Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Brodeur et Ferme P. & M. Brodeur inc.

2013 QCCLP 2049

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Hyacinthe

26 mars 2013

 

Région :

Yamaska

 

Dossier :

489092-62B-1211

 

Dossier CSST :

139838601

 

Commissaire :

Michel Watkins, juge administratif

 

Membres :

Normand Bédard, associations d’employeurs

 

Jean-Yves Malo, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Pierre Brodeur

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Ferme P & M Brodeur inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 29 novembre 2012, monsieur Pierre Brodeur (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 2 novembre 2012 lors d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 28 septembre 2012, déclare que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle le 21 juillet 2012 et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]           L’audience s’est tenue à Saint-Hyacinthe le 20 mars 2013 en présence du travailleur, qui n’est pas représenté, et de la CSST, représentée par un procureur. Le dossier est mis en délibéré le même jour.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a subi, le 21 juillet 2012, une lésion professionnelle, à savoir une lombosciatalgie droite et une hernie discale L2-L3, et qu’il a droit aux prestations prévues à la loi.

LES FAITS

[5]           Monsieur Pierre Brodeur, âgé de 61 ans, est producteur agricole depuis une quarantaine d’années, possédant une ferme sur laquelle il produit du maïs et du soya, alternant les années de production de ces produits. Par ailleurs, son entreprise, Ferme P & M Brodeur inc.[2] fait également l’élevage de volailles, soit du poulet.

[6]           Le 27 août 2012, monsieur Brodeur produit une réclamation à la CSST, alléguant avoir subi une lésion professionnelle le 21 juillet 2012. Au formulaire « Réclamation du travailleur », monsieur Brodeur donne la description suivante de « l’événement » :

J’ai une ferme sur le rang la Barbue à St-Césaire qui cette année est semée en soya et il y avait des cotons de maïs parmi le soya. Je suis allé arracher des cotons de maïs de 8 HRES AM à 12.30 PM. Le lendemain matin quand je me suis levé j’avais mal au bas du corps côté droit à partir de la hanche jusqu’aux orteils. C’est après 2 semaines à partir de là que je me suis résigné à aller à l’urgence de l’hôpital Brome Mississiquoi Perkins c’est-à-dire le 5-8-12 que j’ai rencontré le médecin de garde de l’urgence et qui après m’avoir examiné a décidé de m’hospitaliser. [sic]

 

[7]           Tel qu’il appert du dossier, au moment de la production de cette réclamation à la CSST, le travailleur, bien qu’il ait rencontré de multiples médecins au cours d’une hospitalisation qui l’a précédée, ne soumet aucune attestation médicale pour la CSST qui aurait été remplie par l’un de ces médecins lors de l’hospitalisation.

[8]           Toutefois, en vue de procéder à l’analyse de la réclamation faite par le travailleur, la CSST a documenté le dossier, obtenant diverses notes de consultation des médecins rencontrés par le travailleur à compter du 5 août 2012. De plus, le travailleur a témoigné des circonstances l’ayant amené à consulter un médecin et à produire sa réclamation à la CSST.

[9]           De ces éléments le tribunal retient, tel que le travailleur l’a expliqué à l’audience, que le 21 juillet 2012, il a procédé à l’arrachage de tiges de maïs qui poussaient dans son champ semé de soya.

[10]        Monsieur Brodeur indique qu’il y avait beaucoup de telles tiges de maïs de sorte qu’avec l’aide de deux autres personnes, il estime avoir dû arracher plus de 1500 tiges de maïs entre 8 h et midi trente le 21 juillet 2012. Il ajoute que « c’était la première fois qu’il avait à arracher du maïs dans son soya ».

[11]        Monsieur Brodeur précise que chaque tige de maïs mesure environ quatre pieds de hauteur et a une circonférence d’environ un pouce. Pour arracher cette tige, monsieur Brodeur explique qu’il effectue une flexion antérieure du tronc à 90° afin de saisir la tige à environ six pouces du sol et qu’à l’aide de ses deux mains, il saisit la tige et l’arrache en effectuant une traction vers lui, et non à la verticale. Monsieur Brodeur ajoute qu’il y a de la résistance lors de l’arrachement. Après l’arrachement de la tige de maïs, il la laisse sur le sol.

[12]        Monsieur Brodeur indique avoir quitté le travail vers midi trente pour aller dîner au restaurant McDonald’s et affirme que par la suite, il n’a pas retravaillé en après-midi. Il affirme qu’il ressentait alors de la douleur au dos et des élancements dans sa jambe droite.

[13]        Le travailleur ajoute que le lendemain matin, il avait encore mal ce qui fait en sorte qu’il a demandé à son employé de « faire le tour des poulaillers », tâche nécessitant de vérifier que de la moulée et de l’eau soient disponibles pour les poules, de vérifier le fonctionnement de la ventilation et, enfin, de ramasser les poulets morts.

[14]        Monsieur Brodeur témoigne qu’il ne va pas consulter à ce moment, croyant que sa douleur passerait.

[15]        Par la suite, il affirme avoir continué à travailler dans les semaines suivantes, mais qu’il se limitait à « aller voir les poulets » ce qui, à son avis, n’est pas très contraignant.

[16]        La douleur et les élancements ne disparaissant pas, monsieur Brodeur indique s’être présenté à l’hôpital de Granby le 4 août 2012 et, après une longue attente, avoir rencontré un médecin, le Dr Gresley, qui après lui avoir dit « qu’il n’avait rien », lui a prescrit de la morphine, des anti-inflammatoires et du Tylénol[3].

