Gauthier et 2745992 Canada inc. |
2011 QCCLP 2832 |
______________________________________________________________________
DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
______________________________________________________________________
[1] Le 29 juillet 2010, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), dépose une requête en révision à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 16 juin 2010.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles déclare que monsieur Henri Gauthier (le travailleur) a droit au remboursement du coût d’acquisition d’un chien d’accompagnement dressé.
[3] L’audience sur la requête en révision a lieu le 26 janvier 2011 devant la Commission des lésions professionnelles à Québec, en visioconférence avec Montréal, en présence de l’avocate de la CSST et du travailleur qui est assisté de son représentant. La compagnie 2745992 Canada inc. (l’employeur) n’est pas représentée à l’audience.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La CSST demande de réviser la décision rendue le 16 juin 2010 et de déclarer que le travailleur n’a pas droit au remboursement du coût d’acquisition d’un chien d’accompagnement dressé. Subsidiairement, quant au fond, elle demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la CSST ne doit rembourser que les coûts reliés au dressage de niveau Base 1 et Base 2.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête de la CSST doit être rejetée. Il retient que la CSST n’était pas présente à l’audience initiale et elle ne peut, au stade de la révision, faire valoir de nouveaux arguments. Quant aux motifs qu’elle invoque, il est d’avis qu’ils correspondent davantage à une demande de réappréciation de la preuve.
[6] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la décision de la première juge administrative comporte une erreur manifeste et déterminante en ce qu’elle a omis d’analyser la demande du travailleur en fonction de ses limitations fonctionnelles. Ainsi, il est d’avis que la requête de la CSST devrait être accueillie.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] Le tribunal siégeant en révision doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 16 juin 2010.
[8] L’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu’une affaire est entendue par plus d’un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l’ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s’y conformer sans délai.
____________
1997, c. 27, a. 24.
[9] Le recours en révision et en révocation est prévu à l’article 429.56 de la loi:
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendue:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[10] Le recours en révision et en révocation s’inscrit dans le contexte de l’article 429.49 de la loi qui prévoit qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des motifs prévus par l’article 429.56 est établi.
[11] Dans le présent cas, la CSST invoque que la décision de la première juge administrative comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider. La notion de « vice de fond » a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles[2] comme étant une erreur manifeste, de droit ou de fait, ayant un effet déterminant sur l’issue du litige.
[12] Il a été maintes fois réitéré que ce recours ne peut constituer un appel déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles énoncé au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi.
[13] Dans l’affaire C.S.S.T. et Fontaine[3], la Cour d’appel a été appelée à se prononcer sur la notion de « vice de fond ». Elle réitère que la révision n’est pas l’occasion pour le tribunal de substituer son appréciation de la preuve à celle déjà faite par la première formation ou encore d’interpréter différemment le droit. Elle établit également que la décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision. Dans l’affaire Fontaine, comme elle l’avait déjà fait dans la cause TAQ c. Godin[4], la Cour d’appel invite et incite la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d'une très grande retenue dans l'exercice de son pouvoir de révision.
[14] Ainsi, un juge administratif saisi d'une requête en révision ne peut pas écarter la conclusion à laquelle en vient le premier juge administratif qui a rendu la décision attaquée et y substituer sa propre conclusion au motif qu'il n'apprécie pas la preuve et le droit de la même manière que celui-ci.
[15] Sans reprendre tous les éléments de preuve au dossier, il y a lieu de rapporter brièvement les faits suivants.
[16] Le 26 septembre 1997, le travailleur occupe l’emploi de chauffeur chez l’employeur lorsqu’il est victime d’un accident du travail. En descendant de son camion, il perd pied. Il tente, en vain, de se retenir avec ses mains et tombe sur le dos.
[17] Le diagnostic initialement retenu est celui d’entorse lombaire pour lequel le travailleur se voit reconnaître un déficit anatomo-physiologique de 2 % et des limitations fonctionnelles.
[18] Ultérieurement, de nombreux autres diagnostics sont acceptés en relation avec cette lésion.
[19] Le 10 mars 2000, la CSST accepte le diagnostic de dépression pour lequel le travailleur se voit attribuer un déficit anatomo-physiologique de 15 % par le membre du Bureau d’évaluation médicale. Aucune limitation fonctionnelle n’est précisée, mais un suivi psychologique est recommandé auprès d’un psychologue.
