Décision

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Gabarit CFP

Bouchard et Québec (Ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles)

2013 QCCFP 21

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIER No :

1300918

 

DATE :

18 novembre 2013

___________________________________________________________

 

DEVANT LE COMMISSAIRE :

Me Robert Hardy

___________________________________________________________

 

 

FRANÇOISE BOUCHARD

 

Appelante

 

Et

 

MINISTÈRE DE L’IMMIGRATION ET DES COMMUNAUTÉS CULTURELLES

 

Intimé

 

___________________________________________________________

 

                                                            DÉCISION

                  (Article 33, Loi sur la fonction publique, L.R.Q., c. F-3.1.1)

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L'APPEL

[1]          Dans son appel reçu à la Commission le 8 octobre 2011, Mme Françoise Bouchard soutient que, dans le contexte d’événements relatés plus loin, son employeur, le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (ci-après le « MICC »), l’a abusivement déplacé de son emploi de directrice du Centre d’expertise sur les formations acquises hors du Québec (ci-après le « CEFAHQ »), et ce, dans le but de la priver d’une promotion, le tout constituant soit une rétrogradation ou un congédiement ou encore une mesure disciplinaire déguisée, dont elle demande l’annulation, à assortir de l’attribution des avantages dont elle a été privée, ainsi que du versement de diverses sommes à titre de dommages.

[2]          L’employeur, quant à lui, invoque que c’est dans la foulée d’une mesure administrative que Mme Bouchard a été plutôt déplacée de son emploi de cadre, classe 4, vers un autre emploi de même niveau, soit celui de directrice des partenariats.

[3]          L’audition de cette affaire a nécessité huit jours d’audience, a permis d’entendre six témoins et de recevoir 48 pièces en preuve de la part de l’appelante et 27 pour le compte de l’employeur.

[4]          Pour faciliter la compréhension du récit des événements, voici à quel titre chaque témoin est intervenu. La Commission a entendu, dans l’ordre :

-       Mme Claire Deronzier, à l’époque des événements pertinents, sous-ministre adjointe à l’Intégration, au MICC, supérieure immédiate de M. Marc Lafrance et supérieure hiérarchique de Mme Bouchard;

-       Mme Christine Delvoye, directrice du Service d’accueil et d’information à la clientèle (ci-après le « SAIC ») et cadre, classe 5, jusqu’en juin 2011;

-       M. Marc Lafrance, jusqu’à la fin de novembre 2010, directeur de la Direction de l’intégration professionnelle, cadre, classe 3, et supérieur immédiat de Mme Bouchard;

-       Dre Alice Turcotte, médecin spécialiste en médecine du travail, témoignant à titre d’experte;

-       Mme Bouchard, cadre, classe 4, devenue directrice du CEFAHQ à compter de février 2009 et supérieure immédiate de Mme Delvoye; et enfin :

-       Mme Charlotte Poirier, qui à la fin de novembre 2010 a été nommée cadre, classe 2, et a remplacé M. Lafrance devenant alors la supérieure immédiate de Mme Bouchard.

LE MOYEN PRÉLIMINAIRE

[5]          En moyen préliminaire, le MICC a soulevé une objection voulant que l’appel de Mme Bouchard était prescrit, le recours ayant été interjeté en dehors du délai prévu à l’article 33 de la Loi sur la fonction publique (ci-après la « Loi ») qui prévoit qu’il « doit être fait par écrit et reçu à la Commission dans les 30 jours de la date d’expédition de la décision contestée. »

[6]          Après avoir entendu les prétentions sommaires des parties à ce propos et constaté que, dans les circonstances, la preuve de Mme Bouchard sur l’objection préliminaire devait nécessiter de toute façon d’entendre les témoins, l’objection a été prise sous réserve et plaidée pour l’essentiel en fin d’audience. L’analyse et les conclusions de la Commission sur ce moyen préliminaire sont exposées en fin de décision.

LES FAITS

[7]          L’environnement dans lequel se sont déroulés les événements se présentait comme suit. Selon l’organigramme du MICC en vigueur en février 2009 (E-15), soit à l’arrivée de Mme Bouchard dans ses fonctions de directrice du CEFAHQ, le ministère comprenait trois grands secteurs, chacun dirigé par un sous-ministre adjoint :

-       Immigration, où se géraient les demandes des personnes qui souhaitaient émigrer au Québec et la sélection des candidats à partir de bureaux à l’étranger et au Québec;

-       Francisation, performance, partenariats et promotion (renommé plus tard Performance et francisation), qui offrait des services de francisation aux personnes qui ne parlaient pas encore le français à leur arrivée, ainsi que d’autres services de soutien à la mission du MICC; et

-       Intégration, doté de bureaux régionaux au Québec, chargé de faire l’accueil et l’intégration, secteur subdivisé en une série d’unités chargées de développer divers programmes comme la gestion de la diversité, le soutien à l’accueil et l’intégration professionnelle.

            En novembre 2010, autre temps fort des événements relatés ci-après, l’essentiel de chaque secteur de l’organigramme à cette date (P-18) sera demeuré sensiblement le même, selon Mme Deronzier.

[8]          Le curriculum vitae (P-14) de l’appelante, Mme Bouchard, indique qu’elle a amorcé sa carrière en 1982 pour le compte de la fonction publique fédérale.

[9]          Elle explique être entrée au service de la fonction publique québécoise à l’occasion du transfert de la compétence en matière de main-d’œuvre, du gouvernement fédéral au gouvernement du Québec. C’est ainsi que de 1998 à 2002, elle a travaillé dans différents centres locaux d’emploi, au ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, pour ensuite passer au MICC en 2002.

[10]       À compter d’avril de cette année-là, elle devient directrice adjointe, experte-conseil au Service d’Immigration-Québec (ci-après le « SIQ ») Ouest de Montréal, puis directrice par intérim au même endroit en septembre 2003. Deux ans plus tard, elle accède à la catégorie des cadres, dans un poste de classe 4, au moment de sa nomination (E-1) comme directrice en titre de ce service, emploi qu’elle va occuper jusqu’en janvier 2009.

[11]       Le SIQ-Ouest de Montréal se particularise du fait qu’en plus de favoriser l’intégration des immigrants, notamment en établissant des mécanismes de concertation avec diverses institutions et des groupes communautaires, il assure aussi le service d’accueil des immigrants et des réfugiés à l’aéroport de Montréal, leur porte d’entrée majeure pour le Québec. Environ 20 000 demandes de renseignements y sont traitées annuellement.

[12]       À cette époque, il existe quatre SIQ dans la région du grand Montréal et ils constituent autant de services de la Direction régionale de Montréal, sous la gouverne de Mme Chantale Poirier. Cette direction régionale est une des directions du secteur de l’Intégration dirigé par Mme Deronzier, sous-ministre adjointe. Le curriculum vitae (E-12) de cette dernière nous apprend qu’elle a été promue à ce poste en novembre 2008, après avoir été à la tête de la Direction générale de l’intégration et des relations interculturelles du MICC depuis juillet 2006.

[13]       Quand Mme Deronzier est entrée en fonction comme sous-ministre, explique-t-elle, le nombre d’immigrants était en croissance et la complexité des dossiers ainsi que la présence de faux documents faisaient en sorte qu’il y avait lieu de procéder à un certain redressement.

« Il y avait un phénomène qui ne s’autorégulait pas. Il y avait des interventions importantes à faire. On était en train de s’en aller vers des délais de traitement [des demandes] qui ont mené au fait que cela ne répondait plus à notre déclaration de services à la clientèle. »

[14]       En décembre 2008, cette dernière rencontre Mme Bouchard afin de lui offrir de devenir directrice du CEFAHQ, unité opérationnelle avec un fort volume d’activités.

2009 : arrivée de Mme Bouchard à la direction du CEFAHQ

[15]       Mme Bouchard est affectée à la direction du CEFAHQ en février 2009, un déplacement latéral dans un poste de même niveau de cadre, classe 4, que celui qu’elle occupait.

[16]       Dans le même temps entrait en vigueur un nouvel organigramme (E-15). À compter du 2 février 2009, le CEFAHQ apparaît comme une entité d’une nouvelle direction élargie, la Direction de l’intégration professionnelle (ci-après la « DIP ») dont M. Marc Lafrance, jusque-là en charge de la Direction de l’accès aux professions et métiers réglementés (P-24), devient responsable, et ce, comme cadre, classe 3. C’est le même niveau d’encadrement que celui de Mme Chantale Poirier qui demeure en charge quant à elle de la Direction régionale de Montréal. Enfin, au CEFAHQ, est rattaché le SAIC dirigé par Mme Delvoye, cadre, classe 5.

[17]       Voici un résumé de certaines tâches du SAIC et du CEFAHQ.

[18]       Dans l’équipe de Mme Delvoye, telle qu’elle existait en 2007 lorsque celle-ci est devenue cadre, classe 5, responsable du Service d’accueil à la clientèle, des agents de bureau accueillaient les candidats à l’immigration en personne ou recevaient par courrier leurs formulaires, les documents originaux et leur traduction et percevaient les droits exigibles pour l’évaluation comparative des études effectuées hors Québec.

[19]       Par la suite, les dossiers complets étaient transférés à un technicien en administration qui vérifiait chacun des diplômes en consultant la banque de données du MICC pour voir si les études effectuées à l’étranger étaient connues. Le cas échéant, le technicien préparait lui-même l’évaluation comparative, avant de transmettre le dossier à un analyste en éducation internationale relevant directement de Mme Bouchard, lequel passait le dossier en revue pour s’assurer de la qualité du travail réalisé par le technicien.

[20]       Si le diplôme étranger n’était pas encore connu ou s’il survenait quelque question relative au contenu du diplôme, le dossier était encore-là confié à un analyste professionnel pour en compléter l’étude.

[21]       Avec la réorganisation administrative de février 2009, s’est ajoutée une équipe dont la responsabilité a été de fournir l’information sur les professions et les métiers réglementés. Le Service d’accueil à la clientèle est devenu le SAIC, le Service d’accueil et d’information à la clientèle. Les candidats désireux de joindre un métier de la construction ou les rangs d’un ordre professionnel passaient par ce service pour savoir quelles démarches étaient à faire pour y avoir accès et discuter des choix qui s’offraient à eux. On accueillait et accompagnait ces clients dans leurs démarches. 

[22]       Quant au sous-ministériat de Mme Deronzier dans son ensemble, sa structure comptait 19 postes de cadre en février 2009 et neuf d’entre eux ont été touchés par la réorganisation de ce moment-là. Bien qu’il ait été démontré que d’autres personnes que Mme Bouchard aient également été appelées à occuper un emploi différent, la Commission ne relève pas l’ensemble de ces mouvements de personnel (P-23) parce qu’ils n’entrent pas dans les faits pertinents à l’analyse du dossier.

[23]       Mentionnons cependant qu’en février 2009, le sous-ministre en titre était M. Marc Lacroix et que l’un des directeurs généraux du secteur Francisation, performance, partenariats et promotion, était M. Robert Baril, directeur général des services à l’organisation, soit à un classement du même niveau que celui que Mme Deronzier avait jusqu’à sa promotion comme sous-ministre adjointe trois mois auparavant.

[24]       Mme Deronzier explique qu’elle a choisi de confier le poste de directrice du CEFAHQ à Mme Bouchard, en février 2009, en raison de ses compétences.

« On recherche la personne qui répond le plus possible aux besoins de l’organisation et les besoins à ce moment-là correspondaient au profil de Mme Bouchard. Elle a été affectée à ce service-là, en lui disant justement que cela lui permettrait de se positionner favorablement au ministère parce que c’étaient des opérations plus centrales que son emploi antérieur dans un bureau local de Montréal. »

[25]       L’acte d’affectation (P-16) transmis à Mme Bouchard par le sous-ministre Lacroix, le 9 février 2009, avec une date d’entrée en vigueur au 2 février, indique le nom de la nouvelle direction à laquelle elle est affectée, le numéro de l’emploi, et que celui-ci est de classe 4.

[26]       Deux mois après son arrivée au CEFAHQ, Mme Bouchard se voit attribuer la cote B (P-7) à l’occasion de son évaluation pour l’année d’avril 2008 à avril 2009. Mme Deronzier précise que cette évaluation valait surtout pour les dix mois de travail au SIQ-Ouest de Montréal. Selon elle, c’était une très bonne évaluation, avec laquelle elle était d’accord.

[27]       Au mois de juin suivant, Mme Deronzier a recommandé la candidature de Mme Bouchard pour participer au Programme des jeunes leaders de l’administration publique. Le programme permet aux ministères d’identifier une relève de gestion et à ses participants d’avoir un encadrement professionnel dans leur cheminement de carrière. Mme Bouchard avait par le passé déjà exprimé, tant au sous-ministre en titre qu’au prédécesseur de Mme Deronzier, son souhait d’occuper des emplois plus élevés. À ce moment-là, Mme Bouchard a été la seule à être recommandée par le MICC pour participer à ce programme.

[28]       À une question sur son évaluation de la qualité de la prestation de travail de Mme Bouchard en 2009, Mme Deronzier affirme :

« C’était une excellente gestionnaire capable de piloter des dossiers opérationnels et elle l’a démontré dans cet emploi-là de façon exemplaire. »

[29]       D’ailleurs, le 16 septembre 2009, elle écrit le mot de félicitations suivant (P-12) au trio constitué de M. Lafrance, Mme Bouchard et Mme Delvoye :

« Je prends quelques instants pour vous féliciter du travail remarquable que vous avez accompli pour redresser le CEFAHQ et le groupe IPMR.

             Je pense que nous sommes sur la bonne voie, que vous avez donné un nouveau souffle à cette équipe et que vous gérez le quotidien dans ce contexte de changement avec beaucoup de sérénité et de vision.

             Merci à chacun d’entre vous pour cette contribution importante. Je savais que vous seriez une équipe du tonnerre! »

[30]       L’équipe du CEFAHQ d’alors regroupait environ 50 personnes, d’après Mme Deronzier.

[31]       Quand le procureur de Mme Bouchard demande quelles étaient les habiletés stratégiques nécessaires pour le poste de directrice du CEFAHQ, Mme Deronzier répond qu’elles ont varié selon l’évolution chronologique des choses.

« En 2009, c’était un redressement d’une situation de débordement opérationnel. Mais c’était aussi de ramener les opérations du CEFAHQ dans la perspective de l’intégration professionnelle des immigrants de façon globale et non pas une fin en soi de délivrer des évaluations comparatives. »

[32]       Les habiletés stratégiques attendues alors étaient celles pour redresser une équipe, développer un sentiment d’appartenance, favoriser et augmenter la productivité et la concertation au sein de l’équipe. Et ces habiletés, Mme Deronzier admet que Mme Bouchard les avait pour le travail qui était en cause en 2009. De façon globale pour cette année-là, sans vouloir confirmer que la performance de Mme Bouchard avait été remarquable, Mme Deronzier reconnaît que son rendement avait été plus que satisfaisant.

2010 : l’année des grands changements

[33]       Selon Mme Delvoye, en février 2010, la Direction des ressources humaines (ci-après la « DRH ») avait demandé aux cadres de revoir l’ensemble des descriptions d’emploi de leur personnel. Dans ces circonstances, elle et Mme Bouchard ont demandé à M. Lafrance si, quant à faire, le MICC était prêt à reconsidérer le niveau du classement de leur propre emploi. C’est ainsi que vers le mois d’avril 2010, à l’occasion d’échanges sur la nature des emplois sous sa direction, M. Lafrance a suggéré à Mme Deronzier qu’il serait opportun d’examiner cette question.

[34]       On parlait d’une révision des postes, insiste Mme Deronzier. Et lorsque le procureur de Mme Bouchard suggère que l’objectif était de rehausser le classement de sa cliente du niveau 4 au niveau 3 de sa classe de cadre, Mme Deronzier répond plutôt que les personnes qui occupaient les postes étaient susceptibles d’être considérées pour un classement supérieur.

« Je ne faisais pas une évaluation personnelle du travail de chacune de ces personnes. On faisait une révision de la nature des postes compte tenu de l’évolution du travail. Le ministère était en travaux de transformation et [étant donné] le volume élevé d’évaluations comparatives et des délais de traitement, M. Lafrance et moi considérions qu’il était normal de demander aux spécialistes des ressources humaines si les postes en question étaient bien évalués à leur juste valeur. »

[35]       Mme Marie-Claude Champoux, qui avait remplacé M. Lacroix comme sous-ministre en titre du MICC, en janvier 2010, était informée et en accord avec la démarche.

[36]       À propos de l’appréciation des services de Mmes Bouchard et Delvoye en 2010, Mme Delvoye raconte qu’elles ont, comme le veut l’habitude, reçu au printemps leur feuille d’évaluation du rendement avec la cote attribuée pour l’année 2009-2010, soit B+ et B. C’est M. Lafrance qui les leur a remises, en mentionnant qu’elles avaient travaillé très fort et que s’il ne s’était agi que de lui, il aurait souhaité qu’elles aient même plus que cela. Toutefois, il avait reçu les évaluations avec les cotes déjà inscrites et il fallait comprendre que ces cotes leur étaient attribuées en tenant compte du fait qu’elles allaient avoir un avancement de classe.

[37]       Quand, en contre-interrogatoire, elle sera confrontée avec une allégation tirée de la plainte (P-22) déposée par Mme Bouchard, voulant qu’il était prévu, en novembre 2010, que sa promotion de cadre, classe 4 à classe 3, serait incluse dans une nouvelle architecture de la direction générale de Montréal, Mme Deronzier dira : « Je n’ai jamais parlé de promotion. J’ai parlé de révision de poste. »

[38]       Le 6 juillet 2010,  Mme Bouchard recevait la confirmation de la part de Mme Champoux que son évaluation de rendement pour l’année se terminant en avril de cette année-là lui méritait une cote B+ (P-6). C’était d’ailleurs la recommandation de Mme Deronzier qui déclare qu’elle considérait que Mme Bouchard, dans ses travaux de réorganisation de l’équipe du CEFAHQ, avait eu un rendement au-delà d’un rendement habituel.

[39]       D’après Mme Delvoye, c’est au début de l’été 2010 qu’elle et Mme Bouchard ont commencé à retravailler leurs descriptions d’emploi, si bien que le 9 juillet, un premier projet (P-2) était adressé par courriel de Mme Bouchard à M. Lafrance et à deux préposés de la DRH. Dans le courriel auquel le projet était joint, il était mentionné notamment ceci :

« […] Le mandat qui nous a été fixé dans l’élaboration de ces descriptions d’emploi était de viser un rehaussement de niveau des deux descriptions d’emploi de 630-4 à 630-3 et de 630-5 à 630-4. […] »

[40]       Dans les deux cas, la description d’emploi comptait environ cinq pages et, sommairement, plus ou moins le tiers du contenu de celle concernant le CEFAHQ et la moitié de celle du SAIC, selon le nombre de passages soulignés, avaient fait l’objet de modifications.

[41]       Mme Deronzier croit qu’elle a eu l’occasion de prendre connaissance des projets de description en septembre. Leur rédaction suit un processus d’aller-retour entre les auteurs et les gens des ressources humaines qui émettent des questions. À son souvenir, le projet n’avait pas passé au premier tour; elle croit que les documents étaient assez complets pour que les ressources humaines se prononcent de façon indépendante, mais ils étaient toujours à ce moment-là en mode correction.

[42]       Elle est certaine qu’elle n’a pas dit à M. Lafrance, en septembre, que le rehaussement des postes était approuvé. Le processus d’analyse, oui, mais pas le résultat.

[43]       Le témoignage de Mme Delvoye est pour sa part d’un autre ordre. Elle dit que vers la fin de l’été, début d’automne 2010, M. Lafrance leur a rapporté, à Mme Bouchard et à elle, que Mme Deronzier avait parlé à Mme Champoux, et que « c’était correct pour aller de l’avant avec l’avancement de classe », mais qu’elles devaient revoir leurs projets de description d’emploi avec une conseillère en gestion des ressources humaines de la DRH, Mme Line Laberge.

[44]       Par ailleurs, à la question d’établir quand le dossier a été réglé au niveau des ressources humaines, selon Mme Deronzier, ce n’est qu’en novembre qu’il y a eu une opinion d’émise. De septembre à novembre, elle n’en entend pas parler, le dossier faisant l’objet de discussions techniques. Mais, en novembre, la DRH était prête, techniquement, à proposer un rehaussement des postes de Mme Bouchard et de Mme Delvoye. Quand le procureur de Mme Bouchard demande à Mme Deronzier si elle était prête à recommander un tel rehaussement, elle répond plutôt que cela n’était pas de son ressort. Elle répète qu’elle était d’accord avec le processus d’analyse des postes et que cela devait faire l’objet de discussions avec la sous-ministre en titre.

[45]       Des discussions ont eu lieu en novembre 2010 entre elle et cette dernière qui a refusé de rehausser le classement de ces postes.

« À la fin du processus, quand elle a eu à se prononcer à partir de l’évaluation qu’en avaient fait les ressources humaines, Mme Champoux a questionné certains éléments dans la dimension de la méthode utilisée et a jugé qu’il y avait encore des preuves à faire, qu’au-delà du travail quotidien, il y avait une réelle démonstration [à faire] des productions de la nature des emplois. »

[46]       Interrogée pour savoir, si dans la décision, il y avait des éléments reliés à la personnalité des détentrices des postes en question, Mme Deronzier précise que la sous-ministre avait mentionné qu’elle « n’avait pas la démonstration que cela avait suffisamment évolué dans le sens de sa vision des projets qu’elle avait pour le ministère. »

[47]       Soulignons qu’un communiqué du 30 septembre avait annoncé le « Lancement officiel des chantiers sur la refonte des services d’intégration au Ministère » (E-7). Le même communiqué annonçait, mais pour le printemps 2011, un redéploiement des SIQ de la région de Montréal, ainsi que la création d’une Direction des partenariats et des projets spéciaux, qui devait être confiée à Mme Marie Kronström.

[48]       À ce moment-là, selon Mme Deronzier, il s’agissait d’examiner différents processus, menés conjointement entre autres avec le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (ci-après le « MESS »). Le communiqué du 30 septembre annonçait que l’on recherchait à assurer « une meilleure coordination et une meilleure fluidité des interventions entre le MICC et ses partenaires et le MESS et ses partenaires. » Il était précisé qu’à cette fin on allait constituer des équipes composées de gestionnaires et d’employés « pour participer à la réalisation de différents projets dont l’implantation s’effectuera à partir du printemps 2011. » Et des cinq chantiers mis en place, le premier recouvrait le thème « information, accueil et référence ».

[49]       Si Mme Poirier, pour sa part, se voit confier certaines nouvelles responsabilités, celles-ci n’incluent pas encore le CEFAHQ. Cela ne se produira qu’en novembre.

[50]       Entre septembre et novembre, les chantiers de la refonte se sont poursuivis et c’est alors qu’on a jugé bon, selon Mme Deronzier, que l’ensemble des services opérationnels dans l’île de Montréal, dans la foulée des travaux avec le MESS, et l’ensemble des services d’intégration soient regroupés dans une même direction, mais cette fois générale.

[51]       Bien qu’un projet de communiqué interne ait déjà été prêt le 28 octobre 2010 (P-18), ce n’est finalement que le 26 novembre, alors que Mme Deronzier est en mission à Paris pour une dizaine de jours, que ce complément de la refonte de septembre sera annoncé publiquement (E-13).

[52]       Deux jours avant, soit le 24 novembre, M. Lafrance avait déjà annoncé à Mme Bouchard que le classement de son poste de directrice du CEFAHQ ne serait pas rehaussé à l’occasion des réaménagements prochains de la structure administrative du MICC. À ce propos, il envoie le même jour un courriel à Mme Deronzier (P-36) dans lequel il fait part de sa grande déception de cette décision et mentionne qu’« elles [Mmes Bouchard et Delvoye] ont très bien compris et sans grande explication de ma part, le travail de sape de leur réputation fait auprès de MCC [Marie-Claude Champoux, la sous-ministre en titre]. » Et il poursuit en écrivant :

« […] Je ne te cacherai pas que j’ai dû à distance gérer des émotions à fleur de peau. Tu m’excuseras, mais je ne peux qu’être empathique à leur situation. Nos amis des autres secteurs auront probablement atteint leur but au-delà de leurs espérances : détruire profondément l’intégrité de personnes qui depuis deux ans se sont consacrées avec énergie à reconstruire une organisation, lui donner une direction, et mobiliser les employés autour d’objectifs atteignables. »

[53]       Le lendemain, Mme Deronzier intervient longuement à son tour, à partir de Paris, auprès de Mmes Bouchard et Delvoye. Elle leur écrit (P-13) ce qui suit :

« […] Je veux vous dire que j’ai confiance que les solutions sont à portée de main, qu’il y a malheureusement incompréhension sur certaines interventions que vous avez pu faire et sur leurs intentions. Marc travaille très fort à favoriser un rapprochement pour élargir certaines dimensions de l’architecture qui est proposée. Je le fais aussi à mon niveau. La nouvelle structure et l’intégration à la DRM vont nous permettre de réaliser une partie de cette alliance stratégique à court terme.

Je sais aussi que vous êtes déçues, et peut-être blessées, que la réévaluation des postes ne soit pas réglée dès maintenant. Je vous demande, et je sais que c’est difficile, de mettre pour l’instant cet aspect de côté. Vous avez accompli une tâche immense, difficile et complexe. Il y a encore beaucoup à faire évidemment. […]

Travaillons au rapprochement, participons au projet d’architecture et aux étapes planifiées tels que proposés par l’équipe de projet (qui a aussi beaucoup de pression compte tenu du rapport du VG [pour Vérificateur général du Québec]). Trouvons les alliés qui vont aider à être en mode solution pour dénouer la situation actuelle. Il faut faire (vivre) la preuve auprès de l’ensemble des autorités que nous sommes en mouvement et en adhésion à ces changements qui sont nécessaires pour le Ministère. Mais, ne vous en faites pas, il y a aussi beaucoup de choses à gérer dans l’ensemble des secteurs. […] »

[54]       Appelée à commenter son courriel du 25 novembre à Mmes Bouchard et Delvoye, Mme Deronzier explique qu’elle essayait de démontrer sa compréhension de la situation et de signaler qu’il y avait des problèmes également dans d’autres équipes de travail.

[55]       Elle dit qu’elle avait une bonne appréciation de tout le rendement que Mme Bouchard avait su ramener sur le plan de son équipe et de sa production. Mais, elle a dû cependant constater, après les quelques mois qui ont suivi son évaluation, « qu’elle ne livrait pas la marchandise. »

« Il y avait différentes avenues, approches, solutions [mises de l’avant] par différentes équipes : celle de Mme Bouchard, celle de l’architecture d’affaires, celle du secteur Immigration, celle de l’authentification des documents et les hypothèses n’étaient pas toujours consensuelles.

Et Mme Bouchard a fait des interventions qui ont été jugées comme de la résistance au changement et de non-adhésion au projet d’architecture d’affaires du ministère. Ce n’était pas mon seul regard, mais celui d’un ensemble d’intervenants.

Le CEFAHQ était perçu au cœur des projets de transformation pour aboutir à la mise en œuvre du plan de transformation du ministère et des recommandations du VG. À la question de plonger dans ce qui était proposé par l’équipe projet, on avait l’impression qu’il y avait de la résistance. Par exemple, qu’on n’avait pas accès à la banque de données : il a fallu à un moment donné que je dédouane [la question] et que je dise à M. Lafrance qu’on allait la donner telle quelle la banque.

On tentait [du côté du CEFAHQ] de démontrer à l’autre équipe qu’elle avait tort. Il n’y avait pas de participation positive à ces travaux-là et c’était mal perçu par l’ensemble du ministère. »

[56]       C’est pour cela, ajoute-t-elle, qu’elle était intervenue à plusieurs occasions auprès de M. Lafrance en lui mentionnant qu’il fallait qu’il y ait un changement d’attitude important, ce avec quoi il n’était pas en désaccord, selon elle, puisqu’il lui aurait dit qu’il fallait qu’elle-même puisse sentir qu’il y avait une collaboration.

[57]       C’est dans cet esprit qu’en novembre, lorsque la sous-ministre avait dit qu’elle n’était pas d’accord de faire du CEFAHQ une entité encore plus stratégique, elle avait soutenu, elle, l’avenue, comme l’a dit M. Lafrance, de donner du temps à Mme Bouchard de faire ses preuves :

« C’était une chance qu’on donnait à Mme Bouchard de mieux performer dans le contexte des transformations en cours. »

[58]       À un autre moment, Mme Deronzier explique sa perception des points de vue qui opposaient la direction du CEFAHQ à certaines équipes.

« C’est vrai que ce que voulait le CEFAHQ, c’était l’application de normes reconnues sur les plans canadien et international. Cela a été porté à l’attention des gens qui travaillaient pour redessiner les processus parce que cela ajoutait un niveau de difficulté. Je comprends que M. Lafrance ait mentionné cela et c’était exact.

Maintenant, pour le CEFAHQ, c’était un incontournable. Mais la décision du ministère a été qu’on pouvait travailler là-dessus. Ce n’est pas parce qu’il y a une norme internationale à rencontrer que cela nous empêchait de revoir et de gérer le niveau de risque que le ministère entendait prendre dans les différents processus. »

[59]        Sur le fond, Mme Deronzier dit avoir toujours cru que les personnes n’étaient pas mal intentionnées et c’est pour cela qu’en novembre elle avait pris la position de maintenir que Mme Bouchard pourrait encore être considérée en rapport avec le rehaussement du niveau du poste de directrice du CEFAHQ. 

[60]       Le 26 novembre est publié un communiqué (E-13 et P-18) dans lequel sont énoncés, sur quatre pages, divers réaménagements de la structure du MICC. Ses trois secteurs sont visés et en introduction de l’énoncé des modifications du premier qui y est décrit, le secteur Immigration, on précise que les actions à y entreprendre pour la livraison des services découlent notamment du rapport du VG concernant la sélection des immigrants.

[61]       Quant au secteur de l’Intégration, le communiqué annonce la création de la nouvelle Direction générale de Montréal (ci-après la « DGM »).

[62]       Cette nouvelle entité est confiée à Mme Poirier, qui voit son classement passer de cadre du niveau 3 à 2, par acte de nomination (P-26) signé par Mme Champoux, sous-ministre en titre, le 13 décembre 2010, pour être effectif le 29 novembre précédent.

[63]       Relativement au CEFAHQ, le communiqué du 26 novembre 2010 annonce son intégration à la DGM sans plus et donc sans indication de changement du niveau du poste de sa direction qui demeure de classe 4. Mme Deronzier ne se rappelle pas du moment exact où elle a été informée que le niveau de ce poste ne serait pas révisé à ce moment-là, mais elle indique que ce n’est pas elle qui a pris la décision, tout en admettant avoir eu une discussion à ce sujet avec la sous-ministre en titre.

[64]       Mme Delvoye mentionne qu’après l’annonce de la nouvelle structure administrative, Mme Bouchard et elle ont rencontré M. Lafrance et Mme Poirier pour comprendre et se permettre de ventiler leurs émotions. Dans une perspective semblable, elles ont eu également une réunion plus tard, en décembre ou en janvier, cette fois à laquelle participait en plus Mme Deronzier. L’objectif était de repartir du bon pied et cette dernière disait qu’il y avait des ponts qu’il fallait rétablir avec d’autres directions du MICC et qu’elle espérait que ce serait possible avec l’arrivée de Mme Poirier, une nouvelle personne dans le dossier.

[65]       Dans des attentes signifiées par écrit « après le 29 novembre 2010 » à Mme Poirier (E-17), on peut lire qu’il lui est demandé entre autres ceci :

« 14. Appuyer la direction du CEFAHQ dans la révision des dispositifs de réception, de traitement des demandes et de délivrance de l’évaluation comparative, et de l’expertise sollicitée sur les diplômes étrangers par la Direction du CEFAHQ, afin de :

-       contribuer de façon optimale à la livraison des services ministériels aux clientèles, telles que définis dans l’architecture d’affaires;

-       répondre aux recommandations du mandat de vérification, notamment en développant une vision d’affaires, […] »

[66]       Lors des réunions statutaires des gestionnaires de son secteur, Mme Deronzier avait l’occasion d’avoir un suivi de l’accompagnement de la direction du CEFAHQ réalisé par Mme Poirier, qui devait notamment signifier à Mme Bouchard des attentes particulières, dont elle ne peut confirmer si elles lui ont été faites par écrit.

