DÉCISION
[1] Le 7 janvier 2002, l'employeur, Polar Plastique ltée, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 18 décembre 2001 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu'elle a initialement rendue le 26 juin 2001 et déclare que le coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle qu'a subie le travailleur, monsieur Sarwat Boulos, le 18 septembre 1999 doit être imputé à l'employeur.
[3] L'employeur est représenté à l'audience.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L'employeur demande de reconnaître que monsieur Boulos a subi une lésion professionnelle visée par le premier paragraphe de l'article 31 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et de déclarer que le coût des prestations qui ont été versées à compter du 4 février 2000 doit être imputé aux employeurs de toutes les unités, le tout, conformément aux dispositions de l'article 327 de la loi.
LES FAITS
[5] Monsieur Boulos travaille comme assistant opérateur pour le compte de l'employeur lorsque, le 18 septembre 1999, il subit un accident du travail au cours duquel il se blesse au membre supérieur droit. L'événement accidentel est décrit comme suit au formulaire « Avis de l'employeur et demande de remboursement » :
« Pris le bras droit dans l'ascenseur qui pousse les verres sur OMV T-21 »
[6] À la suite de l'événement, soit le 20 septembre 1999, monsieur Boulos consulte le docteur Djuro Palaic qui diagnostique une entorse de l'épaule droite nécessitant du repos, la prise d'anti - inflammatoires et des traitements de physiothérapie. Le 12 octobre suivant, il pose le diagnostic de traumatisme par écrasement du coude et de l'avant-bras droits et il dirige monsieur Boulos vers la docteure Pamela Jones, orthopédiste, étant donné l'absence d'amélioration avec la physiothérapie.
[7] Le 8 novembre 1999, la docteure Jones diagnostique un traumatisme par écrasement à l'avant-bras et au coude droits avec le poignet en pronation maximale. Elle observe une douleur importante à l'épicondyle qui est augmentée par l'extension résistée et elle suggère une immobilisation plâtrée pour une période de deux semaines. Cette immobilisation est faite le 10 novembre 1999 et des traitements de physiothérapie sont ensuite prescrits.
[8] Le 14 décembre 1999, devant la persistance des symptômes douloureux, la docteure Jones fait une infiltration de cortisone au niveau de l'épicondyle. Le 11 janvier 2000, elle indique à son rapport médical que l'infiltration a entraîné une diminution de la douleur de l'ordre de 50 % et elle prescrit la poursuite des traitements de physiothérapie.
[9] Le 20 janvier 2000, à la demande de l'employeur, monsieur Boulos est examiné par le docteur Jacques Murray, chirurgien orthopédiste. Au chapitre de l'historique, il réfère à la description de l'événement accidentel qui se trouve au formulaire de réclamation et il précise ce qui suit :
« La déclaration verbale d'aujourd'hui est conforme à cette déclaration retracée au dossier. Le travailleur nous explique et il reproduit pour nous le mécanisme de l'événement où il a eu l'avant-bras coincé.
À la description même du travailleur et à son admission, l'événement traumatique a été relativement mineur. Immédiatement après l'accident, il a eu l'impression d'une discrète rougeur qu'il localise à l'épicondyle du coude droit, sans lésion cutanée, et la symptomatologie initiale était relativement faible. L'événement a aussitôt été constaté et déclaré à l'employeur mais il a pu terminer, tel que convenu, son quart de travail vers 11 heures le soir du 18 septembre 1999.
[…]
En cours d'évolution, soit le 14 décembre 1999, le docteur Jones a procédé à une infiltration à la cortisone à l'épicondyle droit. Il semble que cette procédure a été miraculeuse pour le travailleur et la symptomatologie est presque complètement disparue. Le travailleur se dit « beaucoup mieux » et presque complètement rétablit. »
[10] L'examen physique du docteur Murray révèle une atrophie du bras doit de 1 cm et une sensibilité à la palpation profonde de l'épicondyle droit, laquelle est aussi reproduite à la dorsiflexion active du poignet. Au terme de son examen, le docteur Murray retient les diagnostics de contusion de l'avant-bras droit et d'épicondylite droite post-traumatique. Il estime que la lésion est consolidée au jour de son examen, sans séquelles permanentes, et ce, en s'exprimant comme suit :
« Ce travailleur a reçu un traitement médical habituel et conforme qui se poursuit depuis maintenant 4 mois. Au cours de cette période, il a reçu toutes les modalités normales, habituelles et raisonnables du traitement médical et conservateur comprenant au-delà de 40 traitements de physiothérapie, une infiltration locale à la cortisone et autres mesures habituelles.
L'évolution a été satisfaisante et notre examen orthopédique d'aujourd'hui est à toutes fins pratique négatif. À notre avis, le plateau thérapeutique a été atteint. Il n'y a plus de justification de poursuivre des traitements actifs sur le plan orthopédique, physiatrique, chirurgical ou autre. Seules des mesures raisonnables d'hygiène de posture, l'usage d'un bracelet d'épicondylite. »
[11] Le 4 février 2000, ayant pris connaissance de l'expertise médicale du docteur Murray, la docteure Jones se dit en accord avec les diagnostics retenus par ce médecin. Elle estime cependant que la lésion n'est pas consolidée parce que le membre supérieur dominant présente une atrophie de 1 cm, qu'une diminution de la force de ce membre a été observée ce même jour par la physiothérapeute, qu'il y a encore une sensibilité à l'épicondyle alors qu'un retour au travail n'a pas encore été tenté et que, depuis deux semaines, monsieur Boulos ressent des douleurs plus importantes au niveau de toute la masse des extenseurs de l'avant-bras. Elle conclut que des traitements sont encore nécessaires, soit de la physiothérapie, de l'ergothérapie et « possiblement une deuxième infiltration ». De plus, elle suggère un retour au travail de manière progressive puisqu'il y a, à son avis, un risque d'aggravation sévère si monsieur Boulos reprend son emploi habituel à plein temps comme le suggère le docteur Murray.
