Aktug et Propane Plus inc. |
2012 QCCLP 3381 |
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[1] Le 30 mars 2011, monsieur Mustafa Aktug (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 18 mars 2011 à la suite d’une révision administrative (la révision administrative).
[2] Par celle-ci, la CSST maintient deux décisions qu’elle a initialement rendues les 10 novembre 2010 et 20 décembre 2010 et, en conséquence, elle détermine :
-que le travailleur n’a pas été victime, le 23 mars 2010, d’une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle initiale subie le 22 avril 2006;
-que le travailleur n’est plus en mesure d’exercer son emploi prélésionnel d’installateur ou d’homme à tout faire chez l’employeur, Propane Plus inc., en raison des séquelles laissées par la lésion professionnelle subie par ce dernier le 22 avril 2006;
-que l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux est convenable et que le travailleur est capable d’exercer cet emploi à compter du 14 décembre 2010;
-que l’emploi convenable de nettoyeur d’édifices à bureaux peut procurer au travailleur un revenu annuel estimé de 31 179,72 $;
-que le travailleur a droit au versement d’une pleine indemnité de remplacement du revenu jusqu’à, au plus tard, le 13 décembre 2011 et qu’il n’a pas droit à une indemnité réduite de remplacement du revenu par la suite.
[3] L’audience dans cette affaire a lieu à Laval, le 23 avril 2012, en présence du travailleur, de son représentant, Me François Miller, et du représentant de la CSST, Me Francis Letendre. Un interprète professionnel, monsieur Hagop Karloziar, assiste le travailleur lors de son témoignage.
[4]
Enfin, l’employeur, Propane Plus inc., est
absent même si un avis l’informant de la date, du lieu et de l’heure de cette
audience lui est expédié et même si aucun retour de courrier ne permet à la Commission des lésions professionnelles de conclure qu’il n’aurait pas reçu ce document. La Commission des lésions professionnelles a donc procédé sans lui conformément à ce qui est
prévu à l’article
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le représentant du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que ce dernier a été victime d’une récidive, rechute ou aggravation, le 23 mars 2010, de la lésion professionnelle initiale subie le 22 avril 2006 puisqu’il existe une relation entre les problèmes psychologiques de ce dernier et cet accident du travail.
[6] Dans l’éventualité où cette récidive, rechute ou aggravation est reconnue, le représentant du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la détermination de l’emploi convenable est prématurée.
[7] Par contre, si la Commission des lésions professionnelles décide que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 23 mars 2010, le représentant du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux n’est pas convenable puisqu’il ne correspond pas aux profils professionnel et académique de celui-ci.
LES FAITS
[8] Des documents au dossier, de ceux déposés et des témoignages du travailleur et de madame Carmela Gianfagna, représentante de ce dernier lors de ses démarches envers la CSST, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments pertinents suivants.
[9] Le travailleur est installateur et homme à tout faire pour l’employeur.
[10] Le 22 avril 2006, il est victime d’un accident du travail lorsque, en manipulant des bonbonnes de gaz propane pesant 200 livres, il ressent une douleur au dos.
[11] À cette même date, il subit une radiographie simple de la colonne lombo-sacrée qui met en évidence des espaces discaux bien conservés, une absence d’arthrose facettaire et de minimes modifications de spondylose.
[12] Le médecin qui a charge du travailleur, le docteur Serge Varin, diagnostique d’abord une entorse lombaire. Cependant, vu les douleurs rapportées par ce dernier, il prescrit une tomodensitométrie lombaire.
[13] Le 10 mai 2006, cette tomodensitométrie lombaire est effectuée et elle démontre divers phénomènes dégénératifs, une hernie discale foraminale gauche au niveau L2-L3 et une hernie discale foraminale et post-foraminale gauche créant une légère sténose spinale au niveau L4-L5.
[14] Le travailleur fait l’objet d’un suivi médical pour un diagnostic de hernie discale L4-L5 gauche à la suite de ce test d’imagerie.
[15] Les 1er juin et 5 juillet 2006, la CSST détermine que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle, le 22 avril 2006, sur la base du diagnostic d’entorse lombaire. Aussi, elle reconnaît le diagnostic de hernie discale L4-L5 tout en écartant celui de sténose spinale, sans contestation de la part des parties en cause.
[16] Le 4 octobre 2006, le travailleur rencontre le docteur A. Genge, neurologue. Ce dernier pratique une électromyographie des membres inférieurs qui ne révèle aucune radiculopathie active au membre inférieur gauche.
[17] Le docteur Varin maintient le diagnostic de hernie discale L4-L5 gauche, malgré ces résultats négatifs.
[18] Le 20 février 2007, le travailleur se soumet à une résonance magnétique de tous les niveaux de la colonne vertébrale. Le docteur Louis-Jacques Dubé, radiologue, exprime ses trouvailles en ces termes :
Opinion :
Multi-level cervical discopathy with left para-central disc protusion at C3-C4, C4-C5 and mainly C5-C6. Mild to moderate cord compression and bilateral foraminal stenosis at C5-C6.
No significant discopathy of the dorsal spine.
Bilateral foraminal radial fissure at L4-L5 with mild disc protusion.
Left foraminal radial fissure at L2-L3 with mild disc protusion.
No evidence of root compression.
[Nos soulignements]
[19] Le 13 mars 2007, le neurologue Genge commente les résultats de cette résonance magnétique. Il écrit :
MRI shows changes in the cervical spine at C3-C4, C5-C6 most prominently on the left.
Thoracic spine is all normal.
Lumbar spine no major problems mild disc bulging.
Imp: Pain appears primarily MSK (musculo-squelettique) in lumbar spine […]
MRI shows none significant disease on cervical spine.
[Nos soulignements]
[20] Le docteur Genge prescrit une scintigraphie osseuse. Ce test effectué le 23 mars 2007 ne met en évidence que de légers changements dégénératifs au niveau L4-L5. De plus, une radiographie de la colonne lombaire réalisée le 29 mars 2007 ne révèle aucune « lytic lesion ».
[21] Or, le diagnostic de hernie discale L4-L5 est maintenu à la suite de ces différents tests.
[22] Le 2 mai 2007, le travailleur consulte un médecin à l’urgence du Centre hospitalier Maisonneuve-Rosemont. Ce dernier se plaint de douleurs très intenses au dos. Il dit aussi qu’il est déprimé et qu’il présente un trouble panique. Ce médecin le réfère à son médecin traitant, le docteur Serge Varin.
[23] Le 31 mai 2007, le docteur Varin réclame une consultation en psychologie pour le travailleur puisqu’il estime que ce dernier souffre d’une dépression secondaire à sa condition médicale. Il ne donne, toutefois, aucune suite à ce rapport.
[24] Le 4 juillet 2007, le travailleur rencontre le docteur Marc Bergeron, physiatre. Ce dernier indique qu’il est difficile à évaluer puisqu’il rapporte des douleurs dans tout son dos et dans tous ses os. Le docteur Bergeron pratique une épidurale neuroforaminale au niveau de « L5-S1 ».
[25] Pourtant, le 8 août 2007, le docteur Varin diagnostique toujours une hernie discale « L4-L5 » et un phénomène chronique qui ne se résorbe pas malgré les traitements. Il réfère donc le travailleur en neurochirurgie pour une évaluation et pour la confection du rapport d’évaluation médicale.
[26] Le 28 août 2007, le docteur Varin produit un rapport final. Il y consolide la hernie discale L4-L5 gauche et le tableau douloureux chronique à cette date, avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[27] Le 29 août 2007, le docteur Varin s’entretient avec le docteur Edward Katz, médecin conseil de la CSST. Il explique que le travailleur a une douleur chronique qui persiste malgré tous les traitements prodigués. Il ajoute que ce dernier prend de l’Elavil et du Lyrica pour la douleur et pour ses symptômes de dépression. Lorsque le docteur Katz demande au docteur Varin si le travailleur a besoin de traitements de psychothérapie, celui-ci répond qu’il ne s’occupe pas du problème psychologique.
[28] Le 27 septembre 2007, une conseillère en réadaptation de la CSST, madame Catherine Ménard, rencontre le travailleur. Elle note qu’il y a à son dossier une demande de consultation en psychologie et elle s’enquiert de ses besoins à cet égard. Le travailleur indique que parler à quelqu’un pourrait l’aider et, dès lors, madame Ménard indique qu’elle tentera de trouver un psychologue.
[29] Finalement, il ressort des notes évolutives que la CSST autorise des rencontres avec un psychologue à titre de traitements de support. Ces rencontres débutent le 24 octobre 2007 et elles se terminent le 15 mai 2008. Ces rencontres ont lieu sans intervention d’un interprète alors que le psychologue, monsieur Guy Boulanger, s’exprime en anglais. Il signale, à quelques reprises, que le travailleur parle anglais, mais que son anglais écrit est limité. De plus, le travailleur considère qu’il ne parle pas suffisamment le français pour occuper un emploi nécessitant l’usage de cette langue. Il est aussi écrit que le travailleur garde un bon moral et accepte sa douleur. Parfois, il est mentionné qu’il est découragé et, parfois, le travailleur parle de démarrer une petite entreprise ou d’aller en Turquie. Il se plaint de douleurs lombaires et de la façon dont il est traité par tous les intervenants. Il devient agressif lorsqu’il est question d’occuper un nouvel emploi. Enfin, au terme des rencontres, le travailleur indique que celles-ci lui ont permis de baisser son niveau de stress.
[30] Le 29 mai 2008, le psychologue Boulanger résume ainsi ses entretiens avec le travailleur :
Notre sujet m’a été référé en octobre 2007 pour un accident de travail qu’il a vécu le 22 juin [sic] 2006. Il a 43 ans, il ne peut travailler et ne sait ce qu’il a comme séquelles mais il dit vivre des douleurs permanentes dans le dos. Dans mon bureau, il ne peut rester en place bien longtemps, il se lève souvent pour soulager une douleur qui lui semble difficile à gérer. Il a toujours gardé ces mouvements qui semblent douloureux tout au long de nos rencontres. Il se dit déçu du traitement diagnostic [sic] qu’il reçoit, aucun médecin ne semble pouvoir lui dire ce qu’il a et lui parlé [sic] de l’ampleur des dommages physiques qu’il a. Il se dit devant un mûr [sic] et ne sait ce qu’il pourra faire de sa vie.
À la fin octobre, début novembre, il a hâte de recevoir le rapport du docteur Marcoux. Il espère recevoir des nouvelles claires et précises. Malheureusement pour notre sujet, le rapport demande de continuer les traitements présents et de revoir l’évolution dans un an. Nous travaillons sur les émotions vécues à ce moment et atténuons l’impact de l’attente de un an.
En novembre et décembre, nous travaillons les émotions reliées à sa situation, voir [sic] les relations avec sa famille, avec son réseau social et notre sujet me parle de ses frustrations financières causées par cet état. L’hiver vient alourdir son vécu social.
