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[1] Le 28 février 2006, madame Guylaine Laurin (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 janvier 2006 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 17 octobre 2005 et déclare qu’elle modifie le plan de réadaptation de la travailleuse de la manière suivante :
· Mettra fin à l’intervention de monsieur François Crépeau, neuropsychologue, après une période de transition de trois mois;
· Demande d’expertise en psychiatrie, à moins que la travailleuse ne s’y oppose, pour permettre que le sevrage de la thérapie se fasse le mieux possible;
· Mettra fin, dans un mois, aux interventions de monsieur Peter Boutin, éducateur physique. Toutefois, si la travailleuse souhaite s’inscrire à des activités sportives de son quartier, monsieur Boutin pourra l’accompagner pour une période supplémentaire de un mois;
· Dans le cas où la travailleuse souhaite faire suite à son projet de déménagement sur la Rive Sud de Montréal, la présence d’un éducateur spécialisé pour intégrer son nouveau milieu pourra être évaluée.
[3] La travailleuse est présente et représentée lors de l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles le 5 septembre 2006. Mont Sutton inc. (l’employeur) n’est pas représenté. La cause est mise en délibéré le 3 octobre 2006, soit à la date de la réception du rapport de monsieur Peter Boutin.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande de reconnaître qu’elle a droit à la poursuite de ses traitements en neuropsychologie et de son support par un éducateur physique. Enfin, elle demande d’autoriser des traitements de neurofeedback.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Madame Lorraine Gauthier, membre issue des associations syndicales, est d’avis que les traitements de neuropsychologie et le suivi par un éducateur physique doivent se poursuivre puisqu’ils améliorent la qualité de vie de la travailleuse. Pour le même motif, elle recommande d’autoriser les traitements de neurofeedback.
[6] Monsieur Luc Dupéré, membre issu des associations d’employeurs, est d’avis d’autoriser la poursuite des traitements de neuropsychologie. Il considère qu’en l’absence d’une expertise psychiatrique comme il l’avait été suggérée, il y a lieu pour l’instant de poursuivre ces traitements. Quant au suivi par un éducateur physique, il considère la preuve insuffisante pour conclure qu’il y a lieu de poursuivre ce suivi. En ce qui concerne les traitements de neurofeedback, n’étant pas autorisés par Règlement, il n’y a pas lieu de les autoriser.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a droit à la poursuite des traitements en neuropsychologie et d’un suivi par un éducateur physique. Aussi, elle doit déterminer si les traitements de neurofeedback peuvent être autorisés.
[8] Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles expose les éléments pertinents pour mettre en contexte la présente réclamation.
Contexte
[9] La travailleuse, née le 22 mars 1964, est patrouilleuse de ski au service de l’employeur alors que survient un accident du travail.
[10] Le 17 mars 1998, alors qu’elle skie hors piste avec deux collègues, elle heurte un arbre.
[11] Les diagnostics qui lient le présent Tribunal sont : traumatisme crânien avec hématome extra-crânien, troubles cognitifs, céphalées, vertiges et névralgie d’Arnold.
[12] À compter du 15 avril 1998, la travailleuse est prise en charge par les intervenants du programme de neurotraumatologie de St-Hyacinthe.
[13] En juillet 1998, elle est prise en charge au Centre de réadaptation Lucie-Bruneau (Centre de réadaptation). Le 31 juillet, le docteur Marc Bouchard rédige le rapport d’évaluation médicale initial et la travailleuse est évaluée ensuite dans plusieurs disciplines : psychiatrie, neurologie, neuropsychologie, physiatrie, orthophonie, éducation physique, travail social.
[14] Le 12 juin 2000, monsieur François Crépeau, neuropsychologue au Centre de réadaptation, rédige un rapport détaillé sur ses rencontres avec la travailleuse qui se sont déroulées entre le 21 juillet 1998 et le 16 juin 2000, à une fréquence d’une à deux rencontres par semaine, selon les besoins. Il recommande de « poursuivre le suivi psychologique entamé pour minimiser les risques actuels de rechute et éviter à la cliente de reconstruire un lien de confiance avec un nouvel intervenant ». Voici en détails ses conclusions et recommandations :
Au plan cognitif, Mme Laurin a montré une récupération considérable des habiletés visuospatiales et constructives qui se situent maintenant à un niveau très supérieur à la moyenne. La capacité d’apprentissage verbal s’est également améliorée mais reste tributaire de la vitesse de présentation des stimuli et de la fatigabilité. Il persiste d’ailleurs encore, plus de deux ans après l’accident, une importante lenteur à intégrer et à élaborer les informations verbales. Mais le problème résiduel le plus limitatif pour la cliente concerne certainement le fait que tout effort attentionnel prolongé, indépendemment d’un contenu émotif, entraîne une cascade de symptômes physiques, dont principalement les douleurs, les nausées et la fatigue. Ces symptômes empêchent la cliente de faire plus de deux heures d’activités par jour et la rendent incapable d’assumer pleinement ses responsabilités de la vie quotidienne et de suivre son programme complet de réadaptation. Dans ces conditions, il est logique d’inférer qu’elle est incapable d’assumer les exigences d’un emploi compétitif.
Au plan de l’adaptation psychologique, Mme Laurin comprend et gère mieux ses symptômes physiques et ses séquelles cognitives. Elle est plus capable d’exprimer ses émotions et de faire des refus au besoin. Elle ressent une moins grande culpabilité. Surtout, elle a peu à peu délaissé une attitude de victimisation pour adopter une plus grande responsabilisation. Bien que l’humeur puisse être considéré comme stable, nous croyons qu’il persiste une fragilité réelle et significative.
En effet, puisque les séquelles cognitives limitent sa capacité à comprendre et à trouver des solutions à des situations complexes, puisqu’elle ne peut fournir un effort attentionnel prolongé, il lui sera difficile de s’adapter aux changements significatifs de sa vie. La fin de la réadaptation amènera justement plusieurs changements auxquels elle devra s’adapter (i.e., diminution des revenus, déménagement, perte de liens significatifs avec les intervenants). Le réseau social reste également à reconstruire.
En ce qui concerne la probabilité d’une amélioration future de la condition, nous ne pouvons ignorer les éléments de stress post-traumatique de légers à modérés et sujets à être réactivés par des contextes (conduites d’évitement et intrusions) qui perdurent et que la cliente est maintenant prête à aborder en psychothérapie. Si de tels éléments contribuent au moins en partie au maintien ou à l’intensité de la symptômatologie physique, ceci expliquerait l’existence d’un écart important entre l’intensité des symptômes et les résultats aux examens objectifs au plan physique. Ceci n’est toutefois qu’une hypothèse qui demeure à être investiguée dans l’avenir. Étant donné le caractère hautement invalidant de la symptômatologie physique et la détresse psychologique qui l’accompagne, nous croyons qu’il est valable de poursuivre le processus thérapeutique pour explorer les éléments de stress post-traumatique et consolider les stratégies d’adaptation mises de l’avant au cours des derniers mois. Étant donné d’une part les difficultés cognitives de la cliente et d’autre part, sa difficulté à s’engager dans une relation de confiance, nous recommandons que nous puissions poursuivre le suivi psychologique entamé pour minimiser les risques actuelles de rechute et éviter à la cliente de reconstruire un lien de confiance avec un nouvel intervenant.