[67]       À un certain moment, Mme Poirier a souhaité être accompagnée d’un consultant pour l’aider à susciter l’adhésion des gestionnaires sous sa direction, tant ceux des SIQ que Mmes Bouchard et Delvoye. Les services de la firme Maletto et Associés inc. ont été retenus à cette fin. L’objet du contrat (E-19) mentionne qu’il s’agit de « redéfinir le lien de gestion et faire une démarche d’adhésion à la vision du MICC avec les nouveaux gestionnaires de la DGM », et ce, dans le contexte de la « création de la Direction générale de Montréal incluant la responsabilité du CEFAHQ ».

[68]       Quant à M. Lafrance, jusque-là supérieur immédiat de Mme Bouchard, il prend à compter de fin novembre 2010 la responsabilité du Bureau de la refonte du rôle des services Immigration-Québec, chargé entre autres, selon le communiqué du 26 novembre, de coordonner l’arrimage et la cohérence de la refonte du rôle des SIQ avec les services offerts par le MESS.

[69]       Enfin, la réorganisation de novembre 2010 donne lieu également à divers autres mouvements de personnel dont certains comportant un changement de niveau d’emploi, mais pas nécessairement un rehaussement du niveau d’un même poste comme Mmes Bouchard et Delvoye l’espéraient.

[70]       Interrogée encore s’il y avait eu des travaux réalisés en vue de mener la restructuration opérée en novembre, Mme Deronzier répond qu’il n’y en a pas eu de plus spécifiques que les bilans diagnostics portés couramment à la connaissance du bureau des sous-ministres (ci-après le « BSM ») du MICC.

« Cela n’a pas commencé à une date fixe. Cela évoluait constamment. C’est sûr qu’il y a eu des éléments qui documentaient des volumes d’activités, des façons de faire. Cela a toujours été. La question : est-ce qu’on doit faire les évaluations comparatives avant ou après les processus d’émigration, j’étais directrice générale et elle était déjà proposée par la table des d.g. de l’époque. Cette question, elle était présente depuis des années. »

Le rapport du VG

[71]       Dans le secteur de l’Intégration, comme dans les autres secteurs du MICC, il y avait des travaux de transformation dont l’origine découlait d’un rapport du VG, « une pièce très importante » de dire Mme Deronzier, dans lequel on avait identifié un certain nombre de problèmes reliés à la sélection des immigrants travailleurs qualifiés.

[72]       Rendu public le 12 mai 2010, le chapitre 3 du rapport du VG pour l’année 2010-2011 (E-10) a consacré quelque 60 pages à cette question qui avait été vérifiée pour la période de mai à novembre 2009. Certains aspects étaient reliés à la reconnaissance des acquis, notion définie dans le rapport comme suit :

« 3.63 La reconnaissance des acquis consiste à vérifier si la formation et l’expérience de travail acquises par un immigrant dans son pays d’origine respectent les normes ou pratiques établies dans le pays d’accueil. »

[73]       Le rapport constate que le MICC avait pris des mesures pour informer les travailleurs qualifiés des contraintes liées à la reconnaissance de leurs acquis et les avisait qu’ils ne seraient « pas nécessairement en mesure d’occuper, dès leur arrivée, un emploi dans leur domaine. » (par. 3.65 du Rapport.) On accordait, à l’étape de la sélection réalisée dans un bureau d’immigration du Québec localisé à l’étranger, des points au niveau de la scolarité et des domaines de formation des candidats immigrants, mais cette évaluation ne pouvait pas tenir lieu d’une reconnaissance formelle des acquis qui, elle, se faisait après l’arrivée de l’immigrant au Québec. 

[74]       Parmi les processus suivis alors par le MICC, le VG remet en cause, par exemple, l’utilisation par le ministère d’un Guide des procédures d’immigration incomplet et non à jour, constatant que le « guide ne fournit pas les tableaux comparatifs des diplômes pour tous les pays. » (par. 3.107 du Rapport). Un peu plus loin dans le même paragraphe, il est constaté aussi que « les points attribués pour un même diplôme peuvent différer selon que ce dernier est évalué avec les outils du Service Amérique du Nord et Maghreb situé à Montréal ou avec ceux du Bureau d’immigration du Québec à Paris. En l’absence de tableaux comparatifs, les territoires ont créé des outils de référence différents. »

[75]       Selon Mme Deronzier, le problème se posait ainsi :

« Le système de sélection fonctionne avec une grille où on met des points pour la connaissance de la langue, le diplôme, le domaine de formation, le statut socio-économique. Mais le système ne permettait pas un arrimage du candidat avec les besoins du marché du travail puisque la reconnaissance des acquis, soit la correspondance entre le système d’éducation du Québec et le système d’éducation étranger, et l’évaluation des acquis se faisaient ensuite dans chacun des établissements d’enseignement ou par un ordre professionnel.

Et le constat que faisait le VG, et que le ministère avait fait depuis plusieurs années, était que cela arrivait trop tard. Il y avait une évaluation qui se faisait au début du processus quand la personne était encore à l’étranger; la personne était sélectionnée, elle arrivait au Québec et elle faisait sa demande d’évaluation comparative des études au CEFAHQ. Il y avait donc comme deux évaluations et il n’y avait pas toujours la même évaluation entre le conseiller à l’immigration à l’étranger et le professionnel du CEFAHQ quant au même diplôme. [De plus, au sujet ] du contenu du diplôme en question, ce sont les établissements d’enseignement qui disaient qu’il fallait que le candidat refasse une année de formation dans telle ou telle matière. Ou les ordres professionnels faisaient la même chose, en reconnaissant une partie de la formation et en disant qu’il fallait la compléter par telle ou telle autre. »

[76]       À la suite de la parution du rapport du VG, Mme Deronzier explique que le MICC a voulu revoir les façons de faire pour diminuer les erreurs et obtenir une plus grande fiabilité de ses opérations. Dans ce contexte, l’évaluation des diplômes par le CEFAHQ était un des processus d’affaires examinés.

2011 : l’année de l’annonce relative au CEFAHQ

[77]       Enfin, le 6 juin 2011, le MICC a publié à nouveau un communiqué (E-14) annonçant « les premiers résultats d’un des chantiers portant sur le rapprochement physique entre les centres locaux d’emploi (CLE) et les SIQ. » Le document fait référence à l’entrée en vigueur, ce même jour, d’une réorganisation de la DGM de Mme Poirier, les SIQ de la région de Montréal étant regroupés en deux points de service.

[78]       Le même communiqué annonce à nouveau la création de la Direction des partenariats, prévue en septembre 2010. Il est mentionné que cet emploi est confié à Mme Bouchard, alors que la direction du CEFAHQ, emploi qui deviendra de classe 3, est attribuée à Mme Lyn Fleury. Celle-ci conserve la supervision du SAIC, qui devient le Service du traitement et de l’information, mais toujours sous la responsabilité de Mme Delvoye, dont l’emploi sera rehaussé plus tard à la classe 4. Celle-ci mentionne que Mme Poirier lui avait annoncé un peu plus tôt en mai, après que son évaluation de rendement eut été complétée, que le classement de son poste allait être modifié. Quant à ses tâches, elles sont demeurées les mêmes qu’antérieurement.

[79]       Toutefois, en ce qui concerne la direction du CEFAHQ, la description d’emploi constatant le rehaussement du niveau de ce poste a été signée par la sous-ministre en titre que le 7 décembre 2011 (E-9), soit six mois après le communiqué du 6 juin.

[80]       Quand il est demandé à Mme Deronzier les motifs du retard du MICC à concrétiser cette décision-là, elle explique que c’est très fréquent que les descriptions d’emploi soient terminées après les annonces par communiqué :

« Au ministère, c’est une façon très courante : les documents administratifs suivent et la période de signature peut s’étendre [dans le temps]. »

[81]       Quant au nœud du problème qui a amené le MICC à ne pas confier à Mme Bouchard, le poste de la direction du CEFAHQ qui devait être finalement rehaussé et qu’elle occupait depuis février 2009, Mme Deronzier le situe dans le contexte plus global des travaux menés par le ministère pour répondre aux critiques que le VG avait formulées.

[82]       Un des éléments au cœur des travaux de transformation lancés par le MICC, après le rapport du VG, a été de ramener le processus de sélection au tout début, avant même qu’il y ait une évaluation des demandes d’immigration des travailleurs qualifiés. L’objectif était d’essayer de s’arrimer avec les besoins du marché du travail du Québec et pour cela, évaluer correctement leurs diplômes au moment où on sélectionne ces travailleurs.

[83]       Le MICC avait découpé les travaux de transformation en divers processus et Mme Bouchard avait, comme d’autres personnes, à travailler sur certains.

[84]       Amenée à identifier des tâches que Mme Bouchard n’avait pas réalisées en 2010 et qui avaient pu mener au fait que le poste rehaussé de la direction du CEFAHQ ne lui soit pas octroyé, Mme Deronzier fait référence aux passages suivants de la description d’emploi (E-9) de ce poste, telle qu’elle sera finalement autorisée, mais qu’en décembre 2011.

« [p. 2] ▪ revoir, dans le cadre de la refonte du rôle des SIQ et de la modernisation d’Intimm[1], les dispositifs afférents à la réception, au traitement des demandes et à la délivrance de l’Évaluation comparative et à l’expertise sollicitée sur les diplômes étrangers afin de mieux répondre aux besoins des clientèles;

▪ dans le cadre de cette refonte et de cette révision :

Ø établir une forte vision d’affaires s’appuyant sur la modernisation de systèmes d’information du Ministère; […]

▪ [p. 4] entretenir des relations d’affaires fructueuses avec de nombreux partenaires (tant à l’interne qu’à l’externe) qui ont souvent des exigences élevées au regard des services du CEFAHQ […]. »

[85]       Quand il lui est demandé de préciser de quels partenaires il est question, Mme Deronzier répond qu’il s’agit de l’ensemble des directions du ministère.

« C’est cela qui a causé problème. Dans toute l’évolution de ces travaux, elle n’a pas démontré à la satisfaction des autorités du ministère, dont la sous-ministre en titre, qu’elle entretenait des relations fructueuses et consensuelles avec les collègues qui travaillaient sur les mêmes chantiers. »

            Et Mme Deronzier d’identifier huit de ces collègues, dont sa supérieure immédiate depuis fin novembre 2010, Mme Poirier.

[86]       En novembre 2010, lorsque la sous-ministre en titre avait refusé de donner suite à la nouvelle évaluation du poste de directrice du CEFAHQ qu’avait faite alors la direction des ressources humaines, Mme Deronzier dit avoir demandé à M. Lafrance de travailler avec Mmes Bouchard et Delvoye pour faire en sorte qu’elles contribuent positivement aux travaux de transformation du ministère.

Le point de vue de M. Lafrance sur le nœud du problème

[87]       Entré dans la fonction publique en 1975, au ministère des Affaires municipales, puis passé au ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche en 1983, M. Marc Lafrance, retraité depuis le 13 juin 2012 après 37 ans de service, est arrivé au MICC en octobre 1991 et il y est devenu cadre en janvier 1999, à la tête de la Direction des droits de la personne.

[88]       À compter de février 2009, M. Lafrance prend charge de la DIP, qui inclut dorénavant le CEFAHQ.

[89]       À propos de l’évaluation du rendement de Mme Bouchard pour l’année 2008-2009 réalisée peu de temps après l’arrivée de celle-ci au CEFAHQ, M. Lafrance avait pu faire part à Mme Deronzier qu’il était déjà très satisfait de ses services. Elle avait une maîtrise exceptionnelle des aspects opérationnels. Mais de plus, au regard d’activités stratégiques, il avait pu apprécier ses talents dans la préparation du plan de restructuration du CEFAHQ qu’elle avait présenté à Mme Deronzier et M. Lacroix, le sous-ministre en titre de l’époque. Le plan comportait des objectifs à court, moyen et long termes qui ont été passablement atteints par la suite.

[90]       La question de la révision du niveau de classement des postes de direction du CEFAHQ et du SAIC est survenue environ un an plus tard, vers avril 2010 et c’est ainsi qu’en juin, Mmes Bouchard et Delvoye et lui-même ont commencé à revoir les descriptions d’emploi des premières, avec les conseils de préposées de la DRH, le tout dans une perspective de faire ressortir tous les éléments de complexité liés à leurs emplois.

[91]       Vers la mi-août, il pouvait déjà faire une révision des projets de description d’emploi. Alors que dans les anciennes, l’objet de chacun des deux emplois se confondait, les nouvelles faisaient ressortir le rôle plus stratégique et tactique du CEFAHQ et celui plus opérationnel du SAIC. La Direction du CEFAHQ devait contribuer aux questions de l’intégration professionnelle des personnes immigrantes et à la réorganisation entre autres de la reconnaissance des qualifications professionnelles, notamment suivant une entente signée avec la France, en 2008.

[92]       Fin août 2010, une version pratiquement finale des descriptions d’emploi était remise à Mme Isabelle Duchêne de la DRH, qui, en septembre et octobre, lui a suggéré des corrections mineures, mais en fin d’octobre, « il n’y avait plus rien à changer » selon M. Lafrance.

[93]       En juillet 2010, la conclusion de l’opération d’évaluation du rendement de Mmes Bouchard et Delvoye avait révélé le caractère plus que positif de l’appréciation de leurs services par Mme Deronzier.

[94]       Dans le même temps, M. Lafrance avait commencé à échanger avec Mme Deronzier sur la possibilité qu’il obtienne une nouvelle affectation. En juillet, à l’occasion d’une rencontre MICC-MESS, il avait été entrevu la mise en place d’un continuum de services entre les deux ministères aux fins de mieux desservir les immigrants. À cette fin, était envisagée la création d’un poste de responsable de la refonte du rôle des services d’intégration, nouveau poste auquel M. Lafrance accéderait comme chargé de mission, opération qui faciliterait par la même occasion le rehaussement des postes de direction du CEFAHQ et du SAIC.

[95]       En effet, dans la mesure où le niveau de l’emploi de directrice du CEFAHQ passait de classe 4 à 3, lui-même étant de niveau 3 ne pourrait plus être le supérieur de Mme Bouchard. Son affectation comme chargé de mission, quelque deux ans avant sa retraite, et la disparition de la DIP de façon concomitante laisseraient un emploi vacant du niveau envisagé pour la nouvelle description d’emploi de directrice du CEFAHQ. Le rehaussement de l’emploi de directrice du CEFAHQ libèrerait à son tour un poste de classe 4 et permettrait de hausser le niveau du poste de la direction du SAIC de la classe 5 à la classe 4.

[96]       Le 30 septembre 2010, on annonce le lancement des chantiers sur la refonte des services d’intégration. Parmi les travaux de restructuration des activités du MICC, se posaient des difficultés d’harmonisation entre notamment la vision d’affaires du CEFAHQ et celle du Service d’amélioration continue de la qualité (ci-après le « SACQ »). Dans un courriel (P-35) de M. Lafrance, daté du 28 octobre 2010, à Mme Nathalie Provost, en charge de la Direction générale de la performance (ci-après la « DGF »), dont dépendait le SACQ, il est fait état du problème en ces termes.

« Avant de valider la vision d’affaires élaborée par le SACQ […], il faudrait trouver - et Claire est d’accord à ce sujet - un point de jonction, de rencontre, où tout le monde sera gagnant, tant pour la sélection des candidats à l’immigration que pour la modernisation du CEFAHQ au regard de ses responsabilités.

Le CEFAHQ a une vision d’affaires qui se veut englobante au regard de l’ensemble de ses responsabilités. Mais, cela n’est nullement incompatible avec les besoins du Secteur Immigration pour les questions de sélection. La preuve en est que le CEFAHQ a récemment produit pour les besoins de ce secteur, 44 tableaux comparatifs des systèmes éducatifs étrangers. Et, il continue [de] travailler d’autres questions avec eux.

Claire a suggéré la présence d’une personne qui pourrait agir comme facilitateur dans la recherche de ce point de rencontre, si nous avons une réunion d’échanges impliquant Odette, toi, Françoise, Claudine et moi. Je trouve l’idée intéressante. J’aimerais connaître ton point de vue. […] »

[97]       Notons que la DGF avait à élaborer le Plan de développement des systèmes d’information (ci-après le « PDSI ») qui devait permettre à terme de livrer les services aux personnes immigrantes.

[98]       Selon M. Lafrance, « la source des malentendus, des incompréhensions qu’on a pu vivre au cours des mois qui ont suivi le rapport du VG » découlait des lacunes qui avaient été soulevées quant à la façon de reconnaître le niveau de scolarité, quant à la nature de la formation des immigrants et quant à l’authentification des documents.

[99]       Vers la fin de juin 2010, au moment où M. Robert Baril, était encore directeur général des services à l’organisation, dont dépendait à ce moment-là la Direction des systèmes d’information, ont commencé à être soulevés des problèmes relatifs à la vision d’affaires à adopter par le MICC pour arriver à répondre aux critiques du VG.

[100]    Or, depuis février 2009, le CEFAHQ avait développé un plan stratégique dans lequel il était non seulement un producteur d’évaluations comparatives, mais un acteur clé dans le processus d’intégration professionnelle des immigrants. De son côté, le SACQ a développé le sien, avec l’aide de consultants, qui visait essentiellement à trouver des solutions relatives aux processus de sélection des personnes immigrantes.

[101]    Selon M. Lafrance, la vision élaborée par le CEFAHQ l’avait été quant à elle non seulement eu égard à sa contribution aux processus de sélection, mais également dans le respect de ses obligations canadiennes et internationales. Il était membre de l’Alliance des services d’évaluation des diplômes canadiens et également lié par des ententes comme le Protocole de Pologne, une entente internationale qui régit les façons de faire sur le plan de la reconnaissance des diplômes. 

[102]    C’est ainsi que, selon lui, est advenue la situation où le SACQ, ayant élaboré durant l’été 2010 une approche sur les processus d’authentification des documents, alors que c’était le CEFAHQ qui avait l’expertise en la matière, a présenté, au début de septembre 2010, un rapport de 60 pages sur le sujet, en donnant seulement trois ou quatre jours au CEFAHQ pour le commenter.

« Nous étions en face de deux façons de travailler. »

[103]    La vision du SACQ, comme l’explique M. Lafrance, était de régler dans l’immédiat les questions liées à l’authentification des pièces fournies par les candidats à l’immigration, notamment à mettre en place des mécanismes pour établir des pointages lors de leur sélection. Et à cette fin, ils prévoyaient travailler à partir de la base de données constituée par le CEFAHQ.

« Tous leurs efforts étaient mis sur les processus de sélection, alors que nous, nous étions dans une vision plus globale. Ce qui nous opposait ce n’était pas tant qu’ils pouvaient amener cet élément-là, mais que nous voulions avoir une vision d’ensemble : que les décisions prises sur le processus migratoire ne viennent pas porter préjudice aux autres responsabilités du CEFAHQ. J’ai eu deux petits déjeuners de travail de plus d’une heure avec Mme Provost et on a compris qu’on ne se comprenait pas. »

[104]    Ces rencontres de travail, M. Lafrance en situe une en octobre, quelque temps avant le courriel cité précédemment, et l’autre au début de novembre.

[105]    Quelque temps après, Mme Deronzier lui a appris que le niveau des emplois de Mmes Bouchard et Deronzier ne serait pas rehaussé tout de suite, c’est-à-dire au moment de la réorganisation administrative sur le point d’être annoncée par communiqué. On considérait qu’il y avait une collaboration inadéquate de leur part et on soulevait des problèmes de communications interpersonnelles dans le cas de Mme Bouchard.

[106]    M. Lafrance dit avoir réagi en soulignant à Mme Deronzier que pour sa part il n’avait jamais eu de problème de communication avec Mme Bouchard, mais qu’au contraire il en avait plutôt avec Mme Odette Guertin, qui travaillait, sous la direction de Mme Provost, sur les dossiers d’authentification des diplômes et sur la base de données pour établir le pointage des candidats immigrants.

[107]    C’est dans ce contexte qu’il faut situer le courriel (E-3) qu’il adressait quelques jours plus tard, le 23 novembre 2010, à Mme Deronzier alors partie pour Paris, et dans lequel il exprimait notamment son désabusement dans les termes exposés précédemment.  

[108]    D’après M. Lafrance, on faisait porter le blâme à Mmes Bouchard et Delvoye du fait qu’elles ne collaboraient pas à la mise en œuvre de solutions, ce qui était contraire à la vérité.

[109]    En contre-interrogatoire, M. Lafrance confirme que Mme Deronzier lui avait demandé de faire quelque chose pour amener un changement. Il ajoute qu’il avait fait part à Mme Bouchard d’améliorer, dans la mesure du possible, ses relations interpersonnelles, mais qu’il n’était pas allé plus loin parce que l’évaluation qu’il se faisait de la problématique était que ce n’était pas tellement elle qui était en cause.

« Vous reconnaissez que Mme Deronzier vous a clairement dit qu’il y avait un problème? Oui, dit-il, mais que je ne partageais pas. »

[110]    La Commission signale toute de suite que, dans son témoignage, Mme Poirier dira que lorsqu’elle a pris la relève de M. Lafrance, à la fin de novembre, la même demande a fait partie des attentes qui lui ont été signifiées par Mme Deronzier.

[111]    M. Lafrance a poursuivi en mentionnant que Mme Deronzier lui avait fait part que M. Baril, devenu depuis quelque temps sous-ministre adjoint à l’Immigration, lui avait suggéré de remplacer Mme Bouchard par Mme Fleury, une des directrices de son secteur. On aurait accordé une promotion à Mme Fleury en rehaussant le poste de directrice du CEFAHQ au niveau de la classe 3 et on aurait muté Mme Bouchard sur le poste de Mme Fleury qui devait demeurer de classe 4.

[112]    M. Lafrance dit avoir reçu cette information comme une gifle, même s’il n’était pas personnellement concerné : qu’on veuille accorder à quelqu’un qui ne connaissait pas le CEFAHQ une promotion, alors que Mme Bouchard avait, depuis février 2009, fait montre d’une implication et d’un engagement excellents pour faire remonter la pente à cette direction.

[113]    Il précise que c’est lui, à la fin du printemps 2010, qui avait suggéré à Mme Deronzier son propre déplacement latéral afin de dégager son poste de niveau 3, et ce, pour favoriser le rehaussement de celui de directeur du CEFAHQ au profit de Mme Bouchard. S’il avait su que les choses allaient être autrement, il n’est pas sûr qu’il aurait fait la même proposition.

[114]    Finalement, rapporte M. Lafrance, Mme Deronzier, qui n’était pas d’accord avec la suggestion de M. Baril, aurait convaincu la sous-ministre en titre de donner du temps à Mme Bouchard pour faire ses preuves.

« Une période de probation, si l’on veut, à Mme Bouchard pour qu’elle démontre un niveau de collaboration adéquat et qu’elle améliore ses compétences en communications interpersonnelles.

On lui donnait une période de temps pour prouver qu’elle répondait aux attentes et pouvait obtenir son poste de classe 3. »

[115]    En réinterrogatoire, il précise en rapport avec le processus de nomination des cadres que :

« Dans un contexte où il y a une réorganisation, le sous-ministre [en titre] peut, pour des raisons qui lui appartiennent, déplacer des gens dans de nouvelles fonctions. Généralement, cela se fait avec l’accord de la personne, mais j’ai déjà vu dans ma carrière des gens être déplacés dans d’autres fonctions sans leur accord. »

[116]    Et à la question de la procureure du MICC de savoir s’il était exact que Mme Bouchard n’avait jamais obtenu à ce ministère de poste de cadre, classe 3, M. Lafrance répond :

« On ne lui a jamais donné un poste 3 au MICC. Si on lui avait accordé, on ne serait pas ici. »

[117]    Bien qu’il ait assumé de nouvelles fonctions à compter de décembre 2010, M. Lafrance dit être demeuré associé aux travaux du CEFAHQ jusqu’à la fin de janvier 2011 pour faciliter la transition de la reprise de cette direction par Mme Poirier. Il a eu durant cette période à participer à des rencontres de travail, dont entre autres une en décembre et une, tenue le 17 janvier, regroupant une vingtaine de personnes, dont Mme Bouchard.

[118]    Au cours de l’interrogatoire de Mme Deronzier par la procureure du MICC, qui s’est déroulé en partie après celui de M. Lafrance, elle a été appelée à commenter certaines parties du témoignage de celui-ci.

[119]     À propos du commentaire de M. Baril lui suggérant, dès l’automne 2010, de permuter Mmes Fleury et Bouchard d’emploi, Mme Deronzier s’explique ainsi :

(Mme Deronzier) « Mon collègue et moi, on se parlait régulièrement des travaux. On a échangé sur différentes hypothèses. Cela en était une.

(Procureur de Mme Bouchard) Pour être sûr que je comprenne bien votre réponse, n’est-il pas vrai que Robert Baril vous propose de mettre Lyn Fleury au poste de directrice du CEFAHQ?

(Mme Deronzier) Ce n’est pas cela qu’il m’a proposé. Il m’a proposé quelque chose qui n’est pas cela. C’était un échange.

(Procureur de Mme Bouchard) Alors, n’est-il pas vrai que M. Robert Baril vous propose d’échanger le poste de Mme Lyn Fleury pour le poste de Mme Bouchard?

(Mme Deronzier) M. Baril me proposait d’échanger des personnes. On parlait d’autres personnes, ce n’était pas nécessairement celles-là. Mme Bouchard aurait pris un autre poste dans le secteur Immigration, pas forcément celui de Mme Fleury et Lyn Fleury aurait pu contribuer à l’ensemble de ces travaux-là.

(Procureur de Mme Bouchard) Qu’est-ce que vous avez dit à ce moment-là à M. Baril?

(Mme Deronzier) Que l’on continuait de travailler dans le sens des travaux des chantiers entrepris et que pour moi, à ce moment-là c’était prématuré de faire des changements alors qu’on allait annoncer, le 26 novembre, des réorganisations importantes du ministère, que c’était prématuré de faire d’autres changements. »

[120]    Lorsque Mmes Deronzier et Poirier rencontreront Mme Bouchard, le 19 mai 2011, pour lui faire part des grandes lignes de ce que devait annoncer le communiqué du 6 juin suivant, elles lui apprendront que ce n’est pas à elle que le poste de directrice du CEFAHQ, classe 3, sera confié, mais plutôt à Mme Fleury.

[121]    À la question de savoir qui a pris la décision de pourvoir autrement le poste de directrice du CEFAHQ, Mme Deronzier répond que cela a été une décision consensuelle du BSM, de la sous-ministre en titre et des trois sous-ministres adjoints dont elle-même. Mme Bouchard n’était pas perçue comme l’agent de changement susceptible de conduire la suite des choses.

« La titularisation du poste de cadre de niveau 3 n’était pas un processus de reconnaissance du travail qui avait été effectué, mais elle était faite en fonction des besoins de l’organisation pour l’avenir et Mme Fleury était la personne identifiée comme pouvant mener à bien ces travaux-là. Mme Bouchard n’a pas été considérée comme agent de changement, ce qui était la principale qualité recherchée pour construire le consensus pour l’avenir. »

[122]    Mme Deronzier ne se rappelle pas de la date à laquelle a été prise la décision de nommer Mme Fleury. Par ailleurs, son acte de nomination comme directrice du CEFAHQ (P-30) a été signé le 14 juillet 2011, par le sous-ministre Baril, agissant alors par délégation de la sous-ministre en titre, selon une note indiquée près de sa signature. Il s’est agi pour Mme Fleury d’une promotion par rapport à son emploi précédent de directrice de l’immigration économique, classe 4, alors que son nom était déjà inscrit sur une liste de déclaration d’aptitudes pour occuper un emploi de classe 3.

[123]    Interrogée sur le fait qu’à partir de son talon de paye du 8 septembre 2011 (P-15), Mme Bouchard apprend qu’il lui est versé, rétroactivement, une prime de « remplacement temporaire de cadre » pour la période du 29 novembre 2010 au 6 juin 2011, Mme Deronzier l’explique ainsi : étant donné que Mme Bouchard avait quand même exécuté pendant six mois une bonne partie des tâches de l’emploi dont le niveau devait être rehaussé, Mme Poirier lui avait annoncé, lors de la rencontre du 19 mai 2011, qu’elle était en pourparlers avec la DRH pour lui obtenir « une certaine forme de rétribution » pour cette période.

[124]    Confrontée à la règle qui veut que pour payer une prime de remplacement sur un poste, il faut que ce dernier soit dépourvu de son titulaire, alors que ce n’était pas le cas en novembre 2010 puisque Mme Bouchard était toujours directrice du CEFAHQ à ce moment-là, Mme Deronzier en convient.

« Techniquement, dit-elle, le poste n’était pas de niveau 3. Ce n’est pas techniquement un vrai remplacement dans le sens conventionnel du terme. Mais on voulait reconnaître le travail qu’elle avait fait. C’est pour cela que Mme Poirier a suggéré cette avenue-là, à titre de rétribution compensatoire, et la DRH l’a acceptée. »

[125]    Par ailleurs, le 20 juin 2011, par un acte de nomination (P-40) signé par la sous-ministre en titre, le poste de chef du SAIC, de classe 5 et occupé par Mme Delvoye, change de titre pour chef du Service du traitement et de l’information et est pour sa part rehaussé à la classe 4.

[126]    Mme Deronzier explique que le processus de révision du classement de ce poste avait été interrompu en novembre 2010 par la sous-ministre en titre, en même temps que pour le poste de directrice du CEFAHQ dont il dépend. En mai 2011, la sous-ministre en titre a souhaité que le dossier soit réglé.

[127]    Quand il lui est demandé pourquoi Mme Delvoye s’est vue attribuer son poste rehaussé, alors que cela n’a pas été le cas pour Mme Bouchard, Mme Deronzier explique qu’il s’agit d’un service opérationnel d’accueil, de traitement et d’ouverture de dossiers, pour lequel il n’y avait aucun problème à y nommer Mme Delvoye, alors que l’emploi rehaussé de Mme Bouchard constituait un poste stratégique, orienté vers les nouvelles avenues que le MICC souhaitait emprunter.

[128]    Quant au poste de directrice des partenariats, Mme Deronzier résume ainsi le cheminement de sa création. Au moment de la restructuration de la DGM, on a regroupé des services à la clientèle et on est passé de quatre à deux SIQ. Or, dans chaque SIQ, il y avait des conseillers en relations partenariales, notamment pour assurer les liens entre les services d’immigration et ceux d’Emploi Québec. C’est ainsi que le regroupement des SIQ, qui a signifié une diminution du nombre de points de service, a par contre mené à la création d’une direction particulière de partenariats qui a regroupé notamment les conseillers.

[129]    Le communiqué de septembre 2010 annonçait la création de la Direction des partenariats pour le printemps suivant, ainsi que son attribution à Mme Kronström. Mais, aucun acte de sa nomination n’a pu être retrouvé et Mme Deronzier croit plutôt qu’il n’en existe pas.

[130]    Selon le questionnaire d’analyse de l’emploi de directrice des partenariats (E-8), ce poste est de classe 4 et compte 7 employés, dont 4 professionnels. Toutefois, bien que le poste apparaisse sur l’organigramme en vigueur le 20 juin 2011 (E-18), le seul document autorisant sa création (E-8) et déposé en preuve, avec la signature de la sous-ministre en titre, ne date pour sa part seulement que du 7 décembre 2011.

