Corporation Urgences-Santé |
2011 QCCLP 2688 |
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[1] Le 18 mars 2010, l’employeur, Corporation Urgences-Santé, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 11 mars 2010 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 3 décembre 2009 et, en conséquence, refuse d’accorder à l’employeur le partage du coût des prestations tel que prévu à l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi); elle impute à ce dernier la totalité des coûts générés par la lésion professionnelle subie le 26 juillet 2006 par monsieur Alain Lebrun (le travailleur).
[3] À l’audience tenue à Montréal le 15 février 2011, l’employeur est représenté par procureur.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au partage des coûts qu’il réclame dans les proportions suivantes : 10 % à son dossier d’expérience et 90 % aux employeurs de toutes les unités.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] Le travailleur occupe un poste de technicien ambulancier chez l’employeur. Il est né le [...] 1968.
[6] Le 26 juillet 2006, il subit une lésion professionnelle dont les circonstances sont rapportées comme suit au formulaire « Avis de l’employeur et demande de rembour-sement » :
Au moment d’embarqué le patient qui était sur la civière dans l’ambulance la civière ne c’est pas ancré correctement à l’ancrage au plancher de l’ambulance et est revenue vers l’extérieure de l’ambulance et est tombé au sol, par reflex, j’ai essayé de retenir la civière et le patient durant leur chute de l’ambulance, j’ai ressentie douleur vive entre les omoplates et épaule gauche. [sic]
[7] La même journée, le travailleur consulte le docteur J. Courteau qui pose un diagnostic d’entorse thoracique et d’entorse à l’épaule gauche et prescrit un arrêt de travail jusqu’au 31 juillet 2006.
[8] Le 31 juillet 2006, le docteur Courteau revoit le travailleur et maintient le même diagnostic. Il prolonge l’arrêt de travail et réfère le travailleur en physiothérapie.
[9] Le 16 août 2006, la CSST rend une décision par laquelle elle conclut que le 26 juillet 2006, le travailleur a subi une lésion professionnelle lui ayant causé une entorse thoracique et à l’épaule gauche.
[10] Le 25 août 2006, une résonance magnétique de l’épaule gauche est effectuée à la demande du docteur Courteau, dans le but d’éliminer une rupture de la coiffe des rotateurs. Le rapport du radiologiste se lit comme suit :
CONSTATATIONS
1. Tendons de la coiffe des rotateurs / Musculature : Signal légèrement hétérogène de la partie distale du tendon supra-épineux indicatif d’une légère tendinose. Les autres tendons de la coiffe des rotateurs sont normaux. Pas d’atrophie musculaire.
2. Tendon du long biceps : Position, configuration et signal normaux.
3. Bourse sous-acromio-sous-deltoïdienne : Léger épaississement de la bourse.
4. Voûte coraco-acromiale : Arthrose acromio-claviculaire modérée avec irrégularités osseuses sous chondrales, ébauche de petits ostéophytes marginaux et épaississement capsulo-synovial qui exerce une légère indentation sur le versant supérieur de la jonction musculo-tendineuse du supra-épineux. Morphologie acromiale de type II. Pas d’éperon osseux sous-acromial.
5. Articulation gléno-humérale et labrum : Pas d’évidence d’arthropathie. Pas d’anomalie identifiée au niveau du labrum. Pas d’épanchement.
Opinion :
Légère tendinose du supra-épineux sans évidence de déchirure de la coiffe des rotateurs.
Légère bursite sous-acromio-deltoïdienne.
[11] À la même date, une radiographie complémentaire est également effectuée. Le radiologiste observe la présence d’une calcification à l’attache humérale du tendon grand pectoral.
[12] Aux rapports médicaux subséquents que signe le docteur Courteau, seul le diagnostic d’entorse à l’épaule gauche est maintenu. Le 25 octobre 2006, ce médecin recommande des travaux légers à raison de quatre heures par jour, cinq jours par semaine.
[13] Le 22 novembre 2006, le docteur Courteau met fin aux traitements de physiothérapie et il réfère le travailleur en orthopédie pour une infiltration cortisonée.