[20] Puis, d’autres diagnostics physiologiques ayant initialement été refusés par la CSST, sont reconnus par la Commission des lésions professionnelles comme étant en relation avec l’événement initial. Il s’agit des diagnostics de capsulite à l’épaule gauche, de déchirure de la coiffe des rotateurs à l’épaule droite et de hernie discale L5-S1. Au regard de la capsulite à l’épaule gauche, celle-ci étant l’expression d’une déchirure massive de la coiffe des rotateurs associée à de l’arthrose, le travailleur se fait installer une prothèse totale de l’épaule.
[21] Pour ces lésions physiques, le travailleur se voit reconnaître une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 63,60 % et des limitations fonctionnelles de classe IV de l’IRSST tant pour la condition lombaire que pour les deux épaules.
[22] Par ailleurs, dans un autre dossier de lésion professionnelle, le travailleur s’est vu reconnaître une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 72 % pour un problème de surdité.
[23] Puis, étant impossible de déterminer un emploi que le travailleur pourrait occuper, la CSST décide de continuer à lui verser l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à 68 ans, conformément à la loi.
[24] Le 2 novembre 2004, la Commission des lésions professionnelles rend une décision entérinant un accord déclarant que le travailleur a droit au remboursement du coût d’achat d’un quadriporteur. Dans le cadre de cet accord, les parties reconnaissent que, compte tenu de ses séquelles permanentes, le travailleur peut bénéficier d’un quadriporteur pour le rendre autonome dans l’accomplissement de ses activités quotidiennes et pour briser son isolement.
[25] Le 29 novembre 2008, le travailleur écrit à la CSST pour lui demander de défrayer le coût d’achat d’un chien dressé pour le sécuriser et lui tenir compagnie. Notamment, il précise que le chien le sécurise et que, compte tenu de sa surdité, il peut l’avertir lorsque le téléphone ou la porte sonne. Il mentionne qu’il n’a plus la capacité de dresser un chien. Il précise qu’il possédait un chien dont la présence lui a été salutaire depuis sa lésion professionnelle et compte tenu de ses séquelles psychologiques. Le décès récent de son chien l’affecte beaucoup et l’insécurise, ce qui entraîne comme conséquence qu’il ne sort plus de la maison. Il joint deux soumissions à sa lettre.
[26] Après une analyse détaillée qu’elle énonce aux notes évolutives, la CSST rend la décision initiale à l’origine du présent litige. Ainsi, la première juge administrative devait donc déterminer si le travailleur avait droit au remboursement du coût d’achat d’un chien dressé.
[27] À l’audience devant la première juge administrative, la CSST n’y est pas représentée. Seul, le travailleur y est présent et assisté de son représentant. Il témoigne à l’audience et dépose les deux soumissions obtenues pour appuyer sa demande faite au mois de novembre 2008. Ces soumissions concernent un chien berger allemand entraîné pour l’obéissance Base 1 et Base 2.
[28] Dans le cadre de sa décision, la première juge administrative décrit d’abord les faits. Notamment, elle reproduit de longs passages des notes évolutives de l’agente de la CSST qui analyse la demande du travailleur. Puis, elle résume le témoignage du travailleur au paragraphe [24].
[29] Dans la section motif, en guise d’introduction, après avoir repris les règles de droit pertinentes, elle précise qu’il s’agit d’un cas très particulier et qu’il n’y a aucun précédent dans la jurisprudence. Elle rappelle que l’objectif de la loi est la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires. Puis, compte tenu de l’ensemble de ses séquelles permanentes sur le plan physique et psychologique, elle considère qu’il est compréhensible que le travailleur se sente vulnérable.
[30] Dans un premier temps, elle estime qu’un chien d’accompagnement dressé ne peut être considéré comme une aide technique énumérée au Règlement sur l’assistance médicale[5].
[31] Cependant, elle fait droit à la demande du travailleur au motif qu’un chien d’accompagnement dressé peut constituer une mesure de réadaptation sociale au sens de l’article 151 de la loi. Elle considère que cette mesure peut aider le travailleur à surmonter les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s’adapter à sa nouvelle situation qui découle de sa lésion professionnelle et à redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles. Elle ajoute que l’article 184, paragraphe 5 prévoit que la CSST peut prendre toute mesure qu’elle estime utile pour atténuer et faire disparaître les conséquences d’une lésion professionnelle.
