Décision

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Plante et Fleuriste St-Étienne inc.

2011 QCCLP 2896

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Drummondville

21 avril 2011

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

422766-03B-1010

 

Dossier CSST :

136391604

 

Commissaire :

Denys Beaulieu, juge administratif

 

Membres :

Jean-Guy Guay, associations d’employeurs

 

Michel St-Pierre, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Christiane Plante

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Fleuriste St-Étienne inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 27 octobre 2010, madame Christiane Plante (la travailleuse) dépose, par l’intermédiaire de son représentant, une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 5 octobre 2010 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme en partie la décision initiale qu’elle a rendue le 13 juillet 2010 et déclare irrecevable la réclamation de la travailleuse parce qu’elle a été présentée hors délai.

L’AUDIENCE

La travailleuse est présente à l’audience tenue à Lévis le 11 mars 2011 et elle est accompagnée de son procureur. L’employeur, Fleuriste St-Étienne inc., faisant affaire sous les nom et raison sociale de Centre Jardin Pousce-Vert et Fleuriste Pousce-Vert, est absent, mais avait transmis au greffe du tribunal par télécopie reçue le 7 mars 2011 une lettre datée du 4 mars précédent dans laquelle l’employeur rapporte des faits à l’égard de la réclamation de la travailleuse. La CSST, intervenante au dossier conformément aux dispositions de l’article 429.16 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1](la loi) absente, mais elle est représentée par sa procureure.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[3]           La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir sa requête, d’infirmer la décision rendue par la CSST le 5 octobre 2010 à la suite d’une révision administrative et de déclarer qu’elle a soumis un motif raisonnable lui permettant d’être relevée de son défaut d’avoir respecté le délai prévu à l’article 271 de la loi au regard de la production d’une réclamation à la CSST.

[4]           Dans l’éventualité où le tribunal ferait droit à cette demande, la travailleuse soumet qu’elle a subi une lésion professionnelle le 24 mai 2009.

LES FAITS

[5]           La travailleuse est âgée de 38 ans à la date de l’événement à l’origine de la présente contestation et elle occupait un emploi d’horticultrice chez l’employeur.

[6]           Le 25 juin 2010, la travailleuse remplit un formulaire RÉCLAMATION DU TRAVAILLEUR dans lequel elle décrit, en annexe au document, un événement qui serait survenu le 24 mai 2009 comme suit :

« Août 2008, décès de ma mère qui vivait chez-moi et mon conjoint. Je suis responsable de voir au bon déroulement de la succession.

 

Novembre 2008, maux de dos du genre sciatique coincé. La douleur était déplaisante mais supportable. Passe tranquillement avec de l'ibuprofène. Reviens faiblement de temps en temps.

 

Mars 2009, de retour au travail j’averti mes patrons de mon léger malaise et j’effectue mon travail normalement en faisant attention à mes postures de travail du mieux que je peux.

 

24 mai 2009, en déplaçant un ballot de terre, je coince sévèrement. Je demande à ma consœur de travail d’aller cherché Christine mon employeur. À son arrivé je l’informe que je viens de me faire mal comme jamais et que je ne peux pas continuer à travailler car je ne peux bouger sans avoir de douleurs. Elle m’offre donc de retourner chez-moi avec le camion de la compagnie. J’accepte car je n’ai pas ma voiture. Chez-moi je prends des ibuprofènes. J’ai toujours eu des emplois assez ou très physique : j’ai eu toutes sortes de maux qui se sont toujours résorbés.

Cette fois ci plus le temps passe plus j’ai mal. Le soir j’ai du dormir moins de trois heures. Au matin c’étais insupportable. J’appelle mes patrons pour leurs dire que çà vas vraiment pas et que je dois aller à l’Hôpital. On me demande donc de ne pas mentionner que s’est arrivé au travail car c’étais un samedi et il ne déclare pas d’heures les fins de semaine, en fait on accumule des heures pour faire des semaines complètes pour le Chômage

 

Je me présente à l’Hôpital et je ne mentionne pas que s’est arrivé au travail surtout parce que j’ai déjà eu des douleurs auparavant et j’avais en tête que ce n’étais pas un accident de travail, on me diagnostique une Scialtalgie qui devrais passer rapidement avec du repos et des anti-inflammatoires.