Au début janvier notre sujet est découragé, pleure, ne se sent pas appuyé, ne sait où il va. Les traitements de physio. ne semblent pas lui apporter de bien et dit que le physiothérapeute lui demande des choses qu’il ne peut effectuer. Il dit vivre des pertes de mémoires [sic] et de concentrations [sic]. Il veut se reprendre en main et vouloir retrouver une normale [sic], [sic] Il dit faire tout ce qu’on lui demande et participe à tous les traitements proposés mais ne peut être plus positif dans les circonstances.
En février, mars, notre sujet se dit fatigué, écœuré que rien ne se passe. Il a hâte d’avoir des réponses et envisager son avenir de façon positif [sic]. Il réalise qu’il a une bonne famille, une femme merveilleuse et deux bons enfants. Face aux tentatives de la CSST de négocier un poste avec son employeur, il est résilient, garde le moral. Il se dit chanceux de pouvoir marché [sic] et non d’être en chaise roulante. Il se console de son état quand regarde [sic] les jeux para olympique [sic]. Il a bien hâte de recevoir le rapport d’évaluation fait par le médecin de la CSST.
En avril, mai, notre sujet prends [sic] sa destiné [sic] en main et va consulter une conseillère pour voir plus claire [sic] dans son dossier. Il est fatigué de se battre, notre sujet bloque ses émotions pour ne pas flancher sous la pression. Quand je fais une tentative de In Vitro pour voir ses réactions à un éventuel retour au travail, notre sujet ne peut supporter et la colère éclate. Les traitements de physiothérapie sont arrêtés, nous regardons une autre activité pouvant lui permettre de garder la forme physique minimale. Notre sujet veut se faire valoir dans ce qu’il vit et semble bien décider [sic] à se faire entendre.
Impression diagnostique
Notre sujet ne présente aucune problématique de troubles pouvant être signalés sur l’axe I, II et III. Je noterais à l’Axe IV, un problème d’accès aux services de santé afin de voir le bon spécialiste qui pourra poser un diagnostic sans équivoque avec preuve à l’appui qui permettrait de calmer l’anxiété vécu [sic] par notre sujet.
F43.28(309.24) avec anxiété reliée à la gestion du dossier par la CSST. Anxiété qui sera effacée une fois un diagnostic établit [sic] comme ci haut mentionné.
Recommandations
Effectuer un diagnostic médical
Travailler en thérapie les émotions reliées à la situation
Travailler en équipe multidisciplinaire afin d’assurer un bon suivit [sic] au niveau de la santé physique et psychologique de notre sujet
Garder un suivit [sic] thérapeutique jusqu’au moment où notre sujet aura repris ses fonctions de façons [sic] définitive et complète.
[31] À l’audience, le travailleur indique que ces rencontres avec monsieur Boulanger ne lui apportent aucun bienfait à long terme. Il apprécie parler à quelqu’un, cela le calme. Cependant, dès le lendemain, rien ne change dans son état ou sa condition physique. Lorsque la CSST arrête de défrayer ces rencontres, le travailleur n’entreprend aucune démarche pour obtenir des soins pour sa condition psychologique et il n’en parle pas non plus à ses médecins, car il n’a pas les moyens de payer pour de tels traitements.
[32] Entre temps, le 12 octobre 2007, le docteur Judith Marcoux, neurochirurgienne, examine le travailleur à la demande de son médecin traitant. Le travailleur mentionne des douleurs tout le long de la colonne vertébrale, au bras et à la main gauches et à la jambe gauche. Pourtant, l’examen objectif est peu contributif. De plus, le docteur Marcoux précise que les résultats de la résonance magnétique lombaire sont peu impressionnants puisqu’ils démontrent « only very mild degenerative disc disease with absolutely no nerve root compression ». Le docteur Marcoux indique qu’une chirurgie n’est pas indiquée puisque les changements dégénératifs sont vraiment minimes. Elle note que le travailleur fait l’objet d’un déconditionnement et que les traitements devraient viser à accroître sa mobilité et son niveau d’activités.
[33] Le 20 février 2008, le médecin conseil de la CSST, le docteur Katz, discute avec le médecin traitant du travailleur, le docteur Varin. Ce dernier signale qu’il prévoit des séquelles importantes des suites de l’accident du travail subi le 22 avril 2006. Il ajoute que les problèmes au niveau cervical sont des conditions personnelles.
[34] Comme des séquelles sont attendues dans ce dossier, la conseillère en réadaptation entreprend de documenter les tâches prélésionnelles afin d’estimer si le travailleur sera en mesure de reprendre cet emploi, le cas échéant.
[35] Le 14 mars 2008, la conseillère en réadaptation visite le poste de travail du travailleur. Elle remarque que certaines tâches relèvent de l’entretien ménager, soit passer le balai et la vadrouille. La conseillère signale que ces tâches impliquent une « sollicitation de mouvements dynamiques de flexion, et d’extension et de torsion du tronc de faible amplitude ». Le travailleur doit aussi soulever des poids importants et être presque toujours debout dans le cadre de son emploi d’homme à tout faire et d’installateur.
[36] La conseillère croit qu’un retour à cet emploi sera risqué si des limitations fonctionnelles significatives sont retenues.
[37] Le 20 mars 2008, le docteur Jacques Étienne Des Marchais, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur à la demande de la CSST. Le travailleur n’a alors recours à aucun interprète et le docteur Des Marchais souligne qu’il parle anglais et français durant l’entrevue et qu’il comprend très bien ces deux langues. L’examen objectif met en évidence de nombreux signes de non-organicité et des observations indirectes qui démentent les constatations faites à l’examen. Le docteur Des Marchais croit que rien ne soutient le diagnostic de hernie discale proposé jusqu’alors. Il consolide la lésion à la date de son examen, sans nécessité de traitements après cette date. Il estime que le diagnostic qui aurait dû être privilégié est celui d’entorse lombaire.
[38] Toutefois, comme il ne s’agit pas du diagnostic retenu par la CSST, le docteur Des Marchais prévoit un déficit anatomo-physiologique de 2 % pour une hernie discale non opérée, sans séquelles fonctionnelles, ainsi que des limitations fonctionnelles de classe I telles qu’élaborées par l’Institut de recherche en santé et en sécurité du travail.
[39] Le 8 avril 2008, le docteur Varin produit un rapport complémentaire où il commente le rapport du docteur Des Marchais. Tout comme celui-ci, il consolide la lésion le « 22/4/06 », sans nécessité de traitements, avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[40] La CSST considère que le docteur Varin approuve les conclusions du docteur Des Marchais et, en conséquence, elle donne suite à ce rapport complémentaire.
[41] Le 18 avril 2008, madame Carmela Gianfagna communique avec l’agente d’indemnisation de la CSST. Elle désire obtenir une copie du dossier du travailleur. L’agente suggère plutôt une rencontre et elle s’interroge sur la nécessité de retenir les services d’un interprète.
[42] Madame Gianfagna lui répond qu’elle n’a aucune difficulté à comprendre le travailleur et que, dès lors, la présence de son épouse ou d’un interprète n’est pas nécessaire.
[43] Le 21 avril 2008, la CSST collige certaines informations concernant l’emploi prélésionnel du travailleur ainsi que ses langues parlées, sa scolarité et ses activités de la vie quotidienne. Elle écrit qu’il parle et qu’il écrit l’anglais et le turc et qu’il possède une scolarité de niveau secondaire en Turquie. Il a toujours occupé des emplois physiquement exigeants. Enfin, il s’occupe de l’entretien normal de son appartement avec l’aide de sa conjointe.
[44] Le 25 avril 2008, la conseillère en réadaptation rencontre le travailleur et madame Gianfagna. Le travailleur se plaint alors de son psychologue, monsieur Boulanger, qui lui parle de retour au travail. Le travailleur désire plutôt consulter d’autres médecins.
[45] Le 8 mai 2008, la CSST visite le poste prélésionnel du travailleur en compagnie d’une ergothérapeute et cette dernière en vient à la conclusion que les limitations fonctionnelles décrites par le docteur Des Marchais sont respectées.
[46] Donc, le 1er mai 2008, la CSST détermine que le travailleur conserve l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles retenues par le docteur Des Marchais de la lésion professionnelle subie par ce dernier le 22 avril 2006. De plus, le 21 mai 2008, elle décide que le travailleur est capable d’exercer son emploi prélésionnel malgré les limitations fonctionnelles reconnues. Toutes ces décisions font l’objet d’une demande de révision et, en bout de piste, d’une contestation à la Commission des lésions professionnelles.
[47] Le 3 juin 2008, le travailleur allègue avoir été victime d’une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle initiale. À cette date, le travailleur consulte le docteur Charron qui diagnostique des hernies discales « L3 L5 » et qui prévoit un arrêt du travail.
[48] Le 13 juin 2008, le travailleur se présente à l’urgence d’un hôpital et le médecin consulté indique qu’il pourrait s’agir d’une sténose spinale, sans en préciser le site, et il réfère ce dernier à son médecin traitant ainsi qu’à son neurochirurgien.
[49] Le 28 juillet 2008, la CSST refuse de reconnaître une récidive, rechute ou aggravation le 3 juin 2008. Le travailleur demande la révision de cette décision et elle est confirmée par la révision administrative. Le litige est donc porté à l’attention de la Commission des lésions professionnelles.
[50] Avant que la Commission des lésions professionnelles se prononce sur les conséquences médicales de la lésion initiale ainsi que sur cette récidive, rechute ou aggravation, le dossier du travailleur suit son cours.
[51] Comme ce dernier n’est plus satisfait des services du docteur Varin, il trouve lui-même un autre médecin, le docteur Allen Payne.
[52] En conséquence, le 6 août 2008, il consulte le docteur Payne qui diagnostique un trouble d’adaptation ainsi qu’une hernie discale cervicale C4-C5 gauche. Il réclame une consultation en psychiatrie afin d’éliminer un diagnostic de dépression ainsi qu’une consultation en neurochirurgie pour des diagnostics de hernies discales cervicales C4-C5 et C5-C6 gauches. Or, une fois de plus, aucune investigation n’est faite pour le diagnostic de trouble d’adaptation et aucun traitement spécifique ne semble entrepris pour cette condition.
[53] Le 9 septembre 2008, une autre résonance magnétique de la colonne lombaire est effectuée et elle est lue ainsi par le docteur Daniel Beauchamp, radiologue :
Élément de perte en eau
Pas de pincement
Petits ostéophytes marginaux
Canal rachidien de dimension normale
Conus et queue de cheval sans particularité
Protusion discale foraminale et extra foraminale gauche en L4-L5 de 3 à 4 mm d’épaisseur par 1 cm d’épaisseur ne comprimant pas la racine nerveuse.
On observe un petit bombement foraminal gauche en L5-S1 sans répercussion sur les structures nerveuses.
Minimes bombements discaux étagés médians de 1 à 2 mm au niveau des vertèbres lombaires sans répercussion aucune sur les structures nerveuses.
[54] Selon le travailleur, le docteur Payne traite ses problèmes physiques en lui prescrivant des médicaments. Il ne sait pas si ceux-ci couvrent également sa condition psychologique.
