Décision

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Sorotsky et Fûts Industriels IDL ltée

2008 QCCLP 3310

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

9 juin 2008

 

Région :

Laval

 

Dossiers :

312806-61-0703      312807-61-0703      324830-61-0708 326886-61-0709      340396-61-0802

 

Dossier CSST :

126535905

 

Commissaire :

Ginette Morin

 

Membres :

Paul Duchesne, associations d’employeurs

 

Daniel Flynn, associations syndicales

 

Assesseur :

 

Pierre Taillon, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Gennady Sorotsky

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Fûts Industriels IDL ltée

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 312806-61-0703

[1]                Le 19 mars 2007, le travailleur, monsieur Gennady Sorotsky, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 8 mars 2007 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 9 novembre 2006 et déclare que le nouveau diagnostic d’hypertension artérielle n’est pas relié à la lésion professionnelle qu’a subie monsieur Sorotsky le 12 août 2004.

Dossier 312807-61-0703

[3]                Le 19 mars 2007, monsieur Sorotsky dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 8 mars 2007 à la suite d’une révision administrative.

[4]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 17 novembre 2006 et déclare que monsieur Sorotsky n’a pas droit au remboursement des frais qu’il a dû engager pour ses transports par ambulance le 30 août 2006.

Dossier 324830-61-0708

[5]                Le 7 août 2007, monsieur Sorotsky dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 24 juillet 2007 à la suite d’une révision administrative.

[6]                Par cette décision, la CSST confirme celles qu’elle a initialement rendues les 7 et 8 juin 2007 donnant suite à l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale émis le 3 mai 2007; elle déclare que la lésion professionnelle dont a été victime monsieur Sorotsky le 12 août 2004 est consolidée le 25 avril 2007, sans nécessité de soins ou traitements additionnels, et qu’il en résulte une atteinte permanente à l’intégrité physique de 35,45 % de même que des limitations fonctionnelles; elle déclare aussi que monsieur Sorotsky a droit à une indemnité pour préjudice corporel de 25 048,62 $ et qu’il continue d’avoir droit à une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’une décision statuant sur sa capacité de travail soit rendue.

Dossier 326886-61-0709

[7]                Le 5 septembre 2007, monsieur Sorotsky dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 22 août 2007 à la suite d’une révision administrative.

[8]                Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision de monsieur Sorotsky du 12 mars 2007 concernant sa décision du 16 septembre 2004 parce qu’elle n’a pas été faite dans le délai prévu par l’article 358 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et qu’aucun motif raisonnable n’explique le défaut de ce travailleur d’avoir respecté ce délai.

[9]                La décision du 16 septembre 2004 en est une qui, sous la forme d’un avis de paiement, informe monsieur Sorotsky que le montant de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle il a droit à la suite de sa lésion professionnelle du 12 août 2004 est établi en tenant compte d’un revenu brut annuel d’emploi de 48 581 $ et du fait qu’il a un enfant à charge.

Dossier 340396-61-0802

[10]           Le 19 février 2008, monsieur Sorotsky dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 7 février 2008 à la suite d’une révision administrative.

[11]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 15 novembre 2007 et déclare que monsieur Sorotsky n’a pas droit au remboursement des frais liés à l’achat d’un appareil de stimulation magnétique répétitive « Magnapulse ».

[12]           Monsieur Sorotsky est présent à l’audience qui s’est tenue à Laval le 17 mars 2008 et il est représenté. L’employeur, Fûts Industriels IDL ltée, n’est pas représenté à cette audience. La CSST est partie intervenante, mais elle a avisé le tribunal qu’elle ne serait pas représentée à l’audience.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

[13]           Monsieur Sorotsky demande de déclarer que l’hypertension artérielle diagnostiquée chez lui est reliée à la lésion professionnelle dont il a été victime le 12 août 2004.

[14]           Il demande aussi de déclarer que sa lésion professionnelle a entraîné l’atteinte permanente à l’intégrité physique déterminée par le docteur Yves Bergeron, physiatre, dans son expertise médicale du 21 décembre 2007 et qu’il a droit à une indemnité pour préjudice corporel dont le montant tient compte de cette atteinte. Il ne conteste pas les autres conclusions médicales retenues par le membre du Bureau d’évaluation médicale dans son avis du 3 mai 2007.

[15]           Monsieur Sorotsky demande également de déclare que sa demande de révision du 12 mars 2007 concernant la décision du 16 septembre 2004 est recevable puisqu’un motif raisonnable explique le fait qu’il n’a pu présenter celle-ci dans le délai prévu à la loi. Sur le fond, il demande de déclarer que l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle il a droit depuis la survenance de sa lésion professionnelle du mois d’août 2004 doit être calculée en tenant compte du fait que sa conjointe est une personne à sa charge.

[16]           Monsieur Sorotsky demande en dernier lieu de déclarer qu’il a droit d’être remboursé des frais liés à l’achat d’un appareil de stimulation magnétique répétitive et de ceux liés à son transport par ambulance le 30 août 2006.

LES FAITS

[17]           Le 12 août 2004, dans l’exercice de son travail de mécanicien, monsieur Sorotsky subit un accident du travail au cours duquel il se blesse au muscle pectoral gauche. Cette blessure survient lorsqu’il est subitement projeté sur la machine qu’il réparait et ce, au moment où l’échelle dans laquelle il est monté pour faire cette réparation se déstabilise.

[18]           Une échographie faite à la suite de cet événement montre une « déchirure complète ou presque complète du tendon pectoral près de son insertion à l’humérus proximal avec refoulement du tendon et du muscle pectoral vers le côté interne ».

[19]           Le 17 septembre 2004, le docteur David Baillargeon, orthopédiste, procède à la transposition et à la réparation de ce tendon, mais après une période d’immobilisation, une résonance magnétique montre « une rupture complète du grand pectoral, qui touche tant le chef claviculaire que le chef antérieur, et qui s’accompagne d’une rétraction tendineuse sévère et d’une collection liquidienne dans le lit musculo-tendineux de la déchirure ». Le 14 mars 2005, le docteur Baillargeon procède donc à une révision de reconstruction et à une transposition du tendon pectoral gauche avec prise d’auto-greffe du tendon gracilis ischio-jambier gauche.

[20]           Ces chirurgies n’améliorent pas la condition de monsieur Sorotsky, laquelle se caractérise principalement par un phénomène douloureux résiduel et des spasmes sévères au niveau du grand pectoral. Plusieurs traitements sont tentés pour soulager monsieur Sorotsky, dont plusieurs blocs sympathiques et de fortes doses de relaxants musculaires, mais sans succès.

[21]           En février 2006, à la suite d’une discussion du cas de monsieur Sorotsky avec une équipe de chirurgiens orthopédistes de l’hôpital Cité de la santé de Laval, le docteur Baillargeon retient que les spasmes qui affectent monsieur Sorotsky sont attribuables à une plexopathie post-traumatique, lesquels seraient même responsables de la seconde rupture du tendon grand pectoral étant donné leur intensité. Il conclut qu’il n’a plus, en tant qu’orthopédiste, de traitements à offrir à monsieur Sorotsky et il dirige ce dernier en physiatrie. C’est le docteur Denis Duranleau, physiatre rattaché à l’Institut de réadaptation de Montréal, qui prend charge de monsieur Sorotsky.

[22]           À titre de médecin désigné de la CSST, le docteur Claude Lamarre, orthopédiste, conclut que la lésion professionnelle de ce travailleur est consolidée au jour de son examen, soit le 10 août 2006, mais qu’une investigation en neurologie est nécessaire pour déterminer la cause des symptômes qu’il continue de présenter, soit principalement d’importants spasmes au niveau du grand pectoral gauche de même qu’une perte de mobilité complète de tout le membre supérieur gauche. Le docteur Lamarre conclut aussi que c’est un déficit anatomo-physiologique de 6 % qui doit être octroyé pour la lésion subie par monsieur Sorotsky et ce, en s’exprimant comme suit :

« Cette atteinte de déchirure du tendon du grand pectoral n’est pas explicitée directement dans le barème mais correspond à une paralysie complète du nerf thoracique antérieur ou du nerf pectoral et correspond à :

 

                                                                                  112862             DAP 4%

 

Il y a une atteinte des tissus mous au niveau du membre inférieur gauche causée par la chirurgie pour la prise de greffon, ce qui correspond à :

 

                                                                                  103499             DAP 2 %

Préjudice esthétique :

 

cicatrice jambe gauche 5 cm x 1 mm de large                224402             PE 0,5 %

 

cicatrice bras gauche 12 cm x 3 mm de large                 224233             PE 1,8% »

 

 

[23]           Au chapitre de son examen physique, le docteur Lamarre indique ce qui suit au sujet des cicatrices :

« J’ai mesuré quand même les cicatrices. La cicatrice au niveau du bras gauche mesure 12cm x 3 mm de large à la partie antéro-interne de son bras gauche. La cicatrice au niveau de la partie antérieure de la jambe gauche mesure 3 cm x 1 mm de large; elle est de bonne qualité. »

 

 

[24]           Il note aussi qu’il n’y a pas d’atrophie au niveau du membre supérieur gauche, mais qu’il y a modification de la couleur et de la température au niveau de la main. Il note de plus qu’il observe la présence de spasmes au niveau du grand pectoral et une perte complète de la mobilité du membre supérieur gauche.

[25]           Le matin du 30 août 2006, monsieur Sorotsky est transporté par ambulance de sa résidence au Centre hospitalier Sacré-Cœur et, plus tard dans la journée, il est de nouveau transporté par ambulance de l’Institut de réadaptation de Montréal à l’Hôpital Général Juif Sir Mortimer B. Davis.

[26]           La CSST refuse de rembourser à monsieur Sorotsky les frais qu’il a dû engager pour ces transports étant donné l’absence d’une ordonnance d’un médecin attestant de leur nécessité, d’où l’objet d’un premier litige.

[27]           Un généraliste que monsieur Sorostky voit le 25 septembre 2006, soit le docteur Bruno Bélanger, pose les diagnostics de douleur chronique et d’« hypertension artérielle de novo ». Les 10 et 24 octobre suivants, ce médecin indique à ses rapports médicaux que monsieur Sorotsky souffre d’une hypertension secondaire à des douleurs chroniques.

[28]           Dans une lettre datée du 24 novembre 2006, le docteur Duranleau s’exprime comme suit au sujet de cette hypertension :

« Il s’agit d’un patient que nous avons vu en date du 14 novembre 2006. Il a des douleurs très aiguës et très importantes avec des sensations de paresthésie au niveau de tout le membre supérieur gauche, secondaire à sa rupture du grand pectoral gauche.

 

[…]

 

Évidemment ce patient est en invalidité totale et permanente, il ne pourra jamais faire de travail rémunérateur et suite à cette douleur continuelle, il a probablement développé une hypertension artérielle. » [sic]

 

 

[29]           La CSST refuse de reconnaître que cette hypertension est reliée à la lésion professionnelle de monsieur Sorotsky, d’où l’objet d’un second litige.