 

[…]

 

Mi-janvier 2009 (2010 note du soussigné) Après avoir passé radios, imagerie médicale et taco, ils ont fini par m’apprendre que j’avais une hernie discale. C’est près de huit mois plus tard.

 

[…]

 

Début Mai En racontant un peu mon histoire à un ami de mon chum, il me traite d’épaisse, que je me suis fait avoir, il me dit que j’étais sûrement admissible à la C.S.S. T., que c’était une blessure professionnelle mais que cela aurait dû être déclarer dès le premier jour. C’est là que j’ai réalisé. Il m’a conseillé d’essayer de vous rencontrer malgré mon retard. Naturellement depuis je ne pense qu’à ça. Fin mai, je suis passé à vos bureaux et la personne que j’ai rencontrés, m’a aussi conseillé de faire une demande. » [sic]

 

 

[7]           Au soutien de cette réclamation, la travailleuse joint un formulaire de consultation médicale à l’urgence du Centre Paul-Gilbert, du CSSS du Grand-Littoral. On y fait état d’une consultation médicale en date du 25 mai 2009 où le médecin note une douleur lombaire au membre inférieur gauche. L’Étoile de Maigne confirme cette constatation clinique. Le médecin pose alors le diagnostic de « sciatalgie gauche ».

[8]           Un rapport de consultation rédigé sur un formulaire de prescription médicale fait état d’un congé pour deux semaines. Aucun rapport médical n’est toutefois rédigé sur le formulaire prescrit par la CSST à cette fin.

[9]           La travailleuse a également joint à sa réclamation un formulaire de consultation à l’urgence en date du 4 juin 2009 dans lequel le docteur Nadeau pose alors le diagnostic de « lombosciatalgie gauche » en précisant que la travailleuse avait « présenté une lombosciatalgie droite cet hiver ».

[10]        Un troisième formulaire de consultation à l’urgence en date du 12 juin 2009 reprend les mêmes constatations cliniques.

[11]        La travailleuse a également joint des rapports de radiographies simples de la colonne lombaire réalisées l’un, le 19 février 2009, dans lequel une condition de « spondylodiscarthrose modérée de l’espace discal L5-S1 » est notée et l’autre, le 4 juin 2009 où une condition de « discarthrose à L5-S1 » est notée.

[12]        Un rapport d’examen par résonance magnétique (IRM) de la colonne lombo-sacrée réalisée le 5 février 2010 accompagne également cette documentation soumise à la CSST. Le tribunal en reproduit les extraits suivants :

« INTERPRÉTATION :

 

Il y a une légère hernie discale localisée en paramédiane droit à L5-S1, … On note également des becs ostéophytiques coiffant partiellement cette hernie discale, le tout suggérant sa chronicité.

 

Pincement discal significatif à L5-S1 avec modification au niveau des plateaux vertébraux et becs ostéophytiques, témoignant d’une discopathie dégénérative modérément sévère.

 

[…]

 

Accessoirement, discrète arthrose facettaire prédominant à L4-L5 et L5-S1. »

[13]        Le 13 juillet 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle informe la travailleuse du refus de sa réclamation. La CSST y indique qu’elle n’a pas produit sa réclamation dans le délai de six mois prévu à la loi et qu’elle n’a pas présenté de motif raisonnable pour justifier son retard.

[14]        La travailleuse conteste cette décision dont elle demande la révision. Il s’agit de la décision initiale à l’origine de la présente contestation.

