Grenier c. Commission des lésions professionnelles |
2007 QCCS 1752 |
|||||||
JC-1052 |
||||||||
|
||||||||
CANADA |
||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
|||||||
|
||||||||
N° : |
500-17-027304-057 |
|||||||
|
|
|||||||
DATE : |
Le 18 avril 2007 |
|||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
JEAN CRÉPEAU, J.C.S. |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SYLVAIN GRENIER |
||||||||
Requérant |
||||||||
c. |
||||||||
LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES, et Me MICHEL DENIS, en sa qualité de Commissaire |
||||||||
Intimés |
||||||||
- et - |
||||||||
DOMFER POUDRES MÉTALLIQUES LTÉE |
||||||||
Mise en cause |
||||||||
et - |
||||||||
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL |
||||||||
Mise en cause |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
JUGEMENT |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
[1] Le requérant, Sylvain Grenier, demande la révision judiciaire d'une décision rendue le 28 juillet 2005 par le Commissaire, Me Michel Denis, pour la Commission des lésions professionnelles (CLP).
[2] La Commission siégeait alors en révision pour révocation d'une décision précédente rendue par la CLP le 7 mars 2005 par la Commissaire Me Lucie Landriault.
[3] La première Commissaire (Me Landriault) disposait par sa décision d'une question préliminaire soulevée par la CSST, à savoir si elle avait compétence pour décider de la contestation par le requérant travailleur d'une décision de la CSST rendue le 27 mai 2004 laquelle déclarait irrecevable la demande de révision d'une décision du 30 mars 2004.
[4] L'objet de la requête en révision devant le Commissaire Denis est le suivant tel qu'il l'exprime au paragraphe 4 de sa décision :
"La CSST demande de réviser en partie la décision du 7 mars 2005 quant à la question préliminaire et de déclarer que la lettre du 30 mars 2004 n'est pas une décision contestable et, subsidiairement, de déclarer que l'article 146.2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) ne peut trouver application dans le présent cas."
[5] Cette lettre de la CSST du 30 mars 2004 est l'axe autour duquel tournent les deux décisions.
[6] Cette lettre se lit ainsi: (R-6)
"Le 30 mars 2004
M.Daniel Thimineur,
8200, Grenache Bureau 101
Ville d'Anjou, QC. H1J 1C5
Objet: Lettre d'information
Dossier de: Sylvain Grenier
Numéro de dossier: 120289012
Date de l'événement: 1 février 2001
Employeur: Domfer Poudres Métalliques ltée
Monsieur,
Nous avons reçu votre lettre datée du 19 mars 2004 et désirons vous aviser qu'une décision de capacité de travail à l'emploi pré-lésionnel a déjà été rendue le 5 décembre 2003. Je joins cette décision en annexe et vous informe qu'elle n'a pas été contestée par aucune des parties.
Nous vous prions d'accepter, Monsieur, nos salutations distinguées.
(signé)
Nathalie Tapp
(514) 906-3205
cc: M. Sylvain Grenier, Domfer Poudres Métalliques ltée"
[7] Sans reprendre toute l'analyse du dossier tel que l'a fait la Commissaire Landriault, soulignons quelques points importants.
[8] À l'origine se situe la lettre du 5 décembre 2003:
"Le 5 décembre 2003
Monsieur Sylvain Grenier
639, rue de Cadillac
Montréal, QC H1N 2T2
Dossier de: SYLVAIN GRENIER
Numéro de dossier: 120289012
Numéro d'assurance sociale: […]
Date de l'événement: 1er février 2001
Employeur: Domfer Poudres Métalliques ltée
Objet: Décision concernant votre capacité de travail
Monsieur,
Nous désirons vous informer qu'après avoir analysé les conséquences de votre lésion du 15 mai 2002, nous considérons que vous êtes capable, à compter du 3 décembre 2003, d'exercer l'emploi que vous occupez habituellement.
Veuillez noter que le versement des indemnités de remplacement du revenu prendra fin à cette date.
Nous vous invitons à communiquer avec nous si vous avez besoin de renseignements supplémentaires au sujet de cette décision ou pour toute autre question. Vous ou votre employeur pouvez demander la révision de la décision dans les 30 jours suivant la réception de la présente lettre.