[30]           Dans une expertise médicale qu’il fait le 8 janvier 2007 à la demande de la CSST, le docteur Jacques Lachapelle, neurologue, conclut que les douleurs et les spasmes que monsieur Sorotsky présentent ne sont pas expliqués par une lésion neurologique. Il conclut donc à la consolidation de la lésion au jour de son expertise, sans atteinte permanente à l’intégrité physique.

[31]           Le docteur Lachapelle indique à son expertise médicale que l’examen de la mobilité du membre supérieur est impossible en raison du phénomène douloureux et que les masses musculaires de la région antérieure de l’épaule et du thorax supérieur gauches se contractent plusieurs fois par minute. Il indique aussi qu’il n’observe pas d’atrophie au niveau du membre supérieur gauche.

[32]           Dans un rapport médical qu’elle produit le 18 janvier 2007, la docteure Nicole Beaudoin, physiatre, indique qu’elle a vu monsieur Sorotsky à la demande du docteur Duranleau et qu’elle considère qu’il y a chez celui-ci des discordances majeures. Elle indique aussi que le syndrome douloureux au niveau du membre supérieur gauche dont souffre monsieur Sorotsky ne peut pas être associé à un syndrome douloureux régional complexe et que les spasmes au niveau du grand pectoral gauche sont probablement de type myoclonique. Elle indique également qu’elle suggère la prise d’un médicament dont l’essai n’a pas encore été fait.

[33]           La docteure Beaudoin indique à ses notes cliniques qu’elle n’a pu faire l’examen de la mobilité du membre supérieur gauche en raison de l’importance du phénomène douloureux allégué par monsieur Sorotsky et que la palpation du pectoral gauche provoque des spasmes de type myoclonique. Elle indique de plus que l’avant-bras et la main gauches sont maintenus en supination et que, dans ce contexte, le port d’une montre au poignet gauche est étonnant.

[34]           En mars 2007, le docteur Duranleau dirige monsieur Sorotsky vers le docteur Daniel Gendron, neurologue spécialiste de la dystonie. Au jour de l’audience, monsieur Sorotsky n’avait toutefois pas encore été examiné par ce médecin.

[35]           Dans une lettre qu’il rédige en date du 30 avril 2007, le docteur Duranleau s’exprime comme suit au sujet des séquelles permanentes qui résultent de la lésion professionnelle de monsieur Sorotsky :

« De façon approximative, nous évaluons le degré d’atteinte professionnelle de ce patient selon le barème de la CSST aujourd’hui le 17 avril 2007 pour une ankylose complète de l’épaule gauche à 35 %, une ankylose complète du coude gauche avec prosupination conservée donc environ 30 % et sa perte dans le siège articulaire totale au niveau de sa cheville d’environ 30 % des mouvements.

 

Donc la valeur totale est d’environ 70 % de déficit anatomo-physiologique de façon très approximative bien sûr. Si on compte la cicatrice en sus, le préjudice esthétique pour les cicatrices vicieuses au niveau du thorax supérieur gauche est de 12 cm au niveau du tronc supérieur gauche, la cicatrice est de 0,5 % par cm carré, ce qui équivaut à 6 % de plus et au niveau du membre inférieur gauche, la cicatrice est de 5 cm, ce qui équivaut à 5 % de plus. Donc au total 81 %. »

 

 

[36]           Dans l’avis qu’il rend le 3 mai 2007 à titre d’orthopédiste membre du Bureau d’évaluation médicale, le docteur David Wiltshire conclut que la lésion professionnelle de monsieur Sorotsky est consolidée au jour de son examen, soit en date du 25 avril 2007, et que des soins ou traitements additionnels ne sont plus nécessaires. Il conclut aussi que cette lésion a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique de même que des limitations fonctionnelles de classe 4 selon l’Institut de recherche en santé et en sécurité du travail.

[37]           Le docteur Wiltshire note ce qui suit au sujet de l’examen du membre supérieur gauche de monsieur Sorotsky :

« À l’épaule gauche, il y a une cicatrice de 11 cm de longueur par 1 cm de largeur à la face antérieure de l’espace delto pectoral et ceci suite aux deux chirurgies pour réparation du muscle pectoral gauche. Cette cicatrice est rouge, légèrement élevée et le travailleur se plaint de sensibilité provoquée par la palpation à ce niveau.

 

Il y a rétraction évidente du muscle grand pectoral gauche en médial. La palpation de ce muscle provoque des plaintes de sensibilité sévères et il y a contraction involontaire de ce muscle provoqué par la palpation, par n’importe quel mouvement du membre supérieur gauche et même spontanément au repos.

 

Le bras gauche est gardé près du thorax et il est impossible d’effectuer des mouvements passifs de l’épaule, du coude, du poignet ni de la main gauches à cause des plaintes de douleur au pectoral gauche provoquée par n’importe quelle tentative de mouvement.

 

De façon active, je note que le coude gauche garde une position de 30° de flexion et occasionnellement, il est à 90° de flexion. L’avant-bras gauche est gardé en demi-supination. Le travailleur porte une montre au poignet gauche, il ne peut pas la voir avec le bras en demi-supination mais son épouse dit qu’occasionnellement, il peut faire une demi-pronation de l’avant-bras gauche pour la voir.

 

La température de la main gauche est beaucoup plus froide que la main droite.

 

Ceci n’a pas changé pendant l’examen. Je note aussi une sudation qui me semble un peu plus excessive que du côté droit. La condition des ongles est bien maintenue. La pilosité de la main gauche est symétrique au côté droit.

 

[…]

 

Je ne trouve aucune atrophie musculaire au niveau des membres supérieurs. »

 

 

[38]           Au sujet de la cicatrice au membre inférieur gauche, le docteur Wiltshire indique ce qui suit :

« Au niveau du genou gauche, je note une cicatrice de 5 cm de longueur par 0,5 cm de largeur à la face interne du tibia gauche et ceci suit le prolongement du tendon grascilus. »

 

 

[39]           Le docteur Wiltshire conclut que monsieur Sorotsky conserve comme séquelles permanentes une atteinte des tissus mous des membres supérieur et inférieur gauches. Il conclut aussi que ce travailleur demeure avec une dysfonction du membre supérieur gauche et que ce phénomène doit être indemnisé en octroyant, par analogie, le déficit anatomo-physiologique prévu au Règlement sur le barème des dommages corporels[2] (le barème) pour un syndrome post-phlébitique. Il estime qu’il n’y a pas lieu d’indemniser la perte de mobilité de ce membre supérieur en octroyant les déficits anatomo-physiologiques prévus au barème pour les ankyloses parce qu’il s’agit d’une perte de mobilité qui est antalgique et non pas consécutive à une lésion précise.

[40]           Le docteur Wiltshire évalue donc ainsi l’atteinte permanente à l’intégrité physique qui résulte de la lésion professionnelle de monsieur Sorotsky :

« 4.      ATTEINTE OU POURCENTAGE D’ATTEINTE PERMANENTE À L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE

 

Code                                       Description                                                                 DAP

 

112 862                        Déchirure du tendon du grand pectoral gauche

                                               (correspondant à une paralysie complète du nerf

                                               pectoral gauche)                                                          4 %

 

121 157                        Par analogie, dysfonction chronique membre

                                               supérieur gauche, syndrome post-phlébitique sévère

                                               non contrôlé par un traitement médical usuel avec

                                               troubles trophiques sans ulcération                                15 %

 

103 499                        Atteinte des tissus mous au membre inférieur

                                               gauche avec séquelles fonctionnelles                             2 %

 

Préjudice esthétique :

 

224 402                        Cicatrice à la jambe gauche de 2,5 cm carré apparente   2,5 %

 

224 233                        Atteinte cicatricielle apparente à l’épaule gauche de

                                               de 11 cm carré                                                             5,5 % »

 

 

[41]           Le troisième litige naît de la décision par laquelle la CSST donne suite à cet avis du docteur Wiltshire sur la question du pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique.

[42]           Monsieur Sorotsky demande de retenir plutôt l’opinion exprimée par le docteur Bergeron, physiatre, dans son expertise médicale du 21 décembre 2007 et selon laquelle c’est un déficit anatomo-physiologique de 70 % et un préjudice esthétique de 5,5 % qu’il faut reconnaître étant donné la nature des séquelles qu’il conserve de sa lésion professionnelle. Le docteur Bergeron s’exprime comme suit dans cette expertise :

 

 

VI-       DISCUSSION

 

« VI.1   Atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique

 

Au membre supérieur gauche, conformément au barème des dommages corporels, nous devons évaluer donc l’atteinte des tissus mous, l’ankylose résiduelle et cette douleur permanente nécessitant l’emploi de méthadone, Gabapentin et Clonazépam.

 

Dans un premier temps, nous suggérons une atteinte des tissus mous du membre supérieur lorsque les séquelles ne sont pas déjà prévues au barème :

 

Avec séquelles fonctionnelles de plus, se référer au tableau des ankyloses

 

-          code 102383 : DAP 2 % (page 32)

 

Ankyloses permanentes au niveau de l’épaule :

Complète en position de fonction

 

-          code 104719 : DAP 35 % (page 65)

 

Ankyloses permanentes au niveau du coude (pages 71-74) :

 

-          code 105282, ankylose en flexion : DAP 10 %

-          code 105406, ankylose en extension : DAP 6 %

-          code 105601, ankylose en supination : DAP 8 %

 

Ankyloses permanentes au niveau du poignet (page 80) :

 

-          code 106192, ankylose incomplète en extension : DAP 2 %

-          code 106236, ankylose incomplète en flexion palmaire : DAP 2 %

 

La persistance de douleurs au niveau du membre supérieur gauche n’est pas évaluée dans l’atteinte des tissus mous avec ankyloses.

 

Nous ajoutons donc au déficit anatomo-physiologique l’atteinte du plexus brachial, compte tenu des dysesthésies et douleurs :

 

-          code 112443 : DAP 5 % (page 153)

 

DAP total : 70 %

 

 

Préjudice esthétique

 

-           code 224233, atteinte cicatricielle apparente à l’épaule gauche de 11cm2: 5,5 %

 

DAP + PE : 75,5 %

 

 

 

 

DPJV

 

-           CODE 225713, 50 % du pourcentage du DAP : 35 % (page 290)

 

APIPP : 110,5 % »

 

 

[43]           En octobre 2007, la CSST détermine que la nature des limitations fonctionnelles décrites par le docteur Wiltshire fait en sorte que monsieur Sorotsky est incapable de réintégrer le marché du travail.

