Lepage et Autolook Chicoutimi |
2007 QCCLP 4838 |
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[1] Le 20 mars 2007, monsieur Jean-Claude Lepage (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi), par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 13 février 2007, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 19 octobre 2006 en application du rapport médical du comité spécial des maladies pulmonaires professionnelles et « déclare que le travailleur n’est pas atteint d’une maladie pulmonaire professionnelle ».
[3] Le travailleur est présent et représenté par son fils à l’audience tenue, le 12 juillet 2007, à Chicoutimi. Club Auto 5 étoiles (l’employeur Club Auto) y a mandaté madame Sylvie Cossette. Par sa lettre du 16 mai 2007, Canadian Tire La Baie (l’employeur Canadian Tire) a prévenu le tribunal qu’il ne serait pas représenté à l’audience. Bien que dûment convoqués, Autolook Chicoutimi (l’employeur Autolook) et RT Mécanique (l’employeur RT) n’ont pas justifié leur absence.
[4] La représentante de l’employeur Club Auto a obtenu un délai, jusqu’au 27 juillet 2007, pour étudier la teneur des documents produits par le travailleur à l’audience, en liasse comme pièce T-1, consulter et déposer ses commentaires écrits à cet égard. Ceux-ci ont été reçus le 26 juillet 2007.
[5] Le travailleur avait pour sa part, jusqu’au 3 août 2007 pour répliquer. La réplique du travailleur a été déposée le 10 août, à Chicoutimi. Ce document a été transmis au commissaire soussigné, le 14 août suivant. L’affaire a été mise en délibéré à compter de cette dernière date.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] Le travailleur demande de déclarer qu’il est atteint d’une maladie pulmonaire professionnelle.
L’AVIS DES MEMBRES
[7] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la contestation devrait être rejetée. L’ensemble des données contenues dans les divers rapports consignés au dossier établit de façon prépondérante que le cancer dont souffre le travailleur n’est pas d’origine professionnelle.
[8] Le membre issu des associations d’employeurs ajoute que les concentrations de fibres mentionnées à la lettre du technicien du CLSC du Grand Chicoutimi sont inférieures à celles permises par le Règlement sur la santé et la sécurité du travail[2].
LES FAITS ET LES MOTIFS
[9] Le tribunal doit déterminer si le travailleur est atteint d’une maladie professionnelle.
[10] L’article 29 de la Loi prévoit qu’un travailleur est présumé atteint d’une maladie professionnelle, lorsque certaines conditions, prévues à l’annexe I, sont rencontrées :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
ANNEXE I
MALADIES PROFESSIONNELLES
(Article 29)
SECTION V
MALADIES PULMONAIRES CAUSÉES PAR DES POUSSIÈRES
ORGANIQUES ET INORGANIQUES
MALADIES |
GENRES DE TRAVAIL |
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1. Amiantose, cancer pulmonaire ou mésothéliome causé par l'amiante: |
un travail impliquant une exposition à la fibre d'amiante; |
(…) |
(…) |
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1985, c. 6, annexe I.
[11] Il est démontré que le travailleur souffre d’un cancer pulmonaire, soit un carcinome épidermoïde. La première condition requise par l’annexe précitée est donc satisfaite.
[12] Il convient ici de déterminer l’époque pertinente à l’analyse de la preuve en regard de la seconde exigence (un travail impliquant une exposition à la fibre d'amiante).
[13] Dans l’information qu’elle diffuse aux médecins par le biais de sa Chronique Prévention en pratique médicale, l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal rappelle que « l’exposition à l’amiante responsable d’une amiantose, d’un mésothéliome ou d’un cancer du poumon remonte en général de 20 à 40 ans dans le passé »[3].
[14] Le travailleur soutient qu’il a été exposé à des poussières d’amiante dans l’exercice de son métier de mécanicien général de véhicule automobile, et ce, de façon ininterrompue à compter de 1965.
[15] Dans la déclaration incorporée à son formulaire de réclamation, le travailleur explique en effet que sa tâche inclut, entre autres, l’« entretien des freins d’autos et de camions, entretien des disques de friction de transmission et joints d’étanchéité des moteurs dans lesquelles (sic) il y a de l’amiante ».
[16] Deux documents versés au dossier (une lettre adressée le 17 juin 2004, à l’agente d’indemnisation par monsieur Jean-François Pilot de Garage Mécano inc. ainsi qu’un courriel de monsieur Jerry Forystek de Affinia Canada Corp. en date du 15 mai 2007) corroborent les dires du travailleur et confirment que l’amiante entrait dans la composition des plaquettes de freins jusqu’au milieu des années 1990.
[17] De plus, un extrait du chapitre 9.1 du Manuel d’utilisation sécuritaire des produits de friction à base d’amiante publié par l’Institut du Chrysotile (reproduit dans la liasse de documents déposée comme pièce T-1), confirme qu’effectivement, à l’époque pertinente, le travail de mécanicien automobile provoquait la dispersion dans l’air ambiant des lieux de travail d’une certaine quantité de poussières contenant des fibres d’amiante :
Des fibres d'amiante qui se déposent sur les diverses pièces des systèmes de freinage peuvent être émises dans l'air et contaminer les ateliers. Des précautions s'imposent donc pour prévenir l'exposition des mécaniciens. Autrefois, on nettoyait les roues et les freins avec de l'air comprimé et différentes brosses. Inutile de dire combien ces opérations étaient poussiéreuses.
