Bermex International inc. et Rouleau |
2007 QCCLP 1688 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 4 avril 2006, la compagnie Bermex International inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue le 22 février 2006.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette les trois requêtes de l’employeur. Elle déclare ce qui suit :
-Mme Diane Rouleau (la travailleuse) est atteinte d’une maladie professionnelle qui s’est manifestée le 22 octobre 2002 soit une tendinite de De Quervain droite (affectant le pouce) et une tendinite de l’extenseur carpi radialis (un extenseur du poignet);
-l’épicondylite droite dont la travailleuse a souffert n’est pas une lésion professionnelle;
-la travailleuse a subi le 2 décembre 2003 une récidive, rechute ou aggravation;
-la tendinite de De Quervain droite n’est pas consolidée;
-une intervention chirurgicale est requise;
-la travailleuse a droit à l’assistance médicale que requiert cette pathologie;
-la travailleuse a droit à l’indemnité de remplacement du revenu qui n’est pas payable lorsqu’elle est en assignation temporaire.
[3] L’audience s’est tenue à Trois-Rivières le 8 janvier 2007 en présence du procureur de l’employeur, de la travailleuse et de son représentant.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L’employeur demande de réviser la décision rendue le 22 février 2006; d’accueillir ses trois contestations et de déclarer que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 22 octobre 2002 ni de rechute, récidive ou aggravation le 1er décembre 2003. De manière subsidiaire, l’employeur demande de déclarer que les lésions de la travailleuse sont consolidées depuis le 6 janvier 2005.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales est d’avis de rejeter la requête en révision de l’employeur. Même si la commissaire commet une erreur en affirmant que la présomption de l’article 29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) est absolue, l’analyse à laquelle elle se prête révèle qu’elle a apprécié la preuve de l’employeur sur le renversement de la présomption. Il s’agit davantage d’une maladresse de rédaction. Quant au second volet, il appartient à la commissaire d’apprécier la preuve et elle n’est pas tenue de retenir l’opinion émise par les experts.
[6] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis contraire et accueillerait la requête en révision. Elle estime que la commissaire a commis une erreur de droit déterminante en qualifiant la présomption d’absolue. Cette fausse prémisse biaise son cadre d’analyse. De plus, elle a écarté la preuve d’experts en y substituant sa propre analyse de la preuve.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 22 février 2006.
[8] Le pouvoir de révision est prévu à l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] Dans le présent dossier, l’employeur allègue que la décision est entachée d’un vice de fond au sens du 3e paragraphe de l’article 429.56 de la loi. La notion de «vice de fond (...) de nature à invalider la décision» a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles dans les affaires Donohue et Franchellini[2] comme signifiant une erreur manifeste, de droit ou de faits, ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation. Ces décisions ont été reprises de manière constante par la jurisprudence.
[10] Il a été maintes fois réitéré que ce recours ne peut constituer un appel déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles énoncé au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi :
429.49.
(…)
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[11] La Cour d’appel a également été appelée à plusieurs reprises à se prononcer sur l’interprétation de la notion de vice de fond. En 2003, dans l’affaire Bourassa[3], elle rappelle la règle applicable en ces termes :
[21] La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments(4).
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(4) Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villaggi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.
[12] La Cour d’appel a de nouveau analysé cette notion dans l’affaire CSST c. Fontaine[4] alors qu’elle devait se prononcer sur la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision en révision. Procédant à une analyse fouillée, le juge Morissette rappelle les propos du juge Fish dans l’arrêt Godin[5], et réitère qu’une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision. La Cour d’appel le répète quelques semaines plus tard dans l’affaire Touloumi[6].
[13] De l’avis de la soussignée, la Cour d’appel nous invite à faire preuve d’une très grande retenue en indiquant qu’il ne faut pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et en insistant sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée.
[14] Avant d’analyser les reproches invoqués par l’employeur, rappelons brièvement les faits ayant donné lieu au litige et la preuve soumise à la Commission des lésions professionnelles.
[15] L’employeur opère une entreprise de fabrication de meubles et la travailleuse occupe un poste de couturière depuis avril 2001. Vers la fin du mois d’août 2002, la travailleuse développe des malaises au membre supérieur droit. Elle abandonne son travail régulier du 29 octobre 2002 au 9 juin 2003. Plusieurs diagnostics visant différents sites du membre supérieur droit (pouce, poignet, coude, épaule) sont posés par ses médecins. À compter du 2 décembre 2003, la travailleuse cesse de nouveau de travailler en raison d’une tendinite de De Quervain droite.
[16] La CSST reconnaît que la travailleuse est atteinte dune maladie professionnelle et qu’elle a subi une rechute, récidive ou aggravation le 1er décembre 2003. La CSST donne également suite à deux avis du Bureau d’évaluation médicale portant sur le diagnostic de la lésion professionnelle du 1er décembre 2003, la date de consolidation de cette lésion et la nécessité de traitements. L’employeur conteste ces décisions de la CSST devant la Commission des lésions professionnelles.
[17] La Commission des lésions professionnelles devait donc se prononcer sur l’admissibilité des réclamations de la travailleuse, et, concernant la rechute de décembre 2003, sur le diagnostic à retenir, la consolidation de la lésion et la nécessité de traitements.