[17]        Monsieur Brodeur ajoute que le 5 août 2012, il s’est présenté à l’hôpital de Cowansville et, de nouveau après une longue attente, a pu rencontrer un médecin. Il affirme avoir décrit à ce médecin les circonstances de l’apparition de sa douleur le 21 juillet précédent.

[18]        À sa note de consultation, ce premier médecin rencontré par le travailleur[4] rapporte ceci :

Homme , 60 ans

RC : Dlr jambe droite

AP : Néo prostate (tx radiothérapie et curiethérapie)

Pas AF pertinent, pas Rx

HMA : Dlr jambe D X plusieurs semaines augmentées le 21/07/2012 lors de travaux à la ferme

Boiterie +

Pas température

Pas de trauma

ATCD de néo prostatique avec dlr hanche D

E/O : Tripode + à D

[…]

IMP : DLR abdo d’étiologie indéterminée.

CAT : scan abdo pelvien ce jour

 

[Nos soulignements]

 

[19]        Par la suite, tel que le révèle le dossier, le travailleur sera hospitalisé à compter du 5 août 2012, et ce, jusqu’au 30 août 2012. On l’investiguera en raison des douleurs à sa jambe droite, mais également au niveau de son abdomen. Ultimement, il sera déterminé que le travailleur présente des pierres à la vésicule biliaire et il sera opéré pour cette condition le 28 août 2012[5].

[20]        Aussi, on retrouve au dossier du tribunal divers résultats de tests réalisés et d’autres notes de consultations produites par les médecins rencontrés par le travailleur lors de son hospitalisation. Parmi ces documents, le tribunal retient particulièrement les suivants.

[21]         Le 6 août 2012, un scan abdomino-pelvien avec injection est fait et révèle la présence d’une cholécistase au sein de la vésicule biliaire du travailleur. De même, un scan du rachis lombaire du travailleur, révèle ceci :

Constatations radiologiques:

Pincement discal modéré L3-L4. Légers pincements discaux L4-L5 et L5-S1. Ostéophytose marginale antérieure étagée. Image suggérant une vertèbre limbique au coin antéro-supérieur de L3.

 

Espace L2-L3:

Bombement discal postérieur à base large venant au contact avec la racine L3 gauche en postforaminal et avec la racine L3 droite en postforaminal également. Pas de sténose spinale.

 

Espace L3-L4:

Bombement discal postérieur à base large causant une sténose spinale légère avec un diamètre minimal à 8.5 mm en ap. Contact étroit entre le bombement discal et la racine L3 gauche en post-foraminal.

 

Espace L4-L5:

Léger bombement discal postérieur à base large. Pas d’évidence de compromis radiculaire associé avec la racine L4. Par contre, les deux racines L5 près de leur origine sont au contact étroit avec le bombement discal postérieur. On note une certaine déformation triangulaire du canal spinal secondaire au bombement discal et à l’hypertrophie des ligaments jaunes sans franche sténose spinale.

 

Espace L5-S1:

Pas d’évidence de franc compromis radiculaire ou sténose spinale. Petite protrusion discale postérieure centrale. Pas de lésion osseuse d’allure agressive sur le champ d’études.

 

Légère arthrose facettaire bilatérale L5-S1, arthrose facettaire L4-L5 légère à gauche et au plus modérée à droite, arthrose facettaire bilatérale L2-L3, modérée a sévère L1-L2 à droite et modérée à gauche. Remaniement osseux ostéo-condensant dans la région sacro-iliaque postérieure gauche avec des signes associés d’ankylose osseuse partielle. Séquelles post-sacro-iliite?

 

 

[22]        Le même jour, une note de consultation en chirurgie[6] fait état de ceci :

HMA : Dlr fesse + jambe D X 2 semaines, X qqe jours, dlr inguinale maximale; pas dlr abdo, sauf à la palpation;

 

Donc, homme 61 ans; Pas hernie inguinale; dlr inguinale musculo-squel. + probable

 

 

[23]        Une autre note, rédigée le 7 août par un autre médecin[7], fait état de ceci :

H.P.I. : X 2 weeks, progressive right lower extremity pain and right groin pain X few days;

Pain W. mobilization; no pain at rest; no trauma; pain different from previous chronic pain.

 

(Nos soulignements)

 

[24]        Le même jour, une radiographie de la colonne lombosacrée du travailleur est faite et montre ceci :

Discrète convexité vers la droite du rachis lombaire. Ostéophytose marginale antérieure étagée. Pas d’évidence d’affaissement osseux vertébral. Arthrose facettaire postérieure significative bilatérale aux trois derniers niveaux lombaires. Légers pincements discaux étagés de L2-L3 à L5-S1. Densité et remaniement surajouté au coin supéro-antérieur de la vertèbre L3 suggestifs d’une vertèbre limbique.

 

[25]        Puis, le 15 août 2012, un autre médecin[8] note que le travailleur présente une lombosciatalgie droite et il fait état qu’en « 2005, incident de douleur à la jambe; physiatre/Lyrica/arrêt de travail » et « qu’il y a 3 semaines, reprise de douleur sévère ».

[26]        Enfin, à la feuille sommaire d’hospitalisation, remplie le 30 août 2012, soit la date de départ du travailleur, il est mentionné que le travailleur a été admis en raison d’une lombosciatalgie droite et que l’on a pu constater la présence d’autres diagnostics chez lui, soit ceux de hernie discale L2-L3 en contact avec la racine à L3 ainsi que d’arthrose facettaire. Par ailleurs, il est indiqué que durant son hospitalisation, le travailleur a subi une endocholecystectomie par le Dr Lebel et reçu des épidurales le 16 et le 24 août 2012. Dans la note de départ, le Dr Michaud écrit ceci :

Pt connu avec lombalgie mécanique X 1995.

