Emballages Smurfit-Stone Canada inc. et Lavoie |
2009 QCCLP 1175 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Rimouski |
20 février 2009 |
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Région : |
Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord |
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Dossier CSST : |
129038675 |
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Commissaire : |
Normand Michaud, juge administratif |
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Membres : |
Marcel Beaumont, associations d’employeurs |
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Pierre Boucher, associations syndicales |
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Assesseur : |
Dr Marc Mony |
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322164-01A-0706 |
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Emballages Smurfit-Stone Canada inc. |
Hector Lavoie |
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Partie requérante |
Partie requérante |
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et |
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Hector Lavoie |
Emballages Smurfit-Stone Canada inc. |
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Partie intéressée |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
Partie intervenante |
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[1] Le 4 juin 2007, l’entreprise Emballages Smurfit-Stone Canada inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 29 mai 2007 à la suite d’une révision administrative (CLP 319435-01A-0706).
[2] Le 29 juin 2007, monsieur Hector Lavoie (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une partie de la même décision de la CSST rendue le 29 mai 2007 (CLP 322164-01A-0706).
[3] Par cette décision, la CSST révise six décisions qu’elle a initialement rendues.
[4] Dans un premier temps, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du travailleur du 26 mars 2007 (CSST 129038675-001) puisque produite hors délai. Cette demande de révision vise une décision rendue par la CSST le 25 octobre 2006. Cette décision indique que l’indemnité de remplacement du revenu est suspendue à compter du 19 octobre 2006, puisque le travailleur a, sans raison valable, omis ou refusé de se soumettre à l’examen médical demandé par l’employeur.
[5] Dans un deuxième temps, la CSST confirme sa décision rendue le 9 mars 2007 (CSST 129038675-002) et déclare qu’elle est justifiée de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se soit prononcée sur la capacité du travailleur à exercer un emploi en raison des limitations fonctionnelles attribuables à sa lésion.
[6] Par sa décision du 29 mai 2007, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 21 mars 2007 (CSST 129038675-004) et déclare être justifiée de mettre en place un plan individualisé de réadaptation, puisque le travailleur conserve des limitations fonctionnelles attribuables à sa lésion.
[7] La CSST confirme également une autre décision rendue le 3 avril 2007 (CSST 129038675-003 et 129038675-005). Elle déclare que l’emploi de conducteur de camions lourds constitue un emploi convenable pour le travailleur et qu’il est capable de l’exercer à compter du 3 avril 2007. Elle déclare aussi que le revenu brut de l’emploi convenable est de 34 412,40 $ et que le travailleur a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu étant donné que cet emploi n’est pas disponible. Cependant, l’indemnité sera réduite dès qu’il travaillera comme conducteur de camions lourds ou, au plus tard, le 2 avril 2008.
[8] La CSST confirme aussi sa décision initialement rendue le 16 avril 2007 (CSST 129038675-006) qui fait suite à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale rendu le 4 avril 2007. Elle déclare que la lésion subie par le travailleur a entraîné une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique et qu’il a droit à une indemnité pour préjudice corporel.
[9] Finalement, la CSST modifie celle rendue le 17 avril 2007 (CSST 129038675-007), par laquelle elle dernière déclare que la lésion professionnelle du 20 mars 2006 a entraîné pour le travailleur une atteinte permanente de 3,30 % et qu’il a droit à une indemnité pour préjudice corporel de 1710,62 $, plus intérêts.
[10] L’audience s’est tenue le 15 avril 2008 à Matane en présence du travailleur et de son représentant. Monsieur Marcel Tardif, interlocuteur pour l’employeur, et son représentant sont aussi présents. Pour sa part, la représentante de la CSST a préalablement informé le tribunal de son absence à l’audience.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
319435-01A-0706
[11] L’employeur conteste quatre des six décisions initiales qui ont été révisées lors de la décision du 29 mai 2007.
[12] D’entrée de jeu, le représentant de l’employeur annonce à l’audience qu’il renonce à la contestation dans le dossier CSST 129038675-002. Par conséquent, il ne remet plus en question le bien-fondé de cette décision confirmant que la CSST était justifiée de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se soit prononcée sur la capacité du travailleur à exercer un emploi, puisque ce dernier conserve des limitations fonctionnelles attribuables à sa lésion.
[13] Par la suite, dans le dossier CSST 129038675-004, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le travailleur n’avait pas droit à la réadaptation étant donné qu’il a pris sa retraite et que la CSST n’était pas justifiée de mettre en place un plan individualisé de réadaptation, ce dernier ne désirant pas réintégrer le marché du travail.
[14] Toutefois, si la Commission des lésions professionnelles retenait que le travailleur a droit à la réadaptation, l’employeur plaide qu’elle serait justifiée de retenir l’emploi de conducteur de camions lourds à titre d’emploi convenable (dossier CSST 129038675-005).
[15] Enfin, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’atteinte permanente que conserve le travailleur est de 1 % (dossier CSST 129038675-007).
322164-01A-0706
[16] De son côté, le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de le relever de son défaut d’avoir produit sa demande de révision de la décision du 25 octobre 2006 hors délai dans le dossier CSST 129038675-001 et d’annuler la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu dont il a été victime, vu qu’il avait un motif raisonnable pour ne pas s’être présenté à l’examen médical.
[17] De plus, dans le dossier CSST 129038675-003, le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’emploi de conducteur de camions lourds ne constitue pas un emploi convenable, considérant les limitations fonctionnelles et l’atteinte permanente découlant de sa lésion professionnelle du 20 mars 2006.
[18] Toutefois, si le tribunal retenait l’emploi de conducteur de camions lourds à titre d’emploi convenable, le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la base salariale déterminée par la CSST est trop élevée.
LES FAITS
[19] Le travailleur, présentement âgé de 60 ans, a travaillé à titre d’opérateur de machinerie lourde pour l’employeur pendant plus de 35 ans.
[20] Le 20 mars 2006, le travailleur subit un accident du travail lorsque le chariot élévateur qu’il conduit bascule et se renverse sur le côté gauche. Il se frappe alors l’épaule gauche sur la surface inférieure de la portière de la cabine. Le diagnostic retenu est celui de déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche.
[21] Du 20 mars au 18 juillet 2006, le travailleur est en arrêt de travail.
[22] Le 18 juillet 2006, la docteure Renée D’Amours, médecin traitante, autorise une assignation temporaire de travail. Ainsi, du 24 juillet au 20 août 2006, le travailleur est affecté à différentes tâches visant à respecter sa condition physique.
[23] Le 20 août 2006, le travailleur effectue sa dernière journée de travail pour l’employeur. Il part alors pour l’Europe, à l’occasion d’un voyage qui était planifié depuis longtemps et pour lequel l’employeur lui a accordé des vacances.
[24] À son retour de voyage, au début septembre 2006, le travailleur écoule le reste de ses vacances. Il ne reviendra plus au travail. Il prend sa retraite le 1er octobre 2006.
[25] À l’audience, il indique avoir hésité avant de prendre sa retraite en raison de sa lésion professionnelle. Il soutient avoir eu au départ l’idée de prendre sa retraite dès que possible, durant l’été 2006, pour ensuite retourner sur le marché du travail pour un autre employeur « à ses conditions à lui ». Toutefois, l’événement de mars 2006 a bouleversé ses plans. Il prétend donc avoir attendu l’avis des différents médecins avant de prendre une décision définitive sur l’opportunité de prendre sa retraite.