[18] Une audience est tenue devant la première commissaire. La travailleuse est présente, elle témoigne mais elle n’est pas représentée. L’employeur dépose une vidéo du poste de travail et fait entendre deux témoins experts : Mme Lyne Boileau, ergonome, et le Dr Alain Bois. Mme Boileau avait également déposé une expertise écrite au dossier, ce qui n’est pas le cas du Dr Bois.
[19] La première commissaire conclut que la travailleuse a souffert depuis le 22 octobre 2002 d’une maladie professionnelle soit une tendinite de De Quervain droite et une tendinite de l’extenseur carpi radialis droit. Par contre, elle conclut que l’épicondylite droite ne constitue pas une lésion professionnelle et que la travailleuse n’a pas souffert d’une tendinite de l’épaule droite. Elle déclare également que la travailleuse a subi une rechute, récidive ou aggravation le 2 décembre 2003 soit une tendinite de De Quervain droite. Elle conclut également que cette dernière n’est pas consolidée et que des soins sont toujours requis notamment une intervention chirurgicale.
[20] L’employeur allègue que la décision du 22 février 2006 comporte deux erreurs, l’une visant l’interprétation et l’application de la présomption de l’article 29 de la loi et l’autre concernant l’appréciation de la preuve.
Ø La présomption de l’article 29 de la loi
[21] En ce qui a trait à la tendinite de De Quervain, la première commissaire conclut que la travailleuse peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la loi. L’article 29 renvoie aux maladies énumérées à l’annexe I et la tendinite est une des maladies inscrites à cet annexe :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
ANNEXE I
SECTION IV
MALADIES CAUSÉES PAR DES AGENTS PHYSIQUES
MALADIES |
GENRES DE TRAVAIL |
2. Lésion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs (bursite, tendinite, ténosynovite): |
un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées; |
[22] L’employeur soumet que la commissaire a commis une erreur de droit en qualifiant cette présomption d’absolue au paragraphe 61 de sa décision. Il plaide qu’il s’agit d’une présomption simple (juris tantum), qui peut être renversée par une preuve contraire. La commissaire fait les énoncés de principe suivants[7] concernant la présomption de l’article 29 :
[56] La jurisprudence considère, sinon unanimement à tout le moins majoritairement, que la notion de mouvements répétés renvoie à l’accomplissement de mouvements ou de pressions sollicitant la structure lésée, semblables ou identiques, se succédant fréquemment.
[57] La notion de périodes de temps prolongées réfère au nombre d’heures consacrées quotidiennement aux gestes répétitifs, et non au nombre d’années durant lesquelles le travail en cause a été accompli .
[58] Selon une partie de la jurisprudence avec laquelle la commissaire soussignée est en accord, pour bénéficier de la présomption de maladie professionnelle, la travailleuse n’a pas à prouver la présence d’autres facteurs de risque dont la force, la contrainte posturale, ou l’insuffisance des périodes de repos.
[59] Ce serait, d’une part, ajouter au texte de l’annexe 1 et, d’autre part, empêcher à toutes fins utiles l’application de la présomption, puisque pareille exigence équivaudrait dans les faits à exiger la preuve du lien de causalité entre le travail et la pathologie ainsi que la présence de risques particuliers. Or, l’effet de la présomption est justement de dispenser la travailleuse de l’obligation d’offrir la preuve de ce lien.
[60] Lorsque la présomption de maladie professionnelle s’applique, il revient à l’employeur de prouver que la maladie n’a probablement pas été contractée par le fait ou à l’occasion du travail. Toutefois, l’employeur n’est pas tenu de prouver la cause de la maladie.
[61] Enfin, l’employeur n’est pas admis à tenter de prouver que la maladie n’est ni caractéristique ni reliée aux risques particuliers du travail. En effet, l’article 29 alinéa 1 de la loi est déclaratoire et énonce une présomption absolue. Le législateur a fait le choix de considérer que les maladies inscrites à l’annexe sont caractéristiques et reliées aux risques particuliers du travail qui y correspond d’après l’annexe. Le tribunal doit appliquer la loi telle qu’elle est rédigée. Il ne peut considérer que cette présomption absolue est mal fondée (9).
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(9) Société canadienne des postes et C.A.L.P., C.S. 200-05-001848-956, 3 novembre 1995, j. Bergeron (J7-10-10); Miville et Crustacés des Monts inc., 152599-01C-0012, 26 mars 2002, L. Desbois
(nos soulignements)
[23] Il faut rappeler que la notion de maladie professionnelle est ainsi définie à l’article 2 de la loi :
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
[24] La notion de maladie professionnelle implique la preuve de trois éléments :
-une maladie;
-contractée par le fait ou à l’occasion du travail;
-caractéristique du travail ou reliée directement aux risques particuliers du travail.
[25] Le législateur a prévu deux régimes : l’un où le travailleur bénéficie d’une présomption, en vertu de l’article 29 de la loi, et l’autre sans présomption où le travailleur a le fardeau de prouver la relation entre le travail qu’il exerce et sa maladie suivant l’article 30 de la loi :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[26] L’article 29 crée donc une présomption dispensant le travailleur d’avoir à démontrer la relation entre la maladie diagnostiquée et son travail, d’avoir à démontrer que la maladie dont il souffre est caractéristique de son travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail. C’est un moyen de preuve que le législateur met à la disposition du travailleur. Son fardeau de preuve est ainsi allégé.