Fin juillet, augmentation travail agricole avec développement dlr sévère sur dermatome L2-L3 + sciatalgie et atteinte fonctionnelle sévère (aucun AVD ou AVQ) .

 

[27]        Tel qu’indiqué précédemment, le 27 août 2012, le travailleur remplit et signe un formulaire de réclamation à la CSST.

[28]        Le 5 septembre 2012, l’agente Walcott de la CSST téléphone au travailleur et note ceci :

Appel fait à T 2012-09-05 - Délai de consultation

 

T dit qu’il croyait que douleur passerait avec le temps.

T me mentionne avoir consulté un chiro à deux reprises et dit s’être frotté avec de l’onguent à cheval.

 

T me mentionne aussi que la douleur empirait toujours et qu’il ne pouvait plus marcher.

 

T a donc décidé de consulter à l’hôpital de Granby le 2012-08-04 mais le médecin de I’hôpital lui a seulement prescrit de la morphine.

 

T a consulté à nouveau à l’hôpital de Cowansville le 2012-08-05 et T a été hospitalisé du 5 au 30 août.

 

[29]        Puis, le 10 septembre 2012, le travailleur rencontre la Dre Nathalie Lebrun, son médecin de famille, et celle-ci lui remet un « rapport médical » pour la CSST sur lequel le médecin ne pose aucun diagnostic, alors qu’elle indique ceci :

Fup hospitalisation BMP.

Amélioration notable mais nécessite 3e infiltration.; épidurale prévue 14/9; fait exercices à domicile de physio;

Gardons arrêt de travail + ss Rx; RV début oct. [9]

 

 

[30]        Le 26 septembre 2012, l’agente Renaud de la CSST communique de nouveau avec le travailleur en vue de procéder à une cueillette d’information et note :

Appel au T:

 

Description de l’événement:

- Le T a arraché des coton de maïs qui poussaient dans son champs de soya.

- Le T a fait cette tâche manuellement à l’aide de ses mains.

- Le lendemain, à son réveil, le T constate un douleur au bas du dos du côté droit.

- Le T continue à faire son travail jusqu’au 3 août 2012.

 

Apparition de la douleur:

- Le T affirme qu’il n’avait aucune douleur au dos en débutant son quart de travail, le jour

  de l’événement.

- La douleur au dos est apparue, à son réveil, le lendemain matin.

- Le T s’est frotté pour tenter de se soulager.

- Le T a décidé de consulter un md le 4 août 2012 à l’Hôpital de Granby puis le 5 août

  2012 à l’Hôpital de Cowansville BMP.

 

- Le T confirme qu’aucun RM CSST n’a été émis.

- Le T confirme que la seule ATM est celle datée du 10 septembre 2012 par le Dr Lebrun.

- Le T a eu 3 infiltrations. [sic]

 

[Nos soulignements]

 

[31]        Interrogé sur les constats rapportés par l’agente Renaud à cette note, le travailleur réitère avoir ressenti de la douleur et des élancements à sa jambe droite dès le 21 juillet 2012 après avoir arraché ses tiges de maïs et non pas le lendemain matin à son réveil. Par ailleurs, il précise avoir continué à travailler jusqu’au 3 août, mais à s’occuper seulement de son poulailler, ce qui n’est pas exigeant au point de vue physique.

[32]        Le 28 septembre 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la réclamation du travailleur.

[33]        Le 14 octobre 2012, monsieur Brodeur demande la révision de cette décision et, le 25 octobre 2012, il soumet ses observations à la réviseure, madame Kassandra Doyon. La réviseure note alors ceci :

Appel T - Pierre Brodeur - 14:45

Je lui pose des questions relativement à son dossier et il me soumet ses observations. Il me dit qu’il a passé sa journée du 21 juillet à arracher des cotons de maïs et qu’il a ressenti une douleur le lendemain de la hanche jusqu’aux orteils. Il m’indique qu’il a tardé a consulté un médecin car il pensait que la douleur allait passer.

 

Je lui indique que je n’ai pas de diagnostic sur le billet médical de la CSST. Il m’informe que le dx retenu est celui de hernie discale L2-L3.

 

Je l’informe des motifs pour lesquels je maintiendrai la décision. Le T n’est pas d’accord et dit qu’il va contester ma décision.

 

[Nos soulignements]

 

 

[34]        Le 2 novembre 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle confirme son refus de reconnaître que le travailleur aurait subi une lésion professionnelle, d’où le présent litige.

[35]        Le 22 novembre 2012, le travailleur présente une demande d’indemnisation auprès de Desjardins Sécurité financière, chez qui il a souscrit une assurance invalidité. Dans cette demande, remplie par la Dre Lebrun, le médecin fait état d’un « diagnostic principal » de lombosciatalgie droite sévère secondaire à hernie discale L2-L3 en contact avec racine L3 ainsi que d’arthrose facettaire. Le médecin ajoute que dans le passé, « le patient a déjà reçu des traitements médicaux pour une hernie discale L4-L5 ».

[36]        Cette demande d’indemnisation a été acceptée, selon le témoignage du travailleur.

[37]        Interrogé par le tribunal, ainsi que par la procureure de la CSST, relativement aux divers documents apparaissant au dossier et qui font tous état d’antécédents douloureux au niveau dorsolombaire, monsieur Brodeur a manifestement rendu des réponses pour le moins évasives.

[38]        D’emblée, Monsieur Brodeur a nié avoir eu des antécédents douloureux au dos avant le 21 juillet 2012.

