Spartech Canada inc. et Bessette |
2011 QCCLP 8337 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Saint-Hyacinthe |
9 décembre 2011 |
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Région : |
Yamaska |
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Dossier : |
436528-62B-1104 |
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Dossier CSST : |
137007050 |
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Commissaire : |
Christian Genest, juge administratif |
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Membres : |
Normand Bédard, associations d’employeurs |
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Noëlla Poulin, associations syndicales |
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Spartech Canada inc. |
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Partie requérante |
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et |
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Sébastien Bessette |
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Partie intéressée |
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et |
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C.S.S.T. - Yamaska |
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Partie intervenante |
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DÉCISION
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[1] Le 18 avril 2011, Spartech Canada inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 15 mars 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision rendue initialement le 23 décembre 2010 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle sous forme de maladie professionnelle le 9 novembre 2010.
[3] L’audience s’est tenue à Saint-Hyacinthe le 15 novembre 2011 en présence de l’employeur, du travailleur, et de leurs procureurs respectifs. Le procureur de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) a avisé le tribunal de son absence à l’audience, par le biais d’une correspondance adressée le 11 novembre 2011.
[4] L’affaire a été mise en délibéré dès la conclusion de l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] L’employeur demande de déclarer que le travailleur n’a pas subi le 9 novembre 2010 une lésion professionnelle sous la forme d’une maladie professionnelle.
LES FAITS
[6] De l’analyse des éléments déjà consignés au dossier, des témoignages reçus à l’audience ainsi que des documents produits, le tribunal retient les éléments pertinents suivants.
[7] Le travailleur témoigne avoir occupé successivement les fonctions d’assistant-opérateur et d’opérateur en fabrication de plastique au bénéfice de l’employeur depuis 1998.
[8] À ce titre, il indique que sa principale tâche d’opérateur consiste à travailler sur les (machines) extrudeuses de plastique, identifiées à l’audience comme étant respectivement les extrudeuses « numéros 3 et 4 », ce qui implique de vérifier l’ajustement de l’appareil lorsqu’une matière plastique passe devant lui sur une table avant d’être dirigée entre deux rouleaux pour être moulée par un processus de chauffage. Monsieur Bessette précise que ces rouleaux sont situés à la hauteur de son visage. À cette étape, il doit également vérifier l’épaisseur des éléments ainsi moulés en se penchant au-dessus de la substance plastique chauffée.
[9] Le travailleur explique que ces tâches s’effectuent dans un environnement à haute température, puisque la matière plastique est chauffée à une température d’environ 350 à 400 degrés Celsius.
[10] Selon le rapport produit par l’hygiéniste Lyne Lafrenière en juin 2011, le travailleur est exposé dans le cadre de ces tâches, si l’on exclut les divers produits d’entretien, aux matières premières suivantes : Cycolac (mélange d’acrylonitrile-butadiène-styrène et d’ignifugeant bromé), HIPS (polystyrène-choc modifié), Centrex (acrylonitrile-styrène-polymère d’acrylate), Noryl (mélange de phénylène éther et de polystyrène) et de Luran S Q440T05 (copolymère styrénique).
[11] Par ailleurs, l’hygiéniste Lyne Lafrenière indique également à son rapport que le travailleur se situe de facto dans une zone où il y a possiblement des concentrations plus importantes des produits de dégradation lorsqu’il procède aux ajustements de l’extrudeuse.
[12] En interrelation avec les matières premières précédemment énumérées, l’entreprise utilise également de la matière recyclée. Bien que la provenance de cette matière recyclée soit diverse, elle provient le plus souvent de retailles de produits fabriqués au sein de l’entreprise ou encore de produits retournés par des clients. On note la présence périodique de matières recyclées de provenance inconnue.
[13] Ces produits sont soumis à des températures et pressions élevées ainsi qu’à un travail mécanique intense. En effet, les températures de mise en œuvre reliées aux extrudeuses 3 et 4 varient de 138 à 260 degrés Celsius, ce qui entraîne nécessairement la libération de produits volatils qui, selon le témoignage du mécanicien Guy Morissette entendu à l’audience, prennent la forme d’une « brume » ou d’une « fumée légère ».
