Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
_

Jetté et Col Sel Transit inc.

2011 QCCLP 3616

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Hyacinthe

26 mai 2011

 

Région :

Yamaska

 

Dossier :

399791-62B-1001

 

Dossier CSST :

122555543

 

Commissaire :

Michel Watkins, juge administratif

 

Membres :

Mario Lévesque, associations d’employeurs

 

Noëlla Poulin, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Michel Jetté

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Col Sel Transit inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 18 janvier 2010, monsieur Michel Jetté, le travailleur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 10 décembre 2009 lors d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 5 octobre 2009 et déclare qu’elle est justifiée de refuser de donner suite à la demande du travailleur du 29 septembre 2009 par laquelle il désire voir rouvrir son plan individualisé de réadaptation établi en 2004.

[3]           L’audience s’est tenue à Saint-Hyacinthe le 8 avril 2011 en présence des parties dûment représentées. La CSST a informé le tribunal de son absence, soumettant toutefois une argumentation écrite.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la CSST doit revoir le plan individualisé du travailleur élaboré en 2004 à la suite de circonstances nouvelles.

LES FAITS

[5]           De l’analyse du dossier, du témoignage du travailleur et des documents produits à l’audience, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments pertinents suivants.

[6]           Monsieur Jetté occupe un poste de chauffeur-ramasseur chez l’employeur, une entreprise de collecte sélective de bacs de récupération, lorsque le 6 août 2002, il subit un accident du travail, soit une tendinite de la coiffe des rotateurs avec déchirure partielle intrasubstance du sus-épineux de l’épaule gauche.

[7]           Le 21 avril 2003, le Dr Simard, médecin ayant charge du travailleur, rapporte une amélioration de la condition de monsieur Jetté et il demande à la CSST de procéder à une évaluation du poste de travail du travailleur. Il recommande un retour au travail progressif, notant : « travail régulier sauf aucune collecte sur un compacteur ».

[8]           Donnant suite à la demande du médecin du travailleur, la CSST communique avec monsieur Sylvain Laflamme et lui confie un « mandat pour réaliser une mesure d’évaluation de poste »[1].

[9]           Le 12 mai 2003, le Dr Simard note de nouveau une amélioration de la condition du travailleur. Il autorise la reprise du « travail régulier à raison de 5 jours/semaine de 8 heures et aucune collecte sur compacteur ».

[10]        Le 23 mai 2003, un nouvel événement au travail entraîne la reprise de symptômes douloureux à l’épaule gauche du travailleur. Des traitements de physiothérapie sont repris à compter du 26 mai 2003 de sorte que le retour au travail progressif débuté depuis peu s’en trouve arrêté, le travailleur effectuant cependant des travaux légers à cette période.

[11]        Un retour au travail régulier, progressif, reprend en juillet 2003. Ce retour s’effectue sous la supervision de monsieur Sylvain Laflamme, ergothérapeute, qui assure un suivi du travailleur en milieu de travail.

[12]        Le 18 juillet 2003, l’agent Fleury note que l’ergothérapeute Laflamme lui mentionne « que le RAT temps plein se déroule bien et que le pronostic est favorable ».

[13]        Le 18 août 2003, l’agent Fleury note, à la suite d’un appel de l’ergothérapeute Laflamme :

-       Confirme que la mesure progresse tranquillement;

-       Pronostic RAT régulier favorable;

-       Toujours en alternance 30 min. conduite + 30 min. éboueur.

[…]

-        Beaucoup d’enseignement « hygiène posturale » donné est intégré.

 

[14]        Le 9 octobre 2003, le Dr Wiltshire, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, détermine que la lésion du travailleur est consolidée le même jour.

[15]        Le 3 novembre 2003, le Dr Simard suggère que la CSST procède à une évaluation des capacités de travail de monsieur Jetté par un ergothérapeute avant qu’il ne produise son rapport final.

[16]        Donnant de nouveau suite à cette demande du médecin traitant, la CSST accorde un nouveau mandat à l’ergothérapeute Laflamme pour qu’il procède à une « évaluation de la capacité du travailleur »[2].

[17]        Le 11 décembre 2003, l’ergothérapeute Laflamme, à qui la CSST a confié le mandat d’évaluer les capacités fonctionnelles et professionnelles du travailleur, produit un rapport. Monsieur Laflamme y mentionne « avoir suivi Monsieur Jetté en milieu de travail lors de son retour au travail progressif du 21 juillet au 29 octobre 2003 », « avoir évalué monsieur Jetté en clinique à divers moments d’une journée (avant et après sa journée de travail) » et avoir cessé ce suivi « à la suite du retour au travail du travailleur à ses tâches antérieures à raison de 8 heures par jour le 3 novembre 2003 ».

[18]        À son rapport détaillé du 11 décembre 2003, l’ergothérapeute Laflamme décrit l’horaire et les tâches usuelles du travailleur, notant que celui-ci reçoit à l’occasion de l’aide :

Tâches de travail :

- Monsieur travaille 5 jours par semaine. Il peut travailler de 8 heures jusqu’à 12 à 16 heures par jour, selon la saison et la journée de la semaine.

- Monsieur conduit un camion de recyclage en posture assise ou debout à droite ou à gauche du camion.

- Il ramasse des bacs de recyclage au sol pour les vider dans les compartiments latéraux du camion.

- Le poids des bacs varie entre 5 et 25 lb constamment (67% et plus du temps de travail). À l’occasion (entre 0 et 33% du temps de travail), des bacs peuvent peser jusqu’à 60 lb et, rarement (entre 0 et 6% du temps de travail), jusqu’à 80 lb pour la période estivale et 100 lb pour la période hivernale. Il trie le papier/carton d’avec le plastique/aluminium/verre dans deux compartiments différents sur le côté du camion. Les compartiments sont à la hauteur de la taille de monsieur Jetté.

- Le rythme de travail, le poids des bacs à recyclage, la quantité de bacs par domicile varient selon le secteur de la ville où monsieur est situé.

- Il actionne un levier pour vider les compartiments latéraux dans le camion. Le levier peut être actionné en position debout avec une légère flexion latérale du tronc.

- À l’occasion, monsieur reçoit de l’aide d’une autre personne pour ramasser/trier les matières recyclables. Il ne sait jamais à l’avance s’il aura quelqu’un pour l’aider. Il peut être deux jours consécutifs avec de l’aide ou deux semaines sans aide.

- Monsieur doit composer et faire face à un stress constant. Certains automobilistes klaxonnent et demandent de tasser son camion du chemin. Alors, monsieur doit souvent se dépêcher ou ignorer ces personnes agressives et insistantes.

 

[19]        Par la suite, l’ergothérapeute Laflamme procède à une analyse de la capacité du travailleur à effectuer lesdites tâches, notamment en ce qui a trait à la tolérance des membres supérieurs en élévation, au soulèvement maximal des charges, au soulèvement répété de charges et au transport de charges. Monsieur Laflamme écrit alors ceci :

Analyse

 

Suite à l’évaluation objective, aux données subjectives recueillies et au suivi en milieu de travail, nous pouvons observer :

 

- Une persistance de symptômes douloureux lors d’efforts à l’utilisation répétée de l’épaule gauche;

- Une diminution de la tolérance du membre supérieur gauche en élévation et de la tolérance à exécuter un effort soutenu pendant 8 heures consécutives avec les membres supérieurs.

- Une diminution du soulèvement bilatéral maximal de charge sécuritaire sol/taille, taille/épaule et taille/tête;

- Une diminution de la tolérance à la manipulation d’une charge sol/taille de plus de 20 lb et taille/épaule de plus de 15 lb.

- Une diminution de la tolérance au transport de charge de plus de 20 lb sur longue distance et de 50 lb sur courte distance.

 


CONCLUSION

 

En tenant compte des exigences de travail de chauffeur/ramasseur de Monsieur Jetté et de l’analyse faite de ses capacités de travail, Monsieur semble être en mesure de reprendre ses tâches de travail, mais pour que ses tâches soient effectuées de façon sécuritaire, durable, confortable et efficace, certaines restrictions doivent être émises :

 

-  Pouvoir prendre des pauses suite à 1 heure/1 heure 30 minutes de travail 

   consécutif.

- Éviter les mouvements plus hauts que la hauteur des épaules;

- Éviter de soulever du sol des charges de plus de 50 lb;

-  Ne pas dépasser plus de 8 heures de travail consécutif avec l’utilisation

   constante des membres supérieurs (67% et plus du temps de travail.»

 

[20]        Le 18 décembre 2003, le Dr Simard produit un rapport final sur lequel il consolide la lésion du travailleur avec atteinte et limitations fonctionnelles.

[21]        Le 8 janvier 2004, l’agent Fleury communique avec le travailleur et, après avoir informé celui-ci des conclusions du rapport de l’ergothérapeute Laflamme quant aux restrictions présentées, l’agent note qu’il demande au travailleur «de confirmer sa capacité ou la nécessité d’évaluer des obstacles au RAT régulier ».

[22]        Le 2 juillet 2004, le travailleur est examiné par le Dr Antoun, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale. Au terme de son examen, le Dr Antoun détermine que le travailleur conserve de sa lésion professionnelle un déficit anatomo-physiologique de 1% ainsi que des limitations fonctionnelles, soit celles établies par l’ergothérapeute Laflamme en novembre 2003, soit :

-   Pouvoir prendre des pauses suite à 1 h à 1 h 30 de travail consécutif;

-   Éviter les mouvements plus haut que la hauteur des épaules;

-   Éviter de soulever du sol des charges de plus de 50 livres;

-     Ne pas dépasser plus de 8 heures de travail consécutif avec l’utilisation

     constante des membres supérieurs.                                                                            

 

[23]        Le 9 juillet 2004, l’agent Fleury de la CSST discute avec le travailleur en vue de déterminer sa « capacité de travail ». L’agent rapporte ceci :

Appel M. Jetté

 

CAPACITÉ DE TRAVAIL

 

M. Jetté confirme que l’intervention de M. Laflamme a été très bénéfique. Il a reçu de l’enseignement très utile pour éviter une RRA (méthodes de travail, étirements, etc.).

