Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

19 avril 2004

 

Région :

Montérégie

 

Dossier :

221494-62-0311

 

Dossier CSST :

123804726

 

Commissaire :

Louise Boucher, avocate

 

Membres :

M. Mario Lévesque, associations d’employeurs

 

M. Gaétan Gagnon, associations syndicales

 

Assesseur :

 

André Gaudreau, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Marcel Lachaine

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Entreprises Francer inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]    Le 28 novembre 2003, monsieur Marcel Lachaine (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles, une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 24 octobre 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]    Cette décision confirme une première décision de la CSST datée du 12 juin 2003 et déclare que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle le 23 avril 2003. 

[3]    Aux date et heure fixées pour l’audience, le 7 avril 2004, le travailleur est présent et représenté.  Entreprises Francer inc. (l’employeur) est présent en la personne de monsieur Normand Guilbault, propriétaire.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]    Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la révision administrative et de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle le 23 avril 2003 qui lui donne droit aux bénéfices de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1] (la loi).

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]    Avant de rendre la présente décision, la soussignée a pris connaissance des documents contenus au dossier, a tenu une enquête, a analysé la preuve soumise et a requis l’avis des membres issus des associations syndicales et d’employeurs.

[6]    Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la réclamation du travailleur.  L’événement qu’il allègue n’est pas survenu sur les lieux de son travail, au moment où il était à son travail.  Au surplus, le travailleur ne s’est pas blessé par le fait ni à l’occasion du travail.  L’activité à laquelle il se livrait, au moment de sa chute, était d’ailleurs interdite par son employeur.  Le travailleur n’a pas été victime d’un accident du travail.

[7]    Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la réclamation du travailleur.  L’existence d’une responsabilité contractuelle ou délictuelle de l’employeur n’est pas nécessaire pour conclure qu’un fait accidentel survient à l’occasion du travail.  Le régime d’indemnisation prévu à la loi en est un de responsabilité sans égard à la faute et le tribunal, par conséquent, doit décider de l’existence ou non d’une lésion professionnelle au sens de la loi.  Dans le présent dossier, il y a de plus suffisamment d’éléments pour conclure à un accident du travail car la tâche effectuée par le travailleur, soit aider un travailleur d’une autre compagnie à charger le linge souillé dans le camion à un endroit différent à la suite d’une panne de courant, est un élément concomitant avec son travail même si cette initiative allait à l’encontre des politiques internes de son employeur.  Cette activité n’avait pas de connotation personnelle et de plus, elle était effectuée pendant les heures de travail.  L’événement accidentel non contesté qui a provoqué une blessure est donc assimilable à un accident du travail, puisqu’il est survenu «à l’occasion» du travail.

[8]    Dans la présente affaire, la Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 23 avril 2003.  En particulier, elle doit décider s’il a été victime d’un accident du travail.  Les définitions légales pertinentes se lisent comme suit :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

 

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[9]    L’employeur possède une entreprise de «gestion de textile institutionnel».  Notamment, il détient un contrat au CHSLD Juif de Montréal où le travailleur est assigné.  Son travail consiste à recevoir la lingerie propre qui provient du centre Carcéral Corcan, de livrer les chariots de lingerie sur les unités de soins et de retourner la lingerie souillée par le même livreur [2].  Il est admis par le travailleur que le livreur du centre Carcéral Corcan doit s’occuper seul de la reprise des chariots.  Dans les faits, le travailleur s’occupe du déplacement des chariots à l’intérieur du CHSLD, alors que le livreur s’occupe de leur déplacement à l’extérieur de l’édifice.

[10]           Le 23 avril 2003, le CHSLD connaît une rupture de courant entre 6h00 et 10h30.  Par conséquent, la plate-forme électrique qui sert à la récupération des chariots dans le camion de livraison est en panne et le livreur doit utiliser un endroit différent pour prendre livraison des chariots.  De sa propre initiative, sans autorisation de son employeur, le travailleur décide de donner un coup de main au livreur.  Il sort à l’extérieur de l’édifice avec un chariot rempli de linge souillé dont le poids est évalué à plus ou moins 350 kilogrammes.  Soudainement, le chariot s’emballe, le travailleur glisse et le chariot heurte son genou droit, côté externe.  Le travailleur tombe par terre.  Il perd ses lunettes qui se brisent au sol. 