[55] Le 5 décembre 2008, le docteur Jules Gauthier examine le travailleur à la demande de son représentant en vue de l’audience à venir devant la Commission des lésions professionnelles. Il considère que la lésion initiale n’est pas encore consolidée, que des traitements sont toujours requis et que le travailleur est alors inapte à occuper tout emploi.
[56] Se basant sur le rapport émis par le docteur Gauthier, le travailleur allègue être victime d’une récidive, rechute ou aggravation, le 5 décembre 2008, de la lésion professionnelle initiale subie le 22 avril 2006.
[57] Le 1er mai 2009, la Commission des lésions professionnelles[2] traite des litiges concernant les conséquences médicales de la lésion professionnelle subie le 22 avril 2006 et la récidive, rechute ou aggravation du 3 juin 2008.
[58] La Commission des lésions professionnelles considère que, dans son rapport complémentaire du 8 avril 2008, le docteur Varin n’approuve pas vraiment les conclusions du docteur Des Marchais et que le dossier aurait dû être dirigé, pour opinion, vers un membre du Bureau d’évaluation médicale. La Commission des lésions professionnelles ajoute que la détermination de la capacité de travail est prématurée dans un tel contexte et elle ne se prononce pas sur la récidive, rechute ou aggravation alléguée du 3 juin 2008.
[59] Le suivi médical reprend après cette décision.
[60] Le 9 mai 2009, le docteur Payne diagnostique une hernie discale L4-L5 gauche. Il revoit, par la suite, le travailleur pour des problèmes de hernies discales L3-L4, L4-L5 et L5-S1 ainsi que pour un « failed back syndrome ».
[61] Par ailleurs, la CSST exécute la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 1er mai 2009 et, dès lors, elle dirige le dossier du travailleur vers le membre du Bureau d’évaluation médicale afin que ce dernier se prononce sur la date de la consolidation, sur la nécessité des traitements, sur l’atteinte permanente et sur les limitations fonctionnelles relatives à la lésion professionnelle survenue le 22 avril 2006.
[62] Le 29 septembre 2009, le docteur Yzabel Michaud, neurochirurgienne et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur à cette fin. Cet examen est effectué sans l’aide d’un interprète. Le docteur Michaud indique, d’abord, que la CSST accepte les diagnostics d’entorse lombaire et de hernie discale L4-L5. Le travailleur ne rapporte aucune amélioration de sa condition plus de trois ans après le fait accidentel. Au contraire, il soutient que sa condition se détériore de plus en plus. Pourtant, il ne reçoit aucun traitement particulier outre la prise de médicaments. L’examen objectif met en évidence une perte d’amplitude des mouvements de la colonne dorso-lombaire. Toutefois, aucun réel signe d’atteinte neurologique ciblant un territoire particulier n’est mis en évidence. Le docteur Michaud est d’avis que la lésion est consolidée depuis fort longtemps puisqu’un plateau thérapeutique est atteint et que tous les traitements s’avèrent inefficaces. Elle retient donc la date de consolidation proposée par le docteur Varin, à savoir le 28 août 2007, sans nécessité de traitements additionnels après cette date. Elle octroie un déficit anatomo-physiologique de 19 % pour tenir compte des ankyloses de la colonne dorso-lombaire, mais, tout comme le docteur Des Marchais, elle ne décrit que des limitations fonctionnelles de classe I.
[63] Le 27 novembre 2009, la CSST refuse de reconnaître une récidive, rechute ou aggravation le 5 décembre 2008. De plus, le 8 décembre 2009, elle reprend dans une décision les conclusions émises par la membre du Bureau d’évaluation médicale. Le travailleur demande la révision de ces décisions, mais elles sont confirmées par la révision administrative.
[64] Le litige se transporte donc de nouveau devant la Commission des lésions professionnelles qui, le 31 janvier 2011[3], rejette toutes les requêtes du travailleur et qui détermine que celui-ci n’a pas été victime de récidives, rechutes ou aggravations les 3 juin 2008 et 5 décembre 2008 et que la lésion initiale est consolidée le 28 août 2007 sans nécessité de traitements additionnels, avec une atteinte permanente de 22,80 % et des limitations fonctionnelles consistant à éviter d’accomplir, de façon répétitive ou fréquente, les activités qui impliquent de soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kilos, de travailler en position accroupie, de ramper, de grimper, d’effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire, de subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale (ex : provoquées par du matériel roulant sans suspension) et que le travailleur a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que la CSST se soit prononcée sur sa capacité de travail eu égard à l’atteinte permanente et aux limitations fonctionnelles retenues.
[65] Or, avant que la Commission des lésions professionnelles ne rende sa décision, un processus de réadaptation est entrepris vu l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles décrites jusqu’alors par la membre du Bureau d’évaluation médicale.
[66] Ainsi, le 4 mars 2010, le conseiller en réadaptation, monsieur Karim Ben Maiz, rencontre le travailleur en compagnie de sa représentante, madame Gianfagna. Il leur explique son intention de débuter l’exploration professionnelle. Il note que le travailleur lui mentionne détenir une scolarité de niveau secondaire 2 en Turquie. Il travaille dans diverses manufactures ou divers commerces comme ouvrier, journalier ou homme à tout faire. Il aime travailler avec ses mains et ne demande qu’à être payé pour son travail. Monsieur Maiz se demande s’il y a lieu de mettre en place certaines mesures pour faciliter la reprise des activités de travail comme un programme de développement des capacités ou un programme de formation et il invite le travailleur et madame Gianfagna à y réfléchir. Déjà, à cette première rencontre, le travailleur laisse entendre qu’une reprise du travail est inimaginable en raison des douleurs qu’il ressent.
[67] Selon le témoignage de madame Gianfagna à l’audience, le travailleur est déprimé lors de cette rencontre et il ne va pas bien. Elle demande donc au conseiller en réadaptation de rendre la décision sur l’emploi convenable et elle l’avise qu’ils la contesteront. Elle souligne que, à cette époque, le docteur Payne avait déjà dit que le travailleur était invalide et qu’il ne pouvait exercer un emploi convenable. Madame Gianfagna ajoute que le travailleur ne veut plus rien faire, qu’il a peur qu’on le touche. Monsieur Maiz les informe donc qu’il rendra une décision concernant l’emploi convenable et c’est ce qu’il fait.
[68] Pourtant, le 30 mars 2010, monsieur Maiz revoit le travailleur et madame Gianfagna. Celle-ci avise le conseiller en réadaptation que le travailleur est invalide et que le docteur Payne produira sous peu un document médical à ce sujet. Monsieur Maiz aborde la question d’une formation, mais madame Gianfagna s’y objecte au motif que le travailleur n’a pas la santé nécessaire et qu’il ne parle que le turc. Malgré les explications de monsieur Maiz quant au type de formation pratique qu’il envisage dans un milieu anglophone, madame Gianfagna maintient son opposition. Le conseiller en réadaptation s’interroge sur la détermination d’un emploi convenable à temps partiel et, une fois de plus, la réponse est que le travailleur est incapable de retourner à un quelconque travail et qu’il est invalide pour le restant de ses jours. Monsieur Maiz propose au travailleur de s’investir dans un programme multidisciplinaire de développement de capacité et de gestion de la douleur dans le but d’améliorer sa condition physique, de l’aider à gérer ses douleurs et de déterminer éventuellement un emploi convenable. Le travailleur se dit d’accord avec cette dernière proposition même s’il doute des résultats d’une telle démarche.
[69] Le conseiller en réadaptation communique donc avec différents centres offrant un tel programme et, le 19 avril 2010, il avise madame Gianfagna qu’il a trouvé un excellent programme pour la gestion active de la douleur au Centre de réadaptation de l’Hôpital Juif à Laval. Il lui dit que le travailleur pourrait être intégré à ce programme au début de mai et il lui demande de lui en parler.
[70] Il est finalement convenu que le travailleur se rendrait à une évaluation afin de vérifier s’il est éligible au programme envisagé.
[71] Le 11 mai 2010, le Centre de réadaptation informe monsieur Maiz que le travailleur est accepté au programme mais que les intervenants doutent du succès de la démarche compte tenu de son attitude. En effet, le travailleur se dit en conflit avec la CSST, il n’a confiance en personne et il ne croit pas aux bienfaits du programme. Le conseiller en réadaptation désire tout de même aller de l’avant avec cette solution qui lui apparaît bénéfique pour le travailleur.
[72] Le 26 mai 2010, le Centre de réadaptation communique avec monsieur Maiz. La personne responsable avise le conseiller en réadaptation qu’il serait préférable de retarder le programme puisque le lien de confiance avec le travailleur est inexistant. Elle aimerait que le médecin traitant, le docteur Payne, sensibilise le travailleur sur son réel état physique et corrige la perception dramatique de sa condition. Il est convenu que le Centre de réadaptation entreprendrait des démarches en ce sens auprès du docteur Payne.
[73] Le 11 juin 2010, le Centre de réadaptation avise monsieur Maiz qu’il n’y a pas lieu d’offrir ce programme au travailleur. Il justifie ainsi sa décision dans une lettre émise le 11 juin 2010 :
Suite à l’évaluation des besoins (2010-05-07) et à votre autorisation pour débuter un programme d’activation malgré un pronostic de réadaptation défavorable, M. Aktug a été rencontré par le reste de l’équipe interdisciplinaire le 12 et 18 mai 2010 dans l’optique de débuter le programme le 31 mai suivant.
Ces évaluations ont cependant permis de clarifier la barrière principale à la réadaptation, soit la représentation de la maladie et du traitement de M. Aktug qui perçoit avoir une condition très grave et qu’aucun traitement ne peut aider. Considérant cette problématique majeure, il est d’avis que le programme d’activation ne répond pas aux besoins actuels de M. Aktug. Pour apprendre à gérer activement la douleur et y mettre l’énergie nécessaire, le client doit avoir un minimum d’attentes positives envers ce type d’interventions afin d’établir l’alliance thérapeutique nécessaire au succès de la réadaptation. Or, ni l’équipe de réadaptation, ni son médecin traitant, ni M. Aktug ne sont d’avis que le programme d’activation pourrait l’aider en ce moment. À cet effet, selon une conversation téléphonique entre le médecin de l’équipe (Dr Gaston Dubois) et le médecin traitant (Dr Allen Payne), ce dernier envisagerait d’autres avenues thérapeutiques à offrir à M. Aktug.
En terminant, veuillez noter qu’advenant un changement significatif au niveau de la représentation de la maladie et du traitement, c’est-à-dire que M. Aktug aurait une meilleure connaissance de sa condition médicale ainsi qu’une certaine confiance en sa capacité de bouger et gérer activement sa douleur, sa participation au programme d’activation pourrait être reconsidérée.
[Nos soulignements]
[74] Madame Gianfagna a une toute autre version de ce qui se passe au Centre de réadaptation. Elle indique que quelqu’un l’appelle pour lui dire que le travailleur ne veut pas que personne ne le touche et qu’il ne comprend pas les langues parlées par les intervenants. Elle dit même que les intervenants ne parlent qu’en français au Centre de réadaptation de l’Hôpital Juif. De plus, elle nie que le conseiller en réadaptation ait fait mention d’une formation sous la forme d’un stage ou encore avoir réclamé un statut d’invalide pour le travailleur.