[…]
[15] Le 23 novembre 2000, le docteur Bouchard, qui a assuré le suivi médical, complète un rapport final et un rapport d'évaluation médicale. Il considère la travailleuse inapte à tout emploi en raison principalement de sa faible tolérance à l’effort mental et physique. Après quelques minutes d’activités physiques ou mentales, une cascade de symptômes surviennent : nausées, céphalées, cervicalgie. Il recommande encore un suivi en neuropsychologie pour quelques mois. Voici les extraits pertinents de ce rapport :
[…]
Un bilan neuropsychologique produit dernièrement mentionnait que le problème résiduel le plus limitatif pour la cliente concernait le fait que tout effort attentionnel prolongé, indépendamment du contenu émotif, entraînait une cascade de symptômes physiques, dont principalement les douleurs, les nausées et la fatigue. On ajoutait que ces symptômes empêchaient la cliente de faire plus de 2 heures d’activités par jour, et la rendait incapable d’assumer pleinement ses responsabilités de la vie quotidienne et de suivre son programme complet de réadaptation. Nous vous invitons à consulter le rapport de monsieur François Crépeau, neuropsychologue, pour avoir un bilan complet sur le plan neuropsychologique. À l’été 2000, nous avons été amenés progressivement à conclure que la cliente avait atteint un plateau en ce qui concerne sa possibilité d’augmenter son autonomie. En effet, tel que noté ci-haut, tout effort physique ou mental entraîne, après environ 90 minutes au maximum, la présence de nausées, céphalée, parfois sensation de vertige. La tolérance à l’effort mental ou physique demeure donc très limitée, et nous empêche de faire progresser la cliente dans le recouvrement de son autonomie.
Diverses modalités ont été tentées, dont des traitements de physiothérapie, par 3 thérapeutes différents, une intervention en ergothérapie, une intervention par un éducateur physique, on suivi en neuropsychologie, une intervention en orientation. Cependant, dans la mesure où la tolérance à l’effort mental ou physique demeure aussi limitée, il devient impossible de réaliser des progrès significatifs.
[…]
Nous procédons donc à la consolidation de ce dossier sur le plan médical, ne croyant pas que l’on puisse envisager à court terme des modifications significatives de la condition actuelle de madame Laurin.
Nous retenons les diagnostics suivants :
- Traumatisme cranio-encéphalique d’intensité modérée : 211292 : DAP 2%
- Syndrome cérébral organique cognitif, classe 1 : 211005; pourcentage de DAP : 15
- Trouble de la communication, classe 1; 211041; pourcentage DAP : 15
- Entorse cervicale; 203513; pourcentage de DAP : 2
[…]
En ce qui concerne la capacité de cette cliente à réintégrer ses fonctions antérieures, ou tout autre emploi, nous sommes amenés à conclure, avec l’ensemble des intervenants de l’équipe multidisciplinaire, que madame Laurin est actuellement inapte à tout emploi, que ce soit à temps plein ou à temps partiel. Tel que noté dans le rapport d’évaluation neuropsychologique, et tel qu’observé tout au long de la réadaptation, le principal facteur limitatif demeure une faible tolérance à l’effort mental ou physique, et la survenue d’une cascade de symptômes après quelques minutes d’activités mentales ou physiques (nausées, céphalée, cervicalgie). Si cette symptomatologie devait s’améliorer au cours des prochains mois, la capacité de madame Laurin de réintégrer éventuellement le marché du travail pourrait s’en trouver améliorée.
Cependant, le temps écoulé depuis l’accident, soit maintenant plus de 2 ans et demi, nous amène à être peu optimiste en ce sens. Notre recommandation serait de considérer madame Laurin comme inapte, de façon permanente, à tout emploi. Cependant, considérant l’âge de la cliente, le suivi en neuropsychologie recommandé encore pour quelques mois, je ne m’opposerais pas à ce qu’on prolonge l’inaptitude pour une période d’un an, quitte à réévaluer dans 1 an, et à alors prononcer une invalidité permanente si on ne notait pas de changement significatif.
[…]
[16] C’est dans ce contexte que, suite à la consolidation de la lésion professionnelle, les traitements en neuropsychologie et le suivi en éducation physique se sont poursuivis. Le 14 mai 2001, le conseiller en réadaptation, monsieur Daniel Fleury, inscrit :
[…]
Neuropsychologie
- Les rencontres se poursuivent toujours. La travailleuse confirme qu’elle a toujours besoin de ces rencontres. Elle souhaite déménager dans la région de Montréal pour s’assurer de continuer la démarche avec François Crépeau.
- Je confirme que cette mesure sera toujours autorisée tant qu’elle en aura besoin.
Activités physiques
- Des rencontres avec M. Eric Leboutillet sont toujours en cours, 3 fois par semaine. Des activités sont réalisées en salle et à l’extérieur.
- La condition physique est toujours variable. Problème d’équilibre, problème visuel.
- J’explique que sous peu, cette activité sera complétée. Un éducateur spécialisé pourra la rencontrer périodiquement ou au besoin pour maintenir ou développer les activités physiques et sociales. Madame Laurin était déjà au courant de cette décision.
[…]
[Notre soulignement]
[17] À compter du 22 août 2002, monsieur Réjean Thiffault est le nouveau conseiller en réadaptation.
[18] Le 17 janvier 2003, ce conseiller en réadaptation inscrit :
[…]
Daniel Fleury, ex-conseiller au dossier me dit que l’ergo de Lucie Bruneau a déjà fait le travail d’adaptation de domicile, (Mme Aycha).
Concernant l’ensemble du dossier, Daniel me rappelle que ce dossier a été discuté dans les rencontres des cas 2000 jours avec le D.R. et il a été décidé que cette cliente aura besoin d’encadrement toute sa vie probablement. Il faudra maintenir les services du Neuropsy : (M. Crépeau) et de la psychoéducatrice, Catherine qui rencontre la (T) une fois/sem. On me dit que la (T) pourrait être hospitalisée en psychiatrie si nous ne lui accordons pas l’encadrement qu’elle a besoin.
[…] [sic]
[Notre soulignement]
[19] Le 22 février 2003, monsieur Crépeau rédige un rapport dont nous reproduisons ici quelques extraits afin de mieux comprendre la condition de la travailleuse :
[…]
Pour comprendre l’état mental et les symptômes que présentait la cliente au moment de reprendre notre suivi auprès d’elle, nous devons rappeler les circonstances ayant suivi l’accident de travail de mars 1998. D’une part, la cliente se sentait déjà très vulnérable de part les conséquences mêmes du traumatisme cranio-cérébral, particulièrement les séquelles cognitives qui l’empêchaient de bien comprendre la situation complexe dans laquelle elle se retrouvait et lui donnait l’impression qu’elle n’était aucunement en mesure de se défendre. Ce climat d’insécurité intense et prolongé, doublé d’un profond sentiment de vulnérabilité, ont eu pour effet de maintenir la cliente dans un état de stress qui s’est progressivement chronicisé au fil des mois. De plus, la nature même des séquelles cognitives (c'est-à-dire, dysfonction frontotemporale gauche), se caractérisant par des persévérations et une rigidité de la pensée, renforçait le processus de chronicisation de l’état d’anxiété dans lequel elle se trouvait maintenue. Cet état anxieux chronique s’est transformé en une attitude de méfiance à l’égard des intervenants du domaine de la santé.