[131]    C’est dans un communiqué du 6 juin 2011 que sont annoncées les nominations à de nouvelles fonctions d’une quinzaine de personnes, dont celles de Mmes Bouchard, Delvoye, Poirier et Fleury. Quant à savoir à quel moment Mme Bouchard a pu être informée de ce communiqué, Mme Deronzier dit :

« Je crois que le 19 mai, on a dû l’informer qu’un communiqué serait émis dans les jours qui venaient, car c’est généralement la méthode du MICC pour annoncer des nominations. »

[132]    Lorsqu’il est suggéré à Mme Deronzier qu’en somme il y avait seulement Mme Bouchard dont le poste n’aurait pas été rehaussé dans le cadre de la réorganisation du secteur Intégration du MICC de juin 2011, elle répond par la négative et énumère les noms de six personnes apparaissant dans le communiqué du 6 du même mois et pour lesquelles les nouvelles fonctions qui leur étaient attribuées ne comportaient pas un rehaussement de leur niveau d’emploi.

[133]    Enfin, relativement au déroulement comme tel de la rencontre du 19 mai 2011 avec Mme Bouchard, à laquelle participait également Mme Poirier, Mme Deronzier pense qu’elle a duré entre 30 et 45 minutes. Elle et Mme Poirier lui ont expliqué les qualités qu’elles avaient constatées et les résultats atteints dans son mandat, de ce qu’elle avait réalisé avec les employés de l’équipe du CEFAHQ comme révision et comme restructuration des processus du centre. Mais, il ne s’agissait pas tant de reconnaître ce qui avait été effectué dans ses fonctions que de se tourner vers l’avenir pour lequel le MICC recherchait quelqu’un qui possédait d’autres qualités de gestion du changement.

[134]    Il ne lui a pas été remis d’écrit et pas davantage de description de tâches du poste qu’on considérait dans son champ de compétence et qui allait être disponible.

[135]    Mme Bouchard a été surprise et a demandé un temps d’arrêt en disant qu’elle n’était pas capable d’aller plus loin dans la poursuite de la réunion et qu’elle allait réfléchir. Appelée à expliquer de quels autres sujets il aurait été question pour aller plus loin dans la rencontre, Mme Deronzier indique :

« Il y avait le sujet du poste qu’on lui proposait aux partenariats. Cela a été mentionné, pas discuté à fond. »

[136]    Comme Mme Bouchard était en congé de maladie depuis fin mai, c’est Mme Poirier qui a été désignée, le 25 août 2011, pour occuper par intérim (E-16) le poste de directrice des partenariats, annoncé dans le communiqué du 6 juin pour être celui de Mme Bouchard. Le formulaire indique le 31 décembre 2011 comme date de fin de l’intérim. Et Mme Deronzier ne peut répondre sur ce qui s’est passé après, elle-même ayant déjà quitté le MICC entre-temps.

Les événements vus par Mme Bouchard

[137]    Le récit de Mme Bouchard des événements qui se sont déroulés depuis sa rencontre avec Mme Deronzier, en décembre 2008, quand le poste de directrice du CEFAHQ lui est offert, jusqu’à plus ou moins septembre 2010, correspond sensiblement à ce qu’en ont dit les témoignages déjà rapportés. Mme Bouchard apporte cependant des précisions sur certains d’entre eux.

[138]    Mme Bouchard mentionne qu’il leur avait également été dit, vers la fin de l’hiver 2010, à elle et Mme Delvoye, qu’il était important qu’elles réussissent les concours de promotion pour d’éventuels postes de cadre, classe 3 et classe 4. Elle-même était inscrite déjà à un concours de classe 3 au MICC (P-33, page 15) et Mme Delvoye s’est inscrite au concours interministériel de promotion pour des emplois de cadre, classe 4, concours qu’elles ont réussis. C’était important, car la démarche d’aller chercher quelqu’un dont le nom serait déjà inscrit sur une liste de déclaration d’aptitudes était moins compliquée que celle de passer par le processus d’une promotion sans concours. Ainsi, il n’était pas question pour elle d’être en compétition avec qui que ce soit pour le poste de directrice du CEFAHQ dont le classement serait rehaussé.

[139]    Mme Bouchard se rappelle qu’en septembre 2010, lors de l’une des rencontres statutaires qu’elles avaient avec M. Lafrance, celui-ci les a informées que Mme Deronzier avait rencontré la sous-ministre en titre au sujet de leurs descriptions d’emploi et de leur titularisation, que cette dernière avait donné son accord, mais qu’il faudrait qu’elles soient patientes, car le tout ne devait se concrétiser qu’au moment d’une réorganisation administrative prévue pour la fin de l’automne.

[140]    Il leur avait aussi précisé qu’il devait clarifier sa propre situation avec Mme Deronzier, car, comme cadre, classe 3, il ne pouvait pas diriger un autre cadre de même niveau; alors soit qu’il lui serait confié des tâches de classe 2 ou soit que l’on détacherait le CEFAHQ de la DIP.

[141]    Par la suite, de temps à autre, M. Lafrance leur mentionnait qu’il n’y avait pas de changement, que tout allait bien.

[142]    Toutefois, vers la mi-novembre, il l’informe, par téléphone, que la réorganisation administrative attendue sera annoncée dans les prochaines semaines et que leurs promotions n’y seront pas prévues. Il lui précise que la sous-ministre en titre les a bloquées à la suite d’informations que lui ont transmises M. Baril, sous-ministre adjoint à l’Immigration et M. Yvan Turcotte, sous-ministre adjoint à la Francisation, performance, partenariats et promotion, voulant qu’elle n’offrait pas la collaboration adéquate, « que j’avais les pieds sur les freins pour le PDSI ».

[143]    Mme Bouchard s’est dite très surprise puisqu’elle n’avait jamais travaillé avec MM. Baril et Turcotte, et qu’elle ne travaillait pas davantage avec Mme Guertin, la responsable du PDSI. C’était une consultante en processus, d’une firme externe, Mme Dominique Coulombe, qui la rencontrait principalement. À une occasion, elle avait rencontré deux professionnels de la DACQ, dirigée par Mme Guertin, soit M. Frédéric Marolleau et Mme Isabelle Langlais.

[144]    Mme Bouchard raconte que depuis septembre, elle travaillait avec Mme Coulombe qui arrivait avec des documents déjà élaborés et pour validation immédiate. Elle se rappelle bien avoir indiqué qu’elle ne comprenait pas pourquoi on envisageait un nettoyage de la banque de données, alors qu’il était question en même temps d’un projet de modernisation du CEFAHQ et que celui-ci avait à tenir compte de plusieurs travaux avec des organismes de réglementation.

[145]    Mme Bouchard et son adjoint au CEFAHQ avaient expliqué qu’il leur était difficile de réagir à froid sur un document qui leur était présenté pour la première fois, d’autant plus qu’ils ne comprenaient pas l’ordonnancement prévu des biens livrables.

[146]    De plus, ils avaient souligné, qu’à la suite d’une rencontre de la DIP avec le ministère de la Santé et des Services sociaux, l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec et les centres universitaires, il était évalué une proposition qui pouvait venir modifier considérablement la façon d’alimenter la base de données.

[147]    En septembre et octobre, le CEFAHQ n’était pas encore en mesure de comprendre dans quelle direction le MICC voulait aller et Mme Bouchard et son adjoint posaient encore des questions à Mme Coulombe.

[148]    Ce n’est que le 21 octobre, plus ou au moins deux mois après avoir posé ses questions, que le CEFAHQ a appris, lors d’une rencontre avec Mme Coulombe accompagnée des deux professionnels de la DACQ, le pourquoi de la nécessité du nettoyage de la base de données comme premier bien livrable, soit en vue de l’implantation en ligne des demandes de sélection.

[149]    À cette époque, le MICC travaillait pour informatiser le plus possible les demandes à traiter. On avait déjà implanté un tel système pour les étudiants étrangers et on voulait faire de même pour les travailleurs qualifiés. Il était souhaité qu’au moment où ces émigrants allaient entrer en ligne leur formation, le système permette d’atteindre la base de données et de constater à quoi se comparaient leurs diplômes.

[150]    Mme Bouchard insiste pour dire que son équipe n’avait pas les « pieds sur les freins », mais qu’il y avait un problème de communication d’informations qui ne leur étaient transmises qu’au compte-gouttes.

[151]    Par ailleurs, dans les documents fournis par Mme Coulombe, il y avait toujours un scénario d’élaboré. Toutefois, lorsque Mme Bouchard contactait son supérieur, M. Lafrance, ce qu’elle dit avoir fait à plusieurs reprises entre septembre et novembre, pour savoir si la décision avait été prise, au sujet des demandes de premier niveau et de l’authentification des documents scolaires, M. Lafrance lui répondait qu’il avait vérifié auprès de Mme Deronzier, que ce n’était pas le cas et qu’il fallait inclure d’autres scénarios.

[152]    Après l’appel téléphonique de M. Lafrance de la mi-novembre qui lui avait fait part de l’attitude perçue du CEFAHQ, Mme Bouchard mentionne qu’en aucun temps il ne lui a été demandé sa version des faits ou que des faits concrets lui ont été exposés et elle conclut qu’on avait mal interprété ses interventions.

[153]    C’est le 26 novembre 2010, qu’elle a été informée officiellement de la nouvelle réorganisation administrative. Elle en a pris connaissance dans un courriel (P-18), ce vendredi après-midi-là, peu avant la fête de Noël du bureau. Étrangement, le lundi suivant, lorsqu’elle a cherché à imprimer le document, il est apparu à l’écran, avec le même contenu (E-13), sauf en plus la mention en surtitre « Communiqué interne » et la date du 28 octobre 2010.

[154]    L’événement suivant qu’elle retient est la visite, le 3 décembre au matin, de Mme Deronzier, accompagnée de Mme Poirier qui venait de prendre en charge la DGM, dont allait relever le CEFAHQ. Elles s’étaient déplacées, au bureau du CEFAHQ de la rue Crémazie, pour venir les rencontrer, elle et Mme Delvoye, pour les rassurer. La rencontre a duré plus ou moins deux heures.

[155]    Mmes Deronzier et Poirier leur ont dit que ce n’était pas terminé quant à leurs promotions, qu’il fallait attendre le bon moment et éviter que la décision de la sous-ministre en titre ne se « cristallise », « c’est bien le mot qu’elle [Mme Deronzier] a employé » de préciser Mme Bouchard. On disait comprendre que l’automne avait été difficile, qu’elles avaient travaillé très fort, que leurs interventions avaient été mal interprétées par l’équipe du PDSI et celle de l’authentification des documents et qu’on gardait pleine confiance en elles. De plus, on les a informées que M. Lafrance demeurerait quelque temps avec le CEFAHQ, jusqu’à la fin de janvier 2011, en cogestion avec Mme Poirier, afin d’aider à rétablir les ponts avec l’équipe du PDSI. Un peu plus loin dans son témoignage, Mme Bouchard dira, qu’à l’occasion de cette rencontre, elle a demandé de pouvoir bénéficier des services d’un « coach » pour l’aider à « se rebâtir » après les événements difficiles survenus en novembre.

[156]    Trois semaines plus tard, le 21 décembre, se tient une rencontre, convoquée par Mme Poirier à la demande de Mme Deronzier, dans cet esprit de rétablir les ponts comme en témoignera cette dernière. Y participent 11 personnes dont notamment Mmes Bouchard et Poirier, M. Lafrance, M. Younes Mihoubi, secrétaire général du MICC et responsable par intérim du service de la sécurité, des enquêtes et du registrariat des consultants en immigration, Mme Nathalie Provost, de la DGP, et également directrice par intérim de la Planification.

[157]    Selon son compte rendu (P-41), l’objectif de la rencontre était de discuter des mandats du CEFAHQ en lien avec les travaux du PDSI, de clarifier certaines situations. Il y est rapporté entre autres que le CEFAHQ adhère aux principes d’architecture d’affaires, qu’il y a nécessité d’échanger sur la vision d’affaires de la DACQ dirigée par Mme Guertin, qu’il faut « travailler à la façon de mettre l’expertise du CEFAHQ au service des processus ministériels, y compris en sélection. On y convient également "que la base de données (ci-après la 'BD')" doit être épurée et partagée par le CEFAHQ avant la refonte des processus du CEFAHQ et des autres processus du Ministère qui auront recours à la BD », tout en notant que les travaux sur celle-ci se déroulent bien. On note aussi qu’une autre rencontre, que convoquera cette fois-là Mme Provost, devrait se tenir le 14 janvier afin de discuter du processus d’authentification des documents.

[158]    À propos de cette autre rencontre, à laquelle participaient des représentants du service de la Sécurité, du secteur Immigration, ainsi que Mmes Bouchard et Poirier et M. Lafrance pour la Direction de l’intégration, Mme Bouchard rapporte qu’on y avait discuté de la vision d’affaires préparée par un consultant, M. Desjardins. Le début de la rencontre avait été un peu difficile, les gestionnaires ayant critiqué la façon dont les travaux avaient été réalisés, au point que Mme Provost avait dû reconnaître que « si c’était à refaire, elle ferait différemment ». Pour Mme Bouchard, cet événement est venu confirmer ce qu’elle soutenait soit que le CEFAHQ, en novembre précédent, était prêt à travailler en équipe et pas seulement être informé ou consulté sur les travaux concernant l’authentification des documents.

[159]    Peu après le 14 janvier, Mme Bouchard a eu l’occasion de reparler de sa demande d’un coach à Mme Poirier. il n’y avait rien d’entrepris dans ce dossier et Mme Bouchard se rappelle avoir dit qu’elle croyait que quelqu’un de l’École nationale d’administration publique (ÉNAP) pourrait peut-être être disposé à l’accompagner et Mme Poirier l’a autorisée à entreprendre elle-même les démarches.

[160]    Vers la mi-février, Mme Poirier a convoqué Mme Bouchard, aux bureaux du MICC de la rue McGill, sans l’aviser de l’objet de la rencontre qui s’est avéré l’occasion de remontrances eu égard à la participation de Mme Bouchard aux rencontres de travail des 21 décembre et 14 janvier.

« Mme Poirier me reproche sur le champ de ne pas participer activement aux rencontres, de ne pas parler. »

[161]    Elle a été, dit-elle, d’autant plus offusquée de cette remarque que tant Mme Deronzier et elle-même, Mme Poirier, lui avaient dit, avant la rencontre de décembre, de demeurer plus discrète, « low profile » image-t-elle, avec les personnes qui lui faisaient des reproches. Puis avant la réunion du 14 janvier, Mme Poirier et M. Lafrance lui avaient répété dans le même sens de « les laisser aller » et comme ils avaient déjà pris note des commentaires qu’elle avait à apporter, ils les donneraient eux-mêmes.

[162]    Au cours de la même rencontre de février, Mme Poirier lui suggère d’aller manger avec Mme Guertin, également coordonnatrice du PDSI, et que celle-ci changerait peut-être sa façon de penser à son égard. Mme Bouchard dit avoir fait la remarque qu’elle n’était pas en mauvais termes avec Mme Guertin, que la plupart du temps c’était avec les consultants ou des professionnels de son équipe qu’elle avait eu l’occasion de travailler et enfin que les occasions au cours desquelles elle avait pu la rencontrer, M. Lafrance ou Mme Poirier était également présent.

[163]    Puis cet échange avec Mme Poirier s’est dégradé. Celle-ci lui a dit qu’elle venait de « frapper son Waterloo » et qu’elle devrait se chercher un emploi ailleurs.

« Elle a dit que cela lui était déjà arrivé dans un autre ministère une situation comme celle-là et que, elle, c’est ce qu’elle a fait. »

[164]    Mme Bouchard mentionne avoir répliqué qu’elle s’était beaucoup investie depuis son arrivée au MICC en  2002, que son nom était déjà sur des listes de déclarations d’aptitudes ministérielles, que sa réputation avait été jusque-là excellente au MICC et qu’elle ne voyait pas pourquoi elle devrait recommencer à zéro pour se faire connaître dans un autre ministère. Ce à quoi Mme Poirier aurait répliqué que, pour sa part, elle ne laisserait pas sa carrière ou sa santé dans ce conflit-là.

[165]    Mme Bouchard dit avoir beaucoup pleuré lors de cet échange. La rencontre s’est finalement terminée avec sa demande à Mme Poirier de l’informer dorénavant de l’objet du rendez-vous qu’elle lui donnait afin qu’elle puisse, elle aussi, s’y préparer, ayant remarqué que Mme Poirier, durant l’entrevue, référait souvent à un document qu’elle avait devant elle.

[166]    Mme Bouchard ne se souvient pas de la durée de cette rencontre, mais elle est certaine qu’aucun écrit ne lui a été remis.

[167]    Le 11 mars, elle a fait un suivi, par courriel (P-10), à Mme Poirier relativement à sa demande d’obtenir les services d’un « coach », en suggérant le nom d’une autre personne que celle initialement envisagée. Elle souhaite alors pouvoir aller assister à une conférence que cette personne donne, le 29 avril, sur le thème de L’art de surfer sur le changement. Le 6 avril, Mme Poirier lui dit qu’elle peut s’inscrire. Toutefois, le projet de « coaching » avec cette personne tourne court car celle-ci n’en fait dorénavant que pour des groupes et non en individuel.

[168]    Le 6 mai 2011, Mme Bouchard transmet à Mme Poirier, par courriel (P-42) son projet d’évaluation pour la période 2010-2011 préparé en fonction des attentes qui leur avaient été signifiées par M. Lafrance en juillet 2010. Il est de coutume au MICC, dit-elle, que chaque personne fasse son propre bilan et le supérieur immédiat ajoute ses commentaires.

[169]    Quelque temps après, la secrétaire de Mme Poirier la convoque à une rencontre, le 19 mai, aux bureaux du MICC, rue McGill, à laquelle Mme Deronzier va participer. Puisque l’objet n’est pas précisé, elle demande à sa secrétaire de s’en informer et la fiche de rencontre que celle-ci lui remet indique que c’est pour son évaluation de rendement et que la durée prévue est de 45 minutes. 

[170]    Mme Bouchard dit s’y être rendue en métro; elle est partie de la rue Crémazie aux environs de 15 h 20, est arrivée à la station Square Victoria à 15 h 40 et s’est rendue au MICC à pied où elle estime être parvenue dix minutes plus tard. Tous ces détails pour dire que finalement la rencontre a duré plutôt une dizaine de minutes, car son billet de métro de retour est estampillé à 16 h 21.

[171]    La rencontre s’enclenche avec une intervention de Mme Poirier qui lit un document. Elle dit à Mme Bouchard avoir pris connaissance de son projet d’évaluation, que son évaluation de rendement était excellente, mais que ce n’était pas de cela dont elles allaient parler. Par ailleurs, même si Mme Deronzier et elle-même n’avaient pas vécu cela, on continuait au ministère à lui faire des reproches quant à ses communications interpersonnelles et que la sous-ministre en titre avait cristallisé sa décision à son égard : elle ne voulait pas qu’elle soit nommée directrice du CEFAHQ sur le poste qui allait passer de la classe 4 à la classe 3.

[172]    En contre-interrogatoire, Mme Bouchard précisera qu’on lui avait dit qu’on « n’avait pas l’intention de me le confier ».

[173]    Mme Bouchard dit avoir réagi en disant que c’était « toute une claque en pleine face », surtout après tout le travail qu’elle avait réalisé.

[174]    Aucun écrit ne lui est remis, mais on lui dit qu’il va falloir lui trouver un autre poste et on lui parle de celui de directrice des partenariats qu’elle ne connaît pas autrement qu’en avoir entendu parler en septembre 2010, sans n’avoir jamais vu quelque gestionnaire l’occuper.

[175]    Elle mentionne avoir dit que ce poste-là ne l’intéressait pas, ce à quoi il lui a été répondu qu’il pourrait y en avoir un autre, sans préciser lequel, au secteur Immigration, dirigé par M. Baril.

[176]    Mme Bouchard rapporte avoir indiqué qu’elle trouvait la décision injuste et qu’elle demandait de pouvoir prendre du recul, ce à quoi Mme Poirier a acquiescé en lui disant de prendre sa journée du lendemain, le vendredi, pour réfléchir.

[177]    Mme Poirier lui indique qu’elle est consciente qu’elle soit surprise de ne pas avoir été informée du bon motif de la rencontre, elle s’en excuse et mentionne que c’est la dernière fois qu’elle fait cela. Elle lui dit aussi qu’elle a travaillé fort et qu’elle va avoir un dédommagement. C’est d’un commun accord qu’il a été mis fin à la rencontre.

[178]    Mme Bouchard raconte qu’étant en état de choc, elle n’a pas posé de questions, ayant seulement en tête de retourner prendre le métro pour rentrer chez elle. À compter de ce jour-là, elle n’est jamais retournée travailler.

[179]    Lorsque son procureur lui présente copie du communiqué du MICC, daté du 6 juin 2011 (P-19), annonçant d’une part, que la direction du CEFAHQ est confiée à Mme Lyn Fleury et d’autre part, que la Direction des partenariats ce même jour est confiée à Mme Bouchard, celle-ci affirme qu’elle ne l’a jamais reçu.

[180]    Elle précise que par le passé, dans des circonstances d’attribution de nouvelles fonctions, elle recevait une lettre et un acte de titularisation. Ainsi, en février 2009, lorsque la direction du CEFAHQ lui a été confiée, un acte d’affectation (E-2), lui a été remis.

[181]    Dans ce cas-ci, et même en juin 2012, au moment où elle témoigne, elle n’a encore jamais reçu de confirmation écrite d’attribution d’un poste différent de celui de directrice du CEFAHQ, aucune lettre ou formulaire du type habituel.

[182]    Pendant son arrêt de travail, au cours de la fin du printemps et de l’été 2011, Mme Bouchard a eu quand même quelques contacts avec le MICC. D’abord, vers la fin mai ou le début de juin, elle a pris connaissance, à partir de son domicile, d’un courriel (E-4) de Mme Poirier qui, le 31 mai, lui avait fait parvenir une description d’emploi du poste de directrice des partenariats. Mme Bouchard lui avait demandé cette description lors de la rencontre du 19 précédent, peu avant de quitter et au moment où elle avait mentionné qu’elle voulait réfléchir.

[183]    Elle a constaté que la description d’emploi était datée du 22 mars, n’était pas signée, ne comportait pas de niveau d’emploi, classe 3 ou 4, indiquait un effectif de huit personnes dont aucun cadre et ne comportait enfin aucune indication du budget de cette unité. Comparée à la description du même emploi, cette fois dûment autorisée (E-8) par la sous-ministre en titre, mais que le 7 décembre 2011, et qui avait été rédigée en juillet, il est possible de constater que l’effectif a été réduit, six mois après la version fournie à Mme Bouchard le 31 mai, à sept personnes.

[184]    Au cours de la première semaine de juin, Mme Bouchard dit avoir téléphoné à Mme Poirier pour connaître le niveau de cet emploi. Celle-ci lui a répondu que c’était un emploi de cadre, classe 4, mais que cela pourrait changer. À son retour au travail, les services d’un coach de la firme Maletto seraient retenus pour établir un plan d’action afin d’améliorer ses communications interpersonnelles et, après trois mois, si cela allait bien, on pourrait réévaluer le poste pour un niveau 3.

[185]    Mme Bouchard mentionne avoir refusé cette approche en soulignant à Mme Poirier que c’était « encore une façon de me faire courir après une carotte ».

[186]    Elle nie que Mme Poirier lui aurait confirmé par ailleurs sa nomination à titre de directrice des partenariats lors d’un échange téléphonique du 6 juin.

[187]    En contre-interrogatoire, Mme Bouchard va reconnaître qu’elle avait à l’occasion consulté à distance des courriels du bureau par exemple celui du 31 mai auquel était jointe la description de l’emploi de directrice des partenariats.

[188]    Quant au communiqué du 6 juin (E-14), annonçant la réorganisation administrative prévoyant que le CEFAHQ serait confié à Mme Fleury, Mme Bouchard maintient qu’elle n’en a pris connaissance qu’au moment où il a été déposé en preuve par le MICC à l’audience. Elle reconnaît qu’habituellement tous les communiqués du MICC sont transmis aux gestionnaires par courriel, mais elle affirme qu’à la maison elle prenait connaissance seulement de ceux pour lesquels elle attendait une réponse.

[189]    Par exemple, le 28 juillet, Mme Bouchard a adressé un courriel (E-5) à Mme Poirier pour s’enquérir de l’annonce qui lui avait été faite le 19 mai relativement à l’attribution d’une compensation pour le travail effectué depuis novembre 2010. Elle y précisait ce qui suit :

« Lors de la rencontre du 19 mai dernier, j’ai été informée qu’une rétroactivité me serait versée couvrant la période débutant en novembre et se terminant à la fin de l’exercice du poste au CEFAHQ.

Ce montant ne m’a pas été versé à ce jour. Est-ce que la demande a déjà été transmise à la DRH ou pourra-t-elle l’être sous peu? »

[190]    Étant toujours sans réponse le 22 août, elle envoie un second courriel à Mme Poirier lui demandant de prendre connaissance du premier. Le même jour, Mme Poirier lui répond qu’elle vient juste de faire une demande de désignation « pour la période dite ».

[191]    À propos de ces courriels du mois d’août 2011, Mme Bouchard explique, en contre-interrogatoire, qu’elle les avait envoyés à Mme Poirier parce qu’elle n’avait pas eu d’autres nouvelles depuis fin mai, début juin et qu’elle n’avait rien reçu, le tout lui faisant encore avoir espoir qu’il n’y avait rien qui était définitivement réglé.

[192]    Or, sur le talon de sa paye du 8 septembre 2011 (P-15) qu’elle reçoit dans son casier postal le 14 du même mois, apparaît une indication qu’il lui est versé un montant pour un remplacement temporaire d’un cadre, pour un poste non précisé, qu’elle aurait effectué pour la période s’étendant du 29 novembre 2010 au 9 juin 2011.

[193]    Ce n’est qu’à l’audience qu’elle prend connaissance d’un document (E-6) afférent à ce mouvement lorsqu’il est déposé en preuve par le MICC. On peut y lire, sous la signature de Mme Poirier en date du 18 août 2011 :

« Je désigne Françoise Bouchard à l’emploi identifié pour la période déterminée et autorise le versement du taux de traitement afférent. »

[194]    L’emploi identifié sur le formulaire est celui de directrice du CEFAHQ, avec la mention classe 3. L’entête de ce formulaire indique qu’il peut servir pour une désignation soit à titre provisoire, soit d’un remplacement temporaire, ou encore pour un emploi de complexité supérieure ou un emploi de chef d’équipe. La case cochée montre qu’il s’agit d’une désignation à titre provisoire. De plus, il est précisé dans la case « Motifs » que le poste est vacant. Enfin, le numéro de l’emploi concerné est le même que celui de directrice du CEFAHQ qui apparaissait sur l’acte d’affectation par lequel Mme Bouchard a été titularisée sur ce poste en février 2009.

[195]    Enfin, en octobre ou novembre 2011, Mme Bouchard dit s’être rendue pour chercher des documents à l’adresse de la Direction des partenariats, rue Bleury, à Montréal. Une adjointe de Mme Poirier l’a dirigée vers le bureau qui lui était réservé et dans lequel avaient déjà été déménagées les boîtes de ses effets personnels en provenance de son bureau antérieur. Le local était situé tout près de l’accueil et elle avait à traverser un grand espace pour atteindre celui où travaillaient les employés de la direction qu’on entendait lui confier.

[196]    Mme Bouchard, qui n’a jamais reçu d’acte de titularisation pour cet emploi, n’a jamais effectué l’une ou l’autre de ses tâches.

À propos de l’état de santé de Mme Bouchard à compter de mai 2011

[197]    En complément d’interrogatoire principal, Mme Bouchard décrit l’impact qu’a produit chez elle l’annonce, le 19 mai 2011, que son emploi de directrice du CEFAHQ serait réévalué à un niveau de cadre, classe 3, mais qu’elle n’y serait pas désignée.

[198]    À compter de ce moment, elle s’est mise à avoir des nausées, à ressentir beaucoup de fatigue, à pleurer beaucoup, à manger peu, à avoir des épisodes d’étourdissement. Elle n’arrivait pas à lire un livre en continu et s’il s’agissait d’un article de journal, elle devait souvent en recommencer la lecture par incapacité de se concentrer.

[199]    Elle s’est mise à devoir prendre des antidépresseurs et d’autres médicaments pour combattre son anxiété et réussir à dormir. Elle commente son état éveillé en ces termes :

« Comme dans une bulle. Je voyais les gens intervenir et je pouvais leur parler. Mais si on me demandait ce que je venais de dire, je ne le savais même pas. Cette impression d’une situation de voir le monde à travers une vitre, je l’ai eue jusqu’au printemps 2012. »

[200]    Au quotidien, c’est son conjoint qui a dû prendre en charge la maison. Elle perdait des factures ou oubliait de les régler, ce qui l’a amenée à devoir payer souvent des intérêts.

[201]    Sa fête d’anniversaire, en juillet, a dû être reportée à deux occasions pour finalement pouvoir être soulignée seulement en octobre, au moment où elle s’est mise à sentir un peu de mieux.

[202]    Appelée à préciser, en contre-interrogatoire, le pourquoi de son état de choc, Mme Bouchard mentionne en premier lieu la non-reconnaissance du travail effectué pour le ministère. De plus, elle ajoute :

« C’était la première fois qu’on me reprochait que mes communications interpersonnelles étaient inadéquates. J’avais toujours eu un bon dossier de rendement depuis 1982 jusqu’à ce moment-là. »

[203]    Lorsque la procureure du MICC lui suggère qu’elle savait, en quittant la réunion, qu’elle n’avait pas eu le poste, Mme Bouchard répond que pour elle, à partir du moment où elle avait demandé du temps pour réfléchir, ce n’était pas terminé.

[204]    La nuit suivante, elle a pleuré et n’a pas dormi, dit-elle. Elle s’est rendue au cours de la journée du 20 mai 2011 rencontrer la Dre Marie-France Giron qui lui a prescrit un arrêt de travail de deux semaines et l’a référé à un psychologue. Un peu plus tard, il lui a été diagnostiqué une dépression et prescrit une médication.

[205]    Confrontée à des notes (E-20) prises par la Dre Giron le 20 mai, Mme Bouchard dit que ce n’est pas nécessairement comme cela qu’elle l’avait dit.

[206]    Il est écrit entre autres :

« […] elle n’a pas eu de promotion et elle sera déplacée dans une unité où le défi est moindre. Elle est tablettée et elle sera en contact avec celle qui aura la promotion qu’elle souhaitait. […] Pour elle, ce poste est considéré comme une démotion. Ce sera une équipe de 12 employés au lieu de 60 qu’elle avait. »

[207]    Quant à Mme Bouchard, elle dit avoir raconté qu’elle avait un poste dont le niveau allait être rehaussé et qu’on ne voulait pas lui donner la promotion promise.

[208]    La Commission note que la Dre Giron n’a pas été appelée à témoigner ni à préciser par écrit ses notes.

[209]    À partir du 14 juillet, Mme Bouchard a été suivie médicalement par la Dre Suzanne Allaire, qui n’a pas été appelée à témoigner elle non plus, mais qui a rédigé, en date du 16 mai 2012, un rapport (P-1) de six pages reçu en preuve.

[210]    La section synthèse du rapport souligne que dès les premières visites, il était clair que la patiente souffrait d’une « dépression majeure assez sévère, qu’elle était peu fonctionnelle et incapable de prendre des décisions importantes. » Pour ce médecin qui l’a rencontrée à 12 reprises du 14 juillet 2011 au 14 février 2012, l’état de santé de Mme Bouchard s’est amélioré graduellement suffisamment, entre novembre et février, pour être capable de prendre de telles décisions. La conclusion du rapport est qu’à « partir de la fin mai 2011 et certainement jusqu’à novembre 2011, Mme […] était donc dans un état psychologique qui l’empêchait de prendre des décisions importantes pour sa vie. »

[211]    Au cours de l’été 2011, Mme Bouchard a rencontré par ailleurs sa psychologue une fois par semaine. Dans le même temps, sa médication a été modifiée, ajustée à la hausse à quelques reprises par la Dre Allaire. La conduite automobile, qui lui avait été d’abord interdite par la Dre Giron le 15 juin (P-43), lui a été autorisée de nouveau par la Dre Allaire à compter du 25 juillet (E-21).

