Trois-Rivières (Ville de) |
2012 QCCLP 183 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Québec |
12 janvier 2012 |
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Région : |
Mauricie-Centre-du-Québec |
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Dossier CSST : |
132297417 |
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Commissaire : |
René Napert, juge administratif |
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Assesseur : |
René Boyer, médecin |
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Partie requérante |
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[1] Le 21 juin 2011, Ville de Trois-Rivières (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 24 mai 2011, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 14 mars 2011. Elle déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Michel Ménard (le travailleur) le 27 septembre 2007.
[3] Une audience se tient à Trois-Rivières le 14 décembre 2011. L’employeur y est représenté. L’affaire est mise en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de
déclarer qu’il a droit à un partage du coût des prestations découlant de la
lésion professionnelle subie par le travailleur le 27 septembre 2007, en vertu
de l’article
LES FAITS
[5] Le travailleur âgé de 46 ans au moment des événements est à l’emploi de l’employeur depuis le mois de janvier 1995. Il y occupe la fonction d’opérateur de camion écureur.
[6] Le 27 septembre 2007, alors qu’il exerce ses fonctions, il descend du camion, dos à la cabine. Il pose le pied gauche sur le premier marchepied, mais rate le deuxième avec son pied droit. Il agrippe alors le cadre de la portière avec son membre supérieur droit dans un mouvement d’abduction et de rotation externe avec traction pour ne pas chuter au sol. Il ressent alors une douleur à l’épaule droite et au genou gauche.
[7] Le travailleur poursuit son travail, mais devant la persistance des douleurs, il déclare l’événement à son employeur le 28 septembre 2007. Il se rend consulter à l’urgence du centre hospitalier de sa région. Toutefois, le temps d’attente est de plusieurs heures, de sorte qu’il quitte l’établissement sans avoir rencontré de médecin.
[8] Le 29 septembre 2007, il retourne au centre hospitalier et consulte le docteur Clavel. Celui-ci délivre l’attestation médicale requise par la loi. Il pose le diagnostic d’entorse du genou gauche. Il prescrit le port d’une attelle et des anti-inflammatoires.
[9] Dans les notes qu’il rédige à la suite de la consultation, le docteur Clavel écrit ce qui suit : « Le 27 septembre en descendant marchepied de son camion → torsion genou gauche → étirement épaule droite → douleur résiduelle ».
[10] À l’examen de l’épaule droite, il note que les mouvements sont normaux et que la mise en tension des muscles est sans particularité. Il note toutefois des douleurs pectorales.
[11] Le dossier de la CSST laisse voir que dans les semaines qui suivent, le travailleur est suivi pour son genou gauche.
[12] La CSST accepte d’ailleurs la réclamation du travailleur, le 30 octobre 2007, au regard d’une entorse du genou gauche.
[13] Au début du mois de novembre 2007, le travailleur ressent toujours une douleur à l’épaule droite. Il en avise la CSST puisqu’il estime que cette lésion est reliée à son accident du 27 septembre 2007.
[14] Le 11 décembre 2007, le médecin traitant retient les diagnostics de déchirure du ménisque interne du genou gauche et de tendinite de la coiffe des rotateurs à l’épaule droite.
[15] Le 14 décembre 2007, la CSST refuse de reconnaître la relation entre le diagnostic de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite et l’événement du 27 septembre 2007. Cette décision ayant été contestée puis maintenue par la CSST à la suite d’une révision administrative est infirmée, le 23 octobre 2009, par la Commission des lésions professionnelles[2].
[16] Le tribunal déclare en effet que les diagnostics de tendinite de la coiffe des rotateurs, de déchirure du sus-épineux et de déchirure du labrum antéro-supérieur de l’épaule droite du travailleur posés postérieurement sont en relation avec l’accident du travail du 27 septembre 2007.
[17] Le 8 janvier 2008, le chirurgien orthopédiste Giroux examine le travailleur à la demande de l’employeur relativement à la lésion subie au genou gauche.
[18] Dans le rapport qu’il signe à la suite de son examen, le docteur Giroux rapporte une douleur provoquée en fin de flexion et d’abduction au niveau de la région antérieure de l’épaule droite. Il ne note pas de crépitement à la mobilisation. Il indique que le rythme scapulo-huméral est normal. Il note toutefois une douleur à la palpation dans la région acromio-claviculaire de l’épaule droite et une légère douleur au trapèze droit. Le test du foulard est positif au niveau de l’épaule droite.
