Modèle de décision CLP - juin 2011

CIF Métal ltée et Aon Hewitt

2013 QCCLP 2224

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

2 avril 2013

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

481497-03B-1209

 

Dossier CSST :

137647855

 

Commissaire :

Marie-Claude Lavoie, juge administratif

 

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C.I.F. Métal ltée

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Aon Hewitt

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

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DÉCISION

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[1]           Le 7 septembre 2012, C.I.F. Métal ltée (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 30 juillet 2012, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme une première décision qu’elle a initialement rendue le 5 juin 2012 et déclare que l’imputation au dossier de l’employeur demeure inchangée concernant la demande de transfert du coût des prestations versées après le 9 novembre 2011, déposée par l’employeur le 24 janvier 2012.

[3]           La CSST confirme également une seconde décision qu’elle a initialement rendue le 5 juin 2012 et déclare irrecevable la demande de transfert de l’imputation des coûts datée du 30 avril 2012, en application du deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), puisque cette demande a été produite en dehors du délai prévu par la loi et que l’employeur n’a pas démontré de motif raisonnable de le relever de son défaut d’avoir respecté ce délai.

[4]           L’audience s’est tenue à Thetford Mines le 31 janvier 2013, en présence de l’employeur et de son procureur. Le dossier est mis en délibéré à la date de l’audience.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]           L’employeur demande au tribunal de déclarer qu’il a été obéré injustement des prestations versées à monsieur Stéphane Métivier (le travailleur) pour la période du 11 mai au 28 juillet 2011 et pour la période du 24 août 2011 au 9 mai 2012.

LES FAITS

[6]           Le 15 février 2011, le travailleur subit une maladie professionnelle. Le docteur François Vallières retient un diagnostic de doigt gâchette au niveau du troisième doigt de la main droite. Il autorise les travaux légers.

[7]           À compter du 23 mars 2011, le travailleur est pris en charge par la docteure Line Trépanier. Cette dernière autorise des travaux légers, tout en spécifiant que le formulaire d’assignation soumis par l’employeur offre peu de tâches possibles.

[8]           Le 13 avril 2011, le travailleur est évalué par le docteur Gérald Bergeron, à la demande de son employeur. À la suite de son évaluation, il retient des diagnostics de ténosynovite sténosante aux 3e et 4e doigts de la main droite et de cervicalgie d’étiologie indéterminée. Il considère que la lésion n’est pas consolidée et qu’elle nécessite des traitements de physiothérapie et une possible chirurgie.

[9]           Le 27 avril 2011, la docteure Trépanier autorise la poursuite des travaux légers. Au formulaire d’assignation temporaire, elle indique que ces travaux devront être faits jusqu’à quatre à cinq semaines après l’opération pour laquelle le travailleur est en attente. Elle ajoute attendre l’autorisation de l’orthopédiste.

[10]        En avril 2011, l’agente d’indemnisation de la CSST note à son dossier avoir de la difficulté à rejoindre le travailleur et que celui-ci ne lui retourne pas ses appels.

[11]        Le 6 mai 2011, l’agente discute avec le travailleur. Ce dernier lui rapporte que son employeur lui fait effectuer l’inventaire au crayon et que pour cela, il doit utiliser sa main droite, ce qui lui cause de la douleur. Le travailleur indique en avoir discuté avec son employeur, mais que cela n’a rien changé à la situation. L’agente ajoute que le travailleur compte rencontrer son médecin la semaine suivante pour faire enlever cette tâche à son assignation. Le travailleur l’informe également être en mesure d’effectuer les commissions, puisqu’il n’a aucune difficulté à conduire et qu’il n’a pas de poids à soulever. Il ajoute que le reste du temps, il ne fait rien et regarde les autres travailleurs s’affairer, parce que l’employeur n’aurait rien d’autre à lui proposer.

[12]        Le 10 mai 2011, l’employeur rencontre le travailleur et lui remet une lettre de suspension d’une journée de travail en raison d’un problème d’absentéisme. Cette suspension fait suite à un avis écrit reçu en mars 2011. Malgré cet avis, le travailleur s’est absenté les 25 mars, 19 avril et 2 mai 2011.