[26] M. Jean Levasseur, directeur des Ressources humaines chez l’employeur à l’époque, témoigne devant le tribunal et indique que le travailleur a déposé, le 1er février 2006, une demande de calcul de prestations de son régime de retraite. La retraite était alors prévue pour le 1er juillet 2006. L’accident du travail de mars 2006 aurait modifié le cours des choses. Ce n’est qu’à son retour d’Europe que le travailleur demande officiellement de prendre sa retraite et la date retenue sera le 1er octobre 2006.
[27] Le 8 septembre 2006, le travailleur est examiné par le docteur Nicholas Massé, orthopédiste. Il est alors question de la possibilité d’une opération à l’épaule gauche. Le travailleur jongle avec l’idée de ne pas se faire opérer. Il envisage prendre sa retraite. Il mentionne à son médecin que les douleurs sont minimes lorsqu’il ne travaille pas. Le docteur Massé note :
Il s’en suit une longue discussion avec monsieur Lavoie, je lui explique que habituellement, les déchirures de moins de 1 cm peuvent être traitée de façon conservatrice. Les déchirure de 1 cm et plus bénéficient habituellement d’une chirurgie puisque le traitement conservateur est beaucoup moins efficace. Je lui explique également en détail la chirurgie qui consiste à une suture de coiffe des rotateurs associée à une acromioplastie par arthroscopie. Pour l’instant, le patient désire réfléchir à cette opération puisqu’il est près à prendre sa retraite et qu’il mentionne avoir moins de douleur lorsqu’il ne doit pas travailler. Il me reconsultera donc au besoin en vue d’être cédulé pour une chirurgie de suture de la coiffe des rotateurs. Je demeure disponible pour tout renseignement additionnel. [sic]
[28] Le 28 septembre 2006, la docteure D’Amours consolide la lésion du travailleur avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Toutefois, elle ne les détermine pas.
[29] À l’automne 2006, le travailleur va à la chasse comme à chaque automne depuis plus de 25 ans. À l’audience, il précise y être allé à trois reprises : du 30 septembre au 8 octobre, il quitte pour la chasse à l’orignal à l’arc, du 13 octobre au 22 octobre, il va à la chasse à l’orignal à la carabine et du 4 novembre au 10 novembre, il chasse le chevreuil. Il mentionne être revenu chez-lui entre chaque voyage de chasse.
[30] À l’occasion de la chasse à l’orignal à l’arc, le travailleur explique être monté dans un mirador d’une douzaine de pieds à l’aide d’une échelle. De plus, il affirme avoir tué une bête avec une seule flèche. C’est d’ailleurs la seule flèche qu’il ait tirée durant cette semaine.
[31] Le 18 octobre 2006, le travailleur doit se rendre chez le docteur Bernard Lacasse, orthopédiste, pour un examen médical à la demande de l’employeur. Toutefois, il ne se présente pas à son rendez-vous puisqu’il est à ce moment à la chasse. À l’audience, il explique avoir avisé l’employeur de son impossibilité de se présenter à cet examen. Il soutient que l’employeur sait qu’il s’absente pour la chasse chaque année à la même période.
[32] Le 19 octobre 2006, l’employeur demande à la CSST de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu touchée par le travailleur, puisque celui-ci ne s’est pas présenté à l’examen médical.
[33] Le 25 octobre 2006, la CSST informe le travailleur par écrit qu’elle suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu, puisqu’il a, sans raison valable, omis ou refusé de se soumettre à un examen médical demandé par son employeur. Au dernier paragraphe de la lettre, il est indiqué : « Vous ou votre employeur pouvez demander la révision de la décision dans les 30 jours suivant la réception de la présente lettre ». À l’audience, le travailleur admet avoir reçu cette lettre.
[34] Le travailleur demande une révision de cette décision le 26 mars 2007. À l’audience, pour expliquer son retard à produire sa demande, il indique qu’il ne savait pas qu’il pouvait contester. Cette décision est l’un des objets en litige (CSST 129038675-001).
[35] Le 20 novembre 2006, le travailleur rencontre un agent d’indemnisation de la CSST, lequel écrit aux notes évolutives :
Je lui demande pourquoi il a pris sa retraite. Il m’indique qu’il a pris sa retraite suite à la rencontre avec le Dr Massé et qu’il a pesé le pour et le contre. De toute façon, il était à l’emploi de cet E depuis 1969 et il voulait prendre sa retraite. Je lui demande s’il pense retourner sur le marché du travail? Il m’indique qu’il ne pense pas retourner travailler, mais qu’il va plutôt s’occuper de lui et aller à son rythme. Je lui indique que nous devrons faire des étapes de la réadaptation, à moins qu’il y renonce. Il m’indique qu’il croit bien envisager cette solution, mais qu’il y pensera. Je lui indique que nous devrons rendre une décision de capacité s’il ne renonce pas à la réadaptation. Je lui indique que je communiquerai avec son E pour discuter de notre rencontre et des procédures à venir. Je lui indique que je recommuniquerai avec lui après avoir discuté avec l’E.
[36] Le 11 décembre 2006, le docteur Lacasse examine le travailleur à la demande de l’employeur. Il indique que la palpation de l’épaule gauche révèle la présence de deux zones de sensibilité, soit au regard de l’insertion du sus-épineux sur la grosse tubérosité de l’humérus proximal et au rebord vertébral de l’omoplate près de la pointe de cette dernière. Il considère que les mouvements de son épaule gauche sont d’amplitude normale et sont symétriques par rapport à la droite. Il note que les manœuvres de Neer et de Jobe reproduisent une douleur sous-acromiale tandis que les autres manœuvres ou mises en tension ne reproduisent aucune douleur.
[37] Le docteur Lacasse conclut que le travailleur a présenté une déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche lors de l’événement du 20 mars 2006. Il maintient la date de consolidation déjà déterminée par la docteure D’Amours, soit le 28 septembre 2006.
[38] Considérant qu’il s’agit d’une déchirure de petit diamètre qui ne laisse pas de faiblesse à la mise en tension du sus-épineux, qu’il n’y a pas d’ankylose articulaire objectivable et que les mouvements de l’épaule gauche sont normaux et symétriques avec ceux de l’épaule droite, le docteur Lacasse évalue les séquelles permanentes à 1 %. Il réfère au code 102374 du Barème[1] pour une atteinte des tissus mous du membre supérieur gauche. Toutefois, contrairement à la docteure D’Amours, il ne retient aucune limitation fonctionnelle temporaire ou permanente.
[39] La CSST reprend les versements de l’indemnité de remplacement du revenu à la suite de cet examen.
[40] Le 28 février 2007, le docteur Marc Ross Michaud, membre du Bureau d’évaluation médicale, rédige un avis traitant de l’existence des limitations fonctionnelles. Il écrit que le travailleur lui rapporte n’avoir aucune douleur à l’épaule gauche au repos. À l’usage, il y a sensation de raideur et douleur à la mobilisation en élévation antérieure et en abduction avec rotation externe. Il dit n’avoir aucune perte de force. De plus, le pelletage de la neige peut occasionnellement causer une sensation de fatigue et engourdissement du membre supérieur gauche.
