Décision

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Papin et Ferme Francel enr.

2009 QCCLP 953

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Joliette :

Le 12 février 2009

 

Région :

Lanaudière

 

Dossier :

318223-63-0705-R

 

Dossier CSST :

115560831

 

Commissaire :

Sylvie Moreau, juge administratif

 

Membres :

Gisèle Lanthier, associations d’employeurs

 

Alain Dagenais, associations syndicales

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Bruno Papin

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

La Ferme Francel enr. (Snc)

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé et de la

sécurité du travail - Lanaudière

 

Partie intervenante

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

[1]                Le 27 mai 2008, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle demande la révision d’une décision rendue le 18 avril 2008.

[2]                Cette décision accueille la requête de monsieur Bruno Papin (le travailleur), infirme la décision rendue par la CSST le 9 mai 2007 à la suite d’une révision administrative et déclare que le travailleur a droit à l’acquisition et à l’installation d’un robot de traite dans le bâtiment de ferme sur laquelle il exerce son activité professionnelle.

[3]                Une audience est tenue à Laval, le 5 novembre 2008.  Le travailleur est présent et représenté.  La Ferme Francel enr. (Snc) et la CSST sont représentés.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]                La CSST demande de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 18 avril 2008 et de déclarer que le travailleur n’a pas droit à l’acquisition et l’installation d’un robot de traite dans le bâtiment de ferme sur laquelle il exerce son activité professionnelle.  Elle soutient que cette décision comporte des vices de fond, de nature à l’invalider, notamment en permettant la modification du plan de réadaptation six ans plus tard.

[5]                La CSST demande également de surseoir à l’application de la décision rendue le 18 avril 2008.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]                Le membre issu des associations syndicales est d’avis de rejeter la requête.  Il considère que la décision rendue par le premier commissaire ne comporte pas de vice de fond.  Quant à la demande de sursis, il estime que cette requête s’avère sans objet dans les circonstances et qu’au surplus, il rappelle que le tribunal n’a pas un tel pouvoir.

[7]                Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis d’accueillir la requête.  Il considère que la décision est atteinte d’un vice de fond, notamment en ce qu’elle modifie l’emploi convenable et non uniquement le plan individualisé de réadaptation, ce que la loi ne permet pas.  Pour ce qui est de la requête de sursis, il estime que le tribunal ne possède pas ce pouvoir.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]                Le tribunal doit déterminer s’il y a lieu d’ordonner le sursis d’exécution de la décision rendue le 18 avril 2008 et décider, s’il y a lieu, de la réviser.

[9]                Puisque la requête en sursis d’exécution de la décision et celle en demandant la révision sont entendues au cours d’une même et seule audience, le tribunal croit opportun de disposer d’abord de la requête en révision.

Requête en révision ou révocation

[10]           L’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) énonce que les décisions du tribunal sont finales et sans appel :

429.49.  Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[11]           Par ailleurs, l’article 429.56 prévoit que la Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue pour les motifs qui y sont énoncés.  Cette disposition se lit ainsi :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[12]           En l’espèce, la CSST allègue que la décision rendue est entachée de vices de fond de nature à l’invalider.  Selon la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles, la notion de vice de fond de nature à invalider la décision a été interprétée comme signifiant une erreur de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation[2].

[13]           La Cour d’appel s’est prononcée relativement à l’interprétation de cette notion « de vice de fond »[3].  Dans les affaires Fontaine et Touloumi, la Cour d’appel souligne qu’il incombe à la partie qui demande la révision de faire la preuve que la première décision est entachée d’une erreur « dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés ».

[14]           Dans l’affaire Fontaine, la Cour d’appel nous met en garde d’utiliser à la légère l’expression « vice de fond de nature à invalider » une décision puisque la première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n’est qu’exceptionnellement que cette décision pourra être révisée.

[15]           Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles devait décider s’il y avait lieu de modifier le plan individualisé de réadaptation du travailleur en permettant de faire l’acquisition et l’installation d’un robot de traite.  La CSST avait refusé d’y donner suite au motif qu’il s’agissait d’une tâche que le travailleur ne devait pas accomplir dans le cadre de son emploi convenable.

