De Palma et Commission scolaire des Affluents |
2013 QCCLP 6489 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 23 janvier 2013, la Commission scolaire des Affluents (l'employeur) dépose une requête par laquelle elle demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser une décision qu'elle a rendue le 6 décembre 2012.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles infirme une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 30 mars 2012 à la suite d'une révision administrative et déclare que madame Tania De Palma (la travailleuse) a subi une lésion professionnelle le 28 octobre 2011.
[3] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience le 16 octobre 2013 à Joliette. L'employeur était présent (madame Valérie Venne) et représenté. Madame De Palma était également présente et représentée.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L'employeur prétend que la décision rendue le 6 décembre 2012 comporte des vices de fond qui sont de nature à l'invalider. Il demande de la réviser et de déclarer que madame De Palma n'a pas subi une lésion professionnelle le 28 octobre 2011.
LES FAITS
[5] Madame De Palma occupe un emploi d'enseignante chez l'employeur. Le 28 octobre 2011, elle subit une entorse à la cheville gauche lorsqu'elle est poussée accidentellement par une collègue lors d'une course pour atteindre le secrétariat.
[6] Cet événement survient dans le contexte d'une activité organisée par un comité social formé d'enseignants et de membres du personnel de soutien afin de permettre aux anciens employés et aux nouveaux employés de faire connaissance. Elle se déroule à l'intérieur de l'école, mais en dehors des heures de travail et les participants ne sont pas rémunérés. La participation à l'activité demeure facultative.
[7] Pour ces raisons, le 7 février 2012, la CSST refuse la réclamation de madame De Palma et le 30 mars 2012, elle confirme sa décision à la suite d'une révision administrative. Le 6 décembre 2012, la Commission des lésions professionnelles infirme la décision de la CSST et conclut à la survenance d'une lésion professionnelle au motif que l'accident est survenu à l'occasion du travail de madame De Palma.
[8] Après l'énoncé des critères habituels qui ont été identifiés par la jurisprudence pour déterminer si une lésion est survenue à l'occasion du travail, le juge administratif précise que ces critères ne sont pas limitatifs et qu'ils visent essentiellement à délimiter la sphère d'activité personnelle de la sphère d'activité professionnelle. Dans cette perspective, il estime qu'une importance significative doit être accordée à la notion de connexité et il cite à ce sujet un extrait d'une décision de la Commission des lésions professionnelles[1].
[9] Par la suite, il résume de la façon suivante les témoignages de madame De Palma et de la directrice de l'école :
[27] Lors de son témoignage, la travailleuse affirme que l’activité se déroule à l’intérieur de l’établissement, donc sur les lieux du travail. Elle ajoute que la direction encourage et participe volontairement à l’activité puisque celle-ci permet une bonne intégration du nouveau personnel. Elle affirme enfin que la grande majorité du personnel participe à cette activité, une tradition depuis les premières années d’existence de l’établissement fondé au milieu des années 90.
[28] Quant à l’employeur, sa preuve repose essentiellement sur le témoignage de madame Chantal Drapeau, directrice de l’établissement. Celle-ci souligne que la direction de l’école n’a aucun droit de regard sur le lieu, le déroulement et la finalité de l’activité. Il s’agit d’une activité libre, non rémunérée, prise à l’initiative d’un comité social formé d’enseignants et de membres du personnel de soutien seulement. La participation ou non à l’activité n’a aucun impact sur l’évaluation du personnel. Elle reconnaît, par ailleurs, participer à cette activité depuis sa nomination en juillet 2009 et considère cette participation importante pour créer et maintenir une bonne cohésion d’équipe.
[10] Enfin, il énonce les motifs suivants au soutien de sa conclusion :
[30] Le tribunal ne peut en effet faire abstraction, malgré une participation volontaire et malgré une absence de droit de regard de la direction, qu’il s’agit d’une activité bien implantée depuis la fondation de l’école, qui se déroule sur les lieux du travail et qui a pour seul objectif l’intégration du nouveau personnel.
[31] Même si théoriquement l’activité aurait pu se dérouler dans un autre lieu, tel un restaurant, le tribunal constate que l’activité se déroule toujours à l’intérieur de l’établissement. Il ne s’agit pas d’un choix sans importance, mais d’une démonstration que l’activité vise à favoriser l’intégration du personnel et la création d’un esprit d’équipe, ce qui la place à l’intérieur de la sphère professionnelle.
[32] Le tribunal est également d’avis que le choix du lieu implique nécessairement un certain degré de subordination, surtout pour une activité de type initiatique. Il est effectivement inconcevable que la direction ne se réserve aucun droit d’intervention dans l’éventualité où le comité social décidait d’organiser un jeu contraire aux bonnes mœurs ou de mauvais goût. Surtout que l’activité se déroule à l’intérieur des murs d’un établissement d’enseignement et avec la présence, même si volontaire, de certains membres de la direction, dont la directrice.
[33] De plus, le seul fait que cette activité existe depuis plusieurs années toujours au même endroit et avec une participation massive du personnel, incluant certains membres de la direction, démontre son utilité pour intégrer le nouveau personnel.
[34] L’activité est enfin connexe aux activités de l’employeur puisqu’elle favorise la qualité de l’enseignement offert aux élèves, mission poursuivie par l’employeur. En effet, il ne s’agit pas d’une simple activité récréative, une fête ou un souper pour souligner un événement spécial, mais bien d’une tradition bien implantée pour intégrer le nouveau personnel, créer un esprit d’équipe et améliorer l’atmosphère de travail, ce qui ne peut ultimement que se refléter sur la qualité de l’enseignement.
[35] Par conséquent, le choix du lieu, la participation de la direction, l’existence d’un lien relatif de subordination et l’utilité et la connexité de l’activité par rapport au travail, permettent d’établir par une preuve prépondérante que la blessure subie par la travailleuse le 28 octobre 2011 est survenue à l’occasion de son travail.