[…]
… Cependant, nous observons aux cours des entrevues que la priorité pour la cliente n’est actuellement pas la socialisation mais plutôt un profond besoin d’identifier, de comprendre et d’exprimer ses émotions. Il s’agit d’un processus lent et laborieux que la cliente considère elle-même comme pénible et difficile. Elle a cependant besoin de comprendre pourquoi elle se retrouve à vivre avec une peur continuelle d’autrui et un tel sentiment de vulnérabilité. Nous croyons que si elle continue de recevoir au cours du processus psychologique une véritable reconnaissance de ses émotions et de la valeur de ses opinions, elle reconstruira progressivement une meilleure estime d’elle-même et les démarches de socialisation s’ensuivront d’emblée. En somme, il s’agit donc pour elle de reconstruire les bases de sa personnalité, le mode d’adaptation qu’elle avait avant l’accident n’était plus possible. Il s’agit certainement d’un processus qui exige du temps mais tout processus psychologique qui irait contre la volonté profonde de la cliente est probablement voué à l’échec. La reconstruction de la personnalité est un processus psychothérapeutique qui peut s’échelonner normalement sur trois à quatre ans et ce, chez une personne sans atteinte cérébrale organique et en l’absence de circonstances litigieuses. Par contre, la cliente montre une réelle détermination à s’en sortir et malgré les séquelles neuropsychologiques, elle conserve une intelligence supérieure à la moyenne, ce qui lui permet de profiter du traitement. …
À savoir quand elle pourra reprendre davantage d’autonomie psychologique, cela demeure une question pour laquelle il nous est impossible de fournir une réponse précise. La littérature scientifique peut en effet nous aider à estimer le rythme de progression pour un trouble de la personnalité, pour un état anxieux chronicisé ou pour un traumatisme cranio-cérébral mais l’interaction de ces trois conditions demeure un cas d’exception. Ainsi, il serait arbitraire de notre part de déterminer avec quelconque précision la fin du suivi neuropsychologique déjà amorcé. Il est possible, comme c’est bien souvent le cas après un traumatisme cranio-cérébral, qu’un suivi psychologique soit indispensable même plusieurs années après le traumatisme. Il pourra être plus ou moins intensif selon les stress vécus par la cliente.
[Notre soulignement]
[…]
Au moment de reprendre notre suivi auprès de Mme Laurin en novembre 2002, elle présentait plusieurs symptômes d’anxiété (inventaire d’anxiété de Beck) dont de multiples peurs (e.g., que le pire ne survienne, d’autrui, de pensées intrusives et troublantes). Elle présentait une totale incapacité à se détendre, incluant des moments d’intense agitation. Cet état élevé d’anxiété avait évidemment un impact sur le sommeil et sur sa concentration. Il la maintenait dans un état de perpétuelle fatigue qui diminuait en retour sa capacité à exercer un contrôle rationnel sur ses peurs. L’affect était par ailleurs légèrement dépressif (inventaire de dépression de Beck), surtout en lien avec des moments de découragement devant la lenteur de l’amélioration de sa condition. Elle ressentait de la culpabilité, de la solitude, de l’irritabilité et plusieurs malaises physiques (c'est-à-dire, douleurs musculaires et à la tête, étourdissements, tremblements, engourdissements). Elle devait en outre contrôler son alimentation afin d’éviter les nausées, les maux de tête et les irritations intestinales. Rappelons que ces conditions sont consécutives à son accident, certaines telles que les nausées et les douleurs sont probablement attribuables au traumatisme cranio-cérébral, d’autres sont probablement liées au stress chronique ou son exacerbées par celui-ci.
[…]
Conclusion
Près de cinq ans après son accident, Mme Laurin présente un état de stress post-traumatique chronique. Plusieurs facteurs expliquent à notre avis le maintien de cet état de stress. Rappelons d’abord certaines carences au niveau de la personnalité antérieure dont un doute profond sur sa valeur personnelle et la légitimité de ses opinions et de sa façon de pensée. Il y a eu ensuite une période litigieuse d’un an suivant son accident, incluant une période critique où elle n’a pas reçu de soutien psychologique, ce qui a permis la chronicisation de l’état anxieux. Il y a enfin la nature même du traumatisme cranio-cérébral, de part le dysfonctionnement frontotemporal gauche qui induit une désorganisation de la pensée et de la régulation émotionnelle (désinhibition, persévération, rigidité). Ce dernier facteur est sans doute le plus déterminant puisqu’il ralentit très significativement l’évolution de la cliente. La cliente ressent ses émotions comme extrêmes (désinhibition), persistant exagérément dans le temps (persévération), sans que les pensées rassurantes viennent à sa conscience au moment souhaitable (rigidité). Cette façon de vivre les émotions génère évidemment une importante détresse psychologique. Notre suivi en neuropsychologie compense en quelque sorte le dysfonctionnement frontotemporal en aidant la cliente à organiser ses idées et ainsi, à identifier, comprendre et assimiler ses émotions.
Le principal progrès observé réside justement dans le fait que la cliente est maintenant capable d’exprimer ses émotions avec plus de précision et de détails. Elle les exprime surtout sans se sentir coupable ou vulnérable. Nous sommes donc de plus en plus en mesure de travailler sur ses peurs alors qu’en début d’intervention elle n’en était pas consciente, de même qu’elle n’était pas consciente des carences de sa personnalité antérieure. Ces carences constituent des deuils multiples qui doivent nécessairement être abordés en thérapie.
Malgré le caractère pénible de la démarche et dans la mesure de ses capacités, la cliente présente une excellente collaboration au traitement. Elle n’évite aucunement de discuter les émotions les plus difficiles à accepter.
Recommandation
Poursuivre le suivi neuropsychologique déjà amorcé avec compte rendu de la progression à tous les six mois. Poursuivre la démarche visant à aider la cliente à exprimer ses émotions afin de diminuer son anxiété, l’aider à comprendre l’origine de ses difficultés d’adaptation psychologique, à développer des manières mieux adaptées de composer avec les pertes et la soutenir dans un processus progressif de reprise de confiance en soi, de resocialisation et de mise en action au quotidien. Favoriser un suivi médical régulier afin de prévenir une détérioration de sa condition de santé et favoriser au besoin une démarche de consultation complémentaire en psychiatrie advenant une détérioration trop marquée de son humeur.
Type d’intervention
Une à deux rencontres individuelles par semaine selon les besoins.
[…]
[20] À la suite de ce rapport, le 1er mai 2003, le neuropsychologue, le psychoéducateur, la psychoéducatrice (madame Catherine Sévigny), l’éducateur physique (monsieur Peter Boutin) et le conseiller en réadaptation se rencontrent.
[21] À cette rencontre, monsieur Boutin explique son intervention auprès de la travailleuse comme suit :
[…]
Quant à l’éducateur physique (Peter), il nous a expliqué comme Guylaine, qui est une universitaire et qui était une personne très habile et performante dans les disciplines sportives (notons qu’avant son accident, « la majeure partie de la socialisation était vécu dans le contexte d’activités sportives exigeantes et diversités faisant partie inhérente de son équilibre psychologique » nous dit Peter., éprouve aujourd’hui de la frustration à devoir admettre que les séquelles de son traumatisme réduisent à néant la pratique de telles activités qui étaient le fondement de son estime de soi. Le rôle de l’éducateur vise donc en partie, « à lui redonner un certain sentiment de compétence personnelle à cet égard.