[27] Il s’agit d’une présomption légale au sens des articles 2846 et 2847 du Code civil du Québec[8] :
Art. 2846. La présomption est une conséquence que la loi ou le tribunal tire d’un fait connu à un fait inconnu.
Art. 2847. La présomption légale est celle qui est spécialement attachée par la loi à certains faits; elle dispense de toute autre preuve celui en faveur de qui elle existe.
Celle qui concerne des faits présumés est simple et peut être repoussée par une preuve contraire; celle qui concerne des faits réputés est absolue et aucune preuve ne peut lui être opposée.
[28] C’est une présomption simple puisqu’aucune disposition de la loi ne la déclare absolue. C’est donc une présomption qui peut être renversée. La jurisprudence de la Commission d’appel et de la Commission des lésions professionnelles a d’ailleurs généralement émis l’opinion que la présomption de l’article 29 est réfragable[9]. L’employeur dépose également une décision de la Cour supérieure rendue en 1988 dans l’affaire Société canadienne des postes c. C.A.L.P.[10] dans laquelle une requête en évocation a été accueillie et dans laquelle la Cour énonce que la présomption de maladie professionnelle énoncée à l'article 29 est une présomption juris tantum. Elle intervient au motif que cette présomption n'étant pas irréfragable, la Commission d’appel devait examiner la preuve afin de décider si cette présomption a été renversée.
[29] Avec respect, la soussignée estime qu’il est inexact d’écrire, au paragraphe 61, que l’article 29 de la loi «énonce une présomption absolue». Cependant il ne s’agit pas d’une erreur manifeste et déterminante en l’espèce. Deux raisons amènent le présent Tribunal à conclure ainsi : la lecture de la décision démontre clairement que la commissaire a traité la présomption comme une présomption simple qui peut être renversée et l’utilisation du terme absolu n’est pas rattachée au fait que la présomption soit irréfragable.
[30] En premier lieu, une lecture attentive de la décision permet de constater que la commissaire interprète et applique la présomption de l’article 29 comme une présomption réfragable. D’abord elle rappelle les principes applicables et elle énonce expressément, au paragraphe 60, comment l’employeur peut renverser la présomption.
[31] Dans l’application des principes à son dossier, elle conclut d’abord que la présomption s’applique puisque la preuve démontre des mouvements répétés en extension du pouce droit sur des périodes de temps prolongées (par. 62 à 65). Elle retient que, selon la preuve vidéo, «les activités de couture, surpiquage, décousage, échantillonnage, taillage et insertion» accomplies par la travailleuse impliquent la répétition continuelle de mouvements en extension du pouce droit pendant toute la durée de son quart de travail.
[32] Cependant elle ne s’arrête pas là. Elle apprécie la preuve et les arguments de l’employeur pour déterminer s’il a renversé la présomption de l’article 29. Elle procède à l’analyse suivante :
[65] Il s’agit de mouvements répétés en extension du pouce droit sur des périodes de temps prolongées. La présomption de maladie professionnelle s’applique. L’employeur n’a pas prouvé que la travailleuse est porteuse d’une condition personnelle ou que des activités non professionnelles sont la cause probable de la pathologie.
[66] L’employeur prétend avoir renversé la présomption en démontrant que la sollicitation professionnelle du pouce droit n’est pas excessive en répétition, amplitude, force et durée d’exposition. Il s’appuie sur le témoignage à cet effet de madame Boileau et du docteur Bois. Selon le témoignage de ce médecin, ces facteurs doivent se combiner pour conclure à une sollicitation excessive susceptible de provoquer la pathologie.
[67] Madame Boileau et le docteur Bois ne proposent que leur appréciation subjective de l’intensité de la sollicitation, puisque le nombre de répétitions, la force, la durée de chaque mouvement, le temps de micro-pause entre les mouvements ou efforts et l’amplitude des mouvements d’extension du pouce droit n’ont pas été mesurés de façon objective.
[68] Ils supposent que la force est insuffisante. Le fait est possible mais il n’est pas prouvé de façon prépondérante.
[69] En l’absence de données précises relatives à la durée de chaque séquence de mouvement impliquant une sollicitation des extenseurs du pouce droit, le tribunal doit évaluer la question à partir de la bande vidéo. Tel que déjà indiqué, il en ressort que le pouce droit est intensément sollicité en fréquence et en durée - « constamment » ou « la majorité du temps » pour reprendre les propos de madame Boileau - au cours du quart de travail, particulièrement dans les activités de couture, surpiquage et décousage. Le tribunal ne peut à partir de cette preuve conclure que le facteur de risque associé au temps d’exposition est probablement insuffisant.
[70] Faute de données objectives précises relativement à l’amplitude des mouvements d’extension du pouce droit, le tribunal ne peut non plus conclure que ce facteur de risque est insuffisant. De plus, la bande vidéo n’est pas concluante, puisque très souvent le pouce droit n’est pas visible. Il en est de même quant à la déviation cubitale du poignet droit qui est nécessaire selon le docteur Bois pour provoquer, en combinaison avec l’extension du pouce, la tendinite de de Quervain. Aucune mesure d’amplitude de ce mouvement n’a été faite. De plus, il est impossible pour le tribunal de conclure que le poignet droit n’est pas dévié suffisamment toutes les fois où cette partie du corps n’est pas visible sur la bande vidéo.