[19] Le 25 février 2008, le travailleur passe un examen par arthro-IRM de l’épaule droite dans le but d’évaluer la tendinite de la longue portion du biceps de l’épaule droite et de la coiffe des rotateurs. Dans le rapport qu’il signe à la suite de cet examen, le radiologiste Jodoin suspecte une déchirure type ALPSA du labrum antérieur, une discrète déchirure non déplacée du labrum postérieur, de l’arthrose acromio-claviculaire et un peu d’œdème dans la bourse sous-acromiale, de même qu’une petite déchirure du tendon du sus-épineux. Il écrit ce qui suit :
Examen de très bonne qualité qui démontre la présence d’un peu d’arthrose acromio-claviculaire quand même avec certains ostéophytes marginaux dirigés intérieurement, surtout à point de départ de la clavicule distale, engendrant un léger effet de masse sur la jonction myotendineuse du sus-épineux. Il existe de légers remaniements inflammatoires dégénératifs en regard de l’articulation acromio-claviculaire.
Pas de souris articulaire. Pas de lésion osseuse suspecte par ailleurs ni évidence de masse des tissus mous.
Légère inflammation sous forme d’un peu d’hypersignal en STIR dans la bourse sous-acromio/sous-deltoïdienne.
Il y a présence d’une déchirure au niveau de l’insertion du tendon du sus-épineux comme en témoigne la présence d’un peu de contraste hyperintense T1 qui s’étend dans la substance du tendon du sus-épineux de l’avant vers l’arrière. Je crois que le fin pertuis orienté au niveau du versant articulaire du tendon est situé en antérieur du sus-épineux, puis que la déchirure s’étend de façon oblique dirigée vers l’arrière, mais sans extension à la surface bursale du tendon même avec extension dans la substance du tendon du sous-épineux. Par ailleurs, il existe un léger degré de tendinose du sus-épineux sans autre déchirure tendineuse. Aucune atrophie musculaire n’est identifiée.
Le tendon de la longue portion du biceps est intact.
Absence de visualisation adéquate du ligament stabilisateur gléno-huméral moyen qui est soit hypoplasique, soit plus probablement déchiré. Il y a d’ailleurs présence d’un liséré de contraste hyperintense interposé entre le labrum antérieur et a glène osseuse au niveau du tiers moyen antérieur de la glène. Ce liséré de contraste semble en partie contenu par une petite bande hypointense qui s’étend de la base du labrum le long de la marge antérieure de la glène osseuse, possiblement le périoste, ce qui en ferait une déchirure de type ALPSA. [sic]
[20] Le 29 avril 2008, le chirurgien orthopédiste Lirette est d’avis qu’eu égard à la condition du travailleur, « il est important de procéder à une arthroscopie gléno-humérale diagnostique et possibilité de réparation du labrum antérieur et supérieur». Il indique par ailleurs que la coiffe des rotateurs sera explorée et que s’il y avait une déchirure importante, il procéderait à la réparation.
[21] Le 20 mai 2008, le médecin traitant consolide la lésion au genou. Il recommande le retour au travail régulier à compter du 26 mai 2008, indiquant que la lésion à l’épaule est suivie par l’orthopédiste Lirette.
[22] Le 17 juin 2008, le travailleur revoit son médecin traitant qui le met en arrêt de travail jusqu’à la chirurgie de l’épaule.
[23] Le 4 août 2008, le chirurgien orthopédiste Lirette procède à une arthroscopie diagnostique intra-articulaire, une réparation de labrum antéro-supérieur, une bursectomie sous-acromiale et une acromioplastie. Dans le protocole opératoire qu’il signe, le docteur Lirette écrit ce qui suit :
L’arthroscope est mis par voie postérieure. En gléno-huméral, on constate des surfaces articulaires démontrant une légère arthrose antéro-inférieure avec synovite et fibrillation du labrum. Il y a également une déchirure du labrum antéro-supérieure. La coiffe apparaît en continuité, quoiqu’elle présente certaines fibrillations avec déchirure partielle minime. Une canule est mise par voie antérieure. Un débridement intra-articulaire est fait. Débridement de la zone arthrosique antéro-inférieure qui est bien débridée avec le shaver. Une photographie a été prise.