[…]
[22] Il est enfin convenu d’une rencontre entre les intervenants à tous les trois mois pour faire le point :
CADRE OPÉRATIONNEL : M. Crépeau propose que nous nous rencontrions à tous les trois mois pour faire le point. Ce que j’ai suggéré est de produire un rapport aux trois mois pour chacun des intervenants que nous pourrons discuter lors de nos rencontres. Les rapports devraient préciser les objectifs visés d’une étape à l’autre, les réalisations et, les acquis, les nouveaux objectifs et le pronostic à plus long terme.
De mon côté, je rendrai compte à Guylaine personnellement des résultats de notre rencontre de ce jour. Je tenterai de la rassurer sur les positions de la CSST quant au maintien des services aussi longtemps que requis sur la base d’une évolution favorable et progressive de sa réadaptation. Il s’agit pour moi, et les autres intervenants tiendront le même discours, de faire échec aux appréhensions de Guylaine quant au rapport de cause à effet qu’elle fait entre : « échecs ou plutôt ralenti des succès des interventions et suspension ou arrêt du service ». Elle doit plutôt intégrer la corrélation contraire : « succès et bonne évolution de sa réadaptation et maintien des services ». Dans cette perspective, elle évitera de mettre elle-même consciemment ou pas une barrière à sa réadaptation et à son évolution dans les différents sphères de traitement qu’elle reçoit déjà depuis plus de 4 années.
Nous convenons de nous revoir en début septembre chez monsieur Crépeau.
[23] Le 10 mars 2004, le conseiller en réadaptation adresse une lettre conjointe au docteur Crépeau, monsieur Boutin, et madame Sévigny, psychoéducatrice. Il avise qu’à la suite d’une lecture attentive du dossier médical et des rapports d’évolution, il faut revoir le plan individualisé de réadaptation :
[…]
Il nous apparaît maintenant évident que les séquelles physiques et psychologiques subis par madame Laurin sont telles que, malgré l’encadrement professionnel de qualité des intervenants encore actifs au dossier, chacun dans leur discipline respective et cela depuis presque 3 ans, la condition générale de madame Laurin, tant sur le plan cognitif et physique que psychologique a très peu évolué. Cette affirmation est d’ailleurs reconnue par les intervenants eux-mêmes dans leurs rapports et dans les discussions avec le conseiller en réadaptation.
Il appert néanmoins que les trois intervenants émettent l’hypothèse que la condition de madame Laurin peut encore s’améliorer sans toutefois pouvoir soutenir (et nous le comprenons) un pronostic qui témoignerait d’un progrès objectivable et quantifiable dans un délai raisonnable.
Notre conviction est que madame Laurin a malheureusement atteint un plateau assez rapidement dans sa réadaptation. Par conséquent, la perspective d’une amélioration moindrement significative de sa condition demeure à notre avis fort improbable.
Toutefois, dans la mesure où les intervenants entretiennent quant à eux la conviction contraire à savoir qu’il est encore possible de se fixer des objectifs visant une plus grande autonomie de madame Laurin et une meilleur condition générale de son état, nous sommes d’avis qu’une période supplémentaire d’une année complète devrait convenir avant de procéder à une prochaine évaluation.
La CSST n’opposerait alors aucune objection à maintenir le (les) services devant le fait de cette amélioration si tel est le cas. Il vous appartiendra de qualifier et de quantifier les objectifs atteints afin que l’on puisse en mesurer les résultats.
Dans le cas contraire, nous pensons qu’il faudra mettre fin à vos mandats respectifs et de s’en tenir à mettre en place, avec madame Sévigny, des moyens permanents de gestion du quotidien et de supervision (ce qui est déjà en marche) afin de maximiser l’autonomie de madame Laurin dans les limites du possible et de pouvoir, en tout temps répondre à ses besoins ponctuels.
Nous vous demandons de continuer à produire un rapport aux trois mois. Nous fixerons la période d’une année à partir du 1er mars 2004 au 28 février 2005. Le conseiller en réadaptation fixera avec vous la date de la rencontre au terme de la présente année.
[…]
[24] Le 16 mai 2005, la CSST demande à madame Maryse Lassonde, neuropschologue, une opinion sur la pertinence de maintenir les traitements aux risques d’une détérioration massive de l’état psychique « aux risques de basculer dans un état psychotique » et à la pertinence des traitements de neurofeedback.
[25] C’est la décision qui a donné suite à cet avis qui fait l’objet du présent litige.
Traitements en neuropsychologie
[26] L’article 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., ch A-3.001) (la Loi) édicte que son but est la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires. Il y est précisé que la réparation des lésions professionnelles comprend aussi la réadaptation physique, sociale et professionnelle.
[27] Dans le cas qui nous occupe, la lésion professionnelle est consolidée depuis le 23 octobre 2000 mais la travailleuse conserve, de cette lésion professionnelle, une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles importantes faisant en sorte qu’elle est incapable à tout emploi[1]. Une réadaptation professionnelle n’a donc jamais été envisagée. Toutefois, la preuve rapportée dans la section « contexte » de la présente décision démontre que la travailleuse a besoin de traitements pour demeurer fonctionnelle dans la société. Ainsi, des traitements de neuropsychologie, un suivi en éducation physique et en psychoéducation ont été offerts à la travailleuse à titre de réadaptation sociale.
[28] Les articles 151 et 152 de la Loi énoncent le but de la réadaptation sociale :
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
__________
1985, c. 6, a. 151.
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment:
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
__________
1985, c. 6, a. 152.
[29] À la section III du chapitre IV qui porte sur la réadaptation, on y énonce :
181. Le coût de la réadaptation est assumé par la Commission.
Dans la mise en oeuvre d'un plan individualisé de réadaptation, la Commission assume le coût de la solution appropriée la plus économique parmi celles qui permettent d'atteindre l'objectif recherché.
__________
1985, c. 6, a. 181.
182. La Commission dispense elle-même les services professionnels prévus dans le cadre d'un plan individualisé de réadaptation ou réfère le travailleur aux personnes ou services appropriés.
__________
1985, c. 6, a. 182.
184. La Commission peut:
[…]
5° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d'une lésion professionnelle.
[…]
__________
1985, c. 6, a. 184.
[Notre soulignement]
[30] Dans le cas qui nous occupe, les mesures prescrites relèvent du cinquième alinéa de l’article 184 de la Loi : une mesure que la CSST estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d’une lésion professionnelle.
[31] Par l’exposé des faits ci-dessus énoncés, la Commission des lésions professionnelles retient que la CSST a d’abord considéré que la poursuite des traitements de neuropsychologie et du suivi par un éducateur physique était utile pour atténuer les conséquences de la lésion professionnelle de la travailleuse ou les faire disparaître.
[32] Toutefois, à la lecture des notes évolutives, la Commission des lésions professionnelles constate qu’au fil du temps, la CSST a circonscrit l’objectif en se demandant uniquement si les mesures en litige étaient utiles pour faire disparaître les conséquences de la lésion professionnelle de la travailleuse sans plus se questionner sur leur utilité à atténuer les conséquences de cette lésion. À ce titre, nous soumettons certains extraits des notes évolutives du dossier :
oct 02 : tel de Guylaine
Elle a changé de neuropsy
Elle a repris avec François Crépeau de Lucie Bruneau. Elle n’aimait pas sa relation avec Catherine, neuropsy. Elle demande si cela pose un prob.?
Rep. Neg.
Elle dit que M. Crépeau demande s’il peut avoir un contrat de service à long terme.
(je pense plutôt que c’est elle qui voudrait un suivi à très long terme avec M. Crépeau).
Je lui dis qu’aussi longtemps que l’on observe une évolution positive des interventions, nous maintenons le service mais tôt ou tard, il y aura un plateau.