[16]           Le commissaire, dans la décision rendue le 18 avril 2008, précise que le travailleur, âgé de 20 ans, alors travailleur agricole sur la ferme familiale subit, le 8 septembre 1998, une blessure à la jambe droite pour laquelle une amputation est requise au niveau du tiers proximal du fémur.

[17]           Une atteinte permanente à l'intégrité physique est évaluée à 108 % et des limitations fonctionnelles sont reconnues.

[18]           Lors de l’établissement de son plan individualisé de réadaptation, il est convenu que le travailleur ne peut entre autres, en raison de ses limitations fonctionnelles, exercer les fonctions relatives à la traite des vaches, celles-ci exigeant des mouvements de flexion du tronc et des positions accroupies.  L’emploi convenable de journalier de ferme est retenu bien qu’il ne puisse compléter certains travaux au secteur de la grange.

[19]           Le premier commissaire indique que depuis l’élaboration du plan individualisé de réadaptation du travailleur, des circonstances nouvelles sont intervenues, soit la retraite du père qui, selon lui, peut compromettre l’existence de l’emploi convenable car c’est ce dernier qui s’occupait de la traite des vaches et l’arrivée sur le marché d’un robot pour effectuer cette activité.

[20]           Selon le premier commissaire, ces éléments constituent des circonstances nouvelles qui permettent au sens de l’article 146, alinéa 2 de la loi, une modification du plan individualisé de réadaptation du travailleur.

146.  Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en œuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.

 

Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.

__________

1985, c. 6, a. 146.

 

 

[21]           Le premier commissaire fait état de deux courants jurisprudentiels concernant l’article 146.  Le premier à l’effet que le second alinéa de l’article 146 ne peut être invoqué que lorsqu’un programme de réadaptation est en cours et un second courant qui soutient qu’aucun délai n’est indiqué pour formuler une modification et que le travailleur peut le faire en présence d’une circonstance nouvelle et ce, malgré qu’une décision sur sa capacité à exercer l’emploi convenable n’ait pas été contestée.

[22]           Le premier commissaire a choisi le second courant jurisprudentiel, celui qui de toute évidence n’était pas celui soutenu par la CSST dans la présente affaire.

[23]           Quant à la qualification de « circonstance nouvelle », la représentante de la CSST reprend essentiellement les arguments présentés devant le premier commissaire et invite en conséquence le tribunal à réévaluer l’ensemble de la preuve et à conclure que ces faits ne constituent pas, au sens de l’article 146 de la loi, des circonstances nouvelles.

[24]           Rappelons que les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel.

[25]           L’invitation faite alors au tribunal siégeant en révision, par la représentante de la CSST, à réévaluer la preuve, ressemble plus à un appel qu’à une demande de révision.  Pourtant, la jurisprudence l’a répété à maintes reprises que le recours en révision ne permet pas de réévaluer la preuve.  Il ne peut s’agir d’un appel déguisé.

[26]           La CSST n’a pas démontré que la décision du 18 avril 2008 contient des erreurs manifestes et déterminantes.  Elle n’est tout simplement pas d’accord avec celle-ci, ce qui n’est pas un motif en justifiant la révision.

[27]           La Commission des lésions professionnelles rejette, dans ces circonstances, la requête en révision.

Requête en sursis d’exécution de la décision

[28]           La CSST soumet une requête pour obtenir une ordonnance de sursis de l’exécution de la décision rendue par le premier commissaire le 18 avril 2008.  Elle recherche ainsi un sursis jusqu’à la décision qui sera rendue concernant la requête en révision.

[29]           Considérant la conclusion à laquelle en arrive le tribunal concernant la requête en révision, cette requête devient sans objet, et si tel n’était pas le cas, le tribunal est d’avis qu’il n’a pas le pouvoir d’émettre une telle ordonnance.

[30]           La Commission des lésions professionnelles est, comme elle le précisait dans l’affaire Anita Basciano[4], un tribunal statutaire qui ne dispose que des pouvoirs que lui confère la loi.  Les articles 369, 377, 378 et 380 se lisent ainsi :

369.  La Commission des lésions professionnelles statue, à l'exclusion de tout autre tribunal :

 

1° sur les recours formés en vertu des articles 359 , 359.1 , 450 et 451 ;

 

2° sur les recours formés en vertu des articles 37.3 et 193 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1).