[13]        Le 11 mai 2011, la docteure Trépanier cesse l’assignation temporaire. Au formulaire, elle indique que le travail léger comporte trop de répétitions de gestes et que le travailleur ne « se sent pas respecté dans ses limitations ».

[14]        Le 19 mai 2011, l’agente de la CSST discute avec le travailleur. Elle rapporte ce qui suit :

J’informe le T que son E m’a avisé que son ATT a été cessé le 11 mai 2011. J’explique au T que cela m’a surprise puisque lors de notre conversation du 6 mai 2011, il m’informait qu’il allait voir son md tx pour faire enlever une tâche sur son ATT mais pas pour l’arrêter complètement. T me dit qu’il a été aussi surpris.

 

T m’explique que depuis 3 mois il fait de l’ATT mais les tâches ne sont pas toujours telles que présenter par E et elles ne respectent pas nécessairement ses LF.

 

T m’explique que faire des commissions n’est pas nuisible pour sa main, par contre, lorsqu’il doit forcer pour déplacer des boîtes ou matériaux, cela cause de la douleur à sa main et ne respecte pas ses LF au dos (autre dossier CSST finaliser avec LF et EC chez E).

 

Aussi, T me dit qu’écrire plusieurs fois par jour lui cause de la douleur à la main. T me dit que la semaine dernière il a été placé à l’inspection des pièces. T me dit qu’il n’a pas à toucher aux pièces mais lorsque la pièce est coulée, il doit la couper avec une scie et la polir avec une meule, ce qui contrevient à ses LF à la main. De plus, T me dit qu’il doit faire l’inspection à quatre pattes donc cela contrevient à ses LF pour le dos. T dit qu’il doit faire la description des pièces. T doit compléter une page complète aux 15 minutes environ ce qui lui cause de la douleur à la main.

 

[sic]

 

 

[15]        Le 6 juin 2011, le médecin traitant remplit l’information médicale complémentaire écrite demandée par la CSST. Il y est inscrit :

Il semble y avoir un malentendu entre les travaux légers offerts sur papier et ceux fait en réalité. J’ai rencontré M. Métivier le 11/5/11. Il disait que l’assignation temporaire n’était pas respectée. Durant une semaine, il devait couper des pièces d’aluminium avec la main malade. Il a eu des douleurs. Il a passé 3 jours à faire l’inventaire en utilisant sa main droite. Le 10/5, il a dû couper des petits morceaux et les passer à la meule et prendre des notes lui a aussi augmenté sa douleur main droite.

 

[sic]

 

 

[16]        Le médecin conclut que les restrictions à respecter sont la répétition de gestes et la surutilisation de la main droite.

[17]        Le 15 juin 2011, l’employeur rencontre le travailleur pour préparer, avec sa collaboration, une liste de tâches qu’il est en mesure d’effectuer et qui respecte ses limitations.

[18]        Le 13 juillet 2011, la docteure Trépanier refuse à nouveau l’assignation temporaire proposée en indiquant que le travailleur ne peut l’effectuer. Elle indique à sa note médicale, que selon les dires du travailleur, il y a non respect des tâches en travaux légers.

[19]        Le 28 juillet 2011, le travailleur subit une décompression chirurgicale de la gaine des fléchisseurs du majeur droit.

[20]        Le 12 octobre 2011, le travailleur est examiné par le docteur Bergeron, à la demande de l’employeur. Celui-ci est d’avis que le travailleur est en mesure d’effectuer une assignation temporaire en respectant les limitations fonctionnelles consistant à ne pas effectuer d’effort de préhension avec la main droite et à éviter les mouvements répétitifs de la main droite.

[21]        Le 24 octobre 2011, la docteure Trépanier autorise l’assignation temporaire et indique que les limitations décrites par le docteur Bergeron doivent être respectées. Elle ajoute que chacune des activités décrites doit être évaluée avec le travailleur.

[22]        Le 1er novembre 2011, l’agente de la CSST note à son dossier que le travailleur l’informe ne pas avoir rencontré, comme prévu, son médecin la semaine précédente. Le travailleur n’est pas d’accord avec le fait que l’employeur ait fait autoriser une assignation temporaire sans qu’il ait revu son médecin. Le travailleur indique revoir son médecin le lendemain.