Je vais communiquer avec M. Crépeau dès la sem. prochaine. Je veux un bilan d’intervention et un plan de traitement; les objectifs à court terme.
Je voudrai revoir Guylaine par la suite à son appartement à Mtl.
Elle dit qu’elle a un nouveau md généraliste qui lui a été conseillé à cause de son exp. des T.C.C. Il s’agit de Dr Julien Gauthier à Longueuil. Il est celui qui prescrit ses médicaments.
On sent très fortement cette tendance à s’accrocher à différents intervenants. Elle a difficulté à me dire « où elle en est ». Elle répond de façon évasive, désarticulée. On sent les caractéristiques d’une personnalité passive dépendante. Pas étonnant qu’elle me demande d’autoriser une sorte de « contrat éternel » avec son neuropsy.
Qu’en pense-t-il?
Plan : Communiquer avec les différents intervenants.
[…]
22/11/02 Retour d’appel du neuropsy, M. Crépeau. Je recevrai un rapport de sa collègue qui l’a remplacé pendant son absence auprès de Guylaine.
La relation avec Guylaine et sa collègue a été difficile. Guylaine ne lui faisait pas confiance. Elle a demandé à M. Crépeau de reprendre le dossier lorsqu’il est revenu et il a accepté. Il l’a rencontre 2 fois/sem.
Elle évolue très lentement.
Phobie sociale " contact difficile avec les gens " peurs, angoisse, difficulté à faire confiance.
Elle a continuellement besoin d’encadrement, support psychologique. Besoin constant d’être rassurée.
Le moindre événement provoque anxiété. Elle est à la limite du « psychiatrique », et si nous cessions les rencontres avec le psy, selon M. Crépeau, elle serait hospitalisée en psychiatrie.
M. Crépeau l’a rencontre depuis 3 ans et il lui est impossible d’établir un pronostic ou de fixer une date de fin de ses rencontres.
C’est du long terme!
Je lui demande de mettre sur papier notre discussion. Résumé diagnostic et expliquer son pte de vue en rapport avec le maintien du besoin de psychothérapie à long terme.
Il me fera ensuite un bref rapport de suivi aux 3 mois.
De mon côté, je rassurerai moi-même Guylaine qui a manifesté son inquiétude de voir réduire ou annuler les services de son psychologue. [sic]
[…]
13/5/03 […]
[…]
Je lui fait part (À la travailleuse) de la position de la CSST par rapport au plan de travail et à l’encadrement que nous avons convenus d’un commun accord avec les 3 autres intervenants : Aussi longtemps que les différents intervenants témoigneront du progrès de leurs interventions, la CSST maintiendra les services. Ce n’est pas l’échec ou l’absence de résultats qui nous justifiera de maintenir les services, c’est le succès et la progression des résultats, le rythme ou la rapidité des résultats n’est pas le critère important mais il faut pouvoir constater le progrès dans les interventions et l’encadrement aux 3 mois ne doit pas être perçu comme « menaçant ». Au contraire cet encadrement protégera Guylaine par rapport à la justification des mesures de réadaptation que nous autorisons à la CSST. L’absence d’un encadrement sans lequel les objectifs et les résultats ne seraient pas entendus pourrait au contraire remettre en question le maintien des services.
[…]
Il est certain que la thérapie de monsieur Crépeau sera nécessaire pour plusieurs années encore et sa présence ponctuelle pour encore plus longtemps auprès de Guylaine. Il a confiance aux ressources de Guylaine et il avance lentement mais sûrement vers les objectifs thérapeutiques qu’il s’est fixés à savoir restructurer la personnalité de Guylaine avec de nouveaux mécanisme d’adaptation qui tiennent compte de ses limites physiques et cognitives.
Quant aux interventions de la psychoéducatrice et de monsieur Boutin en entrainement neuromoteur, elle se sont avérés nécessaires et fort efficaces jusqu’à maintenant, mais elles ne peuvent se poursuivre indéfiniment. Nous suivons de près l’évolution de Guylaine dans ces 2 sphères de compétence. Les résultats sont nécessaires. Lors d’une rencontre précédente, j’ai émis l’hypothèse qu’il était peut-être, plus ou moins consciemment, de l’intérêt de Guylaine de ne pas évoluer trop vite considérant l’attachement évident qu’elle porte à ses intervenants (qui sont devenus SON réseau social) et les craintes exprimées de voir les services « coupés » par la CSST. Cette hypothèse a été admis d’emblée par monsieur Crépeau comme étant fort à propos. J’ai donc proposé de convaincre Guylaine, à la réflexion que les services seront maintenus beaucoup plus certainement par des résultats réels et concrets que par l’absence de résultats significatifs. J’ai ensuite rencontré moi-même Guylaine à son domicile pour témoigner de cette position de son conseiller en réadaptation et j’ai su par la suite que tous les intervenants lui ont tenu les mêmes propos.
Nous continuons les rencontres aux 3 mois. Je pense qu’idéalement, le sevrage des deux intervenants en psychoéducation et en entraînement devrait être substitué éventuellement par des aidants externes et disponibles faisant partie du nouveau réseau social de Guylaine lorsqu’elle sera installé dans sa petite maison de campagne si toutefois elle réalise ce projet. Elle en est très motivé selon Christine et les démarches concrètes sont commencés avec l’assistance évidente de la psychoéducatrice pour ce projet en campagne.
Nous maintenons tous les services pour l’instant et demeurons très « interventionniste » dans ce dossier. [sic]
[Notre soulignement]
[33] Par ailleurs, la preuve démontre que le conseiller en réadaptation a considéré l’aspect économique du dossier.
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Lors de ma dernière rencontre, soit celle du 15 janvier 2004, j’ai demandé aux intervenants de me faire rapport le plus concrètement possible de la nature exacte de leurs interventions. Que font-ils exactement lors de leurs rencontres avec Guylaine; Quels sont les obstacles qu’ils rencontrent au quotidien qui ralenti tellement la progression et peut-on les expliquer? J’ai avancé pour la première fois l’aspect Financier de la démarche à savoir qu’il en coûte une véritable fortune pour maintenir les services des trois intervenants au rythme de deux rencontres-semaines. Depuis presque 3 ans… Sommes-nous vraiment justifiés de maintenir ces services à ce rythme? Il est une réalité bien terre à terre selon laquelle, au-delà des mesures de réadaptation, la CSST a une responsabilité financière dans la gestion de ces mesures. Nous devons demeurer conscient de cela. Par ailleurs l’exercice ne vise pas à couper les services s’ils sont toujours justifiés. La présence de monsieur Crépeau, psychologue demeure indispensable au maintien d’un état d’équilibre (si précaire soit-il présentement) de madame Laurin et il est possible que l’encadrement psycho-affectif qu’elle a besoin et qu’elle reçoit de monsieur Crépeau perdure pour de longues années encore mais qu’en est-il des interventions en psychoéducation et en entrainement neuromoteur à deux fois par semaine.?
[…]
[34] Soulignons que même si l’article 181 de la Loi énonce que la CSST assume le coût de la solution appropriée la plus économique, elle n’y prévoit pas une limite de temps ou de coût. La préoccupation d’une saine gestion des fonds publics est certes louable. Toutefois, la préoccupation économique du conseiller en réadaptation dans le présent dossier nous apparaît injustifiée si les mesures sont estimés utiles pour atténuer les conséquences de la lésion professionnelle de la travailleuse (cinquième alinéa de l’article 184) et aider la travailleuse à surmonter les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle et à redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles (article 151).