[75] Le 8 juillet 2010, monsieur Maiz rencontre de nouveau le travailleur et madame Gianfagna. Il leur communique la position du Centre de réadaptation ce qui semble surprendre le travailleur qui prétend avoir supplié les intervenants de l’aider et avoir essuyé un refus de leur part. Le conseiller en réadaptation demande au travailleur et à madame Gianfagna quelle est la position du docteur Payne sur le bien-fondé du programme et madame Gianfagna lui dit qu’il n’est pas d’accord avec celui-ci puisque le problème du travailleur est surtout psychologique. De son côté, madame Gianfagna croit que des limitations fonctionnelles de classe 4 auraient du être reconnues et que, de toute façon, le travailleur est invalide. Monsieur Maiz propose de contacter le Centre de réadaptation et d’organiser une réunion où tous pourraient échanger sur le sujet.
[76] Le 12 juillet 2010, madame Gianfagna avise monsieur Maiz que ni elle, ni le travailleur ne désirent se rendre à la réunion projetée par ce dernier. Elle explique que le travailleur n’a plus confiance en ces intervenants, qu’il a enregistré ses entrevues et que cela confirme que ce sont eux qui refusent de le toucher et non le travailleur qui ne fait pas confiance au programme et qui ne veut pas y adhérer. Quand le conseiller en réadaptation demande d’écouter ces enregistrements, madame Gianfagna s’y oppose en disant qu’elle les gardera pour l’audience devant la Commission des lésions professionnelles. Or, aucun tel enregistrement n’est produit devant le présent tribunal. En outre, lors de son témoignage, madame Gianfagna précise que le travailleur lui avait dit qu’il avait enregistré les rencontres à ce centre, mais que ce n’était pas vrai. Elle nie, toutefois, avoir prétendu qu’elle déposerait ces enregistrements lors d’une audience devant la Commission des lésions professionnelles. Enfin, elle admet avoir demandé à monsieur Maiz de rendre la décision sur l’emploi convenable.
[77] Au terme de cette rencontre, monsieur Maiz constate que toutes ses tentatives pour améliorer la condition du travailleur et établir, avec sa collaboration, un plan de réadaptation se soldent par un échec car celui-ci rejette toutes les solutions proposées. Il consultera donc ses supérieurs hiérarchiques pour la suite à donner à ce dossier.
[78] Le 10 août 2010, monsieur Maiz avise madame Gianfagna que, étant donné l’absence de collaboration du travailleur, il déterminera unilatéralement un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail.
[79] Le 7 septembre 2010, le travailleur dépose une nouvelle réclamation à la CSST. Il soutient être victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 23 mars 2010 et il joint à ce document une évaluation faite à cette date par le docteur Allen Payne.
[80] La Commission des lésions professionnelles ignore à qui est destiné ce document qui se lit ainsi :
Tout d’abord, il y a des facteurs psychosociaux dont il faut tenir compte, Monsieur prend un analgésique qui est de la famille de ce que nous appelons des équivalents ou des analogues morphiniques avec des effets secondaires potentiels de somnolence diurne, de constipation et les effets secondaires qui sont reliés à la somnolence diurne c’est-à-dire la baisse de concentration, de vigilance et d’attention.
Si nous nous basons sur la note de 2007 du Dr. Marcoux, neurochirurgien, il est clair qu’à ce moment la [sic] une classe 1 était quelque chose de pas très réaliste.
Si je me fis que deux ans après en juin 2009, il s’est présenté avec une cane [sic], et des mouvements fortement diminués là aussi le reconditionnement de façon évidente ne s’était pas fait de façon satisfaisante et là aussi la classe 1 était totalement irréaliste.
Je l’ai revu en février 2010, il y avait très peu de changement dans l’état de Monsieur. Je pense que Monsieur a quand même un degré d’acceptation de sa condition.
Il est clair que j’ai une note que Monsieur présente un trouble d’adaptation, mais il est aussi fort possible que l’on face [sic] a faire [sic] tout simplement à un trouble somatoforme comme j’avais noté sur mon document l’an passé au niveau de l’aide sociale.
Le suivi peut [sic] fréquent de Monsieur Aktug ne me permet pas de faire la différenciation entre les différents diagnostics.
Peu importe le diagnostic précis, il est clair qu’au minimum, Monsieur Aktug m’apparaît être une classe 3 et pour la catégorie physique une classe 2 au minimum.
La classe 3 au minimum embarquant à cause de la composante psychologique. Il est clair que cette composante encore une fois à cause du suivi très expansé n’a pas vraiment été traitée de façon très active pour ne pas dire pas du tout. Qu’il s’agit uniquement de l’élément douloureux qui a été traité.
Je pense donc que toute réadaptation pour Monsieur Aktug doit tenir compte de ces différents éléments et il doit avoir un élément de réadaptation psychosocial [sic] assez intensif et un programme de CF aussi, comme avait noté le Dr. Marcoux en 2007.
Actuellement, le mettre en classe 1 et de retour sur le marché du travail et [sic] une garantie pour une rechute à très court terme.
[81] Par la suite, le docteur Payne revoit le travailleur les 15 juin, 27 juillet et 15 novembre 2010 pour des diagnostics de douleurs chroniques ou de trouble d’adaptation sur douleur chronique.
[82] Or, le 19 octobre 2010, l’agente d’indemnisation de la CSST interroge madame Gianfagna sur les circonstances entourant la réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation le 23 mars 2010. Elle note qu’il ne se passe rien de particulier, que le travailleur relie sa douleur à l’accident survenu en avril 2006, qu’il se sent de plus en plus déprimé à cause de la douleur, de la barrière linguistique, du fait qu’il croit que sa situation ne se règlera pas et du deuil que cela implique. Le travailleur serait en attente de traitements, soit un programme de gestion de stress à la Clinique de la douleur, et ce depuis avril 2008.
[83] Le 9 novembre 2010, le médecin conseil de la CSST, le docteur Florin Zaharia, est consulté relativement à cette réclamation. Il en recommande le refus pour les motifs suivants :
Monsieur Aktug s’est infligé en 2006 une entorse lombaire et une hernie discale L4-L5. Il y a eu plusieurs RRA (récidives, rechutes ou aggravations) refusées et la dernière consolidation remonte à août 2007. Lors de cette dernière consolidation on notai [sic] (avis BEM (Bureau d’évaluation médicale) de septembre 2009) :
-que selon le T (travailleur) les traitements reçus l’avaient empiré
-cervico-dorso-lombalgies constantes inchangées depuis l’accident sinon pires
-peut pas se tenir debout sans sa canne, AVQ (activités de la vie quotidienne) très difficiles
-pas de spasmes, scoliose ou fasciculations
-flexion 50, extension 15, latéralités et rotations 15. Tous les mouvements sont douloureux
-Schober 11,5/15
-examen neurologique normal. Le T accuse une hypoesthésie de l’hémicorps gauche, mais plus importante aux membres inférieurs
On accorde un DAP (déficit anatomo-physiologique) surtout car un Dx (diagnostic) d’hernie fut reconnue [sic], puis considérant l’examen physique plutôt discret et avec moult discordances, on accorde juste des L.F. (limitations fonctionnelles) classe 1, donc légères.
Dans les documents récents, soit essentiellement les notes du Dr. Payne on évoque les douleurs connus [sic], puis un Dx de trouble d’adaptation qui serait for [sic] tardif, car il apparaît généralement en deçà de 2 mois d’une situation stressant [sic], ici les L.F. qui de plus sont légères. Le tableau clinique n’est pas précisé et on pas [sic] d’éléments pour qu’on puisse relier ce Dx à la L.P. (lésion professionnelle). De plus, Dr. Payne n’est pas vraiment sûr du Dx.
Il émet aussi un autre, encore sous toute réserve et sans être certain, soit celui de trouble somatoforme. Inutile de dire qu’il s’agit de diagnostics psychiatriques fort différents. Or le tableau clinique encore pour ce deuxième Dx n’est pas clair. Dans les documents médicaux disponibles, on retrouve plutôt des discordances subjectives objectives importantes, sans aucune explication physiopathologique logique, ressemblant davantage à un comportement circonstanciel, voire théâtral (peut pas se tenir debout sans sa canne, hypoesthésie de l’hémicorps, détérioration spontanée avec le temps, etc.) et où les éléments ou conflits psychiques inconscients ne sont pas évidents.
Quant à la douleur chronique, elle était connue et elle n’est pas corroborée par des signes physiques fiables, d’où l’octroi de L.F. mineures.
Donc, dans ce contexte on peut pas [sic], premièrement conclure à une récidive ou aggravation physique, ni à un lien avec les problèmes psychiques évoqués dernièrement.
[84] Le 10 novembre 2010, la CSST refuse de reconnaître une récidive, rechute ou aggravation le 23 mars 2010. Le travailleur demande la révision de cette décision et, le 18 mars 2011, la révision administrative la maintient d’où une partie des litiges dont est saisie la Commission des lésions professionnelles.
[85] Par ailleurs, le 10 décembre 2010, le conseiller en réadaptation, monsieur Maiz, fait le bilan des démarches en réadaptation et il en vient à la conclusion qu’il ne peut aller plus loin dans ce processus. Il détermine donc l’emploi de préposé à l’entretien ménager d’édifice à bureaux et il justifie ainsi le choix de cet emploi en regard de la définition des termes « emploi convenable » retrouvés à la loi :
1-Un emploi qui permet au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle :
Selon Repères, le poste se décrit comme suit :
Employé ou employée du secteur de l’entretien d’immeubles dont la fonction est de nettoyer et d’entretenir les postes de travail dans des édifices à bureaux à l’aide du matériel de nettoyage approprié en vue d’assurer la propreté quotidienne des lieux.
Les tâches sont :
-Nettoie les parquets au balai à franges et au balai ordinaire et époussette les vestibules et les corridors.
-Astique les meubles, les garnitures et accessoires.
-Vide les poubelles, les corbeilles à papier et les récipients à rebuts et à recyclage.
-Passe l’aspirateur sur les tapis, les tentures et les meubles rembourrés.
-Désinfecte les accessoires des salles de bains et renouvelle certaines fournitures telles que savon, papier, etc.
-Remplace les ampoules grillées.
-Nettoie les fenêtres, les murs et les plafonds, au besoin.
-Dispose les meubles dans les salles de conférence, au besoin.
-S’assure que les portes et les fenêtres sont bien fermées.
-Nettoie les salles à manger.
-Avertit la direction des réparations importantes à effectuer.
Le décret du comité paritaire de l’entretien d’édifices publiques [sic] de la région de Montréal précise la nature des travaux légers de classe B. Ceux-ci comprennent l’époussetage des endroits accessibles du sol, le nettoyage des cendriers et des paniers à papier de 11,34 kg et moins, le lavage des tâches [sic] sur les murs, le balayage des planchers et l’entretien léger des salles de toilettes.