[23]        À la suite de la discussion, l’agente vérifie auprès du bureau de la docteure Trépanier, qui lui confirme que le travailleur a effectivement été examiné par son médecin traitant le 24 octobre 2011.

[24]        Par la suite, malgré l’autorisation des travaux légers, le travailleur ne se présente pas chez l’employeur.

[25]        Le 4 novembre 2011, le travailleur informe l’agente de la CSST que lors de sa rencontre avec le chirurgien, ce dernier lui aurait confirmé que son doigt était guéri et qu’il pouvait reprendre le travail. Cependant, il précise que c’est son médecin traitant qui doit autoriser le retour au travail. Le travailleur ajoute ne pas être en mesure d’exécuter les différentes tâches énoncées au formulaire d’assignation temporaire :

T me dit qu’il ne peut pas faire plus de 5 minutes de balayeuse chez lui alors il ne voit pas comment il pourrait utiliser la balayeuse industrielle chez son E.

Zamboni : trop difficile pour le dos.

Balai : toujours pencher donc respecte pas ses LF au dos et tenir le balai est difficile avec sa main droite.

Ramasser des débris : T me dit que cela consiste à ramasser les mégots de cigarette dans la cour de l’usine. T me dit qu’il ne peut pas faire cette tâche vu ses LF au dos.

Commissionnaire : T me dit qu’il a conduire le camion pour faire des livraisons chez différents clients. T me dit que ce n’est pas tous les clients qui accepte de l’aider lors de ses livraisons donc il a à forcer beaucoup avec sa main pour descendre le chargement du camion.

Inventaire : T me dit qu’il ne peut pas écrire avec sa main droite.

Décompte de pièces : trop de manipulation avec sa main.

Supervision : T me dit que ce n’est pas sa job, il n’a pas le salaire qui vient avec et il ne veut pas se faire « tomber dessus » s’il y a une pièce qui n’est pas correcte et qu’il ne l’a pas vu passer.

 

[sic]

 

 

[26]        Le 9 novembre 2011, la docteure Trépanier cesse l’assignation temporaire en indiquant que le travailleur est incapable d’effectuer les tâches proposées.

[27]        Le 11 novembre 2011, la docteure Trépanier remplit un formulaire d’assignation temporaire autorisant les travaux légers à condition que les limitations fonctionnelles soient respectées. Elle indique :

Si limitations respectées SVP Rencontrer Monsieur et en discuter. J’aimerais que vous rencontriez votre employé car il me dit que les limitations décrites ci-hautes ne son pas respectées. Tout ce que vous décrivez est possible mais monsieur dit que ce n’est pas respecté. SVP voir ma note sur le dernier rapport d’assignation temporaire.

 

[sic]

 

 

[28]        Le 25 novembre 2011, le médecin cesse à nouveau l’assignation temporaire, considérant que le travailleur ne peut l’effectuer.

[29]        Le 27 janvier 2012, l’agente de la CSST suspend les indemnités de remplacement du revenu, puisque le travailleur n’a pas retourné son appel tel que demandé dans la lettre qu’elle lui a fait parvenir.

[30]        Le 30 avril 2012, l’employeur soumet une demande de transfert de l’imputation des prestations à compter du 13 décembre 2011, date à laquelle le travailleur a vu l’orthopédiste et que celui-ci lui a prescrit une résonance magnétique, et pour le 12 avril 2012, date à laquelle le travailleur a revu l’orthopédiste à la suite de l’examen par résonance magnétique effectué le 21 mars. L’employeur se dit injustement obéré par les délais d’obtention de l’examen et rencontre avec le médecin.

[31]        Le 9 mai 2012, la docteure Trépanier remplit le rapport final où elle est d’avis que la lésion est consolidée au jour de son examen. Elle ne prévoit aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle et indique que le travailleur présente un malaise résiduel léger. Elle autorise son retour au travail. Depuis, le travailleur n’a jamais repris son travail. Il n’est d’ailleurs plus à l’emploi de l’employeur.

[32]        Monsieur Claude Richard, directeur des opérations chez l’employeur, témoigne. Ses principales responsabilités sont la supervision du personnel, l’embauche, la discipline, la prévention et la gestion des accidents du travail, dont l’assignation temporaire.