[212]    Par ailleurs, la Dre Alice Turcot, médecin spécialiste en médecine du travail, a témoigné à titre d’experte dans ce dossier pour Mme Bouchard. Elle a rencontré celle-ci le 5 juillet 2012, soit deux jours seulement avant d’être entendue en audience à l’occasion de laquelle elle a produit un rapport (P-44) de son entrevue avec la patiente.

[213]    Selon la Dre Turcot, la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) a reconnu la spécialité médecine du travail récemment. Une trentaine de médecins ont été transférés de la Fédération des omnipraticiens à la FMSQ. Quant à elle, elle pratique en ce domaine depuis 1990 et sa spécialité est aussi reconnue par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada dont elle avait passé les examens à l’époque. Enfin, d’après la Dre Turcot, les questions de santé mentale font partie des problèmes que traitent les médecins en santé du travail.

[214]    Tout en disant ne pas avoir de difficultés avec la reconnaissance que la Dre Turcot est experte en médecine du travail, la procureure du MICC s’est objectée à ce que les faits inscrits dans le rapport fassent preuve de leur contenu. Pour elle, lorsque la Dre Turcot témoigne à titre d’experte, elle doit témoigner à partir de son expertise médicale. Et s’il y a des éléments factuels dans son rapport qui n’ont pas été mis en preuve, la Commission ne devrait pas en tenir compte.

[215]    Le procureur de Mme Bouchard estime quant à lui que la Dre Turcot, bien que son examen clinique de sa patiente n’ait pas été contemporain à la période de mai à octobre 2011, peut expliquer la force probante des examens qui ont été faits à l’époque, témoigner sur les notes cliniques et sur le diagnostic établis par les autres médecins, et ce, pour instruire la Commission concernant l’état d’esprit dans lequel se trouvait alors Mme Bouchard.

[216]    Après avoir pris l’objection et reçu le rapport sous réserve, ainsi qu’entendu la Dre Turcot, la Commission note que l’essentiel de son témoignage a porté sur ses propres observations de Mme Bouchard, mais à la lumière des documents rédigés par les médecins qui ont traité cette dernière en 2011 et dont elle avait pu prendre connaissance au préalable. En plus des notes manuscrites de la Dre Giron et celles dactylographiées de la Dre Allaire qui lui avaient été remises, elle avait eu copie de l’ensemble de la médication qui avait été prescrite à Mme Bouchard et finalement copie également des notes manuscrites du psychologue qui l’a rencontrée du 2 juin 2011 au 13 juin 2012.

[217]    Dans ce contexte, la Commission accepte le témoignage de la Dre Turcot, dont certains propos sont rapportés plus loin. De son rapport écrit, la Commission ne retient aucun des faits relatés pour avérés d’après leur énoncé dans ce document, s’en remettant plutôt à cet égard à la preuve fournie autrement à l’audience par les différents acteurs concernés, soit sous la forme de témoignages ou, en ce qui concerne les Dres Giron et Allaire, d’après les copies de leurs notes médicales déposées par l’une ou l’autre des parties. Par ailleurs, la Commission accepte, comme témoignage d’expert la conclusion que la Dre Turcot tire de ses observations personnelles de la patiente et de sa consultation des notes médicales des Dres Giron et Allaire, conclusion ainsi énoncée :

« La détresse psychologique de madame est importante, elle entraîne une période prolongée d’invalidité où le fonctionnement psychologique, social et familial de madame Bouchard est altéré. C’est pourquoi le résultat à l’échelle d’évaluation globale de fonctionnement EGF est si bas, qu’il se chiffre à 45 sur une échelle de 100 en juin 2011, et qu’il s’améliore lentement, pour augmenter à 67 en janvier 2012. Avec un résultat de 45, il n’est pas surprenant de constater l’impact majeur sur le fonctionnement de madame Bouchard qui se décrit, à cette époque, comme "emprisonnée dans une bulle", incapable de prendre des décisions, incapable de se concentrer, sans sommeil réparateur, se sentant injustement traitée par son employeur et qu’on avait "détruit sa réputation gratuitement" et incapable de vaquer à ses activités quotidiennes. »

[218]    En contre-interrogatoire, la procureure du MICC a cherché à savoir s’il était exact que parfois ou souvent une personne en dépression pouvait vaquer à ses obligations, pas nécessairement professionnelles, mais ses affaires courantes.

« C’est exact de dire que la majorité des personnes en détresse, en dépression, ne sont pas déclarées inaptes pour autant et vaquent à leurs affaires personnelles malgré tout? »

[219]    Et la Dre Turcot de répondre :

« La médecine, ce n’est pas comme cela Maître. Une personne en dépression majeure, sous médication, qui va s’asseoir une fois par semaine pour verbaliser, s’exprimer, sortir de cet état de perte de motivation, de concentration, est incapable de prendre des décisions et il faut faire attention de ne pas mettre entre les mains de ces gens-là, par exemple, pas faire signer un changement d’hypothèque, pas de changement majeur dans leur vie, pas acheter une voiture. On essaie de redonner au cerveau par médication la dopamine, la sérotonine qui lui manque pour trouver la vie belle. »

La perspective de Mme Poirier

[220]    Mme Poirier travaille dans la fonction publique depuis 1999 et au MICC depuis 2000 où elle est devenue gestionnaire l’année suivante. Au moment de son témoignage, en juillet 2012, elle est directrice générale, secteur des opérations régionales, depuis environ deux mois, dans des fonctions différentes de celles qu’elle occupait au moment des événements relatés dans ce dossier, et ce, à la suite d’une nouvelle restructuration. Le secteur Intégration que dirigeait la sous-ministre adjointe, Mme Deronzier, a été remplacé par deux directions générales, incluant celle dont elle a maintenant la charge : elle est responsable de toutes les opérations sur le territoire du Québec et par la même occasion, le CEFAHQ a été restructuré une nouvelle fois, ce qu’elle n’explique pas davantage.

[221]    À l’automne 2010, lorsqu’elle est nommée responsable de la DGM, Mme Poirier dit qu’elle n’avait pas déjà eu affaire à Mme Bouchard ou avec le CEFAHQ. Elle mentionne qu’on lui avait alors donné comme mandat de faire jouer au CEFAHQ son rôle dans la transformation ministérielle en cours. Du fait que Mme Bouchard n’avait pas eu la promotion qu’elle souhaitait, on lui avait dit « qu’on voulait justement lui accorder une nouvelle chance d’avoir cette promotion-là. « lui donner l’opportunité de répondre davantage aux attentes ministérielles ».

« Ce que j’ai compris lorsque j’ai eu ces responsabilités-là, parce que je ne connaissais rien, je n’avais pas été mêlée à cela, c’est qu’il y avait comme une rupture des ponts entre le CEFAHQ et les responsables de la transformation ministérielle. Il fallait rétablir ces ponts pour que le CEFAHQ contribue à cette transformation telle que les autorités voulaient la faire. Et on m’avait parlé d’un  délai de trois mois pour qu’on puisse évaluer sa contribution [de Mme Bouchard] en vue d’une promotion éventuelle. »

[222]    En contre-interrogatoire, Mme Poirier dira qu’elle n’a jamais précisé à Mme Bouchard de durée pour cette période additionnelle qui lui était donnée pour faire ses preuves.

[223]    Juste avant l’annonce du 26 novembre 2010 de la réorganisation qui allait entre autres la mener à être la supérieure immédiate de Mme Bouchard, soit le 24 ou le 25 novembre, Mme Poirier a pris le petit-déjeuner avec elle, Mme Delvoye et M. Lafrance pour préparer la rencontre des employés du CEFAHQ qui devait se tenir dans les minutes qui allaient suivre, afin d’éviter que ceux-ci apprennent seulement la nouvelle par communiqué.

[224]    Même si le but premier du petit-déjeuner, qui ne s’est pas prolongé dans les circonstances, était de se donner un plan de match pour la rencontre du personnel, Mme Poirier se rappelle tout de même avoir demandé à Mme Bouchard ce qu’elle pouvait faire pour l’aider. Celle-ci, « qui était pas mal sous le choc », lui a répondu qu’elle n’était pas à l’aise dans les réunions, ce à quoi Mme Poirier dit avoir répliqué qu’elle l’accompagnerait pour faire la transition et qu’il ne serait pas nécessaire qu’elle parle.

[225]    La seconde rencontre avec Mme Bouchard dont se souvient Mme Poirier se serait tenue vers le 20 décembre, dans les locaux du CEFAHQ, boulevard Crémazie, alors que les siens étaient sur la rue Bleury. Mme Deronzier et elle s’étaient rendues sur place pour rappeler à Mmes Bouchard et Delvoye quelles étaient les attentes du ministère. Elle se souvient qu’il y avait un tableau dans le bureau de Mme Bouchard exposant un processus de transformation, un processus d’affaires qui servait à la sélection des personnes immigrantes, mais qui n’allait pas dans le sens des orientations ministérielles. Et Mme Deronzier leur avait dit qu’il fallait qu’elles changent d’attitude, que peut-être que la solution mise de l’avant par Mme Bouchard était bonne, mais que ce n’était pas celle souhaitée par le ministère.

[226]    Quant à la rencontre du lendemain, 21 décembre, avec cette fois en plus une douzaine de personnes responsables de la transformation de l’architecture ministérielle, au souvenir de Mme Poirier, c’est Mme Deronzier qui a plutôt mené la réunion et elle ne se rappelle pas qu’elle-même et M. Lafrance soient intervenus. C’était la rencontre pour rétablir les ponts et de l’avis de Mme Poirier, la rencontre a été « assez technique ».

[227]    Selon Mme Poirier, Mme Bouchard connaissait des difficultés avec plusieurs directions du MICC. Appelée à les énumérer, elle en nomme trois, soit la DGF, responsable entre autres de la gestion de projets pour la transformation ministérielle, la DACQ, responsable du PDSI, ces deux directions appartenant au secteur Performance et francisation dirigé par le sous-ministre adjoint, M. Yvan Turcotte, ainsi que la Direction des opérations du secteur Immigration de M. Robert Baril.

[228]    Mme Poirier dit avoir eu beaucoup de rencontres avec toutes ces directions et avoir misé sur sa crédibilité à elle pour rétablir les ponts avec le CEFAHQ.

[229]    Mme Poirier explique encore que les orientations des autorités du ministère remettaient en question les structures existantes et visaient un processus d’affaires plus performant, mis de l’avant par la DGF et la DACQ, alors que la solution proposée par Mme Bouchard maintenait la structure du CEFAHQ à l’identique.

[230]    À propos du contrat de service conclu avec la firme Maletto, Mme Poirier se rappelle avoir eu quelques rencontres avec ce consultant en décembre 2010 et le mois suivant. M. Maletto lui a suggéré de dire à Mme Bouchard quelles étaient les attentes à son égard, et ce, de façon extrêmement claire et que si elle ne pouvait pas y répondre, il faudrait qu’elle pense à d’autres options.

[231]    Mme Poirier dit avoir rencontré Mme Bouchard le 19 ou le 20 janvier 2011 et lui avoir expliqué la voie dans laquelle le MICC souhaitait s’engager par rapport au processus de sélection des personnes immigrantes. C’est à cette occasion qu’elle lui a rappelé les attentes qu’on avait envers elle. Verbalement seulement, précisant en contre-interrogatoire, ne pas en avoir donné par écrit parce qu’elle ne le fait pas avec les cadres qu’elle dirige.

[232]    Mme Poirier affirme aussi que les attentes verbales, transmises le 29 novembre 2011 à Mme Bouchard, étaient déjà dans les attentes (P-46) qui avaient été remises par écrit, à l’été précédent, par M. Lafrance. Elle réfère alors à la seconde partie de l’attente spécifique n° 7 :

« Établir, le cadre de cette refonte [du rôle des SIQ] et de cette révision [des dispositifs afférents à la réception, au traitement des demandes et à la délivrance des évaluations comparatives], la contribution du CEFAHQ et les arrimages nécessaires avec, notamment :

-       le projet SIEL (services d’intégration en ligne);

-       l’offre de service ministériel intégrée aux entreprises (OSMIE);

-       la demande de certificats de sélection (DSC) en ligne;

-       l’optimisation des processus du programme Travailleurs qualifiés;

-       le projet d’authentification des documents fournis par les candidats à l’immigration; ».

[233]    Elle a expliqué à Mme Bouchard, dit-elle, que possiblement les structures changeraient, qu’il était possible qu’une partie plus technique des évaluations comparatives s’en aille au secteur Immigration, qu’il y avait peut-être des risques et qu’on pouvait les signifier aux autorités, mais que c’était le scénario privilégié par la sous-ministre en titre et le BSM et qu’on devait aller dans ce sens-là.

[234]    Elle se rappelle aussi avoir dit à Mme Bouchard qu’elle avait observé qu’elle n’était pas très à l’aise avec les orientations du ministère et que si elle continuait dans son attitude, elle s’en allait dans un cul-de-sac, qu’elle devrait penser à d’autres options, penser à elle, envisager d’avoir une vision plus stratégique. La rencontre s’est terminée en prévoyant un suivi la semaine suivante.

[235]    Lors de cette rencontre de suivi avec Mme Bouchard, le plan de Mme Poirier était de lui suggérer que M. Maletto et elle-même travaillent avec elle pour l’aider à adhérer aux orientations du MICC. Dans la pratique, Mme Poirier reconnaît que « c’est la personne qui se choisit elle-même un coach, mais dans ce cas-là, c’est un travail à trois que je voulais faire », de dire Mme Poirier. Mme Bouchard lui aurait dit alors qu’elle trouvait qu’elle n’avait pas de problème, qu’elle voulait bien un coach pour son développement comme cadre, mais pas pour l’aider à adhérer à la vision du ministère. Mme Poirier dit qu’elle a accepté malgré tout la suggestion de Mme Bouchard de faire elle-même des démarches pour se trouver un coach, démarches qui n’ont cependant pas produit de résultat.

[236]    Dans le même temps, Mme Bouchard a souhaité qu’une nouvelle analyse d’une question soit faite, ce que Mme Poirier a demandé à la DACQ de réaliser. Mme Poirier dit avoir eu alors des échos du BSM voulant que cela n’allait pas assez vite, pas assez bien. Elle a eu l’occasion aussi de remplacer Mme Deronzier à deux reprises pour les rencontres hebdomadaires des sous-ministres et avoir constaté que le BSM était très insatisfait de la contribution du CEFAHQ à la transformation ministérielle.

[237]    Dans le même sens des difficultés rencontrées par le CEFAHQ avec d’autres unités du MICC, Mme Poirier fait état d’une collaboration difficile avec le responsable des opérations à l’étranger du secteur de l’Immigration. Cette direction souhaitait obtenir de l’aide du CEFAHQ pour obvier, en attendant que le processus de transformation global de la structure d’affaires soit réalisé, au problème posé du fait que les premières évaluations comparatives effectuées à l’étranger divergeaient de celles réalisées lorsque les personnes immigrantes arrivaient au Québec. Or, il est apparu, selon Mme Poirier, au moment où Mme Deronzier lui a demandé de communiquer elle-même avec cette autre unité du ministère, que la demande au CEFAHQ avait été faite depuis plusieurs mois.

[238]    En janvier 2011, Mme Poirier dit avoir parlé à M. Gervais, directeur des opérations au secteur Immigration, et à Mme Bouchard pour organiser une rencontre afin de trouver des solutions aux processus d’évaluation comparative et d’authentification des documents qui se faisaient dans les bureaux du MICC à l’étranger. Cela a été difficile de mettre quelque chose en place, mais finalement on y est arrivé, de dire Mme Poirier.

Authentification des documents et PDSI

[239]    Au sujet de la question de l’authentification des documents, dès le 6 décembre 2010, M. Lafrance avait demandé par courriel (P-37) à Mme Poirier une rencontre à trois, avec Mme Bouchard, pour préparer une réunion sur le sujet que la DGF avait requise, sans préciser de date. Dans son message, M. Lafrance disait souhaiter une réunion de travail préparatoire pour convenir qui allait intervenir. Il était important, écrivait-il, que Mme Bouchard se sente appuyée et il fallait « éviter qu’elle ne soit la cible de tous les maux reliés au fait que l’authentification ne fonctionne pas. » Mme Poirier a répondu le même jour qu’elle était d’accord pour des rencontres préalables, mais qu’il n’y avait pas encore de date prévue pour des échanges sur la question de l’authentification.

[240]    À l’audience, Mme Poirier dira ne pas se souvenir du courriel de M. Lafrance, ni s’il s’était tenu des rencontres préalables. De fait, dans le compte-rendu de la rencontre du 21 décembre (P-41) qui visait à clarifier la situation prévalant entre le CEFAHQ et d’autres unités administratives impliquées dans la transformation ministérielle, il n’est fait mention du processus d’authentification que parmi les mesures à prendre, soit que la directrice de la performance doit convoquer une rencontre à ce sujet. Ce compte-rendu ne révèle pas quand la rencontre doit se tenir et, le cas échéant, si elle s’est tenue avant que M. Lafrance ait complété son implication, fin janvier, dans les travaux du CEFAHQ.

[241]    Par ailleurs, selon la preuve, il s’est tenu au moins une rencontre le 15 février 2011, concernant la fourniture d’un outil informatique planifiée au PDSI. Dans le compte-rendu de la rencontre du 8 avril (P-48), qui réfère à celle de février, entre le CEFAHQ et le secteur Immigration, il est mentionné que la première version du nouvel outil informatique produit par un consultant ne satisfait pas le secteur Immigration et que sa livraison est reportée au 22 avril suivant, après qu’il aura été testé par les bureaux d’Immigration Québec Amériques et Maghreb et par le CEFAHQ. Ce qui fera dire à Mme Bouchard que ce n’était pas le CEFAHQ qui entravait une progression plus rapide de la transformation ministérielle.

[242]    Après les rencontres de fin janvier et début février avec Mme Bouchard, les autres moments d’échanges avec elle ont été seulement les réunions statutaires des cadres tenues aux deux semaines.

[243]    De façon générale, selon Mme Poirier, Mme Bouchard a toujours continué de fournir un excellent travail au niveau des opérations, mais c’était aussi toujours extrêmement difficile entre elle et les gens de la transformation ministérielle.

[244]    Mme Poirier admet que ces relations-là ne sont pas nécessairement faciles car ce sont des gens de processus de travail, alors que les gens du CEFAHQ sont plus dans des contenus. Elle essayait, dit-elle, de faire de la médiation entre les deux groupes, mais cela ne fonctionnait pas.

[245]    Puis est arrivée la rencontre du 19 mai entre elle, Mme Deronzier et Mme Bouchard. Mme Poirier dit l’avoir convoquée sous le prétexte de son évaluation annuelle parce qu’elle ne voulait pas dire à sa secrétaire que l’objet réel de la rencontre était de lui annoncer qu’elle n’aurait pas sa promotion. De toute façon, ajoute-t-elle, c’était une forme d’évaluation à son point de vue.

[246]    En contre-interrogatoire, lorsqu’il est demandé à Mme Poirier à quel moment elle a fait un rapport final de l’évaluation qu’elle faisait de Mme Bouchard quant aux attentes du ministère à son égard, elle répond qu’il n’y en a pas eu. Cela a été évolutif, raconte-t-elle : quand elle rencontrait Mme Deronzier aux deux semaines, elles échangeaient leurs observations sur comment cela allait. Puis, selon elle, Mme Deronzier et le BSM pouvaient faire leurs propres constatations imagine-t-elle.

[247]    À l’insistance du procureur de Mme Bouchard pour connaître la date exacte de la prise de décision de ne pas confier à celle-ci le poste de directrice du CEFAHQ, classe 3, Mme Poirier se dit mal à l’aise de répondre à cette question :

« La décision ne m’appartenait pas à moi. Quand le BSM a pris la décision, je l’ignore. Mais c’est sûrement avant le 19 mai. »

[248]    Mme Poirier n’est pas non plus en mesure de situer exactement dans le temps la date à laquelle il a été décidé de confier à Mme Bouchard la Direction des partenariats, mais elle croit que c’est probablement dans la même période.

[249]    À cette rencontre du 19 mai, c’est Mme Deronzier qui a surtout pris la parole. Elle a dit à Mme Bouchard qu’elle n’était pas l’agent de changement nécessaire pour mener le CEFAHQ à la contribution souhaitée dans la transformation ministérielle. Elle lui a confirmé que le poste de la direction du CEFAHQ avait été évalué de classe 3, mais qu’il ne lui serait pas confié. Selon Mme Poirier, on ne lui a pas dit à qui ce poste serait attribué. Par ailleurs, Mme Deronzier a mentionné qu’on lui offrait à elle la Direction des partenariats, toujours sous la responsabilité de Mme Poirier. Celle-ci croit se souvenir qu’on ait également parlé à Mme Bouchard d’une possibilité dans le secteur Immigration.

[250]    Le souvenir que Mme Poirier décrit de la réaction de Mme Bouchard est que celle-ci aurait mentionné s’attendre à quelque chose de négatif, en raison du fait que la rencontre se tenait au bureau de Mme Deronzier et pas au sien.

[251]    Mme Poirier mentionne aussi qu’on a probablement dit à Mme Bouchard qu’elle aurait une prime pour avoir occupé le poste à partir du moment où il avait été reconnu de classe 3, mais elle ne se rappelle pas si le terme « dédommagement » a été utilisé. En contre-interrogatoire, Mme Poirier dira plutôt que Mme Deronzier avait dit à Mme Bouchard qu’elle aurait la prime pour la période de novembre 2010 à mai 2011, ce qui lui avait laissé l’impression que cela faisait partie des procédures.

[252]    Elle raconte avoir par la suite téléphoné à Mme Bouchard, le 6 juin, à partir du bureau du CEFAHQ, pour lui annoncer la parution du communiqué du même jour qui préciserait le nom de la personne qui prendrait la direction du CEFAHQ et sa nomination à elle comme directrice des partenariats.

[253]    Mme Poirier dit que la discussion a été plutôt technique.

« J’étais dans son ancien bureau et Mme Fleury devait l’occuper. Alors, je lui ai demandé de venir chercher ses affaires. D’ailleurs, je n’étais pas seule et je ne me souviens pas qu’il y ait eu de discussion. J’étais peut-être dans le corridor, je ne sais trop. »

[254]    Quant à la décision de nommer Mme Fleury à la direction du CEFAHQ, elle a été prise aussi par le BSM. Mme Poirier ne se rappelle pas avoir été consultée à ce sujet, mais de toute façon elle n’avait pas d’objection : elle la connaissait puisque Mme Fleury avait déjà travaillé sous sa responsabilité.

[255]    Appelée à expliquer pourquoi la désignation à titre provisoire de Mme Bouchard dans le poste de directrice du CEFAHQ, de classe devenue 3, a été complétée en août 2011, Mme Poirier répond ceci :

« Très sincèrement, je ne le sais pas. Je croyais que cela avait été fait. Cela avait été dit à Mme Bouchard qu’elle aurait une prime. Je pense que c’est une erreur bureaucratique [que rien n’a été fait avant le mois d’août]. Quand Mme Bouchard m’a écrit, j’étais bien étonnée. J’ai vérifié avec la DRH et effectivement cela n’avait pas été fait. J’avais peut-être pensé que la sous-ministre adjointe devait le faire et elle a pensé que c’était moi. Puis malheureusement j’étais en vacances et j’ai répondu plus tard. »

[256]    Quant à la décision d’offrir la Direction des partenariats à Mme Bouchard, Mme Poirier l’explique en disant que cela partait de bonnes intentions. Comme celle-ci connaissait des rapports difficiles avec la DGF et la DACQ, le BSM trouvait que la Direction des partenariats constituait une opportunité d’avoir des contacts avec d’autres partenaires et de développer la dimension stratégique qu’il était souhaité lui voir acquérir.

[257]    Quand le procureur de Mme Bouchard fait remarquer à Mme Poirier l’incongruité d’avoir désigné à titre provisoire et rétroactivement Mme Bouchard au poste de directrice du CEFAHQ, classe 3, à compter du 29 novembre 2010, soit sur l’emploi qu’elle détenait depuis près de deux ans, Mme Poirier répond :

« Moi, ce que je voulais, c’est que Mme Bouchard ait sa prime du mois de novembre au mois de mai. Le poste avait été évalué de niveau 3. Je ne l’ai pas lu qu’il était inscrit « Poste vacant », avec le vieux [numéro de] poste. »

[258]    À la question de savoir pourquoi Mme Bouchard n’a jamais reçu d’acte de nomination comme directrice des partenariats, Mme Poirier répond simplement : « Ce n’est pas sous ma responsabilité. » Dans le même sens, elle ne sait pas davantage si une lettre, un avis de la fin de l’attribution de sa prime avait été envoyé à Mme Bouchard : « Je n’en ai pas eu copie, dira-t-elle. Cela ne vient pas de ma direction à moi. »

Rapport annuel de gestion 2010-2011

[259]    En contre-interrogatoire, un extrait du Rapport annuel de gestion du MICC (P-47) pour l’année 2010-2011 est déposé. On peut y lire notamment, à la page 49, ce qui suit :

« Par ailleurs, le nombre de demandes dont le traitement a été complété est passé de 18 104 en 2009-2010 à 24 363 en 2010-2011. Il s’agit donc d’une augmentation de 34,6%. Le Ministère a adopté des mesures qui ont permis d’augmenter considérablement sa productivité, par exemple :

-       La réorganisation administrative du Centre d’expertise sur les formations acquises hors du Québec (CEFAHQ) et du Service d’accueil et d’information à la clientèle a permis le renforcement du travail en équipe et le partage des expertises et des compétences;

[…]

-       Un guide de formation sur l’Évaluation comparative a été conçu afin de standardiser le traitement des dossiers et réduire le risque d’erreur. »

[260]    Mme Poirier reconnaît que c’est elle qui a retransmis au rédacteur du rapport annuel les informations à la source de ces constatations, renseignements qu’elle-même avait probablement obtenus de Mme Bouchard et qui ne sont pas contestés.

[261]    Par ailleurs, Mme Poirier reconnaît également avoir reçu de Mme Bouchard le courriel du 6 mai 2011 (P-42) auquel étaient joints les projets d’évaluation de rendement que celle-ci avait préparés pour elle-même et pour Mme Delvoye.

[262]    Elle n’a pas donné suite à l’évaluation de rendement de Mme Bouchard autrement que par la rencontre du 19 mai.

[263]    Au sujet de la cote d’appréciation du rendement qui complète une évaluation, Mme Poirier dit que ce n’est pas elle qui l’attribuait, mais la sous-ministre adjointe et elle ne se rappelle pas si au moment de la rencontre du 19 mai, la cote pour Mme Bouchard était prête.

« Je me souviens du contenu de la rencontre mais pas de la cote. Ce n’était pas la cote qui était l’objet de la rencontre. »

[264]    Le procureur de Mme Bouchard remet à Mme Poirier une copie d’une étude de 24 pages réalisée par Mme Bouchard, une proposition en rapport avec le projet de processus de modernisation du CEFAHQ en lien avec le PDSI.

[265]    Mme Poirier se rappelle avoir accompagné Mme Bouchard dans l’élaboration de cette étude qui a comporté plusieurs versions. Après avoir affirmé que l’étude n’était pas satisfaisante, elle n’est pas en mesure de dire pourquoi; il lui faudrait retourner voir ce qu’était le scénario proposé. Elle serait d’accord pour dire que la version qui lui est présentée à l’audience est celle du 6 mai 2011, mais elle n’est pas sûre d’avoir lue celle-là.

[266]    L’évaluation de rendement de Mme Delvoye n’a pas posé problème puisque Mme Poirier savait, au fil des échanges qu’elle avait avec Mme Bouchard, que son rendement était satisfaisant.

[267]    En fin de preuve, il est admis par les parties que Mme Bouchard est absente du travail depuis le 20 mai 2011, qu’elle n’est pas retournée au travail depuis, sauf pour s’y être présentée une fois, à l’automne 2011, pour récupérer des effets personnels.

L’ARGUMENTATION

de Mme Bouchard

[268]    Pour le procureur de Mme Bouchard, le litige soumis à la Commission comporte quatre aspects :

-       Quant au fond du litige, Mme Bouchard a été l’objet au moins d’une mesure disciplinaire déguisée qui doit être constatée par la Commission;

-       De plus, la décision de l’employeur de déplacer d’emploi Mme Bouchard serait nulle en raison du défaut de ce dernier de respecter, dans son processus décisionnel, les règles de l’équité procédurale;

-       Au chapitre du délai d’appel, le recours de Mme Bouchard n’est pas prescrit;

-       Subsidiairement, le cas échéant, il y a lieu de proroger, selon l’article 120 de la Loi, le délai de contestation prévu à l’article 33, parce que Mme Bouchard était dans l’incapacité d’agir avant l’automne 2011.

Éléments pertinents au fond du litige

[269]    Pour le procureur de Mme Bouchard, deux éléments importants sont à considérer pour évaluer le traitement accordé à la situation de sa cliente. Il y avait eu promesse que son emploi de cadre, classe 4, serait rehaussé et, bien que cela a été le cas, ce n’est pas elle qui en a bénéficié. Pourtant toute la ligne hiérarchique verra le niveau de ses emplois rehaussé.

[270]    Tout s’est planifié en novembre 2010, alors que rien ne laissait présager ce qui devait arriver à Mme Bouchard.

[271]    Jusque-là sa carrière était exemplaire. En février 2009, Mme Deronzier est allée la chercher pour prendre la direction du CEFAHQ en raison de ses qualités de gestionnaire. Toutes ses évaluations de rendement démontrent qu’elle dépassait les attentes. Sa candidature est retenue pour participer au Programme des jeunes leaders de l’administration publique, la seule du MICC, et elle le réussit avec brio. Ses autres réalisations vont lui valoir les félicitations de Mme Deronzier dans son courriel du 16 septembre 2010. Le procureur reconnaît que le courriel a été adressé également à M. Lafrance et Mme Delvoye, mais il valait tout autant pour Mme Bouchard.

[272]    Au printemps 2010, à l’instigation de M. Lafrance, Mme Deronzier obtient l’accord de la sous-ministre en titre pour faire réévaluer le niveau des emplois de Mmes Bouchard et Delvoye. L’opération se réalise durant l’été pour les premiers projets de description d’emploi. Ils sont acheminés à la DRH fin août, et en septembre, selon M. Lafrance, il ne reste que des détails à régler. Elles seront tenues pour définitives par la DRH en octobre.

[273]    Fin septembre est aussi le moment où le MICC annonce le lancement officiel des chantiers sur la refonte des services d’intégration, dont le redéploiement des SIQ de l’île de Montréal et la création de la Direction des partenariats qui devrait être confiée à Mme Kronström.

[274]    En octobre et novembre toutefois, « tout est chamboulé » pour Mme Bouchard. Un communiqué interne du 28 octobre, qui sera émis formellement le 26 novembre, annonce, non pas le rehaussement des postes de cadre du CEFAHQ, tel que promis, mais l’intégration de cette direction à celle de la nouvelle DGM.

Notion en droit de la mesure disciplinaire déguisée

[275]    Cette manœuvre du MICC sera complétée le printemps suivant en voulant affecter Mme Bouchard à la Direction des partenariats. Et cette affectation, en apparence une mesure administrative, constitue dans les faits une mesure disciplinaire déguisée prise à l’encontre de Mme Bouchard.

[276]    L’article 33 de la Loi réfère aux notions de rétrogradation, de congédiement et de mesure disciplinaire.

[277]    Pour le procureur, la notion de congédiement inclut celle d’affectation dans la mesure où celle-ci comporte un changement substantiel dans les fonctions occupées, comme la rétrogradation peut être vue comme une affectation à un poste comportant moins de responsabilités.