[14] Le travailleur précise qu’au cours du mois d’août 2010, c’est en effectuant ces tâches aux extrudeuses 3 et 4, qu’il ressent une série de sensations de brûlure et de démangeaisons au niveau du visage et du cou. Des rougeurs prenant la forme de plaques sont également apparues. Monsieur Bessette déclare alors ses malaises à son employeur. Il continue toutefois de se présenter à son travail tout en endurant ses malaises. Il consulte cependant un médecin qui le réfère en consultation auprès d’un dermatologue.
[15] Les parties présentes à l’audience admettent conjointement, en se référant à la description d’une série d’événements déposée par le travailleur le 19 novembre 2010, en annexe de sa réclamation, qu’il y a recrudescence de sensations de brûlure, tant au niveau du visage qu’au cou, et que le tout s’accompagne de plaques rougeâtres qui surviennent aux mêmes endroits. Toujours en fonction de ces mêmes admissions, selon les phénomènes observés de septembre à décembre 2010, les symptômes ainsi décrits s’estompent lorsque le travailleur quitte son milieu de travail, pour resurgir dès qu’il y remet les pieds.
[16] C’est donc dans ce contexte que le 9 novembre 2010, le travailleur est pris en charge par le docteur Moreau qui suspecte une allergie de contact.
[17] Le 15 novembre 2010, le docteur Moreau pose, par le biais d’un rapport médical, le diagnostic de « dermatite irritative causée par la chaleur ».
[18] Le 18 janvier 2010, le docteur Moreau émet un rapport final par lequel il confirme le diagnostic une dermatite irritative qu’il relie cette fois à l’exposition du travailleur à la vapeur de plastique que l’on retrouve dans l’usine. Il consolide la lésion le jour même de la consultation, sans atteinte permanente, mais avec des limitations fonctionnelles. Ces limitations fonctionnelles sont à l’effet que le travailleur ne pourra reprendre son travail régulier et qu’il devra manifestement être réorienté.
[19] Le 1er février 2011, l’hygiéniste industriel André Denis rédige un rapport à la demande de l’employeur. Il ressort de l’analyse de cet hygiéniste que les symptômes décrits par le travailleur sont associés à une tâche bien précise, soit le moment où il est penché au-dessus des polymères, tâche qui se limite à une quinzaine de minutes par semaine environ. L’hygiéniste Denis ajoute qu’il y a une pompe de scellage (hotte) conçue pour extraire des contaminants hors de la zone respiratoire des travailleurs, qui récupère ainsi les vapeurs afin de les évacuer par des conduits de ventilation.
[20] À son rapport, il remarque également que l’exposition du travailleur aux produits de décompositions de polymères survient principalement lors du départ d’un lot, et que les mécaniciens d’entretien qui sont appelés dans le cadre de leurs tâches quotidiennes à être exposés beaucoup plus régulièrement à ces mêmes produits n’ont jamais rapporté un problème de dermatite irritative. Il ressort enfin de son analyse que les mesures de concentrations prises pour certains produits de décomposition tels que le butadiène, l’acrylonitrile, le styrène et d’acroléine sont peu élevés.
[21] Le 18 février 2011, le travailleur est examiné par la dermatologue Pascale Marinier à la demande de l’employeur. Celle-ci rapporte que le travailleur n’a pas de condition personnelle médicale qui contribue à sa condition. Elle ajoute que les lésions apparaissent à l’endroit de l’exposition maximale, qu’elles s’améliorent rapidement dès la cessation de l’exposition et qu’il y a récidive à la réexposition. Sans se prononcer spécifiquement sur la relation entre la lésion diagnostiquée et la lésion alléguée, elle se base toutefois sur la littérature médicale pour affirmer que la dermatite de contact irritative est fréquente dans l’industrie de la fabrication de plastique, surtout dans les tâches décrites par le travailleur où il y a proximité entre les vapeurs et le visage. Elle conclut que le patient a une sensibilité particulière de la peau, mais que cela ne se manifeste pas dans le reste de sa vie personnelle.
[22] La preuve documentaire présente au dossier comporte une série de fiches signalétiques produites en annexe du rapport de l’hygiéniste Lafrenière concernant les produits utilisés par le travailleur dans le cadre de son travail. Ces fiches indiquent que ces produits, une fois chauffés, dégagent des émanations qui sont irritantes pour les yeux, la peau et les voies respiratoires.
