Alliage Maçonnerie inc. |
2007 QCCLP 5954 |
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[1] Le 14 février 2006, la compagnie Alliage Maçonnerie inc. ( l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue le 7 février 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 1er novembre 2005 et déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur P. Charbonneau (le travailleur) le 23 novembre 2004.
[3] L’employeur et sa procureure sont absents à l’audience du 3 juillet 2007, mais ont transmis une argumentation écrite.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande un transfert d’imputation en vertu des articles 31 et 327 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et qu’il n’y a pas de délai pour produire une demande en vertu de ces articles.
LA PREUVE
[5] Le 23 novembre 2004, le travailleur est victime d’un accident du travail : il se coupe au pouce droit en coupant une feuille de contre-plaqué avec une scie électrique.
[6] Le jour même, un diagnostic de lacération à la base du pouce droit avec atteinte osseuse est posé. Le médecin note que la plaie est profonde et qu’il y a fracture de la phalange distale complète comminutive. Le travailleur est référé en plastie, au Dr Bussières, qui fait état d’un trauma à la matrice unguéale et pose un diagnostic de fracture P2 du pouce droit avec fragment libre sous l’ongle et un trauma à l’ongle.
[7] Le Dr Bussières procède à une réduction ouverte et fixation interne (points de suture nylon 4-0, Pansadaptic) et met le travailleur sous antibiotiques pour 10 jours (Cloxaciline). Il enlève les points le 7 décembre, note que la plaie est belle et prescrit des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie.
[8] Le 24 décembre, le Dr Legault note une légère surinfection de la plaie et prescrit un antibiotique pour une durée de 7 jours.
[9] Le 11 janvier 2005, le Dr Buissières note une rougeur et un oedème au pouce droit et pose un diagnostic d’infection au pouce droit. Il cesse les traitements de physiothérapie et d’ergothérapie et prescrit un nouvel antibiotique pour 10 jours.
[10] Le 15 février 2005, le Dr Buissières fait état d’une repousse unguéale douloureuse et très sensible pour laquelle il entend revoir le travailleur dans deux mois. L’arrêt de travail est maintenu.
[11] Le 9 mars 2005, le Dr Giasson examine le travailleur à la demande de l’employeur. Après avoir noté à l’examen de la main droite, une déformation en V du lit unguéal et une déformation au rebord radial de la phalange distale, le Dr Giasson retient le diagnostic de statut post-fracture du pouce droit et onycectomie traumatique et repousse douloureuse et est d’avis que cette lésion n’est pas consolidée et qu’il y a lieu de poursuivre une approche conservatrice.
[12] Le 19 avril 2005, dans son rapport final, le Dr Buissières consolide la lésion avec un diagnostic de déformation et d’onychodystrophie de l’ongle du pouce droit avec ankylose à la deuxième phalange du pouce droit (IPP), précisant qu’il en résulte une atteinte permanente mais aucune limitation fonctionnelle.
[13] Le 17 mai 2005, l’employeur demande un partage de coûts en vertu des articles 31 et 327 de la loi au motif que la présence de l’infection constitue une complication qui est survenue lors des traitements, qu’il ne s’agit pas d’une évolution normale et que cette infection a prolongé la période de consolidation et contribué à augmenter les coûts du dossier. Il demande un partage de l’ordre de 90% à l’ensemble des employeurs et de 10% à son dossier.
[14] Le 16 juin 2005, alors que le travailleur n’a toujours pas repris son travail de manœuvre en maçonnerie, le Dr Bussières pose un diagnostic d’onychodystrophie au pouce droit et prescrit une onycectomie. La CSST accepte la réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation à cette date sur la base de ce diagnostic.
[15] Le 9 août 2005, le Dr Buissières procède à une onycectomie au pouce droit. Il enlève les points le 16 août et note que la plaie est belle.
[16] Le 20 septembre 2005, le Dr Bussières autorise un retour au travail au 3 octobre. La CSST confirmera la capacité du travailleur à exercer son emploi depuis le 3 octobre.