Nous vous prions d'accepter, Monsieur, nos salutations distinguées.
(signé)
NATHALIE TAPP
(514) 906-3205
c.c. Domfer Poudres Métalliques ltée"
[9] Puis, la CSST réécrit au requérant :
"Le 13 février 2004
MONSIEUR SYLVAIN GRENIER
639, rue De Cadillac
Montréal, Qc H1N 2T2
Dossier: SYLVAIN GRENIER
Numéro du dossier: 120289012
Numéro d'assurance sociale: [...]
Date de l'événement: 1er février 2001
Employeur: Domfer Poudres Métalliques ltée
Objet: Refus de la réclamation
Monsieur,
Nous avons reçu les documents concernant la réclamation pour une rechute, récidive ou aggravation survenue le 6 janvier 2004. Nous vous informons que nous ne pouvons accepter cette réclamation pour la raison suivante :
· Il n'y a pas de détérioration objective de votre état de santé.
En conséquence, aucune indemnité ne vous sera versée.
Nous vous invitons à communiquer avec nous si vous avez besoin de renseignements supplémentaires au sujet de cette décision ou pour toute autre question. Vous ou votre employeur pouvez demander la révision de la décision dans les 30 jours suivant la réception de la présente lettre.
Veuillez accepter, Monsieur, nos salutations distinguées.
(signé)
JEAN TURCOTTE
(514) 906-3209
c.c. Domfer Poudres Métalliques ltée"
[10] Le requérant répond :
"Anjou, le 1er mars 2004
PAR TÉLÉCOPIEUR
C.S.S.T. - Révision administrative
1, Complexe Desjardins
Tour du Sud, 34ième étage
C.P. 3, succ. Place Desjardins
Montréal (Qc) H5B 1H1
OBJET: Bénéficiaire : GRENIER, Sylvain
C.S.S.T. : 120289012
Événement : 1er février 2001
N/d : D-2324
Requête en révision administrative selon
L'article 358 L.A.T.M.P. et COMPARUTION
Madame, Monsieur,
Nous représentons les intérêts de Monsieur Sylvain Grenier dans le dossier cité en exergue.
Par la présente, nous demandons la révision de la décision rendue le 13 février 2004 par Monsieur Jean Turcotte, dont vous trouverez copie ci-jointe. En effet, nous croyons que cette décision est mal fondée en faits et en droit.
Aussi, nous vous demandons de nous faire parvenir toute copie de correspondance pouvant être acheminée dans ce dossier et de communiquer avec le soussigné afin d'obtenir nos motifs et commentaires au soutien de la présente contestation. Nous vous prions également de bien vouloir nous transmettre le dossier complet de Monsieur Grenier.
Dans l'attente de votre décision, veuillez agréer, Madame, Monsieur, l'expression de nos sentiments les meilleurs.
(signé)
Daniel Thimineur, avocat
DT/gm
c.c.: Monsieur Sylvain Grenier
Pièce jointe"
[11] Suit alors une lettre de l'avocat du travailleur transmise à la CSST le 19 mars 2004:
"Anjou, le 19 mars 2004
Madame Nathalie Tapp
C.S.S.T.
Objet: Bénéficiaire : GRENIER, Sylvain
C.S.S.T. : 120289012
Événement : 1er février 2001
N/d : D-2324
Chère Madame,
Nous représentons les intérêts de Monsieur Sylvain Grenier au niveau de la CSST.
Par la présente, nous désirons obtenir de votre part une évaluation de l'indemnité de remplacement du revenu réduite en rapport avec le travail de magasinier, tel que déterminé par votre décision du 8 juillet 2003.
Nous ne contestons pas la détermination de l'emploi mais il semble que l'évaluation de l'IRRR n'a pas été faite.
En effet, vous avez plutôt essayé la réadaptation chez son employeur mais le retour au travail a été infructueux puisqu'une RRA a été déclarée le 6 janvier 2004.
En conséquence de ce qui précède, auriez-vous l'obligeance de rendre une décision sur l'IRRR selon les évaluations de salaire des emplois ci-jointes.
Dans l'attente de vos nouvelles, veuillez agréer, Chère Madame, l'expression de nos sentiments les meilleurs.