Par la suite également, nous pratiquons une petite capsuloplastie par électrothérapie en raison de la minime instabilité sous-jacente. Le labrum supérieur est désinséré près de l’insertion habituelle de la longue portion du biceps.
(…)
Nous allons ensuite dans l’espace sous-acromial. Il y a une légère bursite. Une bursectomie sous-acromiaIe étendue est pratiquée. Le ligament coraco-acromial est sectionné. Une petite acromioplastie est pratiquée en réséquant la partie antéro-inférieure et latérale de l’acomion qui était proéminente. Le tout est régularisé et hémostasié.
[24] Le 21 août 2008, le chirurgien orthopédiste Giroux examine à nouveau le travailleur, mais cette fois au regard de la lésion à l’épaule droite. Dans une note médico-administrative qu’il rédige à la suite de son examen, le docteur Giroux écrit ce qui suit :
Monsieur Ménard présente une lésion de type SLAP au niveau de l’épaule droite. Chez les patients de plus de 40 ans, cette anomalie s’accompagne fréquemment de pathologies au niveau de la coiffe des rotateurs et/ou d’arthrose. Dans le cas de monsieur Ménard, on note effectivement une pathologie au niveau de la coiffe des rotateurs avec une déchirure partielle du sus-épineux et des changements dégénératifs significatifs au niveau de l’articulation acromioclaviculaire exerçant un effet de masse au niveau de la coiffe des rotateurs.
De plus, il est probable que dans un tel contexte les résultats chirurgicaux seront incertains. De façon pratique, nous devons nous poser la question à savoir ce qui est à l’origine des symptômes actuels chez monsieur Ménard : déchirure du labrum, arthrose acromioclaviculaire, pathologie sous-acromiale avec bursite et déchirure partielle de la coiffe des rotateurs.
Quant au mécanisme de production d’une déchirure du labrum, la littérature mentionne qu’il y a de multiples causes possibles : chute sur l’épaule 15%, soulever objets lourds 13%, luxation traumatique 13%, apparition progressive des symptômes 9%, traction antérieure soudaine 8%, traumatisme en abduction et rotation externe 8%, chute avec le bras en extension 8%, apparition graduelle suite à des mouvements répétitifs 6%, accident de la route 6%, traction soudaine avec le bras au-dessus de la hauteur des épaules 3%, traction latérale 1%, cause inconnue dans les activités sportives 1%.
En conclusion, nous retenons que monsieur Ménard présente une déchirure du labrum au niveau de l’épaule droite associée à différents facteurs de comorbidité qui ont pu être aggravés par le mécanisme de production de la blessure. En effet, lors de sa première évaluation médicale à l’urgence, le Dr Clavel fait état d’une problématique à l’épaule droite. Il faut retenir que s’il y avait eu une problématique traumatique sévère, les symptômes auraient été importants au point où monsieur Ménard en aurait discuté avec le Dr Pagé lors de la première intervention.
Nous retenons donc qu’il y a une condition personnelle importante sous-jacente reliée à la fragilité articulaire de son épaule droite et pour laquelle le mécanisme de production décrit par monsieur Ménard pourrait avoir joué un certain rôle. S’agit donc-t-il d’une condition personnelle pure qui s’est manifestée du point de vue symptomatique ou de l’aggravation d’une condition personnelle? Il est impossible de statuer de façon certaine, mais nous croyons qu’il est probable que la condition personnelle ait joué un rôIe majeur dans l’apparition des symptômes actuels.
Monsieur Ménard m’a d’ailleurs avoué qu’il avait parfois des symptômes au niveau de son épaule avant l’événement accidentel, mais qu’il n’avait jamais consulté pour une telle problématique. Il m’explique qu’il était normal pour un travailleur manuel d’avoir à l’occasion des symptômes. Sa résonance magnétique avec les anomalies confirme qu’il y avait une problématique qui pouvait se manifester de façon occasionnelle au niveau de son épaule droite.