[278]    Référant à l’article 18 du Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique (ci-après le « Règlement sur l’éthique et la discipline », le procureur constate qu’une mesure disciplinaire ne peut consister qu’en une réprimande, une suspension ou un congédiement. L’affectation n’en constituant pas une, la Commission devrait donc l’annuler sur la preuve qu’il s’est agi d’une mesure disciplinaire, et non pas administrative, qu’on a voulu prendre à l’égard de Mme Bouchard.

[279]    À partir d’un article écrit par des responsables de la Commission et qu’il cite, le procureur rappelle que la notion de mesure disciplinaire doit être interprétée largement :

« Dans l’affaire Langlois (Langlois c. Ministère de la Justice, [1984] 1 R.C.S. 472], la Cour suprême établit que la notion de sanction disciplinaire doit être comprise dans un sens large. Cette affaire portait sur l’affectation d’une employée à un autre établissement de détention pour y effectuer un travail similaire ou équivalent à celui exercé antérieurement. Il fallait déterminer s’il s’agissait d’une sanction disciplinaire déguisée ou d’une mesure administrative, comme le prétendait le ministère de la Justice. La Cour suprême a déterminé que ce n’est pas uniquement l’appellation que l’employeur donne à une mesure, mais bien l’ensemble des faits qui permet de la qualifier adéquatement[2]. »

[280]    La notion de mesure administrative qui peut déguiser une mesure disciplinaire a été bien cernée par les auteurs Morin et Blouin auxquels le procureur renvoie la Commission :

« […] Nous croyons en effet que le concept disciplinaire doit englober les circonstances où l’employeur allègue l’insuffisance professionnelle du salarié ou le rendement inadéquat en résultant […]. L’employeur peut alors soutenir que sa réaction est de nature purement administrative, mais il n’en demeure pas moins que la sanction prise repose sur une évaluation du comportement du salarié, de son attitude et alors l’employeur réprouve, à toutes fins utiles, la conduite individuelle qui, dans les faits, explique l’insuffisance professionnelle. Cette décision de l’employeur demeure reliée au fait que le rendement ou le comportement contesté par l’employeur constitue indéniablement un reproche implicite adressé au salarié de ne pas avoir su prendre les mesures utiles pour maintenir la capacité, la compétence ou les autres qualités dont il a déjà fait preuve.

[…]

En ces situations, la distinction entre mesure administrative stricte et mesure disciplinaire ne peut être alléguée pour justifier l’employeur d’ignorer, le cas échéant, le processus disciplinaire. Le salarié doit connaître la nature de l’appréciation de l’employeur de façon à pouvoir préparer une défense pleine et entière […][3]. »

[281]    Les mêmes auteurs considèrent ainsi qu’au-delà du congédiement et de la suspension, une rétrogradation, une mutation et une nouvelle affectation peuvent constituer des mesures disciplinaires « et ce, en raison de la finalité réelle de la décision de l’employeur[4]. »

[282]    Le procureur invite également la Commission à retenir l’enseignement de la Cour d’appel qui a reconnu, dans le contexte d’une affaire mettant en cause l’application de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1, qu’une mutation qui entraînait un changement substantiel de fonctions pouvait constituer un congédiement :

« [25]    En concluant, en l’espèce, qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait rupture complète du lien d’emploi, mais qu’il suffit d’une mutation entraînant un changement substantiel de fonctions, l’arbitre, selon le juge de la Cour supérieure, aurait commis une erreur que le texte de l’article 124 L.N.T. ne pourrait raisonnablement supporter. […]

[…]

[31] L’arbitre appelé à interpréter la notion de congédiement de l’article 124 L.N.T. doit examiner le contexte dans lequel s’est produite la rétrogradation, les conséquences de celle-ci de même que le comportement et la situation de l’employé qui subit la rétrogradation. Il s’agit là, non pas d’une question de droit mais de questions de fait qui relèvent essentiellement de la compétence de l’arbitre. […][5] »

[283]    Le procureur invoque aussi l’article 3 de la Loi qui prévoit que celle-ci « institue un mode d’organisation des ressources humaines destiné à favoriser : […] 4° l’impartialité et l’équité des décisions affectant les fonctionnaires […] ».

[284]    Or, selon une décision du Tribunal de la dotation de la fonction publique du Canada, qui joue un rôle similaire à celui de la Commission en matière semblable à celle de ce dossier, il faut considérer que pour « respecter la valeur qu’est l’équité, il faut adopter des pratiques qui témoignent d’un juste traitement des personnes[6]. »

[285]    Enfin, le procureur souligne qu’il est reconnu que les tribunaux administratifs peuvent examiner une réorganisation administrative pour vérifier si elle n’a été qu’un contexte pour se départir des services d’une personne, comme l’a fait la Commission des relations de travail dans l’affaire Long[7].

Application d’une mesure déguisée à caractère disciplinaire à Mme Bouchard

[286]    Dans le cas de Mme Bouchard, son procureur mentionne qu’il faut retenir que si le MICC ne parle pas directement d’insuffisance professionnelle, il soulève plutôt un manque de communications harmonieuses qui en est l’équivalent.

[287]    Selon lui, le poste de directrice des partenariats n’a pas le prestige ni le statut de celui de directrice du CEFAHQ. L’affectation à la Direction des partenariats constitue bien une mesure disciplinaire au regard de la réduction de l’importance des fonctions que ce changement implique : elle signifie passer de la gestion de plus de 60 employés, dont un cadre, à celle de moins de 20 personnes, sans un cadre. Il s’agit là d’une rétrogradation, même si la rémunération demeure la même.

[288]    Quant au poste de directrice du CEFAHQ, il a continué d’exister : la preuve en est qu’une comparaison entre la description de 2010 de cet emploi et celle de décembre 2011, approuvée par la sous-ministre en titre, ne fait pas ressortir de différence importante. La raison d’être de l’emploi, les principaux mandats afférents, le nombre d’employés supervisés, le rôle à assumer au sein du ministère, la nature des problèmes à résoudre, tout ce qui constitue la réalité de ce poste est semblable.

[289]    Et ce qu’il faut en conclure, c’est que le MICC a profité d’une réorganisation administrative pour enlever ce poste à Mme Bouchard afin de le donner à Mme Fleury. Si on avait réellement voulu faire une vraie réorganisation administrative, on aurait pu facilement conserver les activités sans leur prévoir une direction propre ou les confier à une autre direction. Le MICC a choisi plutôt de conserver le même poste et de l’enlever à l’une pour le donner à l’autre.

[290]    De plus, l’obligation de rendre compte à son employée des décisions qui la concernent n’a pas été respectée : il n’y a pas de remise d’écrit à Mme Bouchard pour lui exprimer ce qui n’allait pas et on ne lui a jamais remis d’évaluation de son rendement pour l’année 2010-2011.

[291]    Dès la fin octobre, lorsqu’apparaît des signes de difficultés entre le CEFAHQ et la DGF et la DACQ, M. Lafrance, supérieur immédiat de Mme Bouchard, écrivait à Mme Provost de la DGF que Mme Deronzier avait suggéré la présence d’un facilitateur à une prochaine rencontre pour résoudre les problèmes, suggestion à laquelle il n’y a pas eu de suite.

[292]    Mais déjà, selon le témoignage de Mme Deronzier, dans le même mois, M. Baril, sous-ministre adjoint à l’Immigration, lui avait proposé de remplacer Mme Bouchard par Mme Fleury, ce que la première avait alors refusé de faire.

[293]    Puis en novembre, M. Lafrance, lorsqu’il apprend la confirmation de l’annonce prochaine d’autres changements organisationnels, réagit spontanément en écrivant à Mme Deronzier, alors à l’extérieur du pays, qu’il s’est fait un travail de sape de la réputation des cadres du CEFAHQ.

[294]    Et Mme Deronzier de répondre aux intéressées qu’elle comprend qu’elles soient « déçues et peut-être blessées que la réévaluation des postes ne soit pas réglée dès maintenant. »

[295]    Après la restructuration annoncée le 26 novembre 2010, il appert, selon les témoignages de Mme Poirier et de M. Lafrance que Mme Bouchard est en période probatoire pour trois mois.

[296]    Aucune relation d’aide ou plan d’intervention n’est mis sur pied.

[297]    Mme Deronzier parle bien de relations non harmonieuses, mais sans en donner de détails, alors que le rapport de la rencontre du 21 décembre 2010 sur les mandats du CEFAHQ fait état que ce dernier adhère aux principes d’architecture d’affaires dont s’est doté le MICC.

[298]    De plus, Mme Bouchard avait obtenu 80 % au test d’approche et de comportement au travail dans lequel on traite des communications interpersonnelles, test auquel elle avait été soumise dans la procédure d’évaluation qui lui avait permis, à l’hiver 2010, de voir son nom inscrit sur une liste de déclaration d’aptitudes pour un poste de cadre, classe 3 (P-39).

[299]    Par ailleurs, le procureur rappelle que la performance de Mme Bouchard était autrement reconnue, comme il en a été fait part dans le rapport annuel du MICC pour l’année 2010-1011 qui souligne la progression importante du nombre de dossiers à traiter et celle encore meilleure de la productivité du CEFAHQ.

[300]    Pourtant en mai 2011, on dira à Mme Bouchard qu’elle a un problème de communication, mais sans lui remettre son évaluation de rendement, ce qui indique bien que l’employeur a choisi la voie disciplinaire plutôt qu’administrative.

Omission du MICC de suivre des règles de dotation

[301]    Ce choix de l’employeur apparaît encore plus manifeste au procureur de Mme Bouchard au regard du non-respect de plusieurs règles en matière de dotation.

[302]    Elle n’a jamais reçu d’acte de nomination comme directrice des partenariats.

[303]    Dans l’acte de nomination de Mme Delvoye, daté du 20 juin 2011, qui lui confirme que le niveau de son poste est rehaussé, en passant de la classe 5 à la classe 4, il est mentionné que sa supérieure immédiate est « Françoise Bouchard, Dir. CEFAHQ ». Constatation du procureur qui laisse à entendre qu’à ce moment-là la supérieure d’un cadre, classe 4, devait nécessairement être elle-même au moins de classe 3.

[304]    Enfin, de se demander le procureur, pourquoi le MICC qui avait refusé de rehausser le niveau des postes de Mmes Bouchard et Delvoye en novembre 2010 au motif que le CEFAHQ n’aurait pas eu de relations harmonieuses avec d’autres composantes du ministère, a-t-il décidé, au printemps 2011, de rehausser le niveau des deux postes de cadre du CEFAHQ, mais de priver seulement Mme Bouchard des avantages de cette mesure? Vu sous cet angle, l’approche retenue par rapport à Mme Bouchard apparaît encore davantage sous la forme d’une mesure disciplinaire.

Non-respect de l’équité procédurale

[305]    Par ailleurs, si la Commission ne devait pas retenir que la décision du MICC, de ne pas attribuer à Mme Bouchard le rehaussement du niveau de son poste et de la déplacer à la Direction des partenariats, constitue une mesure disciplinaire, son procureur plaide que celle-ci n’a de toute façon jamais eu l’opportunité de confirmer ou d’infirmer ce qui lui était reproché.

[306]    Sur le plan des règles en matière d’équité procédurale, le procureur soutient qu’en vertu de ce principe Mme Bouchard devait être avisée par écrit de la décision de l’employeur. Il cite à cet effet l’arrêt Baker[8] rendu par la Cour suprême :

« 43.     À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l’obligation d’équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l’espèce où la décision revêt une grande importance pour l’individu, dans des cas où il existe un droit d’appel prévu par la loi, ou dans d’autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise. […] »

[307]    S’appuyant sur ce passage de l’arrêt Baker, la Commission devrait constater que la décision du MICC constitue un exercice déraisonnable de son pouvoir de direction en raison du fait qu’aucun avis écrit et motivé n’a jamais été fourni à Mme Bouchard.

Prescription et prolongation de délai

[308]    À la lecture de l’article 33 de la Loi, il est clair, selon le procureur de Mme Bouchard, que le délai d’appel de celle-ci doit se calculer à compter de la production par l’employeur d’un écrit. Le second alinéa de cet article prévoit en effet que :

« Un appel en vertu du présent article doit être fait par écrit et reçu à la Commission dans les 30 jours de la date d’expédition de la décision contestée. »

[309]    Avoir soumis son appel à compter d’un moment précédent l’expédition de la décision contestée aurait constitué pour Mme Bouchard une opération prématurée.

[310]    De plus, l’utilisation du terme « expédition » par le législateur indique manifestement son intention de privilégier un écrit au message verbal. « On ne peut expédier une décision verbalement » de dire le procureur.

[311]    Dans le même sens, il renvoie la Commission à un extrait des débats parlementaires survenus au moment de l’adoption de la Loi en 1983, au cours desquels il relève l’échange suivant entre un député de l’opposition et la ministre de la Fonction publique :

« M. Doyon : […] Ce que je voudrais savoir, une question précise à ce sujet : une fois qu’une mesure disciplinaire a été décidée, ou une mesure administrative quelconque, comment la personne qui est touchée en est-elle avertie? Est-ce que ce sont les méthodes normales d’informations verbales ou nécessairement par écrit?

Mme Leblanc-Bantey : Par écrit. […] »

[312]    Pour le procureur, l’article 33 de la Loi est un texte qui vise à remédier à une situation vécue par un fonctionnaire et à ce titre il doit être interprété de façon libérale.

[313]    Le MICC n’a pas justifié, selon lui, pourquoi il n’a jamais produit à Mme Bouchard un écrit de la décision la concernant, sauf lorsqu’il l’a avisée, par son talon de paye qu’elle a reçu par la poste en septembre 2011, qu’elle était désignée en remplacement temporaire d’un cadre, à compter du 29 novembre 2010 jusqu’au 9 juin 2011. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle a appris spécifiquement qu’elle était évincée de son poste de directrice du CEFAHQ.

[314]    Par ailleurs, Mme Bouchard n’a jamais reçu d’acte de nomination au poste de directrice des partenariats, n’a jamais non plus été avisée de la date à laquelle elle aurait dû débuter dans ce poste, comme elle n’a jamais eu d’évaluation de son rendement pour l’année 2010-2011.

[315]    Le procureur mentionne aussi qu’il n’a pas été mis en preuve que Mme Bouchard avait pris connaissance du communiqué du 6 juin 2011 transmis aux employés et dans lequel on annonçait sa nomination à la Direction des partenariats. Et le procureur de se demander comment on peut de toute façon pourvoir un poste avant qu’il ne soit approuvé suivant le processus décisionnel approprié.

[316]    Enfin, il prétend que les passages des notes cliniques de ses médecins traitants ne peuvent servir de preuve de la connaissance personnelle de certains faits que Mme Bouchard pouvait avoir.

[317]    Pour le procureur, il faut distinguer ce dossier-ci où il y a eu un écrit, le talon de paye, de l’affaire Morgan[9] dans laquelle il avait été mentionné que, dans le cas d’une rétrogradation déguisée, le délai d’appel débutait « à la date où le fonctionnaire prend connaissance de la position de l’employeur sur la question controversée et l’estime non conforme à son interprétation et à ses intérêts, ou à la date où il aurait dû en être conscient compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire. »

[318]    Si la Commission ne devait pas retenir l’argument fondé sur le fait que l’avis écrit de la décision contestée en vertu de l’article 33 de la Loi n’a été expédié qu’en septembre 2011, le procureur de Mme Bouchard estime cependant que sa cliente a droit à une prorogation du délai qui lui était imparti pour faire son appel, et ce, suivant le pouvoir attribué à la Commission par l’article 120 de la Loi.

« La Commission peut proroger un délai fixé par la loi lorsqu’elle considère qu’un fonctionnaire a été dans l’impossibilité d’agir plus tôt ou de donner mandat d’agir en son nom dans le délai prescrit. »

[319]    Le test applicable dans les circonstances, selon le procureur, est celui d’une personne raisonnable qui doit se demander quand Mme Bouchard était dans un état subjectif pour lui permettre de prendre une décision éclairée quant à l’opportunité de faire son appel.

[320]    L’article 120 de la Loi reprend, souligne le procureur, le principe édicté par l’article 2904 du Code civil du Québec.

« La prescription ne court pas contre les personnes qui sont dans l’impossibilité en fait d’agir soit par elles-mêmes, soit en se faisant représenter par d’autres. »

[321]    Prenant appui sur la décision Gauthier[10], de la Cour suprême, il faudrait retenir que c’est une appréciation subjective de la plaignante de son impossibilité d’agir qui serait le critère à appliquer :

« 84      Avec égards, il semble que la Cour d’appel, à l’instar du juge de première instance, en appréciant le caractère absolu de l’impossibilité d’agir, soit passée d’une appréciation subjective de l’impossibilité absolue en fait d’agir à une appréciation objective. Ce passage à un critère objectif est par ailleurs contraire au principe même de l’appréciation subjective des dommages de la victime. »

[322]    Pour le procureur, le témoignage de la Dre Turcot quant à l’état psychologique de Mme Bouchard, à compter du 19 mai 2011 jusqu’à l’automne de la même année est que celle-ci n’était pas alors dans un état qui lui permettait de prendre une décision éclairée dans la gestion de ses affaires. La lésion psychologique dont elle était victime n’a pas été contestée par le MICC et il devrait être considéré qu’elle l’empêchait d’agir plus tôt qu’au moment où elle a pris du mieux.

[323]    Pour tous ses motifs, il est demandé à la Commission d’accueillir l’appel de Mme Bouchard, de déclarer que son déplacement sur le poste de directrice des partenariats constituait une mesure disciplinaire non conforme à la Loi et au Règlement sur l’éthique et la discipline. Il est demandé également de la réintégrer dans l’emploi qu’elle occupait avant la décision contestée, avec tous les avantages dont elle a été depuis privée, notamment du salaire perdu, ainsi que le versement de diverses sommes à titre de dommages, la Commission étant invitée à réserver sa compétence relativement au quantum des montants concernés.

du MICC

Non-attribution d’une promotion

[324]     Pour la procureure, le fait de ne pas obtenir une promotion n’est pas un objet visé par l’article 33 de la Loi. L’article 70 de la Loi consacre que l’attribution d’une promotion est une prérogative d’ordre public réservée à l’employeur. Le refus d’accorder une promotion n’étant pas un objet énoncé à l’article 33, la Commission ne dispose donc pas du pouvoir d’intervenir dans cette matière.

[325]     Également, le Règlement sur un recours en appel pour les fonctionnaires non régis par une convention collective (ci-après le « Règlement sur un recours »), R.R.Q. F-3.1.1, r. 5, exclut la dotation des emplois du champ d’intervention de la Commission. L’article 2 de ce règlement prévoit que :

« Un fonctionnaire qui se croit lésé peut en appeler d’une décision rendue à son égard en vertu des directives suivantes du Conseil du trésor, à l’exception des dispositions de ces directives qui concernent la classification, la dotation et l’évaluation du rendement sauf, dans ce dernier cas, la procédure relative à l’évaluation du rendement :

1°         la Directive concernant l’ensemble des conditions de travail des cadres;

[…] »

[326]     En appui à ces arguments relatifs aux notions de nomination et de promotion, la procureure dépose la décision de la Cour supérieure dans l’affaire Procureur général du Québec[11] dans laquelle il est établi que « l’effet combiné de ces articles 51, 53 et 70 [de la Loi] ne laisse place à aucun doute : la nomination relève du sous-ministre ou du dirigeant d’organisme, et la convention collective ne saurait restreindre ce pouvoir » et cette décision est discrétionnaire. Et la Cour d’ajouter :

« [37] Enfin, la conclusion de l’arbitre relative au caractère punitif ou discriminatoire de la conduite de l’employeur part du postulat erroné selon lequel monsieur Houde avait un droit à la nomination puisque sa réintégration venait de lever "le seul obstacle" à cette nomination. »

[327]     Et la procureure du MICC de suggérer que dans ce dossier-ci, la mesure disciplinaire alléguée part du postulat erroné que Mme Bouchard aurait eu droit à la promotion au poste devenu de classe 3.

Rétrogradation

[328]     S’il est vrai que la rétrogradation est une mesure administrative visée par l’article 33 de la Loi, il n’y a pas toutefois de preuve d’une forme quelconque de rétrogradation dans ce dossier.

[329]     Mme Bouchard est une cadre, classe 4, depuis février 2009 et comme elle a toujours conservé ce même niveau, on ne peut prétendre qu’elle a été rétrogradée. Pour ce faire, il faudrait qu’elle ait occupé un poste de niveau supérieur. Et la preuve est à l’effet contraire : à la question si Mme Bouchard avait déjà eu une promotion à un poste de cadre, classe 3, M. Lafrance a répondu : « Non. Si elle l’avait eu, on ne serait pas ici. »

[330]     Quant à l’argument que le déplacement de Mme Bouchard à la Direction des partenariats, un emploi qui serait moins intéressant que la Direction du CEFAHQ, il ne peut être retenu comme indice d’une rétrogradation. Le poste de directrice des partenariats a été classé de niveau 4 par l’employeur et la détermination du niveau des emplois est du ressort exclusif de l’employeur.

[331]     La procureure de faire remarquer que ce dossier ne présente pas une situation où le poste de directrice des partenariats aurait été créé spécifiquement pour déplacer Mme Bouchard, il n’y a rien de fictif dans ce poste. Il avait été annoncé en septembre 2010, bien avant d’être confié à Mme Bouchard et il devait être occupé par Mme Kronström. Sa création ne revêt aucunement le caractère d’un subterfuge.

Affectation

[332]     Quant au déplacement de Mme Bouchard au poste de directrice des partenariats, il s’est agi pour le MICC de procéder simplement à un des mouvements de personnel prévus à la Directive concernant la classification et la gestion des emplois de cadres et de leurs titulaires[12] (ci-après la « Directive concernant la gestion des emplois de cadres »). Le paragraphe 1° de son article 31 définit l’affectation comme le mode qui :

« […] permet de pourvoir à un emploi vacant d’un ministère ou organisme par un cadre qui appartient à ce ministère ou cet organisme et dont la classe d’emplois est la même que celle de l’emploi à pourvoir. »

[333]     Ce geste administratif est posé selon une des orientations de la dotation définies à l’article 28 de cette directive, dont notamment celle de son paragraphe 4 qui prévoit de « favoriser les mouvements de personnel à l’intérieur de la fonction publique ».

[334]     L’article 33 de la Loi ne vise pas l’affectation et celle-ci est une prérogative du droit de gérance de l’employeur. Rien dans la loi ou une directive quelconque ne limite le pouvoir d’affectation d’un cadre à un poste qui satisfait le mieux les besoins de l’employeur. C’est le sens qu’il faut donner au paragraphe 5 de l’article 70 de la Loi qui prévoit qu’aucune disposition ne peut restreindre « l’établissement des plans d’organisation et la détermination et la répartition des effectifs. »

[335]     Non seulement, de préciser la procureure du MICC, l’article 33 de la Loi ne traite pas d’affectation, mais encore, comme on l’a vu précédemment, le Règlement sur un recours ne donne pas compétence à la Commission pour intervenir dans les questions de dotation.

Promesse de promotion

[336]     La procureure du MICC insiste sur le fait que, contrairement à ce que prétend Mme Bouchard, il ne lui avait pas été fait de promesse qu’elle obtiendrait une promotion de la classe 4 à la classe 3. Mmes Deronzier et Poirier ont affirmé le contraire. Mme Deronzier a toujours dit qu’elle s’était engagée à faire réévaluer l’emploi de directrice du CEFAHQ pour vérifier s’il pouvait avoir évolué de façon telle d’être dorénavant de classe 3. Elle a très clairement distingué la volonté de réévaluer le poste et celle de pourvoir le poste réévalué.

[337]     Si M. Lafrance, de son côté, s’est aventuré à faire une telle promesse à Mme Bouchard, le cas échéant, elle était contraire à l’ordre public. Le droit de gérance d’un sous-ministre en titre ne peut être abdiqué au profit de la nomination d’un employé par quelqu’un qui ne détient pas cette délégation de pouvoir.

État de la jurisprudence

Sur le droit de gérance

[338]     Cinq décisions sont déposées sur divers aspects du droit de gérance dont on doit retenir les enseignements suivants. De l’arrêt Industrielle-Alliance[13] de la Cour suprême, que l’acceptation du rapport de subordination d’un employé à son employeur est une condition implicite du contrat de travail. De la décision arbitrale Graymont (Qc) inc[14], qu’en l’absence d’une disposition sur un sujet donné, le droit de direction de l’employeur demeure entier, sous réserve que la décision ne soit pas abusive. De la décision arbitrale Association des policiers et pompiers de la Ville de Trois-Rivières[15], que même un plan d’organisation d’effectifs approuvé, mais qui ne précise pas la façon dont ces effectifs doivent être gérés, ne peut donner compétence à un arbitre sur la décision de ne pas maintenir ces effectifs, ce qui par comparaison laisse entendre qu’une simple promesse dans ce cas-ci à Mme Bouchard ne pouvait pas lier le MICC quant à sa nomination. Dans la décision Bouchard[16], de la Commission des relations du travail, que les affectations qui relèvent du pouvoir de direction constituent un droit exclusif de l’employeur. Dans la décision arbitrale Syndicat de la fonction publique du Québec[17], qu’en l’absence d’une disposition expresse à l’effet contraire, l’employeur, suivant l’article 70 de la Loi, conserve tous ses droits de répartition des effectifs, dont celui de retourner un employé exercer ses attributions dans un autre emploi de sa classe d’emploi.

Sur l’absence d’attribution à la Commission du pouvoir de reclassement, de nomination ou de promotion

[339]     Des cinq décisions déposées sur l’absence de pouvoir de la Commission, celle-ci retient celle de la Cour d’appel dans l’affaire Procureur général du Québec[18], dans laquelle le juge Gendreau rappelle que « quel que soit le mode utilisé pour combler un poste vacant, la nomination d’un fonctionnaire appartient au seul ministre titulaire ou son délégué […] ».

Sur l’absence d’objet de la demande

[340]     L’ordonnance de réintégrer Mme Bouchard ne peut être réalisée car elle est sans objet : celle-ci demande son ancien poste, or c’est un poste de cadre, classe 4, qui n’existe plus puisque maintenant l’emploi de directrice du CEFAHQ est un emploi de cadre, classe 3.

[341]     À ce sujet, la procureure du MICC réfère la Commission à la décision Fonds de solidarité des travailleurs du Québec[19], dans laquelle l’arbitre Brault traitait de la question notamment en ces termes.

« Pour décider du moyen soulevé par l’Employeur, le Tribunal doit se demander si la plaignante peut dans les circonstances poursuivre un arbitrage visant l’obtention d’un poste, dès lors que depuis le dépôt du grief, ce poste a été aboli, qu’elle n’a subi aucun préjudice monétaire du fait de la nomination contestée et que l’abolition subséquente n’est pas contestée.

[…]

La notion d’intérêt « né et actuel » provient du droit civil et a fait l’objet de nombreuses décisions. Pour agir en justice, il faut que le poursuivant ait un intérêt dans l’objet poursuivi par le litige. Cet intérêt doit, selon l’expression consacrée, être né et actuel et porter sur un droit susceptible d’être compromis ou perdu si le litige n’est pas tranché. En l’espèce, la question revient à déterminer si la plaignante a encore, après l’abolition du poste convoité, un intérêt à contester la décision originale de l’Employeur qui le lui niait.

[…] »

Sur la question de l’équité procédurale

[342]     À la suggestion du procureur de Mme Bouchard de considérer nulle la décision du MICC d’avoir retiré à celle-ci son poste de directrice du CEFAHQ parce qu’elle aurait été prise en contravention des règles de l’équité procédurale, la procureure du MICC rétorque que le droit à l’équité procédurale ne s’applique pas ici.

[343]     Se référant à la décision Dunsmuir[20], elle signale qu’en présence d’un contrat de travail, ce sont les règles d’application du contrat qui sont les seules applicables. Les principes généraux du droit public, comme l’équité procédurale, n’ont pas lieu de s’y ajouter dans la prise de décision sur une mesure prise par rapport aux conditions de travail d’un fonctionnaire.

« Toutefois, dans la mesure où cet arrêt* n’a pas tenu compte de l’effet déterminant d’un contrat d’emploi, il ne devrait pas être suivi.

[…]

*      La Cour faisait référence à l’arrêt Knight c. Indian Head School Division dans lequel l’obligation d’équité procédurale avait été reconnue dans un contexte particulier où n’intervenait pas un contrat d’emploi.

[…] En présence d’un contrat d’emploi, le renvoi d’un fonctionnaire, que ce dernier soit ou non titulaire d’une charge publique, est régi par le droit contractuel, et non par les principes généraux du droit public. […] »

[344]     La Commission ne devrait pas retenir les conclusions de l’arrêt Baker, un cas d’équité procédurale, décision qui portait sur une question dans le domaine de l’immigration et non du travail, et de toute façon antérieure à la décision Dunsmuir.

[345]     Également antérieure était la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire du Procureur général du Canada[21] soumise aussi par le procureur de Mme Bouchard. Dans celle-ci, on concluait qu’il n’était pas opportun d’importer des concepts associés au droit du travail au contexte d’une destitution d’une personne nommée à titre amovible par le gouvernement puisque dans un tel cas c’est justement plutôt les règles d’équité procédurale qui s’appliquent.

[346]     La Commission retient la position du MICC et considère que les règles d’équité procédurale ne peuvent trouver application dans ce dossier-ci.

Quant au fond du dossier, Mme Bouchard connaissait les attentes du MICC

[347]     Selon la procureure du MICC, les faits importants relatifs à la plainte de Mme Bouchard sont les suivants.

[348]     Mme Bouchard a été informée de ce qui posait problème pour l’employeur. Elle a eu l’opportunité de réagir, mais sa réaction a été de dire qu’elle, elle n’avait pas de problème.

[349]     En novembre 2010, elle est avisée par M. Lafrance, à la demande de Mme Deronzier, de contribuer positivement à la réorganisation ministérielle et qu’il fallait un changement d’attitude important de sa part.

[350]     Dans le courriel du 25 novembre de Mme Deronzier à Mmes Bouchard et Delvoye, il est fait mention de la nécessité d’un rapprochement avec l’équipe du projet d’architecture d’affaires.

[351]     En décembre 2010, Mme Deronzier rencontre Mme Bouchard, en présence de Mme Poirier et les attentes en termes d’attitudes lui sont reformulées. Il faut un changement par rapport à la transformation ministérielle; peut-être que sa solution était bonne mais ce n’était pas celle souhaitée par le MICC.

[352]     En janvier 2011, Mme Poirier rencontre Mme Bouchard à nouveau pour lui expliquer les attentes du ministère; il lui est dit qu’elle n’est pas en phase avec les autorités du MICC et que si cela persiste, cela la mènera à un cul-de-sac. Il lui est demandé de réfléchir.

[353]     Mais Mme Bouchard réplique à Mme Poirier qu’elle ne voit pas qu’elle a un problème et tout ce qu’elle manifeste c’est qu’elle veut sa promotion à la classe 3.

[354]     Sur la question d’un coach qui pourrait la seconder, Mme Bouchard est prête à en accepter un pour son développement personnel comme cadre, mais elle refuse de travailler à trois, un coach, Mme Poirier et elle, pour parvenir à une meilleure adhésion à la vision du ministère.

[355]     Tout cela était connu de Mme Bouchard lorsqu’on lui a annoncé la décision du MICC lors de la rencontre du 19 mai 2011.

Aucun droit à la promotion

[356]     Aucune règle ne prévoit un droit à une promotion. Le seul processus de dotation qui exclut le contexte de compétition avec d’autres personnes, c’est la promotion sans concours et il n’a jamais été question de cela dans ce cas-ci. Mme Bouchard l’a reconnu en disant qu’il lui avait été suggéré de passer un concours pour être déclarée apte en vue d’un éventuel emploi de cadre, classe 3, ce qu’elle a fait d’ailleurs en 2010.

[357]     Il n’y avait pas eu de promesse qu’elle serait nommée sur le poste de directrice du CEFAHQ, advenant que son classement soit rehaussé. M. Lafrance n’avait pas le pouvoir de le laisser entendre et de la nommer éventuellement puisqu’il s’agit d’une responsabilité du sous-ministre en titre.