 

Cette intervention et la collaboration de l’employeur ont permis de mettre en place les mesures assurant le RAT P.E. . Il est très satisfait de l’avis du BEM qui reprend justement les mesures recommandées par M. Laflamme pour rédiger les limitations fonctionnelles.

 

Il souligne qu’il y a souvent des changements de personnel au niveau de la direction mais l’avis du BEM plus une décision de la CSST vs sa capacité fct des limitations décrites lui assurera que l’on respecte ses capacités et par la même occasion lui permettre de se rendre à sa retraite sans RRA.

 

Il précise que toutes les limitations sont actuellement respectées sauf la manipulation de poids > 50 lbs lorsqu’il pleut ou lorsqu’il y a de la glace dans les bacs. Cette situation est plutôt très occasionnelle et il la tolère tout de même bien. Il s’entendra avec son employeur pour moins d’heures ou obtenir de l’aide lors de telle journées, soulignant à l’employeur qu’il pourrait refuser de faire la tâche.

 

Il ajoute que la convention collective, on précise que l’employé doit être capable de manipuler 400 lbs à l’heure (poids théorique). Il rencontre et dépasse tout de même cette exigence même par temps de pluie ou «glace».

 

PLAN D’ACTION

Contacter l’employer et valider la solution RAT. Si nécessaire, convaincre l’employeur des objectifs et avantages du MLE. [sic]

 

(Les soulignements sont du tribunal)

 

[24]        Le 12 juillet 2004, la CSST rend une décision par laquelle elle entérine les conclusions du Dr Daoud du Bureau d'évaluation médicale. La CSST indique au travailleur que « compte tenu de vos limitations fonctionnelles, nous concluons que vous continuez d’avoir droit aux indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce que nous nous soyons prononcés sur votre capacité à exercer un emploi ». Le même jour, elle rend une seconde décision informant le travailleur qu’il conserve de sa lésion une atteinte permanente à son intégrité physique et psychique de 1,10 %, lui donnant droit à une indemnité de 812 $.

[25]        Le 20 août 2004, une rencontre a lieu chez l’employeur « pour confirmer la décision de capacité et présenter les solutions assurant de respecter les limitations fonctionnelles et contourner les obstacles identifiés »[3]. L’ergothérapeute Laflamme assiste à cette rencontre. À sa note, l’agent Fleury rapporte ceci :

Des discussions avec l’employeur et le travailleur ont permis de constater :

 

- Le travailleur souhaite à l’occasion prendre des pauses aux heures, ce qui est conforme au BEM 04-07-02. Par contre, on doit considérer, à mon avis, les périodes « conduites sans manutention » comme des périodes de repos.

- Le travailleur refuserait parfois de vider des bacs > 50 lbs, les laissant sur place, alors qu’il serait possible de vider à la main en partie, jusqu’à ce que le poids soit raisonnable;

- L’employeur confirme que lors des périodes « occasionnelles » de gel, les bacs glacés pourraient être vidés par un autre employé;

- L’employeur aurait rédigé une lettre d’entente concernant le RAT. M. Jetté souhaite

  qu’on y spécifie pause aux heures plutôt que 1:30.

 

Les parties discuteront de la possibilité de modifier cette lettre.

 

(Les soulignements sont du tribunal)

 

[26]        Le 28 octobre 2004, l’agent Fleury discute avec une représentante de l’employeur et lui demande « de s’informer des derniers développements vs le RAT et vs la lettre d’entente »[4].

[27]        Le 1er novembre 2004, l’agent Fleury note :

Compte tenu que nous n’avons aucun suivi concernant le RAT de M. Jetté, je conclus qu’il y a eu correction à la lettre d’entente.

 

De plus, considérant 1)l’évaluation de Sylvain Laflamme, ergo, 2) le RAT réalisé avec succès sur une période significative, 3) le peu d’écart entre la capacité du travailleur et les exigences de l’emploi habituel,

 

Je conclus que M. Jetté est capable d’occuper son emploi habituel en respectant les limitations fonctionnelles décrites par le BEM 04/07/02.

 

(Les soulignements sont du tribunal)

 

[28]        Le 2 novembre 2004, la CSST rend la décision suivante :

Comme nous en avions convenu, vous avez bénéficié de services de réadaptation pour pouvoir retourner au travail. En conséquence, nous considérons que vous êtes capable d’exercer votre emploi à compter du 1er novembre 2004. En effet, des mesures ont été retenues avec votre employeur pour vous permettre d’exercer votre emploi en respectant vos limitations fonctionnelles décrites par le Dr Antoun à son rapport du 04-07-02.

 

(Les soulignements sont du tribunal)

 

[29]        Cette décision n’a pas été contestée.

[30]        Tel qu’il appert des « admissions » déposées à l’audience et du témoignage du travailleur, sur lequel le tribunal reviendra ultérieurement, monsieur Jetté a travaillé exclusivement sur des camions à chargement latéral après la décision de capacité du 2 novembre 2004, en tenant compte d’une entente intervenue avec l’employeur en juillet 2004 en vue de respecter les limitations fonctionnelles reconnues au travailleur.

[31]        Le 11 septembre 2008, l’employeur écrit au travailleur pour l’informer de la fin de son emploi. Les motifs de cette terminaison d’emploi sont expliqués ainsi :

Monsieur Jetté,

   Étant donné que nous devons procéder au retrait du dernier camion à chargement « à bucket », nous avons analysé vos limitations fonctionnelles ainsi que les façons de respecter celles-ci.

 

Suite à votre accident du travail du 6 juillet 2002, la Commission de la santé et de la sécurité du travail, conformément à l’opinion émis par le membre du Bureau d’évaluation médicale, vous reconnaissait l’existence des limitations fonctionnelles suivantes :

 

- Doit pouvoir prendre des pauses suite à 1 h à 1 h 30 de travail consécutif;

- Éviter les mouvements plus haut que la hauteur des épaules;

- Éviter de soulever du sol des charges de plus de 50 livres;

-  Ne pas dépasser plus de 8 heures de travail consécutif avec l’utilisation

   constante des membres supérieurs.   

 

Afin de respecter ces restrictions et de vous accommoder, nous avions convenu d’un commun accord de limiter vos assignations à un camion à chargement à « bucket », l’utilisation d’un camion muni d’un compacteur s’avérant dangereux en raison de votre état de santé. C’est pourquoi, vous aviez été limité à utiliser le camion 5148, qui fut détruit en juin dernier. Nous vous avions alors assigné le camion 5186, qui est également un camion « à bucket ».

 

Dues aux nombreux problèmes mécaniques et l’usure avancée du camion 5186, nous nous voyons dans l’obligation de retirer également ce véhicule de la circulation, et ce, tant pour votre sécurité que celle du public.

 

En raison de ce qui précède, et devant l’impossibilité pour notre entreprise de poursuivre l’accommodement en cours depuis plusieurs années, nous n’avons d’autre alternative que de mettre fin à votre emploi au sein de la compagnie Col Sel Transit Inc. et ce, à compter d’aujourd’hui, le 11 décembre 2008.

 

Par ailleurs…[sic]

 

[32]        Le 8 janvier 2009, le travailleur dépose à la CSST une plainte en vertu de l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[5] (la loi) contre l’employeur, invoquant notamment ceci :

L’employeur décide le 11 décembre 2008 de mettre notre client à pied, au motif qu’il n’y a plus de camions à bucket utilisé [sic] par l’entreprise, alors qu’il suffirait de racheter un tel type de camion ou d’affecter notre client à un autre poste de travail compatible avec ses restrictions fonctionnelles.

 

[33]        Le 28 septembre 2009, le travailleur se désiste de sa plainte à la CSST.

[34]        Le 29 septembre 2009, le travailleur demande à la CSST de rouvrir son plan de réadaptation, invoquant la survenue de circonstances nouvelles, soutenant que celles-ci « ne sont pas de nature économique ».

[35]        Le 5 octobre 2009, la CSST informe le travailleur qu’elle ne peut donner suite à sa demande du 29 septembre au motif que « la décision rendue le 2 novembre 2004 est finale et aucune modalité n’est prévue à la loi pouvant justifier la réouverture d’un plan individualisé de réadaptation ». Cette décision sera confirmée pour d’autres motifs le 10 décembre 2009 lors d’une révision administrative, d’où le présent litige.