[14] Le 11 janvier 2007, le travailleur rencontre le docteur T. Simion, orthopédiste. Ce médecin pose un diagnostic de tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche et il procède à une infiltration.
[15] Le 13 février 2007, le docteur Simion constate un soulagement temporaire avec la première infiltration et il procède à une deuxième infiltration.
[16] Le 11 juin 2007, le docteur Simion procède à une intervention chirurgicale, soit une arthroscopie de l’épaule gauche avec un débridement articulaire et une acromioplastie gauche. Au protocole opératoire, ce médecin rapporte ce qui suit :
Les deux surfaces cartilagineuses sont normales. Le tendon du biceps est normal. L’ancre du biceps est intacte. Le tendon sus-scapulaire est normal. La surface inférieure de la coiffe ne montre pas de pathologie. Dans le Bier spot il y a un tout petit ostéophyte d’environ 2 x 2 mm.
Le labrum est effrité, tant en antérieur qu’en supérieur et en supéro-postérieur. Donc, à l’aide d’un chondrotome introduit par le port antérieur, nous procédons à débrider ces quelques franges de labrum irrégulier. Cela étant fait, nous introduisons l’arthroscope dans l’espace sub-acromial où nous débridons la bourse à l’aide du chondrotome motorisé, puis nous dépériostons la surface inférieure de l’acromion ainsi que de la clavicule distale à l’aide du cautère. Nous procédons par la suite, à l’aide de la fraise, avec une acromioplastie qui résèque environ 7 à 8 mm d’acromion en antérieur, puis de moins en moins postérieurement, sur une longueur d’environ 2,5 cm. L’extrémité distale de la clavicule à sa partie inférieure est également réséquée pour l’amener dans le même plan que la résection acromiale.
Cela étant fait, nous introduisons l’arthroscope dans le port latéral et la fraise dans le port postérieur et procédons à la finition de la coupe. Par la suite, à l’aide du chondrotome motorisé, nous débridons les résidus de bourse sous-deltoïdienne pour bien visualiser la coiffe des rotateurs. Celle-ci est bien visualisée, puis elle est palpée à l’aide du crochet afin de rechercher déchirure. N’ayant pas trouvé de déchirure dans la coiffe des rotateurs, nous retirons les instruments et procédons à la fermeture avec bande adhésives. [sic]
[17] Le 25 juillet 2007, le docteur Courteau fait mention de l’acromioplastie à l’épaule gauche du travailleur et pose le diagnostic de capsulite associée. Il mentionne qu’une arthrographie distensive est prévue le 3 août 2007.
[18] Le 9 août 2007, le docteur Simion procède à une autre infiltration cortisonée.
[19] Les 27 septembre et 22 octobre 2007, deux autres arthrographies distensives sont effectuées.
[20] Le 6 novembre 2007, la CSST rend une décision par laquelle elle conclut qu’il y a une relation entre les diagnostics de tendinopathie de la coiffe des rotateurs et de capsulite post-opératoire à l’épaule gauche et l’événement du 26 juillet 2006. Cette décision ne fait l’objet d’aucune contestation.
[21] Le 14 février 2008, le docteur Courteau produit un rapport final établissant la consolidation de la lésion professionnelle au 15 février 2008. Pour sa part, le docteur Simion produit un rapport d’évaluation médicale concluant que le travailleur conserve un déficit anatomo-physiologique de 7 % ainsi que des limitations fonctionnelles. Il maintient le diagnostic de tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche.
[22] Le 14 juillet 2009, soit dans les délais légaux, l’employeur demande un partage des coûts générés par la lésion professionnelle du travailleur conformément aux dispositions de l’article 329 de la loi. Au soutien de cette demande, l’employeur dépose un avis médical produit par le docteur J. A. Rivas le 12 février 2009. Ce médecin s’exprime comme suit :
[…]
Les diagnostics admis par la CSST initialement sont ceux d’entorse thoracique et de l’épaule gauche.
Plus tard le 6 novembre 2007, la CSST a admis celui de tendinopathie de la coiffe et de la capsulite postopératoire.