[71] La présence de temps de repos compensatoire suffisant n’est pas non plus prouvée de façon prépondérante. Le rapport de madame Boileau ne comporte aucune étude temps/mouvement.
[72] Le tribunal apprécie par ailleurs qu’il existe une relation temporelle étroite entre l’apparition de la pathologie et l’affectation de la travailleuse à des tâches moins variées, qui sont également les plus sollicitantes.
[33] Ces extraits démontrent clairement que la première commissaire considère la présomption de l’article 29 comme réfragable car elle analyse la preuve et les prétentions soumises par l’employeur sur le renversement de la présomption.
[34] En second lieu, l’utilisation du terme absolu semble davantage se rattacher au bien-fondé de la présomption elle-même qu’à son caractère irréfragable. Relisons attentivement le libellé du paragraphe 61 :
[61] Enfin, l’employeur n’est pas admis à tenter de prouver que la maladie n’est ni caractéristique ni reliée aux risques particuliers du travail. En effet, l’article 29 alinéa 1 de la loi est déclaratoire et énonce une présomption absolue. Le législateur a fait le choix de considérer que les maladies inscrites à l’annexe sont caractéristiques et reliées aux risques particuliers du travail qui y correspond d’après l’annexe. Le tribunal doit appliquer la loi telle qu’elle est rédigée. Il ne peut considérer que cette présomption absolue est mal fondée (9).
[35] La commissaire fait son assertion sur le caractère absolu après avoir énoncé que l’article 29 est déclaratoire. Puis elle énonce le choix du législateur de considérer que les maladies énumérées sont caractéristiques du travail et reliées aux risques particuliers du travail. Elle reprend l’expression «présomption absolue» en indiquant qu’on ne peut pas remettre en question le bien-fondé de celle-ci. Le terme «absolu» réfère au fait que l’employeur ne peut pas remettre en cause le bien-fondé de la présomption légale. Le terme «absolu» se rattache au caractère déclaratoire de la présomption.
[36] En ce sens, l’utilisation de l’expression «présomption absolue» relève davantage d’une maladresse de rédaction. Cette compréhension du paragraphe 61 est renforcée par la lecture des deux décisions que la première commissaire donne en référence lorsqu’elle fait son affirmation sur le caractère absolu de la présomption.
[37] Dans Société canadienne des postes c. C.A.L.P.[11], la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles avait conclu que la preuve médicale prépondérante démontrait que le travailleur, un facteur, avait contracté une tendinite rotulienne alors qu’il exerçait un travail impliquant des mouvements répétitifs sollicitant son tendon rotulien, et ce sur une période de temps prolongée. En Cour supérieure, l’employeur prétendait que la Commission d’appel l’avait privé de son droit de faire valoir ses moyens dans le but de repousser la présomption de l’article 29 de la loi en refusant de considérer sa preuve et ses arguments pour établir que le travailleur ne souffrait pas d’une maladie caractéristique de son travail ou découlant des risques particuliers de son travail. La Cour supérieure a rejeté sa prétention et elle s’exprime ainsi :
L'employeur a raison de dire qu'il pouvait contrer cette présomption, ce que la Commission reconnaît en la qualifiant de "réfragable". Cependant, elle décide avec raison que la preuve qui aurait pour but de nier, sur le plan objectif, le lien entre une "tendinite rotulienne" et un "travail impliquant des répétitions de mouvements... sur des périodes de temps prolongées", ne saurait être acceptée comme défense, vu la présomption décrétée par l'article 29 (contrairement à l'article 30 qui ne prévoit pas une telle présomption). L'employeur pouvait prouver que, dans le cas particulier de la maladie de l'employé Marcel Allard, le travail spécifique qu'il exerçait n'impliquait pas les mouvements répétés décrits dans l'annexe; et même si tel était le cas, l'employeur avait le loisir d'établir que de tels mouvements n'ont pas été la cause de sa tendinite rotulienne. C'est ce que la Commission a décrété avec justesse, me semble-t-il, lorsqu'elle considère les expertises médicales, la description des tâches et le témoignage de l'employé, pour se dire d'accord avec l'opinion du Dr Morin. Dans ces circonstances, il relevait de sa juridiction de décider que l'employeur ne pouvait pas soustraire la tendinite comme telle de la présomption de l'article 29, mais il pouvait établir que l'employé souffrait d'une tendinite provenant d'une autre cause que son travail, comme le soutenait le Dr Gilbert; l'employeur pouvait aussi prouver que la tendinite ne provenait pas des mouvements répétitifs sur une période prolongée, ce qu'il a tenté de faire en faisant entendre Messieurs Bédard et Lemelin.
(notre soulignement)
[38] Dans Miville et Crustacés des Monts inc.[12], la Commission des lésions professionnelles tient les propos suivants :
[40] L’application de cette présomption dispense la travailleuse de faire la preuve que sa maladie est caractéristique d’un travail qu’elle a exercé, qu’elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail et qu’elle a été contractée par le fait ou à l’occasion de celui-ci.
