d'avis que le désordre diagnostiqué par son médecin ne constitue en fait qu'une manifestation d'une condition personnelle.»

 

 

 

Le 19 février 1997, la travailleuse interjette appel en l'instance de la décision du bureau de révision.

 

La Commission des lésions professionnelles a entendu le témoignage de la travailleuse et celui de madame Lise Caisse.

 

La travailleuse confirme les faits rapportés plus haut.  Elle indique par ailleurs que c'était la première fois qu'elle était confrontée à une situation semblable à celle qu'elle a vécue le 2 juin 1996.  Elle n'a jamais eu de problèmes psychologiques auparavant.

 


Madame Caisse est l'épouse du propriétaire de l'établissement.  Elle indique que l'établissement prend soin de personnes ayant le genre de comportement qui est en cause dans la présente affaire.  Les préposées aux bénéficiaires, dit-elle, reçoivent une formation pour gérer ce genre de problèmes.  La travailleuse connaissait bien l'agresseur et ses problèmes de comportement.  Pour elle, il s'agit d'une situation normale pour ce genre d'établissement et les comportements agressifs des bénéficiaires sont des événements prévus.

 

AVIS DU MEMBRE SYNDICAL

 

Selon le membre syndical, il y a en l'espèce événement imprévu et soudain assimilable à un accident du travail.  La travailleuse doit donc être indemnisée pour une lésion professionnelle.

 

Il y a événement imprévu puisque la travailleuse y a été impliquée en rassurant le bénéficiaire agressé. De plus, c'était la première fois que la travailleuse était confrontée à une telle situation et elle n'avait jamais eu de problème psychologique auparavant.

 


AVIS DU MEMBRE PATRONAL

 

Le membre patronal est aussi d'avis que le fait que la travailleuse était confrontée pour la première fois à ce genre de situation fait en sorte qu'il y a eu événement imprévu et soudain assimilable à un accident du travail.  Il est donc d'avis que la travailleuse devrait être indemnisée.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

 

La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a été victime d'une lésion professionnelle.  L'article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles définit comme suit la lésion professionnelle:

 

«lésion professionnelle»: une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.

 

 

 


En l'espèce, la travailleuse a été victime d'une maladie psychique, donc d'une maladie.  Il s'agit de déterminer si, aux termes de la définition ci-haut citée, elle a été victime d'une maladie survenue à l'occasion d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.

 

Il n'est pas contesté en l'espèce que la travailleuse a effectivement été victime d'une maladie d'ordre psychique et il n'est pas contesté non plus que l'événement du 2 juin 1996 a été pour le moins l'élément déclencheur de la maladie chez la travailleuse.

 

Le bureau de révision, comme la Commission, a fondé sa décision en concluant qu'aucun accident du travail n'était survenu à la travailleuse puisque l'agressivité des bénéficiaires et donc les événements d'agression font partie du quotidien ou des événements prévisibles de l'institution.  Les actes d'agression ne constitueraient donc pas des événements imprévus et soudains.  Pour ce motif, le bureau de révision considère que la lésion psychique n'est pas indemnisable en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.


La Commission des lésions professionnelles ne partage pas cet avis.  Ce n'est pas parce qu'un événement est susceptible de se produire qu'il ne s'agit pas d'un événement imprévu et soudain.  Ce n'est pas parce qu'un événement est prévisible qu'il n'est pas imprévu et soudain lorsqu'il se produit.

 

Pour qu'un événement soit prévu, il faut en connaître toutes les données: il ne suffit pas de savoir qu'il peut se produire mais il faut savoir quand et comment il va se produire.  Prévisible ne veut pas dire prévu.  Lorsqu'un événement comme celui en cause se produit, on ne peut pas en prévoir le moment ni les circonstances: il s'agit pour chaque cas d'un événement qui, même s'il fait partie des risques reliés à la fonction, n'est certes pas prévu (s'il était  prévu, on pourrait empêcher qu'il se produise et en prévenir les conséquences) et est survenu soudainement.

 

La Commission des lésions professionnelles en arrive donc à la conclusion, contrairement aux instances inférieures, que l'événement du 2 juin 1996 avait le caractère d'imprévu et soudain et pouvait être assimilé à un accident du travail.


Quoi qu'il en soit, cependant, la Commission des lésions professionnelles considère qu'en l'espèce, c'est davantage sous l'angle de la maladie professionnelle que la travailleuse a le droit d'être indemnisée.

 

Le même article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles définit la maladie professionnelle comme suit:

 

«maladie professionnelle»: une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

 

 

 

Il n'est pas contesté dans la présente affaire que la maladie de la travailleuse a été contractée par le fait ou à l'occasion de son travail.  Par ailleurs, la preuve entendue est convaincante à l'effet que les crises d'agressivité des bénéficiaires font partie de l'environnement du travail des éducatrices spécialisées comme la travailleuse.  L'agressivité des bénéficiaires et ses conséquences éventuelles sur la santé physique et mentale des éducatrices font donc partie des risques particuliers de ce travail.


La maladie de la travailleuse lui est donc survenue par le fait ou à l'occasion de son travail et est reliée aux risques particuliers de ce travail.  Il s'agit donc d'une maladie professionnelle en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

ACCUEILLE l'appel de madame Mélanie Roussy;

 

INFIRME la décision rendue le 22 janvier 1997 par le Bureau de révision de la région de Lanaudière;

 

DÉCLARE que madame Mélanie Roussy a été victime d'une maladie professionnelle lui donnant droit à l'indemnisation en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

 

ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail d'indemniser madame Mélanie Roussy conformément aux dispositions de cette loi.

 

 

                      

Réal Brassard

Commissaire


PANNETON, LESSARD

(Me Isabelle Piché)

432, rue de Lanaudière

Joliette (Québec)

J6E 7N2

 

Représentante de la partie intervenante

 



[1]                      La psychologue souligne.

[2]                      idem note 1.

[3]                      idem note 1.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.