[11]           L’agente d’indemnisation de la CSST s’entretient avec le livreur qui était sur les lieux au moment de l’événement.  Elle écrit :  Appel au témoin M. Pierre Ste-Marie conducteur du camion.  Celui-ci corrobore les faits et la briserie (sic) des lunettes.  Son témoignage décrit bien les faits à l’effet que le travailleur était à terre mais pas vu la chute. [3]

[12]           Dès la survenance de cet événement, le travailleur ressent une douleur à son genou droit.  Il a, deux ans auparavant, subi une déchirure du ménisque interne à son genou gauche.  Il s’adresse à son supérieur immédiat, monsieur Daniel Guilbault et celui-ci lui offre de le conduire à l’hôpital.  En chemin, le travailleur informe monsieur Guilbault qu’il préfère se rendre dans une clinique médicale située au métro Longueuil.  C’est une clinique qu’il fréquente à l’occasion et l’attente est moins longue qu’à l’hôpital.  Au motif qu’il a le droit de choisir le médecin traitant du travailleur, monsieur Guilbault refuse de le conduire à ladite clinique.  Le travailleur demande dès lors de descendre à une station de métro pour se diriger, lui-même, à sa clinique.

[13]           À la clinique du métro Longueuil, le travailleur rencontre le docteur L. Tremblay.  Dans les notes cliniques versées au dossier, l’examen objectif du genou droit est rapporté normal.  Cependant, le docteur Tremblay remplit quand même une attestation médicale dans laquelle elle inscrit le diagnostic d’entorse du genou droit.  Puisqu’il ressent, au genou droit, une douleur semblable à celle qu’il ressentait lors de sa blessure au genou gauche, le travailleur demande au docteur Tremblay d’être référé au docteur Martine Lévesque, orthopédiste, qui l’avait opéré à cette époque.  Il est examiné par le docteur Lévesque le 25 juin 2003 et celle-ci soupçonne une déchirure du ménisque interne du genou droit.  Elle demande une résonance magnétique, laquelle est faite le 22 août 2003.  Son diagnostic est confirmé, une chirurgie est pratiquée le 21 novembre 2003 et la lésion est consolidée le 5 janvier 2004.

[14]           La CSST, par décision datée du 12 juin 2003, refuse la réclamation du travailleur.  Dans les notes évolutives, les motifs de ce refus sont consignés.  D’abord, il est noté que la version du travailleur n’est pas corroborée par le livreur, puisque celui-ci n’a pas vu l’incident mais seulement le travailleur à terre.  La soussignée, pour sa part, n’a aucune raison de douter de la version du travailleur, d’autant plus qu’elle n’est pas contredite, à l’audience.  Au surplus, si le livreur a vu le travailleur par terre, la présomption est forte pour conclure que celui-ci a tombé.  La chute est donc démontrée. 

[15]           Ensuite, la CSST retient que l’heure de l’événement est différente selon le travailleur et selon ce qui est inscrit sur l’avis de l’employeur.  Pour la soussignée, il est suffisant que tous s’entendent sur le fait que l’événement est survenu au début de la panne de courant, laquelle a duré de 6h00 à 10h30.  Le propriétaire de l’entreprise, présent à l’audience, n’a pas contredit le travailleur sur ce point.

[16]           La CSST reproche également au travailleur d’avoir refusé les soins de l’employeur et pris le métro par lui-même pour aller à la Clinique Métro Stat.  La soussignée s’étonne de ce reproche de la part de la CSST puisque la loi, aux articles 192 et 193, dispose que le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix ainsi qu’aux soins de l’établissement de santé de son choix.  D’autant plus qu’il est normal que le travailleur choisisse de se présenter dans une clinique plutôt qu’à l’urgence d’un centre hospitalier;  c’est l’invitation qui est faite à la population du Québec en ce temps d’engorgement des urgences.  D’autre part, la condition de santé du travailleur n’exigeait pas qu’il se présente spécifiquement à l’urgence d’un centre hospitalier. 

[17]           En effet, la Commission des lésions professionnelles, de par son statut de tribunal spécialisé, comprend que le travailleur ait pu se rendre à la clinique médicale de son choix en utilisant le métro et ce, même en présence d’une déchirure du ménisque interne du genou droit.  Il pouvait se mouvoir.

[18]           La CSST reproche aussi au travailleur d’avoir «donné» lui-même le diagnostic de déchirure du ménisque interne au docteur Tremblay qu’il rencontrait le jour même.  Ce fait est noté par le docteur Mathieu du bureau médical de la CSST, après une conversation téléphonique avec le docteur Tremblay.  La soussignée a interrogé le travailleur à cet effet et les explications de celui-ci sont satisfaisantes.  Au moment de sa chute, le 23 avril 2003, il a ressenti la même douleur qu’il avait connue lorsqu’il s’était infligé une déchirure du ménisque interne au genou gauche, deux ans auparavant.  Il est donc normal qu’il se soit informé de cette possibilité auprès du docteur Tremblay lors de sa première visite médicale.