[15]        Les notes évolutives rédigées par l’agente d’indemnisation de la CSST s’avèrent pertinentes dans les circonstances. Le soussigné en reproduit les extraits suivants :

« TITRE : Cueillette d’informations

 

-ASPECT LÉGAL :

 

Délai de réclamation

 

Appel à la T :

 

Elle me dit :

-que suite à l’événement du 2009-05-24, elle a eu un arrêt de travail;

-aussi qu’elle a pris des médicaments et qu’elle a fait des TX de physiothérapie;

Lui demande pourquoi elle n’a pas fait une réclamation à la CSST avant juin 2010;

T me dit :

-qu’elle n’a pas pensé à cela avant;

-que lorsqu’elle a déclaré l’événement à l’E le lendemain, ce dernier lui a dit de ne pas mentionner qu’il s’agissait d’un accident de travail;

-que l’événement s’est produit durant la fin de semaine;

-que l’E n’a jamais déclaré les heures travaillées le samedi et le dimanche;

-que les heures faites la fin de semaine pendant l’été étaient payées à l’automne (période durant laquelle elle faisait moins d’heures);

-que l’hôpital lui a demandé comment cela s’était produit;

-qu’elle a mentionné avoir soulevé un poids, mais sans plus de précision;

-aussi que c’est huit mois plus tard qu’elle a appris qu’elle avait une hernie discale;

-qu’elle ne savait pas qu’elle s’était blessée à ce point;

-que le règlement de la succession s’est terminé en janvier 2010, soit au même moment où elle a fait une demande à Emploi Québec;

-que c’est finalement un ami de son copain qui lui a dit qu’elle aurait dû faire une réclamation à la CSST;

-qu’elle m’a fait parvenir les documents médicaux de l’Hôtel-Dieu de Lévis, du Centre hospitalier Paul-Gilbert ainsi que ceux de son médecin (Dr Lemieux) au CLSC du grand littoral à St-Romuald;

 

-Lui explique qu’elle avait un délai de six mois pour faire une réclamation;

-L’avise que je devrais probablement valider certaines informations avec l’E; » [sic]

 

 

[16]        La note évolutive du 7 juillet 2010 fait état des commentaires recueillis par l’agente de la CSST auprès de l’employeur. Le soussigné a reproduit les extraits suivants :

COMMENTAIRES DE E

 

-ASPECT LÉGAL :

 

Retour d’appels fait à E (Mme Christine Fortier) suite à son message dans ma boîte vocale :

 

Elle me dit :

-que T avait de la douleur bien avant mai 2009, mais que ça ne l’empêchait pas de travailler;

-qu’une journée de mai 2009, T pleurait en raison de la douleur;

-qu’elle lui a dit d’aller consulter un médecin;

-qu’à sa connaissance, T n’a pas déclaré s’être blessée en déplaçant un ballot de terre;

-que T a rapporté un billet médical mentionnant un congé de deux semaines;

-que l’arrêt de travail a été prolongé par la suite;

-que T a travaillé une journée en février 2010;

-que T a mentionné ne pas pouvoir soulever de poids;

-qu’elle lui a donc dit qu’elle devrait peut-être se trouver un emploi ailleurs;

-qu’il n’a jamais été dit à la T de ne pas déclarer un accident de travail à l’hôpital;

-qu’il ne s’agissait tout de même pas d’un accident de travail;

-L’avise que je devrai valider si nous excusons le délai de réclamation. »

[17]        En outre, la note évolutive rédigée le 12 juillet 2010 fait état des versions des faits contradictoires soumises par la travailleuse et l’employeur ce qui amène l’agente de la CSST à conclure que la travailleuse n’a soumis aucun motif raisonnable pour excuser son défaut d’avoir respecté le délai de six mois prévu à l’article 271 de la loi.

[18]        Préalablement à la tenue de l’audience, le procureur de la travailleuse a produit au greffe du tribunal, par télécopie en date du 10 mars 2011, une liasse de documents médicaux faisant état du suivi dont la travailleuse a été l’objet préalablement à l’événement allégué du 24 mai 2009. Malgré que la production de ces documents ait été faite en contravention de la règle 11.2 des Règles de preuve et de procédure de la Commission des lésions professionnelles[2], le soussigné en a néanmoins autorisé la production en raison de leur pertinence.