L’analyse historique et l’analyse des pathologies au dossier révèlent que dans le fond il s’agit d’une tendinopathie dégénérative pour laquelle le travailleur a subi une décompression par acromioplastie.
Évidemment, il faut comprendre que le 26 juillet 2006 la tendinopathie de la coiffe est devenue symptomatique à l’effort.
Par contre, cette pathologie existait avant même le 26 juillet 2006 et elle était accompagnée d’un conflit acromial, un acromion de type II morphologique.
Toutes ces pathologies préexistantes étaient des handicaps irréconciliables avec l’âge du patient et conformes à la dépréciation de handicap selon l’article 329 de la L.A.T.M.P.
[sic]
[23] Le docteur Rivas conclut qu’il est justifié de demander un partage de coûts et ce, dans une proportion de 90 % à l’ensemble des employeurs et de 10 % au dossier d’expérience de l’employeur.
[24] Le docteur Rivas témoigne à l’audience. D’abord, il précise que la tendinopathie est une terme générique qui désigne une pathologie du tendon; la tendinose est un diagnostic qui se confirme avec l’imagerie. Essentiellement, il déclare que l’acromion de type II vu à la résonance magnétique est de « type modéré » et n’est pas, en soi, en dehors de la norme biomédicale. Il souligne cependant qu’aux notes de consultation médicale du docteur Simion (pièce E-2), ce médecin constate, en date du 11 janvier 2007, des signes d’accrochage positif. Le docteur Rivas en conclut que cet accrochage s’explique par une compression de l’acromion sur la coiffe des rotateurs qui, avec le temps, montre des signes de tendinose. Il qualifie donc, dans ce contexte, cet accrochage par déformation osseuse de l’acromion et cette tendinose qui en résulte, de conditions personnelles hors de la norme biomédicale et de handicaps chez un travailleur âgé de 38 ans. Il admet cependant que cette tendinose peut aussi bien être la cause de l’accrochage qu’en être la conséquence.
[25] Le docteur Rivas déclare aussi que le labrum effrité constaté lors de la chirurgie de juin 2007 constitue, lui aussi, un handicap chez le travailleur. Il explique que même si la littérature médicale est partagée sur le fait que l’accrochage peut avoir des conséquences sur l’articulation gléno-humérale ou, qu’au contraire, c’est l’effritement du labrum qui a un effet sur l’accrochage par micro-instabilité, il n’en reste pas moins que ces deux entités sont interreliées et ont eu un effet sur la production de la lésion professionnelle du travailleur.
[26] Le docteur Rivas fait également mention de la calcification au tendon du grand pectoral vue à la radiographie complémentaire déclarant qu’il s’agit également d’un handicap mais moins important que le handicap découlant du syndrome d’accrochage. Il souligne que les traitements de physiothérapie ont aussi été prodigués pour cette condition.
[27] Le docteur Rivas ajoute que la chirurgie subie par le travailleur a été faite en raison de sa condition de tendinopathie, chirurgie ayant occasionné une intervention intra-articulaire au labrum (en raison de la trouvaille fortuite d’un effritement à ce niveau), le tout ayant eu pour conséquence de prolonger la durée de consolidation de la lésion professionnelle.
[28] Après avoir entendu les arguments du procureur de l’employeur, la Commission des lésions professionnelles rend la décision suivante.
[29] La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer si l’employeur a droit au partage des coûts qu’il réclame.
[30] L’article 329 de la loi prévoit ce qui suit :
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[31] Cet article prévoit donc que lorsqu’un travailleur est déjà handicapé au moment où se manifeste sa lésion professionnelle, la CSST peut imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités. Conformément à la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles depuis la décision rendue dans l’affaire Municipalité Petite-Rivière-St-François et CSST-Québec[2], les termes « travailleur déjà handicapé » ont été interprétés comme étant une personne qui présente, au moment de la lésion professionnelle, une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.
[32] Ainsi, pour faire droit à la demande de l’employeur, les conditions suivantes doivent être remplies.