[41] Il n’apparaît pas opportun, au stade de l’application de la présomption, d’analyser et de qualifier l’intensité des mouvements ou des pressions afin de déterminer si elle a pu être suffisante pour causer la lésion. Cela reviendrait en effet à ajouter une exigence n’apparaissant pas dans le texte de la présomption.
[42] Il suffit en fait de conclure, sur la base d’une preuve prépondérante, qu’il y a des « répétitions » de mouvements ou de pressions, et ce, « sur des périodes de temps prolongées ». De façon générale, il est reconnu que pour conclure en ce sens on doit constater une certaine continuité, une succession de mouvements ou de pressions sollicitant la même structure anatomique, à une cadence assez rapide, et, par conséquent, une absence de périodes de récupération assez fréquentes. Cela découle souvent d’une cadence imposée par le travail, notamment la machinerie.
[43] Il est par contre implicite que les répétitions de mouvements ou de pressions doivent concerner la structure anatomique atteinte par la maladie afin que la présomption puisse trouver application. Il faut donc savoir minimalement quelle est la structure atteinte afin de pouvoir évaluer si elle est sollicitée par les répétitions de mouvements ou de pressions. Ainsi, un mouvement répété du coude ne saurait par exemple justifier une lésion à l’épaule.
[44] Cette présomption peut par ailleurs être renversée, et le sera effectivement, par une preuve tendant à démontrer de façon prépondérante que la maladie affectant la travailleuse n’a pas été contractée par le fait ou à l’occasion du travail. Une preuve tendant à démontrer de façon prépondérante que la maladie en cause ne serait pas caractéristique du travail exercé ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail ne saurait quant à elle être retenue pour renverser la présomption. Cet aspect n’est pas seulement présumé mais plutôt affirmé dans le premier paragraphe de l’article 29. Seule la relation causale, soit le fait que la maladie ait été contractée par le fait ou à l’occasion du travail, est simplement présumée et peut, de ce fait, faire l’objet d’une preuve contraire. Cette preuve contraire pourrait notamment être à l’effet que les mouvements ou pressions, bien que répétés sur des périodes de temps prolongées, n’étaient pas d’une intensité suffisante pour avoir causé la maladie ou que le travailleur a exercé une activité personnelle plus susceptible de l’avoir causée.
(nos soulignements)
[39] Cela amène la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision à conclure que l’utilisation inappropriée de l’expression «présomption absolue» ne constitue pas dans les circonstances du présent dossier une erreur manifeste et déterminante.
[40] L’employeur allègue une autre erreur concernant l’application de la présomption de l’article 29. Il soumet que l’annexe 1 section IV de la loi exige la preuve d’une lésion musculo-squelettique «se manifestant par des signes objectifs». Or il soumet que la première commissaire a conclu, à l’égard de la tendinite de De Quervain droite, à l’application de la présomption (au paragraphe 65 ci-haut cité) alors qu’elle-même reconnaît qu’aucun signe objectif n’a été constaté par quelque médecin que ce soit. Il réfère de plus le Tribunal aux extraits du témoignage du Dr Bois sur l’absence de signes objectifs.
[41] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ne constate aucune erreur à ce sujet.
[42] D’une part, la jurisprudence ne requiert pas cette preuve de signes objectifs. Le fait qu’un diagnostic de bursite, tendinite ou ténosynovite soit posé implique en quelque sorte la manifestation de signes objectifs. Dans la décision Société canadienne des postes et Ouimet[13], la Commission d’appel s’exprime ainsi :
En effet, la Commission d'appel partage l'interprétation de la travailleuse à l'effet que la bursite, la tendinite et la ténosynovite sont des lésions musculo-squelettiques qui se manifestent par des signes objectifs et qu'en conséquence, la travailleuse n'a pas à faire la preuve que le médecin a retrouvé sur elle les signes objectifs de la lésion invoquée.
Accepter le raisonnement de la Société amènerait la Commission d'appel à considérer qu'il existe deux sortes de tendinites : elle qui se manifeste par des signes objectifs et qui donne ouverture à la présomption et l'autre, sans signe objectif, qui permettrait une preuve de maladie professionnelle en vertu de l'article 30, ou une preuve d'accident du travail.
La Commission d'appel ne croit pas qu'il existe deux sortes de tendinite. Elle est plutôt d'avis que la recherche du signe objectif fait partie de la démarche du médecin lorsqu'il détermine un diagnostic de bursite, de tendinite ou de ténosynovite.
La Commission d'appel conclut en conséquence que la «lésion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs» réfère à une lésion pour laquelle le médecin retrouve normalement des signes objectifs, comme dans la bursite, la tendinite et la ténosynovite.