[33]        Il explique les différentes tâches que le travailleur a exécutées en assignation temporaire. L’une des tâches est la vérification visuelle des pièces limées au poste de finition. Avant sa lésion, le travailleur a occupé ce poste, ainsi il connait bien le travail. Cette tâche consiste à vérifier que les nouveaux travailleurs effectuent correctement leur travail et que les pièces respectent les normes de qualité. Monsieur Richard précise que le travailleur n’a pas à intervenir directement auprès des travailleurs, mais qu’il doit aviser le superviseur de toute non-conformité des pièces. De plus, il précise qu’il n’a jamais eu à manipuler les pièces.

[34]        Une autre tâche consiste à faire différentes commissions selon les besoins. D’abord, il y a la livraison des pièces chez les clients. Cette livraison s’effectue à l’aide d’un camion de type pick-up, qui peut contenir une ou deux palettes ou avec une remorque. Il précise que les palettes doivent être manipulées à l’aide d’un chariot-élévateur et qu’il est impossible de les manipuler à bras d’homme. Le travailleur n’a donc aucunement à charger ou à décharger les pièces. Les autres commissions peuvent consister à aller chercher de la peinture, différentes pièces ou des équipements de sécurité. Monsieur Richard indique qu’il s’agit toujours d’objets de petite taille. Il explique qu’aucune personne n’y est assigné de façon régulière et qu’il s’agit d’une tâche conservée pour l’assignation temporaire.

[35]        En ce qui concerne la prise d’inventaire, monsieur Richard explique qu’il s’agit d’une tâche purement visuelle. Le but de cet inventaire est de faire le regroupement de pièces identiques pouvant se retrouver physiquement dans des endroits différents. Pour ce faire, le travailleur doit prendre en note sur une feuille le nombre de pièces et l’endroit où ces pièces sont situées et remettre le tout au contremaitre. Il y a seulement quelques chiffres à inscrire sur une feuille.

[36]        Une autre tâche est le suivi visuel du procédé « main housing ». Cette tâche consiste à prendre, à toutes les heures, la mesure de la température et de l’humidité du four, et à noter le tout sur une feuille de suivi. Encore là, il y seulement quelques chiffres à inscrire.

[37]        Concernant les tâches inscrites au formulaire préparé le 15 juin, monsieur Richard explique que toutes ces tâches sont légères et qu’elles ne nécessitent que peu d’effort physique. Par exemple, le nettoyage du plancher avec la zamboni est plutôt facile, puisque l’appareil est mécanisé.

[38]        Monsieur Richard poursuit en expliquant avoir rencontré le travailleur, le 10 mai 2011, pour lui remettre un avis disciplinaire en raison d’un problème d’absentéisme et de retard.

[39]        Concernant la plainte du travailleur quant au fait qu’il n’avait plus rien à faire, monsieur Richard indique que cela n’est pas exact, puisque lorsqu’il était affecté à la finition, sa tâche était de faire de la supervision auprès des travailleurs. Il précise que le travailleur avait été sensibilisé de l’importance de cette tâche.

[40]        Finalement, monsieur Richard ajoute que le travailleur a toujours été très difficile à rejoindre; soit le numéro n’était plus en service, soit il n’y avait pas de réponse.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[41]        Le tribunal doit déterminer si l’employeur a droit à un transfert de l’imputation en vertu de l’alinéa 2 de l’article 326 de la loi.

[42]        L’employeur demande au tribunal de déclarer que le coût des prestations doit être imputé aux employeurs de toutes les unités pour les périodes du 11 mai au 28 juillet 2011 et du 24 août 2011 au 9 mai 2012.

[43]        La première demande a été soumise le 24 janvier 2012. Le procureur indique qu’elle a été soumise dans le délai prévu par la loi, puisque l’accident est survenu le 15 février 2011. Le tribunal est aussi d’avis que la demande a été soumise dans le délai prévu par la loi.