De façon générale, l’emploi de préposé à l’entretien ménager dans les édifices commerciaux est un emploi qui consiste à effectuer l’époussetage des meubles, l’entretien des planchers (vadrouille, aspirateur…), le nettoyage des murs, des corridors et des salles de bain au complet.
La nuance au niveau des tâches est nécessaire vu notre bonne volonté de vouloir respecter le mieux possible la condition globale du travailleur. En effet, ce dernier ne sera pas affecté à des tâches qui sont exigeantes sur le plan physique où il devrait être affecté au lavage des vitres en hauteur et des salles de bain au complet, l’utilisation d’escabeau pour le nettoyage ou le remplacement des ampoules, etc. Autrement dit, ce type de tâches n’est pas exigée [sic] dans les travaux légers.
Capacités physiques :
Vision : Être capable de voir de près et de loin
Position corporelle : Être capable de travailler principalement debout ou en marche
Être capable de travailler dans des positions inconfortables (ex. : se pencher, s’accroupir, etc.)
Coordination des Être capable de coordonner les mouvements de ses membres
membres : supérieurs
Force physique : Être capable de soulever un poids d’environ 10 à 20 kg.
Analyse des limitations fonctionnelles :
Limitations fonctionnelles du travailleur sont de classe I selon l’IRSST : Le travailleur doit éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :
- Soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kg : L’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux avec travaux légers de classe B, tel que spécifié dans le décret de loi qui régit l’emploi en question, exige seulement la manipulation de charges de 11,34 kg et moins. La limitation est respectée.
- Travailler en position accroupie : La description des tâches de nettoyeur d’édifices à bureaux avec travaux légers de classe B telles que spécifiées [sic] dans le décret de loi n’indique pas qu’il faut s’accroupir. Et si le T aurait [sic] à le faire cela ne sera sûrement pas d’une manière répétitive ou fréquente. Cette limitation est donc respectée.
- Ramper, grimper, effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire : La description des tâches de nettoyeur d’édifices à bureaux avec travaux légers de classe B telles que spécifiées [sic] dans le décret de loi est un emploi où le travailleur n’aura pas à ramper, grimper ou bien effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire. Cette limitation est donc respectée.
- Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale (ex. provoquées par du matériel roulant sans suspension) : Dans l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux avec travaux légers de classe B, le T n’aura pas à subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale. De plus, il n’est pas question de conduire un matériel roulant sans ou même avec suspension. Cette limitation est donc respectée.
Considérant que l’ensemble des limitations est respecté, nous pouvons conclure que le travailleur est bel et bien capable d’occuper l’emploi de préposé à l’entretien ménager léger d’édifices à bureaux tout en respectant sa condition globale.
2- Un emploi qui permet au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles :
C’est un emploi qui ne nécessite pas de formation particulière et selon Repères, la formation est donnée à l’embauche. De plus, T occupait dans son emploi pré-lésionnel, un poste physique et manuel (homme à tout faire). Il a donc l’habitude et les habilités pour occuper cet emploi.
3- Un emploi qui présente une possibilité raisonnable d’embauche :
Selon les statistiques d’Emploi-Québec, les perspectives professionnelles sont acceptables (2009-2013).
Selon IMT en ligne les perspectives de cette profession dans toute la région de Montréal sont acceptables (2008-2013).
Selon les statistiques d’Emploi-Avenir Québec de Service-Canada, les perspectives d’emploi sont bonnes (2008-2012).
Nous considérons que cet emploi présente une possibilité raisonnable d’embauche.
4- Un emploi qui ne présente pas de danger pour la santé ou la sécurité du travailleur
Les limitations fonctionnelles et la condition globale du travailleur étant respectées, l’emploi ne présente aucun danger pour la santé ou la sécurité du travailleur.
5- Un emploi approprié
Cet emploi ne constitue par [sic] le choix du travailleur malgré une longue démarche de réadaptation faite avec lui. Par contre, il respecte les critères mentionnés ci-haut. Il s’agit donc d’un emploi approprié.
[…]
Commentaires :
T a refusé tout aide de la part de la CSST y compris le service d’un conseiller en orientation professionnelle ou en emploi.
[86] Le 20 décembre 2010, la CSST détermine pour le travailleur l’emploi convenable de nettoyeur d’édifices à bureaux et sa capacité à l’exercer à compter du 14 décembre 2010. Le travailleur demande la révision de cette décision mais, le 18 mars 2011, la révision administrative la confirme d’où le second volet des litiges portés à l’attention du tribunal. Dans sa décision, la révision administrative précise que cet emploi nécessite quelques années d’études secondaires et une formation en emploi.
[87] À l’audience, le travailleur indique qu’il est incapable d’accomplir le travail de nettoyeur d’édifices à bureaux. Il dit qu’il n’a pas peur de travailler, mais qu’il ne voit pas comment il peut le faire avec toutes ses douleurs. Il ne sait pas comment cet emploi a été déterminé. Il admet avoir rencontré monsieur Maiz à quelques reprises avec madame Gianfagna et il soutient n’avoir rien compris de ces pourparlers, car il ne maîtrise pas les langues parlées ici.
[88] Il ne se souvient pas en quelle langue se tiennent les rencontres avec le conseiller en réadaptation. Il croit que c’est peut-être en anglais, mais il n’en est pas certain.
[89] Pourtant, lorsqu’il est interrogé plus tard à ce sujet, il indique que monsieur Maiz s’exprime en anglais à ces occasions.
[90] Il reconnaît qu’il est accompagné de madame Gianfagna durant toutes ces rencontres. Il se fait aider par elle car la CSST coupe ses prestations et qu’il n’a plus d’argent pour payer l’essence ou les cigarettes. Les échanges avec madame Gianfagna se tiennent en anglais. Le travailleur réitère que monsieur Maiz lui demande de travailler et qu’il se considère incapable de le faire.
[91] Le travailleur signale qu’il est d’origine turque. Il est au Canada de 1986 à 1988. Il y revient en 1990 et il obtient un statut de résident permanent. Il se trouve du travail dans une compagnie de plastique, dans une compagnie de fruits et légumes, dans une compagnie de métal, dans une compagnie de cadre de photographies et chez l’employeur actuel. Les échanges avec ses employeurs durant ces périodes d’emploi se font en anglais et, parfois, en français.
[92] Il a une formation scolaire élémentaire jusqu’à la cinquième année en Turquie et, au Canada, il a suivi les cours de français obligatoires prodigués aux immigrants. Malgré la réussite de ces cours, il soutient qu’il parle peu le français et qu’il ne peut le lire ou l’écrire. Il parle un peu l’anglais car, dans son entourage, tous parlent cette langue, mais il ne peut l’écrire.
[93] Enfin, il n’a fait aucune recherche d’emplois depuis la décision rendue le 20 décembre 2010 et il n’a jamais tenté de travailler depuis l’accident survenu en avril 2006.
[94] Le 15 novembre 2011, le docteur Serge Gauthier, psychiatre, examine le travailleur à sa demande. Il n’est accompagné d’aucun interprète afin de bien se faire comprendre du docteur Gauthier. Pourtant, celui-ci ne semble avoir aucune difficulté à communiquer avec le travailleur. Le docteur Gauthier dresse un résumé des faits au dossier.
[95] Au moment de cet examen, le travailleur rapporte toujours d’importantes douleurs à l’épaule gauche, au dos, aux fesses, au membre inférieur gauche et au cou ainsi que des céphalées qui irradient au visage et au cou. Il se plaint de problèmes de sommeil. Il ne fait plus rien dans la maison. Il prend des marches de courte durée et il rencontre des amis dans un café. Il mentionne aussi avoir complété une scolarité de niveau primaire en Turquie et avoir travaillé pour une compagnie de métal et diverses manufactures avant d’œuvrer pour l’employeur où il subit sa lésion professionnelle.
[96] L’examen mental réalisé se lit comme suit :
Au cours de la rencontre que j’ai eue avec Monsieur, je n’ai pas noté de trouble du contact avec la réalité, aucun élément psychotique ni prépsychotique ni de trouble des perceptions, tel illusion ou hallucination. Je n’ai pas noté de signe d’atteinte cérébrale organique.
Je n’ai pas noté d’agitation ni de ralentissement au plan psychomoteur, et je n’ai pas noté de tic, de maniérisme, de bizarrerie ni de stéréotypie.
L’affect était présent et de bonne qualité, non mobilisable ni modulable et sans discordance idéo affective.
L’humeur était de qualité anxieuse, triste et irritable et, au cours de la rencontre, je n’ai pas noté de trouble du contrôle des émotions ni des impulsions.
Je n’ai pas noté de trouble du cours ni de la forme de la pensée, pas de blocage ni de fuite des idées, pas de tangentialité ni de circonstancialité.
Le discours était cohérent, logique et bien organisé.
Au niveau du contenu de la pensée, je n’ai pas noté de préoccupation délirante et je n’ai pas noté de préoccupation suicidaire.
M. Aktug m’a fait part de l’évolution de sa condition, de la persistance de ses douleurs de son anxiété. Il m’a fait part de ses problèmes de sommeil et de ses difficultés d’attention et de concentration. Il m’a fait part de la diminution importante de sa libido, de sa perte de motivation et d’intérêt et de ses sentiments d’impuissance et de découragement.
Le sensorium était clair, Monsieur était bien orienté dans les trois sphères.
Au plan intellectuel, il fonctionne au niveau de l’intelligence moyenne. Son jugement et son autocritique étaient de bonne qualité.
Au niveau des fonctions mentales supérieures, je n’ai pas noté de trouble au plan de la mémoire et les capacités d’attention et de concentration étaient diminuées.
Je n’ai pas noté d’indice de trouble formel au plan de la personnalité.
[97] Le docteur Gauthier diagnostique un « trouble d’adaptation avec humeur anxieuse et dépressive, de durée chronique et secondaire aux douleurs chroniques éprouvées depuis l’événement du 22 avril 2006 ». Il diagnostique également un « trouble douloureux chronique en lien avec une condition médicale ». Il consolide ces lésions le 15 novembre 2011 même si elles n’ont fait l’objet d’aucun traitement spécifique depuis mars 2010. Il octroie un déficit anatomo-physiologique de 15 % pour une névrose de classe de gravité II et des limitations fonctionnelles qui consistent en une incapacité « d’effectuer les tâches d’un travail rémunérateur quel qu’il soit » ce qui englobe, évidemment, l’emploi convenable de nettoyeur d’édifices à bureaux retenu par la CSST. Enfin, selon le docteur Gauthier, la rechute du 23 mars 2010 est acceptable compte tenu des douleurs éprouvées et de ses symptômes d’anxiété.
[98] Il expose ainsi les motifs qui sous-tendent ses conclusions :
Les symptômes douloureux, anxieux et dépressifs entraînent chez M. Aktug des dysfonctions, c’est-à-dire une diminution de la résistance au stress et à l’effort, une altération de l’humeur avec anxiété, irritabilité et tristesse, de même qu’une altération du processus cognitif avec diminution des capacités d’attention et de concentration.
Les symptômes et les dysfonctions entraînent comme limitations fonctionnelles une incapacité pour M. Aktug d’effectuer les tâches d’un travail rémunérateur quel qu’il soit.