[17] Le 1er novembre 2005, sur l’avis du Dr Chalut, la CSST refuse la demande de partage de l’employeur, au motif que la preuve ne démontre pas qu’une blessure ou une maladie est survenue par le fait ou à l’occasion des soins reçus par le travailleur pour sa lésion professionnelle, ou de l’omission de tels soins. Dans ses notes évolutives, la CSST indique que même si elle reconnaissait que l’infection constitue une lésion en vertu de l’article 31 de la loi, l’imputation demeurerait inchangée puisque le suivi médical pour l’infection a cessé le 25 janvier et que l’arrêt de travail pour une fracture et repousse unguéale s’est poursuivi jusqu’au 19 avril 2005.
[18] Dans son avis, le Dr Chalut (médecin à la CSST) souligne que la plaie était profonde et contaminée dès le jour de l’accident et que « cette plaie souillée s’est infectée malgré l’antibiothérapie », mais qu’il « n’y a eu aucune faute ou négligence médicale ». Quoiqu’il soit « évident » pour lui que « l’infection a retardé probablement la consolidation », le Dr Chalut estime toutefois qu’il « est impossible de présumer d’une date de consolidation » sans tenir compte de l’infection.
[19] Le 9 novembre 2005, à la demande de l’employeur, le Dr Giasson émet une opinion sur dossier. Notant que le médecin de la CSST a admis que l’infection avait prolongé la consolidation, le Dr Giasson est d’avis que l’infection doit être considérée comme une nouvelle lésion qui arrive à l’occasion des soins. Il considère qu’il y a une disproportion entre les conséquences normales d’une fracture du pouce et la lacération profonde qu’il observe dans le présent dossier et qui s’explique, selon lui, par la surinfection de la lésion initiale et la complication au niveau du lit unguéal. Le Dr Giasson est d’avis que l’onychodystrophie pour laquelle le travailleur a subi une onycectomie constitue une nouvelle lésion donnant ouverture au partage.
[20] Le 13 décembre 2005, le Dr Buissières note de nouveau une repousse unguéale irrégulière. Le 10 janvier 2006, notant que cette repousse unguéale est douloureuse, il recommande une onycectomie et demande une consultation au Dr Daigle, orthopédiste. Le 20 avril, il demande une consultation au Dr Duguay.
[21] En février 2006, la CSST confirme le refus de la demande de partage. L’employeur conteste cette décision, d’où la décision qui fait l’objet du présent litige.
[22] En mai 2006, la CSST accepte la réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation au 9 janvier 2006 (repousse inégale et hypersensibilité du pouce droit).
[23] Le 12 juin 2006, le Dr Giasson examine à nouveau le travailleur à la demande de l’employeur. Il retient les diagnostics de hypersensibilité au pouce droit, repousse unguéale douloureuse et se questionne sur une dystrophie réflexe. Il est d’avis que la lésion n’est pas encore consolidée.
[24] Le 24 août 2006, le Dr Bussières maintient son diagnostic tout en notant que la main est froide. Il prescrit un gant chauffant de même qu’une onycectomie radicale au pouce droit. Celle-ci est pratiquée en novembre 2006.
[25] Le 13 mars 2007, le Dr Giasson émet l’avis que les infections mises en évidence le 24 décembre 2004 et le 11 janvier 2005 constituent des nouvelles lésions, puisque lorsque le travailleur a été placé de façon prophylactique sous antibiothérapie, il n’y avait aucun signe d’une infection, la plaie étant d’ailleurs décrite comme étant belle, une fois les points enlevés le 7 décembre. Le Dr Giasson est d’avis que ces deux infections ont retardé la consolidation de la lésion, ce que lui confirme le Dr Chalut en mentionnant : « il est impossible de présumer d’une date de consolidation s’il n’y avait pas eu d’infection ».
[26] Le Dr Giasson est d’avis que l’onychodystrophie du pouce constitue également une nouvelle lésion, différente de la lacération du pouce, telle que schématisée par l’urgentologue et reprise par le Dr Buissières, le trait de scie étant à la base de l’ongle.
[27] Considérant que selon la grille constituée par la CSST la période de consolidation d’une fracture ou luxation d’un doigt ou d’un pouce est normalement de six (6) semaines, alors que l’événement de novembre 2004 ne sera consolidé que le 19 avril 2005, le Dr Giasson est d’avis que l’employeur ne devrait pas être imputé au-delà de six semaines.