[23] Le directeur d’usine, monsieur Fournier, témoignant au bénéfice de l’employeur, affirme que l’établissement travaille avec du plastique depuis une trentaine d’années et qu’aucun travailleur n’a jamais souffert d’une allergie de contact ou d’une dermatite telle que celle présentée par le travailleur en l’espèce. Il attribue cet état de fait à la présence d’un système de ventilation fonctionnel sur place, ayant comme conséquence d’évacuer la chaleur vers l’extérieur.
[24] Il ajoute que la tâche problématique décrite par le travailleur, soit le fait de se pencher au-dessus des polymères, se limite à une quinzaine de minute par semaine. Il ajoute qu’au-dessus de chaque extrudeuse, il y a une pompe de scellage (hotte) pour récupérer les vapeurs qui sont ensuite évacuées par des conduits de ventilation. Selon monsieur Fournier, l’air ambiant est ainsi totalement évacué cinq fois par heure, soit une fois à toutes les 12 minutes, ce qui, selon lui, diminue considérablement le niveau de chaleur ambiante à l’intérieur même de l’usine. Il se dit toutefois d’accord avec l’estimation de l’hygiéniste industriel André Denis qui énonce dans son rapport du 1er février 2011 que le rôle premier de ce genre de ventilation est d’abord d’extraire un contaminant hors de la zone respiratoire des travailleurs.
[25] Le 23 décembre 2010, la CSST accepte la réclamation du travailleur à titre de maladie professionnelle. Cette décision sera maintenue par la révision administrative le 15 mars 2011, d’où le présent litige.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[26]
La procureure de l’employeur soutient que la présomption de l’article
[27]
Le représentant du travailleur plaide au contraire que la présomption de
l’article
L’AVIS DES MEMBRES
[28] Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs partagent le même avis et croient que la requête de l’employeur doit être rejetée.
[29]
Les membres considèrent que la preuve prépondérante permet au
travailleur de bénéficier de la présomption prévue à l’article
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[30] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 9 novembre 2010.
[31] Dans le cadre du présent litige relié à l’existence d’une lésion professionnelle, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) donne les définitions suivantes :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[32]
Dans le présent dossier, il n’est aucunement prétendu ni soutenu en
preuve que la lésion diagnostiquée le 9 novembre 2010 puisse résulter d’une
quelconque forme d’accident de travail ou encore d’une rechute, récidive ou
aggravation d’une lésion professionnelle antérieure. Reste à déterminer si
cette lésion découle d’une maladie professionnelle au sens de la définition de
l’article
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[33]
Le travailleur peut bénéficier de l’application d’une présomption de
maladie professionnelle s’il remplit les conditions de l’article
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
__________
1985, c. 6, a. 29.
[34] Cette présomption, conçue pour alléger le fardeau de preuve imposé au travailleur, le dispense dans les faits d’avoir à démontrer l’existence d’un lien causal entre la maladie diagnostiquée et le travail.
[35] La travailleur sera donc présumé être atteint d’une maladie professionnelle si sa maladie est visée dans l’annexe I et s’il a exercé le travail correspondant à cette maladie d’après l’annexe.
[36]
Précisons qu’en l’espèce le diagnostic de dermatite irritative, établi à
plusieurs reprises par le docteur Moreau, médecin ayant charge du travailleur,
n’a fait l’objet d’aucune contestation devant le Bureau d’évaluation médicale.
Ce diagnostic établi par le médecin traitant a donc acquis, en principe,
l’effet liant prévu à l’article
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
__________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[37] Quant à l’Annexe 1, sa section III prévoit ce qui suit :
ANNEXE I
MALADIES PROFESSIONNELLES
(Article 29)
SECTION III
MALADIES DE LA PEAU CAUSÉE PAR DES AGENTS AUTRES QU’INFECTIEUX
MALADIES |
GENRES DE TRAVAIL |
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Dermite de contact irritative: |
un travail impliquant un contact avec des substances telles que solvants, détergents, savons, acides, alcalis, ciments, lubrifiants et autres agents irritants; |
__________
1985, c. 6, annexe I.