M. Aktug conserve des séquelles permanentes au plan psychique découlant de l’événement du 22 avril 2006. J’évalue les séquelles à un pourcentage de 15 % correspondant à une classe de gravité II dans la catégorie des névroses, selon le barème de la C.S.S.T.
[…]
Compte tenu des douleurs éprouvées par M. Aktug, ainsi que de ses symptômes d’anxiété, j’estime que la rechute, récidive ou aggravation du 23 mars 2010 est acceptable.
[…]
En raison des symptômes douloureux, anxieux et dépressifs et des limitations fonctionnelles qu’il éprouvait, M. Aktug était, à mon avis, incapable d’exercer l’emploi de nettoyeur de bureaux à compter du 14 décembre 2010 et aucun autre emploi rémunérateur.
[…]
À cette étape de l’évolution de la condition de M. Aktug, je ne crois pas qu’il y a lieu de suggérer une évaluation dans un autre domaine.
[99] À l’audience, le travailleur soutient qu’il est très souffrant et qu’il est presque paralysé du côté gauche. Il ne fait rien de ses journées. Il n’aide pas aux tâches ménagères. Il ne peut même pas prendre son bain.
[100] Malgré ces douleurs importantes et incapacitantes, il ne revoit pas le docteur Payne en 2012 et il ne peut préciser à quand remonte sa dernière visite médicale avec ce médecin.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[101] Le représentant du travailleur rappelle que la lésion professionnelle subie par le travailleur le 22 avril 2006 est consolidée avec une atteinte permanente de 22,80 %, mais des limitations fonctionnelles de classe I.
[102] Or, il soutient que les problèmes psychologiques arrivent rapidement dans ce dossier. Ainsi, la CSST dirige le travailleur vers le psychologue Boulanger et elle paie des rencontres du 24 octobre 2007 au 29 mai 2008.
[103] Selon le représentant du travailleur, c’est cette même condition qui évolue jusqu’en 2011 et qui complique la réadaptation du travailleur.
[104] Le représentant du travailleur remarque que monsieur Boulanger fait certaines recommandations en ce qui a trait à la condition psychologique du travailleur. De plus, il discute de la langue parlée par celui-ci et de ses difficultés à cet égard.
[105] En outre, le docteur Payne mentionne un trouble d’adaptation sur douleurs chroniques et un trouble somatoforme et ces diagnostics sont confirmés par le psychiatre Gauthier.
[106] Le représentant du travailleur en conclut que la condition psychologique du travailleur reste la même entre 2008 et 2011 et que cette condition est reliée à l’événement initial.
[107] En outre, il signale que le docteur Gauthier dit qu’une récidive, rechute ou aggravation est acceptable le 23 mars 2010 et qu’il faut, dès lors, retenir son opinion à cet égard.
[108] Le représentant du travailleur demande donc à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître une récidive, rechute ou aggravation le 23 mars 2010 et de déclarer que, dans ces circonstances, la détermination d’un emploi convenable est prématurée et doit être annulée.
[109] Par ailleurs, si la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’une récidive, rechute ou aggravation ne peut être reconnue, le représentant du travailleur croit qu’elle doit tout de même conclure au caractère non convenable de l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux.
[110] En effet, le docteur Gauthier estime que le travailleur ne peut exercer l’emploi convenable ou tout autre emploi rémunérateur. Aussi, ce dernier n’a pas le profil de l’emploi puisqu’il est faiblement scolarisé alors qu’il faut quelques années d’études secondaires et puisqu’il a toujours occupé des emplois où les échanges sont limités.
[111] Or, selon le représentant du travailleur, l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux oblige le travailleur à échanger davantage de telle sorte que ses lacunes en anglais, mais surtout en français, constituent des obstacles à l’exercice de cet emploi.
[112] Le représentant du travailleur conclut que le profil d’emploi du travailleur, sa faible scolarité, sa non-maîtrise des langues française et anglaise et ses problèmes psychologiques font en sorte que l’emploi choisi par la CSST n’est pas convenable et que le travailleur n’est pas en mesure de l’exercer. Il dépose et commente une décision[4] au soutien de son argumentation.
[113] Le représentant de la CSST laisse la question de la récidive, rechute ou aggravation du 23 mars 2010 à l’appréciation du tribunal. Il constate, toutefois, que la note du docteur Payne soumise au soutien de cette demande du travailleur est succincte et peu explicite sur la condition de ce dernier ou sur la récidive, rechute ou aggravation alléguée. La seule preuve est le commentaire laconique du docteur Gauthier au sujet de cette rechute, mais il remarque que l’analyse à l’appui de cette conclusion est pratiquement inexistante. Il croit donc que la décision rendue par la révision administrative devrait être maintenue par le tribunal.
[114] En ce qui concerne l’emploi convenable, le représentant de la CSST soutient que le conseiller en réadaptation agit correctement, mais que le travailleur n’offre aucune collaboration. Il est donc justifié de déterminer unilatéralement l’emploi convenable.
[115] Le représentant de la CSST signale que la barrière de la langue ne peut constituer un empêchement puisque, depuis son arrivée au Canada, le travailleur a toujours travaillé. De plus, l’emploi de nettoyeur ne nécessite pas beaucoup d’échanges et il n’est donc pas essentiel de maîtriser parfaitement les langues anglaise ou française pour pouvoir l’exercer.
L’AVIS DES MEMBRES
[116] Conformément à ce qui est prévu à l’article
[117] Le membre issu des associations syndicales est d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête déposée par le travailleur, d’infirmer la décision rendue par la révision administrative et de déclarer que ce dernier a été victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 23 mars 2010, que l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux n’est pas convenable, qu’il n’est donc pas en mesure de l’exercer et qu’il a toujours droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[118] En effet, le membre issu des associations syndicales estime que la preuve prépondérante démontre l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation le 23 mars 2010 vu le rapport fait par le docteur Payne à cette date et l’opinion émise par le psychiatre Gauthier à ce sujet. De plus, le membre issu des associations syndicales considère que le travailleur ne possède pas la scolarité nécessaire et qu’il ne maîtrise pas suffisamment les langues parlées au Québec pour pouvoir occuper l’emploi choisi par la CSST. Il souligne qu’un nettoyeur d’édifices à bureaux peut aller partout et que les consignes changent d’un endroit à l’autre ce qui l’oblige à bien comprendre toutes ces instructions. Le membre issu des associations syndicales ajoute que la perception de son état fait partie de la condition médicale du travailleur et que la CSST doit en tenir compte dans la détermination de l’emploi convenable. Or, le travailleur se perçoit en état complet d’invalidité et, dès lors, il ne peut exercer l’emploi déterminé.
[119] La membre issue des associations d’employeurs est plutôt d’avis qu’il y a lieu de rejeter la requête déposée par le travailleur, de confirmer la décision rendue par la révision administrative et de déclarer que ce dernier n’a pas été victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 23 mars 2010, que l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux est convenable, qu’il est en mesure de l’exercer à compter du 14 décembre 2010 et qu’il n’a plus droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu à partir du 14 décembre 2011.
[120] En effet, la membre issue des associations d’employeurs note d’abord que la réclamation pour la récidive, rechute ou aggravation est déposée à la limite des délais prévus à la loi. Or, elle constate que le rapport du 23 mars 2010 du docteur Payne produit à l’appui de cette réclamation ne vient aucunement supporter l’existence d’une telle lésion professionnelle. Il vise plutôt à faire hausser les limitations fonctionnelles retenues. En outre, la membre issue des associations d’employeurs remarque que les autres rapports du docteur Payne font état de douleurs chroniques, ce qui est plausible vu la consolidation de la lésion initiale avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles et qu’il n’y a donc aucune preuve de modification de l’état usuel du travailleur dans ces documents.
[121] Quant à l’emploi convenable, la membre issue des associations d’employeurs constate que le travailleur ne collabore pas au processus, il ne fait aucun effort pour reprendre le travail ou pour améliorer sa perception de sa condition. Elle conclut que le conseiller en réadaptation est donc bien fondé de déterminer unilatéralement l’emploi convenable dans un tel contexte. Enfin, elle souligne que le conseiller en réadaptation a procédé à une analyse complète des exigences de l’emploi choisi en regard des critères de l’emploi convenable et elle croit que cette analyse et la décision qui en résulte doivent être maintenues.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[122] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a été victime d’une récidive, rechute ou aggravation, le 23 mars 2010, de la lésion professionnelle initiale subie le 22 avril 2006.
[123] Elle doit également statuer, le cas échéant, sur le caractère convenable de l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux, sur la capacité de travailleur d’exercer un tel emploi et sur le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
La récidive, rechute ou aggravation du 23 mars 2010
[124] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a été victime d’une récidive, rechute ou aggravation, le 23 mars 2010, de la lésion professionnelle initiale subie le 22 avril 2006.
[125] L’article
[126] La récidive, rechute ou aggravation est donc une lésion professionnelle au même titre que la maladie professionnelle ou l’accident du travail.
[127] Cependant, contrairement à ces deux notions, le législateur n’a pas cru bon de définir spécifiquement ce qu’il entend couvrir par cette expression laissant au tribunal le soin de développer une définition tenant compte du sens usuel de ces termes et du contexte législatif dans lequel ils prennent place.
[128] Ainsi, le tribunal décide que, pour invoquer avec succès avoir subi une telle récidive, rechute ou aggravation, le travailleur doit démontrer qu’il présente une reprise évolutive, une recrudescence ou une réapparition de certains symptômes[5].
[129] En effet, il ressort du sens ordinaire des termes utilisés par le législateur qu’une récidive est la « réapparition d’une maladie qui était complètement guérie »[6], qu’une rechute est la « reprise de l’évolution d’une maladie qui semblait en voie de guérison »[7] et que l’aggravation réfère au fait de « devenir plus grave, d’empirer »[8].
[130] La Commission des lésions professionnelles constate que tous ces éléments impliquent une certaine détérioration ou modification négative de l’état de santé en regard de celui constaté lors de la consolidation de la lésion initiale. Une telle détérioration ou modification doit donc être prouvée par le travailleur.
[131] De plus, celui-ci doit démontrer que les lésions identifiées à compter de la date de la récidive, rechute ou aggravation alléguée sont reliées d’une quelconque façon à cette lésion professionnelle antérieure.
[132] Or, afin de statuer sur le lien existant entre une lésion initiale et la lésion diagnostiquée lors de la récidive, rechute ou aggravation alléguée, la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles suggère, dès 1991, certains paramètres à analyser à cet égard. Ainsi, les éléments considérés sont, notamment, le degré de sévérité du traumatisme initial, la nature de la symptomatologie observée après l’événement initial, le retour au travail avec ou sans douleur ou avec ou sans limitations fonctionnelles, la présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, la présence ou l’absence d’une condition personnelle, la continuité de la symptomatologie et le suivi médical, la proximité dans le temps entre la lésion professionnelle initiale et la récidive, rechute ou aggravation alléguée, la nature des diagnostics retenus lors de la lésion professionnelle initiale et de la récidive, rechute ou aggravation alléguée et l’opinion des différents médecins consultés à ce sujet[9].