[19]        En effet, il résulte de l’analyse de ces divers documents que la travailleuse a présenté, à la suite du décès de sa mère survenu en août 2008, des problèmes de nature psychique caractérisés notamment par un diagnostic de « trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive ». Il y est également fait mention que la travailleuse a présenté des idées suicidaires et qu’elle a vécu des problèmes relationnels importants avec son conjoint à l’automne 2008. Elle a obtenu le support d’une travailleuse sociale qui fait état d’un problème rencontré par la travailleuse à cette époque et jusqu’au printemps 2009. Dans un souci de respect du caractère confidentiel de ces informations, le soussigné se gardera de rapporter le texte intégral de ces notes médicales.

[20]        Par contre, quant à l’aspect strictement physique de la condition de la travailleuse, des notes de consultation de madame Ginette Duchesneau, infirmière, et du docteur Julie Larochelle font état de la présence, en février 2009, d’une condition d’entorse lombaire persistante avec possibilité d’une hernie discale. La note du docteur Larochelle du 3 mars 2009 fait état d’un diagnostic de « sciatalgie D qui persiste et augmente ad talon » avec « paresthésie pied plus fréquent et parfois mollet latéral haut ». D’autre part, la travailleuse est toujours suivie en psychologie.

[21]        Il s’agit là de l’essentiel de la preuve documentaire constituant le dossier du tribunal.

[22]        La travailleuse a témoigné à l’audience en décrivant les tâches de travail qu’elle accomplissait chez l’employeur ainsi que les circonstances de l’événement allégué du 24 mai 2009.

[23]        La travailleuse a alors décrit cet événement qui serait survenu alors qu’elle relevait des « pots de l’hiver ». C’est en ramenant un ballot de terre vers elle qu’elle aurait ressenti un déclic dans son dos, un choc comparable à celui que l’on ressent lorsque l’on se cogne le coude.

[24]        À cette date, la travailleuse était au travail, mais elle ne remplissait pas de cartes de temps étant donné qu’il s’agissait d’une fin de semaine et qu’il existait une entente entre l’employeur et les employés à cet égard. Les heures ainsi travaillées étaient plutôt reportées à la période de l’automne, période moins achalandée en termes d’heures travaillées. Il y avait alors une forme de compensation avantageuse.

[25]        En réponse à la question précise de son procureur relative à son défaut d’avoir déposé une réclamation à l’époque contemporaine de l’événement allégué, la travailleuse a réitéré les commentaires figurant dans la preuve médicale constituant le dossier.

[26]        Ainsi, elle a rappelé la question des horaires de travail de fin de semaine, le deuil de sa mère survenu quelques mois auparavant ainsi que les autres problèmes personnels qu’elle vivait à cette époque.

[27]        La travailleuse a également relaté le parcours difficile qu’elle avait vécu depuis le décès de sa mère impliquant des démarches de succession qui ont duré un an et demi. Elle a alors déposé un document émanant de Me Jean-Pierre Larocque, notaire, daté du 1er mars 2011 (coté sous T-1) attestant de cette affirmation de sa part.

[28]        Quant au fait qu’elle ait réclamé seulement en juin 2010, la travailleuse a offert un témoignage en tous points conforme aux informations figurant dans les notes évolutives rédigées par les agents de la CSST et avec sa réclamation du mois de juin 2010.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[29]        Le procureur de la travailleuse a soutenu d’entrée de jeu que l’événement du 24 mai 2009 constituait un accident du travail puisque celle-ci s’est blessée en soulevant un ballot de terre. Il a rappelé que la travailleuse souffre d’une condition personnelle préexistante d’arthrose et de hernie discale qui explique la sciatalgie qui fut diagnostiquée par les médecins qu’elle a consultés.

[30]        Le procureur de la travailleuse a soutenu que celle-ci est crédible et que sa version des faits avait été constante depuis le début. En outre, elle n’a jamais nié avoir éprouvé des douleurs au dos avant l’événement allégué, mais que celles-ci étaient tolérables.