(signé)
Daniel Thimineur, avocat
DT/med
c.c.: Monsieur Sylvain Grenier
Pièce jointe"
[12] Voilà donc la correspondance qui a précédé celle du 30 mars 2004, objet du litige.
[13] Le 6 avril 2004, le requérant transmet une nouvelle lettre à la C.S.S.T. savoir:
"Anjou, le 6 avril 2004
PAR TÉLÉCOPIEUR
Madame Nathalie Tapp
C.S.S.T.
1, Complexe Desjardins
Tour du Sud, 34ième étage
C.P. 3, succ. Place Desjardins
Montréal (Qc) H5B 1H1
OBJET: Bénéficiaire : GRENIER, Sylvain
C.S.S.T. : 120289012
Événement : 1er février 2001
N/d : D-2324
Chère Madame,
La présente fait suite à la nôtre du 19 mars 2004 et à la réponse que vous nous avez transmise le 30 mars dernier.
Nous comprenons que puisque vous nous transmettez votre décision du 5 décembre 2003 sur la capacité à exercer l'emploi pré-lésionnel, vous refusez d'évaluer l'indemnité de remplacement du revenu réduite de l'emploi de magasinier.
Toutefois comme nous vous l'apprenions, une RRA a été déclarée le 6 janvier 2004, ladite rechute ayant été refusée le 13 février 2004 et que nous avons contestée le 1er mars 2004.
Vous trouverez ci-joint l'attestation médicale du Dr Blanchette qui confirme que malgré votre décision de capacité du 5 décembre 2003, le travailleur ne serait pas en mesure de faire un emploi pré-lésionnel.
Nous croyons donc qu'il s'agit d'une question d'application de l'article 51 de la LATMP mais aussi des circonstances permettant une réouverture du plan de réadaptation tel que prévu à l'article 146 (2) LATMP. Dans ce cas, vous pourriez déterminer un IRRR puisque notre client s'est effectivement trouvé un emploi de magasinier à un salaire de 10,00 $ à l'heure.
En conséquence, nous vous prions donc de répondre favorablement à nos demandes.
Advenant le cas où vous refusiez d'acquiescer, veuillez considérer la présente comme étant une contestation de ce refus et de votre lettre du 30 mars 2004, et transférer le dossier auprès de la révision administrative.
Dans l'attente de vos nouvelles, veuillez agréer, Chère Madame, l'expression de nos sentiments les meilleurs.
(signé)
Daniel Thimineur, avocat
DT/med
Pièce jointe"
[14] Par sa décision du 27 mai 2004, la CSST se prononce sur la lettre du 30 mars 2004. Elle déclare : (extraits)
"Dossier R-120289012-003
Le 6 avril 2004, le travailleur demande la révision d'une décision rendue le 30 mars 2004. Cette lettre informe le représentant du travailleur qu'une décision sur la capacité de travail a été rendue le 5 décembre 2003.
Dans un premier temps, la Révision administrative constate que la lettre du 30 mars 2004 fut adressée au représentant du travailleur car celui-ci demandait à la CSST de se prononcer sur l'indemnité de remplacement du revenu réduite pour l'emploi convenable de magasinier. Cette lettre n'est pas une décision.
La Révision administrative souligne que l'emploi convenable de magasinier fut écarté à la demande du travailleur et il fut déterminé que, suite aux limitations fonctionnelles émises lors de la récidive, rechute ou aggravation du 14 mai 2002 et suite à une évaluation ergonomique, que le travailleur pouvait occuper le poste pré-lésionnel. La CSST pouvait rendre cette décision puisque aucune décision de capacité à occuper l'emploi convenable de magasinier n'avait été rendue.
De plus, la Révision administrative est liée par la décision du 5 décembre 2003 qui détermine que le travailleur a la capacité à occuper son emploi à compter du 3 décembre 2003. Par conséquent, la CSST n'avait pas à revoir un autre plan de réadaptation. Cette décision n'est pas contestée et est finale.
Par conséquent, considérant que la lettre du 30 mars 2004 n'est qu'à titre d'information et qu'elle ne contient aucun nouveau contenu légal, cette demande de révision est irrecevable."