[39]        Confronté par le tribunal à la note de consultation initiale d’un médecin lors de son admission à l’hôpital le 5 août 2012, voulant qu’il présentait une douleur à la jambe droite depuis plusieurs semaines, douleurs qui auraient été augmentées le 21 juillet à la suite de son travail à la ferme, monsieur Brodeur nie cela, précisant que ses douleurs ont commencé le 21 juillet 2012.

[40]        Confronté alors par le tribunal à la note de consultation du 30 août 2012 qui fait état chez lui d’une lombalgie chronique depuis 1995, monsieur Brodeur, après un peu de réticence, se souvient s’être blessé au dos en 1984 alors qu’il se serait cogné sur un coffre d’outils, ayant dû alors être hospitalisé.

[41]        Puis, à la lumière des résultats du scan lombaire, réalisé lors de son hospitalisation, démontrant la présence de hernies discales à différents niveaux de sa colonne, monsieur Brodeur concède qu’il savait « qu’il devait faire attention à son dos » depuis plusieurs années.

[42]        Interrogé plus avant, il se rappelle également avoir déjà été référé dans le passé à Cowansville à la Dre Nathalie Perreault, orthopédiste, pour des douleurs lombaires.

[43]        À ce sujet, contre-interrogé par la procureure de la CSST, le travailleur indique, tel que rapporté à la note de consultation du 15 août 2012, qu’en 2005 il a effectivement été référé à la Dre Perreault, et ce, en raison de « problèmes au niveau L4-L5 ». Le médecin lui a alors prescrit du Lyrica.

[44]        Enfin, et surtout, le travailleur explique qu’il a revu la Dre Perreault, en avril ou mai 2012, en raison d’engourdissements à sa jambe droite. Le Dr Perreault lui a alors demandé de passer un scan, lequel devait avoir lieu le 6 août 2012. Aussi, lorsqu’il s’est présenté au service d’urgence de l’hôpital de Cowansville le 5 août 2012, il a fait état de cette demande de la Dre Perreault au personnel soignant.

[45]        Le travailleur termine son témoignage en indiquant avoir revu la Dre Lebrun récemment et que son médecin lui aurait dit que « ce n’était pas la hernie discale L2-L3 qui causait son problème, mais que celui-ci était plutôt au bas du dos ». La Dre Lebrun a demandé une consultation en neurochirurgie pour le travailleur.

L’AVIS DES MEMBRES

[46]        Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs partagent le même avis et croient que la requête du travailleur doit être rejetée.

[47]        Les membres sont d’avis que le travailleur n’a pas établi que la douleur qu’il a ressentie à la suite de l’arrachage de tiges de maïs le 21 juillet 2012 est en relation avec les diagnostics ultérieurement posés de lombosciatalgie, de hernie discale L2-L3 sur contact avec la racine L3 et d’arthrose facettaire.

[48]        Pour les membres, le travailleur ne peut bénéficier de la présomption de lésion professionnelle édictée par l’article 28 de la loi dans la mesure où les diagnostics retenus ne constituent pas une « blessure » au sens de cette disposition.

[49]        À cet égard, les membres retiennent un manque de crédibilité dans le témoignage du travailleur quant aux circonstances entourant l’apparition de ses douleurs et relativement aux antécédents de lombalgie chronique, notés au dossier, mais que le travailleur a tenté d’éluder.

[50]        Par ailleurs, les membres sont d’avis que le travailleur n’a pas établi la survenue d’un événement imprévu et soudain au travail le 21 juillet 2012, de sorte qu’il n’a pas subi un « accident du travail » à cette date.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[51]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 21 juillet 2012 et s’il a droit aux prestations prévues à la loi.

[52]        En l’espèce, il est exceptionnel que l’on ne retrouve au dossier qu’une seule attestation médicale produite pour la CSST, soit le rapport daté du 10 septembre 2012 émis par la Dre Lebrun et sur lequel aucun diagnostic n’est posé, le médecin ne faisant état que d’un suivi post-hospitalisation du travailleur.

[53]        Néanmoins, le tribunal considère que l’analyse faite par la CSST, dans sa décision du 2 novembre 2012 rendue en révision administrative et voulant qu’il y ait lieu en l’espèce de retenir les diagnostics de lombosciatalgie droite et de hernie discale L2-L3 sur contact avec la racine L3 et arthrose facettaire, est correcte.

[54]        En effet, ces diagnostics ont été posés chez le travailleur à la suite de sa consultation initiale le 5 août 2012, menant à son hospitalisation, et lors du scan réalisé durant cette hospitalisation. Enfin, tel est le diagnostic posé par la Dre Lebrun au formulaire de demande d’indemnisation présenté le 22 novembre 2012 auprès de l’assureur Desjardins Sécurité financière.

[55]        C’est donc sur la base de ces diagnostics que le tribunal entend analyser le présent litige.

[56]        La loi donne les définitions suivantes :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

 

[57]        D’emblée, le tribunal est d’avis que la preuve disponible ne permet pas de conclure à la survenue d’une maladie professionnelle chez le travailleur. Aucun des médecins consultés par le travailleur lors de son hospitalisation n’a fait référence à une telle possibilité et la Dre Lebrun, à son attestation médicale, ne pose aucun diagnostic.

[58]        Par ailleurs, il est manifeste, de la réclamation produite par le travailleur ainsi que lors de son témoignage, que monsieur Brodeur attribue à un travail très précis, l’arrachage le 21 juillet 2012 de tiges de maïs présentes dans son champ de soya, la survenue d’une douleur lombaire et d’engourdissement à sa jambe droite. Visiblement, dans ce contexte, c’est à la « notion d’accident du travail » que fait référence le travailleur et le soussigné est d’avis que c’est sous ce seul angle qu’il convient d’analyser cette réclamation.