[32] Elle s’exprime comme suit aux paragraphes [36] à [39] :
[36] Après avoir vu le travailleur et entendu son témoignage, le tribunal croit que l’acquisition d’un chien d’accompagnement dressé contribuerait, dans son cas, à atteindre le but visé par la réadaptation sociale. En raison du sentiment de sécurité que la présence d’un tel chien lui procurerait, cette mesure contribuerait, en effet, à le rendre plus autonome et à le sortir de son isolement. Le travailleur se sentirait moins vulnérable, cesserait de vivre dans la crainte à chaque fois qu’il se retrouve seul et recommencerait à sortir à l’extérieur par lui-même et à retrouver une certaine forme de vie sociale. Un chien dressé doit être vu dans son cas non seulement comme un chien de compagnie mais comme une protection, un soutien psychologique et un instrument de socialisation.
[37] Depuis que le travailleur a subi ses nombreuses lésions professionnelles, il a presque toujours eu un chien dressé à ses côtés, qui l’accompagnait dans tous ses déplacements. La perte de son chien, qui est mort en 2008, a été très mal vécue par le travailleur et l’a plongé dans un état de détresse psychologique comme l’a expliqué sa conjointe à l’agent de la CSST. Celle-ci s’est dite très inquiète pour son conjoint et a souligné l’importance que revêtait pour son époux l’acquisition d’un autre chien.
[38] Le médecin du travailleur a également confirmé, dans une note adressée à la CSST, que le travailleur avait besoin d’un chien dressé comme aide tant pour des raisons d’ordre psychologique que physique.
[39] Le tribunal considère que la preuve démontre, de façon prépondérante, que l’acquisition d’un chien d’accompagnement dressé serait bénéfique pour le travailleur, qu’une telle mesure l’aiderait à surmonter les conséquences personnelles et sociales de ses nombreuses lésions professionnelles et contribuerait à le rendre plus autonome dans les activités de la vie quotidienne. Elle contribuerait également à améliorer sa qualité de vie et à atténuer, sinon à faire disparaître, l’état de détresse psychologique qui est le sien présentement.
[33] La CSST invoque que la première juge administrative commet une erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation des faits et du droit en ce que rien dans la preuve ne permet de conclure que l’acquisition d’un chien dressé peut combler les conséquences d’une lésion professionnelle.
[34] Dans un premier temps, elle prétend qu’il n’est pas expliqué en quoi l’acquisition d’un chien peut compenser les pertes dues à la lésion professionnelle et plus précisément aux limitations fonctionnelles. De plus, elle soutient qu’aucune démonstration n’a été faite et aucune explication n’est donnée quant à l’incapacité du travailleur à dresser un chien. Notamment, on reproche à la première juge administrative de ne pas avoir analysé cette capacité à dresser un chien au regard des limitations fonctionnelles.
[35] Elle reproche également à la première juge administrative de ne pas avoir tenu compte de différents éléments, comme le fait que d’autres mesures existent pour combler les conséquences de la lésion professionnelle. Elle souligne, en outre, que le coût d’acquisition d’un quadriporteur a été accordé pour les mêmes raisons qui sont invoquées ici par le travailleur pour obtenir un chien dressé, soit pour devenir plus autonome dans l’accomplissement de ses activités quotidiennes et pour briser son isolement. La CSST invoque qu’elle ne tient pas compte non plus du fait qu’un système d’avertissement infrarouge peut être payé dans le dossier de surdité, pour que le travailleur puisse avoir un meilleur contrôle de son environnement ni que la demande du travailleur vise à combler la perte de son chien décédé en 2008.
[36] En contrepartie, elle prétend que la première juge administrative tient compte à tort d’éléments non pertinents à la réparation des conséquences d’une lésion professionnelle, tels la dangerosité du quartier dans lequel il vit et le fait qu’il n’a pas les moyens financiers pour acquérir un chien dressé puisqu’il ne reçoit plus l’indemnité de remplacement du revenu, étant donné son âge. Elle soutient qu’on ne peut savoir en quoi l’acquisition d’un chien aide à compenser les conséquences de la lésion professionnelle.