[31]        Enfin, quant à la réclamation qu’elle dépose en juin 2010, le procureur de la travailleuse a indiqué au tribunal que celle-ci y avait procédé après avoir reçu le conseil d’un ami de son conjoint.

[32]        Il a conclu son plaidoyer sur cet aspect de la contestation en rappelant que l’ensemble des circonstances révélait que la travailleuse avait vécu des problèmes personnels importants à l’époque pertinente ce qui constituait un motif raisonnable au sens de la loi. Il a appuyé ce plaidoyer de quatre décisions de jurisprudence qu’il a commentées et qui sont citées en annexe à la présente décision.

[33]        Quant au fond, le procureur de la travailleuse a soutenu que la présomption prévue à l’article 28 de la loi pouvait trouver son application dans la présente affaire et que, dans la négative, la travailleuse avait décrit un événement imprévu et soudain correspondant à la définition de l’accident de travail que l’on retrouve à l’article 2 de la loi.

[34]        Il a complété son plaidoyer offert à cet égard en référant le tribunal à deux décisions de jurisprudence qui sont également citées en annexe à la présente décision.

[35]        En contrepartie, la procureure de la CSST a souligné au tribunal qu’elle laissait à son appréciation l’ensemble du témoignage offert par la travailleuse sur le contexte de vie difficile qu’elle avait vécu avant la survenance de l’événement allégué.

[36]        Elle a toutefois rappelé que l’on retrouvait des éléments contradictoires entre les versions offertes par l’employeur et la travailleuse quant aux circonstances de l’événement et quant au statut d’emploi. La CSST a donc rendu sa décision sur la foi de ces versions des faits.

[37]        La procureure de la CSST a également invité le tribunal à considérer la lettre de l’employeur datée du 4 mars 2011 avec réserve étant donné que la signataire de cette lettre n’était pas présente au tribunal pour attester des éléments factuels qui la composaient.

[38]        Quant au fond, la procureure de la CSST a soutenu que la preuve ne révélerait pas de survenance d’un événement imprévu et soudain, la travailleuse ayant effectué les tâches normales de son travail. Quant au diagnostic, il serait difficile pour le tribunal de pouvoir l’identifier avec précision puisque seule la mention de « sciatalgie » est présente au dossier et qu’il s’agit seulement de l’identification de la présence d’une douleur. En outre, il n’y aurait pas de date de consolidation qui aurait été fixée par un médecin traitant de la travailleuse.

[39]        En réplique, le procureur de la travailleuse a soutenu que le diagnostic de hernie discale pourrait avoir été présent lors de l’événement allégué.

L’AVIS DES MEMBRES

[40]        Conformément aux dispositions de l’article 429.50 de la loi, le soussigné a requis et obtenu l’avis des membres qui ont siégé avec lui à l’égard des questions faisant l’objet de la contestation ainsi que les motifs de cet avis.

[41]        Le membre issu des associations syndicales est d’avis que l’ensemble de la preuve constituant désormais le dossier du tribunal pourrait représenter un ou des motifs raisonnables permettant à la travailleuse d’être relevé des conséquences de son défaut d’avoir respecté le délai prévu à la loi pour soumettre une réclamation à la CSST. Ainsi, il a notamment fait référence aux conséquences du décès de la mère de la travailleuse, survenu au mois d’août 2008 ainsi qu’aux problèmes personnels vécus avec son conjoint au cours de l’automne qui a suivi de même qu’au printemps 2009.

[42]        Le membre issu des associations d’employeurs est quant à lui d’avis que l’ensemble de la preuve ne permettrait pas de relever la travailleuse des conséquences de son défaut d’avoir respecté ce délai puisque la version qu’elle a offerte à l’audience s’avérerait être conforme aux informations qu’elle avait déjà soumises à la CSST et qui sont rapportées notamment dans les notes évolutives rédigées par les agents de la CSST.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[43]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a soumis un motif raisonnable lui permettant d’être relevé des conséquences de son défaut d’avoir respecté un délai prévu à la loi.