[358]     La question de la nomination était traitée à part de celle de la réévaluation du poste de directrice du CEFAHQ. Mme Bouchard n’avait pas droit à la promotion, mais seulement à ce que sa candidature soit considérée et elle l’a été.

[359]     Même que la preuve est que sa candidature a été considérée encore plus que celle des autres personnes dont le nom pouvait être sur la liste de déclaration d’aptitudes à occuper un emploi de cadre, classe 3.

[360]     Mais quand est venu le temps de faire un choix, le MICC a estimé que Mme Bouchard n’était pas, parmi les personnes déclarées aptes à occuper un tel emploi de cadre au ministère, l’agent de changement recherché pour mener à bien le CEFAHQ vers la transformation ministérielle recherchée. Le ministère avait observé de la résistance de sa part et comme elle ne s’est pas engagée dans une démarche pour rectifier la situation où elle ne voyait pas le problème, le MICC a choisi quelqu’un d’autre sur la liste de déclaration d’aptitudes et a nommé Mme Fleury.

Absence de preuve d’une mesure disciplinaire déguisée

[361]     Signalant que le fardeau de démontrer de façon probante que le MICC avait pris une mesure disciplinaire déguisée à l’endroit de Mme Bouchard reposait sur celle-ci, la procureure du ministère soumet que la preuve n’est pas à cet effet.

[362]     Sur les principes en cause, elle cite ce passage de la décision Rouleau[22] :

« Pour être qualifiée de disciplinaire une mesure doit donc répondre à deux critères, le premier étant le caractère volontaire du manquement reproché à l’employé et le deuxième étant la présence d’un élément de répression ou de punition lors de l’imposition de la mesure. La jurisprudence et la doctrine s’accordent sur le fait que chaque mesure doit être qualifiée en tenant compte des faits et des circonstances propres à chaque affaire.

La Commission rappelle que le fardeau de prouver de façon prépondérante que la décision de l’employeur constitue une mesure disciplinaire déguisée repose sur la partie qui l’allègue, soit sur l’appelante[…]. »

[363]     Il n’y a pas de preuve, selon la procureure, qu’une décision a été prise dans le but de punir Mme Bouchard. C’est plutôt qu’il a été considéré par le MICC qu’elle n’était pas l’agent de changement souhaité parce qu’elle n’adhérait pas aux orientations du ministère. Le contexte n’est pas une invention : il y avait eu un rapport du VG, suivi d’un rapport interne pour amener les changements requis et répondre aux besoins de l’organisation. Relativement au premier critère, soit le caractère volontaire du geste de ne pas adhérer aux orientations du ministère, il n’est pas démontré. On a porté la question de l’adhésion à l’attention de Mme Bouchard et il n’y a simplement pas eu de changement.

[364]     Quant au critère du but de la mesure, selon la procureure, il est déterminant dans ce dossier. Il n’y a pas eu d’expression d’intention de punir dans les propos de l’employeur. Ses gestes démontrent plutôt le contraire.

-       Il l’avait choisie pour participer au Programme des jeunes leaders de l’administration publique;

-       Il lui avait attribué des évaluations positives;

-       Il a reconnu qu’elle avait de très bonnes capacités pour piloter des dossiers opérationnels;

-       En novembre 2010, lorsque le problème a été constaté, on ne lui a pas dit que tout était terminé. Malgré le constat qui lui a été signalé, l’employeur a décidé de lui donner une nouvelle chance de se faire valoir positivement. La preuve fait état d’un délai de trois mois;

-       On lui a même offert du coaching.

[365]     D’autre part, Mme Bouchard n’a aucunement perdu de rémunération et a continué de recevoir son traitement comme cadre, classe 4. On ne peut pas parler de modifications substantielles de fonctions dans un cas où le classement et le salaire sont maintenus.

[366]     Mme Bouchard prétend que sa nouvelle affectation comporte moins de responsabilités. Mais elle ne peut remettre en cause la détermination du niveau de l’emploi de directrice des partenariats reconnu également de classe 4. Ce serait remettre en cause le classement du poste, ce qui n’est pas permis suivant le paragraphe 2 de l’article 70 de la Loi.

[367]     Il n’y a pas dans tout cela démonstration d’une intention de punir et il ne peut y avoir en conséquence de mesure disciplinaire déguisée.

Relativement à l’absence de titularisation de Mme Bouchard comme directrice des partenariats

[368]     En affectant Mme Bouchard à la Direction des partenariats, le MICC n’a enfreint aucune exigence légale.

[369]     Par exemple, la procureure prétend que la Commission ne devrait pas retenir l’argument de Mme Bouchard relatif au fait qu’elle ne serait pas titulaire d’un nouveau poste, car il n’y a pas eu d’acte de titularisation pour l’y nommer.

[370]     Selon elle, bien qu’elle n’ait pas de difficulté à convenir que normalement il aurait dû y en avoir un, les circonstances particulières du dossier démontrent quand même que l’existence du poste n’est pas factice. Il n’a pas été créé spécifiquement pour Mme Bouchard. Il avait été annoncé dès septembre 2010, avec le nom de la personne qui aurait dû l’occuper si ce n’eut été de sa prise de retraite survenue avant le moment prévu pour l’ajout de ce poste à l’organigramme, au printemps 2011.

[371]     Et la procureure de plaider que :

« Dans un monde idéal, on a des descriptions d’emploi signées quand le poste est attribué, mais ce n’est pas rare que cela n’existe pas. Ici, on a la chance d’en avoir une très claire. Elle n’a été signée que le 7 décembre 2011, mais la version était déjà préparée en juillet [au moment de la nomination de Mme Fleury sur le poste de directrice du CEFAHQ].

C’est vrai qu’il n’y a pas de date officielle de nomination [de Mme Bouchard] et on ne s’explique pas pourquoi. Il n’y en pas d’explication. Moi, je vous dis que c’est un oubli. Cela ne veut rien dire, c’est une erreur technique. Ce n’est pas parce que c’est écrit « poste vacant » sur un document [sur la désignation temporaire de Mme Bouchard signée le 18 août 2011 pour valoir de fin novembre 2010 à juin 2011] que la preuve a démontré que c’était un poste vacant. Faudrait peut-être pas trop s’empêtrer dans les « technicalités administratives. »

[372]     Dans les faits, l’emploi de directrice des partenariats a été offert à Mme Bouchard par le MICC dès la rencontre du 19 mai 2011. Sa désignation sur ce poste a été annoncée dans le communiqué du 6 juin. Finalement, Mme Poirier a déclaré qu’elle occupait le poste par intérim depuis cette époque en raison justement de l’absence de Mme Bouchard en congé de maladie. Si l’emploi est occupé par intérim, c’est nécessairement qu’il existe et que, conséquemment Mme Bouchard n’est pas dans le néant, sans occuper un poste. Elle en est seulement absente.

[373]     Mme Bouchard ne peut pas prétendre ne pas avoir de poste et en même temps demander, comme elle le fait, d’annuler son affectation sur celui de directrice des partenariats.

[374]     Par ailleurs, selon la procureure du MICC, il est évident que l’on ne peut pas affirmer non plus que le poste occupé maintenant par Mme Fleury est le même poste que celui occupé autrefois par Mme Bouchard : Mme Fleury détient un emploi de cadre, classe 3, alors que Mme Bouchard n’a jamais été promue à un emploi de ce niveau. Comme, suivant l’article 70 de la Loi, on ne peut pas contester la classification des emplois, on ne peut affirmer que le poste de cadre, classe 4, existe encore.

[375]     Pour la procureure, les solutions recherchées par Mme Bouchard dans son recours sont inapplicables.

[376]     La promotion est un mode de dotation défini par le Conseil du trésor selon le pouvoir qui lui est dévolu suivant le paragraphe 2° de l’article 32 de la Loi sur l’administration publique, L.R.Q., c. A-6.01, et, à ce titre, une prérogative de l’employeur, selon l’article 70 de la Loi. Alors la Commission ne peut réintégrer Mme Bouchard dans un emploi de cadre, classe 3, ce qui correspondrait à lui accorder une promotion, geste administratif qui ne lui appartient pas de poser.

Prescription, nature du délai pour inscrire le recours et défaut de le faire en temps utile

[377]     D’abord, la procureure du MICC n’est pas d’accord avec l’interprétation du second alinéa de l’article 33 de la Loi, selon laquelle la décision contestée dont il est question doit être nécessairement par écrit. Lorsque le législateur a voulu qu’un geste soit posé par écrit, il l’a dit. C’est ainsi que dans ce même second alinéa, il est expressément prévu que l’appel « en vertu du présent article doit être fait par écrit ».

[378]     Lorsque son collègue mentionne que le Règlement sur l’éthique et la discipline exige un écrit, il faut faire attention. Le Règlement en prévoit un à l’article 15, dans le cas d’un relevé provisoire de fonctions, ainsi qu’à l’article 19, pour une mesure disciplinaire. Mais il n’y a pas d’exigence d’écrit pour une affectation comme celle au poste de directrice des partenariats contestée ici.

[379]     Selon la procureure, l’utilisation du mot « expédition » par le législateur, à l’article 33, visait uniquement à distinguer celle-ci de la réception. Quand la décision est verbale, il n’y a pas de distinction à faire : elle coïncide nécessairement avec la date de réception. Dans ce cas-ci, étant donné le préambule de l’article 33 de la Loi qui réfère à une « décision informant », la date de la connaissance, soit la date à laquelle la personne est informée, doit être celle à retenir pour le calcul du délai de 30 jours.

[380]     Quant à la déclaration de la ministre Leblanc-Bentley, à l’occasion du débat à l’Assemblée nationale sur l’adoption de la Loi, elle portait strictement sur l’article 33. Or, dans ce dossier, il est soumis à la Commission qu’on n’est pas en présence d’une des mesures prévues à cet article.

[381]     Ce n’est pas parce que l’article 33 de la Loi traite d’une mesure administrative, la rétrogradation[23], que toutes les mesures administratives, comme l’affectation en ce qui concerne ce dossier, doivent faire l’objet d’un écrit.

[382]     Relativement au délai de 30 jours de l’article 33, selon la procureure, il est de rigueur. En conséquence, comme c’est le 19 mai 2011 que Mme Bouchard a appris de l’employeur qu’elle n’aurait pas la promotion qu’elle souhaitait obtenir, mais qu’elle serait affectée à la Direction des partenariats, son délai pour faire appel commençait à courir à cette date.

[383]     La procureure reconnaît qu’il y a eu dans la preuve des allusions au fait qu’il avait pu y avoir d’autres propositions que la Direction des partenariats, mais, chose certaine pour elle, il a été mentionné le 19 mai à Mme Bouchard qu’elle n’aurait pas la promotion qu’elle envisageait. C’est même rapporté dans les notes du médecin qu’elle a rencontré le 20 mai 2011.

[384]     Par ailleurs, plaide subsidiairement la procureure, si la Commission devait retenir qu’il faut un écrit pour situer le début du calcul du délai pour faire appel, alors ce délai doit commencer à courir à compter de la titularisation de Mme Fleury dans le poste de directrice du CEFAHQ.

[385]     Cette annonce a été faite dans le communiqué du MICC du 6 juin 2013, qui selon la preuve, lui a été transmis par courriel. Et Mme Bouchard a utilisé elle-même ce procédé à distance, depuis son domicile : elle a reconnu avoir reçu la description du poste de directrice des partenariats et la preuve a été faite qu’elle a adressé des courriels à Mme Poirier. Et si l’on retient la date du 6 juin pour le calcul du délai pour faire appel, ce dernier est hors délai.

[386]     Pour la procureure, le bordereau de paye sur lequel s’appuie la position de Mme Bouchard n’ajoute rien par rapport à la décision qu’elle conteste, ni par rapport à l’information qu’elle détenait déjà.

[387]     Alors, la seule possibilité qu’il reste pour écarter son défaut d’avoir contesté dans le délai prévu, c’est d’en être relevé, suivant l’article 120 de la Loi qui commande la démonstration d’une impossibilité d’agir, ce que la preuve ne permet pas.

[388]     L’article 120 prévoit une exception et à ce titre il doit être interprété de façon restrictive. Cette impossibilité a été considérée par la Commission comme une impossibilité relative, s’appuyant en cela sur l’arrêt Cité de Pont-Viau[24] de la Cour suprême. L’impossibilité doit s’appuyer très concrètement, en dehors de toute fiction.

[389]     La procureure de se demander s’il est suffisant de faire une dépression pour être relevé du défaut imparti, question à laquelle on doit répondre en regardant les faits, ce que la personne est en mesure d’accomplir, et qui doit recevoir dans ce cas-ci une réponse négative.

[390]     Comme indices à cet égard, il faudrait retenir ceux-ci :

-       Mme Bouchard a admis qu’elle avait pris connaissance du courriel de Mme Poirier du 31 mai 2011 qui lui adressait en pièce jointe la description du poste de directrice des partenariats, ce qui démontre qu’elle prenait la peine de consulter ses courriels;

-       Le 28 juillet 2011, c’est elle-même qui envoie un courriel à Mme Poirier pour s’enquérir du suivi de la rétroactivité dont on lui avait parlé le 19 mai, un geste clair d’une personne qui est capable de s’occuper de ses affaires;

-       Le 28 août, n’ayant pas obtenu encore de réponse de Mme Poirier, elle la relance, toujours par courriel.

[391]     Pour la procureure, il n’était pas plus difficile d’envoyer ces courriels que de faire parvenir son appel à la Commission ou de mandater un procureur pour exercer un recours devant un tribunal administratif.

[392]     La Dre Turcot a spécifié dans son témoignage que Mme Bouchard n’avait pas perdu contact avec la réalité. Cela s’ajoute, soutient la procureure, au fait qu’elle était capable de revendiquer des choses à son employeur et c’est une preuve de plus qu’elle pouvait former son appel.

[393]     La procureure dépose dix décisions[25] relatives à la question du délai. Après leur prise en considération, la Commission retient les deux suivantes.

[394]     Dans l’affaire Union des routiers, brasseries, liqueurs douces et ouvriers de diverses industries, local 1999, il est souligné qu’en droit québécois, l’auteur d’un document « a le choix du support ou de la technologie qui lui semble le plus approprié, à moins que la loi n’exige un support spécifique[26]. », référant en ce sens à l’article 2 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, L.R.Q., c. C-1.1. Dans les circonstances, il est loisible de considérer le communiqué du ministère du 6 juin 2011 comme un écrit valable.

[395]     De la décision Mobarakizadeh, à laquelle renvoie l’affaire Cairns[27], la procureure retient qu’il y est établi que de souffrir d’une maladie mentale, la schizophrénie dans ce cas-là, ne rend pas nécessairement une personne incapable d’accomplir les gestes appropriés pour éviter la prescription d’un recours.

[396]     En résumé, sur la question du délai, selon la procureure, il appert que Mme Bouchard a fait son appel le 8 octobre 2011, alors qu’elle savait à ce moment-là depuis beaucoup plus que 30 jours qu’elle était déplacée à la Direction des partenariats. 

[397]     En conclusion générale, le MICC demande à la Commission de déclarer :

-       l’appel de Mme Bouchard irrecevable puisqu’il est hors délai; ou subsidiairement;

-       que son recours ne remplit pas les conditions d’ouverture prévues à l’article 33 de la Loi;

-       que la Commission n’a pas compétence pour entendre un refus de promotion puisque ce domaine n’entre pas dans son champ d’intervention suivant l’article 70 de la Loi;

-       que la demande de réintégration est sans objet puisque le poste de cadre, classe 4, auquel Mme Bouchard pourrait prétendre n’existe plus;

-       que la décision d’affecter Mme Bouchard au poste de directrice des partenariats constitue une décision administrative et qu’à ce titre la Commission n’a pas le pouvoir de se saisir de la contestation de cette mesure.

Réplique de l’appelante

[398]     Le procureur de Mme Bouchard est d’accord que l’employeur dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour pourvoir un poste de cadre ou déplacer ce dernier, mais cette discrétion n’est pas sans limite. Le MICC ne peut pas prétendre qu’il a enlevé son poste à Mme Bouchard du fait qu’il a pris la décision verbale de lui attribuer un autre emploi, tout en demeurant silencieux en termes d’écrit. Et le pouvoir discrétionnaire doit être exercé conformément à l’article 3 de la Loi, notamment son paragraphe 4 qui prévoit que le mode d’organisation des ressources humaines doit favoriser « l’impartialité et l’équité des décisions affectant les fonctionnaires. »

[399]     Pour lui, dès l’automne 2010, la mesure a pris ici un caractère disciplinaire et ce sont les faits subséquents qui le démontrent. Par ailleurs, si la décision est une mesure disciplinaire, l’article 34 de la Loi donne tous les pouvoirs à la Commission pour en traiter comme elle le juge approprié.

[400]     Relativement au moyen préliminaire, le procureur insiste sur la nécessité d’un écrit pour formuler une mesure disciplinaire. Non seulement l’article 33 de la Loi qui date de 1983 le prévoit, mais l’article 19 du Règlement sur l’éthique et la discipline, depuis son adoption en 2002, dispose que :

« Toute mesure disciplinaire doit être communiquée par écrit au fonctionnaire concerné.

Cet écrit doit indiquer sommairement la nature de la faute reprochée et ses circonstances de temps et de lieu.

Cet écrit doit également indiquer au fonctionnaire son recours et la procédure permettant l’exercice de ce recours. »

[401]     Par ailleurs, si la Commission devait décider qu’un écrit n’est pas nécessaire, mais que la seule connaissance des faits est suffisante, alors il faut selon lui que ce soit la connaissance d’une décision réelle et définitive, ce qui ne serait pas le cas ici aux dates suggérées par le MICC. On ne peut prendre les notes médicales d’un tiers qui n’a pas été entendu par la Commission à leur sujet, ni présumer que Mme Bouchard a nécessairement pris connaissance de tous les courriels versés dans sa boîte à cet effet, alors qu’elle a témoigné n’avoir fait le suivi que de ceux qui répondaient aux courriels qu’elle avait envoyés. De plus, le communiqué du 6 juin, signé par Mme Deronzier, ne peut constituer une décision finale puisque c’est le sous-ministre en titre qui doit prendre une décision relative à une nomination.

[402]     Enfin, le procureur ajoute que de toute façon, Mme Bouchard aurait droit à une prolongation du délai pour faire son appel, car il a été prouvé qu’elle n’était pas apte avant le début de l’automne à prendre de décisions importantes et que la preuve médicale à cet effet n’a pas été contestée.

[403]     Sur le plan des erreurs techniques ou bureaucratiques auxquelles le MICC renvoie la Commission pour expliquer les manquements aux règles en matière de dotation, le procureur réplique qu’il n’a pas été prouvé qu’elles étaient des erreurs. En exemple, il souligne le fait que l’acte de nomination (P-40) de Mme Delvoye à un poste de cadre 4, dûment signé par la sous-ministre en titre, indique que Mme Bouchard sera sa supérieure immédiate.

[404]     Et pour le procureur, cette dernière nomination est une preuve qu’il y avait bien eu promesse de rehaussement des postes de Mmes Bouchard et Delvoye. La différence entre les deux, c’est que cette dernière l’a eu.

[405]     Le caractère disciplinaire de la mesure est apparu dès la volonté manifeste de M. Baril, en octobre 2010, de remplacer Mme Bouchard par Mme Fleury, suivie de l’imposition par le MICC d’une période probatoire de trois mois. Au même effet doit être interprétée l’absence d’évaluation de rendement de Mme Bouchard pour l’année 2010-2011 : lors de la rencontre du 19 mai 2011, on a voulu faire rapidement et lui annoncer qu’elle serait déplacée, sous le couvert d’une nouvelle affectation, d’une fausse mesure administrative.

Réponse du MICC

[406]     La procureure du MICC tient à signaler que l’article 3 de la Loi auquel réfère le procureur de Mme Bouchard n’est pas attributif de compétence, mais que seul l’article 33 doit être considéré à cet égard.

[407]     À une question de la Commission sur les accrocs à la procédure régulière que le MICC appelait à considérer comme des erreurs bureaucratiques, la procureure expose que, par exemple, la nomination de Mme Fleury en juillet 2011 peut être considérée valable, même si la description de son poste n’a été autorisée formellement qu’en décembre suivant, car cette description existait antérieurement; il y avait des projets exhaustifs au moment où Mme Fleury a été nommée.

MOTIFS

[408]    La Commission a déjà rejeté, en rapportant l’argumentation de l’intimé, l’idée qu’il pouvait être invoqué dans cette affaire un manquement aux règles d’équité procédurale.

[409]    Il demeure que Mme Bouchard soutient d’une part, que le MICC l’a abusivement déplacée de son emploi de directrice du CEFAHQ, un poste de cadre, classe 4. D’autre part, ce déplacement d’emploi constituerait une mesure disciplinaire déguisée pour la punir de son comportement et, ce faisant, la priver d’une promotion à la classe 3 qui aurait dû découler du rehaussement de son emploi de directrice du CEFAHQ à ce niveau.

[410]    Ces allégations amènent la Commission à répondre, sur le fond, à deux questions: Mme Bouchard a-t-elle été déplacée d’emploi dans le cadre d’une mesure disciplinaire déguisée et, le cas échéant, est-ce cette mesure qui a empêché Mme Bouchard d’obtenir la promotion à la classe 3 à laquelle elle prétend. Par ailleurs, la Commission doit également décider d’une troisième question, soulevée par le MICC en objection préliminaire à savoir si l’appel de Mme Bouchard a été fait tardivement.

[411]    Sur le fond, contrairement au cas d’une mesure disciplinaire simple, le fardeau de la preuve appartient à la partie qui prétend que la mesure prise à son endroit est bien de caractère disciplinaire. Quant à la preuve, elle est appréciée selon la règle de la balance des probabilités.

[412]    Dans ce cas-ci, il importe de noter que les événements se situent dans un contexte de relations de travail encadré notamment par la Loi, des règlements et des directives qui accordent des droits aux fonctionnaires mais également des prérogatives à l’employeur, nommément au sous-ministre en titre.

[413]    Concrètement, au moment où elle fait son appel, le 8 octobre 2011, Mme Bouchard a déjà été déplacée d’emploi.

[414]    Le MICC prétend que c’est ce qu’il a fait, le 19 mai 2011, au moment de lui annoncer qu’elle allait obtenir la Direction des partenariats. S’il fallait chercher plus loin, on pourrait ajouter que le MICC était tellement convaincu de l’avoir fait qu’il a nommé, en juillet suivant, Mme Fleury pour occuper son poste de directrice du CEFAHQ. De plus, il est en preuve qu’à un certain moment le bureau de Mme Bouchard a été vidé de ses affaires personnelles que celle-ci va retrouver dans d’autres locaux à l’automne 2011. Mme Poirier a mentionné qu’elle avait téléphoné à Mme Bouchard en juin pour lui dire de récupérer ses affaires, car son bureau était pour être occupé par sa remplaçante.

[415]    Toutefois, s’il faut conclure que Mme Bouchard a, dans les faits, été déplacée d’emploi, a-t-elle été pour autant affectée à un autre emploi?

[416]    Mme Bouchard invoque ainsi que le caractère punitif de son déplacement est marqué davantage du fait qu’il l’a été en contravention des règles de dotation applicables.

[417]    Avant d’évaluer la pertinence de l’argumentation respective des parties et de trancher les questions de fond, la Commission va donc exposer les règles du droit applicable et elle disposera de l’objection préliminaire en dernier lieu.

Le droit applicable

La Loi

[418]    Le chapitre I de la Loi décrit son champ d’application et son objet. Si l’article 2 prévoit que la mission de la fonction publique est d’abord « […] de fournir au public les services de qualité auxquels il a droit […], l’article 3 précise que pour l’accomplissement de cette mission est institué :

« […] un mode d’organisation des ressources humaines destiné à favoriser : [entre autres]

[…]

4° l’impartialité et l’équité des décisions affectant les fonctionnaires;

[…] »

[419]    La Commission est d’accord avec le MICC que cette disposition n’est pas attributive d’une compétence particulière comme, en l’espèce, doit être considéré l’article 33 de la Loi. Toutefois, cet énoncé de principe de l’article 3 peut servir à apprécier les faits mis en preuve et l’application que le MICC pourra avoir fait de ses prérogatives et des différentes règles que le mode d’organisation des ressources humaines prévoit.

[420]    C’est au chapitre II de la Loi, intitulé Droits et obligations des fonctionnaires, que l’on retrouve la section IV consacrée aux Recours dont ils disposent pour contester certaines décisions relatives à leurs conditions de travail. Les articles 33 et 34, pour leur part, prévoient ce qui suit.

« 33. À moins qu’une convention collective de travail n’attribue en ces matières une compétence à une autre instance, un fonctionnaire peut interjeter appel devant la Commission de la fonction publique de la décision l’informant :

1° de son classement lors de son intégration à une classe d’emploi nouvelle ou modifiée;

2° de sa rétrogradation;

3° de son congédiement;

4° d’une mesure disciplinaire;

5° qu’il est relevé provisoirement de ses fonctions.

Un appel en vertu du présent article doit être fait par écrit et reçu à la Commission dans les 30 jours de la date d’expédition de la décision contestée.

Le présent article, à l’exception du paragraphe 1° du premier alinéa, ne s’applique pas à un fonctionnaire qui est en stage probatoire conformément à l’article 13.

34. La Commission de la fonction publique peut maintenir, modifier ou annuler une décision portée en appel en vertu de l’article 33.

Lorsque la Commission modifie une telle décision, elle peut y substituer celle qui lui paraît juste et raisonnable compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.

Lorsque la Commission maintient la rétrogradation d’un fonctionnaire ou transforme un congédiement en rétrogradation, elle peut ordonner que l’appelant soit rétrogradé à une classe d’emploi déterminée par le président du Conseil du trésor compte tenu de ses aptitudes. »

[421]    Dans le cas de l’allégation, comme celle de Mme Bouchard, d’une mesure disciplinaire déguisée, peut venir se poser, comme dans ce cas-ci, un problème de calcul du délai pour la contester puisque l’employeur, prétendant qu’il s’agit plutôt d’une mesure administrative, soutient que l’article 33 ne peut trouver application. D’où la nécessité de déterminer en premier lieu la nature de la mesure avant de se prononcer sur le respect du délai pour soumettre l’appel.

[422]    Venant faire écho à l’article 3 de la Loi, le chapitre III, Gestion des ressources humaines, présente trois sections, dont la dernière sur les Administrateurs d’État n’est pas pertinente à ce dossier. Par ailleurs, la première sur les Responsabilités des ministères et organismes détermine notamment à l’article 37 que « le sous-ministre est responsable de la gestion des ressources humaines du ministère. » Dans la seconde qui traite de la Dotation, on trouve d’une part, l’encadrement général des concours de recrutement et de promotion et d’autre part, celui du processus de nomination et du classement. 

[423]    À cet égard, trois articles sont à retenir :

« 51.     Lors de son entrée en fonction et à chaque fois qu’il change d’emploi, le fonctionnaire est nommé par le sous-ministre ou le dirigeant d’organisme dont relève l’emploi à combler.

53.        À la suite d’un concours, la nomination d’un fonctionnaire est faite au choix parmi les personnes inscrites sur la liste de déclaration d’aptitudes.

[]

54.        Lors de son entrée en fonction et lorsqu’il change de classe d’emploi ou de grade, le fonctionnaire se voit attribuer, par le sous-ministre ou le dirigeant d’organisme, un classement conformément au règlement prévu à l’article 126.

[] »

[424]    Le chapitre IV de la Loi porte sur le Régime syndical et l’article 70 établit que les fonctionnaires sont régis par les dispositions de la convention collective qui leur sont applicables ou à défaut par celles de la Loi ainsi que par celles de la Loi sur l’administration publique (L.R.Q. c. A-6.01). Mais le même article prévoit d’autres restrictions à considérer.

« 70.     […] En outre, aucune disposition d’une convention collective ne peut restreindre les pouvoirs d’un sous-ministre, d’un dirigeant d’organisme, du gouvernement ou du Conseil du trésor à l’égard de l’une ou l’autre des matières suivantes :

1°    la nomination des candidats à la fonction publique ou la promotion des fonctionnaires;

2°    la classification des emplois y compris la définition des conditions d’admission et la détermination du niveau des emplois en relation avec la classification;

3°    l’attribution du statut de fonctionnaire permanent et la détermination de la durée d’un stage probatoire lors du recrutement ou de la promotion;

4°    l’établissement des normes d’éthique et de discipline dans la fonction publique;

5°    l’établissement des plans d’organisation et la détermination et la répartition des effectifs.

[…] »

[425]    En matière de prorogation de délai, on retiendra que, selon l’article 120 de la Loi :

« 120.   La Commission peut proroger un délai fixé par la loi lorsqu’elle considère qu’un fonctionnaire a été dans l’impossibilité d’agir plus tôt ou de donner mandat d’agir en son nom dans le délai prescrit. »

Le mot « loi » est pris ici dans son sens large et non pas au sens de la seule Loi sur la fonction publique auquel cas le législateur aurait écrit « fixé par la présente loi », expression utilisée souvent dans la Loi.

[426]    Pour conclure sur les dispositions de la Loi, citons, d’abord en complément de son article 54, l’article 126 du chapitre VI portant sur la Réglementation, ainsi que l‘article 127 qui limite la portée d’un recours en appel.

« 126.   Le gouvernement peut, par règlement, sur avis du Conseil du trésor :

1°    préciser les normes d’éthique et de discipline prévues dans la présente loi et en établir de nouvelles;

2°    définir les mesures disciplinaires applicables à un fonctionnaire et en déterminer les modalités d’application;

3°    déterminer à quelles conditions et selon quelles modalités un fonctionnaire peut être relevé provisoirement de ses fonctions, ainsi que les cas où le relevé se fait sans ou avec rémunération;

4°    fixer les normes pour le classement des fonctionnaires;

5°    modifier, remplacer ou abroger un règlement adopté par le ministre de la Fonction publique en vertu de la Loi sur la fonction publique F-3.1).

127.      Le gouvernement prévoit par règlement, sur les matières qu’il détermine, un recours en appel pour les fonctionnaires qui ne sont pas régis par une convention collective et qui ne disposent d’aucun recours sur ces matières en vertu de la présente loi.

Ce règlement établit, en outre, les règles de procédure qui doivent être suivies.

La Commission de la fonction publique entend et décide d’un appel. Le paragraphe 2° du premier alinéa de l’article 116, en ce qui concerne les règles de procédure, ne s’applique pas à cet appel. »

[427]    Enfin, de la Loi sur l’administration publique, il faut retenir l’énoncé des pouvoirs suivants attribués au Conseil du trésor en rapport avec le mode d’organisation des ressources humaines.

32.        Pour la fonction publique, le Conseil du trésor :

1°    établit la classification des emplois ou de leurs titulaires y compris les conditions minimales d’admission aux classes d’emploi ou aux grades;

2°    définit les modes de dotation qui peuvent être utilisés pour combler les emplois;

3°    détermine la rémunération, les avantages sociaux et les autres conditions de travail des fonctionnaires.

Le Conseil du trésor peut, en outre, établir le niveau de l’effectif d’un ministère ou d’un organisme. »

Les règlements

[428]    Dans l’application du recours de l’article 33 de la Loi qu’invoque Mme Bouchard, lorsqu’il s’agira de matières prévues dans une directive du Conseil du trésor, il faudra tenir compte des balises à cet égard que renferme le Règlement sur un recours adopté en vertu de l’article 127 de la Loi.

[429]    Il en est ainsi pour l’article 2 de ce règlement qui traite des matières d’appel.

« 2.       Un fonctionnaire qui se croit lésé peut en appeler d’une décision rendue à son égard en vertu des directives suivantes du Conseil du trésor, à l’exception des dispositions de ces directives qui concernent la classification, la dotation et l’évaluation du rendement sauf, dans ce dernier cas, la procédure relative à l’évaluation du rendement :

1°    la Directive concernant l’ensemble des conditions de travail des cadres;

[suit l’énoncé de 12 autres directives non pertinentes à ce dossier]. »

[430]    L’autre règlement applicable est le Règlement sur l’éthique et la discipline adopté en vertu de l’article 126 de la Loi. Au chapitre IV de ce règlement, intitulé Mesures disciplinaires, on peut lire ce qui suit.