[41] Lors de son examen de l’épaule gauche, le docteur Michaud note à la palpation une sensibilité au niveau supérieur à l’articulation acromio-claviculaire ainsi qu’à la face latérale à l’insertion du sus-épineux sur la tubérosité humérale proximale et au niveau de la gouttière du long biceps ainsi qu’à l’arche acromio-coracoïdienne.
[42] Il observe une diminution de 10º lors des mouvements actifs de flexion antérieure et en abduction à gauche par rapport aux mêmes mouvements en passif ou à droite. Il note aussi une diminution de 10º en rotation interne à gauche en passif en comparaison avec l’épaule droite. Tous les autres mouvements sont normaux et symétriques. Il ajoute :
À l’épaule gauche, le mouvement reste douloureux en flexion antérieure, abduction et rotation.
La mise en tension du sus-épineux par la manœuvre de Jobe reproduit une douleur sous-acromiale mais sans faiblesse.
La mise en tension de la longue portion du biceps par les manœuvres de Speed et Yergason reproduit une douleur mais sans faiblesse.
La manœuvre de Hawkins reproduit une douleur en sous-acromiale.
La manœuvre d’abduction, rotation externe et extension reproduit une douleur avec crépitations en région de l’articulation acromio-claviculaire.
[43] Au terme de son évaluation, le docteur Michaud retient les limitations fonctionnelles permanentes suivantes :
éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente des activités qui impliquent de :
- soulever ou porter des charges dépassant 25 kilos;
- garder le bras en position statique d’élévation ou d’abduction plus haut que la hauteur des épaules;
- effectuer des mouvements de rotations de l’épaule;
- s’accrocher, s’agripper ou lancer avec le bras gauche.
[44] Étant liée par cet avis, la CSST rend une décision le 9 mars 2007 reconnaissant ces limitations fonctionnelles.
[45] Le même jour, le travailleur rencontre un conseiller en réadaptation de la CSST. Il soutient alors ne plus être en mesure d’effectuer son emploi prélésionnel. Il mentionne également ne plus vouloir retourner sur le marché du travail et ne pas vouloir bénéficier de la réadaptation. Le conseiller écrit :
Je lui indique que nous analyserons le respect de ses L.F., mais qu’il est fort probable qu’il ne puisse refaire son emploi pré-lésionnel. Par la suite, nous ne pourrons nous prononcer sur un emploi convenable chez l’E puisqu’il a pris sa retraite et qu’elle a été acceptée par l’E. Nous devrons donc se prononcer sur un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail. À cet égard, il m’indique qu’il ne veut pas retourner sur le marché du travail puisqu’il a pris sa retraite. Je lui demande s’il veut bénéficier de la réadaptation? Il m’indique que non. Je lui demande donc de nous faire parvenir une lettre nous indiquant qu’il renonce à la réadaptation. Il m’indique qu’il le fera. […]
[46] À l’audience, le travailleur nuance ses propos. Il soutient qu’il croyait à cette époque que le conseiller en réadaptation voulait absolument qu’il retourne travailler chez l’employeur. Il prétend que c’est pour cette raison qu’il a dit ne pas être intéressé à retourner sur le marché du travail.
[47] Le 13 mars 2007, la CSST constate que l’employeur n’a pas demandé au médecin du travailleur s’il était d’accord avec l’atteinte permanente évaluée par le docteur Lacasse. Étant donné l’absence de la docteure D’Amours pour une bonne période, la CSST demande un avis complémentaire au Bureau d’évaluation médicale.
[48] Le 20 mars 2007, à l’occasion d’une conversation téléphonique avec le conseiller en réadaptation, le travailleur réitère qu’il ne veut pas bénéficier de la réadaptation. On retrouve ce qui suit aux notes évolutives :
Je lui indique donc que nous pouvons nous prononcer sur son incapacité à refaire son emploi pré-lésionnel puisque les limitations fonctionnelles ne sont pas respectées. Tel que discuté lors de la rencontre du 9 mars 2007, je demande au T s’il veut bénéficier de la réadaptation ou non? Il m’indique qu’il n’en veut pas puisqu’il a pris sa retraite et qu’il ne veut pas retourner travailler. Je lui demande s’il peut me confirmer sa renonciation à la réadaptation par écrit. Il m’indique que non, parce qu’il dit qu’il n’y renoncera pas tant et aussi longtemps qu’il y aura de l’amélioration à avoir. Je lui indique que son médecin traitant l’a consolidé, donc qu’il n’y a plus de traitements possibles, que nous avons eu des L.F. par le BÉM et que nous sommes en mesure de faire de la réadaptation et se prononcer sur une capacité de travail, même si nous n’avons pas encore le pourcentage d’APIPP. Il m’indique qu’il n’y renoncera pas tant que l’APIPP ne sera pas réglée. Comme il ne veut pas me le confirmer par écrit et qu’il ne veut pas participer à la réadaptation, je lui indique que nous devrons prendre une mesure et que je l’informerai de la décision prise.
[49] Le 21 mars 2007, la CSST convient que le travailleur n’est plus en mesure d’occuper son emploi prélésionnel, considérant les limitations fonctionnelles retenues. De plus, compte tenu que celui-ci a pris sa retraite, la CSST reconnaît qu’il n’y a pas de possibilité d’emploi convenable auprès de l’employeur. Par conséquent, un plan individualisé de réadaptation est mis sur pied, l’objectif étant de déterminer un emploi convenable afin de lui permettre de se trouver un emploi ailleurs sur le marché du travail.
[50] Le 28 mars 2007, à l’occasion d’une rencontre avec un conseiller en réadaptation, le travailleur est prié de présenter des solutions d’emplois convenables réalistes, respectant ses limitations fonctionnelles et qui lui permettraient de réintégrer le marché du travail. Ce dernier fait alors part des emplois qu’il a occupés par le passé, soit opérateur de machinerie lourde, camionneur et conducteur de camion-citerne. Au terme de cette rencontre, il se dit d’accord avec le fait qu’un emploi convenable soit choisi parmi les suggestions qu’il a données. Il indique toutefois au conseiller qu’il n’est pas intéressé à retourner sur le marché du travail pour l’instant. On retrouve aux notes évolutives :
Je lui indique que nous devrons donc trouver un emploi convenable parmi ces emplois qui respectera ses limitations fonctionnelles. Il m’indique être en accord avec cette démarche. Je lui redemande à nouveau s’il veut retourner sur le marché du travail? Il m’indique que pour l’instant il n’est pas intéressé, mais qu’il voudra peut-être y retourner plus tard.
[51] Le 3 avril 2007, la CSST détermine que le travailleur est capable d’exercer l’emploi convenable de conducteur de camions lourds. Elle calcule la base salariale de cet emploi à partir du salaire horaire minimum prévu dans Repères[2], soit 16,50 $ l’heure, ce qui donnerait un salaire annuel de 34 412,40 $. À l’audience, le travailleur témoigne à l’effet que le salaire horaire d’un conducteur de camions lourds oscille plutôt entre 12 $ et 15 $ l’heure. Il indique s’être informé auprès de camionneurs qui venaient livrer des marchandises à l’usine.
[52] Selon Repères, les tâches suivantes peuvent être accomplies dans le cadre du travail de conducteur de camions lourds :
- Vérifie avant le départ le système de climatisation ou de réfrigération, les pneus, les phares, les freins, les avertisseurs, etc.
- Rend compte de toute anomalie et s’assure que le véhicule est ravitaillé avec le carburant de qualité appropriée.