[28] Le Dr Giasson note qu’en juin 2005, époque de la récidive, rechute ou aggravation, le Dr Buissières retient le diagnostic de « onychodystrophie pouce droit, cédulée pour onycectomie », sans qu’il ne soit question de la fracture de la phalange distale :
Tel qu’exprimé plus haut, cette onychodystrophie se doit d’être considérée comme une nouvelle lésion sous-entendant que l’on ne parle plus de la fracture de la phalange distale, mais bel et bien d’une évolution inhabituelle à l’égard d’une repousse douloureuse et pour laquelle l’on va considérer une onycectomie. Cette chirurgie a eu lieu le 9 mai 2005 et encore une fois à l’égard du diagnostic initial, à savoir « fracture de la phalange distale », cette onycectomie ne visait pas cette fracture, mais une nouvelle lésion secondaire à la réparation ouverte et fixation interne de cette fracture. Il s’agit donc d’une nouvelle lésion qui survient à l’occasion des soins, d’où la notion de désimputation à la faveur de l’article 327-31.
[29] Le Dr Giasson note de plus qu’à l’époque de la récidive, rechute ou aggravation de janvier 2006, le Dr Buissières fait état d’une repousse unguéale très douloureuse, qui nécessite une onycectomie ainsi qu’un arrêt de travail. Il est d’avis que cette condition doit être considérée aussi comme une nouvelle lésion, différente de la lésion initiale de fracture de la phalange distale, et donner ouverture à l’application des articles 31 et 327 de la loi.
[30] Le Dr Giasson note que plusieurs autres diagnostics apparaîtront par la suite (« hypersensibilité, arthralgie versus De Quervain ») et feront l’objet d’une investigation particulière (étude électromyographique et scintigraphie osseuse). Il note qu’en mai 2006, il sera question de « dysesthésie pouce droit, inflammation péri-unguéale » et qu’une onycectomie complète et greffe sera recommandée. Le Dr Giasson note de plus que malgré qu’une onycectomie radicale ait eu lieu le 10 octobre 2006, le Dr Buissières fait état, en novembre 2006, que la plaie est belle mais qu’il semble y avoir une petite repousse unguéale au côté cubital.
[31] Le Dr Giasson est d’avis que toutes ces interventions ne sont pas en relation avec la lésion initiale de fracture de la phalange distale du pouce, mais en regard de la condition distincte, et qu’au surplus, si l’on devait retenir que cette onychodystrophie découle de l’événement initial, une désimputation des coûts devrait néanmoins être obtenue, puisque l’évolution du dossier aurait dû amener les intervenants à procéder d’emblée à une intervention radicale :
Il y a, tel qu’exprimé plus haut, apparition de nouvelle lésion sous forme d’infection, mais également sous forme d’onychodystrophie pour laquelle monsieur se soumettra à une première onycectomie et, à mon avis, sa nouvelle lésion donne ouverture à l’application de l’article 327-31. Mais en acceptant pour fin de discussion que l’onychodystrophie découlerait de l’événement initial, l’employeur ne pourrait être tenu responsable de l’aggravation pour la rechute, récidive ou aggravation du 11 janvier 2006 lorsque l’on fait état d’une repousse unguéale douloureuse ++ et pour laquelle l’on va suggérer une onycectomie radicale. Il y aurait donc à la lumière de cette suggestion insuffisance au niveau des soins à l’égard de la première onycectomie qui à l’évolution du dossier aurait dû probablement être d’emblée radicale.
Quoi qu’il en soit et tel que mentionné plus tôt, il ne s’agit pas de déterminer s’il y a eu erreur médicale, mais bel et bien de faire la démonstration qu’il y a à la suite de l’événement initial apparition de nouvelles lésions qui surviennent à l’occasion des soins et, à mon avis, ce dossier en fait la démonstration d’où la notion de désimputation. Dans le cas contraire, l’employeur serait obéré injustement.
[32] Le 20 avril 2007, la CSST détermine que le travailleur est capable d’exercer son emploi à compter du 20 avril.