(Le tribunal souligne)
[18] Enfin, le CLSC du Grand Chicoutimi a évalué l’histoire occupationnelle du travailleur à la demande de l’agente d’indemnisation. Dans sa lettre du 8 décembre 2003, le technicien Réjean Tremblay, de l’équipe Santé sécurité au travail, conclut que dans l’exercice de son métier, le travailleur « a pu occasionnellement effectuer certaines activités pouvant générer des fibres d’amiante aéroportées ». Il joint à sa lettre « un tableau représentant ces types d’activités et l’exposition aux fibres d’amiante caractéristiques de ces activités » qui se lit comme suit :
EXPOSITION AUX FIBRES D’AMIANTE |
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ACTIVITÉ |
TYPE D’OPÉRATION |
CONCENTRATION f/ml |
Mécanique automobile |
Ébavurage de joints de culasse |
0,01 à 0,07 |
Réparation automobile |
Échange de plaquettes de freins |
0,23 |
Réparation automobile |
Montage de plaquettes de freins |
0,25 à 0,7 |
Mécanique automobile |
Conditionnement et rivetage de plaquettes |
0,13 à 0,36 |
Mécanique automobile |
Dépoussiérage de tambours de freins |
>2 |
Mécanique automobile |
Démontage de tambours de freins |
3,3 |
[19] De ce qui précède, le tribunal conclut que, bien que les faits précités ne permettent pas d’évaluer l’importance de l’exposition subie par le travailleur, ils constituent une preuve prépondérante que le travail effectué par celui-ci impliquait, à l’époque pertinente, une exposition à la fibre d’amiante.
[20] La présomption établie par l’article 29 de la Loi s’applique donc en l’espèce.
[21] Cette présomption peut cependant être renversée « par une preuve tendant à démontrer de façon prépondérante que la maladie n’a pas été contractée par le fait ou à l’occasion du travail »[4], car il s’agit là d’une présomption légale dite « simple », qui n’est pas irréfragable[5].
[22] Dans un cas de cancer pulmonaire, la présomption est renversée par la preuve que l’amiante n’en est pas la cause probable ; sans qu’il soit nécessaire de prouver la cause exacte de la maladie[6].
[23] Par exemple, il peut être démontré que le cancer pulmonaire du travailleur n’a pas été ou n’a pu avoir été causé par son exposition à la fibre d’amiante au travail[7].
[24] La présomption peut aussi être repoussée par la démonstration que le niveau d’exposition ou le degré d’exposition a été insuffisant pour avoir entraîné un cancer pulmonaire[8].
[25] Le tribunal estime que, dans le présent cas, la présomption de maladie professionnelle a été renversée par une preuve prépondérante que l’amiante n’est pas la cause probable du cancer du travailleur. Elle tient aux éléments de preuve suivants qui démontrent sinon l’absence totale, du moins une concentration non significative, de cette substance dans les poumons du travailleur :
- ayant « attentivement examiné les lames de cytologies pré et postopératoires ainsi que les lames histologiques de la médiastinoscopie et de la pneumonectomie » pratiquées sur le travailleur, l’expert pathologiste Christian Couture a constaté « qu’il n’y ait pas d’évidence de corps d’amiante objectivable malgré une recherche de corps d’amiante ou de corps ferrugineux à l’aide de la coloration au bleu de Turnbull »[9] ;
- l’analyse du tissu pulmonaire du travailleur, faite en juillet 2006 par deux chimistes du laboratoire Bodycote, y démontre des concentrations de fibres d’amiante moindres que celles dénombrées dans le tissu pulmonaire « de la population du Québec (sans exposition professionnelle connue) »[10] et considérablement inférieures à celles « observées chez les cas atteints d’amiantose et cancer pulmonaire »[11].
[26] Prenant en compte l’ensemble des informations pertinentes, les six médecins spécialistes, tous pneumologues, membres du Comité des maladies pulmonaires professionnelles[12] (Docteurs Jean-Guy Parent, Serge Boucher et Marc Desmeules) et du Comité spécial des présidents[13] (Raymond Bégin, André cartier et Gaston Ostiguy) qui se sont penchés sur le cas du travailleur ont considéré ces données comme déterminantes quant à l’étiologie de la maladie du travailleur et conclu que cette dernière n’était pas d’origine professionnelle :
Comité des maladies pulmonaires professionnelles [Rapport complémentaire du 25 août 2006] :
Considérant ces résultats, notre comité en arrive à la conclusion qu’il ne peut pas établir de lien causal entre les antécédents professionnels de monsieur Lepage qui a travaillé principalement comme mécanicien dans les garages et le cancer bronchique dont il est atteint actuellement.