- Branche et débranche les conduits d’air, les canalisations et actionne la béquille de la remorque.
- Surveille le chargement de la marchandise.
- S’assure que la charge est disposée de manière équilibrée et que l’espace disponible est utilisé à son maximum.
- Place des matelas de protection autour des articles fragiles.
- Arrime, au besoin, le chargement sur le camion avec des câbles, des crochets, des chaînes et des brides.
- Prépare des reçus pour le chargement embarqué ou livré.
- Met en route le camion et le conduit à destination en respectant les règles de sécurité et de circulation.
- Vérifie régulièrement le chargement pour s’assurer qu’il ne se déplace pas en cours de route.
- Exécute, sur l’accotement de la route, des réparations d’urgence telles que des changements de pneus, d’ampoules et de fusibles.
- Surveille le déchargement de la marchandise.
- Encaisse le paiement des marchandises.
- Peut conduire un camion porteur.
[53] À l’audience, le travailleur prétend ne pas être en mesure d’effectuer l’emploi convenable déterminé par la CSST. Selon lui, cet emploi ne respecte pas ses limitations fonctionnelles. Il explique qu’il ressent toujours de la douleur au membre supérieur gauche lorsqu’il le sollicite.
[54] À titre d’exemple, le travailleur décrit les tâches qui doivent être accomplies pour opérer un camion-citerne à partir de son expérience. Il conclut ensuite que l’état de son épaule ne lui permet pas d’effectuer ce travail, puisque le fait de s’agripper et de monter l’échelle occasionne des douleurs à son membre supérieur gauche.
[55] Selon le travailleur, l’opérateur de camion-citerne doit monter une première fois l’échelle (quatre ou cinq barreaux) pour mettre le tuyau de chargement dans l’entrée vide sur le dessus du camion. Ensuite, il doit descendre pour activer la pompe et remonter pour surveiller le chargement. Une fois le chargement effectué, l’opérateur doit redescendre arrêter la pompe, remonter pour enlever le tuyau et redescendre pour prendre place dans la cabine du conducteur. Il doit effectuer sensiblement les mêmes opérations lors du déchargement.
[56] Pour ce qui est des tâches décrites dans Repères, faisant état de ce que peut accomplir un conducteur de camions lourds, le travailleur assure ne pas être en mesure de placer des matelas de protection autour des articles fragiles étant donné ses limitations fonctionnelles. Cette tâche implique d’effectuer des mouvements plus haut que les épaules, selon les dimensions des articles à protéger.
[57] Relativement à la tâche d’arrimer le chargement, le travailleur explique qu’elle nécessite de s’agripper et de monter sur le camion. Elle implique également de « serrer le voyage en place », c’est-à-dire attacher les courroies à l’aide d’un « ratchet ». Pour ce faire, l’opérateur doit mettre tout son poids et utiliser ses deux bras. Le travailleur ne se sent pas capable d’effectuer ce genre de tâche.
[58] Le travailleur prétend également que ses limitations fonctionnelles l’empêchent de changer des pneus. Il indique que la force devant être déployée pour effectuer cette tâche lui occasionnerait des douleurs.
[59] Finalement, il poursuit ses explications en comparant l’emploi convenable à la conduite de son automobile. Il affirme ne pas être en mesure de conduire sa voiture pendant plusieurs heures consécutives. Il doit prendre des micro-pauses. Il se demande donc de quelle façon il pourra effectuer l’emploi convenable dans ces conditions.
[60] À un autre niveau, le travailleur indique pouvoir conduire une motoneige sur de courtes distances seulement. Il indique également être en mesure de faire son bois de chauffage malgré ses douleurs. Il peut couper son bois avec une tronçonneuse, mais il doit le rentrer à son rythme.
[61] À la suite de la décision de la CSST du 3 avril 2007, le travailleur ne fait aucune recherche pour se trouver un emploi. À l’audience, il affirme avoir pris soin de lui durant cette période et avoir observé l’évolution de sa pathologie. Il indique garder toujours l’espoir de guérison. Toutefois, il déclare ne pas rejeter l’option de retourner sur le marché du travail s’il pouvait trouver un emploi qui respecterait ses limitations fonctionnelles.
[62] Étant donné sa retraite, le travailleur soutient n’avoir eu aucune intention de retourner travailler pour l’employeur. Il a refusé les emplois dit « convenables » proposés par celui-ci non seulement parce qu’il les considère « inconvenables », mais également parce qu’il voyait sa retraite comme une opportunité d’exercer un métier ailleurs sur le marché du travail et à ses propres conditions.
[63] Le 4 avril 2007, le docteur Michaud, membre du Bureau d’évaluation médicale, produit un avis complémentaire portant sur l’atteinte permanente. Il évalue le déficit anatomo-physiologique à 2% et le justifie ainsi : « code 102383 tendinite épaule gauche, par analogie atteinte des tissus mous ».
[64] Le 12 avril 2007, la docteure D’Amours, médecin du travailleur, produit à la CSST un rapport complémentaire dans lequel elle se dit d’accord avec le docteur Lacasse pour le pourcentage de 1 % pour l’atteinte permanente. On ne retrouve au dossier aucune note d’examen ou de consultation pour cette journée.
[65] Le 17 avril 2007, la CSST donne suite à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale et informe le travailleur que son atteinte permanente a été évaluée à 2 %. À ce pourcentage, s’ajoute 0,20 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie, pour un total de 2,20 %. Ce pourcentage lui donne droit à une indemnité de 1140,41 $.
[66] Le 29 mai 2007, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Cette décision fait l’objet d’une contestation tant par l’employeur que par le travailleur, d’où les présents litiges. Comme mentionné au début de la présente, la CSST révise six décisions antérieures. Ainsi, elle confirme, entre autres, que la demande de révision du travailleur dans le dossier 129038675-001 est irrecevable, puisque produite hors délai, qu’elle était justifiée de mettre en place un plan individualisé de réadaptation considérant que le travailleur conserve des limitations fonctionnelles attribuables à sa lésion et que l’emploi de conducteur de camions lourds est un emploi convenable pour lui.
[67] D’un autre côté, la CSST vérifie également la conformité du bilan des séquelles ayant servi à rendre la décision du 17 avril 2007. À cet égard, elle constate que, dans son évaluation, le membre du Bureau d’évaluation médicale n’attribue pas de pourcentage relié à l’ankylose rapportée. Or, selon elle, le Barème prévoit que dans les cas où une perte de mouvement au niveau des articulations est notée et qu’une atteinte des tissus mous est accordée (code 102383 soit une atteinte des tissus mous avec séquelles fonctionnelles), il faut aussi se référer au tableau des ankyloses de l’articulation atteinte. Ainsi, la Révision administrative soutient qu’un déficit anatomo-physiologique de 1 % correspond au type de séquelles relevées en l’espèce. Par conséquent, la Révision administrative corrige le bilan des séquelles du travailleur et l’établit comme suit :
1- Séquelles actuelles :
102383 Tendinite épaule gauche, par analogie atteinte 2 %
des tissus mous
105059 Rotation interne 35 degrés 1 %
[68] Au terme de cette révision administrative, la CSST modifie sa décision du 17 avril 2007 et déclare que l’atteinte permanente est de 3 %. En y ajoutant 0,30 % prévu par le règlement pour douleurs et perte de jouissance de la vie, l’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique du travailleur s’élève à 3,30 %.
[69] Cette décision est un des objets du présent litige.