[15] Voici comment la Commissaire Landriault s'exprime sur la question préliminaire:
"[9] La procureure de la CSST demande de déclarer que la Commission des lésions n'a pas compétence pour statuer sur l'application de l'alinéa 2 de l'article 146 de la loi qui se lit comme suit:
146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commissaire prépare et met en œuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.[2]
[10] Dans un premier temps, elle souligne que le travailleur conteste une « lettre » du 30 mars 2004, qui n'est pas une décision contestable selon les articles 358 et suivants. Elle soutient que la Commission des lésions professionnelles n'a pas compétence sur cette question puisqu'elle n'est pas saisie d'une contestation d'une « décision » de la CSST.
[11] Dans un deuxième temps, la procureure de la CSST plaide que l'alinéa 2 de l'article 146 ne peut trouver application dans le cas particulier du travailleur. Le travailleur tente, par une voie détournée, de contester la décision du 5 décembre 2003 sur sa capacité à exercer son emploi, ce qu'il a omis de faire dans les délais. Or, cette décision est finale et sans appel. Elle ne peut être remise en cause en vertu du principe de la stabilité des décisions.
[12] La CSST soutient qu'un plan individualisé de réadaptation ne peut être modifié après qu'une décision sur la capacité à exercer un emploi ait été rendue. L'alinéa 2 de l'article 146 de la loi permet de modifier le plan et non de le rouvrir. L'arrêt du travail du travailleur et l'opinion de son médecin ne constituent pas des circonstances nouvelles permettant de modifier son plan de réadaptation puisque son droit à la réadaptation est éteint.
[13] Le 6 janvier 2004, au moment où le travailleur déclare une rechute, il aurait pu demander la révision de la décision du 5 décembre 2003 sur sa capacité à exercer son emploi et soutenir que ses limitations fonctionnelles n'étaient pas respectées dans son emploi. Or, il ne l'a pas fait.
[14] La procureure de la CSST produit une seule cause au soutien de ses prétentions, l'affaire Dubé et Service de béton universel ltée [3].
[15] Le procureur du travailleur soumet aussi une seule cause, l'affaire McLean et Donnely inc.[4]."
[16] La Commissaire Landriault énonce les motifs de sa décision sur la question préliminaire aux paragraphes 70 et suivants :
"LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[70] La Commission des lésions professionnelles doit décider de la question préliminaire soumise par la CSST.
[71] La Commission des lésions professionnelles est-elle valablement saisie d'une contestation d'une décision de la CSST? Plus précisément, la « lettre » du 30 mars 2004 de la CSST constitue-t-elle une décision que le travailleur pouvait contester en vertu des articles 358 et 359 de la loi?
[72] La Commission des lésions professionnelles doit aussi décider s'il y a ouverture à une demande de modification du plan individualisé de réadaptation du travailleur (en vertu de l'alinéa 2 de l'article 146 de la loi) après que la CSST ait rendu une décision non contestée sur la capacité du travailleur à exercer son emploi.
[73] La Commission des lésions professionnelles doit aussi décider si le travailleur a présenté, le 6 janvier 2004, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion initiale du 1er février 2001.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
[74] La Commission des lésions professionnelles conclut qu'elle a compétence pour se prononcer sur la contestation du travailleur de ladécision du 27 mai 2004 dans laquelle la CSST déclare irrecevable la demande de révision de la « lettre » ou décision du 30 mars 2004. En effet, selon la Commission des lésions professionnelles, la « lettre » du 30 mars 2004 constitue une décision.
[75] Le 19 mars 2004, le procureur du travailleur demande à la CSST de rendre une décision sur l'indemnité de remplacement du revenu réduite à laquelle le travailleur aurait droit en fonction de l'emploi de magasinier. Il fait état d'un retour au travail infructueux dans son poste prélésionnel et d'une récidive, rechute ou aggravation.
[76] Selon la Commission des lésions professionnelles, la lettre du 19 mars 2005 constitue une demande de modification du plan individualisé de réadaptation du travailleur, en vertu de l'alinéa 2 de l'article 146 de la loi. La CSST devait donc rendre une décision pour statuer sur la demande du travailleur.