[12] Le 22 février 2000, le docteur Palaic estime également que la lésion n'est pas consolidée et il prescrit la poursuite des traitements de physiothérapie de même qu'un retour au travail à raison de quatre heures par jour, trois jours par semaine.
[13] Le 2 mars 2000, monsieur Boulos est examiné par le docteur Pierre-Paul Hébert, orthopédiste agissant à titre de membre du Bureau d'évaluation médicale.
[14] Au chapitre de l'historique, ce médecin indique que monsieur Boulos lui décrit un fait accidentel qui implique une « lésion compressive du membre supérieur droit comme dans le cas d'un écrasement par essoreuse dans les anciennes machines à laver ». Au chapitre de l'examen subjectif, il indique que monsieur Boulos a repris le travail selon les modalités suggérées par le docteur Palaic et qu'il reçoit des traitements de physiothérapie deux fois par semaine. Il indique également que monsieur Boulos rapporte une douleur persistante localisée à l'épicondyle droit de même qu'à la face dorsale de l'avant-bras et du poignet droits, un manque de force avec le membre supérieur droit, des mouvements du poignet qui augmentent la douleur et des mouvements de flexion palmaire impliquant un étirement dorsal qui sont douloureux.
[15] Son examen physique révèle une atrophie du bras droit de 1 cm, une diminution de la sensibilité et de la force de préhension de la main, une douleur à l'épicondyle en dorsiflexion du poignet et à la palpation de même qu'une perte d'extension du coude droit de 10°.
[16] Le docteur Hébert estime être en présence de signes cliniques témoignant d'une tendinite de l'avant-bras droit et d'une épicondylite droite. Il retient comme diagnostic de la lésion celui d'écrasement de l'avant-bras droit avec une tendinite de cet avant-bras et une épicondylite. Il estime que la lésion n'est pas consolidée et que les soins et traitements doivent se poursuivre sous l'autorité du médecin traitant.
[17] Le 14 mars 2000, la CSST rend une décision par laquelle elle donne suite à l'avis du docteur Hébert. Le 25 août 2000, à la suite d'une révision administrative, elle rejette la demande de révision de l'employeur. À l'audience, la représentante de l'employeur précise que cette décision n'a pas été portée en appel.
[18] Entre-temps, soit le 3 mars 2000, la docteure Jones indique à son rapport médical que l'épicondylite est aggravée avec la reprise du travail. Elle prescrit du repos, la poursuite de la physiothérapie et elle effectue une deuxième infiltration cortisonée. Le 14 avril 2000, elle indique à son rapport médical que l'épicondylite n'est pas améliorée avec cette seconde infiltration mais que la douleur à l'avant-bras est diminuée. Elle précise également qu'elle reverra monsieur Boulos dans quelques jours pour faire une troisième infiltration et une autre immobilisation plâtrée, ce qu'elle fait le 26 avril 2000. Le 12 mai suivant, elle retire le plâtre et prescrit la reprise des traitements de physiothérapie à raison de trois fois par semaine. Elle précise à son rapport médical qu'une sensibilité persiste au niveau de l'épicondyle et qu'il faudra probablement envisager un traitement chirurgical.
[19] Le 9 juin 2000, la docteure Jones conclut à une amélioration de la condition de monsieur Boulos de seulement 30 % et à la nécessité d'une désinsertion des épicondyliens. Elle dirige monsieur Boulos vers le docteur Larry Coughlin, chirurgien orthopédiste, étant donné la cessation temporaire de sa pratique en raison de son congé de maternité.
[20] Le 22 juin 2000, le docteur Coughlin diagnostique une épicondylite droite. Il prescrit du repos et il demande une résonance magnétique. Cet examen est effectué le 13 juillet suivant et, le médecin qui l'interprète, conclut à une légère épicondylite sans évidence de déchirure ou de rupture. Le 8 août 2000, ayant pris connaissance du résultat de cet examen, le docteur Coughlin estime qu'une chirurgie n'est pas indiquée. Il prescrit plutôt la poursuite du repos et le port d'une orthèse. Ce même jour, le docteur Palaic prescrit également du repos et le port d'une orthèse pour deux mois.
[21] Le 26 septembre 2000, à la demande de la CSST, monsieur Boulos est examiné par le docteur Claude Lamarre, orthopédiste. Au chapitre de l'examen subjectif, il indique que monsieur Boulos est affecté par un syndrome douloureux persistant au coude droit avec irradiation vers la masse musculaire des épicondyliens, lequel est incapacitant. Au chapitre de l'examen objectif, il observe un léger gonflement à l'épicondyle, une sensibilité à la pression de ce site de même que des douleurs provoquées par les mouvements de prosupination et de dorsiflexion du poignet et des doigts. Il estime que la lésion est consolidée au jour de son examen avec une atteinte permanente à l'intégrité physique et des limitations fonctionnelles.