[44]        Dans l’éventualité où le tribunal décide favorablement à cette première question, la Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 24 mai 2009.

[45]        Quant à la première question qui lui est soumise, la Commission des lésions professionnelles rappelle que la possibilité pour la CSST de relever un travailleur des conséquences de son défaut d’avoir respecté un délai prévu à la loi est prévue à l’article 352 qui énonce ce qui suit :

352.  La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.

__________

1985, c. 6, a. 352.

 

 

[46]        Dans le cas à l’étude, c’est le délai prévu à l’article 270 de la loi qui est en cause, la travailleuse ayant été placée en arrêt de travail pour deux semaines par le médecin consulté le 25 mai 2009. Il convient donc de reproduire cet article :

270.  Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est incapable d'exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets ou a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ou, s'il décède de cette lésion, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lésion ou du décès, selon le cas.

 

L'employeur assiste le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, dans la rédaction de sa réclamation et lui fournit les informations requises à cette fin.

 

Le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, remet à l'employeur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.

__________

1985, c. 6, a. 270.

 

 

[47]        À ce stade-ci, le soussigné tient à préciser qu’il n’a pas considéré la lettre de l’employeur datée du 4 mars 2011 étant donné que celle-ci contient des éléments factuels qui n’ont pas fait l’objet d’une preuve formelle devant le tribunal.

[48]        D’autre part, le soussigné constate qu’à sa face même la réclamation de la travailleuse a été produite en dehors du délai prévu à la loi pour ce faire.

[49]        Ceci étant exposé, il importe d’analyser les éléments soumis par la travailleuse pour expliquer son retard à avoir agi en temps utile.

[50]        À cet égard, le soussigné n’hésite aucunement à considérer que l’ensemble de la preuve, tant documentaire que testimoniale, permet au présent tribunal de considérer que la travailleuse a offert un tel motif raisonnable expliquant son retard à avoir agi en temps opportun.

[51]        Ainsi, malgré les contradictions relevées entre les versions des faits offertes par la travailleuse et par l’employeur, il demeure que le contexte dans lequel celle-ci a vécu depuis le décès de sa mère, survenu en août 2008, soit moins d’un an auparavant, et dont le soussigné a fait état précédemment, notamment aux paragraphes [19], [26] et [27] de la présente décision, explique d’emblée le défaut de celle-ci.

[52]        Cette question étant réglée, il importe de décider si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 24 mai 2009.

[53]        À cet égard, il convient de rappeler que les notions de « lésion professionnelle » et d’« accident du travail » sont définies comme suit à l’article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[54]        Par ailleurs, l’article 28 de la loi crée une présomption d’accident du travail en ces termes :

28.  Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 28.

 

 

[55]        À ce stade-ci, le tribunal rappelle qu’une présomption est un moyen de preuve exceptionnel qui, par une fiction juridique, dispense la partie en faveur de qui elle est prévue de démontrer qu’il existe une relation entre le diagnostic qui qualifie sa condition et l’événement accidentel qu’elle a subi. Cette relation causale est donc présumée, d’où le terme de « présomption », plutôt que révélée par la preuve.

[56]        En outre, il faut également rappeler que l’application d’une présomption comporte une interprétation restrictive et non pas « large et libérale », concept qui s’applique au caractère social de la loi et qu’il ne faut pas confondre avec la rigueur juridique qui doit présider à l’analyse de l’application d’une présomption.

[57]        C’est ainsi que pour qu’une présomption puisse trouver son application, les éléments qui la composent doivent être révélés au moyen d’une preuve directe et sans équivoque. Partant, l’absence d’un seul des éléments constitutifs d’une présomption fait catégoriquement obstacle à son application.

[58]        Il peut parfois arriver que cette preuve soit faite par présomption de faits, ce qui signifie que cette conclusion peut être tirée de faits qui doivent être graves, précis et concordants.