[36]        En début d’audience, les parties dûment représentées déposent un document présentant les admissions suivantes :

La partie Requérante et la partie intéressée admettent ce qui suit :

 

1. Le Requérant était à l’emploi de la partie intéressé depuis 2000;

 

2. La partie intéressée œuvre dans le domaine de la cueillette des matières

    recyclables;

 

3. Le Requérant a subi une lésion professionnelle le 6 août 2002;

 

4. Au moment de sa lésion, le Requérant exerçait les fonctions de chauffeur-

    ramasseur sur un camion à chargement latéral;

 

5. Les diagnostics retenus par le BEM du 3 décembre 2002 sont ceux de

    tendinite de la coiffe des rotateurs gauche avec déchirure partielle

    intrasubstance du sus-épineux gauche (page 88 du dossier CLP);

 

6. Le poste de travail pré-lésionnel du Requérant a été évalué par un ergonome,

    monsieur Sylvain Laflamme, le 11 décembre 2003. Cette évaluation a été faite

    sur des camions de récupération à chargement latéral;

 

7. Le rapport de l’ergonome établissait des restrictions pour le retour du

    Requérant dans son emploi pré-lésionnel sur les camions à chargement

    latéral :

- Pouvoir prendre des pauses suite à 1 h à 1 h 30 de travail consécutif;

- Éviter les mouvements plus haut que la hauteur des épaules;

- Éviter de soulever du sol des charges de plus de 50 livres;

-  Ne pas dépasser plus de 8 heures de travail consécutif avec l’utilisation

                        constante des membres supérieurs. (Page 46 du dossier CLP)

 

8. La lésion a laissé une atteinte permanente de 1% et les limitations

    fonctionnelles suivantes établies par la BEM du 18 juillet 2004 :

- Doit pouvoir prendre des pauses suite à 1 h à 1 h 30 de travail

   consécutif;

- Éviter les mouvements plus haut que la hauteur des épaules;

- Éviter de soulever du sol des charges de plus de 50 livres;

-  Ne pas dépasser plus de 8 heures de travail consécutif avec l’utilisation

                        constante des membres supérieurs.      (Page 171 du dossier CLP)

 

 9. Suite à l’émission des limitations fonctionnelles, la CSST a entrepris des

     mesures pour le maintien en emploi du Requérant;

 

           10. Dans le cadre des discussions entre les parties, elles reconnaissent que les

      seuls camions pouvant respecter les restrictions fonctionnelles émises par le

      BEM sont les camions à chargement latéral;

 

11. Les camions à chargement latéral sont les seuls qui permettent au Requérant

      de prendre des pauses à une fréquence de 1 h à 1 h 30;

 

12. Les camions à chargement latéral sont les seuls qui permettent au Requérant

      d’éviter les mouvements plus haut que la hauteur des épaules;

 

13. Au moment du retour au travail du Requérant, les camions à chargement

      latéral étaient le standard dans l’industrie du recyclage;

 

14. Pour assurer la mise en œuvre des mesures de réadaptation, la partie

      Intéressée s’est engagée par une entente de fournir au Requérant un camion

      à chargement latéral, tel qu’en fait foi la lettre du 29 juillet 2004;

 

15. Durant le processus de réadaptation, la CSST a été informée de cette

      entente et de son contenu (Pages 26, 28, 29, 30 et 31 du dossier CLP);

 

16. L’entente intervenue entre les parties le 29 juillet 2004 fut confirmée dans la

     décision rendue par la CSST le 2 novembre 2004 (Page 234 du dossier CLP);

 

17. Les standards des camions dans l’industrie du recyclage ont évolués [sic] suite à

      des changements technologiques;

 

18. Les nouveaux camions utilisés dans l’industrie sont maintenant munis de

     compacteurs intégrés;

 

19. Depuis l’année 2004, le nombre de camions à chargement latéral de la partie

      intéressée n’a cessé de diminuer jusqu’à disparaître complètement le 15

      décembre 2008;

 

20. Conformément à l’entente intervenue le 29 juillet 2004 et la décision rendue

      par la CSST le 2 novembre 2004, la partie intéressée a toujours assigné des

      camions à chargement latéral au Requérant et ce jusqu’au 15 décembre

      2008;

 

21. Les nouveaux camions maintenant utilisés dans l’industrie du recyclage, les

      camions à compacteurs intégrés, ne respectent pas les limitations

      fonctionnelles retenues par le BEM le 18 juillet 2004;

 

22. La fin d’emploi du Requérant chez la partie intéressée n’est pas motivée par

      des motifs d’ordre économique mais par les changements technologiques

      dans l’industrie puisque les camions à chargement latéral n’existent plus et

      ne sont plus fabriqués.

 

[37]        De même, le travailleur dépose la lettre d’entente rédigée le 29 juillet 2004 par l’employeur à laquelle les intervenants au dossier réfèrent à différents moments. On y lit :

Objet : Résumé de la rencontre du 29 juillet 2004 et amendement

 

Monsieur,

Tel qu’entendu lors de notre rencontre du 29 juillet dernier et pour faciliter votre réintégration à votre poste régulier, dans le respect des résultats de votre examen médical au Bureau d’évaluation Médicale de la CSST, le 2 juillet 2004, il a été établi que :

 

1- Après 1 h 30 de travail à ramasser, vous prenez une pause de 15 minutes à la conduite uniquement, lorsque vous êtes accompagné d’un aide. Vous vous arrêtez, dans le cas contraire. Sachez que les deux pauses prévues à la convention doivent coïncider  avec les pauses de repos convenues dans la présente. C’est-à-dire que vous ne pouvez cumuler la pause de repos avec celle prévue à l’article 20.5 de votre convention.

 

2- Dans la mesure où vous devez éviter les mouvements au-dessus des épaules, Col Sel Transit s’engage à vous fournir un camion qui respecte cette limitation comme l’unité 5186 ou la 5148 que vous utilisez actuellement.

 

3. Dans la mesure où vous devez éviter de soulever des charges de plus de 50 livres, Col Sel Transit s’attend à ce que vous preniez les mesures conséquentes afin de faciliter votre travail, soit de vider le bac à mesure au lieu de le soulever tel quel, lorsque vous l’estimez trop lourd. Dans le pire des cas, vous pouvez demander à votre aide, lorsque vous en avez un de le ramasser à votre place.

 

4. Dans la mesure où vous ne pouvez dépasser 8 heures de travail consécutif avec l’utilisation constante des épaules, un aide vous accompagnera ou vous arrêterez de travailler lorsque les aides ne seront pas disponibles.

 

5. Soyez avisé que l’évaluation de votre productivité prend en compte vos limitations fonctionnelles. 

 

En espérant le tout conforme.

 

[38]        Monsieur Jetté a témoigné des circonstances ayant entouré son retour au travail à la suite de sa lésion professionnelle.

[39]        Ainsi, monsieur Jetté indique d’abord que sa blessure est survenue en 2002 alors qu’il conduisait un camion « à bucket », c’est-à-dire à chargement latéral.

[40]        Monsieur Jetté explique avoir repris graduellement le travail en 2003, mais avoir dû cesser de nouveau en mai 2003 en raison de la reprise de douleurs à son épaule.

[41]        Par la suite, monsieur Sylvain Laflamme, ergothérapeute, a entrepris un suivi du travailleur et a évalué le travail effectué, tant au « garage » que lors des collectes sélectives. Le travailleur indique avoir rencontré monsieur Laflamme chez l’employeur une dizaine de fois à cet égard et il précise que lors de toutes les visites de l’ergothérapeute, son évaluation portait sur le véhicule qu’utilisait alors le travailleur, soit un camion à chargement latéral. Bien qu’il ait « vu » les camions à compacteur chez l’employeur, monsieur Jetté indique que l’ergothérapeute Laflamme n’a pas fait l’évaluation desdits camions ou des tâches requises par l’utilisation de ce type de camion.

[42]        Monsieur Jetté précise qu’à cette période, on retrouvait plus d’une trentaine de camions chez l’employeur, dont la très grande majorité était de type « chargement latéral ». Selon le travailleur, seuls quelques camions étaient de type « à compacteur ».

[43]        Monsieur Jetté insiste sur le fait qu’en aucun moment, l’évaluation de l’ergothérapeute Laflamme du travail effectué par monsieur Jetté n’a porté sur un camion « à compacteur », ajoutant qu’après avoir vu les camions de ce type chez l’employeur, monsieur Laflamme lui a immédiatement dit que ceux-ci « n’étaient pas appropriés ».

[44]        À cet égard, monsieur Jetté explique que les camions de type « à compacteur » se distinguent de ceux dits « à chargement latéral », principalement par le fait qu’en raison de leur conception, le vidage des bacs doit s’effectuer à une hauteur supérieure de celle requise par les camions à chargement latéral. Ainsi, monsieur Jetté explique que le soulèvement des bacs requiert alors qu’il soulève ceux-ci au-dessus de la hauteur de ses épaules, ce qui contrevient à l’une de ses limitations fonctionnelles.

[45]        Par ailleurs, monsieur Jetté explique également qu’un camion muni d’un compacteur permet, justement en raison dudit compacteur intégré, de ramasser davantage de matériaux à recycler avant d’être obligé de revenir « au garage » afin de vider le chargement, alors qu’un camion à chargement latéral requiert de plus fréquentes visites au garage. Monsieur Jetté indique qu’il faut environ huit heures pour emplir un camion à compacteur et deux heures pour un camion à chargement latéral.

[46]        Aussi, monsieur Jetté explique que l’usage pour lui d’un camion à chargement latéral était requis pour cette seconde raison puisque le retour plus fréquent au garage lui permettait de respecter une autre de ses limitations fonctionnelles concernant la prise de pause à toutes les heures, ce que ne permettait pas le camion à compacteur.

[47]        Monsieur Jetté indique que dans le cadre de ses visites et de son évaluation, l’ergothérapeute Laflamme lui a donné des méthodes de travail permettant de favoriser son travail sur le camion à chargement latéral.

[48]        Au terme du rapport produit par l’ergothérapeute et à la lumière des enseignements reçus, monsieur Jetté indique qu’il a véritablement repris son travail en novembre 2003, mais qu’il n’était assigné que sur des camions à chargement latéral, travail qu’il a poursuivi par la suite.

[49]        Le travailleur indique avoir eu un nouveau contact avec la CSST, en juillet 2004, qui désirait faire le point sur l’état de la situation. Par la suite, elle a rendu la décision « de capacité » en novembre 2004.

[50]        À ce sujet, monsieur Jetté indique ne pas avoir contesté cette décision puisqu’elle reflétait la réalité de son retour au travail, c’est-à-dire, comme le mentionne la décision en question, que son employeur avait pris des mesures pour lui « permettre d’exercer votre emploi en respectant vos limitations fonctionnelles décrites ». Or pour lui, il s’agissait exclusivement d’un travail sur un camion à chargement latéral.

[51]        Monsieur Jetté explique qu’en effet, il avait été convenu par une entente en juillet 2004 que différentes mesures seraient mises en place pour respecter ses limitations fonctionnelles, notamment que l’employeur s’engageait à n’affecter le travailleur que sur des camions à chargement latéral. Par ailleurs, des mesures relatives aux pauses et à l’octroi d’un aide étaient aussi convenues par l’entente, aide qui lui a été attribuée jusqu’au printemps 2008.