[70] Le 15 février 2008, le docteur Michel Giguère examine le travailleur à la demande de son représentant et rapporte ainsi les activités sportives que lui décrit le travailleur :
Monsieur faisait de la pêche et de la chasse. Il pratique encore ces sports, mais il a dû se louer un palan à chaîne pour la chasse plutôt que d’un palan à corde qu’il utilisait auparavant en raison de douleurs à son membre supérieur gauche. Auparavant, monsieur faisait de la motoneige de 2 à 3 fois par semaine, il n’en fait maintenant qu’une fois par semaine en choisissant ses distances. Il conduit plus avec sa main droite. Monsieur pratique circule également en véhicule tout-terrain, mais il en fait moins en raison de douleurs à son épaule gauche, des vibrations causées par la pratique de ce sport. Il nous mentionne qu’il chasse à l’arc et qu’il ne peut étirer son arc de façon répétitive en raison de douleurs importantes et de faiblesse à son membre supérieur gauche. [sic]
[71] Il ajoute que le travailleur lui dit être capable de tondre la pelouse. Passer la souffleuse augmente les douleurs à son épaule gauche. Il présente également des douleurs plus intenses lorsqu’il doit faire son bois de chauffage.
[72] Lors de l’examen de l’épaule gauche, il note des diminutions importantes des amplitudes lors des mouvements actifs de flexion antérieure, abduction, rotation externe et rotation interne par rapport à la normale et au côté droit. Toutefois, ces amplitudes redeviennent normales et symétriques à la droite lors des mouvements passifs, sauf pour la rotation interne qui conserve une diminution de 10°. Il retrouve également des signes d’accrochage, des signes de Neer et de Hawkins positifs. Il y a des crépitements aux mouvements de rotation qui provoquent aussi des douleurs.
[73] Le docteur Giguère évalue l’atteinte permanente à 3 %, soit selon les codes suivants du Barème :
102383 Atteinte permanente des tissus mous épaule gauche (déchirure de la coiffe des rotateurs à l’épaule gauche. DAP 2 %
105059 Perte de 10 degrés de rotation interne passive au niveau de l’épaule gauche. DAP 1 %
[74] Il indique que le travailleur présente les limitations fonctionnelles suivantes :
Monsieur doit :
- éviter le travail plus haut que la hauteur normale des épaules (au-dessus de 90°)
- éviter de garder le bras en position statique d’élévation ou d’abduction, même inférieure à 90°
- éviter d’effectuer des mouvements de rotation avec l’épaule gauche
- éviter la manipulation de charges de plus de 10 à 15 livres à bout de bras avec le membre supérieur gauche
- éviter de s’accrocher, de s’agripper ou de lancer avec le membre supérieur gauche.
[75] Il est d’avis que le travail de conducteur de camions lourds est incompatible avec ces limitations fonctionnelles et que le travailleur est inapte à l’emploi convenable déterminé par la CSST, et ce, depuis le 3 avril 2007.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[76] Concernant le droit à la réadaptation (CSST 129038675-004), le représentant de l’employeur allègue que le travailleur n’avait pas droit à la réadaptation, puisque ce dernier n’a pas démontré qu’il en avait besoin ou que cela était nécessaire. Selon lui, le travailleur planifiait prendre sa retraite depuis plusieurs mois. Il a déclaré à plusieurs reprises à l’agent d’indemnisation de la CSST qu’il ne voulait plus retourner sur le marché du travail. Il a été hésitant dans son témoignage devant le tribunal sur ses intentions d’y retourner lorsqu’il sentirait que sa condition physique le lui permettrait. Ce sont autant d’éléments qui indiquent que le travailleur ne veut pas travailler de nouveau. Ainsi, selon lui, l’état du travailleur ne requérait pas la réadaptation. La CSST n’était donc pas justifiée de mettre en place un plan individualisé de réadaptation.
[77] Sur cette question, le représentant du travailleur plaide que le travailleur a droit à la réadaptation vu qu’il conserve des limitations fonctionnelles de sa lésion. Selon lui, le fait de prendre sa retraite ne peut être considéré comme un obstacle aux bénéfices prévus à la loi, incluant le droit à la réadaptation.
[78] Pour ce qui est de l’emploi convenable retenu par la CSST (CSST 129038675-005), le représentant de l’employeur soutient que celle-ci était justifiée de déclarer que l’emploi de chauffeur de camions lourds constituait un emploi convenable pour le travailleur et qu’il était apte à l’exercer. Selon lui, la preuve prépondérante est à cet effet. Il affirme également que le revenu retenu par la CSST pour cet emploi est conforme à ce que le travailleur peut réellement gagner sur le marché du travail.
[79] Pour sa part, le représentant du travailleur est d’avis contraire. Il soutient que cet emploi ne respecte pas les limitations fonctionnelles émises par le docteur Giguère et que le travailleur est incapable de l’accomplir, tel qu’il en a fait la preuve. Toutefois, si le tribunal venait à déclarer que cet emploi est convenable, le représentant soumet que le base de salaire sur laquelle le revenu de l’emploi a été calculé n’est pas réaliste.
[80] Le représentant de l’employeur prétend que l’atteinte permanente du travailleur est de 1 % (CSST 129038675-006 et 007). Selon lui, la CSST a fait une erreur dans le calcul du pourcentage étant donné que le diagnostic retenu à titre de lésion professionnelle n’est pas celui de tendinite à l’épaule gauche, mais plutôt celui de rupture de la coiffe des rotateurs. La CSST devait alors se référer au tableau des ankyloses contenu dans le Barème, qui stipule qu’une perte de 10 degrés au niveau de la rotation équivaut à une atteinte permanente de 1 %.
[81] De son côté, le représentant du travailleur est d’avis que la CSST a correctement appliqué le Barème à la suite des observations des médecins. Selon lui, l’atteinte permanente est donc de 3 %.
[82] Finalement, le représentant du travailleur prétend que ce dernier doit être relevé de son défaut d’avoir produit sa demande de révision hors délai, puisqu’il a un motif raisonnable (CSST 129038675-001). Selon lui, la saison de chasse étant un événement primordial dans la vie d’un chasseur et le fait que l’employeur était au courant des dates durant lesquelles le travailleur s’absentait sont des éléments constituant un motif raisonnable et justifiant le travailleur de ne pas s’être présenté à l’examen médical.
[83] Pour sa part, le représentant de l’employeur plaide que le travailleur ne doit pas être relevé du défaut d’avoir produit sa réclamation dans le délai prévu à la loi, puisqu’il n’a fait la preuve d’aucun motif raisonnable pouvant justifier son retard.
L’AVIS DES MEMBRES
[84] Concernant le droit à la réadaptation (CSST 129038675-004), le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête de l’employeur devrait être rejetée. Selon eux, le travailleur a droit à la réadaptation, étant donné qu’il conserve une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles de sa lésion professionnelle. L’employeur s’est d’ailleurs désisté de sa contestation de la décision de la CSST reconnaissant l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles dans le dossier 129038675-002.