[44]           À cette même époque, soit le 16 octobre 2007, le docteur Duranleau prescrit à monsieur Sorotsky l’utilisation d’un appareil de stimulation magnétique répétitive de type « Magnapulse » à raison de deux fois par jour, mais la CSST refuse de rembourser à ce dernier les frais liés à l’achat de cet appareil, d’où l’objet du quatrième litige. Dans une lettre datée du 11 janvier 2008, le docteur Duranleau s’exprime comme suit au sujet de cet appareil  :

« Il s’agit d’un patient que nous voyons à toutes les semaines depuis septembre 2007. Ce patient a eu deux chirurgies au niveau de son grand pectoral gauche.

 

La première chirurgie de rattachement de son grand pectoral gauche, à la suite de la chute importante qu’il a faite, s’est soldée par un échec. Une greffe de son membre inférieur a dû être prise pour faire une deuxième greffe de rattachement de son grand pectoral gauche, ce qui n’a pas fonctionné. Le patient a des douleurs de toute la région avec des spasmes continuels de tout son grand et petit pectoral gauche, toute la musculature périscapulaire gauche, toute la ceinture scapulaire gauche, ce qui amène une impotence fonctionnelle de tout le membre supérieur gauche avec des paresthésies et des douleurs importantes à ce niveau. Il a aussi des douleurs et des spasmes continuels de toute la région gastrosoléaire gauche en postérieur. Nous avons essayé une stimulation magnétique répétitive par un appareil de type Magnapulse et ceci a grandement aidé le patient et nous le voyons toutes les semaines pour ce type de  traitement avec cet appareil. Il s’agit d’un traitement qui pourrait se faire à domicile s’il avait l’appareil, ceci diminue ses douleurs d’au moins 50 %. Le patient a une amélioration de sa qualité de vie, amélioration de sa condition de vie, diminution de sa douleur, amélioration de ses fonctions et amélioration de son sommeil.

 

Donc, comme nous l’avons dit précédemment, si le patient pourrait avoir cet appareil à la maison, il pourrait l’utiliser à tous les jours et, par conséquent, diminuer la dose de médication qu’il prend. Comme médication, il prend actuellement de la Méthadone, Clonazepam, Gabapentin. Aussi, secondaire à sa douleur chronique, le patient a une hypertension artérielle, donc en diminuant sa douleur, ceci diminuerait l’hypertension. Nous croyons que cette modalité physique, que le patient pourrait se faire à domicile, est bénéfique pour lui à court, moyen et surtout à long terme. Surtout, avoir un appareil chez lui le rendrait indépendant dans ses traitements et l’amélioration serait beaucoup plus que 50 %. »

 

 

[45]           Concernant le dernier litige, soit celui ayant trait à la situation familiale de monsieur Sorotsky pour les fins du calcul de son indemnité de remplacement du revenu, la Commission des lésions professionnelles retient les faits suivants.

[46]           À la suite de sa lésion professionnelle, monsieur Sorotsky est informé par le biais d’un avis de paiement émis le 16 septembre 2004 du revenu annuel brut d’emploi qui sert au calcul de l’indemnité de remplacement à laquelle il a droit, mais aussi du fait que le calcul de cette indemnité est effectué en tenant compte du fait que sa situation familiale est celle d’un travailleur avec un enfant à charge.

[47]           Au formulaire de « Réclamation du travailleur » qu’il remplit le 13 août 2004, monsieur Sorotsky indique que sa conjointe n’est pas à sa charge mais qu’un enfant l’est.

[48]           Le 24 septembre 2004, monsieur Sorotsky demande la révision de cette décision et ce, au motif que le revenu annuel brut d’emploi retenu par la CSST ne tient pas compte d’un second revenu qu’il gagnait à titre de travailleur autonome. La décision de la CSST est maintenue le 13 décembre 2004 à la suite d’une révision administrative et cette dernière décision est confirmée par la Commission des lésions professionnelles en mai 2005[3].

[49]           Le 27 mars 2006, la conjointe de monsieur Sorotsky téléphone à la CSST pour obtenir de l’information au sujet des données retrouvées au « Relevé 5 » émis par cette dernière pour fins de déclarations fiscales, dont celles ayant trait à la situation familiale. Une agente d’indemnisation note alors au dossier qu’elle informe madame Sorotsky qu’elle n’a pas été considérée comme étant une personne à la charge de son conjoint puisque, au moment où ce dernier a subi son accident du travail, elle recevait des prestations d’assurance-emploi pour un congé de maternité. Cette agente note aussi qu’elle informe madame Sorotsky que le nombre de personnes à charge d’un travailleur est déterminé en tenant compte de sa situation familiale telle qu’existante au jour du fait accidentel et qu’il ne peut être modifié par la suite.

[50]           Le même jour, soit le 27 mars 2006, monsieur Sorotsky s’adresse par écrit à la CSST pour demander que sa conjointe soit considérée comme étant une personne à sa charge.

[51]           Le 31 mars suivant, une agente d’indemnisation note au dossier qu’elle téléphone à monsieur Sorotsky pour l’informer que sa situation familiale telle qu’identifiée en 2004 ne peut être modifiée pour tenir compte du fait que sa conjointe est par la suite devenue une personne à sa charge.

[52]           En novembre 2006, monsieur Sorotsky mandate son actuel procureur pour le représenter auprès de la CSST et, le 12 mars 2007, ce dernier demande la révision de la décision du 16 septembre 2004 statuant sur le nombre de personnes à charge à retenir pour les fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle a droit ce travailleur. Ce procureur indique que le retard à demander la révision de cette décision s’explique par « la barrière linguistique limitant les capacités de notre client à gérer son dossier ».

[53]           À la suite d’une révision administrative, la CSST déclare irrecevable la demande de révision de monsieur Sorotsky concernant sa décision du 16 septembre 2004 au motif qu’elle n’a pas été faite dans le délai légal et qu’aucun motif raisonnable n’explique ce retard, d’où l’objet du dernier litige.

[54]           Lors de son témoignage, monsieur Sorotsky explique que sa conjointe a accouché d’une petite fille le 10 décembre 2003 et qu’au moment de la survenance de son accident du travail le 12 août 2004, elle recevait des prestations d’assurance-emploi pour congé parental. Il explique de plus qu’il était déjà prévu au moment de son accident que sa conjointe ne retournerait pas au travail après son congé de maternité puisqu’ils avaient décidé ensemble qu’elle demeurerait à la maison pour s’occuper du bébé.

[55]           Monsieur Sorotsky explique aussi qu’il a rapidement informé la CSST du fait que sa conjointe devait être considérée comme étant une personne à sa charge pour les fins du calcul de son indemnité de remplacement du revenu, mais que celle-ci a refusé de modifier sa décision première à ce sujet. Il indique qu’il a été avisé de ce refus par décision écrite, en 2004 ou peut-être en 2005. Il indique également que, lors de l’audience devant la Commission des lésions professionnelles concernant sa contestation du revenu brut d’emploi retenu par la CSST, il a demandé que ce revenu soit majoré compte tenu de ses revenus d’entreprise, mais aussi, que sa situation familiale soit modifiée pour tenir compte du fait que sa conjointe était à sa charge.

[56]           Concernant l’hypertension artérielle et ses transports par ambulance, monsieur Sorotsky explique que, le 30 août 2006, il s’est évanoui peu de temps après qu’il ait constaté que sa tension était très élevée, ce pourquoi il a été transporté par ambulance de sa résidence à l’hôpital Sacré-Cœur. Il explique aussi qu’il est revenu chez lui en taxi parce que le délai d’attente pour voir un médecin était trop long, mais que, un peu plus tard dans la journée, il a de nouveau été transporté par ambulance entre l’Institut de réadaptation de Montréal où il s’était rendu pour voir le docteur Duranleau et l’Hôpital Général Juif.

[57]           Monsieur Sorotsky explique également qu’un médecin de ce dernier établissement lui a conseillé de voir son médecin de famille au sujet de son état, soit le docteur Bélanger, et que c’est ce médecin qui a posé le diagnostic d’hypertension artérielle. Il indique à ce sujet qu’il estime que cette maladie est reliée à des médicaments qui lui ont été prescrits pour sa condition douloureuse et que, depuis que sa médication a été modifiée, il ne fait plus d’hypertension, ou seulement de façon occasionnelle.

[58]           Concernant les frais liés à l’achat d’un appareil « Magnapulse », monsieur Sorotsky explique que les traitements de stimulation magnétique répétitive que le docteur Duranleau lui a prodigués avec cet appareil à compter du mois de septembre 2007 ont été très bénéfiques puisqu’ils diminuaient considérablement sa douleur et ses spasmes au niveau du membre supérieur gauche. Il ne reçoit toutefois plus ces traitements depuis la fin du mois de janvier 2008 parce que l’appareil du docteur Duranleau est brisé, mais il explique que, comme ce dernier l’indique dans sa lettre du 11 janvier 2008, il serait avantageux qu’il puisse se traiter lui-même à domicile avec cet appareil. Il précise que cet appareil coûte environ 25 000 $.

[59]           Lors de son témoignage, la conjointe de monsieur Sorotsky explique en quoi la condition douloureuse de ce dernier est grandement incapacitante et comment les traitements de stimulation magnétique prodigués par le docteur Duranleau contribuaient à améliorer l’état de son mari.

[60]           Madame Sorotsky explique aussi que la CSST a rendu une décision écrite concernant son refus de la considérer à titre de personne à charge, mais que son conjoint ne l’a pas contestée parce qu’il ne bénéficiait pas à cette époque de l’assistance d’un avocat.

[61]           La Commission des lésions professionnelles a aussi entendu le témoignage du docteur Bergeron. Ce dernier a rencontré monsieur Sorotsky les 16 octobre et 18 décembre 2007 et il témoigne sur l’évaluation qu’il faut faire selon lui de l’atteinte permanente à l’intégrité physique qui résulte de la lésion professionnelle subie par ce travailleur.

[62]           Le docteur Bergeron explique qu’une rupture du grand pectoral est une lésion exceptionnelle et qu’une redéchirure post-opératoire est encore plus rare. Il en est de même de la dystonie post-traumatique dont souffre le travailleur et pour laquelle il n’y a pas encore d’explication satisfaisante.

[63]           Il explique à ce sujet que monsieur Sorotsky a présenté en cours d’évolution des troubles de la sudation au membre supérieur gauche de même que des modifications de la coloration du membre qui, avec le tableau douloureux, font penser à un syndrome douloureux régional complexe. Il reconnaît que ce syndrome peut se manifester aussi par une dystonie, mais il estime qu’en l’espèce, ces éléments dystoniques sont d’une intensité qui est hors de proportion avec ce que l’on rencontre généralement dans cette maladie.  Il croit donc que, ou bien la dystonie ne s’explique pas par ce syndrome, ou bien qu’il s’agit d’une forme « très atypique » de celui-ci. Rappelant que monsieur Sorotsky doit éventuellement rencontrer un spécialiste de la dystonie, le docteur Bergeron ajoute, au sujet de la condition du travailleur, qu’actuellement « personne ne sait ce que c’est ».