[35] La Commission des lésions professionnelles reconnaît que la preuve présentée ne permet pas de conclure que les traitements en neuropsychologie et le suivi en éducation physique permettront de faire disparaître les conséquences de la lésion professionnelle de la travailleuse. Il faut toutefois analyser la preuve afin de déterminer si les mesures recommandées sont utiles pour atténuer les conséquences de la lésion professionnelle de la travailleuse selon le cinquième alinéa de l’article 184.
[36] À ce titre, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve présentée est prépondérante pour répondre affirmativement à cette question en ce qui concerne les traitements en neuropsychologie, et ce, pour les motifs suivants.
[37] D’abord, même s’il ne s’agit pas d’un élément déterminant puisque nous faisons face à une mesure qui relève de la réadaptation et non d’une mesure médicale, la Commission des lésions professionnelles tient compte du fait que le médecin qui a charge recommande la poursuite des traitements. En effet, à l’automne 2002, le docteur Jules Gauthier, médecin généraliste, ayant une expérience particulière pour les cas de traumatismes crâniens, prend la travailleuse en charge. Sur son premier rapport médical daté du 21 octobre 2002, il note que la travailleuse a toujours besoin d’un suivi pour une période indéterminée en neuropsychologie, en éducation physique et en psycho-éducation. Il recommande également un suivi en ergothérapie pour évaluer les besoins à domicile.
[38] Le docteur Gauthier rencontre la travailleuse de manière régulière mais de plus en plus espacée :
· le 19 décembre 2002, il recommande de l’ergothérapie;
· le 25 mars 2003, il recommande de l’ergothérapie;
· le 10 juin 2003, il inscrit de poursuivre le même traitement;
· le 22 juillet 2003, il prescrit un anti-inflammatoire;
· le 9 septembre 2003, il inscrit de poursuivre le même traitement;
· le 21 novembre 2003, il inscrit simplement que la situation s’améliore et qu’il y a une augmentation de l’autonomie;
· le 27 janvier 2004, il inscrit le même commentaire;
· le 26 mars 2004, il inscrit : « T.C.C. psychothérapie »;
· le 4 mai 2004, il recommande un examen par électroencéphalogramme;
· le 22 février 2005, il recommande une « approche par neurofeedback pour aider à progresser davantage sur le plan neuro-cognitif »;
· le 24/ 0?/ 2006, il recommande de poursuivre les traitements de neuropsychologie;
· le 15 août 2006, il indique de poursuivre le suivi en neuropsychologie et par l’éducateur physique et il indique des traitements de neurofeedback.
[39] On constate donc qu’à la période contemporaine d’un avertissement à l’effet qu’il y aura lieu de modifier le plan individualisé de réadaptation, le docteur Gauthier, le 26 mars 2004, maintient la recommandation de traitements en psychologie.
[40] Par ailleurs, au soutien de la nécessité de poursuivre les traitements en neuropsychologie, deux expertises ont été produites. L’une, datée du 10 octobre 2005, rédigée à la demande de la CSST par madame Maryse Lassonde, neuropsychologue. L’autre, datée du 17 juillet 2006, effectuée par monsieur Crépeau.
[41] Madame Lassonde procède à une analyse sur dossier. Elle tire les conclusions que la travailleuse « présentait probablement des difficultés d’ajustement pré-morbide », que l’on peut « se questionner sur ses capacités pré-accidentelles d’exercer un emploi conforme à son niveau d’éducation » et qu’elle présente des difficultés interrelationnelles.
[42] Elle conclut qu’il y a lieu de mettre fin à l’intervention de monsieur Crépeau (et aux interventions de monsieur Boutin, éducateur physique,) après une période de transition de trois mois. Elle recommande une expertise en psychiatrie afin d’évaluer le risque de détérioration massive de la travailleuse en tenant compte du fait que les intervenants sont retirés progressivement du dossier. Elle estime qu’il est difficile de statuer sur la présence d’un contre-transfert ce qui confirme le besoin d’une expertise en psychiatrie.
[43] Quant à l’expertise de monsieur Crépeau, il expose en détails son intervention. Il procède à une réévaluation en neuropsychologie en administrant plusieurs tests :
Épreuve de mémoire visuelle;
· Épreuves mesurant la vitesse du traitement des informations verbales;
· Épreuve visant à évaluer la vitesse dans l’organisation de la pensée;
· Situation de mémoire verbale;
· Épreuve de résolution de problèmes avec support visuel à partir de consignes verbales écrites.
[44] Monsieur Crépeau conclut que les résultats confirment un ralentissement notable dans la vitesse de traitement des informations auditives, d’abord dans leur acquisition mais surtout dans leur expression. La mémoire verbale et la résolution de problèmes sont ralenties et moins efficaces si l’on compare à l’estimation de ses antécédents académiques. Ces tests confirment donc la présence de troubles cognitifs touchant particulièrement la sphère verbale : ralentissement de la vitesse de traitement des informations en mémoire épisodique et dans la résolution de problèmes. La nature de ces troubles est « pleinement » compatible avec ses observations en entrevue de même qu’avec les observations de la travailleuse quant à son fonctionnement quotidien.
[45] Voici ses recommandations :
La cliente nous a manifesté son souhait de poursuivre le traitement en neuropsychologie, ce qu’elle fait en l’assument par ses propres moyens financiers depuis février 2006. L’intensité du traitement a été ramené à une rencontre par semaine avec pour objectif le maintien des acquis et le développement de ses objectifs : diminution de l’anxiété, amélioration de l’estime de soi, développement de l’autonomie psychologique et création d’un meilleur réseau de soutien naturel. Des progrès à long terme sont documentés dans la littérature scientifique sur les traumatismes cranio-cérébraux (Sbordone, Liter & Pettler-Jennings, 1995) et nos observations auprès de Mme Laurin indiquent qu’une telle progression est chez elle encore probable. Étant donné la présence d’éléments litigieux d’une part et les changements de personnalité qui la rendent très sensible à l’invalidation de sa condition d’autre part, la progression de madame Laurin s’est trouvée ralentie au cours de la dernière année. Il serait bien sur souhaitable que le suivi auprès de madame Laurin puisse se faire en l’absence d’éléments litigieux.
Nous avons informé Mme Laurin que notre approche auprès d’elle serait ajustée afin d’intégrer des stratégies thérapeutiques visant l’auto-développement, c’est-à-dire la prise en charge progressive par elle-même de sa satisfaction dans ses relation (Garneau et Larivey, 1983). Notre intervention visera plus précisément à lui permettre de développer sa satisfaction envers son réseau naturel de soutien psychologique.
En conclusion, étant donné la persistance de difficultés d’adaptation avec éléments anxiodépressifs, la présence d’une progression psychologique lente mais perceptible sur le long terme, la motivation de madame Laurin pour poursuivre le traitement avec un ajustement des interventions afin de recréer un meilleur soutien dans son milieu naturel, nous recommandons fortement la poursuite du suivi neuropsychologique.
[…]
[Notre soulignement]
[46] La Commission des lésions professionnelles favorise l’opinion de monsieur Crépeau à celle de madame Lassonde pour les motifs suivants.