[22] Le 10 octobre 2000, le docteur Coughlin diagnostique une épicondylite droite et il conclut à la nécessité de faire une désinsertion des épicondyliens. Cette intervention chirurgicale est effectuée le 13 octobre 2000 et, à son protocole opératoire, le docteur Coughlin note ce qui suit :
« The extensor aponeurosis was identified. He had obvious tearing and degenerative change at the insertion site on the epicondyle with gross softening and some fissuring in the extensor aponeurosis attachment site. »
[23] À la suite de la chirurgie, les docteurs Coughlin et Palaic prescrivent des traitements de physiothérapie.
[24] Le 11 novembre 2000, le docteur Palaic se dit en désaccord avec la date de consolidation retenue par le docteur Lamarre étant donné l'intervention chirurgicale qui vient d'être faite. Le 31 janvier 2001, pour les mêmes motifs, le docteur Coughlin se dit aussi en désaccord avec le docteur Lamarre. Il précise que la douleur et la faiblesse persistent et qu'il ajoute aux traitements de physiothérapie de l'ergothérapie.
[25] Le 8 mars 2001, à la demande de l'employeur, monsieur Boulos est de nouveau examiné par le docteur Murray. Au chapitre de l'historique, le docteur Murray s'exprime ainsi sur la question de la consolidation de la lésion :
« Le 2 mars 2000, le dossier du travailleur a été soumis à l'arbitrage médical sous la direction du Dr Pierre-Paul Hébert, chirurgien orthopédiste. La lecture attentive de l'examen du Dr Hébert ne semble pas démontrer d'ankylose articulaire ou de critère objectif significatif. Il mentionne et nous attribue la description d'une atrophie musculaire du membre supérieur droit qui mérite sûrement d'être qualifiée, qui n'est pas significative, mesurée d'environ 1 cm et localisée au bras droit. Cette atrophie n'est pas de nature pathologique et est attribuable à l'inactivité physique du travailleur durant près de trois mois et à l'immobilisation dans un plâtre brachial anté-brachial. Le Dr Hébert a jugé que la condition orthopédique du travailleur n'était pas stabilisée et méritait une attention médicale additionnelle. Nous sommes bien habitués à ces conclusions du Dr Hébert qui ne semble pas connaître la notion de plateau thérapeutique et nous verrons, à l'évolution du dossier, que la recommandation du Dr Hébert s'avérera, plusieurs mois plus tard, très discutable, aussi bien pour l'employeur, l'imputabilité, que la condition médicale du travailleur.
[…]
Malheureusement, l'évolution post-opératoire n'a pas été satisfaisante. Le travailleur nous déclare, aujourd'hui, que sa symptomatologie s'est aggravée, qu'il ne présente aucune amélioration de la symptomatologie subjective et qu'il a développé, en plus, une ankylose et une difficulté d'extension du coude. »
[26] Le docteur Murray estime que la lésion de monsieur Boulos est consolidée au jour de son examen et ce, en s'exprimant comme suit :
« Ce travailleur reçoit une interminable et aggravante attention médicale, suite à un événement traumatique très mineur et qui se poursuit maintenant depuis près de seize mois.
Il est intéressant de noter, à la révision du dossier, des examens et des multiples traitements, que la condition médicale et orthopédique du travailleur semble s'aggraver graduellement et progressivement et tout à fait proportionnellement à l'intensité de l'attention médicale et orthopédique qu'il reçoit.
Au cours de cette longue période de près de dix-sept mois et demi, il y a eu seize mois d'arrêt de travail, une courte période d'assignation temporaire d'à peine six semaines, trois infiltrations cortisonées, une immobilisation plâtrée pendant deux semaines, d'innombrables, inutiles et aggravants traitements de physiothérapie (des centaines), une sanction chirurgicale, et, à ce jour, c'est-à-dire cinq mois après la sanction chirurgicale, la symptomatologie subjective est toujours présente, aggravée et il s'est ajouté, en plus, une ankylose en extension du coude gauche.
Nous vous suggérons donc, après cette longue période, que « assez c'est assez », que le plateau thérapeutique a été atteint, que les recommandations post-opératoires du Dr Coughlin ont été religieusement suivies et qu'il est maintenant temps de mettre un terme à ces modalités thérapeutiques qui, de toute évidence, ne font qu'aggraver l'état du travailleur plutôt que de l'améliorer. Il faut mettre un terme à ces inutiles traitements de physiothérapie et ce travailleur est maintenant raisonnablement en mesure de retourner au travail. Ce travail ne comporte aucun danger pour sa santé et sa sécurité et demeure beaucoup plus favorable à sa réadaptation. »
[27] Le 31 mai 2001, le docteur Coughlin remplit un rapport final dans lequel il conclut à la consolidation de la lésion le jour même, avec une atteinte permanente à l'intégrité physique et des limitations fonctionnelles. Le 8 juin 2001, il produit un rapport médical dans lequel il évalue à 3,30 % l'atteinte permanente et décrit les limitations fonctionnelles à respecter. Dans ce rapport, le docteur Coughlin s'exprime comme suit en ce qui concerne la chirurgie :
« Because he had exhausted all therapeutic measures, I recommanded that he undergo surgery. […].
[…]
Mr. Boulos sustained a traumatic injury to is elbow resulting in a chronic tendinitis which has not responding well to surgery. As far as I am concerned, he has exhausted all therapeutic measures to help alleviate his problem. I think that he will be left with some degree of permanent disability with regards to pain, weakness and mild loss of motion. However, he should be able to find work that respects the limitations imposed and get on with a useful employment. »
[28] Le 15 juin 2001, le docteur Jean-Yves St-Laurent, chirurgien plasticien agissant à titre de membre du Bureau d'évaluation médicale, se dit d'avis que la date de consolidation de la lésion est celle suggérée par le docteur Murray dans sa deuxième expertise, soit le 8 mars 2001, puisque les traitements de physiothérapie qui ont été prodigués après cette date n'ont pas permis d'améliorer la condition de monsieur Boulos.