[133] Ceci étant établi, qu’en est-il dans le présent dossier ?
[134] Le travailleur allègue être victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 23 mars 2010.
[135] Or, la Commission des lésions professionnelles constate que la lésion initiale est consolidée le 28 août 2007 avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles et que le travailleur rapporte des douleurs importantes, dans toute la colonne vertébrale, dans tous les os et dans le membre inférieur gauche au moment de la consolidation de cette lésion.
[136] Il ne peut donc être question d’une récidive, soit la réapparition d’une maladie qui était complètement guérie ou d’une rechute, soit la reprise de l’évolution d’une maladie qui semblait en voie de guérison. En effet, la lésion n’a jamais fait l’objet d’une guérison ou d’une évolution vers une telle guérison de telle sorte que seule l’aggravation de la condition, soit une modification significative négative ou une détérioration, peut être considérée dans un tel contexte.
[137] Ici, les seuls diagnostics proposés dans les rapports remis à la CSST de façon contemporaine à la récidive, rechute ou aggravation alléguée sont ceux de douleur chronique et de trouble d’adaptation ou de trouble somatoforme.
[138] Les douleurs chroniques sont présentes depuis fort longtemps et, en l’absence de toute preuve objective quant à un changement de cet état, ce diagnostic ne peut justifier la récidive, rechute ou aggravation revendiquée.
[139] Le trouble d’adaptation est certes un diagnostic proposé par le docteur Varin à une seule reprise en 2007, mais il ne fait l’objet d’aucun suivi médical. La Commission des lésions professionnelles ne peut donc conclure qu’un tel diagnostic affecte réellement le travailleur à cette époque.
[140] Le psychologue Boulanger rencontre le travailleur en 2007 et en 2008. Toutefois, son intervention ne vise pas à traiter un trouble d’adaptation, mais bien à lui offrir un support afin de faciliter sa réadaptation.
[141] Il ne propose d’ailleurs aucun diagnostic psychique et il estime que les problèmes de ce dernier découlent non pas de ses douleurs chroniques, mais bien de l’incertitude quant à la cause de ses problèmes physiques.
[142] Le 6 août 2008, le docteur Payne diagnostique également un trouble d’adaptation mais, tout comme le docteur Varin avant lui, il ne pousse pas plus loin l’investigation et les traitements.
[143] Près de trois ans après la consolidation de la lésion professionnelle initiale, en mars 2010, le docteur Payne reprend le diagnostic de trouble d’adaptation mais, dans le document rédigé à cette date, il indique qu’il ne peut déterminer s’il s’agit bien d’un trouble d’adaptation ou s’il s’agit d’un trouble somatoforme. De plus, il ne suggère aucun traitement pour ces conditions, son texte visant plutôt à convaincre d’augmenter les limitations fonctionnelles reconnues jusqu’alors, un exercice auquel la Commission des lésions professionnelles a refusé de se livrer dans la décision rendue en janvier 2011. Ce texte ne vient donc pas éclairer le tribunal sur le diagnostic psychique à retenir ou sur la relation entre celui-ci et la lésion professionnelle ou sur une modification significative de l’état de santé du travailleur à cette époque.
[144] Plus d’un an après la rédaction de ce document, en novembre 2011, le psychiatre Gauthier retient également le diagnostic de trouble d’adaptation auquel il ajoute celui de trouble douloureux chronique. Il les attribue aux importantes douleurs chroniques découlant de l’événement. Pourtant, la Commission des lésions professionnelles ne peut que constater que les imposantes douleurs et incapacités alléguées par le travailleur ne trouvent aucun écho dans la preuve médicale au dossier. Elles ne sont justifiées par aucun test objectif puisque les nombreux rapports de radiologie et de résonance magnétique ainsi que l’électromyographie et la scintigraphie osseuse ne mettent en évidence aucune condition expliquant des douleurs s’étendant à toute la colonne vertébrale, aux os, au visage et au membre inférieur gauche. Il est donc difficile de s’appuyer sur ces douleurs alléguées pour établir de tels diagnostics.
[145] De plus, même si le travailleur ne se soumet à aucun traitement pour une lésion psychologique entre le 23 mars 2010, date de la récidive, rechute ou aggravation revendiquée, et le 15 novembre 2011, date de son examen, le docteur Gauthier consolide ces lésions sans jamais proposer de traitements afin d’amender ou d’atténuer ces conditions.
[146] Ainsi, les docteurs Payne et Gauthier prétendent que le travailleur présente des lésions psychiques, à savoir un trouble d’adaptation et un trouble douloureux ou un trouble somatoforme, que ces lésions constituent des aggravations de la lésion physique et, pourtant, ils n’entreprennent aucune investigation supplémentaire afin de confirmer ces diagnostics et ils ne suggèrent aucun traitement pour ceux-ci.
[147] La Commission des lésions professionnelles estime que l’absence de suivi médical sérieux et le silence en matière de traitements militent en faveur de conditions qui ne peuvent être assimilées à une détérioration objective de l’état du travailleur eu égard à celui observé lors de la consolidation de la lésion initiale.
[148] L’apparition tardive de ces diagnostics semble donc avoir davantage pour but d’ajouter à l’atteinte permanente et aux limitations fonctionnelles retenues à la suite de la lésion initiale et d’obtenir indirectement ce que le travailleur n’a pu obtenir directement de la Commission des lésions professionnelles en janvier 2011.
[149] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis, à l’instar du médecin conseil de la CSST, que le travailleur n’est pas victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 23 mars 2010 et, en conséquence, elle maintient la décision rendue par la révision administrative sur cette question.
L’emploi convenable
[150] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux est convenable et si le travailleur est capable de l’exercer à compter du 14 décembre 2010.
[151] En effet, le travailleur ne prétend pas pouvoir exercer de nouveau son emploi prélésionnel d’installateur et d’homme à tout faire et il n’offre aucune preuve quant au revenu annuel estimé de l’emploi établi par la CSST. La Commission des lésions professionnelles ne compte donc pas analyser plus particulièrement ces aspects de la décision rendue par la révision administrative.
[152] Le travailleur soutient toutefois que l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux n’est pas convenable.
[153] L’article
[154] L’article
[155] Or, en l’espèce, l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux est déterminé unilatéralement en raison de l’absence de collaboration du travailleur qui se croit invalide.
[156] La Commission des lésions professionnelles doit donc d’abord statuer sur le bien-fondé d’une telle façon de faire. Le tribunal a indiqué, à plusieurs reprises[10], que, bien que la collaboration du travailleur soit recherchée par le législateur et souhaitable en tout temps lors de l’élaboration du plan individualisé de réadaptation et du choix de l’emploi convenable, certaines circonstances justifient une détermination unilatérale de cet emploi, comme en l’espèce.
[157] Ainsi, lorsque le conseiller en réadaptation communique avec le travailleur et agit de façon à le consulter et à l’impliquer dans le processus, mais que celui-ci ne répond pas aux diverses demandes ou se comporte de façon à rendre toute mesure impossible ou vaine, une détermination unilatérale peut être justifiée.
[158] Ici, la Commission des lésions professionnelles remarque que le conseiller en réadaptation propose de multiples mesures visant à réadapter le travailleur. Il lui offre une formation pratique sous la forme d’un stage, mais ce dernier refuse prétextant ne parler que la langue turque. Le conseiller en réadaptation prévoit alors un programme permettant au travailleur de se réactiver et de gérer ses douleurs, mais ce dernier agit de façon à décourager ce genre d’initiative en ne s’impliquant aucunement auprès du Centre de réadaptation de l’Hôpital Juif de Laval. Quand le conseiller en réadaptation veut organiser une rencontre pour dissiper ce qu’il perçoit comme un malentendu entre le travailleur et les intervenants de ce centre, le travailleur décide de ne pas participer à celle-ci et madame Gianfagna, qui s’exprime en son nom, réclame une décision sur l’emploi convenable tout en précisant qu’elle sera, de toute façon, contestée puisque le travailleur ne peut exercer aucun emploi rémunérateur.
[159] À cet égard, la Commission des lésions professionnelles préfère s’en remettre aux notes détaillées du conseiller en réadaptation plutôt qu’aux témoignages changeants et, parfois, contradictoires du travailleur et de madame Gianfagna.
[160] La Commission des lésions professionnelles estime donc que, dans ces circonstances, le conseiller en réadaptation pouvait, et n’avait d’ailleurs d’autres choix, que de statuer de façon unilatérale sur l’emploi convenable approprié. Pour ce faire, la Commission des lésions professionnelles note que le conseiller en réadaptation détenait les informations essentielles à une telle détermination, soit les emplois antérieurs occupés par le travailleur, les langues parlées et écrites par celui-ci, son niveau de scolarité et les séquelles laissées par son accident du travail.
[161] Le conseiller en réadaptation pouvait donc valablement aller de l’avant avec une telle détermination.
[162] Cependant, cette absence de collaboration du travailleur n’exempte pas le conseiller en réadaptation et le tribunal de vérifier si les critères relatifs à l’emploi convenable sont respectés.
[163] Ainsi, afin d’analyser le caractère convenable de l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux, la Commission des lésions professionnelles retient d’abord que, contrairement à ce qui est allégué à l’audience, elle croit que le travailleur comprend et s’exprime suffisamment bien en anglais pour occuper un emploi nécessitant l’usage de cette langue. En effet, la Commission des lésions professionnelles remarque que, bien que le travailleur soutienne ne pouvoir parler correctement qu’en langue turque, ce dernier peut pourtant s’entretenir en langue anglaise avec les intervenants de la CSST, avec le psychologue Boulanger, avec ses médecins traitants, avec les docteurs Des Marchais, Michaud et Jules Gauthier, avec madame Gianfagna et avec le psychiatre Serge Gauthier sans l’aide d’un interprète. De plus, la Commission des lésions professionnelles note que le travailleur est au Canada de façon définitive depuis 1990, donc depuis plus 20 ans, et qu’il a trouvé et occupé, jusqu’en 2006, des emplois sans que la langue parlée par celui-ci ne semble un obstacle.
[164] La Commission des lésions professionnelles est donc étonnée de constater que le travailleur se prétende de moins en moins capable de communiquer et de plus en plus unilingue turc avec le temps et elle ne compte donc pas privilégier cette version de sa situation linguistique puisqu’elle ne concorde aucunement avec les faits retrouvés au dossier.
[165] La Commission des lésions professionnelles ne peut donc conclure que la langue soit un empêchement à l’exercice de tout emploi rémunérateur.
[166] La Commission des lésions professionnelles retient aussi que le travailleur possède un niveau de scolarité de quelques années d’études secondaires en Turquie et non un niveau primaire ou, voire même, un niveau primaire non complété dans ce pays. En effet, la Commission des lésions professionnelles remarque que, au tout début du processus de réadaptation, le travailleur représente posséder une scolarité de niveau secondaire en Turquie, une donnée qui est réitérée avec plus de précision (secondaire 2) devant monsieur Maiz en présence de madame Gianfagna. Pourtant, au psychiatre Gauthier, il dira que sa scolarité se résume à un niveau primaire en Turquie et, à l’audience, cette scolarité s’arrête dorénavant à la cinquième année du primaire. La Commission des lésions professionnelles considère que ces dernières données, apparues en 2011 et en 2012, visent à offrir un portrait destiné à rendre la réadaptation plus difficile, voire impossible.