[33] Dans son argumentation produite avant l’audience, la procureure de l’employeur soumet que l’opinion du Dr Giasson permet de transférer à compter du 4 janvier 2005 le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle de novembre 2004 aux employeurs de toutes les unités, de même que le coût des lésions de juin 2005 et janvier 2006 qui ont été reconnues à titre de récidive, rechute ou aggravation.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[34] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur doit être imputé de la totalité des coûts de la lésion professionnelle subie par le travailleur et, plus particulièrement s’il a droit à un transfert en vertu de l’article 327 de la loi.
[35] L’article 327 de la loi se lit comme suit:
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations:
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
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1985, c. 6, a. 327.
[36] Pour avoir droit à un transfert d’imputation en vertu de l’article 327 de la loi, l’employeur doit donc démontrer que le travailleur a été victime d’une lésion visée par l’article 31 de la loi.
[37] L’article 31 de la loi se lit comme suit :
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion:
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).
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1985, c. 6, a. 31.
[38] Concernant la question du délai, le tribunal souscrit aux arguments de la procureure de l’employeur, constatant que contrairement à l’énoncé des dispositions des articles 326 et 329 de la loi, l’article 327 de la loi ne prévoit aucun délai pour effectuer une demande de transfert d’imputation :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[39] Dans l’affaire Hôpital Santa Cabrini[2] ainsi que dans Scierie Pékan inc.[3] et dans Distributions Paulo Spence inc.[4], la Commission des lésions professionnelles a retenu qu’il n’y avait aucun délai pour loger une demande de transfert en vertu de l’article 327 de la loi.
[40] Dans Soucy Rivalair inc.[5], la commissaire Sénéchal précise d’ailleurs ce qui suit relativement aux arguments de la CSST : « En indiquant qu’avant d’analyser les prétentions en vertu des articles 31 et 327 de la Loi, il y a lieu de vérifier si la demande de l’employeur respecte les modalités du Règlement, la CSST impose à l’employeur une procédure et surtout un délai que la Loi ne prévoit pas pour les cas visés par l’article 327 de la Loi[6].
[41] C’est aussi ce qu’a conclu la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Établissements de Détention Québec[7] :
[16] La Commission des lésions professionnelles tient finalement à souligner que la C.S.S.T. n’avait pas à assimiler la demande de transfert de coûts de l’employeur à une demande de reconsidération et s’interroger sur la question des délais et sur la présence ou non d’un fait essentiel nouveau. En effet, il s’agissait d’une première demande de transfert de coûts logée en vertu de l’article 327 de la loi, article qui ne prévoit aucun délai pour produire une telle demande. La C.S.S.T. aurait dû se prononcer sur le mérite même de la demande de l’employeur comme l’a récemment rappelé la Commission des lésions professionnelles dans des situations analogues2. Elle a épuisé sa compétence en rendant la décision qu’elle a rendue et le présent tribunal est justifié de rendre la décision qui aurait dû être rendue à l’origine.
2. Scierie Pekan inc. (C.L.P. 150642-01C-0011, 2002-03-27, Me Louise Desbois), Soucy Rivalair inc. (C.L.P. 226712-04B-0402, 2004-11-17, Me Sophie Sénéchal), Structures Derek inc. (C.L.P. 243582-04-0409, 2004-11-17, Me Jean-François Clément), Abattoir Colbex inc. (C.L.P. 220865-04B, 0311, 2004-11-18, Me Sophie Sénéchal), Parmalat Canada-Lactantia (C.L.P. 220771-04B-0311, 2004-11-29, Alain Vaillancourt) et Sûreté du Québec (C.L.P. 233994-04-0405, 2004-12-1, Me Sophie Sénéchal).
[42] Bref, la demande est recevable et le tribunal est valablement saisi de la contestation sur le fond.
[43] Quant au mérite de la demande de transfert, le tribunal considère, pour les motifs ci-après exposés, que l’employeur n’a pas satisfait à son fardeau de preuve d’une manière prépondérante.
[44] En effet, dans l’affaire Filochrome inc.[8], la Commission des lésions professionnelles rappelle quelles sont les conditions requises pour que l’article 31 de la loi trouve application :
[18] Dans l’affaire Polar Plastique ltée, la commissaire Morin précise qu’en édictant l’article 31 de la loi, le législateur a prévu qu’est considérée une lésion professionnelle une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion des soins qu’un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l’omission de tels soins, en établissant comme critères d’admissibilité, la démonstration de l’existence d’une nouvelle lésion et celle d’une relation causale entre la survenance de celle-ci et les soins reçus ou, selon le cas, ceux qui ont été omis.