[29] Étant donné les séquelles permanentes résultant de sa lésion professionnelle, monsieur Boulos est dirigé vers un conseiller en réadaptation de la CSST afin que ce dernier évalue sa capacité à reprendre son emploi ou un emploi convenable.
[30] Entre-temps, soit le 15 mars 2001, l'employeur demande à la CSST d'imputer aux employeurs de toutes les unités une partie du coût des prestations qui ont été versées à la suite de la lésion professionnelle qu'a subie monsieur Boulos ce, en application des articles 31 et 327 de la loi. Au soutien de sa demande, il réfère à l'expertise médicale du docteur Murray en date du 8 mars 2001 et il soumet que la multiplicité des mesures thérapeutiques a eu pour effet d'aggraver la condition de monsieur Boulos plutôt que de l'améliorer.
[31] Le 26 juin 2001, la CSST refuse la demande de l'employeur. Elle détermine que l'article 327 de la loi ne peut trouver application puisque la preuve fournie ne démontre pas qu'une blessure ou une maladie est survenue par le fait ou à l'occasion des soins prescrits pour la lésion professionnelle de monsieur Boulos. Sa décision se fonde sur l'opinion écrite de son médecin conseil, laquelle se lit comme suit :
« Avons pris connaissance des notes médicales au dossier, avons discuté du dossier avec le docteur Lemieux, orthopédiste, et nous pensons que les soins qui ont été prodigués au travailleur pour son problème d'épicondylite sont des traitements reconnus par la médecine actuelle. En effet, la physiothérapie, l'infiltration cortisonée, l'immobilisation plâtrée qui a précédé l'opération du 11 juillet 2000, constituent des modalités thérapeutiques reconnues. Nous ne pouvons donc accepter la demande de partage basée sur l'article 327.31. »[2]
[32] Le 18 décembre 2001, à la suite d'une révision administrative, la CSST maintient sa décision, d'où l'objet du présent litige.
[33] À l'audience, la Commission des lésions professionnelles a entendu le témoignage du docteur Jacques Murray, chirurgien orthopédiste.
[34] Il explique d’abord que l’événement accidentel ne justifiait pas de conclure à un traumatisme par écrasement comme l’ont fait les docteurs Palaic et Jones.
[35] Lorsqu’il a examiné monsieur Boulos le 20 janvier 2000, ce dernier lui a dit que le fait accidentel était mineur et il a compris de la description que ce dernier en a faite que le membre supérieur droit s’est trouvé coincé entre un cabaret et un autre objet. De plus, monsieur Boulos a pu terminer son quart de travail, il n’y a eu aucune lésion cutanée objectivable et une consultation médicale n’a pas été nécessaire avant le 20 septembre 1999. Tel n’aurait pas été le cas en présence d’un écrasement important du membre supérieur droit et ce, d’autant plus que cela aurait nécessairement entraîné une lésion bilatérale du coude, soit une lésion au site de l’épicondyle et une autre au site de l’épitrochlée.
[36] Le docteur Murray explique ensuite que le plan de traitement initial a été erratique. En présence d’une lésion traumatique, deux plans de traitement peuvent être envisagés. Le premier consiste en une immobilisation de l’articulation lésée pour une durée de six semaines afin de permettre la guérison des tissus mous. Le deuxième consiste en un programme de réadaptation fonctionnelle bien que cela comporte un risque d’instabilité secondaire puisque l’on travaille l’appareil musculo-ligamentaire alors qu’il est blessé. Chacun de ces plans de traitement est défendable dans la mesure où, selon lui, il est conduit de façon intelligente etrationnelle.
[37] Selon le docteur Murray, l’approche adoptée dans le cas de monsieur Boulos est fort discutable puisque les médecins traitants ont d’abord prescrit de la physiothérapie et ensuite, une immobilisation plâtrée alors que la période de maturation des fibres collagènes était déjà passée. Pour ce qui est de l’infiltration cortisonée, la décision de la docteure Jones de ne pas faire immédiatement une telle infiltration était bien fondée puisque ce traitement est absolument contre-indiqué dans le cas d’une épicondylite traumatique. Il s’agit d’un traitement approprié uniquement dans le cas d’une épicondylite ayant à son origine un processus inflammatoire.
[38] Le docteur Murray précise que lorsqu’il est lui-même en présence d’un individu souffrant d’une épicondylite d’origine traumatique, il prescrit la prise de « Tylenol », une semaine de repos et la reprise du travail. Si les symptômes persistent, il prescrit la poursuite de la réadaptation fonctionnelle ce qui, pour lui, veut dire le travail puisqu’un travailleur d’usine n’a pas besoin de physiothérapie. Dans le cas de monsieur Boulos, il n’aurait opté pour aucune des modalités thérapeutiques prescrites par les médecins traitants, même l’immobilisation plâtrée, et ce, d'autant plus qu’il demeure convaincu que ce travailleur a subi un traumatisme très mineur.