[59]        De l’avis du tribunal, le travailleur n’a pas davantage subi un « accident du travail » au sens donné à ce terme à la loi.

[60]        Le tribunal souligne qu’en cette matière, le travailleur peut, selon certaines conditions, bénéficier de l’application d’une présomption. Si elle s’applique, on présume alors de l’existence d’une lésion professionnelle. L’application de la présomption exempte le travailleur de prouver la notion d’accident du travail.

 

[61]        L’article 28 de la loi crée cette présomption comme suit :

28.  Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.

 

 

[62]        Pour bénéficier de la présomption de l’article 28 de la loi, le travailleur doit établir de façon prépondérante l’existence des trois éléments suivants : il a subi une blessure, cette blessure est arrivée sur les lieux du travail, alors qu’il était à son travail.

[63]        Dans l’affaire Boies et CSSS Québec-Nord et CSST[10], un banc composé de trois juges du tribunal a procédé à l’analyse exhaustive des critères permettant l’application de la présomption de l’article 28 de la loi et le tribunal résume et synthétise l’ensemble de son analyse ainsi :

[185]    Il n’existe aucune condition d’application de la présomption de l’article 28 de la loi, autre que celles énoncées à cette disposition. Toutefois, certains indices peuvent être pris en compte par le tribunal dans le cadre de l’exercice d’appréciation de la force probante de la version du travailleur visant la démonstration de ces trois conditions, notamment :

 

-           le moment d’apparition des premiers symptômes associés à la lésion  alléguée par le travailleur avec l’événement;

 

-           l’existence d’un délai entre le moment où le travailleur prétend à la survenance de la blessure ou de l’événement en cause et la première visite médicale où l’existence de cette blessure est constatée par un médecin. On parle alors du délai à diagnostiquer la blessure;

 

-           l’existence d’un délai entre le moment où le travailleur prétend à la survenance de la blessure ou de l’événement en cause et la première déclaration à l’employeur. On parle alors du délai à déclarer;

 

-           la poursuite des activités normales de travail malgré la blessure alléguée;

 

-           l’existence de douleurs ou de symptômes dont se plaint le travailleur avant la date alléguée de la blessure;

 

-           l’existence de diagnostics différents ou imprécis;

 

-           la crédibilité du travailleur (lorsque les versions de l’événement en cause ou les circonstances d’apparition de la blessure sont imprécises, incohérentes, voire contradictoires, ou lorsque le travailleur bonifie sa version à chaque occasion);

 

-           la présence d’une condition personnelle symptomatique le jour des faits allégués à l’origine de la blessure;

 

-           le tribunal juge qu’on ne doit pas exiger, au stade de l’application de la présomption, la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le travail et la blessure; autrement cette exigence viderait de son sens la présomption qui cherche précisément à éviter de faire une telle démonstration.

 

[186]    En résumé et sans restreindre la généralité des propos précédents, le tribunal juge applicables, relativement à la notion de « blessure », les principes suivants :

 

-           à moins d’avoir été contesté par la CSST ou l’employeur, au moyen de la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi, le diagnostic retenu par le médecin qui a charge lie le tribunal;

 

-           le libellé de ce diagnostic peut révéler d’emblée l’existence d’une  blessure;

 

-           le diagnostic évoquant des symptômes ou des douleurs (par exemple « algie ») peut aussi sous-tendre l’existence d’une blessure : c’est alors l’analyse de l’ensemble du tableau clinique qui permettra de déceler des signes objectifs révélateurs de l’existence de la blessure; (ex. : spasme, contracture, hématome, ecchymose, épanchement, contusion, etc.);

 

-           sans proscrire la référence ou le recours aux dictionnaires d’usage courant pour interpréter  la notion de « blessure », il faut se garder de restreindre le sens de ce terme aux seuls définitions et exemples donnés par ces ouvrages;

 

-           la notion de « blessure » doit s’interpréter dans le contexte de la loi : c’est la recherche de l’intention du législateur qui doit prévaloir;

 

-           la notion de « blessure » comporte généralement les caractéristiques suivantes :

 

-           il s’agit d’une lésion provoquée par un agent vulnérant extérieur de nature physique ou chimique, à l’exclusion des agents biologiques comme par exemple des virus ou des bactéries.

 

-           il n’y a pas de temps de latence en regard de l’apparition de la lésion, c'est-à-dire que la lésion apparaît de façon instantanée. Dans le cas d’une maladie, il y a au contraire une période de latence ou un temps durant lequel les symptômes ne se sont pas encore manifestés.

 

-           la lésion entraîne une perturbation dans la texture des organes ou une modification dans la structure d’une partie de l’organisme.

 

-           l’identification d’une blessure n’a pas à être précédée de la recherche de sa cause et de son étiologie;

 

-           bien qu’il ne soit pas nécessaire d’en rechercher la cause ou l’étiologie, la blessure pourra résulter d’un traumatisme direct au site anatomique où elle est observée : on parlera alors, à juste titre, d’une blessure provoquée par un agent vulnérant externe ou encore une exposition à un tel agent, comme l’engelure ou l’insolation, etc.;

 

-           la blessure diagnostiquée peut aussi résulter de la sollicitation d’un membre, d’un muscle ou d’un tendon dans l’exercice d’une tâche ou d’une activité; ce type de blessure provoque un malaise ou une douleur qui entrave ou diminue le fonctionnement ou la capacité d’un organe ou d’un membre;

 

-           quant à la lésion dont le diagnostic est de nature mixte, (c'est-à-dire celle qui peut être reconnue à titre de blessure ou de maladie), sa reconnaissance comme de blessure se fait sans égard à la cause ou à l’étiologie. Ce sont les circonstances entourant son apparition qui doivent être appréciées, notamment l’apparition d’une douleur subite ou concomitante à la sollicitation de la région anatomique lésée.