[44]        Concernant la seconde demande datée du 30 avril 2012, le procureur soumet qu’après décembre 2011, le travailleur tarde dans la prise de son rendez-vous pour la résonance magnétique. Le procureur indique que sa demande a été soumise dans le délai prévu par la loi, soit dans les six mois de la connaissance d’un fait essentiel nouveau, soit le rapport médical de l’orthopédiste, daté 12 avril 2012.

[45]        L’article 326 de la loi énonce le principe général d’imputation selon lequel la CSST impute à l’employeur le coût des prestations versées en raison d’une lésion professionnelle survenue à un travailleur alors qu’il est à son emploi :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[46]        Cependant, l’alinéa 2 de l’article 326 de la loi prévoit des exceptions à ce principe. Entre autres, la loi permet à l’employeur de demander à la CSST d’imputer le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail aux employeurs de toutes les unités, lorsque cette imputation a pour effet de l’obérer injustement.

[47]        Dans l’affaire Ministère des Transports et CSST[2], le tribunal souligne qu’une demande de transfert de coûts en vertu de l’article 326 de la loi constitue une exception à la règle générale d’imputation.

[48]        Dans l’affaire Ville de Montréal (Service de l’eau)[3], le tribunal interprète les termes « obérer injustement » comme suit :

[9]  Les termes « obérer injustement » ont fait l’objet de plusieurs interprétations depuis l’introduction de ce concept dans la loi. Ainsi, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles préconise d’abord une interprétation restrictive de ceux-ci. Elle exige alors une preuve de situation financière précaire ou de lourde charge financière pour que l’employeur puisse bénéficier du transfert des coûts prévu au second alinéa de l’article 326 de la loi2.

 

[10]  Toutefois, cette notion évolue vers une interprétation plus libérale où, dorénavant, « toute somme qui ne doit pas pour une question de justice être imputée à l’employeur, l’obère injustement »3.

 

[11]  Cependant, cette interprétation ne fait pas l’unanimité. Entre autres, dans l’affaire Cegelec Entreprises (1991) ltée et la CSST4, le tribunal, sans exiger une preuve de faillite ou de situation financière précaire, juge tout de même que l’article 326 de la loi « doit être lu dans son ensemble et que le mot « injustement » doit être lu en corrélation avec le terme « obéré » qui comporte une signification financière ». Il exige donc une preuve de nature financière pour appliquer cet article.

 

[12]  Enfin, dans l’affaire Location Pro-Cam inc. et CSST et Ministère des transports du Québec5, la Commission des lésions professionnelles tente de réconcilier ces courants en proposant une troisième avenue. Elle détermine que, pour obtenir un transfert des coûts au motif qu’il est obéré injustement, « l’employeur a le fardeau de démontrer une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques qu’il doit supporter » et « une proportion des coûts attribuables à la situation d’injustice qui est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail en cause ».

 

[13]  Après avoir considéré les différents courants jurisprudentiels, la soussignée est d’avis qu’imposer à l’employeur une preuve de situation financière précaire ou de lourde charge financière, pour conclure qu’il est obéré injustement au sens de l’article 326 de la loi, a pour effet de rendre cet article inapplicable à la majorité de ceux-ci. En effet, plusieurs employeurs prospères auront peine à prétendre que l’imputation de coûts à leur dossier, même exorbitants, les conduit à une situation financière précaire ou leur impose une lourde charge. Or, une loi doit être interprétée de façon à favoriser son application. C’est pourquoi la soussignée ne peut retenir une interprétation aussi restrictive.

 

[14]  Il faut toutefois se garder de généraliser et prétendre que toute lésion professionnelle générant des coûts élevés obère injustement l’employeur. L’imputation au dossier d’expérience de ce dernier doit également être injuste. Dans un tel contexte, l’employeur doit non seulement démontrer qu’il assume certains coûts, mais il doit également démontrer qu’il est injuste qu’il les assume dans les circonstances.

 

[15]  La soussignée ne retient donc pas les critères plus restrictifs ou l’encadrement proposé dans l’affaire Location Pro-Cam.

 

[16]  Elle préfère laisser ouvertes ces questions d’injustice et de coûts afin de les adapter aux faits particuliers de chaque espèce. Cette interprétation est certes imparfaite; elle n’impose pas de recette miracle, mais elle permet d’apprécier chaque cas à son mérite.