[39] Par ailleurs, il explique que la « catrastrophe » a débuté au moment où les intervenants médicaux n’ont pas tenu compte de l’opinion qu’il a émise le 20 janvier 2000 sur la consolidation de la lésion, la non nécessité de traitements additionnels, l’absence de séquelles permanentes et la capacité de monsieur Boulos à reprendre le travail.
[40] Son examen physique ne révélait aucune anomalie justifiant la poursuite d’un quelconque traitement médical et monsieur Boulos se disait miraculeusement guéri, de sorte que le retour au travail était fortement indiqué. Les médecins traitants ont toutefois ignoré son opinion et ils ont poursuivi les nombreuses et inutiles modalités thérapeutiques, soit de la physiothérapie, une seconde immobilisation plâtrée, deux autres infiltrations cortisonées et une chirurgie.
[41] De plus, ces mauvaises décisions médicales ont été sanctionnées par le docteur Hébert, membre du Bureau d’évaluation médicale, et ce, sans justification médicale. Il considère que ce médecin ne comprend pas la notion de « plateau thérapeutique » ni le fait que des modalités thérapeutiques abusives puissent avoir un effet tout aussi dommageable que l’absence de traitement.
[42] Étant donné sa longue expérience professionnelle, il demeure convaincu que l’évolution de la condition de monsieur Boulos n’aurait pas été celle que l’on connaît maintenant si son opinion du 20 janvier 2000 avait été respectée par les médecins traitants et par le docteur Hébert. Cette décision administrative du Bureau d’évaluation médicale a été catastrophique puisqu’elle a entraîné un traitement médical contre-indiqué pour une épicondylite traumatique, soit des infiltrations cortisonées, et un traitement abusif étant donné la multiplicité des inutiles modalités thérapeutiques, ce qui a eu pour effet d’aggraver la condition de monsieur Boulos plutôt que de l'améliorer.
[43] Il estime que la condition médicale de monsieur Boulos s’est aggravée à compter du moment où on a fait une deuxième infiltration, soit le 4 février 2000, parce qu’il s’agit là du point de départ de l’escalade thérapeutique, laquelle s’est soldée par une chirurgie infructueuse.
[44] Il s’explique mal pourquoi le docteur Coughlin a décidé de pratiquer une intervention chirurgicale en octobre 2000 alors qu’il avait initialement décidé qu’une telle intervention n’était pas indiquée et ce, d’autant plus qu’il s’agit d’un orthopédiste de grande compétence qui n’a pas l’habitude d’opérer sans raison.
[45] Il ne sait pas quels ont été les motifs justifiant la décision du docteur Coughlin mais il croit que c’est probablement parce que les infiltrations répétées ont entraîné un processus inflammatoire aigu, de sorte que la chirurgie devenait nécessaire. Il ne voit pas d’autres explications et c'est donc ainsi qu'il interprète la décision de ce médecin.
[46] Cette explication lui apparaît d’autant plus probable qu’une épicondylite est souvent aggravée par des infiltrations cortisonées répétées. L’injection répétée de cette substance dans un tendon sous tension, bien qu’elle vise à produire une action anti-inflammatoire prolongée, a néanmoins pour conséquence d’entraîner un phénomène inflammatoire avec une augmentation des symptômes douloureux et une rupture des fibres collagènes des tendons, ce qui explique la découverte de changements dégénératifs lors d’une intervention chirurgicale.
[47] À son avis, les changements dégénératifs décrits au protocole opératoire sont attribuables aux trois infiltrations cortisonées qui ont été faites, de tels changements étant fréquemment observés à la suite d’infiltrations répétées. Ce sont des séquelles cicatricielles puisqu’il n’y a aucun tissu de l’organisme qui guérit sans cicatrice, tant à la suite d’une ouverture faite par bistouri qu'à la suite de l’insertion d’une aiguille.
[48] En ce qui concerne la désinsertion des épicondyliens, le docteur Murray explique qu’il s’agit d’une procédure chirurgicale qui est questionnée mais qu’elle vise à contrer la réaction inflammatoire du tendon, laquelle crée une forme de bursite entre l’os et l’insertion tendineuse causant une distension qui est responsable de la douleur. Cette procédure chirurgicale entraîne cependant un léger déficit d’extension puisque l’élasticité des tendons est nécessairement affectée. Il est donc normal d’observer une ankylose en extension du coude à la suite d’une désinsertion des épicondyliens, comme c’est le cas pour monsieur Boulos.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[49] La Commission des lésions professionnelles doit décider si une partie du coût des prestations qui ont été versées à la suite de la lésion professionnelle qu'a subie monsieur Boulos le 18 septembre 1999 doit être imputée aux employeurs de toutes les unités et ce, en vertu de l'article 327 de la loi. Cet article se lit comme suit :
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au‑delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
________
1985, c. 6, a. 327.
[50] Pour sa part, l'article 31 de la loi prévoit ce qui suit :
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A‑25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C‑20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I‑6).
________
1985, c. 6, a. 31.
[51] Conformément à ces dispositions, la CSST impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations dues en raison d'une blessure ou d'une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion des soins que reçoit un travailleur pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins.
[52] En l’espèce, l’employeur prétend que les coûts générés par la lésion professionnelle de monsieur Boulos à compter du 4 février 2000 doivent être imputés aux employeurs de toutes les unités puisqu’il faut conclure qu’une lésion professionnelle au sens du premier paragraphe de l’article 31 de la loi est survenue à cette date.