[33] Dans un premier temps, ce dernier doit démontrer que le travailleur est atteint d’une déficience au moment où se manifeste sa lésion professionnelle. Dans un deuxième temps, il doit démontrer qu’il existe un lien entre cette déficience et la lésion professionnelle soit parce que celle-ci a influencé l’apparition ou favorisé la production de cette lésion, soit parce qu’elle a agi sur les conséquences de cette dernière.[3]
[34] Si l’employeur fait cette démonstration, la Commission des lésions professionnelles pourra alors conclure que le travailleur était déjà handicapé au sens de l’article 329 de la loi et pourra faire droit à la demande de partage des coûts.
[35] Conformément à la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles précitée, une déficience « constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme bio-médicale [sic]. »
[36] En l’espèce, d’une part, la Commission des lésions professionnelles ne retient pas la conclusion du docteur Rivas quant à la tendinose qu’il qualifie de handicap. En effet, la Commission des lésions professionnelles rappelle que le diagnostic de tendinopathie de la coiffe des rotateurs (englobant celui de tendinose) a été reconnu par la CSST comme étant l’un des diagnostics de la lésion professionnelle du 26 juillet 2006. Cette tendinopathie ou tendinose ne peut donc être considérée comme une condition personnelle préexistante à cet événement puisqu’elle a été reconnue en être la conséquence.
[37] D’autre part, tel que l’admet le docteur Rivas, l’acromion de type II n’est pas, en soi, une condition qui se situe en dehors de la norme biomédicale. Quant au syndrome d’accrochage, le docteur Rivas admet qu’il peut tout aussi bien être la cause de la tendinopathie qu’en être la conséquence.
[38] La Commission des lésions professionnelles ne peut donc conclure que ces conditions constituent des déficiences se situant hors de la norme biomédicale.
[39] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles estime que la condition d’effritement du labrum constatée lors de la chirurgie constitue une altération à cette structure anatomique. Selon la description qu’on retrouve au protocole opératoire, le labrum est effrité de façon importante, soit à trois régions, ce qui tend à démontrer que l’effritement existait avant l’événement du 26 juillet 2006 puisqu’il n’a vraisemblablement pas pu se développer entre la date de cet événement et la date de la chirurgie qui en dévoile l’existence.
[40] De plus, le caractère déviant ou hors norme de cet effritement est confirmé par le docteur Rivas à l’audience. La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que le travailleur était affecté d’une déficience avant que survienne sa lésion professionnelle.
[41] Il reste donc à déterminer si cette déficience influence la production de la lésion professionnelle ou les conséquences de cette dernière.
[42] La Commission des lésions professionnelles estime que le mécanisme de production de la lésion professionnelle tel que décrit au dossier était, à lui seul, suffisant pour causer cette lésion soit une entorse thoracique, une entorse de l’épaule gauche et une tendinopathie à ce niveau. La Commission des lésions professionnelles conclut que l’effritement du labrum n’a pas joué un rôle sur la production de la lésion du travailleur.
[43] Par ailleurs, tel que l’indique le docteur Rivas, il appert qu’une partie importante de la chirurgie consiste en une chirurgie intra-articulaire au labrum, chirurgie plus invasive et rendant davantage probable une complication subséquente de capsulite et une consolidation plus longue de la lésion professionnelle.
[44] L’employeur a donc droit à un partage des coûts selon l’article 329 de la loi.
[45] En ce qui concerne le partage à effectuer, la Commission des lésions professionnelles retient la proposition faite par le docteur Rivas et impute les coûts du présent dossier dans les proportions suivantes : 10 % au dossier d’expérience de l’employeur et 90 % aux employeurs de toutes les unités.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de l’employeur, Corporation Urgences-Santé;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 11 mars 2010 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur doit supporter 10 % des coûts reliés à la lésion professionnelle subie par le travailleur, monsieur Alain Lebrun;
DÉCLARE que les employeurs de toutes les unités doivent supporter 90 % des coûts reliés à cette même lésion professionnelle.
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Danièle Gruffy |
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Me Jean Beauregard |
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LAVERY DE BILLY |
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Représentant de la partie requérante |
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