[52]        C’est dans ce contexte que le travailleur indique avoir toujours par la suite travaillé sur des camions à chargement latéral jusqu’en décembre 2008.

[53]        Monsieur Jetté explique qu’au fil des années, la proportion de la flotte de camions à chargement latéral chez l’employeur a graduellement diminué au profit de camions à compacteur et qu’en décembre 2008, le dernier camion à chargement latéral de l’employeur a dû être retiré en raison de sa désuétude.

[54]        Le travailleur termine son témoignage en indiquant qu’après sa mise à pied en décembre 2008, il a touché des prestations de chômage pendant quelques temps puis s’être trouvé, en avril 2010, un emploi au sein d’une agence comme livreur pour une entreprise d’emballage.

L’AVIS DES MEMBRES

[55]        Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête du travailleur doit être rejetée.

[56]        Ce membre considère que la décision de la CSST du 2 novembre 2004 portait sur la capacité du travailleur à occuper son emploi prélésionnel et qu’à ce moment, les mesures mises en place dans le cadre du plan individualisé (PIR) du travailleur étaient terminées.

[57]        Aussi, ce membre est donc d’avis que ledit PIR n’était plus alors en cours lorsque la « circonstance nouvelle » invoquée par le travailleur, à savoir un changement technologique, a entraîné la terminaison de son emploi, emploi occupé depuis 2004 sans discontinuité.

[58]        Ce membre est d’avis que les principes énoncés à l’affaire Abbes et Industries de plastique Transco Ltée, décision citée par la CSST, s’appliquent en l’espèce et qu’il n’y a pas lieu de rouvrir le plan de réadaptation mis en place par la CSST pour le travailleur.

[59]        Enfin, ce membre considère qu’en l’espèce, la terminaison de l’emploi du travailleur en raison de changements technologiques s’inscrit en définitive dans les aléas du marché du travail. Or par analogie avec la jurisprudence élaborée en matière d’emploi convenable, ce membre est d’avis que le droit à la réadaptation que reconnaît la loi pour un travailleur n’a pas pour but de lui assurer la pérennité d’un emploi convenable à la suite d’une lésion professionnelle.

[60]        Le membre issu des associations syndicales est d’avis que des circonstances très particulières se retrouvent au présent dossier en ce que les décisions rendues par la CSST n’ont pas pleinement respecté l’ensemble des droits que la loi reconnaît au travailleur en matière de réadaptation.

[61]        Pour ce membre, il est indéniable que le travailleur a pu occuper son emploi après la décision de la CSST du 2 novembre 2004, mais seulement en raison du fait que l’employeur avait mis en place des mesures permettant de respecter les limitations fonctionnelles du travailleur, principalement en s’engageant à ne fournir au travailleur que des camions à chargement latéral. Lorsque cet accommodement n’a plus été possible en décembre 2008, l’employeur a dû mettre fin à l’emploi du travailleur.

[62]        Bien que ce membre considère qu’un délai de près de cinq ans avant de demander de rouvrir le PIR soit dans les circonstances fort long, pour des motifs d’équité et en raison des circonstances particulières de l’espèce, ce membre croit néanmoins qu’il il y aurait lieu pour la CSST de rouvrir le plan d’intervention personnalisé (PIR) précédemment élaboré pour le travailleur et ayant culminé dans la décision rendue le 2 novembre 2004, afin de lui reconnaître, conformément à l’article 48 de la Loi, le droit de toucher des indemnités de remplacement du revenu dans le cadre d’un programme de recherche d’emploi.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[63]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la décision de la CSST refusant de « donner suite à la demande du travailleur faite le 29 septembre 2009 » est bien fondée. Plus précisément, le tribunal rappelle que cette demande du travailleur du 29 septembre 2009 visait à « faire rouvrir son plan individualisé de réadaptation » en raison de circonstances « non économiques ».

[64]        Dans sa réponse initiale, la CSST a refusé d’acquiescer à cette demande en indiquant au travailleur que « la décision rendue le 2 novembre 2004 est finale et « aucune modalité n’est prévue à la Loi pouvant justifier la réouverture d’un plan individualisé de réadaptation ». Or, la décision en question du 2 novembre 2004 établissait que le travailleur « est capable d’exercer [son] emploi à compter du 1er novembre 2004 », mais en tenant compte « des mesures [qui] ont été retenues avec votre employeur pour vous permettre d’exercer votre emploi en respectant vos limitations fonctionnelles décrites par le Dr Antoun » .

[65]        De son côté, la CSST en révision administrative s’est manifestement saisie de la question entourant la possibilité qu’une circonstance nouvelle puisse permettre de rouvrir un plan individualisé de réadaptation (PIR) et elle s’est prononcée sur le mérite de cette demande du travailleur.

[66]        En effet, dans sa décision du 10 décembre 2009, la CSST en révision administrative a, d’une part, mis l’emphase sur le fait que dans le processus ayant mené à la décision de capacité du 2 novembre 2004, on a tenu compte de mesures de réadaptation mises en place, à savoir une évaluation du poste de travail suivie par une évaluation de la capacité du travailleur, évaluations réalisées par l’ergothérapeute Laflamme, et d’autre part, que selon l’évaluation faite dans ces études, il n’a jamais été indiqué par cet ergothérapeute que le travailleur devait être limité au travail sur un camion « à bucket » ou qu’un camion « à compacteur » contrevenait aux limitations fonctionnelles de monsieur Jetté. De même, la CSST en révision considère que l’entente d’accommodement avec l’employeur visant à respecter les limitations fonctionnelles du travailleur « ne constitue pas une mesure de réadaptation mise en place par la CSST dans le cadre du PIR ».

[67]        Aussi, dans ce contexte, la CSST en révision administrative en arrive à la conclusion que le fait que l’utilisation d’un camion à « bucket » ne soit plus accessible chez l’employeur « n’a pas pour effet de rendre inadéquate une mesure de réadaptation mise en place par la CSST » et « ne peut constituer une circonstance nouvelle permettant de modifier un PIR ». De plus, la CSST considère que de toute façon, la décision du 2 novembre 2004 portant sur la capacité du travailleur à reprendre son emploi «  a mis fin au processus de réadaptation » et qu’une fois la décision de capacité de travail rendue et le PIR terminé, celui-ci ne peut être modifié pour tenir compte de circonstances nouvelles ».

[68]        En l’espèce, s’agit-il là d’une « simple décision de capacité à occuper un emploi régulier » qui, selon la CSST en révision administrative, fermerait la porte à une réouverture du PIR, tel que le laisse entendre la conclusion de sa décision?

[69]        Le tribunal constate que le présent dossier a connu un cheminement particulier en matière de « réadaptation ».

[70]        À la suite de sa lésion en août 2002, le travailleur a repris, semble-t-il, « son travail » de façon progressive au printemps 2003. Dès le 29 avril 2003, à la demande du médecin du travailleur, la CSST mandate un ergothérapeute en vue d’évaluer le poste du travailleur.

[71]        Vers le 26 mai 2003, un nouvel épisode douloureux survenu au travail fait en sorte que le retour progressif est cessé temporairement, avant de reprendre en juillet 2003.

[72]        À cette période, ce retour au travail s’effectue sous la supervision de l’ergothérapeute Laflamme qui évalue le poste du travailleur, tant « au garage » que lors de collectes sélectives. Des « enseignements » sont donnés au travailleur quant aux méthodes de travail à préconiser.

[73]        À la suite de l’avis du Dr Wiltshire du Bureau d’évaluation médicale consolidant la lésion du travailleur en octobre 2003, le Dr Simard, médecin traitant, demande que la CSST procède à une évaluation de la capacité du travailleur. Donnant suite à cette demande, la CSST mandate de nouveau l’ergothérapeute Laflamme à cette fin.

[74]        Le 11 décembre 2003, l’ergothérapeute Laflamme dépose un rapport portant sur cette capacité. À la suite de son analyse, l’ergothérapeute Laflamme suggère que de façon préventive, certaines limitations fonctionnelles soient établies en faveur du travailleur ». Les limitations suggérées seront ultérieurement confirmées par le Dr Daoud, du Bureau d’évaluation médicale, le 2 juillet 2004.

[75]        Le 9 juillet 2004, l’agent Fleury communique avec le travailleur. La discussion porte manifestement sur sa capacité à travailler et on indique qu’il y a lieu de valider avec l’employeur les solutions et les mesures déjà entreprises avec le travailleur.

[76]        Le 12 juillet 2004, la CSST rend ses décisions portant sur le pourcentage d’atteinte permanente reconnu au travailleur et sur son droit de toucher des indemnités jusqu’à ce qu’elle se prononce sur sa capacité à exercer un emploi, « étant donné ses limitations fonctionnelles ».

[77]        À compter de ce moment, les choses se précipitent et le 20 août 2004, une rencontre a lieu, à laquelle participe l’ergothérapeute Laflamme, et les parties conviennent de la mise en place de mesures permettant de respecter les limitations fonctionnelles du travailleur. Par ailleurs, de l’avis du tribunal, il est manifeste de la note de l’agent à cette date que les mesures retenues ont déjà fait l’objet d’une lettre d’entente entre le travailleur et l’employeur et que cette lettre devrait « être modifiée » pour tenir compte de certaines mesures de retour au travail requises par le travailleur.

[78]        Le 1er novembre 2004, l’agent Fleury note :

Compte tenu que nous n’avons aucun suivi concernant le RAT de M. Jetté, je conclus qu’il y a eu correction à la lettre d’entente.

 

De plus, considérant 1) l’évaluation de Sylvain Laflamme, ergo, 2) le RAT réalisé avec succès sur une période significative, 3) le peu d’écart entre la capacité du travailleur et les exigences de l’emploi habituel,

 

Je conclus que M. Jetté est capable d’occuper son emploi habituel en respectant les limitations fonctionnelles décrites par le BEM 04/07/02.