 

[187]  Sur les deux dernières conditions d’application de l’article 28 de la loi, le tribunal retient les principes suivants :

 

-           les termes « qui arrive » exigent uniquement une corrélation temporelle entre le moment de la survenance de la blessure et l’accomplissement par le travailleur de son travail. Cela n’implique aucunement de faire la démonstration d’une relation causale.

 

-           la preuve de la survenance d’une blessure sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail fait présumer l’existence d’une lésion professionnelle sans que le travailleur ait à faire la démonstration d’un événement particulier.

 

            [Les soulignements sont du soussigné]

 

 

[64]        De l’avis du tribunal, le travailleur ne peut bénéficier de la présomption édictée à l’article 28 de la loi, et ce, pour les motifs suivants.

[65]        En l’espèce, les diagnostics de lombosciatalgie droite, de hernie discale L2-L3 sur contact avec la racine L3 et arthrose facettaire ont été posés par la Dre Lebrun.

[66]         De façon générale, le tribunal retient que le diagnostic de lombosciatalgie est indicatif d’une « douleur lombaire, avec une irritation sciatique», mais un tel diagnostic ne peut d’emblée être qualifié de « blessure », d’où la recherche d’indices permettant d’objectiver une telle « blessure », tel que suggéré à l’affaire Boies, précitée[11]. De même, il est manifeste que le diagnostic d’arthrose facettaire n’en est pas un de blessure, étant clairement relatif à un phénomène dégénératif, une condition personnelle. Enfin, le diagnostic de hernie discale en est un de « nature mixte », tel qu’énoncé dans l’affaire Boies, précitée, et dès lors, les circonstances de son apparition doivent être analysées pour que l’on puisse considérer qu’il s’agisse d’une « blessure ».

[67]        De l’avis du tribunal, la hernie discale L2-L3 constatée chez le travailleur ne constitue pas une blessure aux fins de la détermination de l’application de la présomption de l’article 28 de la loi en faveur du travailleur.

[68]        En l’espèce, l’arrachage par le travailleur des tiges de maïs le 21 juillet 2012 n’a manifestement pas causé cette hernie discale. Celle-ci était clairement présente chez le travailleur, et ce, depuis de très nombreuses années, tout comme, incidemment, la hernie discale L4-L5 vue au scan du 6 août 2012, hernie pour laquelle le travailleur avait déjà été traité dans le passé, tel qu’indiqué par la Dre Lebrun au formulaire d’assurance rempli le 22 novembre 2012.

[69]        Ce diagnostic de hernie discale L2-L3, à la lumière des enseignements de l’affaire Boies, précitée, ne peut se voir qualifier de « blessure », n’étant manifestement pas d’origine traumatique, mais bien de la nature d’une maladie personnelle au travailleur.

[70]        De même, la lombosciatalgie droite diagnostiquée chez le travailleur ne peut davantage relever de la survenue d’une « blessure » à la suite du travail effectué le 21 juillet 2012.

[71]        En effet, l’analyse des circonstances ayant entouré la survenue de cette « lombosciatalgie » chez le travailleur ne permet pas de la relier au travail fait à ce moment, et ce, pour les motifs suivants.

[72]        D’une part, il s’est écoulé environ deux semaines avant que ce diagnostic ne soit posé par un premier médecin.

[73]        D’autre part, il est manifeste, de l’avis du tribunal, que, contrairement au propos du travailleur à l’audience, cette douleur était présente avant même le 21 juillet 2012.

[74]        À cet égard, le tribunal ne remet pas en cause le fait que le travailleur ait arraché de nombreuses tiges de maïs de son champ de soya le 21 juillet 2012, mais le tribunal tient à préciser qu’il accorde très peu de crédibilité au témoignage rendu par le travailleur lors de l’audience quant à la nature et à l’importance de ses antécédents douloureux à la région lombaire et à sa jambe droite.

 

[75]        D’emblée, le travailleur a soutenu « qu’il était bien » au commencement de sa journée de travail le 21 juillet 2012 et que c’est à la suite de l’arrachage de ses tiges de maïs, de 8 h à midi trente, le 21 juillet 2012, qu’il a commencé à ressentir de la douleur au dos et de l’engourdissement à sa jambe droite. Contre-interrogé plus avant à ce propos, il a même répété que ses douleurs n’avaient pas été augmentées à la suite de ce travail, tel que la note de consultation du médecin rencontré à l’urgence le 5 août 2012 le mentionne, mais qu’elles avaient commencé à ce moment.

[76]        Avec égards, le tribunal ne croit tout simplement pas le travailleur sur cette question.

[77]        Le tribunal a pu observer que dans son témoignage, le travailleur a clairement et visiblement tenté d’atténuer ou de dissimuler ses antécédents lombaires, pourtant clairement documentés au dossier.