[59]        Le soussigné déclare que, dans le cas présent, cette présomption d’accident du travail ne peut pas s’appliquer, notamment parce qu’aucun rapport médical rédigé sur le formulaire prescrit à cette fin par la CSST ne fut rempli par un médecin.

[60]        D’ailleurs, dans la présente affaire, bien que cette lacune n’ait pas été plaidée ni même soulevée en preuve, il demeure que la travailleuse n’a effectivement soumis aucun rapport médical rédigé sur le formulaire prescrit par la CSST. Il convient de reproduire ici les dispositions des articles 199 et 267 de la loi qui énoncent ce qui suit :

199.  Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et :

 

1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou

 

2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.

 

Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.

__________

1985, c. 6, a. 199.

 

267.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui le rend incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion doit remettre à son employeur l'attestation médicale prévue par l'article 199 .

 

Si aucun employeur n'est tenu de verser un salaire à ce travailleur en vertu de l'article 60, celui-ci remet cette attestation à la Commission.

__________

1985, c. 6, a. 267.

 

 

[61]        Le soussigné rappelle que le présent tribunal a déjà décidé que, dans des circonstances exceptionnelles, l’absence d’un tel rapport médical rédigé sur le formulaire approprié ne constitue pas un vice fatal qui emporte la déchéance du droit d’un travailleur à soumettre une réclamation pour lésion professionnelle à la CSST[3].

[62]        Ainsi, dans le cas à l’étude, le soussigné considère que la réclamation de la travailleuse, bien que n’étant pas appuyée d’un tel rapport médical, peut néanmoins être analysée et considérée en raison de la présence de rapports médicaux faisant état d’une consultation à l’urgence d’un hôpital, ces documents contenant les informations nécessaires à la CSST pour pouvoir statuer sur la recevabilité d’une réclamation.

[63]        D’autre part, dans ce contexte, le soussigné tient à préciser que les diagnostics émis par ces médecins sont ceux de « sciatalgie gauche » et de « lombosciatalgie gauche », le diagnostic de « hernie discale L5-S1 » ayant été évoqué mais non posé formellement par un médecin à l’époque contemporaine de l’événement allégué.

[64]        Or, ces premiers diagnostics ne correspondent pas à la notion de « blessure », premier élément constitutif de la présomption d’accident du travail prévue à l’article 28 de la loi. Par conséquent, le soussigné réitère que cette présomption ne peut trouver application au présent cas.

[65]        Ce constat ne prive toutefois pas la travailleuse de pouvoir démontrer qu’elle a subi une lésion professionnelle. Pour ce faire, la preuve doit démontrer la survenance d’un « événement imprévu et soudain », le premier élément constitutif de la définition de l’accident du travail que l’on retrouve à l’article 2 de la loi.

[66]        Dans le cas à l’étude, cet événement imprévu et soudain est clairement révélé par la preuve, tant documentaire que testimoniale, dont dispose désormais le tribunal.

[67]        La travailleuse a effectivement effectué un mouvement permettant d’expliquer la condition médicale qu’elle présente et qui justifie ses consultations à l’urgence d’un hôpital.

[68]        Qu’en est-il cependant du ou des diagnostics posés par les médecins? En effet, il est de jurisprudence constante, et presque unanime, du tribunal, qu’une condition comportant le suffixe « algie » ne constitue pas un diagnostic à proprement parler, mais l’identification de la manifestation d’une douleur[4]. Or, la douleur n’est pas indemnisable en vertu du régime de santé et de sécurité du travail.

[69]        Par contre, comme le soussigné l’a déjà exprimé, la condition de « lombosciatalgie » fait référence à une irritation radiculaire qui laisse suspecter la présence d’une condition de hernie discale au niveau L5-S1[5].

[70]        C’est précisément ce que révèle l’examen par résonance magnétique réalisé le 5 février 2010, cette hernie étant de nature dégénérative et non pas traumatique.

[71]        Ce faisant, il est probable que cette condition de hernie discale était présente lors de l’événement qu’a subi la travailleuse le 24 mai 2009, condition déjà suspectée par le docteur Larochelle lors de la visite médicale du 19 février 2009, soit trois mois avant l’événement.