[77] Le 30 mars 2004, la CSST répond par une « lettre d'information » qu'une décision a été rendue le 5 décembre 2003 sur la capacité du travailleur de refaire son emploi prélésionnel et que cette décision n'a pas été contestée. Selon la Commission des lésions professionnelles, cette lettre constitue une décision dans laquelle la CSST refuse de modifier le plan de réadaptation pour le motif qu'une décision a été rendue sur la capacité du travailleur d'exercer son emploi prélésionnel. La CSST a donc rejeté la demande de modification du plan individualisé de réadaptation.
[78] Le 6 avril 2004, le procureur du travailleur comprend que la CSST refuse d'évaluer l'indemnité de remplacement du revenu réduite de l'emploi de magasinier. Le procureur apporte des précisions à sa demande. Il veut voir appliquer l'alinéa 2 de l'article 146 de la loi, soit que la CSST rouvre le plan de réadaptation en raison de circonstances nouvelles. La CSST a considéré, à bon escient, la lettre du 6 avril 2004 comme une demande de révision.
[79] Dans sa décision du 27 mai 2004, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du travailleur, pour le motif qu'il ne peut demander la révision de la « lettre » du 30 mars 2004 puisqu'il ne s'agit pas d'une décision. La Commission des lésions professionnelles considère que la CSST a, par là, commis une erreur. En effet, la « lettre » de la CSST du 30 mars 2004 a eu comme effet de refuser la demande du travailleur du 19 mars 2004 de modifier son plan de réadaptation. Elle se prononçait sur un droit et donc, produisait des effets légaux. Cette décision pouvait donc faire l'objet d'une demande de révision selon l'article 358 de la loi. La CSST devait donc, dans le cadre de la révision administrative, statuer sur le droit du travailleur de voir son plan individualisé de réadaptation modifié, selon l'article 146 de la loi.
[80] La Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur pouvait, valablement, demander la révision de la décision du 30 mars 2004 et contester la décision du 27 mai 2004 devant la Commission des lésions professionnelles.
[81] Puisque la Commission des lésions professionnelles doit, en vertu de l'article 377 de la loi rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu, elle doit décider de la demande de modification du plan individualisé de réadaptation du travailleur en vertu de l'alinéa 2 de l'article 146.
[82] La Commission des lésions professionnelles a donc compétence pour statuer sur le présent litige."
[17] La ratio decidendi se trouve comme on peut le constater, au paragraphe 79 précité.
[18] Puis, dans un deuxième temps la CLP se prononce sur la réouverture du plan de réadaptation selon l'article 146 et 146.2. Elle cite plusieurs décisions de la Commission et conclut ainsi au paragraphe 85, savoir:
[85] La Commission des lésions professionnelles n'a pas trouvé, dans la jurisprudence, de décision qui appuierait les prétentions de la CSST. Au contraire la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles et de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles conclut qu'un travailleur peut demander la modification de son plan individualisé de réadaptation en présence d'une circonstance nouvelle, malgré qu'une décision sur sa capacité à exercer l'emploi convenable n'ait pas été contestée[5]. La Commission des lésions professionnelles est d'avis que cette jurisprudence s'applique aussi à une décision non contestée concernant la capacité d'un travailleur à exercer son emploi prélésionnel, dans la mesure où un plan individualisé de réadaptation a été mis en œuvre, comme dans le cas de monsieur Grenier."
[19] La Commissaire Landriault conclut ainsi:
"[90] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que l'alinéa 2 de l'article 146 de la loi, peut trouver application, malgré la décision de la CSST du 5 décembre 2003 qui détermine que le travailleur est capable d'exercer son emploi, et malgré que le travailleur n'ait pas contesté cette décision. D'autre part, l'article 51 de la loi ne s'applique pas au présent cas puisqu'il s'applique à l'abandon d'un emploi convenable et non à l'abandon de l'emploi prélésionnel.
[91] Puisqu'il y a ouverture à l'application de l'alinéa 2 de l'article 146 de la loi, les parties seront convoquées à nouveau pour être entendues sur les circonstances nouvelles alléguées par le travailleur au soutien de sa demande de modification de son plan individualisé de réadaptation."
[20] Au sujet de la demande de révision de cette décision, le Commissaire Denis s'exprime ainsi:
"[20] Faisant suite à cet historique, la question qui doit se poser est d'évaluer si la Commission des lésions professionnelles avait compétence pour statuer sur l'écrit de la CSST daté du 30 mars 2004; en d'autres termes, s'agit-il d'une décision au sens de la loi pouvant être contestée en vertu des dispositions de l'article 358 de la loi ou s'agit-il d'une simple lettre d'information?