_________________

2      Voir à ce sujet : Standard Paper Box Canada inc. et Picard, C.A.L.P. 01364-60-8611, 14 août 1987, M.-C. Lévesque; Howard Bienvenu inc. et Fournier, C.A.L.P. 07209-08-8804, 27 février 1990, R. Brassard; Transport Cabano Expéditex et Lessard, [1991] C.A.L.P. 459 ; CSST et Société canadienne de métaux Reynolds, C.A.L.P. 41245-09-9206, 25 mars 1994, M. Renaud; Thiro ltée et Succession Clermont Girard, [1994] C.A.L.P. 204 ; Protection Viking ltée et Prairie, C.A.L.P. 51128-60-9305, 2 février 1995, J.-C. Danis, (révision rejetée le 15 novembre 1995, N. Lacroix).

3             C. S. Brooks Canada inc., C.L.P. 87679-05-9704, 26 mai 1998, M. Cuddihy; Corporation d’urgences santé de la région de Montréal-Métropolitain, C.L.P. 89582-64-9706, 19 novembre 1998, M. Montplaisir.

4             C.L.P. 85003-09-9701, 11 juin 1998, C. Bérubé.

5             C.L.P. 114354-32-9904, 18 octobre 2002, M.-A. Jobidon.

[49]        Le tribunal est d’accord avec cette interprétation. Ainsi, il doit d’abord analyser si l’employeur a été obéré injustement des prestations versées du 11 mai au 28 juillet 2011.

[50]        Monsieur Richard a témoigné de façon crédible et a répondu aux questions de façon claire et honnête. Il a expliqué que les tâches autorisées par le médecin ont toujours été respectées. Il n’y avait pas de mouvements répétitifs et, contrairement aux dires du travailleur, il n’avait jamais eu à écrire sur de longues périodes.

[51]        Cependant, le comportement du travailleur démontre clairement sa mauvaise foi et son absence d’intérêt à effectuer des travaux légers. D’abord, le 6 mai 2011, le travailleur informe l’agente de la CSST que l’une des tâches en assignation lui cause des douleurs et qu’il demandera à son médecin de l’enlever.

[52]        Ensuite, le lendemain de sa suspension, le médecin cesse complètement l’assignation. Ce que le travailleur rapporte au médecin est très différent de ce qu’il a mentionné à l’agente. En effet, le médecin inscrit à ses notes que le travailleur doit couper des pièces d’aluminium depuis une semaine et que depuis trois jours, il prend l’inventaire à la main, que la veille, il a dû couper des petits morceaux et les passer à la meule. Plus loin, le médecin note que le travailleur ne se sent pas respecté dans ses limitations.

[53]        De plus, malgré qu’il ne fût pas présent lors de la rencontre du 15 juin 2011, monsieur Richard est en mesure de confirmer que les tâches retenues pour l’assignation temporaire ne comportaient aucun mouvement répétitif. De plus, cette nouvelle liste de tâches a été préparée avec la collaboration du travailleur. Malgré tout, le médecin refuse à nouveau d’autoriser l’assignation temporaire en raison du non-respect des limitations.

[54]        Il est compréhensible pour un médecin traitant de croire ce que lui rapporte son patient. Ainsi, le médecin pouvait être justifié de cesser l’assignation compte tenu des prétentions de son patient. Toutefois, le travailleur a menti à son médecin sur les conditions d’exercice de son assignation. Le 11 mai 2011, il ne mentionne pas à son médecin sa suspension en raison de son problème d’absentéisme et le 13 juillet 2011, il ne l’informe pas non plus que la nouvelle liste de tâches a été préparée avec sa collaboration. Est-ce que l’employeur doit être pénalisé par un tel comportement?

[55]        Dans la décision Duchesne et Fils ltée[4], le juge administratif Clément analyse si l’employeur est obéré par l’interruption de l’assignation temporaire en raison du congédiement du travailleur :

[71]  L’employeur a donc congédié le travailleur à cause de ses actes et non pas par caprice ou de façon arbitraire.

 

[72]  En conséquence, le travailleur ne devenait plus disponible à une assignation temporaire à compter de la date de congédiement pour une cause qui lui est propre à savoir des actes malhonnêtes qui ont entraîné son congédiement. L’impossibilité pour l’employeur d’assigner temporairement le travailleur à des tâches légères est donc injuste en l’espèce.