« 18.     Une mesure disciplinaire peut consister en une réprimande, une suspension ou un congédiement selon la nature et la gravité de la faute qu’elle vise à réprimer.

19.        Toute mesure disciplinaire doit être communiquée par écrit au fonctionnaire concerné.

             Cet écrit doit indiquer sommairement la nature de la faute reprochée et ses circonstances de temps et de lieu.

             Cet écrit doit également indiquer au fonctionnaire son recours et la procédure permettant l’exercice de ce recours. »

Les directives

[431]    La Directive concernant l’ensemble des conditions de travail des cadres, à laquelle réfère le Règlement sur un recours, ne comporte pas, malgré ce que peut laisser entendre son titre, les règles concernant la gestion de leur emploi qui sont plutôt l’objet d’une directive spécifique, soit la Directive concernant la gestion des emplois de cadres, passée en revue plus loin.

[432]    La Directive sur les conditions de travail inclut cependant, à son chapitre 3, les normes à suivre en matière d’évaluation du rendement, dont on retiendra les suivantes.

« 12.    L’évaluation du rendement consiste à procéder à l’appréciation du degré de réalisation des attentes préalablement signifiées.

            Par attentes signifiées, il faut comprendre les responsabilités découlant de l’emploi et les demandes spécifiques exprimées au cadre par le supérieur immédiat et portant sur des résultats anticipés, des comportements prévus ou tout autre besoin de l’organisation.

13.       L’évaluation du rendement repose sur des faits et se traduit par l’une des cinq cotes d’évaluation suivantes :

            a)    « A » : un rendement qui dépasse de beaucoup les attentes signifiées;

            b)    « B » : un rendement qui dépasse les attentes signifiées;

            c)    « C » : un rendement qui est équivalent aux attentes signifiées;

            d)    « D » : un rendement qui est inférieur aux attentes signifiées;

            e)    « E » : un rendement qui est grandement inférieur aux attentes signifiées.

14.       L’évaluation du rendement est faite annuellement dans les 60 jours suivant le 31 mars et la période de référence de celle-ci entre le 1er avril d’une année et le 31 mars de l’année suivante.

15.       L’évaluation du rendement est effectuée par le supérieur immédiat et révisée par le supérieur hiérarchique.

            Si le supérieur immédiat est un sous-ministre, l’évaluation du rendement du cadre n’est pas révisée. »

[433]    Quant à la Directive concernant la gestion des emplois de cadres, la Commission prend en considération principalement les normes prévues aux articles suivants.

Sur la notion d’« attributions » :

            « 5.      […]

             L’exercice des fonctions d’encadrement est principalement caractérisé par la gestion de diverses ressources, par le maintien de rapports hiérarchiques et de relations entre unités administratives, et nécessite une adhésion aux valeurs de la fonction publique et aux normes d’éthique, une vision claire de la mission de l’organisation, une lecture de l’environnement politico-administratif, la prise de décision ainsi qu’une capacité de mobiliser et déléguer. Le rôle d’encadrement amène à faciliter le développement et la carrière des personnes supervisées.

Sur les « orientations » en matière de dotation :

« 28.     Le sous-ministre ou le dirigeant d’organisme est responsable de la dotation des emplois de cadres et, à cette fin, il doit :

1° déterminer les besoins en ressources humaines nécessaires à la réalisation des mandats et des programmes qui leur sont confiés;

2° identifier et planifier les moyens à utiliser pour satisfaire leurs besoins en ressources humaines, et ce, à partir de leur connaissance des bassins de main-d’œuvre disponible tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leur ministère ou organisme;

3° privilégier le recours aux cadres qui seraient sous-utilisés afin de contribuer à l’utilisation optimale des ressources humaines;

4° favoriser les mouvements de personnel à l’intérieur de la fonction publique afin de permettre aux cadres de diversifier leur expérience, d’améliorer leur compétence et ainsi de mieux répondre aux besoins de l’organisation;

5° tenir compte, dans les décisions qu’il prend concernant le choix de son personnel d’encadrement, de la vocation gouvernementale et interministérielle de ces ressources, en s’assurant qu’elles possèdent les aptitudes et la compétence, notamment en gestion, pour occuper éventuellement d’autres emplois dans la fonction publique, ainsi que des mesures d’accès à l’égalité. »

Sur les « modes de dotation » :

« 29.     Les modes de dotation sont des procédés de gestion utilisés pour pourvoir à des emplois vacants.

30.        Un emploi est réputé vacant lorsqu’il est dépourvu de titulaire ou en voie de le devenir définitivement et qu’un sous-ministre ou un dirigeant d’organisme décide d’y pourvoir. Un emploi ne devient pas vacant du seul fait de son transfert d’un ministère ou d’un organisme à un autre, avec les crédits afférents, si le transfert se réalise entre deux ministères ou organismes budgétaires.

31.        Le sous-ministre ou le dirigeant d’organisme peut, sous réserve des orientations prévues à l’article 28, avoir recours aux modes de dotation suivants :

                         1° l’affectation

 L’affectation permet de pourvoir à un emploi vacant d’un ministère ou d’un organisme par un cadre qui appartient à ce ministère ou cet organisme et dont la classe d’emplois est la même que celle de l’emploi à pourvoir.

la mutation

La mutation permet de pourvoir à un emploi vacant d’un ministère ou d’un organisme par un cadre qui appartient à un autre ministère ou organisme et dont la classe d’emplois est la même que celle de l’emploi à pourvoir.

la promotion

La promotion permet de pourvoir à un emploi vacant par un fonctionnaire déclaré apte à une classe d’emplois de niveau supérieur à celle à laquelle il appartient.

Une classe d’emplois de niveau supérieur comporte des conditions minimales d’admission supérieures ou un traitement maximum supérieur.

le recrutement

Le recrutement permet de pourvoir à un emploi vacant par une personne provenant de l’extérieur de la fonction publique qui, suite à la tenue d’un concours, a été déclarée apte à la classe d’emplois visée.

Un fonctionnaire peut être admis à un concours de recrutement.

32.       Le sous-ministre ou le dirigeant d’organisme détermine le mode de dotation à utiliser pour pourvoir à un emploi, et ce, en tenant compte des orientations prévues à l’article 28, et en respectant, sous réserve du droit du sous-ministre de procéder par affectation, les priorités d’accès aux emplois vacants accordées :

1° aux fonctionnaires visés par l’article 30 de la Loi sur la fonction publique;

                         2° aux cadres identifiés en transition de carrière.

33.       Lorsque les nécessités du service l’exigent, le sous-ministre ou le dirigeant d’organisme peut procéder à la désignation à titre provisoire d’un fonctionnaire dans un emploi vacant, et ce, jusqu’à ce que cet emploi vacant soit pourvu.

            Le cadre ou tout autre fonctionnaire faisant l’objet d’une désignation à titre provisoire doit de préférence être choisi parmi ceux qui appartiennent à une classe d’emplois de niveau équivalent ou supérieur à l’emploi à pourvoir.

            Lorsque le sous-ministre ou le dirigeant d’organisme procède à la désignation à titre provisoire d’un fonctionnaire appartenant à une classe d’emplois de niveau inférieur à l’emploi à pourvoir, il doit tenir compte dans son choix des personnes visées par les mesures d’accès à l’égalité et il doit également enclencher le processus de dotation en même temps qu’il procède à cette désignation.

34.       Le sous-ministre ou le dirigeant d’organisme peut procéder à la désignation d’un remplaçant temporaire lorsqu’il est nécessaire de remplacer un cadre durant son absence, en raison de son incapacité temporaire d’exercer ses fonctions, ou s’il est désigné à titre de cadre à mandat stratégique en vertu de l’article 23. »

Sur la « gestion des cadres en transition de carrière » :

« 41.     Les sous-ministres et dirigeants d’organisme ont la responsabilité de gérer leurs emplois et leurs cadres à l’intérieur des règles prévues dans la présente directive. Ils doivent mettre à la disposition de leurs cadres tous les moyens favorisant une saine gestion de leur carrière. Pour leur part, les cadres ont la responsabilité de se tenir à jour, de se recycler et de participer à la gestion de leur carrière. »

[434]    Du droit applicable énoncé précédemment, la Commission retient les enseignements suivants relatifs au mode d’organisation des ressources humaines dont est dotée la fonction publique.

[435]    Le paragraphe 2 de l’article 32 de la Loi sur l’administration publique mentionne que le Conseil du trésor définit les modes de dotation des emplois à utiliser pour pourvoir ces derniers.

[436]    Ces modes de dotation et les orientations à suivre dans leur application sont décrits dans la Directive concernant la gestion des emplois de cadres adoptée par le Conseil du trésor.

[437]    Selon l’article 28 de cette directive, c’est le sous-ministre en titre qui est responsable de la dotation des emplois de cadres. Il lui revient entre autres de déterminer les besoins en ressources humaines (par. 1), de favoriser les mouvements de personnel à l’intérieur de la fonction publique pour leur permettre de diversifier leur expérience (par. 4), et également de tenir compte « dans les décisions qu’il prend concernant le choix de son personnel d’encadrement » des aptitudes à occuper d’autres emplois (par. 5).

[438]    Retenons encore que la notion relative aux attributions d’un emploi de cadre, traitée à l’article 5 de la même directive, mentionne que l’exercice des fonctions d’encadrement nécessite notamment « une vision claire de la mission de l’organisation, une lecture de l’environnement politico-administratif […] »

[439]    La Directive concernant la gestion des emplois de cadres prévoit aussi, à son article 29, que les « modes de dotation sont des procédés de gestion utilisés pour pourvoir à des emplois vacants. »

[440]    Et selon l’article suivant, un « emploi est réputé vacant lorsqu’il est dépourvu de titulaire ou en voie de le devenir définitivement et qu’un sous-ministre ou un dirigeant d’organisme décide d’y pourvoir. […] »

[441]    Pour ajouter à l’exigence formelle, et à la logique pourrait-on dire, qu’il faille qu’un emploi soit vacant avant de le pourvoir, l’article 31 de la directive répète, à chacune des définitions des quatre modes de dotation, que cela sert à pourvoir un « emploi vacant ».

[442]    Suivant l’article 32 de la Directive, c’est le sous-ministre qui « détermine le mode de dotation à utiliser » pour pourvoir un emploi.

[443]    Il peut également, selon les articles 33 et 34, désigner temporairement quelqu’un pour occuper un emploi vacant tant qu’il n’est pas pourvu ou encore désigner un remplaçant temporaire dans le cas où le détenteur du poste en est absent.

[444]    Soulignons aussi que selon l’article 41, toujours de la même directive, il est précisé que les sous-ministres « ont la responsabilité de gérer leurs emplois et leurs cadres à l’intérieur des règles prévues dans la présente directive. […] » Cette affirmation s’insère en introduction d’une section du chapitre sur la Gestion des cadres en transition de carrière, mais elle s’impose d’elle-même en général.

[445]    Quant à la nomination d’un fonctionnaire à un emploi, c’est une prérogative que la Loi réserve, à son article 51, au sous-ministre dont relève l’emploi à pourvoir. Le même article précise qu’un fonctionnaire est nommé à chaque fois qu’il change d’emploi. À cet égard, le MICC prétend, avec raison, que cet article est une disposition d’ordre public, donc, précise la Commission, une formalité à côté de laquelle on ne peut pas passer. Cette notion d’ordre public reliée à la nomination ou à la promotion des fonctionnaires ressort également de l’article 70 de la Loi, comme le prétend encore à bon droit le MICC. Avec le même corollaire, selon la Commission.

[446]    Soulignons également que l’article 53 de la Loi prévoit qu’à « la suite d’un concours, la nomination d’un fonctionnaire est faite au choix parmi les personnes inscrites sur la liste de déclaration d’aptitudes […]. »

[447]    Enfin, il convient de relever la place où s’inscrit l’évaluation du rendement d’un cadre dans le mode d’organisation des ressources humaines. L’article 12 de la Directive concernant l’ensemble des conditions de travail des cadres mentionne qu’elle « consiste à l’appréciation du degré de réalisation des attentes préalablement signifiées », lesquelles sont définies comme :

« les responsabilités découlant de l’emploi et les demandes spécifiques exprimées au cadre par le supérieur immédiat et portant sur des résultats anticipés, des comportements prévus ou tout autre besoin de l’organisation. »

[448]    C’est en ayant en tête ce résumé des dispositions pertinentes du mode d’organisation des ressources humaines que l’on peut examiner maintenant, au regard du contexte dans lequel le MICC a déplacé Mme Bouchard, si la mesure a été exercée d’une part, régulièrement et d’autre part, dans le cadre d’une mesure disciplinaire déguisée, et ce, comme il l’est rappelé dans la décision Rouleau à laquelle nous renvoie le MICC, en tenant compte de toutes les circonstances de l’affaire.

Le contexte

[449]    De la trame des événements exposés en preuve, la Commission retient principalement ce qui suit. Selon Mme Deronzier, il y avait déjà quelques années que le MICC était préoccupé par les problèmes que posait le processus de réalisation des évaluations comparatives de scolarité des personnes souhaitant immigrer au Québec. La table des directeurs généraux du ministère travaillait déjà sur la question alors qu’elle-même était encore directrice générale.

[450]    Mais, il y avait également d’autres problèmes à régler lorsque Mme Deronzier est nommée sous-ministre adjointe au secteur de l’Intégration, dont un retard prononcé dans la production des évaluations de scolarité, problème qui l’a amenée à demander à Mme Bouchard de prendre les rênes du CEFAHQ en février 2009. Le mode de dotation retenu par le MICC est alors l’affectation, Mme Bouchard, déjà au service du MICC, passant d’un emploi de classe 4 à un autre du même niveau, la détermination du niveau de chacun étant alors établie et non contestée.

[451]    Les résultats ne se sont pas fait attendre. Dès le mois de septembre suivant, Mme Deronzier félicitait sans réserve le trio composé de M. Lafrance, Mme Bouchard et Mme Delvoye. Cette appréciation ne se démentira pas particulièrement à l’égard de Mme Bouchard qui se verra accorder la cote B+ pour son rendement de l’année 2009-2010 et être proposée pour participer au Programme des jeunes leaders de l’administration publique.

[452]    Puis, divers changements surviennent durant l’année 2010. Le sous-ministre en titre M. Lacroix est remplacé par Mme Champoux en janvier.

[453]    Au printemps, la DRH demande aux cadres du ministère de revoir les descriptions d’emploi de leurs employés et, à la DIP, M. Lafrance obtient le feu vert de Mme Deronzier, avec l’approbation de la sous-ministre en titre, pour revoir celles de Mmes Bouchard et Delvoye.

[454]    En mai 2010, le VG rend public un rapport identifiant des problèmes au plan de la sélection des travailleurs immigrants, dont certains en lien avec la reconnaissance de leurs acquis en termes d’expérience et de scolarité. En bref, les futurs immigrants recevaient une première évaluation de leurs acquis d’un bureau du secteur Immigration du MICC situé à l’étranger, mais l’évaluation définitive, en ce qui a trait à leur formation académique, leur était fournie par le CEFAHQ, une direction du secteur Intégration, après leur arrivée au Québec. Et le VG de constater notamment que certains outils utilisés dans les bureaux du MICC à l’étranger et par le CEFAHQ au Québec étaient différents ou comportaient des tableaux comparatifs distincts.

[455]    Un mois plus tard, le MICC entreprend de modifier sa vision d’affaires pour répondre aux critiques du VG. Ce fut le cas entre autres à la Direction des systèmes d’information qui dépendait alors de la Direction générale des services à l’organisation, que dirigeait encore M. Baril et qui faisait partie du secteur Performance et francisation.

[456]    En plus de produire des évaluations comparatives de diplômes, le CEFAHQ, depuis 2009, à l’époque du sous-ministre Lacroix, avait déjà développé son propre plan stratégique d’intégration professionnelle des immigrants. Mais durant l’été 2010, après le rapport du VG et après l’arrivée de la sous-ministre Champoux, le SACQ, du secteur Performance et francisation, a élaboré, avec l’aide de consultants, d’autres solutions aux problèmes du processus de sélection des immigrants. Pour la Commission, il apparaît que le changement de la haute direction du ministère, le rapport du VG et puis la nomination de M. Baril comme sous-ministre adjoint au secteur Immigration ont amené, ce qui est courant dans de telles circonstances, des changements d’orientation de gestion.

[457]    Tant et si bien qu’en septembre 2010, lorsque les trois secteurs du MICC se lancent dans divers chantiers de travail, dont un des processus d’affaires à réviser concernait l’évaluation des diplômes, l’arrimage entre les diverses approches s’est avéré difficile, les façons de travailler étant différentes.

[458]    Pendant ce temps, les descriptions d’emploi révisées de Mmes Bouchard et Delvoye étaient en voie d’être complétées en collaboration avec la DRH. Au point qu’en octobre 2010 celle-ci était disposée à recommander que le niveau de leurs emplois de cadre soit rehaussé respectivement de la classe 4 à la classe 3 et de la classe 5 à la 4, ce qui devait représenter une promotion pour chacune. Si c’était clair pour les premières intéressées et pour leur supérieur immédiat, M. Lafrance, leur supérieure hiérarchique, Mme Deronzier dit bien n’avoir jamais promis autre chose que de réviser le classement de leur emploi, sans leur promettre qu’elles auraient la promotion qui pourrait s’ensuivre. Toutefois, pour la Commission, le ton et le contenu du message de consolation qu’elle leur enverra de Paris après qu’elles auront appris, fin novembre, que la réorganisation du moment ne prévoit pas le changement du niveau de leur emploi, démontrent plutôt qu’elle envisageait elle aussi le rehaussement de ce niveau, bien qu’elle ne l’ait pas affiché aussi ouvertement que ce qu’on a voulu lui faire dire.

[459]    Mais ce sur quoi la preuve est unanime, c’est que le niveau de ces emplois n’a pas été rehaussé, en novembre 2010, et ce, malgré la recommandation en ce sens de la DRH. Quant au motif de ce choix du MICC, la Commission retient, de l’ensemble de la preuve, qu’il a été démontré que c’est principalement en raison de l’appréciation négative de l’attitude de Mme Bouchard. Pour M. Lafrance, cette dernière avait été faussement l’objet de  dénigrement quant à son manque de collaboration à la mise en œuvre de solutions nouvelles. Selon Mme Deronzier, des intervenants de différentes directions étaient effectivement de ce dernier avis.

[460]    La Commission retient pour avéré également que M. Baril a suggéré dès octobre 2010 de remplacer Mme Bouchard à la direction du CEFAHQ par Mme Fleury. Mme Deronzier a bien mentionné que ce n’était pas exactement ce qu’il avait dit. Mais la fermeté du témoignage de M. Lafrance qui a rapporté ce qu’elle lui avait mentionné à ce sujet et les propos un peu flous de Mme Deronzier à ce sujet, contrairement à son témoignage en général, convainquent davantage la Commission de ce qu’était la perspective envisagée par M. Baril.

[461]    Pour conclure sur cette partie du contexte des événements qui ont mené au déplacement de poste de Mme Bouchard, il faut souligner que les changements organisationnels ministériels mis en branle par le MICC en 2010 représentent un ensemble d’actes de gestion dont la valeur n’a pas à être appréciée par la Commission et qui ont concerné un grand nombre de personnes et de services et pas juste le CEFAHQ. C’est uniquement le traitement accordé à la situation de Mme Bouchard à laquelle la Commission s’attarde maintenant.

[462]    Rappelons-le, les prérogatives de l’employeur en matière de répartition des effectifs et de dotation, affectation ou promotion, ne sont pas contestées. C’est l’existence d’une mesure disciplinaire déguisée appliquée à l’occasion de l’exercice d’un mode de dotation qui est ici en cause.

Le déplacement d’emploi de Mme Bouchard

[463]    Ainsi, suivant la preuve, la question du déplacement d’emploi de Mme Bouchard s’est posée une première fois en octobre 2010. La DRH avait conclu que le poste de directrice du CEFAHQ devait être haussé du niveau de la classe 4 à la classe 3. La haute direction du MICC ne voulait pas confier l’emploi à venir de classe 3 à Mme Bouchard parce que, de l’opinion majoritaire du BSM et de celle de la sous-ministre en titre, elle n’entretenait pas de relations harmonieuses avec d’autres directions du ministère et cela entraînait du retard dans la progression de la réorganisation du ministère et de ses plans d’affaires.

[464]    La sous-ministre en titre, comme responsable de la dotation des emplois et de la nomination des fonctionnaires à chaque fois qu’ils changent d’emploi, pouvait choisir le mode de dotation du nouveau poste envisagé de classe 3, comme elle pouvait déplacer Mme Bouchard à un autre emploi de cadre, classe 4, soit le même moyen qui avait été utilisé en février 2009 pour la nommer directrice du CEFAHQ.

[465]    La promesse de rehaussement du niveau des emplois de Mmes Bouchard et Delvoye, comme M. Lafrance et celles-ci l’avaient comprise, ne peut pas être retenue, dans les circonstances, comme liant de quelque façon la sous-ministre en titre. Étant donné le nombre de promotions auxquelles les réorganisations ministérielles de septembre et novembre 2011 ont donné lieu dans d’autres directions, ainsi que l’impression qui se dégage des commentaires d’une personne désolée exprimés par Mme Deronzier lorsqu’il est devenu évident qu’on ne voulait pas donner le poste de classe 3 à Mme Bouchard, on peut facilement comprendre que les principales intéressées se soient senties trompées. Tout en étant peut-être inélégant dans les circonstances, le procédé, s’il eut été suivi, n’aurait pas été irrégulier. Mais on n’a pas choisi d’affecter Mme Bouchard à un autre emploi, ni déterminé que le poste de directrice du CEFAHQ était de classe 3.

[466]    À l’insistance de Mme Deronzier, la sous-ministre en titre a été d’accord pour « donner une chance » à Mme Bouchard de démontrer qu’elle pouvait changer d’attitude, aspect sur lequel cette décision revient plus loin pour déterminer si elle s’est insérée dans un processus administratif ou disciplinaire.

[467]    Le moment où une nouvelle affectation de Mme Bouchard aurait eu lieu serait, selon le MICC, survenu fin mai début juin 2011, soit lors de la rencontre du 19 mai et de l’annonce à celle-ci que la décision de la sous-ministre en titre s’était « cristallisée » ou encore par le communiqué du 6 juin. La Commission n’est pas d’accord.

[468]    Une annonce de décision à venir n’est pas une prise de décision. Pour que soit créé l’emploi de directrice du CEFAHQ, classe 3, il fallait d’abord que la détermination de ce nouveau niveau d’emploi ait été réalisée. Or, selon la preuve, ce ne sera fait que le 7 décembre 2011, par la signature du formulaire approprié par la sous-ministre en titre. En conséquence, tant et aussi longtemps que l’emploi de directrice du CEFAHQ est demeuré un emploi de classe 4 et que Mme Bouchard n’a pas été affectée ailleurs, cet emploi n’a jamais été vacant. Or, Mme Bouchard n’a jamais été nommée à un autre emploi.

[469]    Ce n’est qu’en décembre 2011 qu’on peut considérer que Mme Bouchard a été malgré tout, malgré l’absence d’une nomination à un autre emploi, relevée de son emploi de classe 4, car ce n’est qu’à ce moment-là que ce dernier disparaît puisqu’il est reconnu qu’en lieu et place l’emploi de directrice du CEFAHQ est dorénavant de classe 3. Comme Mme Bouchard n’a jamais été nommée directrice des partenariats, on pourrait se demander quel emploi elle allait alors occuper, mais il ne s’agit pas là d’une question à laquelle la Commission doit répondre dans le cadre de cet appel.

[470]    Quant à l’argument que la nomination, en juillet 2011, de Mme Fleury au poste de directrice du CEFAHQ, pourrait démontrer que Mme Bouchard avait été affectée ailleurs, il ne tient pas. Au mieux, Mme Fleury pouvait être nommée en remplacement de Mme Bouchard sur son poste de classe 4 car celle-ci en était absente pour maladie, mais Mme Fleury ne pouvait pas être nommée à un poste de classe 3 qui n’existait pas encore. De plus, l’emploi de directrice du CEFAHQ n’était pas vacant, ni en voie de le devenir définitivement, au sens de l’article 30 de la Directive concernant la gestion des emplois de cadres.

[471]    Le MICC soutient que la Commission n’a pas, selon l’article 70 de la Loi, une compétence d’appel en matière de détermination du niveau des emplois et de nomination ou de promotion des fonctionnaires. Ce qui est exact. Mais les motifs précédents s’inscrivent, non pas dans le but de statuer sur ces matières, mais plutôt dans le processus de vérifier si la mesure de déplacement d’emploi, prise à l’égard de Mme Bouchard, a constitué une mesure disciplinaire, et ce, au même titre que la Cour suprême, dans l’affaire Langlois précitée, a reconnu qu’il pouvait être évalué par la Commission si une affectation, un autre mode de dotation, pouvait constituer une mesure disciplinaire.

[472]    Force est de constater, comme on l’a vu précédemment, que Mme Bouchard a été dans les faits déplacée de son emploi de directrice du CEFAHQ, mais force est également de constater qu’elle n’a pas été affectée ailleurs. Et si la sous-ministre en titre ne l’a jamais nommée à un autre emploi, le MICC ne peut pas prétendre que le déplacement de Mme Bouchard a été réalisé dans le cadre d’une mesure administrative comme une affectation.

L’absence de rétrogradation

[473]    Le MICC suggère que Mme Bouchard n’a pas été rétrogradée, c’est-à-dire n’est jamais passée d’un emploi de classe 3 à un autre de classe 4, car elle n’a jamais été nommée d’abord à un emploi de classe 3. Toutefois, selon la preuve, l’acte de nomination de Mme Delvoye, signé par la sous-ministre en titre le 20 juin 2011, soit après les annonces de la rencontre du 19 mai ou le communiqué du 6 juin, fait état que celle-ci passe, avec le même numéro de poste, de la classe 5 à la classe 4 et il est expressément indiqué que sa supérieure immédiate est toujours « Bouchard, Françoise, Dir CEFAHQ ».

[474]    En principe, et selon le mode d’organisation des ressources humaines applicable, si Mme Delvoye accède à la classe 4, sa supérieure immédiate doit nécessairement être au moins de classe 3.

[475]    Mais, effectivement, il n’y a pas de preuve que Mme Bouchard n’ait jamais été nommée, suivant les règles, à la classe 3 et la Commission ne peut pas se substituer à un sous-ministre en titre pour le faire à sa place. La Commission fait prévaloir dans ce cas-ci la norme plutôt que l’apparence d’un droit qui aurait été accordé à Mme Bouchard. La Commission devra nécessairement appliquer la même approche dans son analyse d’autres actes de l’administration lorsqu’elle aura à conclure quant à leur effet au-delà des apparences qu’on aura voulu leur donner.

[476]    Par ailleurs, Mme Bouchard prétend que son affectation à la Direction des partenariats aurait constitué une rétrogradation en raison d’une diminution radicale des responsabilités rattachées à cet emploi (nombre et type d’employés à gérer, budget, etc.). La Commission ne retient pas ce motif; il y a absence de preuve que la détermination du niveau de cet emploi à la classe 4 ait été abusive ou déraisonnable.

Le caractère de la mesure prise à l’égard de Mme Bouchard

[477]    En novembre 2010, Mme Deronzier a échangé avec la sous-ministre en titre à propos du rehaussement du poste de directrice du CEFAHQ et a obtenu que l’opinion de Mme Champoux ne se « cristallise » pas. Il a été décidé de donner à Mme Bouchard une chance de démontrer qu’elle pouvait être, comme l’a exprimé Mme Deronzier, l’agent de changement souhaité à la direction du CEFAHQ dans les circonstances de la réorganisation ministérielle.

[478]    Mais cette chance s’est-elle située dans le cadre d’une mesure disciplinaire? C’est la question à laquelle l’analyse des faits doit permettre de répondre.

[479]    La preuve a révélé qu’il a été donné trois mois à Mme Bouchard pour faire la démonstration à laquelle le MICC s’attendait. À noter cependant que, d’après Mme Poirier, cet aspect de durée n’a pas été mentionné par elle à Mme Bouchard.

[480]    Sur les intentions du MICC en novembre 2010, au moment où on décide de surseoir au rehaussement du poste de directrice du CEFAHQ, on peut retenir du témoignage de Mme Deronzier qu’elle-même pouvait envisager la voie administrative. Elle a décliné la suggestion de M. Baril, a tenté de rassurer Mmes Bouchard et Delvoye en leur disant que tout n’était pas fini quant à leurs attentes de voir leurs emplois réévalués à la hausse, qu’elles n’étaient pas les seules à rencontrer des difficultés, que d’autres secteurs faisaient face à de la pression.

[481]    De plus, elle a demandé à M. Lafrance de signaler à Mme Bouchard l’insatisfaction manifestée par d’autres intervenants, comme elle va demander plus tard à Mme Poirier de signifier à celle-ci des attentes relatives à son attitude. On peut déduire que c’est dans le même esprit qu’elle est allée rencontrer Mme Bouchard, en compagnie de Mme Poirier, en décembre, peu de temps avant la réunion d’avant Noël pour tenter de rétablir les ponts avec d’autres directions.

[482]    Mais la preuve ne démontre pas que l’approche administrative pressentie par Mme Deronzier a été partagée et réalisée.

[483]    La Commission retient d’abord que M. Lafrance, supérieur immédiat de Mme Bouchard, était d’un avis contraire à celui de Mme Deronzier. Il ne croyait pas que la première avait un problème de communication avec les partenaires. Il était plutôt d’avis que c’était l’inverse, que les autres directions du MICC ne voulaient pas reconnaître la vision plus globalisante de la démarche entreprise par le CEFAHQ et tenir compte de ses préoccupations. Lui-même, après une longue rencontre avec la directrice de la Performance, n’avait pu que constater qu’ils ne s’entendaient pas. Il a témoigné n’avoir pas insisté auprès de Mme Bouchard pour qu’elle change d’attitude, car il n’était pas d’accord avec Mme Deronzier à ce sujet. Il n’a pas modifié les attentes qu’il avait signifiées par écrit en juillet à Mme Bouchard. Pour lui, il était clair que le MICC punissait Mme Bouchard en refusant, dès novembre, de lui accorder la promotion qu’aurait dû lui mériter le fait que la DRH était d’accord pour reconnaître que le poste de directrice du CEFAHQ était de niveau 3. La Commission doit conclure que, dès le départ, le supérieur immédiat de Mme Bouchard situait la « chance » qui était donnée à Mme Bouchard dans un esprit disciplinaire.

[484]    La Commission retient aussi que Mme Poirier n’a jamais signifié par écrit à Mme Bouchard les attentes que Mme Deronzier lui avait demandé de transmettre. Mme Poirier dit qu’elle l’a fait mais que verbalement car elle n’a pas l’habitude d’en faire par écrit avec ses cadres. Pourtant, elle, il lui a été signifié formellement des attentes écrites nouvelles lorsqu’elle a été nommée à la tête de la Direction générale de Montréal : « attentes postérieures au 28 novembre » peut-on lire dans le document qui lui a été alors remis. De la preuve, il se dégage nettement, par exemple des attentes de juillet 2010 signifiées à Mmes Bouchard et Delvoye, qu’au MICC les attentes signifiées devaient l’être par écrit.

[485]    Mme Poirier explique que de toute façon les attentes de Mme Bouchard incluaient déjà ce qui était souhaité de sa part. La Commission n’est pas d’accord. En juillet 2010, M. Lafrance n’avait inclus rien de particulier relatif à un changement d’attitude dans les attentes écrites qu’il avait remis à Mme Bouchard, alors que de toute façon le problème n’avait pas encore été soulevé. Pour se situer dans le cadre d’une démarche administrative normale au MICC, les attentes subséquentes par rapport à un changement de comportement, ou encore par rapport à « une vision claire de la mission de l’organisation » à laquelle réfère la Directive concernant la gestion des emplois de cadres, auraient dû être signifiées par écrit.