[21] À la lecture de ce document daté du 30 mars 2004, il appert manifeste qu'il ne s'agit que d'une lettre d'information et non d'une décision au sens de l'article 351 de la loi, laquelle s'avère non contestable en vertu des dispositions de l'article 358 de la loi.
[22] Dans un premier temps, l'objet de la lettre réfère à une lettre d'information et non à une décision au sens de la loi avec la mention qu'elle peut être contestée dans les 30 jours de la réception.
[23] Cependant, prétendre que la seule mention de l'objet permet de qualifier ce document de lettre d'information plutôt que de décision peut paraître insuffisant comme argument, mais le contenu de la lettre ne statue sur aucun droit et ne comprend aucun contenu légal, si ce n'est que de référer à une décision finale déjà rendue le 5 décembre 2003 sur la capacité de travail de l'emploi prélésionnel.
[24] Que soient utilisés les termes de chose jugée, de décision finale et irrévocable ou de stabilisation des décisions dans les cas d'organismes administratifs, le principe demeure le même et la décision de la CSST du 5 décembre 2003, statuant sur la capacité du travailleur à effectuer son emploi prélésionnel, n'est pas contestée et doit produire ses effets.
[25] La CSST n'avait donc pas à rendre une décision relative à la lettre de Me Thimineur datée du 19 mars 2004 compte tenu de sa décision finale du 5 décembre 2003, laquelle fut rendue à la suite de la demande du travailleur d'interrompre sa formation pour son emploi convenable de magasinier afin de reprendre son emploi prélésionnel.
[26] Le tribunal s'interroge de plus sur le bien-fondé de cette demande de Me Thimineur en date du 19 mars 2004, puisque son client débutait un poste de magasinier le 22 mars 2004 chez un autre employeur à raison de 10 ou 11,00 $ de l'heure.
[27] La Commission des lésions professionnelles a donc commis un excès de juridiction dans cette décision du 7 mars 2005, s'arrogeant une compétence pour laquelle elle n'était pas habilitée; cette partie de la décision doit donc être révoquée.
[28] Considérant la décision finale du 5 décembre 2003, à l'effet que le travailleur était capable d'occuper son emploi prélésionnel à compter du 3 décembre 2003, la Commission des lésions professionnelles n'avait donc pas à se prononcer sur les dispositions de l'article 146.2 de la loi, puisque le processus de réadaptation était terminé et ne pouvait être modifié."
[21] Le requérant soumet que le Commissaire Denis ne pouvait intervenir à l'encontre de la décision du 7 mars 2005 ( Landriault) pour entre autres les motifs suivants: (par. 57 de la requête en révision judiciaire) :
"Le commissaire Denis, Intimé, ne s'attache qu'à la forme de la lettre du 30 mars 2004 sans tenir compte du fond, du contexte et de la preuve faite devant le premier commissaire commettant ainsi une erreur manifestement déraisonnable."
[22] Le Commissaire Denis ne motive aucunement sa décision et décide sur le fond du litige sans être le maître des faits, en substituant ainsi son appréciation des faits à celle du premier commissaire, commettant ainsi une erreur…
[23] Le requérant allègue aussi :
"65- Compte tenu de la décision du 5 décembre 2003 de la C.S.S.T., et le refus de la C.S.S.T. de reconnaître la rechute du 6 janvier 2004, le Requérant subit un important préjudice financier puisqu'il ne reçoit aucune compensation pour la perte salariale entre le salaire de magasinier et celui de son ancien emploi d'opérateur de balance;"
[24] Il appert aussi qu'en aucun moment l'employeur Domfer Poudres Métalliques Ltée, Mise en cause, n'a contesté les prétentions du Requérant préférant adopter une attitude de neutralité.
[25] Le requérant soulève aussi une atteinte aux principes de justice naturelle tel que la règle audi alteram partem.
[26] Suivant l'article 377 de la LATMP[6], les pouvoirs de la Commission sont les suivants:
"377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu."