[167] La Commission des lésions professionnelles croit que ce portrait ne correspond pas à la réalité du travailleur et elle préfère donc s’en remettre aux informations colligées au début du processus de réadaptation.
[168] D’ailleurs, ces informations collent davantage au profil du travailleur qui a pu occuper des emplois variés dans différentes compagnies et qui a pu réussir les cours de français prodigués aux immigrants.
[169] La Commission des lésions professionnelles considérera donc que le travailleur possède une scolarité de début secondaire aux fins de son analyse du caractère convenable de l’emploi déterminé.
[170] Donc, selon la définition retrouvée à la loi, l’emploi choisi doit être approprié. À cet égard, la Commission des lésions professionnelles remarque que le travailleur occupe, depuis son arrivée au Canada, des emplois non spécialisés à titre d’ouvrier, de journalier, d’homme à tout faire ou d’installateur. Le travailleur manifeste donc un intérêt pour les emplois manuels avec formation à l’interne et, en conséquence, l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux correspond à cette famille d’emplois. Il peut donc être qualifié d’approprié dans un tel contexte.
[171] L’article
[172] Or, la lésion professionnelle subie par le travailleur le 22 avril 2006 génère des diagnostics d’entorse lombaire et de hernie discale L4-L5. Elle est consolidée le 28 août 2007 avec une atteinte permanente importante tenant compte des ankyloses, mais avec des limitations fonctionnelles qui, somme toute, sont plutôt mineures.
[173] Ainsi, ces limitations fonctionnelles consistent à éviter d’accomplir, de façon répétitive ou fréquente, les activités qui impliquent de soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kilos, de travailler en position accroupie, de ramper, de grimper, d’effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire, de subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale (ex : provoquées par du matériel roulant sans suspension).
[174] Il ressort de l’analyse faite par le conseiller en réadaptation que l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux implique de nettoyer et d’entretenir les postes de travail dans des édifices à bureaux à l’aide du matériel de nettoyage approprié ce qui comprend l’époussetage, le balayage, la vidange des poubelles, le passage de l’aspirateur, le changement d’ampoules grillées et le nettoyage des salles de bain et des cuisines. Les poids à soulever s’échelonnent de 10 à 20 kilogrammes et le travail exige de travailler debout ou en marche ou dans des positions inconfortables comme se pencher ou s’accroupir.
[175] La Commission des lésions professionnelles remarque que, selon les limitations fonctionnelles retenues, le travailleur doit éviter d’accomplir, de façon répétitive ou fréquente, les activités qui impliquent de soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kilogrammes. Les poids mentionnés étant de 10 à 20 kilogrammes et la preuve ne révélant aucunement que de tels poids doivent être manipulés de façon répétitive ou fréquente, la Commission des lésions professionnelles estime que cette limitation est respectée.
[176] Le travailleur doit aussi éviter d’accomplir, de façon répétitive ou fréquente, les activités qui impliquent de travailler en position accroupie, de ramper ou de grimper. Le travail de nettoyeur d’édifices à bureaux exige certes des accroupissements, à l’occasion, pour saisir des objets au sol ou atteindre des surfaces à récurer près du plancher, mais la preuve ne révèle pas que l’adoption de ces positions est répétitive ou fréquente. Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles ne possède aucune donnée lui permettant de conclure que le travail de nettoyeur d’édifices à bureaux amène le travailleur à ramper ou à grimper. Cette limitation fonctionnelle est donc respectée.
[177] Le travailleur doit éviter d’accomplir, de façon répétitive ou fréquente, les activités qui impliquent d’effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire. Cette limitation fonctionnelle n’interdit pas tout mouvement de la colonne lombaire. En effet, ces mouvements doivent être répétitifs ou fréquents et ils doivent avoisiner les limites des amplitudes articulaires normales.
[178] Or, la Commission des lésions professionnelles signale que les activités de balayage n’entraînent pas d’amplitudes extrêmes de la colonne lombaire puisque tant la conseillère en réadaptation que l’ergothérapeute ayant visualisé les activités de balayage effectuées par le travailleur dans le cadre de son emploi prélésionnel ont conclu que les amplitudes générées par ce travail étaient faibles. Il semble en être de même des autres tâches accomplies par le nettoyeur puisque, bien qu’il puisse être appelé à se pencher ou à s’étirer le dos lors de certaines fonctions, la Commission des lésions professionnelles ne possède aucune preuve que ces mouvements plus exigeants seraient exécutés de façon répétitive ou fréquente. Cette limitation fonctionnelle est donc respectée.
[179] Enfin, le travailleur doit éviter d’accomplir, de façon répétitive ou fréquente, les activités qui impliquent de subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale (ex : provoquées par du matériel roulant sans suspension). Le travail de nettoyeur d’édifices à bureaux ne comporte aucune utilisation de tel matériel et, dès lors, cette limitation fonctionnelle est respectée.
[180] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion.
[181] De plus, la Commission des lésions professionnelles considère que cet emploi permet au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle.
[182] Ainsi, la Commission des lésions professionnelles constate que le travailleur se dit extrêmement souffrant, voire invalide. Il ne peut marcher, se déplacer, accomplir ses activités de la vie quotidienne. Tout au plus peut-il se rendre à un café et s’y attabler avec des amis. Or, la Commission des lésions professionnelles ne possède aucune preuve valable d’une telle incapacité.
[183] Comme mentionné précédemment, le dossier médical du travailleur ne vient aucunement appuyer ces allégations d’invalidité et d’incapacité. Les trouvailles aux tests d’imagerie sont minimes et n’expliquent d’aucune façon la pléthore de symptômes dont se plaint le travailleur. En outre, dès 2007, la neurochirurgienne Marcoux considère que les traitements devraient viser à accroître la mobilité et le niveau d’activités du travailleur et non le confiner à un statut d’invalide. Le psychiatre Gauthier prétend certes que le travailleur ne peut exercer l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux en raison de ses symptômes douloureux, anxieux et dépressifs et de ses limitations fonctionnelles, mais la Commission des lésions professionnelles ne peut retenir cette évaluation puisque d’une part, le docteur Gauthier ne connaît pas les exigences physiques de cet emploi et il ne fait aucune corrélation avec les limitations fonctionnelles et puisque, d’autre part, cette affirmation peu motivée repose sur un seul examen du travailleur, effectué plus de cinq ans après le fait accidentel. Elle semble donc davantage refléter les dires du travailleur que la condition réelle de ce dernier et, en conséquence, elle ne peut être privilégiée par la Commission des lésions professionnelles.
[184] L’article
[185] Or, la Commission des lésions professionnelles note que le travailleur bénéficie d’une certaine expérience dans le domaine de l’entretien puisque son emploi antérieur exige l’accomplissement d’activités de cet ordre. Il possède donc des connaissances exportables dans ce secteur d’activités. De plus, la Commission des lésions professionnelles ne dispose d’aucune preuve lui permettant de conclure que la maîtrise parfaite de la langue anglaise ou française est exigée afin de décrocher un poste de nettoyeur d’édifices à bureaux.
[186] Comme la Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur a une connaissance et une compréhension fonctionnelles de la langue anglaise, elle croit que la barrière linguistique ne constitue pas un obstacle à l’embauche. Enfin, selon la décision rendue par la révision administrative, l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux nécessite un niveau de scolarité de quelques années secondaires ainsi qu’une formation en cours d’emploi. Comme la Commission des lésions professionnelles a déjà expliqué pourquoi elle retient un niveau de scolarité de début secondaire chez le travailleur, elle considère que la scolarité n’est pas un obstacle à l’obtention d’un tel emploi.
[187] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux permet au travailleur d’utiliser une partie de ses qualifications professionnelles et il ne peut donc être annulé pour ce motif.
[188] L’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux doit aussi présenter une possibilité raisonnable d’embauche.
[189] Il ressort de l’analyse faite par le conseiller en réadaptation que cet emploi comporte des perspectives d’emploi bonnes ou acceptables pour les prochaines années.
[190] Par ailleurs, le travailleur ne présente aucune preuve spécifique sur cet aspect, se contentant d’alléguer son incapacité totale, une donnée qui, la Commission des lésions professionnelles le rappelle, n’est aucunement prouvée.
[191] La Commission des lésions professionnelles ne peut donc conclure que cet emploi ne respecte pas ce critère prévu par le législateur.
[192] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux est convenable et que le travailleur est en mesure de l’exercer à compter du 14 décembre 2010. Elle maintient donc entièrement la décision rendue par la révision administrative à ce sujet.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée par le travailleur, monsieur Mustafa Aktug;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 18 mars 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas été victime d’une récidive, rechute ou aggravation, le 23 mars 2010, de la lésion professionnelle initiale subie le 22 avril 2006;
DÉCLARE que le travailleur n’est plus en mesure d’exercer son emploi prélésionnel d’installateur ou d’homme à tout faire pour l’employeur, Propane Plus inc., en raison des séquelles découlant de la lésion professionnelle subie par celui-ci le 22 avril 2006;
DÉCLARE que l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux est convenable;
DÉCLARE que le travailleur est en mesure d’exercer l’emploi convenable de nettoyeur d’édifices à bureaux à compter du 14 décembre 2010;
DÉCLARE que l’emploi de nettoyeur d’édifices à bureaux peut procurer au travailleur un revenu annuel estimé de 31 179,72 $;
DÉCLARE que le travailleur a droit au versement d’une pleine indemnité de remplacement du revenu jusqu’à, au plus tard, le 13 décembre 2011, et qu’il n’a droit à aucune indemnité réduite de remplacement du revenu par la suite.
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Carmen Racine |
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Me François Miller |
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LAVERDURE MILLER |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Françis Letendre |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Aktug et Propane Plus inc. et CSST, C.L.P. 352693-71-0807 et 373645-71-0903, 1er mai 2009, L. Landriault.
[3] Aktug et Propane Plus inc. et CSST, C.L.P. 373645-71-0903, 401158-71-1002 et 401964-71-1002, 31 janvier 2011, B. Roy.
[4] Gonce et Maax Canada inc.
[5] Lapointe et Compagnie minière Québec Cartier [1989] C.A.L.P. 39.
[6] Voir Le Petit Larousse illustré, 2005, 100e édition, Paris, p. 905.
[7] Voir Le Petit Larousse précité à la note 3, p. 905.
[8] Voir Le Petit Larousse précité à la note 3, p.66.
[9] Voir, entre autres, à ce sujet : Peart et Hôtel
Bonaventure, C.A.L.P.
[10] Voir, à titre d’exemples, ces décisions récentes qui font le
tour de la question : Landry et Agro Distributions inc. et CSST
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.