[64]           Le docteur Bergeron rappelle que ce travailleur a reçu de multiples traitements, incluant des médicaments, des injections de Botox et des blocs sympathiques, et qu’il a pu lui-même, comme tous les autres examinateurs, observer les spasmes musculaires du grand pectoral et de la ceinture scapulaire dont il souffre. Il indique que ces spasmes expliquent d’ailleurs la redéchirure post-opératoire, mais aussi le fait qu’il n’y a pas d’atrophie au niveau du membre supérieur gauche de monsieur Sorotsky malgré qu’il ne l’utilise pas.

[65]           Il n’écarte pas, comme l’ont fait les orthopédistes de la Cité de la Santé à leur réunion du 22 février 2006, la thèse voulant que les spasmes s’expliquent par une plexopathie post-traumatique.

[66]           Le docteur Bergeron explique aussi que l’examen physique auquel il a procédé est relativement superposable à ceux des autres examinateurs et que la seule question en litige est donc celle de la méthode d’évaluation des séquelles permanentes que conserve monsieur Sorotsky.

[67]           À ce sujet, il indique qu’il n’y a au barème aucun item spécifique qui puisse rendre compte de l’état clinique de ce travailleur, autre que l’atteinte des tissus mous, qui doit s’appliquer dans une déchirure musculaire. À cela, il ajoute, comme le prévoit le barème, des pourcentages relativement aux ankyloses du membre supérieur, en l’espèce à l’épaule, au coude et au poignet. De plus, pour tenir compte du caractère exceptionnel du phénomène douloureux, il invoque l’article 5 des « Règles particulières » retrouvées au chapitre I du barème relatif au « Système musculo-squelettique », pour justifier un déficit anatomo-physiologique supplémentaire de 5 %. Il fait valoir à cet égard que l’atteinte des tissus mous et les ankyloses ne tiennent pas compte de la douleur et qu’en l’espèce, il s’agit d’une situation « exceptionnelle », pour reprendre le terme de cet article 5.

[68]           Le docteur Bergeron se dit en désaccord avec le docteur Wiltshire, qui a retenu une analogie avec un syndrome post-phlébitique. Il indique que le tableau clinique que présente monsieur Sorotsky en est un de dystonie, de douleur sévère et d’impotence fonctionnelle et qui n’a donc presque rien en commun avec le syndrome post-phlébitique.

[69]           Le docteur Bergeron a attribué dans son expertise un pourcentage pour préjudice esthétique en raison d’une cicatrice « apparente » à l’épaule gauche. Il reconnaît cependant à l’audience l’absence, à cette cicatrice, de caractéristiques qui puissent permettre de la qualifier de « vicieuse » au sens du barème, et il retire donc de son évaluation ce pourcentage de 5,5 % initialement attribué pour préjudice esthétique.

[70]           Le docteur Bergeron a été questionné sur les mécanismes physiopathologiques et étiologiques des ankyloses du membre supérieur chez monsieur Sorotsky et, à cet égard, il explique que, si on peut aisément faire le lien entre la lésion pectorale subie par ce travailleur et l’ankylose de l’épaule, il est plus difficile de comprendre les ankyloses au niveau des articulations plus distales. Cependant, en l’absence d’une meilleure hypothèse, il croit qu’il est plausible que le tableau s’explique par une atteinte du plexus brachial, avec réaction de type syndrome douloureux régional complexe de type 2, dont d’ailleurs monsieur Sorotsky présente certaines manifestations. Il insiste sur l’absence d’une meilleure explication qui soit disponible et il précise qu’il croit que l’analogie qu’il a choisie est celle qui, tout bien considéré, est la représentation la moins imparfaite de la condition du travailleur.

[71]           Le docteur Bergeron précise qu’il a fait son expertise médicale après avoir vu monsieur Sorotsky une deuxième fois, et ce, afin de questionner le fait que ce dernier porte une montre au poignet gauche alors qu’il dit être incapable d’utiliser son membre supérieur gauche. Il indique à ce sujet qu’il a retenu l’explication qui lui a été apportée à ce moment par monsieur Sorotsky, soit qu’il place sa montre de telle sorte que le cadran puisse faire face au bord radial de son poignet.

[72]           Le docteur Bergeron indique enfin ne pas connaître l’appareil de stimulation magnétique répétitive que recommande le docteur Duranleau et qu’il n’est donc pas en mesure d’en commenter l’utilité thérapeutique.

L’AVIS DES MEMBRES

[73]           Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis que les requêtes de monsieur Sorotsky doivent être en partie accueillies.

[74]           Ils estiment que le nouveau diagnostic d’hypertension artérielle posé chez monsieur Sorotsky au mois de septembre 2006 ne peut être relié à la lésion professionnelle dont ce dernier a été victime le 12 août 2004 parce qu’aucune preuve ne démontre, de manière prépondérante, l’existence d’un tel lien de causalité.

[75]           Ils estiment de plus que monsieur Sorotsky n’a pas droit au remboursement des frais reliés à ses transports par ambulance le 30 août 2006 parce que la preuve ne démontre pas, de façon prépondérante, que c’est pour recevoir des soins requis par sa lésion professionnelle que ce travailleur a ainsi été transporté vers des établissements hospitaliers à cette date. De plus, monsieur Sorotsky ne produit pas en preuve une ordonnance médicale de son médecin traitant attestant de la nécessité pour lui d’utiliser ce mode de transport.

[76]           Ils considèrent également que la demande de révision de monsieur Sorotsky du 12 mars 2007 concernant la décision du 16 septembre 2004 est irrecevable parce qu’elle n’a pas été faite dans le délai légal et qu’il n’a pas été démontré, de manière prépondérante, qu’un motif raisonnable explique ce défaut d’avoir respecté ce délai. Ils estiment que la prétention de monsieur Sorotsky selon laquelle ce sont ses difficultés linguistiques qui l’ont empêché de contester cette décision dans le délai prescrit est contredite par la preuve au dossier.

[77]           Concernant l’appareil à stimulation magnétique répétitive, le membre issu des associations syndicales estime que monsieur Sorotsky devrait être remboursé des frais engendrés par l’achat de cet appareil. Il retient que l’utilisation à domicile de cet appareil est prescrite par le médecin traitant de monsieur Sorotsky et qu’il faut considérer qu’il s’agit d’une aide technique dont la CSST doit assumer le coût d’achat en vertu de l’article 189 de la loi.

[78]           Le membre issu des associations d’employeurs est plutôt d’avis que monsieur Sorotsky n’a pas droit au remboursement des frais reliés à l’achat de cet appareil et ce, même si son médecin traitant en a prescrit l’utilisation à domicile. Il retient que, selon la jurisprudence du tribunal, un travailleur a droit à l’assistance médicale que requiert son état en raison de sa lésion professionnelle, mais dans la seule mesure prévue par l’article 189 de la loi et par les dispositions réglementaires adoptées en vertu du cinquième paragraphe de cet article. Il retient de plus que, selon ces dispositions, l’appareil de stimulation magnétique répétitive dont monsieur Sorotsky veut faire l’acquisition ne constitue pas une prestation d’assistance médicale auquel un travailleur peut avoir droit.

[79]           Enfin, les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales estiment tous deux que, selon l’opinion exprimée par le docteur Bergeron, c’est un pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique de 97,15 % qui résulte de la lésion professionnelle qu’a subie monsieur Sorotsky le 12 août 2004.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[80]           La Commission des lésions professionnelles doit décider de plusieurs questions, soit du lien de causalité existant entre un diagnostic d’hypertension artérielle et le fait accidentel dont a été victime monsieur Sorotsky le 12 août 2004, du droit pour ce dernier d’être remboursé des frais reliés à ses transports par ambulance le 30 août 2006 et de ceux reliés à l’achat d’un appareil de stimulation magnétique de même que du pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique qui résulte de la lésion professionnelle de ce travailleur.

[81]           Elle doit aussi décider de la recevabilité de la demande de révision de monsieur Sorotsky du 12 mars 2007 concernant la décision de la CSST du 16 septembre 2004 et, le cas échéant, du fait que la conjointe de ce travailleur peut être considérée à titre de personne à charge aux fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle ce dernier a droit.

[82]           Concernant l’hypertension artérielle, la Commission des lésions professionnelles estime que la preuve ne démontre pas, de manière prépondérante, qu’il existe un lien de causalité entre cette maladie et l’accident du travail dont a été victime monsieur Sorotsky.

[83]           En effet, monsieur Sorotsky prétend que cette maladie diagnostiquée chez lui par le docteur Bélanger en septembre 2006 est reliée à la prise des médicaments qui lui ont été prescrits pour traiter le phénomène douloureux persistant auquel il est confronté depuis la survenance de son accident.

[84]           Toutefois, monsieur Sorotsky n’offre aucune preuve pour soutenir cette prétention. Il n’identifie pas quel médicament au juste parmi ceux qu’il prend serait à l’origine de l’apparition chez lui d’une hypertension artérielle et il n’offre pas non plus une preuve de nature médicale établissant, de manière probante, que la prise de ce médicament serait réellement la cause de cette maladie.

[85]           Par ailleurs, les docteurs Duranleau et Bélanger ont tous deux considéré que l’hypertension artérielle de monsieur Sorotsky était attribuable à un phénomène de douleurs chroniques et non pas comme tel à la prise d’un médicament.

[86]           Cependant, la Commission des lésions professionnelles estime que l’opinion exprimée par ces deux médecins sur cette question ne constitue pas une preuve prépondérante de relation causale entre ce phénomène douloureux et l’apparition de cette maladie chez monsieur Sorotsky.

[87]           En effet, dans les trois rapports médicaux qu’il produit à l’intention de la CSST en septembre et en octobre 2006, le docteur Bélanger se limite à indiquer que l’hypertension dont souffre monsieur Sorotsky est secondaire à des douleurs chroniques, mais sans autres précisions ou explications. Il ne s’agit donc pas là d’une opinion médicale motivée, de telle sorte que le tribunal ne la retient pas.

[88]           Le docteur Duranleau ne formule pas non plus une opinion médicale motivée sur cette question puisque, dans sa lettre du 24 novembre 2006, il se limite à indiquer que les douleurs chroniques de monsieur Sorotsky sont probablement à l’origine de son hypertension artérielle. Dans sa lettre du 11 janvier 2008, ce médecin affirme que cette maladie est secondaire à ce phénomène, mais encore là, il n’apporte aucune explication de nature médicale pour supporter cette affirmation.

[89]           Concernant les frais liés à ses deux transports par ambulance le 30 août 2006, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que monsieur Sorotsky n’a pas droit au remboursement de ceux-ci.