[486]    D’autres éléments de preuve indiquent encore que tout n’était pas si clair que le MICC le laisse entendre. Mme Bouchard a témoigné avoir demandé en début d’automne si les orientations du MICC étaient arrêtées. M. Lafrance lui avait dit, après avoir parlé à Mme Deronzier, que ce n’était pas le cas et qu’elle pouvait encore travailler sur d’autres scénarios. Mme Poirier, quant à elle, dit qu’elle a travaillé avec Mme Bouchard à la réalisation du document que celle-ci a présenté au printemps 2011, mais dont la solution mise de l’avant ne s’avérait pas satisfaisante. La Commission en déduit que Mme Bouchard a continué de travailler dans le sens d’une des attentes qui lui avaient été données en juillet, soit de voir à ce que les processus d’affaires du MICC respectent les ententes nationales et internationales en matière d’évaluation comparative de diplômes. Mme Deronzier a dit qu’il y avait un minimum de risques à cet égard avec lesquels le MICC pouvait composer. Mais là où Mme Bouchard démontrait du zèle, on voyait plutôt de l’obstination de sa part, marquée par un manque de collaboration avec les autres directions du MICC. Une approche administrative correctement menée aurait tenu compte d’attentes signifiées, ce que la preuve n’a pas démontré dans ce cas-ci.

[487]    La Commission n’oublie pas le témoignage de Mme Poirier voulant que Mme Bouchard ait refusé de s’engager dans une approche de coaching à trois, elles et M. Maletto. Mais la Commission remarque qu’elle n’a pas à décider si le comportement de Mme Bouchard aurait pu lui mériter des reproches, mais plutôt si de la déplacer de son emploi a été le fruit d’une mesure disciplinaire déguisée.

[488]    Par ailleurs, lorsque le CEFAHQ s’ajoute à ses responsabilités de directrice générale de la région de Montréal, Mme Poirier, qui n’avait jamais été impliquée dans les problèmes entre le CEFAHQ et d’autres directions du MICC, dit qu’elle a compris qu’il fallait qu’elle fasse notamment adhérer ses cadres à la vision d’affaires entrevue par le MICC et, par rapport à Mme Bouchard, qu’il était donné trois mois à celle-ci pour démontrer cette adhésion. Elle a d’ailleurs requis et obtenu les services d’un coach pour la seconder dans cette mission.

[489]    Peu importait que les pistes de solution mises de l’avant par le CEFAHQ pouvaient être bonnes, ce n’était pas celles retenues par les autorités du MICC et, de son témoignage, il se dégage clairement que pour elle Mme Bouchard pourrait avoir sa promotion si elle changeait d’attitude.

[490]    Elle est intervenue auprès des autres directions pour rétablir les ponts, ce qui peut s’inscrire dans une démarche administrative, mais ses interventions auprès de Mme Bouchard ont revêtu progressivement un aspect disciplinaire.

[491]    C’est vers la fin de l’implication de M. Lafrance dans les affaires du CEFAHQ, fin janvier 2011, qu’elle met en application le conseil reçu de son coach. Lorsqu’elle s’entretient avec Mme Bouchard en février[28], elle lui dit qu’elle a rencontré son « Waterloo » et que si elle ne change pas, elle doit envisager d’autres options, clairement se chercher un autre emploi. Cette façon d’exposer les choses, qui n’a pas été contredite, manifeste une approche disciplinaire. Dire à une personne qu’elle se dirige vers un cul-de-sac et que si elle ne change pas, elle n’obtiendra pas la promotion qu’elle s’attend d’avoir et que l’organisation lui a laissé croire qu’elle l’aurait et qu’elle est encore prête à lui donner, tout cela, selon les circonstances de l’affaire révélées par la preuve, et ce, au sens de l’affaire Rouleau, ne permet pas, de considérer qu’il s’agit d’une approche assimilable à un processus de mesure administrative.

[492]    La Commission partage totalement l’opinion des auteurs Morin et Blouin. Alléguer une mesure administrative ne suffit pas pour justifier d’ignorer le processus disciplinaire lorsque les circonstances démontrent que l’on veut punir une personne pour ne pas avoir adopté un comportement désapprouvé. Et comme la Cour suprême l’a reconnu dans l’affaire Langlois, ce n’est pas l’appellation donnée à une mesure « mais bien l’ensemble des faits qui permet de la qualifier adéquatement. »

[493]    Dans ce cas-ci, l’opinion de la Commission est confirmée par l’approche similaire manifestée par le MICC en juillet 2011. Mme Poirier dira à Mme Bouchard que lorsqu’elle viendrait occuper l’emploi de directrice des partenariats, elle aurait le support d’un « coach » et qu’après trois mois, on pourrait réviser le niveau de l’emploi pour lui accorder une promotion à la classe 3. Pourtant, Mme Deronzier a témoigné, avec raison, que l’opération détermination du niveau d’un emploi n’avait rien à voir avec l’appréciation du rendement d’une personne. La Commission ne peut considérer que la façon de signifier encore-là verbalement des attentes à Mme Bouchard se soit inscrite dans l’application d’une mesure administrative. Suggérer l’obtention d’une promotion pour obtenir un changement de comportement tient plus d’une menace que d’une offre d’accompagnement dans une perspective de développement professionnel.

[494]    La Commission ne peut non plus omettre de constater la tournure qu’a prise la rencontre du 19 mai 2011 de Mmes Deronzier et Poirier avec Mme Bouchard. Convoquée sous le prétexte de son évaluation annuelle du rendement, il n’en est finalement pas question. Le seul objet de la rencontre est de lui annoncer que le niveau de l’emploi de directrice du CEFAHQ va être rehaussé et que ce n’est pas elle qui va être nommée à ce poste. Une mesure administrative se serait fondée sur l’évaluation du rendement par rapport aux attentes signifiées, comme le veut l’article 12 de la Directive concernant l’ensemble des conditions de travail des cadres. Et cette évaluation du rendement aurait pris en compte le dernier rapport que Mme Bouchard venait de faire et que Mme Poirier n’a pas eu le temps de lire avant la rencontre du 19 mai, ainsi que le fait que le MICC allait reconnaître dans son rapport annuel 2010-2011 que la réorientation du CEFAHQ et du SAIC avait permis un renforcement du travail d’équipe et du partage des expertises et des compétences.

[495]    Avant de conclure sur le caractère disciplinaire de la mesure prise quant au déplacement d’emploi de Mme Bouchard, il convient de répondre à certains arguments du MICC.

[496]    Le MICC prétend que l’ordonnance de réintégrer Mme Bouchard ne peut être réalisée car étant sans objet dans le contexte où son emploi de directrice du CEFAHQ de classe 4 n’existe plus. La Commission ne voit pas les choses de cette façon. Dans ce dossier-ci, Mme Bouchard ne conteste pas seulement le fait qu’elle n’a pas obtenu la promotion souhaitée, mais d’abord qu’elle a été l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée, ce qui distingue ce dossier-ci de l’affaire Fonds de solidarité des travailleurs du Québec. Dans cette décision, l’arbitre Brault mentionne aussi que « la question se pose donc de savoir s’il s’agit là [le fait d’avoir mal appliqué la convention collective] d’une conséquence authentique toujours susceptible de lui causer préjudice au plan professionnel […][29] » question à laquelle il a répondu ensuite par la négative suivant son analyse faite de ce dossier-là.

[497]    Cela étant dit, l’appel de Mme Bouchard, du 8 octobre 2011, n’est pas sans objet. Peu importe ce qu’il pourra être advenu de cet emploi plus tard, les conclusions de l’appel de Mme Bouchard, notamment en matière de dommages qui lui ont été causés par la mesure disciplinaire déguisée ont à être appréciées au mérite par la Commission, sous réserve que son appel a été fait en temps utile.

[498]    Constatant que l’article 33 de la Loi ne prévoit pas de recours en cas de non-attribution d’une promotion, le MICC prétend également que la Commission n’aurait pas compétence pour entendre l’appel de Mme Bouchard. De plus, cet appel se fonderait sur le postulat erroné que celle-ci avait droit à une promotion. La Commission est plutôt d’avis que l’appel porte d’abord sur le déplacement irrégulier de Mme Bouchard de son emploi de directrice du CEFAHQ, ce geste constituant une mesure disciplinaire déguisée. L’attribution de la promotion est une conséquence, pas une cause, et il en est traité plus loin.

[499]    L’article 29 de la Directive concernant la gestion des emplois de cadres énonce que les « modes de dotation sont des procédés de gestion utilisés pour pourvoir des emplois vacants. » Or, la preuve est à l’effet que Mme Bouchard n’a jamais été nommée à un autre emploi, donc pas à celui de directrice des partenariats. De même, lorsqu’en juillet 2011, le sous-ministre adjoint, M. Baril, en situation de pouvoir délégué par la sous-ministre en titre comme il est mentionné selon la note qui avoisine sa signature, nomme Mme Fleury, directrice du CEFAHQ, ce poste n’est pas vacant. Il la nomme à un poste de classe 3, alors que formellement ce niveau d’emploi ne sera reconnu que cinq mois plus tard, le 7 décembre 2011.

[500]    La Commission applique ici la même approche que celle retenue lorsqu’elle a traité, au paragraphe 475, le fait que l’acte de nomination de Mme Deloye faisait croire que Mme Bouchard avait un poste de classe 3 : l’application de la norme doit l’emporter sur les apparences.

[501]    La Commission considère, et suivant la même approche, qu’on ne pouvait pas davantage nommer Mme Bouchard au poste de directrice des partenariats, en mai, juin ou juillet 2011 puisque le document autorisant la création de ce poste n’a été signé là encore que le 7 décembre 2011.

[502]    Le MICC plaide qu’il ne faut pas s’arrêter à des « technicalités » de cet ordre. La Commission n’est pas de cet avis, surtout pas lorsqu’il s’agit de formalités imposées par des dispositions d’ordre public comme les articles 51 et 70 de la Loi. Sinon, à ce compte-là, la Commission aurait dû accepter que l’acte de nomination de Mme Delvoye, signé par la sous-ministre en titre, impliquait nécessairement que Mme Bouchard avait déjà été nommée à la classe 3 puisqu’on mentionnait dans cet acte de nomination que celle-ci allait être la supérieure immédiate de Mme Delvoye.

[503]    Bien qu’au gré du quotidien, il puisse arriver qu’il soit déclaré sur un formulaire que la « date effective » de la nomination d’une personne soit antérieure de quelques jours à la date de la décision qui est prise à cet égard, et que ce soit toléré tant que cela ne pose pas problème, il demeure que le même geste, par exemple la nomination de Mme Fleury, doit être considéré abusif dans un cas comme celui-ci qui porte à conséquence au regard des droits et intérêts d’une autre personne. De plus, dans un tel cas, ce geste est contraire à l’esprit et à la lettre de l’article 3 de la Loi qui prévoit que le mode d’organisation des ressources humaines est destiné notamment à favoriser l’impartialité et l’équité des décisions affectant les fonctionnaires.

[504]    Mme Deronzier a témoigné que c’était pratique courante au MICC de nommer quelqu’un et ensuite de faire compléter l’analyse du niveau de son emploi. Cette habitude constitue un glissement critiquable par rapport à l’application attendue du mode d’organisation des ressources humaines qui prévoit d’abord la création d’un emploi et ensuite la décision de le pourvoir au niveau auquel il est déterminé. Pas l’inverse, soit de le pourvoir au niveau que l’on souhaite avant même que ce niveau ne soit dûment autorisé. Le même principe s’applique en matière de révision du classement d’un emploi existant comme c’est le cas dans ce dossier-ci[30].

[505]     Prévoir que la « date effective » d’une nomination est antérieure à la celle de la décision du sous-ministre en titre prise en vertu de l’article 51 de la Loi, ou encore nommer une personne à un poste qui n’est pas encore créé constituent des mesures de l’administration d’application rétroactive. Sur ce thème, voici ce qu’en dit l’auteur Pierre-André Côté, dans son ouvrage intitulé Interprétation des lois[31] :

« 571.  L’Administration peut prendre des mesures rétroactives valides même en l’absence de textes exprès l’y autorisant. L’économie générale de la loi habilitante[…] ou la nature même du pouvoir exercé[…] peuvent justifier une telle conclusion.

            572. L’exclusion du principe de non-rétroactivité sera donc le fait, soit de la volonté expresse du législateur, soit de sa volonté tacite. »

[506]     Selon la Commission, la Loi sur la fonction publique et la Loi sur l’administration publique ne comportent pas d’indication d’une volonté expresse ou tacite que les décisions d’une administration en matière de dotation des ressources humaines, détermination du niveau d’un emploi ou nomination, puissent être appliquées rétroactivement.

[507]    Le MICC plaide aussi que la preuve d’une mesure disciplinaire déguisée n’a pas été faite. Les deux éléments essentiels d’une telle mesure, selon la décision Rouleau, soit le caractère volontaire du manquement reproché à Mme Bouchard et la volonté du MICC de la punir, n’auraient pas été démontrés.

[508]    De l’avis de la Commission, le caractère volontaire du manquement reproché ressort de la reconnaissance par les témoins, avec raison pour certains et à tort pour d’autres, que Mme Bouchard retardait l’évolution des travaux de la réorganisation ministérielle en cours. Elle maintenait qu’il fallait tenir compte davantage des préoccupations du CEFAHQ par rapport aux obligations du MICC en matière d’évaluation comparative de diplômes et elle développait des scénarios qui ne comportaient pas de solutions satisfaisantes au regard de la vision du ministère.

[509]    Quant à l’intention de punir, elle apparaît sans ambages du choix donné à Mme Bouchard, soit qu’elle change d’attitude ou sinon elle n’aurait pas le poste rehaussé de directrice du CEFAHQ.

[510]    Ce qui est singulier dans ce dossier, voire paradoxal, c’est que le déplacement de facto, de Mme Bouchard, de son emploi ne s’est pas réalisé dans le cadre d’une des mesures de dotation reconnue. Si cela confirme que son déplacement d’emploi ne découle pas d’une mesure administrative, cela mène à considérer qu’il a été le fruit d’une mesure disciplinaire déguisée, équivalent à une réprimande, en tenant compte de toutes les circonstances de cette affaire.

[511]    Pour être valablement administrée, au sens du Règlement sur l’éthique et la discipline, la mesure disciplinaire aurait dû être conforme aux conditions prévues à l’article 19 du règlement. Entre autres, elle aurait dû lui être communiquée par écrit et indiquer la nature de la faute reprochée et les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles elle avait été commise.

[512]    Le MICC plaide encore que de toute façon le droit à la promotion n’existe pas et qu’en conséquence Mme Bouchard ne peut se plaindre que le MICC n’ait pas voulu lui accorder celle qu’elle croyait lui revenir. C’est l’objet de la deuxième question de fond à laquelle la Commission répond maintenant.

Mesure disciplinaire et refus de promotion

[513]    Il n’existe pas de droit à une promotion suivant la Loi. Selon son article 53, « [à] la suite d’un concours, la nomination d’un fonctionnaire est faite au choix parmi les personnes inscrites sur la liste de déclaration d’aptitudes. »

[514]    L’impression qu’il y avait promesse de promotion, impression fortement supportée par la preuve, ne peut, à tout le moins pas dans les circonstances de ce dossier-ci, rien y faire. Le MICC avait le loisir de choisir de pourvoir le poste de directrice du CEFAHQ de classe 3 en puisant dans la liste des personnes déclarées aptes à la suite du concours de promotion pour pourvoir d’éventuels emplois de cadre, classe 3. Il pouvait considérer tant Mme Bouchard que Mme Fleury ou les autres personnes dont les noms apparaissaient sur cette liste. Mme Deronzier et M. Lafrance ont reconnu qu’il arrivait très rarement que la personne qui détenait un emploi dont le niveau était rehaussé ne soit pas celle retenue pour occuper cet emploi une fois reclassé à un niveau supérieur. Mais cela pouvait survenir ont-ils reconnu également. Encore une fois, la décision du MICC peut apparaître inélégante, voire injuste à certains dans les circonstances, exposées dans la preuve, du constat des énergies et de la réussite de Mme Bouchard à redresser le CEFAHQ, mais cette décision n’est pas irrégulière.

[515]    En décembre 2011, lorsque finalement l’emploi de directrice du CEFAHQ est régulièrement déterminé de classe 3, Mme Bouchard n’avait pas plus droit à une promotion à ce poste en raison du fait qu’elle avait été l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée plus tôt dans l’année.

[516]    Reste maintenant à disposer de l’objection préliminaire voulant que Mme Bouchard n’ait pas fait son appel en temps utile.

L’objection préliminaire

[517]    La Commission n’élabore pas sur l’argument du MICC que l’article 33 de la Loi ne prévoit pas l’exigence d’un écrit pour une affectation comme celle qui était envisagée pour Mme Bouchard au poste de directrice des partenariats. Ce n’est pas l’affectation comme mode de dotation qui est contestée. C’est le fait qu’on ait administré une mesure disciplinaire déguisée en voulant avoir recours à ce mode de dotation.

[518]    Le MICC plaide aussi un argument de texte à l’encontre de celui de Mme Bouchard qui prétend que l’utilisation des mots « expédition de la décision contestée », au second paragraphe de l’article 33 de la Loi, veut nécessairement dire que cette décision doit être communiquée par écrit. Le MICC soutient plutôt qu’il faut s’en remettre à l’expression « de la décision l’informant », du premier paragraphe, pour conclure que dans le cas d’une décision verbale, il n’y a pas de distinction à faire et que le délai pour faire appel se calcule à compter de la date de la prise de connaissance de la mesure dont est informée la personne.

[519]    De l’avis de la Commission, dans ce dossier-ci, il faut appliquer l’article 33 de la Loi en tenant compte de l’article 19 du Règlement sur l’éthique et la discipline qui prévoit non seulement qu’une mesure disciplinaire doit être communiquée par écrit, mais encore qu’elle doit l’être au fonctionnaire concerné. Il importe de noter que l’exigence d’un écrit dans ce dossier-ci est double : il ne découle pas seulement de la lecture de l’article 33 de la Loi, mais aussi de l’article 19 du Règlement sur l’éthique et la discipline.

[520]    Ainsi, ne sont pas recevables les arguments du MICC fondés sur l’annonce verbale de la mesure lors de la rencontre du 19 mai 2011, ou celle du communiqué du 6 juin, ou encore celle associée à l’annonce en juillet de la nomination de Mme Fleury au poste de directrice du CEFAHQ. La première ne répond pas au critère de l’écrit de l’article 19 du Règlement et les autres ne sont pas des écrits adressés personnellement au fonctionnaire concerné.

[521]    La Commission est consciente qu’en matière de mesure disciplinaire déguisée, il pourrait survenir des cas où il n’y aurait pas d’écrit produit pour annoncer au fonctionnaire concerné la décision contestée[32]. D’où pourrait se poser la question du délai à considérer pour faire appel, si ce ne peut être celui des 30 jours de la date d’expédition de la décision contestée. Mais il n’est pas essentiel de trancher cette question étant donné que la Commission assimile dans ce cas-ci à un écrit personnalisé le talon de paye adressé à Mme Bouchard.

[522]    Le MICC soutient que le talon de paye n’ajoute rien par rapport à la décision contestée. La Commission est plutôt d’avis que la mention qui y est faite, à l’effet que Mme Bouchard est considérée en remplacement temporaire d’un autre cadre depuis le 29 novembre 2010 jusqu’au 9 juin 2011, indique une forme de déplacement, soit un changement de son statut d’emploi puisqu’on lui annonce qu’elle ne serait plus considérée occuper son emploi de façon régulière, mais en remplacement. Ce n’est qu’à l’audience que sera déposé le document afférent à ce remplacement imaginé afin de permettre de lui octroyer une forme de compensation pour avoir exercé les attributions de son poste, qui était évalué déjà de classe 3 par la DRH, mais pas encore déterminé officiellement de ce niveau par la sous-ministre en titre.

[523]    Dans toutes les circonstances de l’affaire, ce n’est pas à Mme Bouchard à supporter les conséquences d’un moyen détourné pour répondre à un besoin de l’employeur, même si c’est pour avantager Mme Bouchard, alors que celle-ci ne sera informée du détail du manège qu’à l’audience.

[524]    Il n’y a pas eu de preuve de la date exacte de l’envoi à Mme Bouchard du talon de sa paye du 8 septembre 2011. La preuve est par contre qu’elle l’a reçu le 14 septembre, soit six jours plus tard, dont quatre jours ouvrables, et que sa résidence ainsi que les bureaux du MICC sont situés à Montréal. La Commission conclut que l’envoi a été fait au mieux le 8 septembre ou à une date postérieure. Dans ces conditions, l’appel de Mme Bouchard, reçu à la Commission, le 8 octobre, a été fait en temps utile et l’objection préliminaire du MICC doit être rejetée.

[525]    À tout événement, même si la Commission n’avait pas considéré le talon de paye du 8 septembre comme un avis valable de la décision contestée, elle aurait accepté de proroger le délai d’appel, suivant la double preuve médicale non contredite, dont celle d’un expert, à l’effet que Mme Bouchard n’était pas dans un état d’esprit de prendre à tout moment une décision éclairée avant la fin de l’été, ce qui constituerait une impossibilité d’agir au sens de l’article 120 de la Loi, soit une impossibilité dite relative suivant l’affaire Cité de Pont-Viau. Dans cet arrêt, le plus haut tribunal du pays a considéré ainsi l’impossibilité relative dont il fallait tenir compte.

« Il n’est pas possible de préciser à l’avance chacun des faits d’où peut résulter l’impossibilité relative; chaque espèce doit être jugée selon les circonstances qui lui sont propres, puisque c’est vraiment d’une impossibilité de fait qu’il s’agit. […]

D’ailleurs en choisissant le critère de l’impossibilité "en fait", le législateur a voulu indiquer que l’impossibilité doit s’apprécier concrètement, en dehors de toute fiction. […] »

[526]    Dans ce cas-ci, la Commission considère que la dépression majeure dans laquelle, selon la preuve médicale non contredite, Mme Bouchard se trouvait durant l’été 2011, n’est pas une fiction et les faits auraient pu donner lieu en conséquence d’appliquer l’article 120 de la Loi.

Résumé quant au fond du dossier

[527]    En février 2009, Mme Bouchard a été dûment nommée directrice du CEFAHQ, un emploi de cadre, de classe 4. Avant décembre 2011, elle n’a jamais été nommée à un autre emploi. Ce n’est que le 7 décembre 2011 que son emploi de directrice du CEFAHQ a été formellement reconnu comme étant dorénavant un emploi de cadre, classe 3, ce dont il faut inférer qu’à compter de cette date, l’emploi correspondant de classe 4 n’existait plus.

[528]    La preuve a démontré cependant qu’entre le 18 mai et le 8 octobre 2011, le MICC a déplacé dans les faits Mme Bouchard de son emploi de cadre, alors toujours de classe 4 : annonce en ce sens lors de la rencontre du 18 mai, déménagement de ses affaires personnelles dans un autre bureau, etc.

[529]    La preuve est aussi à l’effet que ce déplacement d’emploi a constitué une mesure disciplinaire déguisée. Le choix exposé principalement à Mme Bouchard était de changer d’attitude, de comportement dans ses relations avec d’autres personnes d’autres directions que la sienne, sinon elle n’aurait pas la promotion qui devait, selon toute vraisemblance, lui revenir au moment où l’emploi de directrice du CEFAHQ allait être officiellement évalué de la classe 3. Dans toutes les circonstances de cette affaire, la Commission conclut que la preuve apportée par Mme Bouchard a démontré que la procédure suivie par le MICC et qui a mené à la déplacer de son emploi de cadre 4 ne s’est pas située dans le cadre d’une mesure administrative, et ce, pour les motifs exposés précédemment.

[530]    Par ailleurs, Mme Bouchard demande, en conséquence de la reconnaissance de la mesure disciplinaire déguisée dont elle a été l’objet, de la replacer dans la situation qu’elle occupait avant l’administration de cette mesure, avec tous les avantages dont elle aurait dû bénéficier, entendant la promotion à la classe 3 qui devait suivre la reconnaissance que le poste de directrice du CEFAHQ était bien de ce niveau.

[531]    La Commission ne peut faire droit à cette demande car au moment où le MICC a finalement reconnu le niveau de la classe 3 pour ce poste, en décembre 2011, Mme Bouchard n’avait pas plus de droit à celui-ci que les autres personnes de la liste de déclaration d’aptitudes pour un emploi de cadre, de classe 3, ici encore pour les raisons déjà exposées.

[532]    POUR CES MOTIFS, la Commission :

·          ACCUEILLE EN PARTIE l’appel de Mme Françoise Bouchard;

·          REJETTE l’objection préliminaire du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles;

·          DÉCLARE que Mme Bouchard a fait son appel en temps utile;

·          DÉCLARE que Mme Bouchard a été l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée en étant irrégulièrement déplacée de son emploi de cadre, classe 4;

·          DÉCLARE qu’après avoir déterminé que le niveau de l’emploi de cadre de directrice du CEFAHQ, en décembre 2011, était de classe 3, le MICC n’était pas tenu d’accorder à Mme Bouchard de promotion à cet égard;

·          RÉSERVE sa compétence pour déterminer la nature des dommages causés à Mme Bouchard et leur quotité; et à défaut des parties de s’entendre sur ces questions dans les trente jours de cette décision;

·          ORDONNE au greffe de la Commission de fixer la poursuite de l’audition de cette affaire à cette fin.

                                                                               

 

_____________________________

Robert Hardy, avocat

Commissaire

 

 

Me Serge Bouchard

Morency, société d’avocats, S.E.N.C.R.L.

Procureur de l’appelante

 

Me Annick Dupré

Procureure pour l’intimé

 

 

Lieu d’audience :

Montréal

 

 

Dates d’audience :

11, 12, 18, 19 et 21 juin, 9 juillet, 29 août et 4 octobre 2012

 

 

 

 

 

 

 



[1]     Dénomination d’un système informatique relatif à l’intégration des immigrants.

[2]     CANTIN, Christiane et Anne GOSSELIN. La Commission de la fonction publique du Québec : un interlocuteur incontournable en matière de gestion des ressources humaines et de droit du travail, dans Développements récents en droit du travail, Éd. Yvon Blais, vol. 348, 2012, p. 77, 91-92.

[3]     MORIN, Fernand, BLOUIN, Rodrigue. Droit de l’arbitrage de grief, 6e édition, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2012, p. 573-574.

[4]     Id., p. 571.

[5]     Joyal c. Hôpital du Christ-Roi, [1996] ???

[6]     Kress c. Sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada, 2011 TDFP 0041, p. 19.

[7]     Long c. Héma-Québec, 2001 QCCRT 033, par. 134, décision confirmée en révision judiciaire par la Cour supérieure dans Héma-Québec c. CRT, 2012 QCCS 1431.

[8]     Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817.

[9]     Morgan c. Office de la protection du consommateur, [1999] 16 n° 1 R.D.C.F.P.23, 48.

[10]    Gauthier c. Beaumont, [1998] 2 R.C.S. 3, par. 84.

[11]    Procureur général du Québec c. Leclerc, AZ-50179625, par. 35-37.

[12]    C.T. 198195 du 30 avril 2002 et ses modifications.

[13]    Industrielle-Alliance c. Cabiakman, AZ-50264378, par. 55.

[14]    Graymont (Qc) inc c. Syndicat des métallos, AZ-50712407, par. 47.

[15]    Association des policiers et pompiers de la Ville de Trois-Rivières c. Ville de Trois-Rivières, AZ-50648074, par. 48.

[16]    Bouchard c. Ministère des Transports, 2010 QCCR T0189, par. 83.

[17]    Syndicat de la fonction publique du Québec c. Ministère des Transports, [2001] B.C.G.T. 02-89-017313.

[18]    Procureur général du Québec c. Gauthier-Montplaisir, AZ-91011771, p. 8.

[19]    Fonds de solidarité des travailleurs du Québec c. Union des employés et employées de service, section locale 800, SOQUIJ AZ-82141152.

[20]    Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S.190.

[21]    Procureur général du Canada c. Pelletier 2007 CAF 6.

[22]    Rouleau c. Ministère de la Sécurité publique, [2006] 23 n° 2 R.D.C.F.P. 333, p. 375-376.

[23]    L’article 18 du Règlement sur l’éthique et la discipline n’inclut pas la rétrogradation parmi les mesures disciplinaires limitées à une réprimande, une suspension ou un congédiement. En conséquence, la rétrogradation est a priori une mesure administrative.

[24]    Cité de Pont-Viau c. Gauthier MFG. LTD (1978) 2 R.C.S. 516, voir p. 526-527.

[25]    Verville Côté c. Gouvernement du Québec - Ministère de l’Emploi et de la sécurité sociale, 2003 QCCRT 0261, par. 50; Bernard c. Secrétariat du Conseil du trésor, [2001] 18 n° 1 R.D.C.F.P. 97, p. 100; Union des routiers, brasseries, liqueurs douces et ouvrier de diverses industries, local 1999 c L’Oréal Canada, AZ-50832524; Verret c Fonds de partenariat touristique (Tourisme Québec) [2007] 24 n° 2 R.D.C.F.P. 413, par. 33; Mobarakizadeh c. Koritar, AZ-50084032, par. 62; Cité de Pont-Viau, citée à la note 11; Ward c Succession de Jean-Claude Ward et al., AZ-97026336, dernier alinéa; Cairns c Canada Life Assurance Company, 2008 QCCS 729, par. 53; E…B… c Montbriand et al, 2009 QCTP 4, par. 31 et 37; Sous-ministre du Revenu c. 9021-8090 et al., 2008 QCCQ 8363.

[26]    Union des routiers, précitée, note 12, par. 114.

[27]    Cairns, précitée, note 12, par. 53.

[28]    Mme Poirier situe cette rencontre vers le 19 ou 20 janvier 2011 (voir par. 231). Mais la Commission a noté qu’en mentionnant ces dates, elle avait dit aussi qu’elle témoignait sans ses notes et qu’elle pensait que c’était vers la mi ou fin janvier. Mme Bouchard a situé cette rencontre, sans hésitation, vers la mi-février (par. 160) et la Commission retient plutôt cette approximation-là.

[29]    Précitée, note 18, p. 6.

[30]    Dans un ordre d’idée similaire, la Commission a constaté que des 11 actes de nomination déposés en preuve, dix avaient été signés, au cours des années 2009 à 2011, en indiquant une date effective de prise d’effet antérieure à la date de signature, pour des périodes souvent assez brèves de quelques jours, mais parfois de quelques semaines (pièces P-16, 25, 26, 27, 28, 29, 30 et 40, ainsi que E-6 et 16). Un seul acte (E-1), remontant à 2005, avait été signé trois jours avant la date de prise d’effet.

[31]    CÔTÉ, Pierre-André et autres. Interprétation des lois, Les Éditions Thémis, 4e édition, Montréal, 2009.

[32]  Sans en décider, la Commission estime que, puisque la Loi ne prévoit pas la situation, il y aurait lieu, en recourant au droit comparé, d’emprunter à l’article 71 du Code du travail, L.R.Q., c. C-27, la réponse qu’il apporte en matière de prescription des droits et recours qui naissent d’une convention collective puisque la section IV du chapitre II de la Loi, où apparaît l’article 33 de celle-ci, est assimilable à une condition de travail des fonctionnaires concernés. Selon l’article 71 du Code du travail, ces droits « se prescrivent par six mois à compter du jour où la cause de l’action a pris naissance ». Cette solution apparaît plus appropriée que celle suggérée en obiter de la décision Morgan, et ce, notamment pour répondre aux cas où pourrait être reportée loin dans le temps la prise de connaissance de la position de l’employeur ou du caractère déguisé de la mesure disciplinaire contestée.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.