[43] D’autre part, dans son appréciation de la preuve, la commissaire dispose de cette prétention de l’employeur. Au paragraphe 40, elle fait état de l’opinion du Dr Bois qui, à la revue du dossier, note que la travailleuse présentait seulement des signes subjectifs et, compte tenu que l’imagerie est négative, considère que la pathologie n’est pas objectivée, ce qui l’amène à exclure la présence d’une pathologie de type tendinite au pouce et au poignet droits. Elle signale également que le Dr Paul Nadeau, chirurgien-orthopédiste, ayant effectué une expertise à la demande de l’employeur, tient le même raisonnement. Elle a donc tenu compte de cette preuve mais elle ne la retient pas et elle s’en explique. Elle signale d’abord que l’opinion diagnostique du Dr Bois est affaiblie du fait qu’il n’a pas examiné la travailleuse. La preuve est contradictoire à cet égard et la commissaire estime que la preuve prépondérante démontre des signes cliniques suffisants pour retenir le diagnostic de tendinite de De Quervain. Cela apparaît clairement des extraits suivants :
[37] À compter du 2 décembre 2003, la travailleuse abandonne son travail régulier. Le médecin consulté à cette date est d’avis que la travailleuse présente une tendinite de de Quervain droite.
[38] Ce diagnostic est repris par plusieurs médecins subséquemment (soit le docteur Giroux, orthopédiste mandaté par la CSST, le docteur Béland, les docteurs Cloutier et Dafniotis, orthopédistes consultés par la travailleuse, de même que par les docteurs Lirette et Léveillée, respectivement chirurgien-orthopédiste et chirurgien plasticien, membres du Bureau d’évaluation médicale).
[…]
[44] Le tribunal note que le docteur Nadeau admet néanmoins la présence de certains signes subjectifs suggérant la présence d’une tendinite de de Quervain droite, qu’il n’a pas indiqué s’il a fait la manœuvre de Finkelstein dans son rapport du 16 février 2004, et que dans ce rapport il n’exclut pas spécifiquement la présence d’une telle pathologie. Ce n’est que dans son rapport du 11 février 2005 qu’il se prononce clairement en indiquant que « la tendinite de de Quervain droite doit être considérée résolue » en l’absence de signes objectifs. En ce faisant, le docteur Nadeau laisse entendre que la travailleuse a souffert de cette pathologie à un certain moment.
[45] À l’analyse, le tribunal constate que les médecins mentionnés aux paragraphes [37] et [38] ne sont pas aussi exigeants que les docteurs Bois et Nadeau, puisque devant la présence de signes cliniques subjectifs qu’ils jugent fiables, ils concluent à la présence d’une tendinite de de Quervain droite.
[46] Les avis médicaux sont donc partagés quant à la qualité des signes qu’il faut exiger pour confirmer le diagnostic.
[47] La preuve révèle, par ailleurs, que les malaises rapportés dans la région du pouce droit par la travailleuse, à cette époque, sont semblables à ceux qui avaient conduit les médecins consultés au cours du premier épisode à retenir le diagnostic de tendinite de de Quervain droite.
[48] Vu l’avis de nombreux spécialistes, chirurgiens-orthopédistes et chirurgien- plasticien, qui ont jugé les signes cliniques suffisants malgré l’imagerie négative, le tribunal conclut que la preuve médicale prépondérante au dossier est à l’effet que la travailleuse a souffert d’une tendinite de de Quervain droite. D’ailleurs, le tribunal n’a aucune raison de douter de la réalité des symptômes de la travailleuse. Les signes cliniques subjectifs sont donc fiables.
[44] Cette conclusion de la commissaire relève de son appréciation de la preuve et, tel que signalé plus haut, le recours en révision ne permet pas une nouvelle appréciation de cette preuve.
Ø L’appréciation de la preuve
[45] D’entrée de jeu, répétons que l’intervention en cette matière est de nature exceptionnelle.
[46] L’employeur signale que la seule preuve présentée est celle de l’employeur soit la vidéo du poste de travail et le témoignage de ses deux experts, un ergonome et un médecin. Il reproche à la commissaire de s’être comportée elle-même comme un expert plutôt que comme un arbitre. Il prétend qu’elle a écarté l’opinion de ses deux experts en y substituant sa propre appréciation de la preuve.
[47] Il invoque la décision rendue dans Imprimerie Solisco inc. c. Commission des lésions professionnelles[14] dans laquelle la Cour supérieure a accueilli une requête en révision judiciaire au motif que le fait d'avoir adopté le critère de la possibilité plutôt que de la probabilité constitue une erreur manifestement déraisonnable. Bien que la preuve par présomption de faits soit admissible, cela ne dégage pas pour autant la partie chargée du fardeau de la preuve d'apporter, par présomption, une preuve qui soit prépondérante.
[48] Il fait également valoir les propos de la Cour d’appel dans l’affaire Tremblay c. C.A.L.P.[15] :
De la même façon, il doit y avoir une rationalité entre la preuve proprement dite et ce qu'un tribunal fait dire à cette preuve. Si celui-ci fonde sa décision sur des énoncés contraires à ce que la preuve révèle, il y a alors une erreur révisable, à cause de l'absence de lien rationnel entre la preuve et les conclusions tirées.
En l'espèce, il y a des prémisses fausses dans une proportion suffisamment importante pour justifier la révision. La Cour supérieure aurait dû intervenir en vertu de son droit de surveillance et de réforme.