 

[73]  Dans l’affaire Forage Major inc.10, un employeur avait mis fin à l’assignation temporaire d’un travailleur à cause de sa mauvaise volonté et de la piètre qualité de son travail sans compter ses absences nombreuses et non autorisées entraînant un mauvais service à la clientèle. La fin de cette assignation temporaire avait entraîné la reprise du versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Le commissaire Pierre Prégent décidait en ces circonstances que l’employeur n’avait d’autre alternative que de mettre fin à l’assignation temporaire vu le comportement du travailleur. Cela ne pouvait, selon lui, lui être reproché, le travailleur s’étant mis ni plus ni moins dans une position où par sa mauvaise volonté il ne pouvait plus effectuer l’assignation temporaire demandée empêchant ainsi l’employeur de réduire ses coûts, ce qui a été jugé injuste.

 

[74]  Le tribunal estime que ces principes s’appliquent en l’espèce puisque l’employeur a dû mettre fin à l’emploi du travailleur en raison de sa malhonnêteté. Il ne devrait pas être puni du fait qu’il ne peut plus assigner temporairement le travailleur par la suite.

 

[75]  Dans l’affaire Dynamex Canada inc.11, un employeur incapable de rejoindre un de ses travailleurs pour l’assigner temporairement communique avec la CSST qui éprouve également des problèmes à communiquer avec lui. Une filature est alors demandée et elle démontre que l’incapacité du travailleur est non seulement non corroborée mais contredite. Le travailleur exerce même un emploi chez un tiers employeur. L’employeur demande alors un transfert d’imputation en vertu de l’article 326 invoquant le manque de collaboration et la mauvaise foi du travailleur. Le tribunal tranche ainsi :

 

« […]

 

[29]  En raison de cette mauvaise foi du travailleur, l’employeur a été dans l’impossibilité de l’assigner temporairement à un travail plus léger, ce qui aurait eu pour effet de réduire les coûts générés par la lésion professionnelle, telle que soumis par la procureure de l’employeur.

 

[30]  Cette mauvaise foi du travailleur a été démontrée par la filature qui a été effectuée. Celle-ci démontre clairement que le travailleur était capable d’occuper son emploi de chauffeur, ce qui est beaucoup moins exigeant pour le dos que l’emploi qu’il occupait à la boulangerie. Au surplus, comme le soumettait la procureure de l’employeur, cette situation faisait en sorte que le travailleur recevait une double rémunération, soit les prestations de la CSST et le salaire à la boulangerie.

 

[31]  Le tribunal est donc d’avis qu’en raison de sa mauvaise foi, le travailleur s’est placé dans une situation où il était impossible pour l’employeur de limiter le coût des prestations versées.

 

[32]  Comme l’a soumis la procureure de l’employeur, la jurisprudence du présent tribunal indique que le type d’attitude adoptée par le travailleur donne ouverture à l’application de l’alinéa deuxième de l’article 326 de la loi, car cette même attitude obère injustement l’employeur. Ainsi dans les arrêts Groupe Forages Major inc. et Barrette Chapais ltée5, un comportement tel celui du travailleur dans le présent dossier, fait en sorte qu’il est injuste pour l’employeur d’assumer les coûts relatifs à la lésion professionnelle, car le comportement du travailleur a pour effet de priver l’employeur de la possibilité de limiter le versement des indemnités.

 

[33]  Compte tenu de la preuve dans le présent dossier, il y a lieu d’accueillir la demande de l’employeur eu égard à la date du 21 avril 2004. En effet, c’est à compter de cette date que le médecin traitant a décidé qu’un plateau thérapeutique était atteint et qu’il y avait lieu de mettre fin aux différents traitements. L’employeur doit donc assumer les coûts reliés à la lésion professionnelle du travailleur, jusqu’à la date du 21 avril 2004 seulement.

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5     Groupe Forages Major inc., C.L.P. 163020-08-0106, 25 juillet 2002, P. Prégent; Barrette- Chapais ltée, C.L.P. 170923-02-0110, 24 novembre 2003, A. Gauthier.