[25] Le 27 octobre 2008, le chirurgien orthopédiste Lirette consolide la lésion à l’épaule droite, au 4 janvier 2009. Il estime que la lésion entraîne une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[26] Le 23 février 2009, le travailleur est à nouveau expertisé par le chirurgien orthopédiste Giroux à la demande de l’employeur. Le docteur Giroux constate que le travailleur a repris son travail régulier le 26 janvier 2009 sans ressentir de douleur, de façon générale. Il estime que la lésion est consolidée sans qu’elle n’entraîne d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.
[27] Le 28 juin 2010, le chirurgien orthopédiste Lirette produit le rapport d’évaluation médicale requis par la loi relativement à l’épaule droite, la Commission des lésions professionnelles ayant fait droit à la contestation du travailleur le 23 octobre 2009.
[28] Il estime que la lésion entraîne un déficit anatomo-physiologique de 1 % pour tenir compte de l’atteinte des tissus mous à l’épaule droite, avec changement radiologique. Lors de son examen de l’épaule gauche, le docteur Lirette constate des mouvements complets, mais avec douleur en fin d’amplitude. Il note par ailleurs la présence de légères crépitations sous-acromiales. Les stress contrariés en abduction et en rotation externe sont légèrement douloureux. La manœuvre de Jobe est également légèrement douloureuse.
[29] Le 20 décembre 2010, le chirurgien orthopédiste Giroux revoit le dossier complet du travailleur pour répondre à certaines questions concernant la condition personnelle du travailleur au niveau de l’épaule droite. Reprenant les différents rapports au dossier, il conclut que le travailleur a présenté une condition personnelle significative qui a contribué à l’apparition des symptômes, prolongé la période de consolidation et contribué à la nécessité d’une chirurgie. Il écrit ce qui suit :
Nous devons considérer que monsieur Ménard a été peu symptomatique dans les 2 premiers mois suite à l’évènement. Le mécanisme de production de la blessure est d’ailleurs nébuleux. Nous comprenons de l’évènement, que monsieur Ménard se serait retenu avec le bras droit ou qu’il aurait tenté de se retenir et qu’il se serait blessé au bras droit.
Il faut quand même retenir que si l’évènement avait était purement traumatique c’est-à-dire une déchirure aiguë du labrum ou une déchirure aiguë de la coiffe des rotateurs, il y aurait eu des symptômes sévères immédiatement.
Les symptômes nous apparaissent légers et pendant 2 mois, aucun médecin n’a fait d’évaluation appropriée, puisque la condition semble minime. Ceci favorise grandement une problématique personnelle pour laquelle il y aurait eu un épisode inflammatoire associé.
Principalement à cause de cette évolution durant les 2 premiers mois, nous ne croyons pas qu’il y ait eu de déchirure du labrum et/ou de la coiffe des rotateurs de façon traumatique. Nous croyons qu’il y a eu une bursite sous-acromiale qui s’est ajoutée et/ou qui a aggravé une problématique strictement personnelle.
De plus, nous notons que monsieur Ménard m’a confié qu’il avait fréquemment des symptômes au niveau son épaule. Cette problématique était, selon lui, normale chez un travailleur manuel. Il ne …avoir des difficultés à travailler avec les bras au-dessus de la hauteur des épaules.
L’investigation révèle une scintigraphie osseuse qui démontre une captation au niveau de l’articulation acromioclaviculaire, une résonance qui démontre que l’articulation acromioclaviculaire, malgré les changements dégénératifs légers qui démontrent la présente d’ostéophyte faisant appuie au niveau de la coiffe des rotateurs. De plus, les changements notés lors de l’arthroscopie, démontrent des changements dégénératifs au niveau du labrum, au niveau de l’articulation gléno-humérale et au niveau de la coiffe des rotateurs. On explique trouver des fibrillations au niveau de ces différentes régions.
Il est donc très clair qu’il y a une condition dégénérative à plusieurs niveaux :
® Au niveau du labrum
® Au niveau de l’articulation gIéno-humérale
® Au niveau de l’articulation acromioclaviculaire
® Au niveau de la coiffe des rotateurs.
À la résonance, on note de plus qu’il y a une bursite sous-acromiale.
À notre avis, la condition personnelle a joué un rôle majeur dans l’apparition des symptômes, dans l’importance des symptômes qui se sont développés par la suite, à la nécessité d’une chirurgie qui a adressé la condition personnelle et dans la durée de la consolidation de la lésion.