[49] Il soutient que la commissaire ne peut pas conclure, comme elle le fait au paragraphe 63, que les activités exercées par la travailleuse impliquent la répétition de mouvement en extension du pouce droit pendant toute la durée de son quart de travail alors que les deux experts ont dit le contraire. Il reproche à la commissaire l’affirmation suivante faite au paragraphe 67 ci-haut cité : «Madame Boileau et le docteur Bois ne proposent que leur appréciation subjective de l’intensité de la sollicitation...». Il fait valoir que c’est justement le rôle d’un expert d’émettre une opinion.
[50] Il passe en revue différents passages des témoignages de Mme Boileau et du Dr Bois et allègue que la décision est sans commune mesure avec la preuve. Il signale également que tant la commissaire que le médecin assesseur qui siégeait avec elle ont mis beaucoup d’emphase sur la sollicitation du pouce alors que les deux experts l’écartaient.
[51] La soussignée a passé en revue l’ensemble du dossier et a fait la lecture des notes sténographiques de l’audience tenue par la première commissaire. Les arguments de l’employeur ne peuvent être retenus.
[52] Il apparaît nettement au dossier que même si plusieurs diagnostics ont été posés au début c’est la tendinite de De Quervain qui devient le principal diagnostic. C’est d’ailleurs celui-là que la commissaire retient pour la rechute, récidive ou aggravation de décembre 2003 et qui nécessite des traitements. On ne peut pas alors s’étonner que la commissaire et l’assesseur se soient surtout intéressés aux mouvements du pouce.
[53] Il n’est pas exact de prétendre, comme le fait l’employeur, qu’il n’y a pas d’autre preuve que celle soumise par l’employeur. La Commission des lésions professionnelles possède le dossier de la CSST. On y retrouve entre autres l’opinion d’un médecin de la CSST, opinion que la commissaire considère au paragraphe 89 de sa décision. L’employeur fait valoir que ce dernier n’a pas vu la vidéo du poste de travail. Cela est exact et peut influer sur la valeur probante de cette opinion mais cela ne l’écarte pas en soi.
[54] De plus, la commissaire assisté d’un médecin, est à même d’apprécier la vidéo du poste de travail, le témoignage de la travailleuse et l’ensemble de la preuve factuelle et médicale. Nous sommes ici au cœur de l’exercice de sa compétence spécialisée. Elle n’est pas liée par le témoignage des deux experts de l’employeur. Il lui appartient de les apprécier, ce qu’elle a fait de toute évidence. Écarter une opinion ne signifie pas pour autant que l’on substitue sa propre opinion à celle des experts.
[55] Dans l’affaire Pelletier c. Commission des lésions professionnelles[16], la Cour supérieure expose bien les principes applicables à ce sujet :
[38] L'appréciation du témoignage d'un expert médical est au cœur de la compétence de la CLP.
[39] Or, une preuve médicale peut être contredite ou nuancée par autre chose qu'une autre preuve médicale. Elle peut l'être par les faits mis en preuve qui peuvent venir corroborer, nuancer ou encore contredire l'opinion de l'expert.
[40] S'il fallait conclure, chaque fois qu'un tribunal ne retient pas l'opinion d'un expert, que c'est parce qu'il se fonde nécessairement sur une autre opinion d'expert (la sienne) qui serait irrecevable, cela aurait pour effet de forcer les tribunaux à retenir, dans tous les cas, une preuve d'expert unique qui lui serait présentée.
[41] Comme on le sait, un tribunal n'est jamais tenu de retenir l'opinion d'un expert, fût-elle non contredite. Dans l'arrêt Roberge[3], la juge L'Heureux-Dubé ne laisse pas de doute à cet égard :
Le juge, cependant, reste l'arbitre final et n'est pas lié par le témoignage des experts[4].
______________________
[3] Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374
[4] Id., 430
[56] Tout récemment la Cour supérieure reprenait avec approbation ces propos dans l’affaire Solaris Québec inc. c. Commission des lésions professionnelles[17] dans laquelle elle rejette la requête en révision judiciaire d’un employeur qui reprochait à la Commission des lésions professionnelles d’avoir écarté la seule opinion médicale motivée portant sur la relation causale entre le travail du travailleur et la lésion.
[57] La Commission des lésions professionnelles elle aussi a repris ces principes dans le cadre d’une requête en révision dans Whitty et Centre hospitalier régional de Sept-Iles[18]:
[19] À la lecture de la décision dont on demande la révision, il est clair que le premier commissaire n'a pas statué sans preuve ni contrairement à la preuve qui lui était présentée. Bien que l'opinion médicale soumise par le docteur Poirier à l'appui de la récidive, rechute ou aggravation invoquée par la travailleuse n'ait pas été contredite, le tribunal n'était pas lié par une opinion médicale même unique dont la valeur probante devait être appréciée à la lumière de l'ensemble de la preuve factuelle et médicale.
[20] Le seul fait que le médecin de la travailleuse ait affirmé que la tendinite du coude droit que présente la travailleuse le 5 avril 2001 est reliée directement à la tendinite du membre supérieur survenue en 1998 et ses habitudes de travail (souris et ordinateur) ne pouvait lier le tribunal quant à la relation causale.