[19]           Enfin, la CSST s’appuie sur l’opinion du docteur Mathieu de son bureau médical, pour refuser la réclamation du travailleur.  Dans les notes évolutives du 10 juin 2003, le docteur Gilles Mathieu s’exprime ainsi :

«Quand il s’est présenté à la clinique, c’était une blessure à SON ménisque et il ne voulait pas d’examens ou voir de médecin autre que SON spécialiste;  le docteur Tremblay n’était pas de la même opinion.

 

Elle aurait pu faire voir en orthopédie et demander une arthrographie … refusé par le travailleur.  Elle voulait le retourner au travaux légers … refusé par le travailleur.  L’examen était normal.»

 

 

[20]           Cette opinion de la part du bureau médical de la CSST, n’aide en rien le tribunal.  En effet, le docteur Mathieu ne donne pas une opinion basée sur ses connaissances médicales mais plutôt sur sa perception de la crédibilité du travailleur et l’interprétation qu’il fait des événements qui lui sont rapportés.

[21]           Comme mentionné précédemment, la soussignée est satisfaite des explications données par le travailleur concernant sa discussion avec le docteur Tremblay à l’égard d’une possible déchirure du ménisque interne du genou droit.  D’ailleurs, l’évolution de sa condition et les investigations ultérieures lui donneront raison.  Ensuite, là encore, le travailleur avait le droit d’exiger d’être référé à l’orthopédiste de son choix, d’autant plus que dans son cas, il demandait de revoir le spécialiste qui l’avait traité deux ans auparavant pour une blessure similaire.  Quant aux travaux légers que le docteur Tremblay aurait voulu prescrire, il est en preuve, en l’instance, qu’aucun tel travail n’aurait pu être assigné au travailleur.

[22]           Quant à la relation qui peut exister entre le fait accidentel tel qu’allégué et la blessure diagnostiquée, le tribunal en est convaincu.  Le travailleur a mimé, à l’audience, l’événement survenu le 23 avril 2003.  Le chariot a heurté sa jambe droite au niveau du genou, du côté extérieur, au même moment où le travailleur était déséquilibré.  Cette torsion du genou vers l’intérieur est un geste susceptible de provoquer une déchirure du ménisque interne.

[23]           L’événement est donc démontré et la preuve est à l’effet qu’il peut être responsable de la lésion diagnostiquée.  Reste donc à analyser si le travailleur a été victime d’un accident du travail, puisqu’il s’agit de décider si l’événement est survenu par le fait ou à l’occasion du travail.

[24]           Il est en preuve que l’employeur s’occupe de la gestion de la lingerie d’un CHSLD, à l’intérieur de l’édifice et que le travailleur y est assigné.  La gestion de la lingerie, à l’extérieur, est confiée à une autre entreprise.  Il est admis que le 23 avril 2003, une panne de courant empêche le livreur d’utiliser le monte-charge pour prendre livraison des chariots de linge souillé.  Il est admis par le travailleur qu’il décide, de sa propre initiative de lui venir en aide et donc, de sortir à l’extérieur avec son chariot.  C’est au moment où il se trouve à l’extérieur de l’édifice, qu’il se blesse au genou droit.

[25]           Pour décider si un événement est survenu «à l’occasion du travail», certains critères ont été dégagés par la jurisprudence du tribunal [4], critères qui ne sont pas limitatifs ni ne doivent être pris isolément, chaque cas devant être apprécié au mérite [5].  Il s’agit, notamment, du lieu de l’événement, du moment de l’événement, de la rémunération de l’activité exercée par le travailleur au moment de l’événement, de l’existence et du degré d’autorité ou de subordination de l’employeur, de la finalité de l’activité exercée au moment de l’événement par rapport aux conditions de travail, de l’utilité relative de l’activité exercée par le travailleur en regard de l’accomplissement de son travail, des circonstances entourant l’événement et sa nature.