(…)
Cette condition personnelle est démontrée par les faits suivants :
® Présence de symptômes à l’épaule droite avant l’événement accidentel;
® Trouvailles à la résonance magnétique;
® Trouvailles à la scintigraphie osseuse;
® Trouvailles lors de la chirurgie;
® Nécessité, lors de la chirurgie, d’adresser la condition personnelle par une acromioplastie, une résection, des ostéophytes faisant effet de masse sur le sus-épineux, débridement intra-articulaire et sous-acromial. [sic]
[30]
Le 22 décembre 2010, le directeur des ressources humaines de l’employeur
formule une demande de partage à la CSST, en vertu de l’article
[31] Le 4 mars 2011, la CSST refuse la demande de partage puisqu’elle estime que l’employeur n’a pas démontré que le travailleur présentait déjà un handicap lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle.
[32] Cette décision est confirmée par la CSST le 24 mai 2011 à la suite d’une révision administrative, d’où le litige à la Commission des lésions professionnelles.
[33] À l’audience, le docteur Giroux témoigne à la demande de l’employeur. Il indique avoir examiné le travailleur à trois reprises. Il affirme catégoriquement que le travailleur lui a indiqué avoir éprouvé des douleurs aux épaules, avant l’événement du 27 septembre 2007, sans toutefois consulter un médecin relativement à cette condition.
[34] Il est d’avis que la déchirure du labrum n’est pas traumatique et était présente avant l’événement survenu au travail. À cet égard, il partage l’avis du docteur Lirette qui affirme qu’il est possible de fonctionner durant de longues années en ignorant être atteint d’une déchirure du labrum du type de celle diagnostiquée chez le travailleur. Il estime que la déchirure diagnostique est de type 2, le tendon du biceps étant normal. Il estime que ce type de déchirure est d’origine dégénérative.
[35] En outre, il estime que si la déchirure s’était produite lors de l’événement, le travailleur n’aurait pas pu effectuer des mouvements normaux de l’épaule lors de l’examen pratiqué par le docteur Clavel le 29 septembre 2007. De plus, il n’aurait pu y avoir un silence médical de plus de deux mois relativement à cette lésion.
[36] Quoi qu'il en soit, il estime que même si la déchirure n’était pas existante avant l’événement, l’épaule du travailleur était d’une telle fragilité qu’un simple événement banal aurait provoqué la déchirure.
[37] Par ailleurs, passant en revue le dossier du travailleur et reprenant les conclusions contenues dans les rapports qu’il a produits au dossier, il est d’avis que le travailleur est porteur d’une condition médicale hors norme pour son âge.
[38] À cet effet, il fait mention des ostéophytes marginaux engendrant un léger effet de masse sur la jonction myotendineuse du sus-épineux. Il réfère par ailleurs à la présence d’un tendon anormal, à l’inflammation présentée, à l’arthrose acromio-claviculaire décelée lors de l’examen par arthro-IRM du 25 février 2008.
[39] À son avis, il est clair qu’il y a présence d’un syndrome d’accrochage, une condition personnelle que le docteur Lirette a d’ailleurs corrigée lors de la chirurgie pratiquée le 4 juillet 2008. Il appuie son témoignage sur de la littérature qu’il dépose[3]. Il fait référence à la légère hyperactivité au niveau de l’articulation acromio-claviculaire droite mise en évidence lors de la scintigraphie osseuse pratiquée le 6 juin 2008.
[40] Il soumet enfin que n’eut été des pathologies du travailleur, les conséquences de la lésion auraient été beaucoup moindres que celles observées puisque sans la présence de handicap, il n’y aurait pas eu de lésion à l’épaule ou, à tout le moins, qu’une simple tendinite. De plus, selon lui, compte tenu qu’une tendinite guérit généralement dans une période de cinq semaines, l’employeur a droit au partage des coûts demandé.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[41] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit au partage des coûts qu’il réclame relativement à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 27 septembre 2007.
[42]
Tel que le prévoit l’alinéa 1 de l’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
__________
1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[43] La loi prévoit des exceptions à ce principe général, notamment à l’article 329 :
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[44]
Afin de se voir accorder un partage du coût des prestations en vertu de
l’article
[45] Le législateur n’a pas défini la notion de « travailleur déjà handicapé ». C'est pourquoi elle a fait l’objet d’une multitude de décisions.