[21] L’opinion du médecin qui a charge de la travailleuse devait certes être prise en compte aux fins d’analyser l’existence d’une lésion professionnelle. Elle n’était toutefois pas déterminante, même si non contredite, alors que le litige portait sur une question d'ordre juridique et non d'ordre médical. Le premier commissaire se devait d’apprécier la valeur probante de l'opinion du docteur Poirier à la lumière de l’ensemble de la preuve, ce qu'il a fait suivant la teneur des paragraphes 13 à 17 de sa décision.
[22] Au surplus, même l’opinion unique d’un expert ne lierait pas le tribunal. Tel que précisé par la Cour supérieure dans l'affaire Pelletier c. C.L.P. et Atwill-Morin & fils inc. et C.S.S.T., l’appréciation du témoignage ou de l’opinion d’un expert est au cœur même de la compétence de la Commission des lésions professionnelles. Le fait que celle-ci ne retienne pas l'opinion d’un expert ne signifie pas pour autant qu'elle se fonde sur une autre opinion médicale. L'opinion que se forme le tribunal sur la preuve d'expert qui lui est présentée ne peut équivaloir à une opinion d'expert qui doit être déposée en preuve. Ce faisant, le tribunal ne substitue pas son opinion à celle de l’expert mais en évalue la force probante.
[58] C’est à cet exercice que s’est livrée la première commissaire. Elle soupèse chacun des éléments soumis par les experts. Par exemple, Mme Boileau est d’opinion dans son expertise et lors de son témoignage que la sollicitation des deux pouces est semblable. Or la commissaire analyse la preuve et conclut au contraire :
[74] Par ailleurs, le tribunal observe que le pouce gauche de la travailleuse est beaucoup moins sollicité. La travailleuse coupe les fils et tissus avec sa main droite et elle tient presque constamment, pendant la couture et le surpiquage, le coupe-fil dans sa main droite. De plus, avec sa main droite, elle tire sur de plus grandes pièces de tissu lorsqu’elle les coud et les découd.
[75] Par contraste, pendant la couture, sa main gauche repose sur le tissu uniquement pour le guider et n’est pas utilisée lorsqu’elle coupe le fil ou qu’elle pratique de petites incisions dans le tissu («natchage»). La main gauche n’est pas non plus utilisée lorsque la travailleuse taille le tissu aux ciseaux ou au ciseau électrique.
[76] La main gauche est utilisée de façon équivalente à la main droite lorsque la travailleuse tire sur les tissus pour les découdre et lorsqu’elle met une tension sur les tissus pour les surpiquer.
[77] Bref, la sollicitation de chaque main est très différente. Le fait que la travailleuse soit atteinte du côté droit seulement n’est pas, dans les circonstances, un élément qui permet de douter du lien de causalité entre le travail et la pathologie.
[59] Les experts de l’employeur prétendaient que la sollicitation du pouce droit n’était pas excessive en force, en amplitude et en durée d’exposition. La commissaire estime que leurs prétentions à ce sujet ne sont pas prouvées en appliquant la notion de preuve prépondérante (par. 67 à 71).
[60] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ne constate aucune erreur. Les prétentions de l’employeur sont une invitation à reprendre l’appréciation de la preuve ce que la Cour d’appel nous a clairement incité à ne pas faire. La requête en révision de l’employeur est rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision de Bermex International inc.
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Lucie Nadeau |
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Commissaire |
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Me Bernard Cliche |
LANGLOIS, KRONSTROM & ASS. |
Représentant de la partie requérante |
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Monsieur Jean Philibert |
A.T.T.A.M. |
Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783
[3] Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.)
[4] [2005] C.L.P. 626 (C.A.)
[5] Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.)
[6] CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A)
[7] Les références données par la commissaire ont été omises à l’exception de la note numéro 9 sur laquelle nous reviendrons plus loin.
[8] L.Q. 1991, c. 64
[9] Voir entre autres : Locas et Société canadienne des postes, [1988] C.A.L.P. 694 ; Rondeau et Artopex inc., C.A.L.P. 07774-61-8805, 8 mars 1990, A. Leydet; Bouchard et C.H. Notre-Dame de Montréal, [1997] C.A.L.P. 195 ; Nadeau et Corbec, C.L.P. 170504-31-0110, 3 avril 2002, J-F. Clément; Lévesque et Bertrand Boulanger Construction inc., [2005] C.L.P. 417 ; Blanchet et Lévy Transport Ltée, C.L.P. 174518-72-0112, 30 juin 2005, Y. Lemire (05LP-97), révision rejetée, 13 juillet 2006, A. Suicco
[10] C.S. Montréal 500-05-008109-876, 13 janvier 1988, j. Trudeau, DTE 88T-377
[11] C.S. Québec 200-05-001848-956, 3 novembre 1995, j. Bergeron (J7-10-10)
[12] C.L.P. 152599-01C-0012, 26 mars 2002, L. Desbois
[13] [1994] C.A.L.P. 1579 , p. 1598, révision rejetée C.A.L.P. 00098-60-8603, 14 septembre 2005, S. Moreau
[14] C.S. Beauce 350-05-000133-015, 26 février 2002, j. Bernard
[15] [1998] C.L.P. 1464 (C.A.)
[16] [2002] C.L.P. 207 (C.S.)
[17] [2006] C.L.P. 295 (C.S.)
[18] C.L.P. 194088-09-0211, 17 août 2004, G. Marquis, (04LP-93)
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.