[78]        Or, au cours de son témoignage, confronté aux nombreuses notes de consultation produites à son dossier par les médecins consultés lors de son hospitalisation du mois d’août 2012, le travailleur a fini par reconnaître : 1) qu’il savait depuis longtemps qu’il « devait faire attention à son dos » ; 2) qu’il avait déjà été hospitalisé en 1984 pour une lésion au dos ; 3) qu’il soit possible qu’il ait présenté des lombalgies chroniques depuis 1995; 4) qu’en 2005, il a rencontré la Dre Perreault, orthopédiste, pour un « incident à la jambe droite » et qu’à cette occasion, la Dre Perreault lui avait prescrit du Lyrica, médicament qu’il a pris pendant plusieurs années par la suite et enfin, 5) qu’il avait revu la Dre Perreault, en avril ou mai 2012, pour des problèmes au dos et à la jambe droite, ce qui, clairement, laisse croire au tribunal que ses douleurs étaient bel et bien présentes avant le 21 juillet 2012, contrairement à son témoignage initial.

[79]        Enfin, le travailleur a, de la même façon, témoigné que sa douleur est apparue dès le 21 juillet 2012, après le travail fait, douleur qu’il ressentait déjà lors de son dîner, le 21 juillet.

[80]        Or, les notes de consultation rédigées par plusieurs des médecins consultés par le travailleur à compter du 5 août 2012 rapportent essentiellement la même chose : la douleur est apparue le lendemain, au réveil.

[81]        De même, l’agente Renaud de la CSST rapporte cette même version du travailleur à sa note du 26 septembre 2012.

[82]        Le tribunal retient ces notes des médecins et de l’agente de la CSST, contemporaines à la réclamation, et préfère la version alors rapportée quant au moment de l’apparition de la douleur du travailleur à celle donnée par celui-ci à l’audience.

[83]        Dans le contexte de ces nombreuses discordances notées, le travailleur ne saurait bénéficier de la présomption édictée par l’article 28 de la loi et, en conséquence, il lui revient de démontrer la survenue d’un « accident du travail » le 21 juillet 2012, ce qui requiert la nécessaire preuve d’un « événement imprévu et soudain ».

[84]        De l’avis du tribunal, le travailleur n’a pas démontré la survenue d’un tel accident du travail le 21 juillet 2012.

[85]        D’une part, dans son témoignage, le travailleur a montré comment il procédait pour l’arrachage des tiges de maïs. Or, bien que le travailleur ait rapporté de « la résistance » lors de l’arrachage des tiges en question, il n’a rapporté aucun geste particulier susceptible de constituer un « événement imprévu et soudain ». De l’avis du tribunal, les gestes posés lors de l’arrachage des tiges se sont effectués de façon harmonieuse pour son rachis lombaire, monsieur Brodeur ayant certes effectué des gestes de flexion, mais l’arrachage lui-même s’est effectué par un geste alors que le travailleur tire la tige vers lui et non dans un mouvement vertical.

[86]        D’autre part, cette description du travailleur, sans fait accidentel particulier, a été rapportée par plusieurs des médecins consultés, qui ont noté : « pas de trauma », pour expliquer la lombosciatalgie diagnostiquée.

[87]        Enfin, le tribunal entretient de grandes réserves quant au témoignage du travailleur voulant que « c’était la première fois qu’il devait arracher des tiges de maïs de son champ de soya ». Avec égards, et même si tel devait être le cas, le tribunal est d’avis qu’il est fort peu probable qu’un travailleur agricole, tel le travailleur, n’ait pas à arracher de son champ divers éléments qui y poussent et qu’il considère nuisibles, et ce, de façon régulière. En ce sens, le tribunal considère que le travail d’arrachage de tiges de maïs par le travailleur, le 21 juillet 2012, fait partie de tâches de la nature de celles usuellement accomplies par le travailleur.

[88]        Pour ces motifs, le tribunal ne peut conclure que les événements du 21 juillet 2012 relatés par le travailleur s’écartent de façon extraordinaire du travail relevant de l’occupation du travailleur et ainsi qu’il aurait subi un « accident du travail » au sens élargi que la jurisprudence donne parfois à ce terme.

[89]        Ceci étant, le tribunal souligne que de toute façon, la preuve offerte par le travailleur n’établit pas, au point de vue médical, une relation entre le travail effectué le 21 juillet 2012 et les diagnostics posés par les médecins consultés. En effet, le tribunal rappelle que la seule attestation médicale au dossier émise pour la CSST par la Dre Lebrun ne pose aucun diagnostic précis. Il est dès lors difficile de conclure que ce médecin établit une relation entre la condition de santé du travailleur et son travail.

[90]        De l’avis du tribunal, le travailleur a vécu, le 21 juillet 2012, une manifestation de sa condition personnelle de lombalgie chronique attribuable en toute probabilité aux hernies discales multiétagées dont il est porteur.

[91]        Toutefois, pour les motifs énoncés précédemment, ce ne sont pas les tâches effectuées par le travailleur, décrites précédemment, qui ont causé sa lombosciatalgie droite ou sa hernie discale L2-L3 ou son arthrose facettaire, ni rendu symptomatiques ces conditions personnelles, selon la théorie dite du « crâne fragile ».

[92]        En cette matière de l’aggravation d’une condition personnelle, la Cour d’appel du Québec a rappelé dans l’affaire PPG Canada inc. et CALP[12] que l’aggravation d’une condition personnelle ne constitue pas une catégorie de lésion professionnelle qui s’ajoute à celles déjà mentionnées par le législateur à l’article 2 de la loi et que la théorie du « crâne fragile » n’est pas une règle d’admissibilité permettant d’établir l’existence d’un lien de causalité ou d’une blessure pour une réclamation, mais bien une règle d’indemnisation une fois qu’un accident du travail est prouvé.