[37] Subsidiairement, elle soumet que la première juge administrative aurait dû n’accorder que le remboursement du dressage et non le coût de l’acquisition du chien.
[38] D’abord, il y a lieu de souligner que la CSST n’est pas intervenue devant la première juge administrative pour lui exposer les arguments qu’elle présente maintenant devant le tribunal siégeant en révision. Or, tel que le rappelait la Commission des lésions professionnelles à la CSST dans l’affaire Bossé et Mirinoxi[6], le recours en révision n’est pas une occasion de bonifier une preuve ou de peaufiner une argumentation et que son silence lors de l’audience initiale constitue un obstacle à sa requête.
[39] De toute façon, le tribunal siégeant en révision ne croit pas que la CSST a démontré que la première juge administrative a commis une erreur manifeste et déterminante.
[40] Celle-ci se base sur les articles 1, 151, 152 et 184.5 de la loi pour donner suite à la demande du travailleur. Ces dispositions prévoient ce qui suit :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
__________
1985, c. 6, a. 151.
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
__________
1985, c. 6, a. 152.
184. La Commission peut :
[…]
5° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d'une lésion professionnelle.
Aux fins des paragraphes 1°, 2° et 3°, la Commission forme un comité multidisciplinaire.
__________
1985, c. 6, a. 184.
[41] Il est à noter que la CSST ne reproche pas à la première juge administrative d’avoir appliqué ces dispositions pour traiter la demande du travailleur, mais plutôt sa façon de les appliquer. Il lui reproche premièrement de ne pas avoir évalué la demande du travailleur en fonction de ses limitations fonctionnelles.
[42] Or, les dispositions précitées ne prévoient pas expressément que le droit à des mesures de réadaptation sociales doit être analysé en relation avec les limitations fonctionnelles du travailleur.
[43] De fait, dans l’affaire Cayouette et Gestion Clément Cayouette[7], déposée par la CSST, la Commission des lésions professionnelles retient ce qui suit :
[61] Sous l’angle de la réadaptation sociale, le tribunal a déjà indiqué que les programmes énumérés à la loi ne sont pas exhaustifs et toutes mesures visant à aider le travailleur à surmonter les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle et lui permettent de s’adapter à la nouvelle situation qui découle de cette lésion et à redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles peuvent être envisagées. (Je souligne)
[44] Il est de même, dans l’affaire Lefebvre et Carborundum Canada inc. (fermée)[8], où la Commission des lésions professionnelles décrit ce que visent les mesures de réadaptation sociale :
[37] Les mesures de réadaptation sociale visent donc à aider le travailleur à surmonter, dans la mesure du possible, les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, pour qu’il puisse s’adapter à sa nouvelle situation qui découle de sa lésion professionnelle et à redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles.
[38] Lorsque le législateur indique à l’article 152 que « un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment… », on peut comprendre que les mesures de réadaptation ne se limitent pas seulement à celles qui y sont énumérées. D’autres mesures peuvent être envisagées en autant qu’elles contribuent à aider le travailleur à surmonter les conséquences personnelles et sociales qui découlent de sa lésion professionnelle.
[39] Comme en conclut la commissaire Landry dans l’affaire Mathieu et Désourdy-Duranceau Ent. Inc. , la combinaison des articles 145, 151, 152 et 184 de la Loi permet d’envisager une mesure sociale qui n’est pas spécifiquement énumérée à la Loi mais qui répond à l’objectif visé par la réadaptation sociale.
[45] Même si, dans certains cas, il peut être pertinent d’analyser le droit à la réadaptation sociale en fonction des limitations fonctionnelles[9], le fait de ne pas le faire ne constitue pas une erreur manifeste.
[46] Force est de constater que les éléments qui doivent être pris en considération pour décider du droit à la réadaptation sociale sont des concepts très larges qui laissent beaucoup de place à l’appréciation du tribunal. Le droit à une mesure de réadaptation sociale n’est, cependant, pas automatique[10]. Il faut qu’une analyse soit faite pour déterminer si la mesure demandée a pour but de l’aider à surmonter, dans la mesure du possible, les conséquences personnelles et sociales de la lésion professionnelle, à s’adapter à la nouvelle situation découlant de la lésion et à redevenir autonome.