[27] Puis, il faut déterminer la norme de contrôle applicable dans les deux stades de ces décisions:
1) la norme de contrôle applicable à la révision de la décision de la Commissaire Landriault; et
2) la norme de contrôle applicable à la Cour supérieure en révision de la décision du Commissaire Denis.
[28] De façon préliminaire soulignons cependant la décision de l'honorable juge Marie-France Bich de la Cour d'appel dans l'arrêt Cascades Conversion inc. c. Hervé Yergeau et CLP[7].
[29] Elle s'exprime ainsi sur la question préliminaire:
"[30] Bien que les parties n'aient pas soulevé cette question dans leurs mémoires respectifs, la Cour tient à signaler que la règle énoncée dans l'arrêt Cégep de Valleyfield c. Gauthier-Cashman[8], reprise maintes fois par la jurisprudence[9], fait toujours autorité: sauf exception, il n'est pas opportun de procéder à la révision judiciaire de la décision interlocutoire d'un tribunal administratif et l'on devrait donc normalement s'en abstenir. En l'espèce, malgré le jugement de son collègue Dubois, jugement qui n'avait pas l'autorité de la chose jugée, il aurait sans doute été préférable que le juge Émery applique cette règle et, dans l'exercice de sa discrétion judiciaire, rejette la requête en révision présentée par Yergeau, en raison de son caractère prématuré."
(Nos soulignements ajoutés)
[30] Par ailleurs, pour ce qui concerne la norme de contrôle applicable à la décision rendue, il est évident que les quatre critères de l'analyse pragmatique et fonctionnelle sont rencontrés ici soit: la présence d'une clause privative (art. 429.59 et 429.49 de LATMP), l'expertise du tribunal, indéniable en matière d'indemnisation des victimes d'accidents du travail, l'objet de la loi qui suivant l'arrêt Domtar[10] a pour but de permettre à un Tribunal administratif de disposer en dernier ressort des décisions des instances inférieures en interprétant sa loi constitutive, et la nature du problème qui dans la présente instance tombe carrément à l'intérieur de la compétence d'un commissaire savoir: l'interprétation d'une lettre, d'une décision, d'une disposition de la loi, etc…
[31] La Cour d'appel a maintes fois réitéré la norme applicable au cas de révision interne.
[32] Ainsi, la Cour d'appel a décidé que la norme de la décision raisonnable (simpliciter) devait être appliquée. Voir les décisions de CSST c. Fontaine et CLP[11], Bourassa c. CLP[12]et Tribunal administratif du Québec c. Godin[13].
[33] Aussi la Cour suprême écrit ceci dans l'arrêt Ryan[14] quant à l'application de la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter :
"Lorsque l'analyse pragmatique et fonctionnelle mène à la conclusion que la norme appropriée est la décision raisonnable simpliciter, la cour ne doit pas intervenir à moins que la partie qui demande le contrôle ait démontré que la décision est déraisonnable. (…)
Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion.
Cela indique que la norme de la décision raisonnable exige que la cour siégeant en contrôle judiciaire reste près des motifs donnés par le Tribunal et «se demande» si l'un ou l'autre de ces motifs étaye convenablement la décision. La déférence judiciaire demande non pas la soumission mais une attention respectueuse à ces motifs (…)."
[34] En deuxième étape, lorsque la CLP a conclu que la première décision comporte une erreur manifeste et déterminante justifiant de réviser la décision, elle la révise et doit alors rendre la décision de fond qui doit être rendue. La norme de contrôle applicable à cette étape du cheminement est celle de la décision manifestement déraisonnable (par la Cour supérieure); ainsi, dans l'arrêt Domtar[15], la juge l'Heureux-Dubé écrivait ceci relativement à la norme de l'erreur manifestement déraisonnable:
"Le critère de l'erreur manifestement déraisonnable constitue le pivot sur lequel repose la retenue des cours de justice. Dans le cadre des questions relevant de la compétence spécialisée d'un organisme administratif protégé par une clause privative, cette norme de contrôle a une finalité précise: éviter qu'un contrôle de la justesse de l'interprétation administrative ne serve de paravent, comme ce fut le cas dans le passé, à un interventionnisme axé sur le bien-fondé d'une décision donnée.