[19] La jurisprudence constante2 de la Commission des lésions professionnelles a établi que l’article 31 de la loi vise la survenance d’une nouvelle pathologie distincte de celle qui a été reconnue initialement à titre de lésion professionnelle. Cette nouvelle pathologie doit être attribuable aux conséquences des traitements de cette lésion ou de l’omission de ces derniers. La jurisprudence précise qu’il ne peut s’agir d’une période de consolidation qui se prolonge en raison de l’apparition de divers facteurs ni les phénomènes qui ne peuvent être dissociés de la lésion d’origine ou du traitement qu’elle a nécessité telle la cicatrice qui est une conséquence directe et inévitable d’une chirurgie ou encore la complication concernant l’évolution de la lésion elle-même.
2. Voir entre autres : Abattoirs R. Roy inc. et Fleury, [1993] C.A.L.P. 1140 ; Chaussures H.H. Brown ltée et Côté, C.A.L.P. 56559-05-9401, le 5 juillet 1994, L. Boucher; Asea Brown Boveri inc. et Desautels, C.A.L.P. 55197-05-9311, le 14 août 1995, M. Denis; Kraft General Foods Canada inc. et CSST, [1996] C.A.L.P. 1033 ; Unival (St-Jean Baptiste) et Gaudreault, [1997] C.A.L.P. 612 ; Multi-Marques Distribution inc., C.L.P. 115170-63-9904, le 29 juin 1999, J.-M. Charette; Structural 1982 inc., C.L.P. 126292-62C-9910, le 3 mai 2000, L. Couture; Super C (Épiciers Unis Métro-Richelieu) et CSST, C.L.P. 121907-03B-9908, le 25 mai 2000, R. Jolicoeur; Métro-Richelieu-Épicerie Newton, [2000] C.L.P. 5 ; Carrière et Transport Napoléon Brochu et Gagnon et CSST, C.L.P. 132147-09-0002, le 1er décembre 2000, Y. Vigneault; C.H.U.S. (Hôtel-Dieu), C.L.P. 155621-05-0102, le 10 mai 2001, F. Ranger; Mailhot Palettes inc et CSST, C.L.P. 150203-63-0011, le 31 mai 2001, F. Dion-Drapeau; Olymel-Flamingo et CSST, C.L.P. 148680-63-0010, le 7 juin 2001, F. Dion-Drapeau; Sobey’s inc., C.L.P. 154222-71-0101, le 10 janvier 2002, M. Bélanger; Sabem inc. et Lupien, C.L.P. 168395-64-0109, le 22 janvier 2002, R. Daniel; Brasserie Labatt ltée, C.L.P. 160698-62B-0104, le 8 février 2002, A. Vaillancourt; Scierie Pékan inc., C.L.P. 150642-01C-0011, le 27 mars 2002, L. Desbois; Les Restaurants McDonald du Canada Ltée et CSST, C.L.P. 140093-63-0006, le 28 mars 2002, F. Dion-Drapeau; Urgences Santé, C.L.P. 155123-63-0102, le 9 avril 2002, J.-M. Charette; Wal-Mart Canada inc., C.L.P. 163794-08-0106, le 16 juillet 2002, J. Landry; Distribution Madico inc., C.L.P. 173336-03B-0111, le 4 décembre 2002, P. Brazeau.
[45] Dans Wal-Mart Canada inc.[9], la Commission des lésions professionnelles a rejeté une demande de transfert logée en vertu de l’article 327 de la loi, entre autres motifs, que l'ablation d'une partie de l'ongle ne pouvait être considérée comme une nouvelle lésion professionnelle au sens de l'article 31, celle-ci consistant plutôt en la conséquence directe de l’accident qui avait causé une fracture ouverte du gros orteil.
[46] Il en est de même dans Garage L. Hébert inc.[10], où la Commission des lésions professionnelles a rejeté une demande de transfert en vertu de l’article 327 de la loi au motif que l’infection ne constituait pas une nouvelle lésion au sens de l’article 31 de la loi, étant plutôt des symptômes inflammatoires directement reliés à la blessure d'origine, une plaie au talon à la suite de la perforation par un objet souillé, et non la conséquence des soins reçus ou de l'omission des tels soins.