[47] Or, c’est justement l’exercice auquel se livre la première juge administrative. D’abord, elle précise qu’il s’agit d’un cas très particulier et elle revient sur les séquelles permanentes du travailleur tant sur le plan physiologique que psychologique et retient qu’il est plausible que le travailleur se sente vulnérable. Puis, elle retient du témoignage du travailleur, qui a été non contredit, que l’acquisition d’un chien dressé lui permettrait d’améliorer son sentiment de sécurité, de le rendre plus autonome, de sortir de son isolement. Elle retient également que cela contribuerait à améliorer sa qualité de vie et à atténuer, sinon à faire disparaître, l’état de détresse psychologique qui est le sien présentement.
[48] La CSST n’est pas d’accord avec l’appréciation que fait la première juge administrative, mais elle ne démontre pas d’erreur manifeste dans son analyse.
[49] D’ailleurs, le tribunal siégeant en révision remarque que, dans le cadre de son argumentaire relativement élaboré qui se trouve aux notes évolutives pour appuyer sa décision initiale, la CSST n’analyse même pas, elle-même, la demande qui lui est soumise en fonction des limitations fonctionnelles du travailleur .
[50] Puis, la CSST soutient que la première juge administrative n’a pas tenu compte de certains éléments de la preuve et, en contrepartie, a pris en considération des éléments non pertinents. Or, tel que mentionné précédemment, la CSST n’était pas présente à l’audience initiale pour soumettre ces arguments à la première juge administrative. D’autre part, l’analyse de ce qui constitue ou non des éléments de preuve pertinents relève clairement du pouvoir d’appréciation des faits qui appartient à la première juge administrative et la révision n’est pas l’occasion pour tenter d’obtenir une réappréciation de la preuve.
[51] En outre, la CSST insiste sur le fait que le coût d’acquisition d’un quadriporteur a été accordé pour les mêmes raisons qui sont invoquées ici par le travailleur pour obtenir un chien dressé, soit pour devenir plus autonome dans l’accomplissement de ses activités quotidiennes et pour briser son isolement.
[52] Or, il n’est pas démontré que la première juge administrative a commis une erreur à cet égard. En effet, rien dans la loi n’interdit qu’un travailleur puisse bénéficier de plus d’une mesure de réadaptation sociale cherchant à atteindre les mêmes buts. Ce même raisonnement s’applique aussi à l’argument de la CSST selon lequel le travailleur peut se voir attribuer une aide technique de système d’avertissement infrarouge pour sa surdité.
[53] Quant à l’argument subsidiaire de la CSST selon lequel la première juge administrative n’aurait dû accorder que le remboursement du coût du dressage et non celui du chien. Encore une fois, il s’agit d’une demande dont n’a pas été saisie la première juge administrative. La CSST n’a pas démontré en quoi, à cet égard, la décision comporte une erreur manifeste.
[54] Certes, un autre juge administratif aurait pu apprécier la preuve différemment et tenir compte d’autres éléments pour en venir à des conclusions différentes. Cependant, tel que mentionné précédemment, la révision n’est pas un recours qui permet à un deuxième juge administratif de substituer sa propre conclusion au motif qu'il n'apprécie pas la preuve et le droit de la même manière que celui-ci.
[55] Pour toutes ces raisons, la requête de la CSST est rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.
|
|
|
Monique Lamarre |
|
|
|
|
|
|
|
|
Monsieur Réal Brassard, expert-conseil |
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
|
Me Sonia Grenier |
|
VIGNEAULT, THIBODEAU, GIARD |
|
Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Voir notamment Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
[3] [2005] C.L.P. 626 (C.A.).
[4] Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.).
[5] (1993) 125 G.O. II, 1331.
[6] C.L.P. 352202-31-0806, 6 novembre 2009, C. Racine
[7] C.L.P. 244581-63-0409, 7 juin 2006, J.-P. Arsenault.
[8] C.L.P. 219710-04-0311, 26 mars 2004, S. Sénéchal.
[9] C.L.P. 297919-04-0608, 26 novembre 2007, S. Sénéchal.
[10] Grenier et Manac inc., précitée note 9.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.