 

(Les soulignements sont du tribunal)

 

[79]        Le 2 novembre 2004, la CSST rend la décision de capacité du travailleur à occuper son emploi, précisant toutefois au texte de la décision que « En effet, des mesures ont été retenues avec votre employeur pour vous permettre d’exercer votre emploi en respectant vos limitations fonctionnelles décrites par le Dr Antoun ».

[80]        Le représentant du travailleur souligne avec justesse que dans le présent dossier, on ne retrouve pas de décision de la CSST reconnaissant au travailleur son droit à la réadaptation à la suite de la détermination du Dr Daoud, en juillet 2004, d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles chez le travailleur. De même, on ne retrouve pas de décision « type » de la CSST informant le travailleur que la CSST met en place pour lui un plan individualisé de réadaptation (PIR), contenant diverses mesures de réadaptation, que ce soit à la suite des évaluations faites par l’ergothérapeute Laflamme ou à la suite de l’avis du Bureau d’évaluation médicale.

[81]        Néanmoins, le représentant du travailleur plaide que dans les faits, la décision du 2 novembre 2004 « fait partie et constitue » la décision du PIR établi pour le travailleur dans la mesure où on y intègre l’ensemble des démarches jusqu’alors réalisées, soit les évaluations de poste et de capacité réalisées par l’ergothérapeute Laflamme, le suivi et les enseignements donnés au travailleur par celui-ci et, ultimement, la mise en place par l’employeur de mesures prises par entente pour respecter les limitations fonctionnelles du travailleur en vue de lui permettre de reprendre son emploi.

[82]        Aussi, dans cette mesure, ce représentant soutient qu’il est possible de soumettre des circonstances nouvelles permettant de rouvrir un plan individualisé de réadaptation, ce que fait le travailleur en l’espèce.

[83]        Par ailleurs, ce représentant soutient que dans le contexte décisionnel particulier de l’espèce, on saurait difficilement reprocher au travailleur de ne pas avoir contesté la décision « de capacité » du 2 novembre 2004 en question dans la mesure où, justement, tel que l’indique la décision en question, « en raison des mesures prises par l’employeur » pour respecter les limitations fonctionnelles du travailleur, son client se trouvait véritablement à « redevenir capable d’exercer son emploi ». Dès lors, il n’avait aucune raison de contester ladite décision.

[84]        Le tribunal retient cette position avancée par le représentant du travailleur.

[85]        De l’avis du tribunal, la décision du 2 novembre 2004 ne peut être vue comme une pure décision de capacité à occuper un emploi subséquente à la prise de mesures élaborées dans le cadre d’un PIR en raison même du libellé qui y est utilisé par l’agent de la CSST à la décision et qui réfère « aux mesures retenues par l’employeur » pour permettre ce retour en emploi. Elle présente en quelque sorte un caractère « hybride » d’une décision visant l’élaboration d’un plan individualisé de réadaptation du travailleur et d’une décision de capacité à occuper un emploi.

[86]        De l’avis du tribunal, le fait de référer à la mise en place de « mesures retenues avec l’employeur » s’inscrit dans l’aboutissement des mesures de réadaptation mises en place dès le mois de mai 2003 dans le cadre d’un plan individualisé de réadaptation pour le travailleur, mesures faisant partie du PIR. Avant même de rendre la décision du 2 novembre 2004, l’agent de réadaptation discute des mesures établies pour le travailleur pour respecter ses limitations fonctionnelles. De l’avis du tribunal, il est alors clairement considéré que de telles mesures puissent faire l’objet d’une « entente » avec l’employeur et l’agent est par ailleurs informé, en août 2004, que l’entente en question devrait être modifiée. Le 1er novembre 2004, « n’ayant pas eu d’autre information à cet égard », l’agent « conclus qu’il y a eu correction à la lettre d’entente ».

[87]        Pour le tribunal, l’ensemble des démarches ayant abouti à la décision du 2 novembre 2004 doivent en conséquence, dans les circonstances très particulières du présent dossier, être assimilées à la mise en place d’un plan individualisé de réadaptation pour le travailleur et c’est donc également à ce titre qu’il convient, de l’avis du tribunal, de considérer la décision du 2 novembre 2004.

[88]        À cet égard, le tribunal souligne d’ailleurs que la CSST, dans sa décision rendue en révision, même si elle retient que la décision du 2 novembre 2004 est une décision de capacité ayant « mis fin au processus de réadaptation », se prononce néanmoins sur la question de fond invoquée par le représentant du travailleur à savoir si la survenue d’une circonstance nouvelle permet de rouvrir le plan de réadaptation du travailleur.

[89]        Le Tribunal doit maintenant décider si la CSST devait revoir le PIR tel que demandé et s’il existe ou non un délai pour faire une telle demande.

[90]        Au « mérite », le travailleur soutient essentiellement que la CSST doit revoir son plan de réadaptation mis en place à compter du printemps 2003 et ayant culminé dans la décision du 2 novembre 2004. Le travailleur estime que la CSST, à la lumière des conclusions du rapport de l’ergothérapeute Laflamme, a conclu que le travailleur pouvait reprendre son travail régulier, dans la mesure où l’on respectait les limitations fonctionnelles du travailleur. Or pour ce faire, diverses mesures ont été mises en place par l’employeur, en accord avec le travailleur, dont la principale était de ne pas affecter monsieur Jetté à un camion « à compacteur » et de lui assurer l’usage d’un camion à chargement latéral, un camion à « bucket ».

[91]        À cet égard, le travailleur soutient que la CSST en révision erre en considérant que l’ergothérapeute n’a jamais fait de l’usage d’un camion à « bucket » une condition de capacité à exercer « son emploi » ou que l’usage d’un tel camion soit requis pour respecter les limitations fonctionnelles émises.

[92]         De même, le travailleur soutient que la CSST erre en ne considérant pas comme faisant partie intégrante des mesures de retour en emploi « l’entente » intervenue en juillet 2004 entre le travailleur et l’employeur dans laquelle il était spécifié que l’employeur s’engageait à fournir au travailleur un camion « à bucket », dans la mesure où, d’une part, la CSST était parfaitement au courant de cette entente, y ayant nécessairement référé dans la décision du 2 novembre 2004 et, d’autre part, et surtout, que ladite entente visait justement à respecter les limitations fonctionnelles reconnues au travailleur en y proposant diverses mesures.

[93]        Aussi, le travailleur invoque qu’au terme d’une période de 4 ans, au cours de laquelle l’employeur a pu lui fournir « un camion à bucket », devant le retrait obligé du dernier camion de ce type de la flotte de camions chez l’employeur en décembre 2008, et devant l’impossibilité d’affecter le travailleur à un camion de type « à compacteur » puisque ce genre de camion ne respecte pas les limitations fonctionnelles reconnues au travailleur, l’employeur n’a eu d’autre choix que de mettre fin à l’emploi du travailleur.

[94]        Pour le travailleur, la preuve révèle ainsi qu’en raison d’un changement technologique, à savoir la disparition chez l’employeur des camions « à bucket » remplacés par des camions « à compacteur », il y a lieu de revoir le plan de réadaptation qu’on avait adopté pour lui en 2004, lequel incluait la nécessité d’utiliser un camion « à bucket » que l’employeur s’était engagé à lui fournir.

[95]        De son côté, dans son argumentaire soumis au tribunal, la CSST soutient d’une part que l’assignation du travailleur à un « camion à bucket » n’a jamais fait partie des mesures de « réadaptation » du travailleur. À ce sujet, la CSST retient que cette exigence d’une telle affectation n’a jamais été mentionnée au rapport de l’ergothérapeute Laflamme portant sur la capacité du travailleur à reprendre son emploi prélésionnel. De même, on soutient qu’une telle exigence n’a jamais été identifiée par les médecins comme une condition du respect des limitations fonctionnelles établies pour le travailleur. Enfin, on soutient que le conseiller en réadaptation n’a pas davantage considéré l’exigence d’une affectation sur un camion « à bucket » comme une condition au retour en emploi prélésionnel. À cet égard, la CSST soutient que la mesure consistant à affecter le travailleur à un camion « à bucket » découle exclusivement d’une entente du travailleur avec son employeur, entente consistant en un simple accommodement administratif et qui ne saurait lier la CSST. Enfin, on invoque qu’en l’espèce, les circonstances nouvelles invoquées sont de nature économique et que de toute façon, la jurisprudence enseigne qu’il ne saurait y avoir réouverture d’un PIR après qu’une décision sur la capacité d’exercer un emploi ait été rendue de sorte que « même si l’on devait retenir que l’affectation du travailleur à un camion à bucket « faisait partie du PIR », celui-ci ne pourrait être modifié pour autant.

[96]        La loi prévoit ceci :

145.  Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 145.

 

 

146.  Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.

 

Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.

__________

1985, c. 6, a. 146.

 

 

[97]        Pour les motifs suivants, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la requête du travailleur doit être rejetée.

[98]        La preuve soumise à l’audience a clairement visé à démontrer au tribunal que tout au long du processus de retour au travail du travailleur entrepris dès le printemps 2003, on affectait celui-ci à un camion à « bucket »; que c’est ce type d’équipement uniquement qui fut analysé par l’ergothérapeute Laflamme; qu’en raison des limitations fonctionnelles retenues chez monsieur Jetté, seul un camion à « bucket » permettait de respecter celles-ci (et non un camion de type compacteur ) et qu’à compter de juillet 2004, par une entente intervenue entre l’employeur et le travailleur, il a été convenu de mettre en place diverses mesures en vue de respecter les limitations fonctionnelles du travailleur, notamment par un engagement de l’employeur à n’affecter monsieur Jetté qu’à l’usage d’un camion à « bucket ».