[90]           En effet, l’article 115 de la loi prévoit que la CSST rembourse au travailleur les frais de déplacement qu’il a dû engager pour recevoir des soins ou subir des examens selon les normes et montants qui sont déterminés par règlement. Cet article se lit comme suit :

115.  La Commission rembourse, sur production de pièces justificatives, au travailleur et, si son état physique le requiert, à la personne qui doit l'accompagner, les frais de déplacement et de séjour engagés pour recevoir des soins, subir des examens médicaux ou accomplir une activité dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation, selon les normes et les montants qu'elle détermine et qu'elle publie à la Gazette officielle du Québec.

__________

1985, c. 6, a. 115.

 

 

[91]           Pour leur part, les articles 16 et 17 du Règlement sur les frais de déplacement et de séjour[4] (le règlement) prévoient ce qui suit concernant le transport par ambulance :

16.   Sous réserve de l'article 190 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la Commission rembourse les frais engagés pour le transport par ambulance, par voie aérienne ou par tout autre moyen, d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle et, si son état physique le requiert, de la personne qui l'accompagne autre qu'une personne chargée du transport, afin qu'il reçoive des soins ou qu'il subisse des examens médicaux requis par sa lésion, dans les cas et selon les montants prévus au présent chapitre.

 

 

17.   Les coûts du transport par ambulance sont remboursables dans l'une des circonstances suivantes:

 

  1°    un travailleur est victime d'une lésion professionnelle hors de l'établissement de son employeur ou d'un chantier de construction et son état nécessite un transport par ambulance dans un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (L.R.Q., c. S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (L.R.Q., c. S-5);

 

  2°    une ordonnance du médecin qui a charge du travailleur atteste que celui-ci doit être transporté par ambulance entre 2 établissements visés par ces lois ou entre la résidence du travailleur et un tel établissement.

 

 

[92]           Selon ces dispositions, la preuve doit donc démontrer d’une part, que le transport par ambulance du travailleur l’a été pour que ce dernier reçoive des soins ou subisse des examens médicaux qui sont requis par sa lésion professionnelle et d’autre part, que l’utilisation de ce mode de transport était nécessaire selon l’opinion du médecin traitant.

[93]           Or, selon la preuve au dossier, les deux transports par ambulance du 30 août 2006 étaient justifiés par un état de santé que monsieur Sorotsky croyait être relié à de l’hypertension artérielle, soit à un problème de santé dont le lien de causalité avec la lésion professionnelle n’a pas été démontré.

[94]           Cela dit, même s’il était établi que ces transports ont été requis en raison d’un état de santé relié à la lésion professionnelle de monsieur Sorotsky, il demeure qu’aucune ordonnance d’un médecin attestant de la nécessité pour ce travailleur d’être transporté par ambulance le 30 août 2006 ne se retrouve au dossier. Une telle ordonnance n’est pas non plus offerte en preuve lors de l’audience.

[95]           Comme il a déjà été décidé, une telle ordonnance médicale est nécessaire pour permettre le remboursement des frais liés à un transport par ambulance dans un des cas visés par le deuxième paragraphe de l’article 17 du règlement[5].

[96]           La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider si la demande de révision de monsieur Sorotsky du 12 mars 2007 concernant la décision de la CSST du 16 septembre 2004 est recevable. Le cas échéant, elle doit décider quelle était la situation familiale de monsieur Sorotsky qui devait être considérée pour les fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle ce dernier a droit.

[97]           Le délai pour demander la révision d’une décision de la CSST est établi par l’article 358 de la loi, lequel se lit comme suit :

358.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.

 

Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365 .

 

Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1 .

__________

1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.

 

 

[98]           Le défaut de respecter ce délai rend la demande de révision irrecevable. Toutefois, conformément aux dispositions de l’article 358.2 de la loi, la CSST peut relever une personne des conséquences de ce défaut dans la mesure où celle-ci démontre que sa demande n’a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable. Cet article se lit comme suit :

358.2.  La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.

__________

1997, c. 27, a. 15.

 

 

[99]           Après analyse, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que la demande de révision de monsieur Sorotsky concernant la décision de la CSST statuant sur la situation familiale de ce dernier est irrecevable.

[100]       En effet, la preuve démontre que c’est par le biais d’un avis de paiement émis le 16 septembre 2004 que monsieur Sorotsky a été informé des données retenues par la CSST pour le calcul de son indemnité de remplacement du revenu, soit son revenu brut annuel d’emploi et le nombre de personnes à sa charge.

[101]       La preuve démontre également que monsieur Sorotsky a demandé la révision de cette décision dans le délai légal, soit en date du 24 septembre 2004, mais en faisant alors seulement valoir comme motif de contestation que son revenu d’emploi devait être majoré pour tenir compte d’un autre revenu gagné à titre de travailleur autonome.

[102]       En effet, dans sa demande de révision du 24 septembre 2004, monsieur Sorotsky ne fait aucunement référence à sa situation familiale et, tel qu’il appert de la décision rendue en mai 2005, il n’a pas non plus prétendu devant la Commission des lésions professionnelles que la décision du 16 septembre 2004 était aussi mal fondée pour cet autre motif.

[103]       De plus, les notes évolutives du dossier établissent qu’à l’époque contemporaine de cette dernière décision, monsieur Sorotsky s’est seulement plaint auprès de la CSST du revenu brut d’emploi retenu pour le calcul de son indemnité de remplacement du revenu. Elles établissent aussi que, jusqu’au mois de mars 2006, monsieur Sorotsky s’est à maintes reprises plaint auprès de la CSST de plusieurs autres questions, mais jamais du fait que sa conjointe n’était pas considérée comme étant une personne à sa charge.

[104]       La preuve démontre que c’est seulement le 27 mars 2006, après que sa conjointe ait le même jour questionné une agente d’indemnisation à ce sujet, que monsieur Sorotsky a manifesté par écrit son désaccord avec sa situation familiale telle que retenue par la CSST et que, ce n’est qu’un an plus tard, soit le 12 mars 2007, qu’il a formellement demandé la révision de la décision du 16 septembre 2004, en alléguant cette fois que sa conjointe devait être considérée comme étant une personne à sa charge.

[105]       Même en retenant que c’est en fait le 27 mars 2006 et non pas en date du 12 mars 2007 que monsieur Sorotsky a demandé la révision de cette décision, il demeure que cette demande n’a pas non plus été faite dans le délai légal.

[106]       La Commission des lésions professionnelles ne retient pas la prétention du représentant de monsieur Sorotsky selon laquelle c’est une barrière linguistique qui explique le fait que ce dernier n’a pu contester dans le délai prescrit la portion de la décision du 16 septembre 2004 portant sur sa situation familiale.

[107]       En effet, même si monsieur Sorotsky éprouve des difficultés à s’exprimer en français, la preuve démontre de manière prépondérante que cela n’a jamais constitué un obstacle faisant en sorte de l’empêcher de faire valoir ses droits.

[108]       Comme il a déjà été précisé, monsieur Sorotsky a su, sans l’assistance d’un représentant, contester dans le délai légal la décision du 16 septembre 2004 parce qu’il estimait que son revenu brut d’emploi tel qu’établi par la CSST était erroné et, dans le contexte de cette contestation, il a su se représenter seul devant le tribunal.

[109]       De plus, la lecture des notes évolutives du dossier de même que celle des nombreuses lettres rédigées par monsieur Sorotsky que l’on y retrouve permet de constater que le niveau de maîtrise de la langue française que possède ce travailleur est suffisant pour lui permettre de faire valoir adéquatement ses droits.

[110]       Il existe une certaine confusion concernant le fait que, postérieurement à sa décision du 16 septembre 2004, la CSST aurait ou non rendu une autre décision écrite par laquelle elle refuse de modifier sa décision initiale concernant la situation familiale de monsieur Sorotsky.

[111]       La Commission des lésions professionnelles n’a pas retrouvé au dossier une telle décision, ni une quelconque indication aux notes évolutives invitant à croire que celle-ci aurait effectivement été rendue. Par ailleurs, monsieur et madame Sorotsky déclarent tous deux que la CSST a effectivement rendu une nouvelle décision, mais ils ne font pas la preuve de l’existence de celle-ci.

[112]       On pourrait certes se questionner sur la possibilité de considérer que la CSST a, en date du 31 mars 2006, refusé de façon verbale de reconsidérer sa décision initiale du 16 septembre 2004 pour tenir compte du fait que, à compter de la fin de son congé de maternité en janvier 2005, madame Sorotsky devenait une personne à charge. Dans ce contexte, on pourrait aussi se questionner sur le fait qu’une telle décision non conforme aux dispositions de l’article 354 justifie de conclure à l’existence d’un motif raisonnable expliquant le fait qu’elle a été contestée seulement en mars 2007.

[113]       La Commission des lésions professionnelles estime toutefois qu’il n’y a pas lieu de procéder à l’analyse du litige sous cet angle puisque, sur le fond, la prétention de monsieur Sorotsky ne pourrait pas de toute façon être retenue. Étant donné l’importance que ce travailleur accorde à cette question, la Commission des lésions professionnelles croit utile d’en disposer.

[114]       L’article 63 de la loi prévoit que le revenu net du travailleur devant servir au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle il a droit en raison de sa lésion professionnelle doit être établi en fonction de sa situation familiale et ce, pour tenir compte de l’impôt sur le revenu qui est payable par ce dernier en vertu des lois sur les impôts. Cet article se lit comme suit à la date de la survenance de la lésion professionnelle de monsieur Sorotsky :

63. Le revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi est égal à son revenu brut annuel d'emploi moins le montant des déductions pondérées par tranches de revenus que la Commission détermine en fonction de la situation familiale du travailleur pour tenir compte de:

 

1°   l'impôt sur le revenu payable en vertu de la Loi sur les impôts (chapitre I-3) et de la Loi de l'impôt sur le revenu (Lois révisées du Canada (1985), chapitre 1, 5e supplément);

 

2°   la cotisation ouvrière payable en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi (Lois du Canada, 1996, chapitre 23); et

 

3°   la cotisation payable par le travailleur en vertu de la Loi sur le régime de rentes du Québec (chapitre R-9).

 

La Commission publie chaque année à la Gazette officielle du Québec la table des indemnités de remplacement du revenu, qui prend effet le 1er janvier de l'année pour laquelle elle est faite.

 

Cette table indique des revenus bruts par tranches de 100 $, des situations familiales et les indemnités de remplacement du revenu correspondantes.

 

Lorsque le revenu brut d'un travailleur se situe entre deux tranches de revenus, son indemnité de remplacement du revenu est déterminée en fonction de la tranche supérieure.

__________

1985, c. 6, a. 63; 1993, c. 15, a. 88; 1997, c. 85, a. 3.

 

 

[115]       Par ailleurs, suivant la jurisprudence constante du tribunal, la notion de « situation familiale » retrouvée à cet article réfère à la véritable situation familiale du travailleur au jour de la survenance de sa lésion professionnelle en regard de l’impôt qui est payable par celui-ci[6].