[85] Relativement à l’emploi convenable (CSST 129038675-005), les membres issus des associations sont tous deux d’avis que la requête de l’employeur devrait être accueillie. Ils considèrent que l’emploi de conducteur de camions lourds constitue un emploi convenable pour le travailleur et qu’il est capable de l’exercer à compter du 3 avril 2007, puisque la majeure partie du temps, l’emploi requiert uniquement d’être en mesure de conduire. Selon eux, les tâches s’apparentant à des répétitions de mouvements ne sont requises que très rarement dans le cadre de cet emploi. D’ailleurs, ils notent que le travailleur est en mesure de pratiquer la chasse, de conduire un 4 roues et une motoneige ainsi que de couper du bois de chauffage à l’aide d’une tronçonneuse, et ce, malgré ses limitations fonctionnelles.
[86] Toutefois, ils considèrent qu’aucune indemnité de remplacement du revenu ne devrait être versée au travailleur durant l’année suivant la détermination de l’emploi convenable étant donné que celui-ci n’a effectué aucune recherche d’emploi.
[87] Pour ce qui est des dossiers CSST 129038675-006 et 007 relatifs à l’atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur, les membres issus des associations sont tous deux d’avis que la CSST a correctement appliqué le Barème. Selon eux, la preuve médicale prépondérante démontre une perte de mouvements au niveau de la rotation interne de l’épaule gauche.
[88] Finalement, ils sont d’avis que la requête du travailleur devrait être rejetée dans le dossier CSST 29038675-001 puisque ce dernier n’a fait la preuve d’aucun motif raisonnable permettant de le relever de son défaut d’avoir produit sa réclamation hors délai.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
319435-01A-0706
Droit à la réadaptation et à l’indemnité de remplacement du revenu
[89] La Commission des lésions professionnelles doit d’abord décider si le travailleur a droit à la réadaptation et par conséquent à l’indemnité de remplacement du revenu qui y fait suite (CSST 129038675-004).
[90] En l’espèce, il n’est pas contesté que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 20 mars 2006 et que cette lésion professionnelle a entraîné pour lui une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[91] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur a droit à la réparation de la lésion professionnelle qu’il a subie et de ses conséquences. Selon l’article 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi), la réadaptation et le versement de l’indemnité de remplacement du revenu font partie de ce processus de réparation :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
[92] Le droit à la réadaptation est prévu à l’article 145 de la loi :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 145.
[93] Le tribunal ne retient pas l’argument de l’employeur voulant que le travailleur n’ait pas droit à la réadaptation ni à l’indemnité de remplacement du revenu pendant l’année de recherche d’emploi, vu sa retraite.
[94] La Cour d’appel du Québec[4] et la Commission des lésions professionnelles[5] ont reconnu à plusieurs reprises que la retraite n’est pas un élément qui affecte le droit du travailleur à la réadaptation et à l’indemnité de remplacement du revenu. D’ailleurs, dans la décision Jacques Lauzer et Ville de Trois-Rivières[6], la commissaire Lajoie écrit :
[124] Pour ce qui est de la retraite du travailleur, le tribunal estime que cet élément ne doit pas être pris en compte lorsqu’il s’agit de déterminer le droit du travailleur au versement de l’IRR.
[125] Cet élément ne doit pas non plus interférer dans le processus de réadaptation prévu par la loi et ne doit pas court-circuiter les étapes prévues par la loi en ce qui a trait à la détermination du droit à l’IRR.
[126] Ainsi, malgré la retraite du travailleur, la Commission des lésions professionnelles devait se poser la question à savoir, si monsieur Lauzer est capable, le 26 mai 2003, d’occuper l’emploi de lieutenant aux enquêtes.
[127] En l’espèce, étant donné que le travailleur n’est pas capable d’exercer son emploi, considérant les limitations fonctionnelles reconnues, il peut, malgré sa retraite, continuer de recevoir l’IRR6.
__________
6 Références omises.
[95] De plus, la jurisprudence, tant de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles que de la Commission des lésions professionnelles, a reconnu qu’aucune des dispositions de la loi relatives au droit à la réadaptation ou à l’indemnité de remplacement du revenu n’assujettit le droit à ces bénéfices au maintien du lien d’emploi. Dans la décision Bombardier inc. et Côté[7], la commissaire Lamarre indique :
La Commission d’appel estime, en effet, qu’il n’existe aucun disposition relative au droit de recevoir des indemnités de remplacement du revenu ou au droit à la réadaptation dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, assujettissant l’application de ces bénéfices à un travailleur victime d’une lésion professionnelle au maintien de son lien d’emploi avec son employeur. Sur ce point, en effet, la jurisprudence de la Commission d’appel a reconnu le droit pour les travailleur de retirer des indemnités de remplacement du revenu après la fermeture ou la cessation des activités d’un employeur, et après la mise à pied de travailleurs par l’employeur, circonstances où ces liens d’emploi étaient rompus.
La Commission d’appel considère également que pour bénéficier de l’application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles il y a lieu de considérer le statut d’un travailleur au moment de la survenance de cette lésion professionnelle. Le fait que le lien d’emploi entre un travailleur et son employeur soit rompu ultérieurement, à la suite d’une mise à pied, d’une démission ou autres circonstances ne saurait en aucun cas privé un travailleur des bénéfices de l’application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[96] Pour ce qui est du droit à l’indemnité de remplacement du revenu, le tribunal se réfère aux article 44 et 47 de la loi :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
__________
1985, c. 6, a. 44.
47. Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d'exercer à plein temps un emploi convenable.
__________
1985, c. 6, a. 47.
[97] Le tribunal rappelle aussi que la retraite n’est pas une des causes prévues à l’article 57 de loi permettant de mettre fin à l’indemnité de remplacement du revenu :
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :
1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48 ;
2° au décès du travailleur; ou
3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.
__________
1985, c. 6, a. 57.
[98] Le tribunal considère que le fait que le travailleur ait indiqué au conseiller en réadaptation et à l’agent d’indemnisation de la CSST qu’il ne désirait plus retourner sur le marché du travail n’est pas un élément justifiant la suspension du droit à la réadaptation ou du droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
[99] Pour ces raisons, le tribunal est d’avis que le travailleur avait droit à la réadaptation prévue par la loi et que la CSST était justifiée de mettre en place un plan individualisé de réadaptation. De plus, le travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu. Cette requête de l’employeur est rejetée.
L’emploi convenable
[100] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider si l’emploi de conducteur de camions lourds constitue un emploi convenable pour le travailleur et si celui-ci est capable de l’exercer (CSST 129038675-003 et 005).
[101] La notion d’emploi convenable est quant à elle définie comme suit à l’article 2 de la loi :
« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[102] Il est ainsi généralement établi que pour être qualifié de convenable au sens de la loi, un emploi doit respecter les conditions suivantes :
- être approprié, soit respecter dans la mesure du possible les intérêts et les aptitudes du travailleur;
- permettre au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle, soit plus particulièrement respecter ses limitations fonctionnelles, qu’elles soient d’origine professionnelle ou personnelle;
- permettre au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles, dans la mesure du possible, soit tenir compte de sa scolarité et de son expérience de travail;
- présenter une possibilité raisonnable d’embauche, ce qui ne signifie pas que l’emploi doit être disponible. Cette possibilité doit par ailleurs s’apprécier en regard du travailleur et non de façon abstraite;
- ne pas comporter de danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité du travailleur compte tenu de sa lésion, soit, notamment, ne pas comporter de risque réel d’aggravation de l’état du travailleur ou de risque d’accident en raison des limitations fonctionnelles.
[103] Le travailleur doit démontrer que l’emploi déterminé par la CSST ne répond pas à un ou plusieurs de ces critères.