[99]        De plus, la preuve soumise visait à démontrer que la CSST était au courant de l’entente en question, tel que le note l’agent de la CSST à divers moments, dont le 1er novembre 2004, et que cette entente faisait clairement partie de la décision visant la capacité du travailleur.

[100]     Enfin, on a soumis que pendant environ 5 ans, l’employeur a pu respecter cette entente avec le travailleur en lui fournissant au travail un camion « à bucket », mais que la flotte de camions, majoritairement composée de camions de ce type en 2004, s’est graduellement transformée chez l’employeur pour ne contenir, en décembre 2008, que des camions « à compacteur », d’où la terminaison de l’emploi de monsieur Jetté, pour les motifs invoqués à la lettre du 11 septembre 2008.

[101]     De l’avis du tribunal, le témoignage du travailleur démontre que tout au long des évaluations faites par l’ergothérapeute Laflamme, à compter de juillet jusqu’à la reprise de son travail en novembre 2003, il n’a jamais été question d’un autre camion que le camion « à bucket » pour le travailleur. Selon le témoignage non contredit de monsieur Jetté, les évaluations faites par l’ergothérapeute n’ont jamais porté sur les camions à compacteur que possédait l’employeur en 2003. De plus, ce même témoignage est à l’effet que l’ergothérapeute Laflamme a bien vu les camions à compacteur de l’employeur, mais qu’il a d’emblée indiqué au travailleur que ceux-ci « n’étaient pas pour lui » en raison des limitations fonctionnelles qu’il identifiait.

[102]     Pour le tribunal, s’il est manifeste de l’analyse du rapport du 11 décembre 2003 de l’ergothérapeute Laflamme qu’il n’y mentionne pas que ses conclusions ne s’appliquent que pour l’usage d’un camion « à bucket », rien ne permet par ailleurs de nier la version du travailleur voulant que seul ce type de camion ait été considéré par l’ergothérapeute Laflamme pour les fins de son analyse.

[103]     Le tribunal en conclut que les recommandations émises par l’ergothérapeute Laflamme visait donc l’usage d’un « camion à bucket » par le travailleur et que les limitations fonctionnelles émises par monsieur Laflamme étaient en vue de respecter la capacité du travailleur à utiliser ce seul type de camion.

[104]     Par ailleurs, le tribunal retient également le témoignage du travailleur voulant que les camions à compacteur que possédait l’employeur ne respectaient pas les limitations fonctionnelles établies en raison de la configuration même desdits camions. D’ailleurs, le tribunal note que dès le mois d’avril 2003, le médecin traitant du travailleur autorisait la reprise du travail « mais pas sur les compacteurs ». Le tribunal y voit un élément corroborant les propos du travailleur quant à sa non-capacité d’être affecté à ce type de camion.

[105]     D’autre part, le tribunal est d’avis que la preuve prépondérante établit que dès le mois de juillet 2004, l’employeur et le travailleur avaient conclu une entente par laquelle ils convenaient, entres autres choses, de veiller à ne fournir au travailleur que des camions « à bucket », et ce , en vue de respecter ses limitations fonctionnelles.

[106]     À cet égard, le tribunal est d’avis que la CSST était, dès juillet 2004, bien au fait de l’existence d’une entente entre le travailleur et l’employeur et que celle-ci devait d’ailleurs être « modifiée », car les notes de l’agent Fleury en font état à plus d’une reprise au dossier.

[107]     Or le tribunal est d’avis que la CSST ne pouvait dès lors ignorer que par l’entente, on visait à prendre des mesures en vue de respecter les limitations fonctionnelles du travailleur. Peut-être la CSST ignorait-elle spécifiquement qu’à l’entente on précisait que l’employeur s’engageait à fournir au travailleur un camion « à bucket », mais il n’en demeure pas moins qu’elle savait que des mesures étaient mises en place par l’employeur en vue de respecter les limitations du travailleur. Le 1er novembre 2004, l’agent étant sans nouvelle, à savoir si l’entente a été modifiée, en conclut qu’elle l’a été et le 2 novembre 2004, il rend une décision concluant à la capacité du travailleur à reprendre son emploi en tenant compte « des mesures prises par votre employeur ».

[108]     De l’avis du tribunal, il est manifeste que même si l’on doit considérer que la CSST ignorait qu’une des clauses de l’entente mentionnait spécifiquement l’engagement de l’employeur à fournir un camion « à bucket » au travailleur, cette mesure faisait partie de celles jugées nécessaires pour que le travailleur puisse reprendre « son emploi » et, dans la mesure où la décision du 2 novembre 2004 parle des « mesures prises » par l’employeur, la Commission des lésions professionnelles considère que la CSST a reconnu l’application d’une telle mesure.

[109]     Ceci étant, le fait qu’en décembre 2008 l’employeur ait dû se départir de son dernier camion « à bucket », cinq ans après que le travailleur ait repris son travail (le 3 novembre 2003) sur des camions « à bucket » et près de quatre ans après la décision du 2 novembre 2004, cela permet-il au travailleur de demander, en septembre 2009, soit près de cinq ans après la décision du 2 novembre 2004, que l’on rouvre cette décision en raison de « circonstances nouvelles »?

[110]     Pour les motifs suivants, le tribunal ne le croit pas.

[111]     Le travailleur a soutenu, appuyé en cela par l’employeur, que la disparition des camions « à bucket » s’explique par un changement technologique. Alors qu’à l’époque de la lésion du travailleur le « standard » dans l’industrie de la collecte sélective semblait être celui des camions « à bucket », ce « standard » serait passé au camion à compacteur et telle était la situation en septembre 2008 chez l’employeur au moment où l’on informe le travailleur du retrait imminent du dernier camion « à bucket » , ce qui entrainera la fin d’emploi du travailleur.

[112]     Le travailleur a soutenu que la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi en septembre 2008 découlait de son impossibilité de l’affecter dorénavant à un camion « à bucket », le dernier de la flotte de l’employeur ayant été retiré en raison de sa désuétude, et que son affectation à un camion à compacteur n’était pas possible puisqu’un camion de ce type ne respecte pas les limitations fonctionnelles du travailleur.

[113]     Aussi, le tribunal constate que les parties ont bien pris soin de souligner que le « changement technologique » en question amène une impossibilité de respecter les limitations fonctionnelles et qu’il s’agit là d’une circonstance nouvelle au sens du paragraphe 2 de l’article 146 de la loi, permettant de rouvrir le PIR, et qu’il ne s’agit pas d’une « circonstance économique ».

[114]     Le tribunal a bien du mal a considérer que la fin d’emploi du travailleur, résultant du changement technologique en question dans l’industrie, ne découle pas tout simplement d’une problématique purement économique. En effet, le témoignage du travailleur a permis d’établir que l’arrivée sur le marché de camions à compacteur a permis une grande économie de temps dans le domaine de la collecte sélective dans la mesure où l’on peut emmagasiner davantage de matières dans un camion à compacteur, ce qui limite grandement la fréquence des retours au site en vue de décharger le camion.

[115]     De l’avis du tribunal, cela milite grandement pour expliquer en quoi les entreprises en ce domaine se sont tournées vers les camions à compacteur plutôt que vers les camions à bucket dans la constitution de leurs flottes de camions.

[116]     Par ailleurs, le tribunal note qu’à l’audience, on a passé sous silence le fait que la première réaction du travailleur après la terminaison de son emploi a été de déposer une plainte à l’encontre de son employeur, plainte dans laquelle il invoque principalement le choix de l’employeur de ne pas « racheter de camion à bucket ». De l’avis du tribunal, il semble que ce soit là un argument touchant davantage un choix de nature « économique » de la part de l’employeur plutôt qu’une véritable question de changement technologique ou de l’impossibilité de respecter des limitations fonctionnelles.

[117]     Enfin, force est de constater que l’argument du « changement technologique » n’est véritablement soumis qu’un an plus tard, en septembre 2009, lorsqu’un autre représentant du travailleur écrit à la CSST pour demander que l’on « rouvre le PIR du travailleur ».

[118]     Quoiqu’il en soit de ces constats, il demeure que selon la preuve offerte, il y a eu « changement technologique » en matière de camion servant à la collecte sélective et que seuls des camions à compacteur étaient disponibles chez l’employeur à compter de septembre 2008.

[119]     De l’avis du tribunal, même si l’on retenait que la raison de la terminaison d’emploi du travailleur s’explique en raison d’un « changement technologique », ce changement, en l’espèce, ne peut permettre de revoir la décision rendue le 2 novembre 2004 et de « rouvrir le PIR » du travailleur, tel que le demande le travailleur.

[120]      Le tribunal a précédemment indiqué le caractère « hybride » de la décision rendue le 2 novembre 2004. Pour les motifs énoncés précédemment, le tribunal voit dans cette décision un aspect directement lié au PIR lui-même, notamment lorsque l’on réfère à la mise en place par l’employeur de mesures permettant au travailleur d’exercer son emploi. Par ailleurs, cette décision en est également une qui détermine la capacité du travailleur à occuper un emploi, en l’occurrence, « son emploi ».

[121]     Par ailleurs, le tribunal est d’avis que d’un même souffle, la décision du 2 novembre 2004 se trouve à concrétiser l’ensemble des mesures envisagées par la CSST dans le cadre du PIR en question et se trouve à « fermer le PIR » en déterminant la capacité du travailleur à exercer son emploi.

[122]     Cette fermeture du PIR et sa mise en place effective se sont en effet réalisées par l’exercice du travailleur de son emploi, grâce aux mesures prévues à l’entente avec l’employeur en vue de respecter les limitations fonctionnelles du travailleur et elle s’est prolongée pendant les quatre années qui ont suivi.