 

(…) »

_________________

10       C.L.P. 163020-08-0105, 25 juillet 2002, P. Prégent.

                11       C.L.P. 266303-71-0507, 9 février 2006, A. Suicco.

               

                [nos soulignements]

 

 

[56]        Les faits rapportés au présent dossier sont différents, cependant le comportement du travailleur est tout à fait similaire. En effet, il a fait preuve de mauvaise volonté et de malhonnêteté par ses mensonges auprès de son médecin pour que celle-ci cesse les travaux légers, et ce, à de nombreuses reprises. Il a soumis les mêmes mensonges à la CSST pour expliquer les nombreux arrêts de l’assignation.

[57]        Finalement, la preuve au dossier démontre que le médecin a toujours été d’accord avec l’assignation temporaire, pour autant que les limitations soient respectées, et que l’employeur aurait continué à assigner le travailleur.

[58]        L’employeur est donc injustement obéré des indemnités de remplacement du revenu versées pour la période du 11 mai 2011 au 27 juillet 2011. Toutefois, le travailleur avait droit à l’indemnité de remplacement du revenu à partir du 28 juillet, date à laquelle il subit une chirurgie et qu’un arrêt de travail était justifié.

[59]        Le tribunal doit maintenant analyser si l’employeur est obéré injustement des prestations versées pour la période du 24 août 2011 au 9 mai 2012. L’employeur soumet que le travailleur aurait été en mesure de reprendre les travaux légers à compter de cette date, puisque le médecin traitant avait indiqué, le 27 avril 2011, la reprise possible de l’assignation 4 à 5 semaines après la chirurgie.

[60]        Le tribunal est d’avis que l’employeur est injustement obéré des prestations versées, mais seulement à compter du 24 octobre 2011, puisque c’est à cette date que le médecin traitant autorise l’assignation temporaire pour la première fois depuis la chirurgie. L’employeur n’a pas présenté de preuve permettant de conclure qu’avant cette date, le comportement du travailleur a empêché celui-ci de l’assigner.

[61]        Par la suite, le médecin cesse à nouveau l’assignation temporaire en se basant toujours sur les dires de son patient, alors que celui-ci ne lui mentionne aucunement qu’il ne s’y est pas présenté depuis le 24 octobre 2011. De plus, le travailleur ment à l’agente de la CSST quant à la tenue d’une rencontre avec son médecin traitant le 24 octobre 2011. Le tribunal considère que c’est le comportement du travailleur qui a empêché l’employeur de l’assigner à des travaux légers et d’ainsi diminuer les coûts à son dossier financier.

[62]        Le tribunal est d’avis qu’il est justifié d’accorder à l’employeur un transfert du coût des indemnités de remplacement du revenu versées du 24 octobre 2011 au 9 mai 2012. Les autres coûts tel que l’assistance médicale doivent demeurer imputés à son dossier financier, puisqu’il n’y a aucun lien entre ceux-ci et le refus par le travailleur d’effectuer son assignation temporaire.

[63]        Finalement, il n’est plus nécessaire de se prononcer sur la demande de l’employeur concernant le transfert des prestations versées en raison des délais pour l’obtention d’un rendez-vous pour une résonance magnétique et pour la visite médicale avec l’orthopédiste, puisque le tribunal lui accorde déjà un transfert d’imputation pour la même période.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête de C.I.F. Métal ltée, l’employeur;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 30 juillet 2012, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le coût des indemnités de remplacement du revenu versées à monsieur Stéphane Métivier, le travailleur, durant les périodes du 11 mai au 27 juillet 2011 et du 24 octobre 2011 au 9 mai 2012, doit être imputé à l’ensemble des employeurs.

 

 

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Marie-Claude Lavoie

 

 

 

 

Me Éric Latulippe

LANGLOIS, KRONSTRÖM, DESJARDINS

Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           [2007] C.L.P. 1804 .

[3]           2012 QCCLP 3211 . Voir également Ville de Terrebonne et CSST, 2013 QCCLP 147 ; Transformation B.F.L., 2012 QCCLP 6915 .

[4]           C.L.P. 283437-04-0602, 3 novembre 2006, J.-F. Clément.

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