[26]           Le travailleur exerce ses tâches à l’intérieur de l’édifice et non à l’extérieur.  Comme déjà mentionné, le 23 avril 2003, il se blesse à l’extérieur.  Dans l’affaire Ouellette et Terminal Termont [6], la commissaire analyse la jurisprudence concernant l’expression «lieux de travail» et conclut en ces termes :

« (…)  le lieu de travail comprend le poste de travail, les environs immédiats, de même que l’intérieur et l’extérieur de l’établissement de l’employeur et les locaux mis à la disposition par l’employeur.  Ainsi, les voies d’accès intérieures et extérieures des lieux de travail sont incluses.»

 

 

[27]           En l’instance, le travailleur se blesse à l’extérieur de l’édifice où s’exercent ses tâches.  Force est de constater qu’il se blesse sur les lieux de travail au sens élargi donné à ce terme par la jurisprudence.

[28]           La preuve démontre que le travailleur se blesse à l’intérieur de son quart de travail.  Il débute son quart à 6h30 et l’événement se produit dans les minutes qui suivent.  À l’audience, il a été question de l’exactitude de l’heure de l’événement, puisque cette heure fluctue selon les déclarations du travailleur.  Parfois, il se produit à 6h40, parfois à 7h40.  Mais la soussignée n’en tient pas rigueur au travailleur puisqu’il n’est aucunement contredit sur la survenance de l’événement, à l’intérieur de la période où une panne de courant affectait l’édifice, soit entre 6h00 et 10h30.  De plus, il n’est pas porté à la connaissance de la soussignée que le travailleur était en pause, lors de cet événement. 

[29]           Aussi, rien dans la preuve soumise en l’instance ne peut amener la soussignée à conclure que le travailleur n’était pas rémunéré au moment où il effectuait une livraison de son chariot au camion, à l’extérieur de l’édifice.  Tout comme au paragraphe précédent, la preuve démontre qu’il agissait à l’intérieur de son quart rémunéré de travail.

[30]           À ce stade-ci, la preuve démontre que l’événement est survenu sur les lieux du travail et pendant le quart de travail rémunéré du travailleur.  Qu’en est-il maintenant des critères concernant l’existence ou le degré de subordination, la finalité de l’activité et sa connexité avec le travail.

[31]           Après avoir entendu le témoignage du travailleur, l’employeur informait la soussignée qu’il n’avait aucune preuve à offrir.  Après avoir entendu l’argumentation du représentant du travailleur, l’employeur demandait à la soussignée de réouvrir l’enquête pour lui permettre de faire témoigner monsieur Daniel Guilbault.  Il voulait mettre en preuve que celui-ci, le 23 avril 2003, avait «ordonné» au travailleur de demeurer à son poste pendant la panne de courant.  La soussignée, après avoir requis l’avis des membres issus d’associations, lesquels étaient d’avis de refuser cette demande, rendait une décision en ce sens.  La demande de l’employeur était tardive et le travailleur, dans son témoignage, avait admis qu’il avait agi de sa propre initiative.

[32]           Est-ce à dire que cette initiative est suffisante pour conclure que le travailleur a quitté la sphère professionnelle lorsqu’il a décidé d’aider le livreur ?  La soussignée ne le croit pas.  Le travailleur est demeuré dans les lieux immédiats de son travail et il est venu en aide à un livreur qui venait récupérer les chariots qu’il avait lui-même amenés à l’endroit désigné par son employeur.  Au surplus, le travailleur a pris cette décision dans des circonstances tout à fait particulières, c’est-à-dire une panne de courant qui empêchait le livreur de se servir des monte-charge.  Rien ne peut amener la soussignée à conclure que le travailleur se livrait à une activité personnelle. 

[33]           Nous le répétons, le seul motif ayant guidé le travailleur lorsqu’il a décidé d’aider le livreur, concerne son travail.  Quotidiennement, les tâches du travailleur consistent à remplir et avancer des chariots à un endroit précis.  Un livreur, employé d’une autre compagnie, les prend et les charge dans son camion.  Le matin du 23 avril 2003, les monte-charge ne fonctionnent pas et le travailleur décide de rendre service au livreur en lui amenant les chariots à un autre endroit.  La soussignée estime que ces faits doivent être placés dans leur contexte pour être correctement analysés.  Le travailleur n’a pas décidé d’aller prêter main forte à n’importe quelle autre personne qui se livrait à n’importe quelle activité étrangère à son travail. Il n’a pas décidé d’aller aider un conducteur, à l’extérieur, à changer un pneu; il n’a pas décidé d’aller aider un travailleur qui se consacrait à l’entretien paysager, ni à la maintenance de l’édifice.  Il a décidé d’aider un travailleur dont les tâches consistent à assurer la continuité du contrat de nettoyage de la lingerie du CHSLD. 