[53] Au soutien de sa prétention, il soumet que la condition médicale de monsieur Boulos était stabilisée en date du 20 janvier 2000 et qu’elle s’est détériorée à compter du 4 février suivant en raison de traitements qui n’auraient pas dû être prodigués, particulièrement la seconde infiltration cortisonée faite à cette date, mais aussi, en raison d’un acharnement thérapeutique inacceptable.
[54] Après considération de la preuve et de l’argumentation soumises, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que les dispositions de l’article 327 de la loi ne trouvent pas application dans la présente affaire puisque la preuve ne démontre pas, de façon prépondérante, que monsieur Boulos a subi une lésion professionnelle visée par le premier paragraphe de l’article 31 de la loi.
[55] En édictant l’article 31, le législateur a prévu qu’est considérée une lésion professionnelle une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion des soins qu’un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l’omission de tels soins, établissant ainsi comme critères d’admissibilité, la démonstration de l’existence d’une nouvelle lésion et celle d’une relation causale entre la survenance de celle-ci et les soins reçus ou, selon le cas, ceux qui ont été omis.
[56] Par ailleurs, suivant la jurisprudence constante[3], cet article vise bien la survenance d'une nouvelle pathologie distincte de celle qui a été reconnue à titre de lésion professionnelle initiale, laquelle est proprement attribuable aux conséquences du traitement de cette lésion. Il ne vise pas une période de consolidation qui est prolongée en raison de l’interférence de divers facteurs ni les phénomènes qui ne peuvent être dissociés de la lésion d’origine ou du traitement qu’elle a nécessité telles, la cicatrice qui constitue une conséquence directe et inévitable d’une chirurgie ou la complication relative à l’évolution de la lésion elle-même.
[57] Or, en application de ces critères développés par la jurisprudence, la Commission des lésions professionnelles est d'avis que la preuve ne démontre pas que les soins qu’a reçus monsieur Boulos pour sa lésion professionnelle du 18 septembre 1999 ont entraîné chez lui une nouvelle blessure ou une nouvelle maladie.
[58] Le 2 mars 2000, le docteur Hébert, membre du Bureau d’évaluation médicale, a conclu que le diagnostic de la lésion initiale était celui d’écrasement de l’avant-bras droit avec une épicondylite et une tendinite de l’avant-bras. À la suite de cet avis, les médecins traitants de monsieur Boulos ont, compte tenu de l'évolution de la condition médicale de ce dernier, graduellement délaissé le diagnostic de tendinite ou d'écrasement de l'avant-bras pour ne retenir que celui d'épicondylite mais, tel qu'il appert de leurs rapports médicaux, ils n'ont pas diagnostiqué d'autres pathologies que celles-ci.
[59] La Commission des lésions professionnelles ne retient pas la prétention de l'employeur selon laquelle il faut conclure à une lésion professionnelle au sens de l'article 31 de la loi parce que la condition de monsieur Boulos s'est détériorée à compter du 4 février 2000 en raison de traitements qui n'avaient pas lieu d'être et d'un acharnement thérapeutique.
[60] Cette prétention se fonde sur l'opinion exprimée par le docteur Murray en ce qui concerne le caractère erratique et discutable du plan de traitement initial des médecins traitants, le non respect par ces médecins et par le membre du Bureau d'évaluation médicale de son opinion sur la consolidation de la lésion en date du 20 janvier 2000, la contre-indication d'infiltrations cortisonées dans le cas d'une épicondylite traumatique et l'administration par la suite de traitements inutiles et abusifs.
[61] D'abord, il est pour le moins surprenant que le docteur Murray remette maintenant en cause la valeur médicale de plan de traitement qui a été initialement élaboré par les docteurs Palaic et Jones, soit celui qui a été mis en place au cours de la période du 20 septembre 1999 au 20 janvier 2000, puisque telle n'est pas l'opinion qu'il a d'abord exprimée.
[62] En effet, dans son expertise écrite du 20 janvier 2000, le docteur Murray se dit d'avis que monsieur Boulos a « reçu un traitement médical habituel et conforme » constitué de « toutes les modalités normales, habituelles et raisonnables du traitement médical et conservateur comprenant au-delà de 40 traitements de physiothérapie, une infiltration locale à la cortisone et autres mesures habituelles ».
[63] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles ne peut retenir l'opinion du docteur Murray voulant que ce plan de traitement soit discutable et que celui élaboré postérieurement au 20 janvier 2000 soit constitué de traitements contre-indiqués, inutiles et abusifs.
[64] La Commission des lésions professionnelles ne remet pas en cause la valeur de cette opinion médicale. Cependant, force est de constater que celle-ci repose sur des considérations d'ordre médicale qui, à toutes fins utiles, visent à remettre en cause l'opinion des médecins traitants sur la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou traitements administrés ou prescrits de même que l'avis formulé par le docteur Hébert, membre du Bureau d'évaluation médicale, sur la date de consolidation de la lésion et la nécessité de traitements additionnels.
[65] Le 2 mars 2000, le docteur Hébert s'est dit d'avis que la lésion de monsieur Boulos n'était pas encore consolidée, qu'elle nécessitait d'autres traitements et que la nature de ceux-ci devait être décidée par le médecin traitant. La décision de la CSST du 25 août 2000 confirmant celle du 14 mars 2000 donnant suite à cet avis n'a pas été portée en appel et la Commission des lésions professionnelles ne peut, dans le contexte de l'application des articles 31 et 327 de la loi, remettre en cause l'avis du docteur Hébert compte tenu d'une preuve qui tend à démontrer qu'il serait médicalement mal fondé.