Substituer son opinion à celle du tribunal administratif afin de dégager sa propre interprétation d'une disposition législative, c'est réduire à néant son autonomie décisionnelle et l'expertise qui lui est propre. Puisqu'une telle intervention surgit dans un contexte où le législateur a déterminé que le tribunal administratif est le mieux placé pour se prononcer sur la décision contestée, elle risque de contrecarrer, par la même occasion, son intention première…"
(Nos soulignements ajoutés)
[35] La Cour supérieure elle est soumise à la norme de la décision manifestement déraisonnable.
[36] Or, en l'instance, la décision du Commissaire Denis n'est soutenue par aucun élément de preuve.
[37] Il omet l'analyse de la correspondance antérieure qui a mené à la rédaction de la lettre du 30 mars 2004.
[38] De plus, il s'arroge un pouvoir de décideur final alors qu'il n'était saisi que d'une question préliminaire.
[39] La prudence aurait recommandé qu'il s'abstienne d'intervenir tout simplement. Son intervention empêche la Commission des lésions professionnelles d'exercer pleinement sa compétence.
[40] La Commissaire Landriault avait en effet convoqué les parties pour leur donner l'occasion d'être entendues sur les circonstances nouvelles invoquées par le travailleur pour demander la modification de son plan individualisé de réadaptation (art. 146.2).
[41] La Cour supérieure en vient donc à la conclusion que le Commissaire Denis a commis une erreur manifestement déraisonnable en intervenant sur une question préliminaire et surtout, en s'abstenant d'effectuer l'analyse contextuelle et chronologique de la correspondance ayant mené à la rédaction de la lettre du 30 mars 2004.
[42] DANS CES CIRCONSTANCES, la requête en révision judiciaire sera reçue et le dossier retourné à la CLP devant la Commissaire Landriault pour qu'elle puisse terminer d'exercer sa compétence.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE la requête en révision judiciaire;
CASSE la décision du Commissaire Denis rendue le 28 juillet 2005;
RETOURNE le dossier à la Commission des lésions professionnelles devant Me Lucie Landriault;
LE TOUT AVEC DÉPENS.
|
|
|
__________________________________ JEAN CRÉPEAU, J.C.S. |
Me Martin Savoie |
|
TEAMSTERS QUÉBEC CONSEIL CONJOINT NO. 91 |
|
Pour le requérant |
|
|
|
Me Luc Côté |
|
LEVASSEUR, VERGE |
|
Pour la CLP |
|
|
|
Me François Bilodeau |
|
PANNETON, LESSARD |
|
Pour la CSST |
|
|
|
Date d'audience: le 23 octobre 2006 |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] [1985], c. 6, a. 146.
[3] C.A.L.P. 67006-60-9502, 27 juin 1996, J. L'Heureux
[4] C.A.L.P. 31239-61-9107, 7 avril 1993, A. Suicco, révision rejetée 24 mars 1994, B. Lemay
[5] Béland et Barrette-Chapais ltée, C.L.P. 211061-03B-0306, 27 octobre 2004, P. Brazeau; Carrière et Béton de la 344 inc., C.L.P. 185806-64-0206, 22 août 2002,. D. Robert; Gagnon et BG Automatique (BG GHECO SENC), C.L.P. 84223-8612, 16 juillet 1999, C. Bérubé
[6] L.R.Q., c. A-3.001
[7] [2006] QCCA 464 .
[8] [1984] C.A. 633 .
[9] Voir par exemple: Technologies avancées de fibres (AFT) inc. c. Fleury, D.T.E. 2005T-76 (C.A.) Québec (Procureur général) c. Bouliane, [2004] R.J.Q. 1185 (C.A., requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada rejetée), notamment aux paragr. 162 et s.
[10] Domtar c. CALP, [1993] 2 R.C.S. 756
[11] C.A. Montréal 500-09-014608-046, 2005-09-07, jj. Morissette, Forget et Hilton
[12] C.A. Montréal 500-09-0110014-016, 2003-08-28, jj. Mailhot, Rousseau-Houle et Rayle
[13] C.A. Montréal 500-09-009744-004, 2003-08-18, jj. Fish, Chamberland et Rousseau-Houle
[14] Barreau du Nouveau Brunswick c. Ryan, [2003], 1 R.C.S. 247
[15] [1993] 2 R.C.S. 756
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.