[47] La Commission des lésions professionnelles considère d’abord que l’expertise de madame Lassonde perd beaucoup de sa valeur probante du fait que la neuropsychologue a fait son opinion à partir d’une cueillette d’éléments au dossier sans vérifier auprès de la travailleuse l’exactitude des informations alors qu’elle inscrit elle-même, entre autres, lors de son opinion sur le cheminement professionnel de la travailleuse, que « les informations sont parfois contradictoires ». Elle tire les conclusions que la travailleuse « présentait probablement des difficultés d’ajustement pré-morbide », que l’on peut « se questionner sur ses capacités pré-accidentelles d’exercer un emploi conforme à son niveau d’éducation » et qu’elle présente des difficultés interrelationnelles.
[48] Or, la travailleuse a souligné lors de son témoignage devant la Commission des lésions professionnelles quelques erreurs dans la cueillette de ces informations qui ont pu influer sur la perception de madame Lassonde quant à la travailleuse et donc sur ses conclusions, car tout y est interrelié.
[49] Entre autres, la travailleuse a expliqué, quant à l’inventaire des emplois qu’elle a occupés, que certains étaient antérieurs à son travail d’enseignante. Or, madame Lassonde conclut que la travailleuse a occupé des emplois ne correspondant pas à sa scolarité; aussi, sur la question d’un conflit avec un directeur d’école, la travailleuse a expliqué que ceci est vrai mais que des aspects complexes, comme des éléments de politique impliquant son père, ont joués. Il s’agit pourtant d’un élément pris en compte par madame Lassonde pour conclure que la travailleuse avait des difficultés interpersonnelles pré-morbides.
[50] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles constate qu’aucun test n’a été administré par madame Lassonde alors que monsieur Crépeau en a fait plusieurs pour permettre d’objectiver son opinion.
[51] En somme, du fait qu’il manque ces deux éléments qui auraient permis d’objectiver son opinion, la Commission des lésions professionnelles considère l’expertise de madame Lassonde peu probante. Au titre de la valeur probante, la Commission des lésions professionnelles est bien consciente que le docteur Crépeau connaît la travailleuse depuis de nombreuses années, ce qui pourrait inciter à un certain biais. Toutefois, la Commission des lésions professionnelles considère que son opinion est empreinte de professionnalisme et d’objectivité. Il y énonce des mesures claires qui permettent de comprendre que ses traitements peuvent encore atténuer les conséquences de la lésion professionnelle et ultimement augmenter l’autonomie de la travailleuse. Il y a donc lieu de les poursuivre, particulièrement dans le contexte où aucune expertise psychiatrique n’a été faite, contrairement à la suggestion de madame Lassonde. Questionnée sur ce sujet, la travailleuse mentionne qu’elle n’a pas refusé de se faire expertiser mais qu’on ne le lui a pas offert spécifiquement par la suite.
[52] Ainsi, dans le contexte où ce n’est pas à la suite du refus de la travailleuse de se faire expertiser, la Commission des lésions professionnelles considère qu’il est prématuré de mettre fin aux interventions du neuropsychologue.
Suivi par un éducateur spécialisé
[53] Madame Lassonde a inclus dans ses recommandations de cesser les interventions de monsieur Boutin, sans motiver réellement cette recommandation :
1. Pertinence du maintien des traitements
Tel que mentionné ci-haut, la qualité et la quantité d’intervention fournies par la C.S.S.T. ont été remarquables. À l’heure actuelle, nous croyons que ces traitements devraient toutefois tendre vers une réinsertion dans la communauté. En ce sens, nous estimons que les traitements effectués par Dr Crépeau et Monsieur Boutin devraient être modifiés. Ainsi, nous croyons qu’il serait pertinent que Monsieur Boutin accompagne Madame Laurin dans ses activités sportives fournies par son quartier (cours de natation ou autres) et que cessent progressivement les interventions faites sur une base individuelle. [sic]
[54] La preuve démontre que le premier éducateur physique au dossier, monsieur Éric Bouthillier, explique, notamment dans un rapport daté du 5 juillet 2001, que les traitements apportent des gains importants pour améliorer le confort de la travailleuse dû à l’ensemble de sa symptomatologie : cervicalgie, céphalée, nausée, vomissements, grande fatigabilité avec un temps de récupération très long. Il note que la travailleuse est peu fonctionnelle et qu’elle ne pourra jamais reprendre un travail rémunéré et qu’il en est de même pour ses loisirs. Un bilan neuromoteur détaillé y est présenté. Il recommande, pour le bien-être psychologique et pour améliorer la qualité de vie de la travailleuse, de poursuivre un suivi en neuromotricité pour accroître l’efficacité des modes compensatoires, améliorer davantage l’endurance générale, diminuer les impacts des symptômes. Il est d’avis qu’il y a une progression possible pour améliorer la qualité de vie en général de la travailleuse.
[55] Monsieur Boutin, qui est l’éducateur physique qui a succédé à monsieur Bouthillier, a produit trois rapports. L’un, daté du 2 octobre 2003, l’autre, non daté et qui porte sur les rencontres entre septembre 2003 et septembre 2004 et enfin un troisième, pour être soumis à la Commission des lésions professionnelles.
[56] Dans le premier rapport, monsieur Boutin fait un tableau des objectifs, des bénéfices et des moyens proposés dans l’entraînement physique de la travailleuse pour améliorer sa qualité de vie. Il constate que la travailleuse a une capacité énergétique plus élevée, une capacité de récupération plus rapide lorsqu’elle est confrontée à la superposition de plusieurs difficultés et qu’elle a augmenté son répertoire de stratégies motrices, de communication et de récupération. Il recommande de continuer l’entraînement aérobique et neuromoteur.
[57] Dans son deuxième rapport, en septembre 2004, monsieur Boutin fait un bilan de l’évolution des capacités de la travailleuse. Particulièrement, en ce qui concerne ses capacités énergétiques, elles ont augmenté, permettant à la travailleuse de se livrer à des activités plus longues et plus intenses énergiquement. Au titre de sa conclusion, monsieur Boutin ne recommande aucune mesure concrète, son objectif devenant large et visant une augmentation de l’autonomie globale de la travailleuse.
[58] On ne peut passer sous silence que son troisième rapport, rédigé en juin 2006 à l’appui de la demande de la travailleuse, est empreint d’émotivité et qu’il est difficile d’y retrouver une certaine sérénité chez son auteur. Il insiste sur le fait que les activités de la travailleuse, avant son accident, étaient orientées presque exclusivement vers la pratique des sports et que ceux-ci étaient au cœur de son équilibre physique et psychique. N’étant plus capable de pratiquer des sports de manière autonome, elle a besoin de son support et de son accompagnement pour maintenir cette activité. Aucune mesure permettant de comprendre une approche concrète de cet intervenant n’est identifié dans ce rapport alors qu’il était possible de comprendre dans les rapports antérieurs, l’approche préconisée et l’apport escompté.
[59] Si l’on en revient au but initial de l’acceptation de ce suivi en éducation physique, il s’agissait d’une mesure prise pour atténuer les conséquences de la lésion professionnelle dans le sens du cinquième alinéa de l’article 184 et dans le cadre plus spécifique d’une réadaptation sociale, c’est-à-dire dans le but de surmonter, dans la mesure du possible, les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle (article 151). Le dictionnaire Le Petit Larousse[2] définit surmonter de la manière suivante : « vaincre, surpasser ».
[60] La Commission des lésions professionnelles estime que cette mesure a été offerte de manière suffisamment longue pour constater que celle-ci ne permettra pas de surmonter les conséquences de la lésion professionnelle. La travailleuse était certes une personne très sportive, mais elle ne pourra malheureusement plus l’être.