[66] Il en est de même pour le plan de traitement qui a été élaboré et mis en œuvre par les médecins traitants à la suite de cet avis. Si l'employeur considérait que ce nouveau plan ou certaines de ses composantes n'étaient pas indiqués compte tenu de la nature de la pathologie ou de l'évolution de la condition médicale de monsieur Boulos, il pouvait se prévaloir des dispositions des articles 212 et 212.1 de la loi afin de requérir à nouveau l'avis d'un membre du Bureau d'évaluation médicale. L'employeur ne s'est pas prévalu de cette procédure d'évaluation médicale, il ne peut donc, à l'occasion d'un litige portant sur l'imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle de monsieur Boulos, prétendre que les traitements qui ont été prodigués postérieurement au 2 mars 2000 étaient contre-indiqués ou inutiles.
[67] Cela dit, la preuve révèle que la condition de monsieur Boulos s'est effectivement détériorée après l'examen physique pratiqué par le docteur Murray le 20 janvier 2000. Cependant, la preuve ne permet pas de conclure que cette détérioration est attribuable à une deuxième infiltration faite le 4 février 2000 ni à un acharnement thérapeutique.
[68] Dans son rapport médical du 4 février 2000, la docteure Jones exprime son désaccord avec le docteur Murray en ce qui concerne la date de consolidation de la lésion notamment, parce que monsieur Boulos rapporte des douleurs plus importantes au niveau de toute la masse des extenseurs de l'avant-bras droit depuis deux semaines et parce qu'une diminution de la force du membre supérieur droit a été observée le même jour en physiothérapie. Elle précise bien qu'elle envisage la possibilité de faire une deuxième infiltration cortisonée, ce qu'elle fait non pas le même jour, mais seulement le 3 mars 2000 tel qu'il appert du rapport médical qu'elle remplit à cette date.
[69] En outre, la docteure Jones indique à son rapport du 3 mars 2000 que l'épicondylite de monsieur Boulos s'est aggravée avec la reprise du travail à temps partiel peu de temps auparavant et c'est alors qu'elle décide de faire une seconde infiltration en plus de prescrire une nouvelle période de repos.
[70] De l'avis de la Commission des lésions professionnelles, la teneur de ces deux rapports médicaux démontre que la deuxième infiltration cortisonée a été jugée nécessaire par la docteure Jones en raison de la détérioration de la condition de monsieur Boulos à compter du début du mois de février 2000 et non pas que cette seconde infiltration est responsable de la détérioration de la condition de ce dernier comme le prétend l'employeur.
[71] Par la suite, d'autres traitements ont été administrés étant donné la persistance des symptômes douloureux, soit une troisième infiltration, une autre immobilisation plâtrée, le port d'une orthèse, la poursuite du repos et des traitements de physiothérapie et, finalement, une intervention chirurgicale.
[72] La Commission des lésions professionnelles estime toutefois que l'on ne peut conclure à un acharnement thérapeutique comme le prétend l'employeur parce que d'autres modalités thérapeutiques ont été tentées en vue d'améliorer une condition douloureuse persistante et ce, même si ces modalités se sont avérées infructueuses.
[73] Selon les dictionnaires d'usage courant, l'acharnement thérapeutique a un sens défavorable puisqu'il vise le comportement d'un médecin qui cherche à maintenir en vie un malade par des techniques diverses de réanimation alors que la majorité du corps médical jugerait le décès du malade inévitable[4].
[74] Le maintien en vie n'est évidemment pas en cause dans cette affaire. Cependant, en faisant les adaptations qui s'imposent, il faudrait néanmoins être en présence d'une situation où le médecin traitant cherche à améliorer la condition d'un travailleur par la poursuite de soins médicaux alors que son état serait jugé désespéré par le corps médical et ce, compte tenu d'une preuve médicale prépondérante offerte à cet égard.
[75] L'acharnement thérapeutique est un concept complexe étant donné la multitude de considérations médicales qu'il comporte et qui déborde largement de la simple divergence d’opinion médicale quant à la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou traitements administrés ou prescrits. L'opinion du docteur Murray en est une par laquelle il exprime son désaccord avec le plan de traitement qui a été élaboré et mis en œuvre par les médecins traitant et elle ne peut donc servir aux fins de conclure à un acharnement thérapeutique.
[76] Le docteur Murray s'est dit d'avis que le docteur Coughlin a probablement décidé de pratiquer une intervention chirurgicale parce qu'il était en présence d'une épicondylite qui a été aggravée par des infiltrations cortisonées répétées.
[77] Ceci étant dit avec respect, le docteur Coughlin n'a pas témoigné à l'audience afin d'expliquer les motifs justifiant sa décision de faire une désinsertion des épicondyliens, de sorte que l’explication avancée par le docteur Murray demeure une seule hypothèse.
[78] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles comprend des propos du docteur Coughlin dans son rapport médical du 8 juin 2000, que ce dernier a jugé que le traitement chirurgical constituait une dernière alternative thérapeutique à tenter étant donné l'échec des traitements préalablement administrés.
[79] Dans ce rapport, le docteur Coughlin précise en effet que l'épicondylite traumatique a évolué en une épicondylite chronique et qu'il a recommandé un traitement chirurgical parce que toutes les autres modalités thérapeutiques avaient été épuisées et ce, sans faire état de considérations ayant trait à une chronicité résultant des traitements administrés, dont des infiltrations cortisonées répétées.
[80] Il est fait état au protocole opératoire de la présence de changements dégénératifs, lesquels sont, selon le docteur Murray, attribuables aux trois infiltrations cortisonées étant donné la rupture des fibres collagènes des tendons que de telles infiltrations entraînent.