[123]     La CSST a soutenu dans son argumentaire que « même si l’affectation du travailleur sur les camions « à bucket » avait fait partie du PIR du travailleur, ce qui n’est pas le cas en l’espèce à son avis, il n’aurait pu être question de modifier ce PIR dans le cadre de la demande adressée à la CSST en décembre 2009 puisque la décision de capacité était rendue. À ce sujet, la procureure de la CSST soutient que la jurisprudence du tribunal est à l’effet qu’un PIR ne peut être modifié que lorsqu’il est en cours et non après qu’une décision de capacité ait été rendue et elle cite une décision, l’affaire Abbes et Industries de plastique Transco Ltée[6].

[124]     De son côté, le représentant du travailleur souligne d’une part que la décision citée par la procureure de la CSST est toujours en contestation devant la Cour supérieure et, d’autre part, que la jurisprudence est partagée sur la question de la possibilité de rouvrir un PIR après qu’une décision de capacité ait été rendue. Le procureur cite et dépose de la jurisprudence au soutien de sa position[7] et indique notamment des exemples dans lesquels des changements technologiques survenus après qu’une décision de capacité ait été rendue ont permis de rouvrir le PIR qui avait été établi pour un travailleur[8].

[125]     Le tribunal est conscient qu’il existe une divergence au sein du tribunal sur cette question de la possibilité de rouvrir un PIR une fois qu’une décision de capacité a été rendue.

[126]     Le représentant du travailleur cite l’affaire Papin au soutien de sa position. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles a retenu qu’un plan de réadaptation professionnelle pouvait être modifié, au même titre qu’un plan de réadaptation sociale, pour tenir compte de circonstances nouvelles puisque la loi n’établit pas de période au cours de laquelle les circonstances nouvelles doivent nécessairement apparaître. Dans cette affaire, il a été déterminé que l’invention de robots de traite constituait « une circonstance nouvelle », au même titre que le départ à la retraite du père du travailleur, une ressource essentielle aux opérations agricoles de l’entreprise familiale, et qu’il y avait donc lieu de modifier le plan individualisé de réadaptation professionnelle du travailleur ayant déterminé l'emploi convenable de journalier de ferme et de reconnaître qu'il a droit à l'acquisition et à l'installation d'un robot de traite à la ferme familiale sur laquelle il travaille afin de lui permettre d'exercer un emploi se rapprochant davantage de celui qu'il occupait au moment de sa lésion professionnelle.

[127]     Le tribunal constate que l’article 146 (2) de la loi n’édicte en effet aucun délai entourant la possibilité pour la CSST de rouvrir un PIR en raison de circonstances nouvelles, tel que l’indique le tribunal dans l’affaire Papin.

[128]     Par ailleurs, dans l’affaire Abbes, sur laquelle s’appuie la CSST, le juge Beaudoin en est arrivé au même constat, à savoir l’absence de délai à l’article 146 (2) de la loi, mais le juge en arrive néanmoins à la conclusion qu’il n’y a pas lieu de rouvrir un PIR une fois qu’une décision de capacité a été rendue. Le juge Beaudoin écrit ceci :

[35] […] En l’instance, le travailleur a pu bénéficier d’un plan de réadaptation professionnelle qui a mené à la décision rendue le 13 juin 2006 déterminant la capacité du travailleur d’exercer l’emploi convenable déterminé et qui est maintenant finale.

 

[36]  Jusqu’à quand peut-on modifier un plan individualisé de réadaptation ?

 

[37]  Il est clair que la loi ne prévoit pas de délai, soit dans l’article 146, soit dans les articles de ce chapitre de la loi. Est-ce que l’absence de délai permet de conclure que l’on peut modifier le plan en tout temps ?

 

[38]  La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles a déjà procédé à l’analyse de ces circonstances nouvelles, deux ans après une décision de capacité d’exercer l’emploi convenable5, sans s’interroger sur un délai éventuel pour modifier ce plan individualisé de réadaptation.

 

[39]  Peu de décisions de la Commission des lésions professionnelles ont posé la question spécifiquement et ont proposé une réponse à cette question.

 

[40]  Dans l’affaire Vallée et Services Matrec inc.6, la Commission des lésions professionnelles écrit :

 

[48]      Comme l’ont soumis les représentants de l’employeur et de la CSST, la Commission des lésions professionnelles est également d’avis que l’article 146, alinéa 2 de la Loi ne peut être invoqué que lorsqu’un programme de réadaptation est en cours.  Cet article ne peut plus être invoqué une fois le programme complété et qu’un emploi convenable est retenu par une décision de la CSST qui détermine également la date de capacité à exercer cet emploi.

 

[49]      Cette interprétation de l’article 146 de la Loi avait déjà été retenue par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles à l’effet qu’un travailleur ne peut remettre en question, par le biais de l’article 146 de la Loi, une décision déterminant un emploi convenable rendue par la CSST antérieurement et qui est devenue finale2. Cette interprétation a été reprise par la Commission des lésions professionnelles, notamment dans l’affaire Cambior inc.-Géant Dormant et Fournier et CSST3. Dans cette décision, la Commission des lésions professionnelles rappelait que la circonstance nouvelle prévue à l’article 146 de la Loi devait nécessairement se rapporter au plan individualisé de réadaptation lui-même et non pas être utilisée comme un instrument indirect d’une contestation d’un emploi convenable déterminé et non contesté.

____________________________________________________

(2) Dubé et Services de béton universels ltée et CSST, C.A.L.P. 67006-60-9502, 1996-07-

     29, Me Joëlle L’Heureux.

(3) C.L.P. 119236-08-9906, 2002-01-15, Me Alain Suicco

 

[41]  La Commission des lésions professionnelles a identifié deux décisions de Bureaux de révision paritaires qui se sont spécifiquement prononcées sur la question du délai pour demander une modification du programme individualisé de réadaptation.

 

[42]  Dans l’affaire Roy et Enerchem Transport inc.7, Me Blanchard, maintenant commissaire à la Commission des lésions professionnelles, pour le Bureau de révision, écrit :

 

Concernant la deuxième demande de la représentante, le Bureau de révision ne peut non plus y faire droit. Se basant sur l’article 146 de la Loi, celle-ci demande que la C.S.S.T. rembourse des soins de psychologie et de biofeedback au travailleur. Or, s’il est vrai que l’article 146 de la Loi prévoit qu’on peut modifier un plan de réadaptation, il n’y a de modification que lors de circonstances nouvelles et le Bureau de révision est d’avis que la modification ne peut prévaloir qu’en cours de plan et non après que le plan soit finalisé8.

 

[43]  L’appel de cette décision est rejeté par la Commission des lésions professionnelles9. Il n’y a cependant pas de discussion de cette interprétation.

 

[44]  Dans la décision Gagnon et Derko ltée10, Me Jobidon, maintenant commissaire à la Commission des lésions professionnelles, écrit, pour le Bureau de révision :

 

Le Bureau de révision tient d’abord à souligner que l’élaboration d’un plan individualisé de réadaptation est un processus comportant des tenants et aboutissants et qu’il ne peut s’étirer indéfiniment dans le temps. En effet, ce processus s’enclenchera lorsque la CSST reconnaît à un travailleur le droit à la réadaptation, selon les conditions d’ouverture prévues à l’article 145 de la loi. Ce processus de réadaptation prendra fin lors de la décision de capacité à exercer l’emploi convenable retenu. À l’intérieur du processus de réadaptation, des circonstances nouvelles peuvent survenir et donner ouverture à la reconsidération du plan individualisé de réadaptation, comme le prévoit l’article 146 de la loi. En dehors de ce contexte, le législateur n’a prévu aucune façon de reconsidérer le plan de réadaptation. Il n’est donc absolument pas question de modifier le plan de réadaptation quatre ans après la détermination de l’emploi convenable, ne serait-ce qu’au nom du principe de la stabilité des décisions11.

 

[45]  Cette décision est confirmée par une décision de la Commission des lésions professionnelles12. Ce point n’est cependant pas discuté.

 

[46]  La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le plan individualisé de réadaptation ne peut être modifié que lorsqu’il est en cours. Les circonstances nouvelles doivent se produire lorsque ce plan est en cours de réalisation. Lorsque le plan est réalisé, on ne peut penser à le modifier. »

            (5) Précitée, note 1.

                (6) C.L.P. 189418-62-0208, 7 janvier 2003, Me L. Vallières.

                (7) [1996] B.R.P. 806 .

                (8) Idem, p. 809.

                (9) C.A.L.P. 82219-62B-9608, 15 mars 1999, Me J.-G. Raymond.

                (10) [1997] B.R.P. 142 .

                (11) Idem, p. 144.

                (12) [1998] C.L.P. 524 .

 

 

[129]     Le tribunal partage l’interrogation fondamentale que pose le juge Beaudoin lorsqu’il s’interroge à savoir « jusqu’à quand un plan de réadaptation pourra être revu » et sur le fait que, «  l’absence de délai à l’article 146(2) permet-il de conclure qu’un PIR peut être revu en tout temps? ».

[130]     En l’espèce, le tribunal retient de la preuve que le travailleur a repris son travail sur un camion à bucket en avril 2003, de façon progressive, alors que la CSST mettait en place les premières mesures du plan de réadaptation du travailleur, à savoir l’évaluation de son poste et de sa capacité à exercer son emploi. En raison des limitations fonctionnelles qu’il conserve de sa lésion, l’employeur a confirmé, dans une entente avec le travailleur en juillet 2004, qu’il s’engageait à lui fournir un camion de ce type en vue de respecter les limitations fonctionnelles établies, en sus d’autres mesures. Le 2 novembre 2004, la CSST a rendu la décision ici en litige que le travailleur veut voir « rouvrir », et le travailleur a, dans les faits, occupé son emploi, toujours sur un camion « à bucket » que lui a fourni l’employeur, jusqu’en décembre 2008. À ce moment, le dernier camion « à bucket » de la flotte de l’employeur devant être retiré, on informe le travailleur qu’on ne pourra plus lui offrir un tel camion et que par ailleurs, les camions maintenant disponibles, « à compacteur », ne respectent pas les limitations fonctionnelles du travailleur.