[46] Depuis l’affaire Municipalité Petite-Rivière St-François et CSST[4], le tribunal a développé un large consensus sur cette notion. Ainsi, comme le définissait notre collègue dans cette décision, le travailleur déjà handicapé « est celui qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion ».
[47] Selon la jurisprudence, une telle déficience est une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut être congénitale ou acquise et peut exister à l’état latent, sans s’être manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.
[48] Notre collègue Racine justifiait ainsi cette définition dans l’affaire Sodexo Canada inc.[5] . Elle écrit ce qui suit :
[49] En effet, une déficience est, entre autres, une altération d’une structure « constituant une déviation par rapport à une norme biomédicale ». En proposant cette définition, la Commission des lésions professionnelles écarte du chapitre des déficiences les conditions personnelles retrouvées normalement chez les individus pour ne retenir que celles qui constituent des anomalies. Par ailleurs, la jurisprudence évalue le caractère normal ou anormal de la condition identifiée en la comparant à ce que l’on retrouve habituellement chez des personnes de l’âge de la travailleuse au moment de l’événement.
[49]
En tenant compte de cette définition, pour qu’un employeur puisse
obtenir un partage de coût en vertu de l’article
[50] Il doit, de plus, démontrer que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences[6].
[51] Tel que l’enseigne la jurisprudence[7], la démonstration de l’employeur doit être rigoureuse. Il ne peut pas suppléer à son obligation en invoquant que la période de consolidation est plus longue que celle habituellement observée pour la lésion en cause[8], particulièrement lorsque la déficience alléguée est une dégénérescence[9].
[52] En l’espèce, le tribunal ne croit pas comme le prétend la représentante de l’employeur que la lésion résulte d’une stricte condition personnelle qui s’est manifestée d’un point de vue symptomatique.
[53] Cette conclusion va à l’encontre des faits retenus par notre collègue Degré dans la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 23 octobre 2009.
[54] En outre, il est établi que le travailleur n’a jamais consulté pour une condition aux épaules avant l’événement survenu au travail. De plus, les notes de consultation de l’hôpital du 29 septembre 2007 démontrent que le travailleur éprouvait des douleurs à l’épaule droite de façon consécutive à l’événement.
[55] Toutefois, eu égard à la preuve soumise par l’employeur, le tribunal estime que l’événement a aggravé une condition personnelle présente chez le travailleur avant la survenance de l’accident.
[56] En cela, le tribunal retient le témoignage du docteur Giroux et les rapports médicaux qu’il a produits sur la question, particulièrement ceux du 21 août 2008 et du 20 décembre 2010.
[57] À l’instar du docteur Giroux, le tribunal note un silence médical complet de plus de deux mois relativement à la lésion à l’épaule droite. Il note par ailleurs que les mouvements du travailleur lors de l’examen initial par le docteur Clavel étaient complets. Il retient que le travailleur éprouve actuellement des douleurs à l’épaule gauche. Il note par ailleurs que lors de la chirurgie pratiquée par le docteur Lirette, ce dernier a réparé les conséquences de la condition personnelle du travailleur. Le tribunal note par ailleurs que cette condition personnelle est décrite dans les différents rapports d’examens pratiqués.
[58] En outre, à l’instar du docteur Giroux le tribunal est d’avis que la présence d’ostéophytes engendrant un léger effet de masse sur la jonction myotendineuse du sus-épineux dévie de la norme biomédicale, vu l’âge du travailleur.
[59] Compte tenu de ces éléments, et vu la force probante accordée au témoignage du docteur Giroux, la Commission des lésions professionnelles estime que l’employeur a démontré que le travailleur était préalablement handicapé au sens de la loi.
[60] Reste à déterminer si le handicap a eu une incidence sur la production ou sur les conséquences de la lésion professionnelle tel que le prétend la représentante de l’employeur.
[61] Il importe d’abord de préciser que l’évènement du 27 septembre 2007 a généré deux lésions : une au genou et l’autre à l’épaule droite.