[116]       Or, la preuve démontre que, en date du 12 août 2004, madame Sorotsky ne pouvait pas être considérée comme étant à la charge de son conjoint selon les lois sur les impôts puisqu’elle recevait alors des prestations d’assurance-emploi dans le contexte de son congé parental.

[117]       En outre, même si la conjointe de monsieur Sorotsky a choisi de ne pas réintégrer le marché du travail à la fin de son congé de maternité en janvier 2005 afin de pouvoir prendre soin de son bébé, ce travailleur ne pouvait pas, pour ce motif, réclamer que son indemnité de remplacement du revenu soit réévaluée à la lumière de cette nouvelle situation.

[118]       En effet, la situation familiale du travailleur qui sert au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle il a droit est celle qui prévaut au moment de la survenance de la lésion professionnelle de laquelle naît le droit à cette indemnité et, comme le rappelle le tribunal dans l’affaire Guénette et Transport Kepa inc.[7], tant que perdure cette même lésion professionnelle, cette situation familiale demeure acquise malgré son évolution subséquente.

[119]       La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider si monsieur Sorotsky a droit au remboursement des frais reliés à l’achat d’un appareil de stimulation magnétique répétitive « Magnapulse ».

[120]       L’article 188 de la loi prévoit qu’un travailleur a droit à l’assistance médicale que requiert son état en raison de sa lésion professionnelle et l’article 189 prévoit en quoi consiste l’assistance médicale à laquelle le travailleur peut avoir droit :

188.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.

__________

1985, c. 6, a. 188.

 

 

189.  L'assistance médicale consiste en ce qui suit :

 

1° les services de professionnels de la santé;

 

2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);

 

3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;

 

4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;

 

5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.

__________

1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.

 

 

[121]       La demande de monsieur Sorotsky est visée par le paragraphe 5 de l’article 189, de telle sorte qu’elle doit être analysée en référant aux dispositions du Règlement sur l’assistance médicale[8] (le règlement).

[122]       L’article 2 de ce règlement prévoit ce qui suit :

2. Les soins, les traitements, les aides techniques et les frais prévus au présent règlement font partie de l'assistance médicale à laquelle peut avoir droit un travailleur, lorsque le requiert son état en raison d'une lésion professionnelle.

 

 

[123]       Monsieur Sorotsky ne demande pas de pouvoir bénéficier de traitements de stimulation magnétique répétitive à l’aide d’un appareil « Magnapulse » dans le contexte où ces traitements sont fournis par un intervenant de la santé. Il demande plutôt que la CSST assume le coût d’achat de cet appareil afin qu’il puisse se prodiguer lui-même à domicile de tels traitements, de sorte que c’est aux dispositions du règlement relatives aux aides techniques qu’il faut référer et non pas à celles concernant les soins et traitements déterminés à l’annexe I de ce règlement.

[124]       L’article 18 du règlement énonce la règle générale suivante concernant les aides techniques :

18. La Commission assume le coût de location, d'achat et de renouvellement d'une aide technique prévue à l'annexe II, aux conditions et selon les montants prévus à la présente section et à cette annexe, lorsque cette aide technique sert au traitement de la lésion professionnelle ou qu'elle est nécessaire pour compenser des limitations fonctionnelles temporaires découlant de cette lésion.

 

La Commission assume également les frais prévus à l'annexe II, aux conditions et selon les montants indiqués à cette annexe sur présentation de pièces justificatives détaillant leur coût.

 

 

[125]       Les aides techniques prévues à l’annexe II sont regroupées en quatre catégories, soit les aides de locomotion, les aides à la vie quotidienne, les aides à la communication et les aides à la thérapie.

[126]       L’appareil « Magnapulse » dont monsieur Sorotsky veut faire l’acquisition ne faisant pas partie des trois premières catégories d’aides techniques, il faut donc rechercher si celui-ci se retrouve parmi les aides à la thérapie dont l’énumération est faite à l’article 3 de l’annexe II du règlement, lequel se lit comme suit :

3. Aides à la thérapie:

 

1° Neuro-stimulateurs transcutanés (T.E.N.S.);

 

2° Neuro-stimulateurs épiduraux et intra-thalamiques;

 

Le coût d’achat de ces appareils;

 

3° Autres aides à la thérapie:

 

le coût d'achat des aides à la thérapie suivantes :

 

a)         les accessoires pour la prévention et le traitement des escarres de décubitus tels une peau de mouton, un matelas et un coussin, une coudière, un maintien-pieds, une talonnière, un rond d’air;

 

b)         les corsets, les collets, les attelles;

 

c)                  les appareils à exercice suivants utilisés à domicile qui sont complémentaires à un programme d'ergothérapie ou de physiothérapie active tels des balles à exercice, de la plasticine, un système de poulies pour ankylose de l'épaule, des poids pour poignet et cheville, un sac de sable avec attache velcro, une poigne à résistance fixe, un ensemble d'haltères légers inférieurs à 5 kg;

 

d)         les vêtements compressifs;

 

e)         les ceintures et les bandes herniaires;

 

f)          les appareils à traction cervicale avec poids mort;

 

Le coût de location des aides suivantes :

 

a)         les neuro-stimulateurs musculaires;

 

b)         les stimulateurs favorisant l’ostéogenèse;

 

c)         les mobilisateurs passifs à action continue (C.P.M.).

 

 

[127]       L’appareil de stimulation magnétique répétitive « Magnapulse » ne fait pas partie des aides à la thérapie retrouvées à cet article, de sorte que monsieur Sorotsky n’a pas droit d’être remboursé des frais reliés à l’achat de cet appareil.

[128]       La Commission des lésions professionnelles ne retient pas la prétention de monsieur Sorotsky selon laquelle la CSST doit néanmoins assumer ce coût parce qu’il faut assimiler cet appareil à un neuro-stimulateur transcutané.

[129]       Comme l’indique le tribunal dans l’affaire Presseault et Tembec inc. et CSST[9], par sa modification en 1992 du libellé de l’article 189, le législateur a voulu limiter les prestations d’assistance médicale auxquelles un travailleur peut avoir droit :

[17] La jurisprudence de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel), notamment dans l’affaire CSST et Pierre Gagné et CÉGEP de l’Outaouais4 énonce qu’en utilisant le mot « comprend », le législateur n’a pas voulu restreindre la portée de l’expression « assistance médicale ». L’utilisation de ce terme traduit bien l’idée que cette disposition n’est alors qu’un énoncé illustratif et non exhaustif de ce que peut être l’assistance médicale.

 

[18] Toutefois, en 19925, l’article 189 de la loi est modifié et depuis, il se lit comme suit :

189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit:

 

[…]

 

[19] Depuis cette modification, la jurisprudence de la Commission d’appel et de la Commission des lésions professionnelles énonce qu’en précisant que l’assistance médicale « consiste en ce qui suit », le législateur a voulu limiter les prestations d’assistance médicale qui peuvent être accordées à un travailleur en raison de sa lésion professionnelle6.

 

[20] Ainsi, à la lecture des articles 188 et 189 de la loi, deux conditions doivent être satisfaites pour que le travailleur ait droit à l’assistance médicale. La première de ces conditions est qu’il ait été victime d’une lésion professionnelle, ce qui n’est pas contesté en l’espèce. La deuxième condition, c’est que même si le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle, il n’a droit à l’assistance médicale requise par son état que dans la mesure prévue par l’article 189 de la loi et par les dispositions du règlement auxquelles le paragraphe 5 de l’article 1897 renvoie.

 

[…]

 

[23] La Commission des lésions professionnelles constate que les traitements de massothérapie ne sont pas énumérés à l’annexe I du règlement et qu’au surplus, le massothérapeute n’est pas un intervenant de la santé, notion qui est définie comme suit à l’article 1 du règlement :

 

[…]

 

[24] Il faut donc conclure que les traitements de massothérapie ne font pas partie de l’assistance médicale à laquelle le travailleur a droit. Or, la décision qui entérine l’accord intervenu entre les parties accorde à ce travailleur le droit à ces traitements. La décision comporte une erreur de droit manifeste et déterminante et doit être révisée.

 

____________

4              C.A.L.P. 09394-07-8809, 92-02-12, R. Brassard.

5                     L.R.Q., 1992, c. 11, Loi modifiant la Loi sur les accidents du travail et les maladies         professionnelles, la Loi sur la santé et la sécurité du travail et la Loi sur l’assurance-maladie, art. 8.

6                     Marc Packwood et Dépanneur Packwood & Fils enr., 191381-64-0204, 02-07-26, L. Landriault.

7                     Alain Deschênes et Robco inc. et CSST, 122443-73-9908, 00-10-25, C.-A. Ducharme.

 

 

[130]       Le travailleur victime d’une lésion professionnelle a donc droit à l’assistance médicale, mais dans la seule mesure où la prestation qu’il réclame à ce titre est expressément prévue à l’article 189 de la loi et aux dispositions du règlement donnant effet au paragraphe 5 de cet article.

[131]       À maintes reprises, il a été décidé que les mesures d’assistance médicale prévues à l’article 189 et au règlement sont exhaustives, de sorte qu’un travailleur n’a pas automatiquement droit à celle qu’il réclame et ce, même si son médecin traitant l’a prescrite[10].

[132]       Les quelques cas où il a été reconnu qu’un travailleur peut être remboursé d’une aide à la thérapie non énumérée à l’article 3 de l’annexe II du règlement sont ceux visés par la section c) de cet article concernant les appareils à exercice utilisés à domicile en complément d’un programme d’ergothérapie ou de physiothérapie et ce, parce que la particularité du libellé de cette disposition fait en sorte qu’il est permis de conclure que l’énumération de ce type d’appareils n’était pas limitative[11].

[133]       L’appareil « Magnapulse » dont monsieur Sorotsky réclame le remboursement du coût d’achat n’est pas un appareil à exercice complémentaire à un programme d’ergothérapie ou de physiothérapie, de sorte que l’approche adoptée dans ces affaires ne peut trouver application.

[134]       La Commission des lésions professionnelles doit en dernier lieu décider du pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique que conserve monsieur Sorotsky de sa lésion professionnelle.

[135]       Le tribunal retient de la preuve offerte à cet égard que, essentiellement, la symptomatologie de ce travailleur se compose d’une douleur à la région pectorale et à la ceinture scapulaire gauches qui irradie au membre supérieur, d’une absence ou d’une sévère limitation de mobilité de l’épaule, du coude et du poignet, ainsi que de manifestations d’une dysfonction sympathique.

[136]       Les données objectives recueillies par tous les examinateurs, soit les docteurs Lamarre, Lachapelle, Beaudoin, Wiltshire ou Bergeron, révèlent de façon constante une rétraction du muscle grand pectoral témoignant d’une déchirure, des contractions de ce muscle à la palpation locale ou même spontanément et une quasi-absence de mouvements, passifs ou actifs, de l’épaule, du coude, du poignet et de la main gauches. Une froideur, une modification de la couleur et une légère hypersudation sont aussi notées.