Comité spécial des présidents [Rapport du 1er septembre 2006] :
À la lumière de ces données, le comité estime qu’il n’y a aucun élément lui permettant d’établir un lien causal entre ses antécédents professionnels et le cancer bronchique. Il ne s’agit donc pas d’un cancer d’origine professionnelle.
[27] Le tribunal considère que ces avis sont plus probants, parce que plus précis et spécifiques au cas du travailleur, que l’opinion exprimée par le docteur Pierre Michaud, chirurgien, dans sa lettre du 26 avril 2007, car :
- il se montre peu affirmatif sur le plan scientifique, se contentant d’évoquer des hypothèses, tout au plus des possibilités, mais pas des probabilités : « la présence de plaques pleurales calcifiées semble démontrer [l’exposition à l’amiante] »[14] - « il semble que dans la littérature la plupart des études ont démontré une corrélation claire entre les deux entités, soit l’exposition à l’amiante et le carcinome bronchogénique »[15] (Le tribunal souligne) ;
- il réfère à des études épidémiologiques générales traitant de l’effet multiplicatif de l’exposition à l’amiante et du tabagisme, sans les appliquer au cas particulier sous étude ni expliquer en quoi ni comment ce facteur aurait joué un rôle déterminant en l’espèce ;
- il ne conclut ni clairement ni catégoriquement à la présence d’une maladie professionnelle chez le travailleur, se contentant de dire « je crois qu’il faudrait tenir compte de l’exposition à l’amiante chez monsieur Lepage ».
[28] Pour les mêmes motifs que ceux énoncés précédemment, le tribunal conclut que le travailleur n’a pas démontré que sa maladie est reliée directement aux risques particuliers du travail exercé, le tout suivant l’article 30 de la Loi :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[29] Certes, l’exposition à des particules d’amiante peut bel et bien constituer un risque particulier, mais la preuve médicale prépondérante établit que, dans le présent cas, la maladie du travailleur n’est pas due à telle exposition.
[30] Par ailleurs, le travailleur n’a pas prouvé que le carcinome épidermoïde est une maladie caractéristique du travail de mécanicien général de véhicule automobile.
[31] En conséquence, la contestation n’est pas fondée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Jean-Claude Lepage, le travailleur ;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 13 février 2007, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que le travailleur n’est pas atteint de maladie pulmonaire professionnelle.
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Jean-François Martel |
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Commissaire |
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Monsieur Sylvio Lepage |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] (2001) 133 G.O. II, 5020
[3] Tiré d’un extrait de l’Aide-mémoire pour une histoire professionnelle déposé dans la liasse de documents T-1
[4] Miville et Crustacés des Monts inc., 152599-01C-0012, 26 mars 2002, L. Desbois
[5] Bermex International inc. et Rouleau, 233846-04-0405, 19 mars 2007, L. Nadeau. Voir aussi : Société canadienne des postes c. C.A.L.P., C.S. Montréal 500-05-008109-876, 13 janvier 1988, j. Trudeau, DTE 88T-377 ; Locas et Société canadienne des postes, [1988] C.A.L.P. 694 ; Rondeau et Artopex inc., C.A.L.P. 07774-61-8805, 8 mars 1990, A. Leydet ; Bouchard et C.H. Notre-Dame de Montréal, [1997] C.A.L.P. 195 ; Nadeau et Corbec, C.L.P. 170504-31-0110, 3 avril 2002, J-F. Clément ; Lévesque et Bertrand Boulanger Construction inc., [2005] C.L.P. 417 ; Blanchet et Lévy Transport Ltée, C.L.P. 174518-72-0112, 30 juin 2005, Y. Lemire (05LP-97), révision rejetée, 13 juillet 2006, A. Suicco.
[6] Succession André Raymond et Mine Jeffrey inc., 177841-05-0202, 22 août 2005, M. Allard, (05LP-127), révision rejetée, 19 octobre 2006, L. Boucher, (06LP-152)
[7] QIT Fer et Titane inc. et Bastien (Succession), [2003] C.L.P. 505 , paragraphe [177]
[8] QIT Fer et Titane inc. et Bastien (Succession) précitée à la note 7, paragraphe [239]. Voir aussi : Succession René Cayer et Léo Mongeon et fils, 127334-07-9911, 28 juillet 2000, R. Brassard
[9] Rapport d’anatomo-pathologie signé le 21 octobre 2004
[10] Tableau 2-A du rapport intitulé Numération et caractérisation de fibres dans du tissu pulmonaire par microscopie électronique à transmission et numération de corps ferrugineux par microscopie optique
[11] Tableau 2-C du même rapport
[12] En vertu de l’article 227 de la Loi, le président du comité est « professeur agrégé ou titulaire dans une université québécoise »
[13] En vertu de l’article 231 de la Loi, chacun des membres de ce comité est professeur agrégé ou titulaire dans une université québécoise
[14] Ce que les spécialistes considèrent tout au plus « compatible », mais pas pathognomonique
[15] Mais, aucune n’est citée
AVIS :
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