[61] Ainsi, en l’absence d’un plan concret, alors qu’il a déjà été possible d’en produire, et d’un avis objectif démontrant que ce suivi en éducation physique puisse permettre à la travailleuse de surmonter davantage les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, cette mesure n’a plus à être assumée par la CSST.
Traitements de neurofeedback
[62] La décision initiale de la CSST et la décision faisant suite à une révision administrative ne traitent pas de cette autorisation des traitements. Toutefois, cette question a été soumise à madame Lassonde et cette dernière y a répondu dans l’expertise qui a donné lieu aux décisions. Ainsi, procédant à rendre la décision qui aurait dû être rendue en vertu de l’article 377 de la Loi, la Commission des lésions professionnelles répondra à la demande de la travailleuse.
[63] Tel que mentionné, madame Lassonde traite de cette question. D’abord, elle émet des doutes quant au rapport technique de madame Johanne Lévesque, docteure en neuropsychologie expérimentale :
J’ai bien pris connaissance du rapport technique de Madame Johanne Lévesque, docteure en neuropsychologie expérimental (mais non neuropsychologue puisque le type de formation qu’elle a reçue ne lui permet pas d’accéder à l’Ordre des Psychologues du Québec). Plusieurs éléments de ce rapport m’apparaissent soulever certaines interrogations. Tout d’abord, la description des résultats de Madame Lévesque concernant les habiletés attentionnels de Madame Laurin est un peu difficile à cerner. Ainsi, l’on parle d’une excellente attention auditive pour discriminer des stimuli rares, ce que l’on décrit comme une bonne vigilance plutôt qu’une bonne capacité d’attention sélective, mais d’une mauvaise attention visuelle dans ce domaine. Par contre, on parle d’atteinte grave de l’attention soutenue en modalité auditive mais non en modalité visuelle et enfin on parle de ralentissement important du traitement visuel de l’information mais d’un ralentissement modéré au niveau auditif. Il est donc difficile de déterminer clairement qui, de la modalité auditive ou visuelle, est réellement atteint et surtout de trouver un pattern de résultats consistant.
[64] Quant aux résultats de l’électroencéphalogramme quantitatif, elle émet de grandes réserves :
[…] Un tel phénomène est rapporté dans les diverses études de neurofeedback, de qualité inégale d’ailleurs, portant sur le syndrome de déficit attentionnel, la dépression et d’autres pathologies. Dans un tel contexte, il nous est apparu étonnant de lire, concernant la bande de fréquence delta, que « Les anomalies décelées au niveau de cette bande de fréquence sont, selon toute vraisemblance, associées au traumatisme crânien de Madame Laurin. » (page 4). Encore une fois, de telles anomalies sont rapportées dans d’autres pathologies et nous n’avons pu trouver aucune référence scientifique décrivant un tel profil d’EEG quantitatif dans les cas de traumatismes crâniens. En fait, parmi les références données par Madame Lévesque, celle de Rozelle et Budzynski, 1995 fait état d’un patient ayant subi un accident cérébro-vasculaire et non un TCC. Nous n’avons malheureusement pas pu retrouver dans PubMed (la bibliothèque virtuelle des articles scientifiques médicaux) les deux autres références fournies par Madame Lévesque, ce qui permet de douter de leur qualité scientifique. De plus, nous avons même identifié un article (Schneider et Jordan, 2005) dans lequel on note une absence régionale de delta dans des cas d’AVC, ce qui est à l’opposé de ce qui est décrit dans le rapport de Madame Lévesque (augmentation de delta en frontal gauche). D’ailleurs, cette augmentation est interprétée de façon suivante par Madame Lévesque : « la présence excessive d’ondes delta en frontal gauche est généralement associée à des difficultés importantes au niveau du langage expressif, de l’analyse ainsi qu’à toute tâche de nature mathématique. D’ailleurs, ces difficultés ont été confirmées par Madame Laurin de même que par le neuropsychologue qui la suit » (page 4). D’une part, il apparaît à tout le moins étonnant que l’on puisse tenter de relier une anomalie EEG régionale à des fonctions spécifiques, surtout les mathématiques. D’autre part, on ne peut certes pas parler de « difficultés importantes au niveau du langage expressif » chez Madame Laurin lorsque l’examen orthophonique réalisé en 1998 indique des résultats normaux aux tests d’expression orale.
[65] Enfin, sur la nature de ces traitements, compte tenu du caractère exploratoire de cette technique, il lui apparaît qu’il est démesuré qu’une telle mesure soit endossée par un organisme public :
Donc, en ce qui a trait à l’usage du neurofeedback, bien que cette technique connaisse un engouement (qui me semble analogue à celui de la chambre hyperbare il y a quelques années), il n’existe à l’heure actuelle aucune étude scientifique menée à double insu (comme ce fut le cas pour la chambre hyperbare, étude à laquelle nous avions participé et qui fut publiée dans Lancet) qui permette d’en mesurer l’efficacité réelle. En complément d’analyse, je joins en annexe un résumé d’un article publié dans la meilleure revue d’électrophysiologie (Colinical Neurophysiology) qui remet en question la validité actuelle de cet outil.
Pour conclure cette section, compte tenu du caractère exploratoire de cette technique, il me semble prématuré que celle-ci soit endossée par des organismes à caractère public, telle la CSST.
[66] Monsieur Crépeau n’a fait aucun commentaire quant à ce traitement dans son expertise datée du 17 juillet 2006.
[67] Les articles 188 et 194 de la Loi prévoient qu’un travailleur, victime d’une lésion professionnelle, a droit à l’assistance médicale que requiert son état et que le coût de cette assistance est à la charge de la CSST.
[68] L’article 189 énonce ce que comprend l’assistance médicale :
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit:
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons, les services ambulanciers et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
__________
1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.
[69] Notons que les psychologues ne sont pas des professionnels de la santé au sens de la Loi[3]. Les traitements de neurofeedback relèvent du cinquième paragraphe de cette disposition.
[70] Le Règlement sur l'assistance médicale[4], qui détermine les soins, traitements, aides techniques et frais qui sont couverts et les conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués, ne prévoit pas les traitements de neurofeedback. Ainsi, même s’il s’agit d’un traitement prescrit et en relation avec la lésion professionnelle, il ne s’agit pas d’un traitement prévu au règlement. Ce traitement n’est donc pas remboursable.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE sur certains points la requête de madame Guylaine Laurin, la travailleuse;
MODIFIE en partie la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 17 janvier 2006 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le suivi en neuropsychologie se poursuit et que la Commission de la santé et de la sécurité du travail doit débourser les frais;
DÉCLARE que le plan de réadaptation de la travailleuse est modifié en ce que la Commission de la santé et de la sécurité du travail met fin au suivi en éducation physique;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail n’a pas à rembourser les frais relatifs à des traitements de neurofeedback.
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Me Pauline Perron |
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Commissaire |
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Me Sophie Fabris, avocate |
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Représentante de la partie requérante |
[1] Décision rendue par la CSST le 9 juillet 2001.
[2] Paris, Larousse, 2005, 1855.
[3] Grégoire et Kronos Canada inc., C.L.P. 158389-62-0104, 19 OCTOBRE 2001, R. L. Beaudoin.
[4] (1993) 125 G.O. II, 1331 modifié par le Règlement modifiant le Règlement sur l'assistance médicale, (1994) 126 G.O. II, 2075 (entré en vigueur le 27 avril 1994).
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