[93]        Résumant ces principes, le juge Clément, dans l’affaire Tremblay et EBC Neilson S.E.N.C.[13], citée par le procureur de la CSST, rappelait ceci  :

[103]    Cette loi vise donc la réparation des lésions professionnelles et non des conditions personnelles préexistantes. Lorsque ces dernières deviennent inextricablement reliées, la condition personnelle pourra entraîner une indemnisation puisque l’accessoire suit le principal et que la victime doit être indemnisée malgré ses vicissitudes.

 

[104]    Il ne faut toutefois jamais oublier le but de la loi qui est la réparation des lésions professionnelles et non pas des conditions personnelles dont les travailleurs peuvent être porteurs.

 

[105]    En matière d’accident du travail, la théorie du crâne fragile ne peut s’appliquer que s’il est établi au départ qu’un événement inhabituel et extraordinaire est survenu dans le cadre du travail et que cet événement était de nature à causer une lésion à n’importe quel travailleur. Ce n’est qu’alors que le travailleur pourra être indemnisé intégralement, nonobstant sa condition personnelle12.

 

[106]    Le seul fait qu’une lésion professionnelle ait été l’occasion pour une condition personnelle de se manifester n’est pas suffisant13.

 

[107]    La manifestation d’une douleur au travail ne signifie pas qu’un travailleur a subi une lésion professionnelle14.

 

[108]    De toute façon,  le tribunal ayant conclu qu’il n’y avait pas d’accident du travail, la théorie du crâne fragile ne s’applique pas15.

 

[109]     Le fait de ressentir de la douleur au travail ne peut être considéré comme un événement imprévu et soudain puisque dans certains cas ce n’est pas le travail qui rend un mouvement douloureux mais plutôt la présence d’une condition personnelle antérieure qui a cet effet16.

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12.         R…C… et Services forestiers R…C…, [2004] C.L.P. 1115 ; Botter et J. Pascal inc., [1995] C.A.L.P. 301 ; Laplante et Foyer de Rimouski inc., C.L.P. 132908-01A-0002, 25 mai 2000, G. Marquis.

            13.         Succession Jules Provost et Transport R. Mondor ltée, [2004] C.L.P. 388 .

            14.         Roy et Services ménagers Roy ltée, C.L.P. 259044-61-0504, 29 juillet 2005, L. Nadeau.

            15.         Gagné c. Pratt & Whitney Canada, [2007] C.L.P. 355 , C.A., requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejeté, 15 novembre 2007, dossier 32168.

            16.         Foisy et S.T.C.U.M., [1998] C.L.P. 1324 .

 

 

[94]        Tout comme dans cette affaire, le soussigné est d’avis que dans le présent cas, la preuve ne permet pas de conclure qu’un « accident du travail » aurait rendu symptomatiques les conditions personnelles présentes chez le travailleur de sorte que la « théorie du crâne fragile » ne peut trouver application.

[95]        De l’avis du tribunal, le dossier révèle qu’en toute probabilité, c’est cette condition personnelle du travailleur qui s’est manifestée en juillet 2012, lui causant de la douleur lombaire et de l’engourdissement à la jambe droite. Toutefois, il n’en résulte pas pour autant une lésion professionnelle pour le travailleur.

[96]        Pour l’ensemble de ces motifs, la requête du travailleur doit être rejetée.

 

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de monsieur Pierre Brodeur, le travailleur, déposée le 29 novembre 2012;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 2 novembre 2012 lors d’une révision administrative;


DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle le 21 juillet 2012 et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues à la loi.

 

 

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Michel Watkins

 

 

Me Hugues Magnan

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q. c. A-3.001

[2]           Note du tribunal : le travailleur souscrit à la CSST aux fins d’une protection personnelle.

[3]           Note du tribunal : on ne retrouve au dossier aucun document attestant de cette consultation du travailleur le 4 août 2012, ni aucune attestation médicale pour la CSST. Toutefois, l’agente Renaud de la CSST rapporte ces mêmes propos du travailleur à sa note du 5 septembre 2012.

[4]           Note du tribunal : le nom du médecin est illisible.

[5]           Note du tribunal : tel qu’indiqué au protocole opératoire au dossier.

[6]           Note du tribunal : le nom du médecin est illisible.

[7]           Note du tribunal : de nouveau, le nom du médecin est illisible.

[8]          Note du tribunal : de nouveau, l’on ne peut identifier le signataire de la note.

[9]          Note du tribunal : il s’agit du premier et seul rapport rempli pour la CSST dans le dossier.

[10]         Boies et C.S.S.S. Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775 , 14 avril 2011 (Banc de trois juges).

[11]         Voir aussi : Turcotte et C.H.S.L.D. du centre Mauricie, C.L.P.123275-04-9909,13 septembre 2000, S. Sénéchal; Ouellet et J.D. Irving ltd, C.L.P. 203142-01A-0303, 23 septembre 2003, J.- F. Clément ; Voir aussi :  Sobey’s Québec inc. et Dionne, C.L.P. 219195-64-0311, 29 juillet 2004, F. Poupart; Les tricots Main inc. et Alexandre, C.L.P. 234777-71-0405, 28 novembre 2007, C. Racine.

 

[12]         PPG Canada inc. c. CALP, [2000] C.L.P. 1213 (C.A); voir aussi : Gagné c. Pratt & Whitney  Canada, [2007] C.L.P. 355 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 07-11-15, (32168); Industries Maintenance Empire inc. et Contreras, C.L.P. 239298-71-0407, 24 octobre 2006, A. Suicco; Dépanneur Paquette et St-Gelais, [2005] C.L.P. 1541 .

[13]         C.L.P. 448887-09-1109, 21 août 2012, J.F. Clément.

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