[81] La Commission des lésions professionnelles comprend toutefois de l'opinion exprimée par le docteur Murray qu'il s'agit là d'un phénomène qui est fréquemment observé à la suite d'infiltrations répétées et qu'il constitue une conséquence indissociable de ce traitement.
[82] La Commission des lésions professionnelles retient donc que la preuve révèle que la condition de monsieur Boulos n'a pas évolué de manière habituelle, que plusieurs traitements ont été nécessaires afin de favoriser la guérison de sa lésion, que ces traitements n'ont pas donné le succès escompté et que certains d'entre eux, soit les infiltrations cortisonées, ont même entraîné un effet indésirable.
[83] Une telle situation ne donne cependant pas ouverture à l'application du premier paragraphe de l'article 31 de la loi. Tel que déjà précisé, cet article vise la survenance d'une nouvelle lésion qui est proprement attribuable aux conséquences du traitement de la lésion initiale et non pas les phénomènes qui ne peuvent être dissociées de cette lésion ou du traitement qu'elle a nécessité ni les complications relatives à l'évolution de la lésion elle-même.
[84] D'ailleurs, dans l'affaire Urgences Santé[5], la Commission des lésions professionnelles a décidé que l'échec du traitement ne permettait pas de conclure à une lésion professionnelle au sens de l'article 31 de la loi. Aussi, dans l'affaire Carrière et Transport Napoléon Brochu et Gagnon et CSST[6], la Commission des lésions professionnelles a décidé que l'effet indésirable produit par une infiltration visant le traitement d'une épicondylite ne donnait pas ouverture à l'application de cette disposition.
[85] Pour l’ensemble de ces motifs, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que les dispositions de l’article 327 de la loi ne trouvent pas application dans la présente affaire et que la totalité du coût des prestations qui ont été versées à la suite de la lésion professionnelle qu’a subie monsieur Boulos le 18 septembre 1999 doit par conséquent être imputée au dossier financier de l'employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de l'employeur, Polar Plastique ltée;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 18 décembre 2001 à la suite d'une révision administrative; et
DÉCLARE que le coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle dont a été victime le travailleur, monsieur Sarwat Boulos, le 18 septembre 1999 doit être imputé à l'employeur, Polar Plastique ltée.
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Ginette Morin |
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Commissaire |
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Groupe Santé Physimed (Me Claire Burdett) |
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Représentante de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] La date du 11 juillet 2000 constitue vraisemblablement une erreur puisque la chirurgie a bien été effectuée le 13 octobre 2000.
[3] Voir entre autres : Abattoirs R. Roy inc. et Fleury, [1993] C.A.L.P. 1140 ; Chaussures H.H. Brown ltée et Côté, C.A.L.P. 56559‑05-9401, le 5 juillet 1994, L. Boucher; Asea Brown Boveri inc. et Desautels, C.A.L.P. 55197‑05‑9311, le 14 août 1995, M. Denis; Kraft General Foods Canada inc. et CSST, [1996] C.A.L.P. 1033 ; Unival (St-Jean Baptiste) et Gaudreault, [1997] C.A.L.P. 612 ; Multi-Marques Distribution inc., C.L.P. 115170-63-9904, le 29 juin 1999, J.-M. Charette; Structural 1982 inc., C.L.P. 126292-62C-9910, le 3 mai 2000, L. Couture; Super C (Épiciers Unis Métro-Richelieu) et CSST, C.L.P. 121907-03B-9908, le 25 mai 2000, R. Jolicoeur; Métro-Richelieu-Épicerie Newton, [2000] C.L.P. 5 ; Carrière et Transport Napoléon Brochu et Gagnon et CSST, C.L.P. 132147-09-0002, le 1er décembre 2000, Y. Vigneault; C.H.U.S. (Hôtel-Dieu), C.L.P. 155621-05-0102, le 10 mai 2001, F. Ranger; Mailhot Palettes inc et CSST, C.L.P. 150203-63-0011, le 31 mai 2001, F. Dion-Drapeau; Olymel-Flamingo et CSST, C.L.P. 148680-63-0010, le 7 juin 2001, F. Dion-Drapeau; Sobey’s inc., C.L.P. 154222-71-0101, le 10 janvier 2002, M. Bélanger; Sabem inc. et Lupien, C.L.P. 168395-64-0109, le 22 janvier 2002, R. Daniel; Brasserie Labatt ltée, C.L.P. 160698-62B-0104, le 8 février 2002, A. Vaillancourt; Scierie Pékan inc., C.L.P. 150642-01C-0011, le 27 mars 2002, L. Desbois; Les Restaurants McDonald du Canada Ltée et CSST, C.L.P. 140093-63-0006, le 28 mars 2002, F. Dion-Drapeau; Urgences Santé, C.L.P. 155123‑63‑0102, le 9 avril 2002, J.-M. Charette; Wal-Mart Canada inc., C.L.P. 163794-08-0106, le 16 juillet 2002, J. Landry; Distribution Madico inc., C.L.P. 173336-03B-0111, le 4 décembre 2002, P. Brazeau.
[4] Le petit Larousse illustré 1998, Paris, Larousse-Bordas, 1997, p. 35; Le nouveau petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouvelle édition remaniée et amplifiée, Paris, Dictionnaire Le Robert, 1993, p. 20
[5] Précitée, note 3
[6] Précitée, note 3
AVIS :
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