[38] En l’espèce, la dermatite de contact irritative fait partie des maladies qui sont énumérées à la section III de l'Annexe 1 sous l’appellation dermite. Ainsi, elle sera présumée d’origine professionnelle dans la mesure où le travailleur qui en est atteint démontre qu’il a exercé le travail qui correspond à cette maladie d’après l’annexe[3], à savoir un travail impliquant un contact avec une des substances qui y sont identifiées.
[39] Le tribunal retient que l’utilisation ou la manipulation des substances visées par la section III de l'Annexe 1, ainsi que l’exposition du travailleur à un environnement nocif causé par ces mêmes substances, sont incluses dans cette notion de « contact ». Il n’est donc pas nécessaire que le travailleur soit en contact direct avec un agent irritant pour qualifier sa maladie de dermite de contact irritative. Ce contact pourrait très bien se faire par une exposition environnementale[4].
[40] À cet égard, le tribunal est d’avis que le travailleur est exposé à des émanations prenant la forme de brume ou de fumée, dégagées par divers produits de plastique lorsque chauffés, surtout lorsqu’il doit se pencher au-dessus des produits moulés ou des extrudeuses. C’est d’ailleurs lors de cette dernière opération que l’on observe une série de symptômes tels que rougeurs diverses au cou et au visage.
[41] Dans le présent dossier, la preuve administrée permet d’établir que le travailleur est atteint d’une dermite de contact irritative et qu’il est en contact avec des vapeurs et émanations émises par la décomposition des produits lorsqu’ils sont chauffés. De l’avis du tribunal, ces vapeurs peuvent être qualifiées à titre d’« autres agents irritants » au sens de l’annexe[5].
[42]
Compte tenu de cette preuve, le soussigné est d’avis que la présomption
prévue à l’article
[43] Il est unanimement admis que la présomption de l’article 29 est réfragable et peut être repoussée par l’entremise d’une preuve prépondérante voulant que le travailleur ne soit pas atteint d’une maladie professionnelle[6].
[44] Le plus souvent, la présomption se renverse par le biais d’une preuve démontrant l’absence d’un lien de causalité entre la maladie diagnostiquée et le travail. Ainsi l’employeur peut tenter de démontrer que la maladie dont le travailleur est atteint ne peut avoir été provoquée par le travail qu’il exerce[7]. La Cour Supérieure est toutefois venue nous rappeler qu’il n’est pas nécessaire pour l’employeur de prouver la cause exacte de la lésion afin de repousser la présomption.[8]
[45] Or, l’employeur n’a pas fait cette nécessaire preuve d’absence de lien causal afin de renverser cette même présomption. Au contraire, l’expertise provenant de la dermatologue Pascale Marinier qui a examiné le travailleur à sa demande, déclare, en s’appuyant sur la littérature médicale, que la dermite de contact irritative est fréquente dans l’industrie de la fabrication de plastique, surtout dans le type de tâche décrite par le travailleur en l’espèce où il y a proximité entre les vapeurs et le visage du patient.
[46] Le fait que le travailleur ait une sensibilité particulière de la peau, comme le souligne le médecin de l’employeur, n’est d’aucune pertinence en l’espèce, puisque rien dans la preuve ne démontre que la maladie développée par le travailleur est attribuable à une condition personnelle quelconque.
[47] Cette expertise, provenant du dermatologue retenu par l’employeur, est appuyée par le rapport de l’hygiéniste industriel Lyne Lafrenière qui énonce, dans son analyse effectuée en juin 2011, que lorsque le travailleur procède aux ajustements de l’extrudeuse, il se situe de facto dans une zone où il y a possiblement des concentrations plus importantes des produits de dégradations.
[48] L’employeur a toutefois soumis une série d’autres arguments afin de renverser l’application de la présomption, arguments que nous devons évaluer au mérite.
[49] L’employeur allègue, entre autres, que la réaction irritative du travailleur est récente, compte tenu du fait que les procédés, ainsi que les produits utilisés, n’ont pas considérablement varié depuis près d’une quinzaine d’années. Donc, toujours selon l’employeur, si le travailleur avait eu à développer une réaction quelconque au produit irritant, celle-ci se serait manifestée bien avant août 2010. Avec égards pour la position présentée par l’employeur, le tribunal ne peut retenir cet argument, puisque selon la littérature médicale consultée, déposée par le représentant du travailleur à l’audience[9], la dermatite de contact peut se développer à n’importe quel moment au cours de la carrière d’une personne, et ce, tant après quelques contacts qu’après plusieurs années d’exposition. Le soussigné constate d’ailleurs que les éléments de cette doctrine médicale ont déjà été repris par la Commission des lésions professionnelles[10].