[137]       La preuve démontre donc, de manière prépondérante, que l’ensemble du tableau clinique que présente monsieur Sorotsky en est un d’impotence fonctionnelle du membre supérieur gauche, tous les examinateurs en conviennent.

[138]       L’explication de cette impotence est cependant incertaine et les opinions émises à ce sujet ne sont pas unanimes.

[139]       La douleur reliée aux spasmes répétés du grand pectoral, lesquels sont déclenchés par un stimuli très léger, a été décrite par tous les intervenants. Cependant, le lien entre ces spasmes et la lésion d’origine ne s’impose pas d’évidence, non plus que le lien entre ces spasmes pectoraux et l’ankylose des articulations distales à l’épaule.

[140]       À ce sujet, une équipe d’orthopédistes consultée par le docteur Baillargeon en février 2006 attribue ces spasmes à une plexopathie et, sans prendre fermement position à ce sujet, le docteur Bergeron estime plausible cette explication, tout en y ajoutant la notion d’un syndrome douloureux régional complexe. La docteure Beaudoin estime que ce diagnostic ne peut être formellement posé, mais elle retient que monsieur Sorotsky souffre de spasmes de type myocloniques.

[141]       Le docteur Lamarre a demandé l’opinion du docteur Lachapelle, neurologue, à ce sujet et ce denier rejette toute explication neurologique aux spasmes pectoraux, dont il a cependant fait le constat. Pour sa part, le docteur Wiltshire, membre du Bureau d’évaluation médicale, avoue ne pouvoir « expliquer les spasmes pectoraux gauches et la dysfonction presque complète du membre supérieur gauche ».

[142]       La Commission des lésions professionnelles retient donc que c’est dans ce contexte d’incertitude physiopathologique que doit être déterminé le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique qui résulte de la lésion professionnelle de monsieur Sorotsky.

[143]       Le docteur Wiltshire estime devoir reconnaître un déficit anatomo-physiologique pour la déchirure du grand pectoral, et un autre pour la « dysfonction du membre supérieur ». Le docteur Bergeron est tout à fait d’accord avec le docteur Wiltshire sur le principe de cette approche, mais les deux experts diffèrent radicalement d’opinion sur le choix des séquelles du barème qu’il convient en l’espèce de mettre en application.

[144]       Tout comme l’avait fait le docteur Lamarre en août 2006, le docteur Wiltshire retient pour la déchirure du tendon du grand pectoral le dommage corporel prévu au barème dans le cas d’une atteinte motrice de classe V du nerf thoracique antérieur.

[145]       Toutefois, la Commission des lésions professionnelles ne voit pas très bien pourquoi le docteur Wiltshire utilise ainsi, par analogie, un item retrouvé au chapitre du barème relatif au système nerveux périphérique pour indemniser une lésion qui est proprement musculo-squelettique, soit une déchirure musculo-tendineuse, et ce, d’autant plus que ce type de lésion est prévu au chapitre du barème relatif au système musculo-squelettique, soit l’atteinte des tissus mous. La référence à ce type de dommage corporel plutôt qu’à un dommage du système nerveux périphérique apparaît à sa face même beaucoup plus appropriée puisque la lésion subie par monsieur Sorotsky est d’ordre musculo-tendineuse et que, non seulement elle appartient en propre à la classe des lésions désignées par le barème comme une « atteinte des tissus mous », mais que cet item est celui qu’il est d’usage d’utiliser pour indemniser les lésions tendineuses et musculaires.

[146]       C’est là l’opinion exprimée par le docteur Bergeron et le tribunal la retient. Pour la déchirure du grand pectoral qu’a subie monsieur Sorotsky, il faut donc octroyer un déficit anatomo-physiologique en référant aux dispositions du barème relatives à l’atteinte des tissus mous du membre supérieur, lesquelles prévoient e qui suit :

c) Atteinte des tissus mous (membre supérieur)                                                % DAP

 

Atteinte permanente des tissus mous (musculo-squelettiques)

lorsque les séquelles ne sont pas déjà prévues au barème

 

-  sans séquelle fonctionnelle, ni changement radiologique                             0

 

-  sans séquelle fonctionnelle, mais avec changements radiologiques  1

 

 

-  avec séquelles fonctionnelles                                                                    2

 

de plus, se référer au tableau des ankyloses de la ou des

articulations atteintes ainsi qu’au tableau 5 des atrophies

du membre supérieur                                                                                  DAP

 

 

[147]       Or, compte tenu de ces dispositions et de la preuve offerte à cet effet, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que, compte tenu de la lésion subie par monsieur Sorotsky, c’est un déficit anatomo-physiologique de 2 % qu’il faut octroyer pour une atteinte des tissus mous avec séquelles fonctionnelles, déficit auquel doit aussi s’ajouter un pourcentage additionnel pour des ankyloses du membre supérieur gauche.

[148]       En effet, outre sa lésion locale initiale, monsieur Sorotsky a été confronté à une cascade de complications qui ont conduit à une impotence fonctionnelle de son membre supérieur gauche et c’est l’évaluation de cette dysfonction globale de ce membre qui est au cœur du litige.

[149]       Contrairement au docteur Lamarre, le docteur Wiltshire croit opportun d’indemniser cette dysfonction mais, en comparant celle-ci à un « syndrome post-phlébitique sévère », octroyant ainsi pour ce phénomène un déficit anatomo-physiologique de 15 %. Ce faisant, le docteur Wiltshire estime que cette dysfonction n’a pas à être indemnisée en considérant qu’elle est expliquée par des ankyloses et, comme le prévoit le dernier alinéa de l’article 84, il retient plutôt, par analogie, qu’elle constitue un dommage corporel du même genre que le syndrome post-phlébitique. Cet article se lit comme suit :

84. Le montant de l'indemnité pour préjudice corporel est égal au produit du pourcentage, n'excédant pas 100%, de l'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique par le montant que prévoit l'annexe II au moment de la manifestation de la lésion professionnelle en fonction de l'âge du travailleur à ce moment.

 

Le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique est égal à la somme des pourcentages déterminés suivant le barème des préjudices corporels adopté par règlement pour le déficit anatomo-physiologique, le préjudice esthétique et les douleurs et la perte de jouissance de la vie qui résultent de ce déficit ou de ce préjudice.

 

Si un préjudice corporel n'est pas mentionné dans le barème, le pourcentage qui y correspond est établi d'après les préjudices corporels qui y sont mentionnés et qui sont du même genre.

__________

1985, c. 6, a. 84; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[150]       Le docteur Bergeron explique cependant lors de son témoignage que ce choix est inapproprié parce qu’il y a peu de similitudes entre la condition de monsieur Sorotsky et le syndrome post-phlébitique. Notamment, il indique que, s’il est vrai que ce syndrome peut causer de la douleur et de l’ankylose, il ne peut rendre compte adéquatement de l’état réel de ce travailleur, lequel se caractérise par une douleur intense avec un déficit de mobilité et une impotence qui sont hors de proportion avec le syndrome post-phlébitique. De plus, les spasmes musculaires, qui sont la manifestation principale de la condition de monsieur Sorotsky, ne se retrouvent pas dans les lésions veineuses.

[151]       Le docteur Bergeron estime donc que la référence, par analogie, à un syndrome post-phlébitique n’est pas adéquate dans le cas particulier de monsieur Sorotsky et le tribunal retient cette opinion puisqu’il estime aussi que ce syndrome n’est en effet pas un dommage corporel « du même genre » que celui qui affecte le travailleur.

[152]       Le docteur Bergeron a plutôt choisi d’évaluer la dysfonction du membre supérieur gauche de monsieur Sorotsky en optant pour le concept de perte de mobilité, c’est-à-dire les ankyloses. Le docteur Wiltshire refuse de reconnaître l’existence d’ankyloses au motif qu’il ne trouve pas de « cause physique » pour la diminution de la mobilité, ce dernier étant d’avis que cette diminution est « antalgique » et non pas secondaire à une réelle pathologie physique, telle une capsulite.

[153]       Le docteur Bergeron convient qu’il n’y a pas, à proprement parler, chez monsieur Sorotsky de limitations mécaniques à la mobilité articulaire du membre supérieur gauche et, questionné à ce sujet, il reconnaît ne pouvoir fournir une explication unique, démontrable de la dysfonction de ce membre. Il invoque cependant d’autres hypothèses physiopathologiques, dont entre autres une atteinte du plexus brachial, un syndrome douloureux régional complexe et des modifications du système nerveux central liées à ce syndrome ou encore, à la douleur chronique. Le docteur Wiltshire évoque lui-même d’ailleurs la possibilité d’une « causalgie », un terme qui renvoie à la notion de syndrome douloureux régional complexe de type 2, dont monsieur Sorotsky présente d’ailleurs des manifestations.

[154]       La Commission des lésions professionnelles retient donc que, si l’explication précise à la dysfonction du membre supérieur gauche de monsieur Sorotsky n’est pas connue, il ne manque cependant pas d’hypothèses plausibles pour supporter l’authenticité de cette dysfonction. Elle retient de plus que, l’argument le plus décisif en faveur d’une réelle impotence du membre supérieur, est celui de la constance des données subjectives et objectives recueillies par les divers examinateurs, et ils sont nombreux, ce qui confère au travailleur une crédibilité. En fait, il n’y a que les hypothèses explicatives qui varient dans ce dossier, non les données cliniques.

[155]       La Commission des lésions professionnelles note à cet égard que certains examinateurs ont questionné la réalité de cette impotence étant donné l’absence d’atrophie au niveau du membre supérieur gauche de monsieur Sorotsky et le port par ce dernier d’une montre à son poignet gauche.

[156]       La Commission des lésions professionnelles retient toutefois les explications du docteur Bergeron à ce sujet, soit que l’importance des spasmes qui affectent monsieur Sorotsky empêche l’atrophie de son membre supérieur gauche et ce, même si ce travailleur ne l’utilise pas. Pour ce qui est de la montre, celle-ci est portée de façon à ce que le cadran puisse faire face au bord radial du poignet.

[157]       La Commission des lésions professionnelles conclut donc que, malgré les incertitudes sur le mécanisme causal, la preuve de l’existence d’une sévère dysfonction du membre supérieur gauche de monsieur Sorotsky est prépondérante.

[158]       Le docteur Bergeron a évalué cette dysfonction selon le modèle des ankyloses et il explique que ce choix, bien qu’imparfait, était dicté par l’absence d’alternative plus adéquate. La Commission des lésions professionnelles retient cet avis et elle estime, comme ce médecin, que l’évaluation de la dysfonction par analogie avec des ankyloses, bien qu’insatisfaisante au strict plan physiopathologique, demeure en l’espèce l’approche la plus appropriée parmi les choix qu’offre le barème, en ce que c’est cette analogie qui décrit le mieux l’état fonctionnel du membre supérieur gauche de monsieur Sorotsky.