[47] Dans le présent cas, bien que l’infection ait pu contribuer à la prolongation de la période de consolidation de la lésion professionnelle, il ressort de la preuve médicale au dossier que l’infection ne constitue pas, dans les circonstances du cas, une nouvelle lésion qui puisse être dissociée, d’une manière prépondérante, de la lésion initiale. Rappelons que déjà lors du premier traitement, la plaie était qualifiée de profonde, et que compte tenu d’un risque appréciable d’infection, le travailleur a reçu rapidement une antibiothérapie.
[48] Le tribunal considère que la preuve au dossier démontre de plus que l’onychodystrophie du pouce est une condition toute aussi indissociable de celle de la lésion professionnelle, puisque l’événement initial comporte un élément déterminant qui a été peu discuté par le Dr Giasson, à savoir qu’outre la fracture de la phalange distale du pouce gauche, il a causé une plaie profonde à la base de l’ongle et un traumatisme à la matrice unguéale avec fragment libre sous l’ongle.
[49] Considérant que selon le Grand dictionnaire terminologique de l’Office de la langue française, la matrice correspond au tissu d’implantation des cellules[11], et donc dans le présent cas, au tissu primitif de l’ongle, l’on peut aisément présumer qu’un traumatisme ou une atteinte à ce tissu pourra avoir des conséquences sur la repousse éventuelle de l’ongle. Le tribunal considère donc que dans les circonstances du cas, le diagnostic d’onychodystrophie n’apparaît pas comme étant indissociable du trauma initial survenu à la matrice de l’ongle, qui a, fort probablement, amené par la suite les complications de la repousse déformante de l’ongle, soit l’onychodystrophie. Il s’agit d’ailleurs du diagnostic de la lésion professionnelle qui apparaît au rapport final d’avril 2005.
[50] Considérant qu’il ressort de l’examen physique effectué par le Dr Giasson, en mars 2005, qu’il y avait une déformation en V du lit unguéal et que ce médecin recommandait un traitement conservateur en raison d’une lésion non consolidée de statut post fracture du pouce et onycectomie traumatique et repousse douloureuse, le tribunal ne retient pas qu’il y ait eu omission de soins ou que l’on ait tardé à intervenir avec un traitement plus radical au niveau de l’ongle.
[51] Considérant que la preuve factuelle démontre, d’une manière prépondérante, que c’est le site et la gravité même du traumatisme initial, soit la lésion profonde à la base de l’ongle et à la matrice unguéale, qui a, fort probablement, amené les complications d’infection et de repousse déformante de l’ongle, soit l’onychodystrophie, et qu’il ressort de la jurisprudence que le paragraphe 1 de l'article 31 de la loi ne vise pas l'évolution ou les complications de la lésion initiale mais réfère plutôt à une relation directe entre une nouvelle pathologie et les soins reçus ou ceux omis, le tribunal rejette la demande de transfert faite par l’employeur en vertu de cet article.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de l’employeur, Alliage Maçonnerie inc.;
CONFIRME la décision rendue le 7 février 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur, monsieur P. Charbonneau, en novembre 2004.
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Marie-Danielle Lampron |
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Commissaire |
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Me Corinne Lambert |
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GESTESS INC. |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] 178210-62-0202, 2003-04-28, R. L. Beaudoin
[3] 150642-01C-0011, 2002-03-27, L. Desbois
[4] 196256-02-0212, 2003-03-13, A. Gauthier
[5] 226712-04B-0402, 2004-11-17, S. Sénéchal
[6] Voir Bell Canada, 224630-71-0312, 2004-06-23, L. Couture
[7] 245376-32-0410, 2005-04-07 & 2005-06-14, M-A. Jobidon
[8] 255419-63-0502, 2005-10-24, D. Beauregard
[9] 163794-08-0106, 2002-07-16, J. Landry
[10] 152559-63-0012, 2001-12-13, J.-M. Charrette
[11] http://www.granddictionnaire.com/btml/fra/r_motclef/index800_1.asp
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