[62] En l’espèce, la lésion au genou n’est pas en cause. La demande de l’employeur ne porte que sur la lésion à l’épaule droite. La représentante de l’employeur estime que tous les coûts de la lésion à l’épaule, postérieurs au 17 juin 2008, date de l’arrêt de travail du travailleur pour cette lésion, devraient être imputés à l’ensemble des employeurs, la déchirure du labrum existant avant la survenance de l’événement.
[63] De l’avis du tribunal, le traumatisme subi par le travailleur est compatible avec les diagnostics retenus par la Commission des lésions professionnelles dans sa décision du 23 octobre 2009.
[64] De plus, le fait accidentel n’est pas banal. Le travailleur a dû se retenir dans un mouvement d’abduction et de rotation externe avec traction pour ne pas chuter au sol. Il a ressenti de la douleur dans l’épaule droite dès ce moment. Il a fait mention de cette douleur lors de la première consultation médicale du 29 septembre 2007.
[65] Vu ces éléments, le tribunal estime que le handicap n’a pas joué un rôle déterminant dans la production de la lésion.
[66] L’employeur prétend toutefois que le handicap a eu une incidence sur les conséquences de la lésion en prolongeant indûment la période de consolidation.
[67] Le tribunal est également de cet avis.
[68] Le handicap préexistant a joué un rôle dans l’évolution plus lente de la lésion. De plus, tel que la preuve le révèle, n’eut été du handicap du travailleur, la lésion n’aurait probablement généré qu’une tendinite. Or, en référant à la table sur les conséquences normales des lésions professionnelles les plus fréquentes en terme de durée de consolidation[10] préparée par la CSST, on constate qu’une tendinite guérit généralement dans une période de cinq semaines.
[69] En l’espèce, le travailleur ne fut consolidé que le 4 janvier 2009 pour la lésion à l’épaule. Le travailleur s’est donc absenté du travail pendant 29 semaines complètes pour sa lésion à l’épaule si l’on exclut la période d’assignation temporaire initiale. La période de consolidation fut donc anormalement longue. Ainsi, le tribunal estime que l’employeur a droit à un partage relativement à cette lésion, de l’ordre de 85 % à l’ensemble des employeurs et de 15 % à son dossier financier.
[70] Comme la demande ne vise que la lésion à l’épaule et puisque le travailleur ne fut en arrêt de travail en raison de cette condition qu’à compter du 17 juin 2008, le partage accordé ne doit impliquer que les coûts subséquents au 17 juin 2008, l’employeur devant assumer entièrement tous les coûts liés à la lésion au genou gauche du travailleur, y compris ceux effectués après cette date, notamment l’indemnité pour dommages corporels résultant de la lésion au genou.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par Ville de Trois-Rivières, l’employeur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 24 mai 2011, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE qu’au regard de la lésion subie par monsieur Michel Ménard, le travailleur, le 27 septembre 2007, l’employeur a droit à un partage des coûts, liés à la lésion à l’épaule droite, postérieurs au 17 juin 2008, de l’ordre de 15 % à son dossier et de 85 % aux employeurs de toutes les unités.
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René Napert |
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Me Marie-Josée Hétu |
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HEENAN BLAIKIE |
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Représentante de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Ménard et Ville de Trois-Rivières, C.L.P. 349122-04-0805, J. Degré.
[3] « Superior Labral Anteroposterior Lesions of the Shoulder : part 2, Mecanisms and Classification », American Roentgen Ray Society », Septembre 2011; Jay D. KEENER and Robert H. BROPHY, « Superior Labral Tears of the Shoulder : Pathogenesis, Evaluation and Treatment », American Academy of Orthopaedic Surgeons, October 2009, vol. 17, Numero 10, p. 627-632; « The Influence of the Acromioclavicular joint degeneration on supraspinatus outlet impingement and the acromion Shape », (2009) 17, Journal of Orthopaedic Surgery, vol. 3, décembre 2009, p. 331-334; « Prevalence and Risk Factors of a Rotator Cuff Tear in the General Population », (2009) Journal of Shoulder and Elbow Surgery, p. 116-120.
[4]
[5] C.L.P.
[6] Aliments Flamingo et CSST,
[7] Matrec Environnement inc., C.L.P.
[8] Ikea Canada ltée Partnership, C.L.P.
[9] Bridgestone Firestone Canada inc., C.L.P.
[10] Commission de la santé et de la sécurité du travail, Partage de l’imputation, table1, 1985, 5 pages.