[50] Le tribunal est d’avis que la thèse mise de l’avant par l’employeur ne tient pas compte de la diversité des produits irritants auxquels le travailleur est exposé. Retenir la prétention de l’employeur reviendrait à considérer tous les irritants regroupés sous l’expression « autres irritants » à la section III de l’annexe 1 de la loi, comme devant nécessairement avoir un effet immédiat, ce qui n’est manifestement pas le cas. L’apparition tardive pourrait très bien être due à la perte de tolérance du travailleur consécutive à une défaillance de sa barrière épidermique, suite à des agressions infracliniques répétées. Ceci est d’autant plus vrai que les effets des substances chimiques peuvent être cumulatifs ou interreliés, particulièrement dans un environnement où on utilise des produits recyclés.
[51] Le tribunal ne retient pas davantage l’argument relatif aux mesures de protection mises à la disposition du travailleur, telles que la disponibilité de gants ou de lunettes de sécurité. La présence de telles mesures ne permet pas non plus de renverser la présomption de maladie professionnelle dont le travailleur bénéficie[11]. En ce qui a trait à la ventilation présente sur les lieux du travail, le tribunal retient l’estimation de l’hygiéniste industriel André Denis qui affirme dans son rapport du 1er février 2011 que ce genre de ventilation a prioritairement été conçu afin d’extraire un contaminant hors de la zone respiratoire des travailleurs. Mais cela n’exclut pas que le travailleur est néanmoins en contact avec certains contaminants.
[52] L’employeur a finalement soutenu que les produits sont chauffés en usine à une température variant entre 138 et 260 degrés Celsius, alors que selon les fiches signalétiques provenant des fournisseurs, le point critique en matière de décomposition ne serait atteint qu’à partir de 300 degrés Celsius. L’employeur voit dans le respect de cette norme provenant de ses fournisseurs un argument afin de renverser la présomption. Toutefois, même dans l’hypothèse où la norme provenant du fournisseur serait crédible, le tribunal est d’avis que le respect d’une norme ou d’un règlement quelconque ne suffit pas pour renverser la présomption prévue à l’article 29, puisque cette dernière ne fait mention d’aucune norme ou mesure quantifiable permettant de tracer la ligne entre ce qui est toxique et ce qui ne l’est pas[12].
[53] Par conséquent, pour l’ensemble des motifs précédemment énumérés, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur a subi le 9 novembre 2010 une lésion professionnelle sous forme de maladie professionnelle.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée le 18 avril 2011, par Spartech Canada inc., l’employeur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 15 mars 2011, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 9 novembre 2010, soit une dermite irritative; et
DÉCLARE que la travailleur a droit aux prestations prévues par la loi.
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Christian Genest |
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Me Carmen Poulin |
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ADP SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL |
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Représentante de la partie requérante |
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Yves Ménard |
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S.C.E.P. |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] L.R.Q., c.A-3.001.
[3] Voir à titre d’exemple : Dubuc et Les Plastiques Simport ltée, C.A.L.P. 19152-62B-9005, 25 septembre 1992, Juri-Sélection J4-19-11, Bernard Lemay (réclamation refusée).
[4] Sunar Hauserman limitée et Donato
[5] Monette et Brisette
automobile et C.S.S.T., C.A.L.P.
[6] Chamberland et
Centre hospitalier Saint-François d’Assise
[7] Chabot Auto Inc. et Bilodeau
[8] Société canadienne des postes c. C.A.L.P. Coulombe
[9] Nixon, R. Frowen, K., Moyle M., « Occupational dermatoses », Australian Family Physician, Vol. 34, No 5, May 2005, pp. 327-333.
[10] Voir à titre d’exemple : Électro Composites
inc. et Luc Sénécal, C.L.P.
[11] Électro Composites inc. et Luc Sénécal, C.L.P.
[12] Lavallée et Nettoyeur
L.P. Auger, C.A.L.P.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.