[159]       En ce sens, il faut donc assimiler cet état à des séquelles fonctionnelles résultant d’une atteinte des tissus mous du membre supérieur et, en conséquence ajouter au déficit anatomo-physiologique de 2 % qu’il faut octroyer pour cette atteinte les déficits anatomo-physiologiques attribués par le docteur Bergeron pour les ankyloses retrouvées au niveau du membre supérieur, soit 35 % pour une ankylose complète de l’épaule en position de fonction, 10 % pour la flexion du coude limitée à 90°, 6 % pour l’extension du coude limitée à 50°, 8 % pour la supination qui est à 0°, 2 % pour l’extension du poignet limitée à 20 ° et 2 % pour la flexion de cette articulation limitée à 40°.

[160]       Il n’est d’ailleurs pas sans intérêt de noter que le docteur Duranleau, physiatre, écrivait dans une courte lettre du 30 avril 2007 qu’une évaluation « approximative » le conduisait à fixer, selon le modèle des ankyloses, le déficit anatomo-physiologique à 70 %, qui est assez semblable à celui auquel en vient le docteur Bergeron.

[161]       En effet, en additionnant les diverses séquelles ankylotiques, ce médecin parvient à un déficit anatomo-physiologique de 63 % pour la perte de mobilité du membre supérieur gauche, auquel il ajoute, comme il se doit, le déficit anatomo-physiologique de 2 % pour l’atteinte des tissus mous que constitue la déchirure du pectoral.

[162]       Incidemment, il n’est pas sans intérêt de noter que d’autres alternatives auraient pu s’offrir aux évaluateurs pour indemniser la dysfonction du membre supérieur gauche de monsieur Sorotsky. Par exemple, une atteinte du plexus brachial « totale » aurait donné un tableau d’impotence se rapprochant de celui présenté par monsieur Sorotsky ou encore, une atteinte cérébrospinale avec atteinte du membre supérieur, unilatérale. Dans ces deux cas, le déficit anatomo-physiologique aurait été de 70 %, soit un pourcentage du même ordre que celui auquel en vient de toute façon le docteur Bergeron et, pourrions-nous ajouter, le docteur Duranleau.

[163]       Par ailleurs, bien que le docteur Bergeron n’en ait pas fait état dans son évaluation, le tribunal retient que monsieur Sorotsky a subi une chirurgie au membre inférieur gauche, consistant en une exérèse du muscle gracilis, site donneur pour la seconde chirurgie du pectoral. Le barème ne prévoit aucune disposition spécifique pour indemniser l’ablation d’un muscle, de sorte qu’il y a lieu de procéder par analogie. En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles estime opportun, comme l’ont fait les docteurs Lamarre et Wiltshire, d’octroyer un déficit anatomo-physiologique additionnel de 2 % pour cette exérèse d’un muscle, sous le titre d’atteinte des tissus mous.

[164]       Le docteur Bergeron ajoute un déficit anatomo-physiologique de 5 % pour atteinte du plexus brachial et ce, compte tenu de la présence de dysesthésies et de douleurs.

[165]       La Commission des lésions professionnelles ne retient toutefois pas ce déficit, puisqu’elle estime que, quel que soit le mécanisme précis de l’impotence du membre supérieur gauche, celle-ci est en bonne partie due à un phénomène antalgique dont tous les examinateurs ont fait état. Les conséquences physiologiques de la douleur sont donc déjà indemnisées sous l’item « ankyloses », sans compter l’attribution du pourcentage additionnel pour douleur et perte de jouissance de la vie afférent au déficit anatomo-physiologique attribué pour ces ankyloses.

[166]       Finalement, le docteur Bergeron a lui-même retiré le pourcentage initialement accordé pour le préjudice esthétique résultant de la cicatrice chirurgicale à l’épaule gauche et ce, parce qu’il estime que cette cicatrice n’a pas les caractéristiques requises pour qu’elle soit qualifiée de vicieuse et donc, pour qu’elle soit indemnisable à titre de dommage corporel.

[167]       Les docteurs Lamarre et Wiltshire ont tous deux octroyé des pourcentages pour préjudices esthétiques compte tenu des cicatrices chirurgicales à l’épaule et au membre inférieur gauches, mais de l’avis du tribunal, sans que cette conclusion soit supportée par des observations faites à l’examen justifiant que ces cicatrices soient réellement qualifiées de vicieuses.

[168]       Monsieur Sorotsky conserve donc un déficit anatomo-physiologique total de 67 % (65 % pour le membre supérieur et 2 % pour le membre inférieur), auquel il faut ajouter un pourcentage additionnel de 30,15 % pour tenir compte de la douleur et de la perte de jouissance de la vie, de sorte que son atteinte permanente à l’intégrité physique est de 97,15 %.

[169]       Comme le prévoient les articles 83 et 84 de la loi, monsieur Sorotsky a donc droit à une indemnité pour préjudice corporel dont le montant est établi en tenant compte de ce pourcentage d’atteinte permanente. L’article 84 est cité ci-dessus et l’article 83 se lit comme suit :

83. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, pour chaque accident du travail ou maladie professionnelle pour lequel il réclame à la Commission, à une indemnité pour préjudice corporel qui tient compte du déficit anatomo-physiologique et du préjudice esthétique qui résultent de cette atteinte et des douleurs et de la perte de jouissance de la vie qui résultent de ce déficit ou de ce préjudice.

__________

1985, c. 6, a. 83; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[170]       Pour l’ensemble de ces motifs, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que le nouveau diagnostic d’hypertension artérielle n’est pas relié à la lésion professionnelle dont a été victime monsieur Sorotsky le 12 août 2004 et que ce dernier n’a pas droit d’être remboursé des frais reliés à ses transports par ambulance le 30 août 2006 ni de ceux reliés à l’achat d’un appareil de stimulation magnétique répétitive « Magnapulse ».

[171]       Elle en vient aussi à la conclusion que la demande de révision de monsieur Sorotsky du 12 mars 2007 concernant la décision de la CSST du 16 septembre 2004 est irrecevable.

[172]       Elle en vient également à la conclusion que monsieur Sorotsky conserve de sa lésion professionnelle du 12 août 2004 une atteinte permanente à l’intégrité physique de 97,15 %.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 312806-61-0703

REJETTE la requête du travailleur, monsieur Gennady Sorotsky;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 8 mars 2007 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le nouveau diagnostic d’hypertension artérielle n’est pas relié à la lésion professionnelle qu’a subie monsieur Gennady Sorotstky le 12 août 2004;

Dossier 312807-61-0703

REJETTE la requête de monsieur Gennady Sorotsky;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 8 mars 2007 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que monsieur Gennady Sorotsky n’a pas droit d’être remboursé des frais liés à ses transports par ambulance le 30 août 2006;

Dossier 324830-61-0708

ACCUEILLE la requête de monsieur Gennady Sorotsky;

INFIRME en partie la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 24 juillet 2007 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que monsieur Gennady Sorotsky conserve de la lésion professionnelle dont il a été victime le 12 août 2004 une atteinte permanente à l’intégrité physique de 97,15 %;

DÉCLARE que monsieur Gennady Sorotsky a droit à une indemnité pour préjudice corporel dont le montant est établi en tenant compte de ce pourcentage d’atteinte permanente;

Dossier 326886-61-0709

REJETTE la requête de monsieur Gennady Sorotsky;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 22 août 2007 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE irrecevable la demande de révision de monsieur Gennady Sorotsky du 12 mars 2007 concernant la décision du 16 septembre 2004;

Dossier 340396-61-0802

REJETTE la requête de monsieur Gennady Sorotsky;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 7 février 2008 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que monsieur Gennady Sorotsky n’a pas droit au remboursement des frais liés à l’achat d’un appareil de stimulation magnétique répétitive « Magnapulse ».

 

 

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Ginette Morin

 

Commissaire

Me Martin Côté

CHOLETTE SAVARD, AVOCATS, S.E.N.C.

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Robert Morin

PANNETON LESSARD

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           L. R. Q., c. A-3.001

[2]           (1987) 119 G. O. II, 5576

[3]           C.L.P. 252796-61-0501, 11 mai 2005, M. Duranceau.

[4]           (1993) 125 G. O. II, 4257

[5]           Denault et Héritage (Provigo), C.L.P. 129106-62-9912, 5 juillet 2000, G. Godin; Bergeron et Maçonnerie Doria Côté ltée et CSST, C.L.P. 290517-02-0605, 5 juillet 2007, J. Grégoire.

[6]           Voir notamment : Hôtel-Dieu de Rivière-Du-Loup et Lafresnaye et CSST, [1987] C.A.L.P. 660 ; Céleste et Groupe Cabano Transport, C.A.L.P. 41625-01-9207, 8 juillet 1994, J.-G. Roy; Beaudoin et Clinique dentaire Carter & Gaumond et CSST, C.L.P. 116141-31-9905, 14 janvier 2000, J.-L. Rivard; Gauthier et Au Dragon Forgé inc. et Sécurité Tenox ltée et CSST, C.L.P. 259610-63-0504, 7 octobre 2005, L. Nadeau.

[7]           C.L.P.311391-08-0703, 2 octobre 2007, F. Daigneault; voir au même effet, Céleste et Groupe Cabano Transport et CSST, précitée, note 5.

[8]           (1993) 125 G.). II, 1331

[9]           C.L.P. 163781-08-0106, 20 décembre 2003, M.Beaudoin.

[10]         Voir notamment : Nadeau et Agro Distributions inc., C.L.P. 164182-04B-0106, 27 novembre 2001, F. Mercure; Sigouin et Planterra ltée, C.L.P. 169297-62C-0109, 28 mars 2002, L. Nadeau; Rebelo et J. B. Laverdure inc., C.L.P. 173709-71-0111, 16 avril 2003, C. Racine; Trudel et C. S. de l’Estuaire et CSST, C.L.P. 224977-09-0405, 25 août 2004, J.-F. Clément; Hébert et Commission scolaire des Hautes-Rives et CSST, C.L.P. 250448-62A-0412, 7 avril 2005, J. Landry; Cayouette et Gestion Clément Cayouette, C.L.P. 244581-63-0409, 7 juin 2006, J.-P. Arsenault; Tardif et Production de semences et de plants, C.L.P. 286266-01A-0604, 10 juillet 2006, M. Langlois; Fontaine et Knirps Canada inc. et CSST, C.L.P. 263575-61-0506, 10 janvier 2007, S. Di Pasquale.

[11]         McGale et Gauthier, C.L.P. 170128-64-0110, 12 février 2002, G. Perreault; Tapp et Noranda inc., C.L.P. 180573-01C-0203, 10 mars 2004, R. Arseneau, révision rejetée, 8 juin 2006, M. Carignan.

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