[34]           Pour les mêmes motifs que ceux dégagés dans les paragraphes précédents, la soussignée estime que l’activité à laquelle se livrait le travailleur revêt un caractère de connexité avec son travail.  Il est indéniable que l’employeur bénéficie de la bonne entente qui existe entre ses employés et ceux de l’entreprise de livraison. 

[35]           Pour toutes ces raisons, la soussignée est d’opinion que l’événement survenu le 23 avril 2003 est survenu à l’occasion du travail du travailleur.  Au surplus, elle estime pertinent de reproduire de larges extraits de la décision Olymel Flamingo et Morier, déjà citée, où la commissaire rappelle les principes qui doivent guider l’interprétation de la loi qui nous gouverne.  Elle s’exprime ainsi :

« [38]  La Commission des lésions professionnelles note que lorsque la jurisprudence a fait état d’un critère de victime innocente, ce n’était pas tant pour déterminer si le travailleur était le générateur de l’agression, puisque l’article 25 de la loi prévoit expressément que les droits conférés par la loi le sont sans égard à la responsabilité de quiconque mais dans l’analyse du lien de connexité aux fins de déterminer si le travailleur agissait alors dans une sphère qui lui était purement personnelle, sans lien de connexité avec le travail. L’article 27 de la loi précise de plus qu’une blessure qui survient uniquement à cause de la négligence grossière et volontaire du travailleur qui en est victime n’est pas une lésion professionnelle, à moins qu’elle entraîne le décès du travailleur ou qu’elle lui cause une atteinte permanente grave à son intégrité physique ou psychique.

 

 

[39]  Considérant que la définition d’accident du travail précise expressément que l’événement imprévu et soudain (en l’occurrence l’agression) peut être attribuable à « toute cause », il ne faut pas faire en sorte que la recherche de la cause de l’agression soit un moyen de vider de son sens les termes « attribuable à toute cause ». Il serait, en effet, inéquitable qu’une agression par un voleur à main armée soit traitée différemment par les tribunaux (ex. stress post-traumatique accepté comme accident de travail) d’une agression faite par des collègues de travail où il y a des blessures physiques, alors que dans les deux cas, le travailleur est à son poste de travail à effectuer son travail au moment de l’agression. Rappelons que la Commission des lésions professionnelles doit rendre des décisions suivant l’équité, d’après le mérite réel et la justice du cas, comme le précise l’article 351 de la loi.»

 

 

[36]           Les faits ayant amené la commissaire Lampron à décider comme ci-dessus rapporté, sont évidemment différents de ceux en l’instance.  Cependant, les principes concernant l’interprétation de la loi qui nous gouverne sont les mêmes et c’est en ce sens que la soussignée s’y réfère :  les droits conférés par la loi le sont sans égard à la responsabilité de quiconque (article 25).   

[37]           Enfin, dans cette même décision, la commissaire Lampron, se référant à la doctrine [7], écrit que la Commission des lésions professionnelles considère que l’événement peut être considéré comme étant survenu «à l’occasion» du travail qu’exerçait alors le travailleur puisque la preuve est prépondérante pour conclure que le «travail de la victime a été le prétexte sans lequel l’accident ne serait pas survenu».  La soussignée en arrive à la même conclusion aux présentes.  Le travail a été le prétexte de la survenance de l’accident du 23 avril 2003. 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de monsieur Marcel Lachaine;

INFIRME la décision rendue le 24 octobre 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que monsieur Marcel Lachaine a subi une lésion professionnelle le 23 avril 2003 et qu’il a droit, par conséquent, aux bénéfices de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. 

 

 

__________________________________

 

Louise Boucher, avocate

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Jonathan Paré

Paré, Dufour, avocats

Représentant de la partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]          L.R.Q. c. A-3.001

[2]          Lettre signée par l’employeur et datée du 23 avril 2003

[3]          Notes évolutives, dossier CSST, 15 mai 2003

[4]          Plomberie et Chauffage Plombec inc. et Deslongchamps, CALP, 51232-64-9305, 95-01-17, B. Lemay

[5]          Olymel Flamingo et Morier, 152565-62B-0012, 03-03-25, M.-D. Lampron

[6]          CALP, 73196-62-9509, 96-10-08, M. Lamarre

[7]          Beaudoin, J.L.,  La responsabilité civile délictuelle, Y. Blais, Cowansville, 1985, p. 465

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.