[104] À la lumière de l’ensemble de la preuve recueillie, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’emploi de conducteur de camions lourds respecte les conditions relatives au caractère approprié de l’emploi convenable quant aux qualifications professionnelles (il a encore son permis pour conduire des camions) et aux limitations fonctionnelles du travailleur. De plus, il y a possibilité raisonnable d’embauche pour celui-ci. Le tribunal est également d’avis que le travailleur est capable d’exercer cet emploi convenable.
[105] Premièrement, le tribunal rappelle que c’est le travailleur lui-même qui a suggéré cet emploi ou des emplois similaires à titre d’emploi convenable au conseiller en réadaptation lors de la rencontre du 28 mars 2007.
[106] Concernant les limitations fonctionnelles du travailleur, le représentant du travailleur soutient que la Commission des lésions professionnelles doit prendre en considération celles émises par le docteur Giguère, tandis que la CSST a retenu celles du membre du Bureau d’évaluation médicale.
[107] Le tribunal est d’avis qu’il peut et même doit déterminer les limitations fonctionnelles qui doivent être analysées pour voir si l’emploi convenable respecte les limitations fonctionnelles, et ce, même si le travailleur n’a pas contesté la décision de la CSST du 9 mars 2007. Rappelons que l’employeur avait contesté cette décision devant la Commission des lésions professionnelles et qu’il s’est désisté de sa contestation à l’audience. Le soussigné est d’avis qu’il serait contraire à l’esprit du droit administratif et de la loi d’obliger une partie à multiplier les procédures afin de parer uniquement à l’éventualité que l’autre partie produise une requête afin de faire reconnaître son droit.
[108] Dans les circonstances, le tribunal accorde une plus grande force probante au rapport du docteur Michaud qui est le médecin arbitre du Bureau d’évaluation médicale qu’à celui du docteur Giguère. Les amplitudes articulaires actives de l’épaule gauche du travailleur qu’il a notées et les limitations fonctionnelles qu’il a émises sont difficilement conciliables avec les activités sportives et autres que lui rapporte le travailleur. Le tribunal s’explique mal comment le docteur Giguère a pu arriver à de tels résultats plus d’un an et demi après que la lésion ait été consolidée. Le tribunal retiendra plutôt les limitations émises par le docteur Michaud.
[109] Ainsi, en comparant les limitations fonctionnelles retenues par ce dernier le 28 février 2007 avec les tâches devant être exécutées dans le cadre de l’emploi de conducteur de camions lourds, tel que l’indique le document « Repères », ou celles qu’a tentées de démontrer le travailleur à l’audience en se basant sur son expérience, le tribunal considère qu’il n’y a pas incompatibilité ni risque pour sa santé ou sa sécurité. En effet, l’avis du docteur Michaud indique que ce qui est à éviter dans le cadre des limitations fonctionnelles sont les activités impliquant certains mouvements accomplis « de façon répétitive ou fréquente ». De toute évidence, la tâche la plus souvent exécutée dans le cadre de l’emploi convenable de conducteur de camions lourds est de mettre en route le camion et de conduire à destination en respectant les règles de sécurité et de circulation. Selon le tribunal, cette tâche ne contrevient pas aux limitations fonctionnelles. De plus, l’ensemble des autres tâches, accomplies de façon ponctuelle, ne contreviennent pas non plus à ces limitations.
[110] Finalement, le travailleur a démontré, durant son témoignage, qu’il était en mesure d’accomplir l’emploi convenable retenu. Le tribunal en vient à cette conclusion par l’étendue des activités auxquelles le travailleur dit s’être adonné durant les derniers mois. Le fait qu’il pratique toujours la chasse malgré ses limitations fonctionnelles (monter dans le mirador, tirer avec son arc, tenir son fusil, conduire un 4 roues, etc.), qu’il soit en mesure de conduire une motoneige et une voiture, et qu’il puisse couper son bois de chauffage à l’aide d’une tronçonneuse, sont autant d’éléments amenant le tribunal à conclure en ce sens.
[111] Le tribunal émet des réserves lorsque le travailleur affirme ne pas être en mesure de conduire sa voiture sur de longues distances ou lorsqu’il dit éprouver des difficultés à couper son bois. L’ensemble de la preuve semble démontrer un manque de franchise de la part du travailleur sur ce point. Il paraît exagérer la gravité de ses limitations. La vie active que mène le travailleur ne peut que faire pencher la prépondérance des probabilités en faveur du fait qu’il est capable d’effectuer l’emploi convenable de conducteur de camions lourds.
[112] De façon subsidiaire, le travailleur plaide que, si le tribunal retient cet emploi comme emploi convenable, la base salariale déterminée par la CSST est trop élevée.
[113] À cet égard, le travailleur ne soumet toutefois aucune preuve appuyant ses prétentions. Il ne fait que mentionner des conversations qu’il a eues avec d’autres camionneurs, prétendant ainsi que le taux horaire de cet emploi était moindre.
[114] Étant donné que la preuve retrouvée au dossier dans le document « Repères » n’a pas été contredite par une preuve crédible, le tribunal maintient la décision de la CSST à ce niveau.
L’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique
[115] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le travailleur conserve une atteinte permanente de 1 % et non de 3 % comme l’a déterminée la CSST.
[116] Le tribunal est lié, tout comme l’était la CSST, par le diagnostic de rupture de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche. Ce diagnostic n’est pas contesté et a d’ailleurs été retenu par tous les médecins ayant examiné le travailleur.
[117] Le docteur Lacasse évalue le déficit anatomo-physiologique à 1 %. Il considère qu’il n’y a pas d’ankylose articulaire objectivable à l’épaule gauche du travailleur. Il applique le code 102374 du Barème, pour une atteinte des tissus mous du membre supérieur gauche sans séquelles fonctionnelles mais avec changement radiologique. La docteure D’Amours, médecin du travailleur, se dit en accord avec le docteur Lacasse. Toutefois, le tribunal note qu’elle n’a pas examiné de nouveau le travailleur avant de se prononcer. Elle revenait d’un congé de plusieurs mois.
[118] Le docteur Michaud, du Bureau d’évaluation médicale, l’évalue quant à lui à 2 %. Il retient le code 102383 du Barème pour une atteinte des tissus mous avec des séquelles fonctionnelles. De plus, il observe une diminution de 10° en rotation interne de l’épaule gauche. Il ne s’est pas référé au tableau des ankyloses tel que le prévoit le Barème. La CSST l’a fait en révision administrative et a alloué un pourcentage additionnel de 1 % pour cette ankylose, soit le code 105059.
[119] Finalement, le docteur Giguère constate lui aussi une diminution de 10° lors de la rotation interne en mouvement passif. Il accorde un déficit de 2 % pour l’atteinte des tissus mous (code 102383) et de 1 % pour la perte de 10° de rotation interne passive (code 105059) pour un total de 3 %.
[120] Encore ici, le tribunal accorde une plus grande force probante au rapport du docteur Michaud qui est le médecin arbitre du Bureau d’évaluation médicale. D’ailleurs, la preuve prépondérante milite en ce sens. De plus, il ressort de la preuve que ses évaluations des amplitudes articulaires en mouvements passifs sont similaires à celles obtenues par le docteur Giguère, et ce, pour les deux épaules, alors que le docteur Lacasse obtient des amplitudes différentes à presque tous les niveaux pour les deux épaules. Le tribunal écarte donc l’opinion du docteur Lacasse.