__________

1985, c. 6, a. 369; 1997, c. 27, a. 24.

 

377.  La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

__________

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

378.  La Commission des lésions professionnelles et ses commissaires sont investis des pouvoirs et de l'immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête (chapitre C-37), sauf du pouvoir d'ordonner l'emprisonnement.

 

Ils ont en outre tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de leurs fonctions; ils peuvent notamment rendre toutes ordonnances qu'ils estiment propres à sauvegarder les droits des parties.

 

Ils ne peuvent être poursuivis en justice en raison d'un acte accompli de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions.

__________

1985, c. 6, a. 378; 1997, c. 27, a. 24.

 

380.  La Commission des lésions professionnelles peut, lorsqu'elle est saisie d'une contestation d'une décision rendue en vertu de l'article 358.3 qui annule le montant d'une indemnité de remplacement du revenu accordée par la Commission, ordonner de surseoir à l'exécution de la décision contestée quant à cette conclusion et de continuer à donner effet à la décision initiale, pour la période qu'elle indique, si le bénéficiaire lui démontre qu'il y a urgence ou qu'il subirait un préjudice grave du fait que la décision initiale de la Commission cesse d'avoir effet.

 

La demande du bénéficiaire est instruite et décidée d'urgence.

__________

1985, c. 6, a. 380; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[31]           Le tribunal a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de faits nécessaire à l’exercice de sa compétence décrite à l’article 369.  Il peut dès lors confirmer, modifier ou infirmer la décision, l’ordre ou l’ordonnance contesté et rendre, s’il y a lieu la décision, l’ordre ou l’ordonnance qui aurait dû être rendu.

[32]           Le tribunal et ses commissaires sont investis des pouvoirs de l’immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête, sauf le pouvoir d’ordonner l’emprisonnement.  Les commissaires ont donc les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leurs fonctions.  Ils peuvent rendre les ordonnances propres à sauvegarder les droits des parties et autant que celles-ci s’exercent dans le cadre de leur compétence exclusive.

[33]           L’article 380 précise que lorsque le tribunal est saisi d’une contestation d’une décision rendue en vertu de l’article 358.3 qui annule le montant d’une indemnité de remplacement du revenu accordée par la CSST, il peut ordonner de surseoir à l’exécution de la décision contestée quant à cette conclusion et de continuer à donner effet à la décision initiale pour la période qu’il indique si le bénéficiaire démontre qu’il y a urgence ou qu’il subira un préjudice grave du fait que la décision cesse d’avoir effet.

[34]           Le tribunal a donc des pouvoirs bien définis pour exercer sa compétence mais, somme toute, n’a pas de pouvoir inhérent, puisant ceux-ci dans sa loi constitutive.

[35]           La loi prévoit qu’une situation où le tribunal a le pouvoir de surseoir et celle-ci ne vise pas une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles.

[36]           Le tribunal conclut donc qu’il ne peut ordonner un tel sursis.

[37]           Enfin, il faut se rappeler qu’au sens de l’article 429.49, une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s’y conformer sans délai.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de révision présentée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 27 mai 2008;

REJETTE la requête de surseoir présentée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 27 mai 2008, à l’encontre de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 18 avril 2008.

 

 

 

__________________________________

 

Sylvie Moreau

 

 

 

 

 

Me Michel Cyr

Représentant de la partie intéressée

 

 

Me Myriam Sauviat

Panneton Lessard

Représentante de la partie intervenante

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]          Produits forestiers Donahue inc. et Villeveuve [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783 .

[3]          Tribunal administratif du Québec c. Godin RJQ 2490 (C.A.); Bourassa c. C.L.P. [2003] C.L.P. 601 (C.A.); Amar c. CSST [2003] C.L.P. 606 (C.A.); CSST c. Fontaine [2005] C.L.P 626 (C.A.); CSST c. Touloumi, C.A. 500-09-015132-046, 6 octobre 2005 jj. Robert, Morissette, Bich, OSLP-159.

[4]          Anita Basciano et Commission scolaire Marguerite Bourgeois, C.L.P. 302599-71-0611, 19 mars 2008, S. Sénéchal.

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