[72]        Le tribunal a remarqué que la condition de « hernie discale » a présenté des signes cliniques tant à droite qu’à gauche au fil des consultations médicales de l’année 2009. Cet élément ne fait pas obstacle à la reconnaissance de l’admissibilité de la réclamation de la travailleuse, le suivi médical contemporain n’ayant été que fragmentaire dans les circonstances en raison du refus de celle-ci par la CSST.

[73]        Il ressort donc de l’ensemble de la preuve que la travailleuse a subi une lésion professionnelle, le 24 mai 2009, de la nature d’un accident du travail, caractérisée par un diagnostic de « lombosciatalgie gauche, greffée sur une hernie discale L5-S1 dégénérative », cette condition médicale personnelle préexistante ayant été aggravée par l’événement qu’elle a alors subi le 24 mai 2009[6].

[74]        En raison de ce qui précède, le tribunal considère pertinent et essentiel de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle puisse obtenir le suivi médico-administratif approprié à la lumière de la présente décision notamment sur les sujets médicaux prévus à l’article 212 de la loi à l’égard des sujets autres que le diagnostic.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de madame Christiane Plante, la travailleuse, déposée à la Commission des lésions professionnelles le 27 octobre 2010;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 5 octobre 2010 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse a soumis un motif raisonnable lui permettant d’être relevé des conséquences de son défaut d’avoir respecté le délai prévu à l’article 270 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

DÉCLARE, par conséquent, recevable la réclamation du travailleur remplie par la travailleuse le 25 juin 2010;

DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 24 mai 2009, caractérisée par le diagnostic de « lombosciatalgie gauche greffée sur une hernie discale L5-S1 dégénérative »;

 

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle puisse assurer le suivi médico-administratif de cette lésion quant aux autres sujets médicaux prévus à l’article 212 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

                                                                                 

 

__________________________________

 

Denys Beaulieu

 

 

 

 

Me Christian Bergevin

SLOGAR INC.

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Lucie Rondeau

VIGNEAULT, THIBODEAU, GIARD

Représentante de la partie intervenante

 


 

JURISPRUDENCE CITÉE PAR LA TRAVAILLEUSE

 

 

·        Bolduc et Manufacturier Ste-Clothilde inc. , C.L.P. 261427-03B-0505, 5 décembre 2005, R. Jolicoeur;

 

·        Exceldor coop. avicole Gr Dorchester et Bolduc-Lachance, C.L.P.227724-03B-0402, 27 mai 2005, M. Cusson;

 

·        Coopérative Forestière Hautes-Laurentides et Aubry [2008] QCCLP 7012 ;

 

·        Travers et Messagerie Courriertel inc. C.L.P. 252931-64-0501, 27 octobre 2005, F. Poupart;

 

·        Norampac, Division Cabano et Lizotte C.L.P. 147918-01A-0009, 10 décembre 2001, R.-M. Pelletier;

 

·        Plaitis et Les modes Conili inc. et CSST, C.L.P. 126956-61-9911, 3 mai 2000, L. Couture.



[1]           L.R.Q. c. A-3.001

[2]           Règlement modifiant les Règles de preuve, de procédure et de pratique de la Commission des lésions professionnelles (2007) 139 G.O. II, 3404.

[3]           Munger et Abitibi Bowater inc.,C.L.P. 379919-02-0906, 17 décembre 2009, J. Grégoire; Lalancette et Épicerie Jean-Marie Tremblay & fils, C.L.P. 232624-02-0404, 20 octobre 2004, R. Deraîche ; St-Martin et Métro Grenier,C.L.P. 268000-64-0507, 3 avril 2007, M. Montplaisir

[4]           Du grec ancien « algoz » (i.e. « algos ») qui signifie « douleur ».

[5]           Transport Bourret inc. et Roy 2011 QCCLP 2183.

[6]           PPG Canada inc. c. Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, [2000] C.L.P. 1213 (C.A.).

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