[121] Par conséquent, le tribunal estime que le travailleur conserve de sa lésion professionnelle un déficit anatomo-physiologique de 3 %. En y ajoutant 0,30 % prévu par le Barème pour douleurs et perte de jouissance de la vie, on obtient une atteinte permanente à son intégrité physique et psychique de 3,30 %, ce qui lui donne droit à une indemnité pour préjudice corporel de 1710,62 $. La décision de la révision administrative est donc bien fondée sur cette question.
322164-01A-0706
Réclamation produite hors délai
[122] Il s’agit maintenant de déterminer si le travailleur a agi à l’intérieur du délai prévu par la loi pour déposer sa demande de révision ou s’il a démontré un motif raisonnable permettant de le relever des conséquences de son défaut (CSST 129038675-001).
[123] L’article 358 de la loi prévoit un délai de 30 jours pour demander la révision d’une décision de la CSST. Cet article se lit ainsi :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365 .
Une personne ne peut demander la révision de
l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à
l'article 284.2 ni du refus de la
Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un
intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article
323.1
.
__________
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
[124] La preuve démontre que le travailleur a bien reçu la lettre l’avisant de la décision prise par la CSST le 25 octobre 2006 concernant la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu. Au bas de cette lettre, il est précisé qu’il existe un délai de 30 jours pour en demander la révision. Toutefois, le travailleur a produit sa demande le 26 mars 2007, soit plus de 5 mois après la décision initiale rendue par la CSST. En conséquence, la contestation produite est manifestement hors délai.
[125] Par ailleurs, le législateur, par le biais de l’article 358.2, a prévu que la CSST peut prolonger le délai prévu à l’article 358 et relever une partie des conséquences de son défaut de le respecter si elle est convaincue qu’il y a un motif raisonnable justifiant le retard à agir. L’article 358.2 l’édicte plus précisément en ces termes :
358.2. La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
__________
1997, c. 27, a. 15.
[126] Quant à la notion de motif raisonnable prévue à cet article, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles a toujours examiné cette notion au regard de la diligence démontrée par la partie par opposition à une négligence qui lui demeure imputable.
[127] Dans l’affaire Roy et Communauté urbaine de Montréal[8], la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles précise ce qui suit :
La notion de motif raisonnable est une notion large et permet de considérer un ensemble de facteurs susceptibles d’indiquer, à partir des faits, des démarches, des comportements, de la conjoncture, des circonstances, etc., si une personne a un motif non farfelu, crédible et fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion.
[128] Cette notion a également été reprise à de nombreuses occasions par la Commission des lésions professionnelles notamment dans l’affaire Duchesne et Jules Millette inc.[9]. Le tribunal retient que le travailleur n’a pas fait preuve de diligence et conclut également qu’aucune preuve ne lui a été soumise démontrant que celui-ci ait eu un motif raisonnable qui l’aurait empêché d’agir dans les délais légaux ou peut-être plus rapidement.
[129] En l’instance, le travailleur allègue qu’il n’a pu demander une révision à l’intérieur du délai de 30 jours puisqu’il était à la chasse, à l’occasion d’un voyage qui était planifié depuis longtemps. Il soumet que l’employeur sait qu’il quitte chaque année, durant la même période, pour pratiquer la chasse. De plus, il indique qu’il ne savait pas qu’il pouvait contester.
[130] À cet égard, le tribunal juge que les explications du travailleur ne constituent pas un motif raisonnable pouvant le relever de son défaut d’avoir produit sa réclamation hors délai. Le fait d’être en voyage de chasse n’est pas un motif raisonnable, d’autant plus que le travailleur revenait à la maison à la fin de chaque semaine de chasse et qu’il a pu prendre connaissance de la décision écrite de la CSST. Il a eu amplement la possibilité de contester cette décision dans les délais prescrits par la loi. Les motifs allégués visent plus les raisons de son absence à l’examen médical que son retard à demander la révision de la décision de la CSST.
[131] Pour ce qui est du fait qu’il ignorait pouvoir contester la décision, le tribunal ne peut que renvoyer le travailleur au libellé de la lettre mentionnant explicitement qu’il existe un délai de 30 jours à toute demande de contestation. De plus, la Commission des lésions professionnelles a décidé à plusieurs reprises que l’ignorance de la loi ne peut constituer un motif raisonnable pour relever une partie des conséquences de son défaut[10].
[132] Pour ces motifs, le tribunal est d’avis que la demande de révision du travailleur du 26 mars 2007 est irrecevable.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
319435-01A-0706 et 322164-01A-0706
REJETTE la requête d’Emballages Smurfit-Stone Canada inc. l’employeur;
REJETTE la requête de monsieur Hector Lavoie, le travailleur;
DÉCLARE irrecevable la demande de révision administrative du travailleur du 26 mars 2007 à l’encontre de la décision du 25 octobre 2006;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifiée de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se soit prononcée sur la capacité du travailleur à exercer un emploi, puisqu’il conserve des limitations fonctionnelles attribuables à sa lésion;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifiée de mettre en place un plan individualisé de réadaptation, puisque le travailleur conserve des limitations fonctionnelles attribuables à sa lésion;
DÉCLARE que l’emploi de conducteur de camions lourds constitue un emploi convenable pour le travailleur et que celui-ci est capable d’exercer cet emploi convenable depuis le 3 avril 2007;
DÉCLARE que le revenu brut annuel de l’emploi convenable est de 34 412,40 $;
DÉCLARE que le travailleur a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu, laquelle sera réduite dès qu’il travaillera comme conducteur de camions lourds ou, au plus tard, le 2 avril 2008, selon les modalités prévues à l’annexe jointe à la décision du 3 avril 2007;
DÉCLARE que la lésion professionnelle du 20 mars 2006 a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur de 3,30 % et qu’il a droit à une indemnité pour préjudice corporel de 1710,62 $, plus intérêts.
[2] Système de recherche et de référence en information scolaire et professionnelle du gouvernement du Québec présentant, notamment, les descriptions et les perspectives d’emploi.
[3] L.R.Q., c.A-3.001
[4] Beauséjour c. Bridgestone Firestone Canada inc. C.A. Montréal, 500-09-014111-041, 13 juillet 2004, AZ 50262979, J.E. 2004-1541 , D.T.E., 2004T-64, C.L.P.E., 2004LP-76, jj. Morin, Dalphond et Hilton.
[5] Bombardier inc. et Côté, C.A.L.P. 35904-60-9201,17 novembre 1993, M. Lamarre; Lawrence et Petromont inc., C.L.P. 134358-71-0003, 23 novembre 2000, J.-C. Danis; Cobello et S.T.C.U.M., C.L.P. 148334-61-0010, 9 octobre 2001, R. Langlois; Laurent Boisvert et Ville de Montréal, C.L.P. 243242-04B-0409, 28 février 2005, D. Lajoie; Lauzer et Ville de Trois-Rivières, C.L.P. 216514-04-0309, 7 février 2006, D. Lajoie.
[6] Précitée, note 5.
[7] Précitée, note 5.
[8] [1990] C.A.L.P. 916 .
[9] C.L.P. 127573-04-9911, 9 février 2001, S. Sénéchal.
[10] Voir, notamment, Racine et Armoires et Meubles Charlevoix, C.L.P. 90601-03A-9708, 21 septembre 1998, P. Brazeau.
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