[11] Le 23 janvier 2013, l'employeur demande la révision de cette décision parce qu'elle comporte, selon lui, des vices de fond qui sont de nature à l'invalider. Il invoque des erreurs concernant son appréciation des critères de lien de subordination, de connexité et de finalité.
L’AVIS DES MEMBRES
[12] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d'avis que la requête doit être rejetée.
[13] Ils estiment que la conclusion à laquelle en vient le juge administratif repose sur des éléments de la preuve au dossier et qu'elle résulte de l'appréciation qu'il en a faite. Ils concluent que l'employeur n'a pas démontré que la décision comporte une erreur qui justifie sa révision.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[14] La Commission des lésions professionnelles doit décider s'il y a lieu de réviser la décision rendue le 6 décembre 2012.
[15] Le
pouvoir de la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer
une décision qu'elle a rendue est prévu par l'article
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[16] Cet
article apporte une dérogation au principe général énoncé par l'article
[17] La jurisprudence assimile cette notion de « vice de fond qui est de nature à invalider une décision » à une erreur manifeste de fait ou de droit qui a un effet déterminant sur le sort du litige[3], en précisant qu’il ne peut s'agir d'une question d'appréciation de la preuve ni d'interprétation des règles de droit parce que le recours en révision n'est pas un second appel[4].
[18] Dans l'arrêt Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[5], la Cour d'appel rappelle ces règles comme suit :
21. La notion (de vice de fond de nature à invalider une décision) est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
22. Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments1.
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1. Voir: Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-508. J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.
[19] La Cour d'appel a réitéré cette position dans deux arrêts[6]. Comme elle l’expose dans la décision Savoie et Camille Dubois (fermé)[7], ces arrêts de la Cour d’appel invitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue dans l’exercice de son pouvoir de révision, la première décision faisant autorité et ne pouvant être révisée qu’exceptionnellement.
[20] Les deux premiers arguments invoqués par la représentante de l'employeur au soutien de la requête se lisent comme suit :
10. Le juge administratif a erré gravement lorsqu'il a retenu une supposée existence d'autorité ou de subordination de l'employeur dans le cadre de cette activité. La preuve non-contredite était aucunement à cet effet, bien au contraire.
[…]
17. Le juge administratif a erré également sur le critère de la connexité ou l'utilité en retenant que puisque le thème choisi par le comité social était l'initiation de nouveaux membres du personnel, cela constituait une activité utile à la partie requérante. [sic]
[21] Lors de l'audience, la représentante de l'employeur soumet que le juge administratif a donné une interprétation exagérée au thème de l'activité qui était l'intégration des nouveaux employés et qu'il a fait une appréciation erronée des critères de lien de subordination et de connexité.
[22] Elle plaide qu'il n'a pas pris en considération l'ensemble de la preuve. Il ne tient pas compte notamment du fait que la directrice n'intervient aucunement dans l'organisation de l'activité sociale et que des activités d'intégration sont organisées par l'école, notamment un déjeuner.
[23] Si la jurisprudence développée au cours des années amène la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d'une grande retenue dans l'exercice de son pouvoir de révision, cette approche s'impose d'autant plus lorsque l'erreur invoquée au soutien de la requête en révision concerne l'appréciation que le juge administratif a faite de la preuve au dossier, comme c'est le cas dans le présent dossier.
[24] La conclusion à laquelle en vient le juge administratif s'appuie sur des éléments de la preuve au dossier et elle résulte de l'appréciation qu'il en a faite. Le fait qu'une conclusion différente ait pu être retenue par un autre décideur, comme peut le laisser entendre une décision[8] déposée par la représentante de l'employeur, ne constitue pas un motif de révision.
[25] En référant au paragraphe 35 de la décision, la représentante de l'employeur invoque comme autre erreur du juge administratif, son omission d'avoir pris en considération le critère de la finalité de l'activité. Elle écrit :
30. On constate donc à la lecture de cette décision qu'il n'y a aucune motivation pour expliquer l'application ou non du critère de finalité.
31. Nous soumettons que cette activité organisée par le comité social n'est ni incidente ni accessoire ni facultative aux conditions de travail de la partie intéressée.
[26] Cet argument ne peut pas être retenu. La finalité de l'activité est un des critères auxquels peut recourir un juge administratif pour apprécier si la lésion est survenue à l'occasion du travail. Il n'y a toutefois aucune obligation pour un juge administratif saisi de cette question d'examiner tous les critères développés par la jurisprudence parce qu'ils « ne sont pas limitatifs et [que] chaque cas doit être apprécié à son mérite », comme l'écrit le juge administratif au paragraphe 23 de la décision. Au surplus, le critère de finalité et celui de connexité auquel a spécifiquement référé le juge administratif dans la décision demeurent très voisins.
[27] Après considération des arguments soumis par les représentantes des parties et de la jurisprudence déposée, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que l'employeur n'a pas démontré que la décision du 6 décembre 2012 comporte un vice de fond qui justifie sa révision et en conséquence, que sa requête doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision de la Commission scolaire des Affluents.
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Claude-André Ducharme |
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Me Sarah Archambault |
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S.E.R.M. |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Paule Veilleux |
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LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS |
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Représentante de la partie intéressée |
[1] Blanchet et CHSLD-CLSC-Haute-Ville-des-Rivières,
C.L.P.
[2] L.R.Q. c. A-3.001
[3] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve,
[4] Sivaco Québec inc. c. C.A.L.P.,
[5]
[6] Commission de la
santé et de la sécurité du travail c.
Fontaine,
[7] C.L.P.
[8] Guitard et Corporation Voyageur, C.L.P.