[131]     Il s’est donc écoulé au moins quatre ans avant qu’en raison du changement technologique invoqué (le passage des camions « à bucket » aux camions à compacteur), l’employeur ne puisse plus « respecter les limitations fonctionnelles du travailleur » et près de cinq ans avant que le travailleur ne demande de « rouvrir son PIR » pour cette raison.

[132]     Le soussigné partage l’avis du juge Beaudoin dans l’affaire Abbes et tel que ce juge le soulignait, bien qu’aucun délai ne soit prévu à l’article 146(2) de la loi, il n’y a pas lieu de rouvrir un PIR qui n’est plus en cours, c'est-à-dire après qu’une décision de capacité ait été rendue.

[133]     En l’espèce, tel que mentionné précédemment, le tribunal considère que les mesures prises par l’employeur « incluaient » la fourniture d’un camion à chargement latéral pour le travailleur parmi les mesures visant à respecter les limitations fonctionnelles du travailleur. De même, le tribunal est d’avis que cette même mesure faisait partie du PIR du travailleur, tel qu’édicté par la décision du 2 novembre 2004.

[134]     Toutefois, le tribunal a aussi déterminé que par cette même décision du 2 novembre 2004, la CSST a « fermé le PIR » du travailleur lorsqu’elle a du même souffle déterminé que monsieur Jetté était capable d’occuper son emploi « en tenant compte des mesures mises en place par son employeur ».

[135]     Ainsi, de l’avis du tribunal, le PIR du travailleur « n’était plus en cours » après le 2 novembre 2004 et dans la réalité des choses, le travailleur occupait véritablement son emploi, à tout le moins celui que lui permettait d’occuper les mesures mises en place par son PIR. Il en a été ainsi jusqu’en décembre 2008.

[136]     Le soussigné préfère l’interprétation retenue dans l’affaire Abbes à celle de l’affaire Papin sur laquelle s’appuie le travailleur. De l’avis du soussigné, permettre de rouvrir un PIR après qu’une décision de capacité ait été rendue au terme de mesures adoptées dans le cadre du PIR, qu’il s’agisse d’une décision visant la capacité à occuper l’emploi prélésionnel, un emploi équivalent ou un emploi convenable, ouvre la porte à l’arbitraire, notamment en ce qui a trait à la notion de « délai » pour demander à rouvrir un PIR, qui ne serait plus « en cours d’élaboration ».

[137]     Pour paraphraser les propos du juge Beaudoin dans l’affaire Abbès, jusqu’à quand un PIR pourrait-il être rouvert pour de telles « circonstances nouvelles », furent-elles attribuables à des changements technologiques? Deux ans, cinq ans, dix ans, vingt-cinq ans?

[138]     En l’espèce, la circonstance nouvelle, le « changement technologique » du passage aux camions à compacteur, s’est « matérialisée » lors du retrait du dernier camion à bucket de la flotte de l’employeur en décembre 2008. Si, par hypothèse, le dernier camion avait pu être attribué au travailleur, disons jusqu’en 2014, devrions-nous considérer qu’il y a lieu de revoir le plan du travailleur après dix ans de son élaboration? Qu’en serait-il d’un travailleur également victime d’une lésion professionnelle chez un autre employeur, ayant conservé des séquelles semblables, mais dont l’entreprise aurait pu fournir un camion « à bucket » pendant seulement trois mois, ou encore pendant quinze ans?

[139]     Le tribunal est conscient qu’il n’y a pas de délai mentionné à l’article 146(2) de la loi, mais néanmoins, la CSST doit mettre en branle un processus de réadaptation dynamique et susceptible d’apporter au travailleur victime d’une lésion professionnelle de l’aide en vue de réparer les conséquences découlant de sa lésion.

[140]     C’est ce qu’a fait la CSST dès le printemps 2003 alors que la lésion du travailleur n’était pas encore consolidée. Les démarches d’évaluation de poste ont permis d’établir que le travailleur conserverait de sa lésion des limitations fonctionnelles. On a ensuite reconnu que des mesures prises par l’employeur permettraient de respecter les limitations fonctionnelles en question et l’on a déterminé une capacité à reprendre l’emploi régulier, moyennant la mise en application des mesures prises.

[141]     Par le biais de l’élaboration d’un PIR, en ce qui a trait à la réadaptation professionnelle, la CSST doit d’abord viser à rendre le travailleur victime d’une lésion professionnelle capable de reprendre son emploi, ou, à défaut, un emploi équivalent ou convenable chez son employeur ou, ultimement, un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail.

[142]     Une fois les mesures élaborées par le PIR mises en place et ayant mené à une décision de capacité, le tribunal est d’avis qu’on ne saurait ensuite demander de rouvrir ce PIR au motif que des circonstances nouvelles sont survenues. Pour le soussigné, la survenue de circonstances nouvelles ne peuvent être invoquée que dans le cadre de l’élaboration du PIR lui-même, c’est-à-dire que lorsque le PIR est en cours d’élaboration.

[143]     En l’espèce, on parle d’un délai de cinq ans avant que le travailleur n’invoque qu’en raison du changement technologique dans l’industrie de la collecte sélective, son employeur n’a pu continuer à lui fournir un camion « à bucket », respectant ses limitations fonctionnelles.

[144]     Par ailleurs, il est manifeste que les mesures prises par l’employeur en vue de respecter les limitations fonctionnelles du travailleur, principalement de lui fournir un camion « à bucket », s’inscrivent nettement dans un contexte d’accommodement consenti au travailleur, accommodement dont monsieur Jetté ne s’est évidemment pas plaint jusqu’à ce qu’en décembre 2008, l’accommodement ne puisse continuer.

[145]     Faire droit à la demande du travailleur aurait, de l’avis du tribunal, pour conséquence d’ouvrir la porte à des demandes de réouverture de PIR dès qu’au fil du temps qui passe, un changement technologique entraîne, pour un travailleur, la terminaison d’un emploi déterminé par la CSST dans le cadre du droit à la réadaptation, emploi par ailleurs occupé par le travailleur dès l’application la décision de capacité le concernant.

[146]     La jurisprudence enseigne qu’un travailleur ne bénéficie pas de la garantie ou de la pérennité d’un « emploi convenable » déterminé pour lui par la CSST dans le cadre de la réadaptation professionnelle et que, comme toute autre personne sur le marché du travail, un tel emploi convenable qu’occupe un travailleur à la suite d’une lésion professionnelle peut se terminer pour diverses raisons liées aux aléas du marché du travail[9]. De l’avis du soussigné, des changements technologiques peuvent entraîner de telles conséquences à l’égard de tout travailleur, fut-il au travail dans le cadre d’un droit reconnu à la réadaptation professionnelle.

[147]     En l’espèce, on ne peut dire que dans la décision du 2 novembre 2004, la CSST a déterminé pour le travailleur un « emploi convenable ». Toutefois, par analogie avec les principes établis en cette matière, le tribunal est d’avis que monsieur Jetté s’est retrouvé dans la même position qu’une autre personne à qui l’employeur n’aurait pu continuer à fournir un camion « à bucket ». De l’avis du tribunal, la plate et dure réalité des choses, c’est qu’après cinq ans d’accommodement de la situation du travailleur à la suite de sa lésion professionnelle, l’employeur s’est vu dans l’obligation de mettre fin à son emploi.

[148]     Pour l’ensemble de ces motifs, la Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que la requête du travailleur doit être rejetée.

 

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête du travailleur déposée le 18 janvier 2010;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 10 décembre 2009 lors d’une révision administrative;

DÉCLARE que la CSST est justifiée de refuser de donner suite à la demande du travailleur du 29 septembre 2009 par laquelle il désire voir rouvrir son plan individualisé de réadaptation établi en 2004.

 

 

 

__________________________________

 

Michel Watkins

 

 

 

 

Me Martin Savoie

TEAMSTERS QUÉBEC (C.C. 914)

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Francine Legault

HEENAN BLAIKIE

Représentante de la partie intéressée

 

 

Me Karine Savard

VIGNEAULT THIBODEAU GIARD

Représentante de la partie intervenante

 



[1] Note du tribunal : tel qu’il appert des notes de l’agent Fleury des 29 avril et 1er mai 2003.

[2] Note du tribunal : tel qu’il appert de la note du 3 novembre 2003 de l’agente Poisson.

[3] Note du tribunal : tel qu’il appert de la note de l’agent Fleury du 20 août 2004.

[4] Note du tribunal : tel qu’il appert de la note de l’agent du même jour.

[5] L.R.Q. c. A-3.001

[6] C.L.P. 317165-62-0705, 18 février 2008, R.L. Beaudoin; requête en révision rejetée 2 novembre 2009,

C. Racine. Voir aussi : Dubé et Service de béton Universel ltée, C.A.L.P.67006-60-9502, 29 juillet 1996,

J. L'Heureux; Vallée et Services Matrec inc., C.L.P.189418-62-0208, 7 janvier 2003, L. Vallières.

 

 

[7] Papin et Ferme Francel enr, [2008] C.L.P. 66 , révision rejetée, 12 février 2009, S. Moreau, révision judiciaire rejetée, C.S. Joliette, 705-17-002942-090, 26 octobre 2009, j. Riordan ; Voir dans le même sens : Carrière et Béton de la 344 inc, C.L.P.185806-64-0206, 22 août 2002, R. Daniel;

[8] Soucy et Alimentation Pierre Guay inc, C.L.P. 239586-71-0407, 26 avril 2005, H. Rivard; Papin, supra note 7.

 

 

[9] Abbes, supra note 6; Béland et Barrette-Chapais ltée, [2004] C.L.P. 865 ; Dans le même sens : McRae et Industries C.P.S. inc., C.L.P.172570-72-0111, 11 juillet 2002, D. Lévesque; Bélanger et Métallurgie Noranda inc., C.L.P.141684-08-0006, 6 janvier 2001, P. Prégent.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.