Décision

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Pelchat et Défense Nationale CSPC Est Satellite

2008 QCCLP 5807

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jean-sur-Richelieu

8 octobre 2008

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

334558-62C-0712

 

Dossier CSST :

121309991

 

Commissaire :

Claire Burdett, juge administratif

 

Membres :

Mario Lévesque, associations d’employeurs

 

Pierre Lecompte, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

André Pelchat

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Défense Nationale Cspc Est satellite

 

R.H.D.C.C. - Direction travail

            Parties intéressées

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 3 décembre 2007, monsieur André Pelchat (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue le 29 octobre 2007 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 10 juillet 2007 et confirme l’emploi de livreur de mets préparés comme emploi convenable avec un revenu annuel estimé à 16 884,80 $ et déclare que le travailleur est capable d’exercer cet emploi à compter du 9 juillet 2007. La CSST confirme également que l’indemnité de remplacement du revenu sera réduite dès que le travailleur exercera l’emploi convenable ou au plus tard le 9 juillet 2008.

[3]                À l’audience tenue à Salaberry-de-Valleyfield le 15 septembre 2008, le travailleur est présent et représenté. Défense Nationale Cspc Est Satellite (l’employeur) et R.H.D.C.C. - Direction du travail (partie intéressée) sont absents.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’emploi de livreur de mets préparés ne constitue pas un emploi convenable au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi) et de renvoyer le dossier à la CSST. Le travailleur invoque que l’emploi de livreur de mets préparés n’est pas convenable parce qu’il ne respecte pas sa condition physique globale et qu’il ne lui offre pas de possibilités raisonnables d’embauche.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Le membre issu des associations syndicales est d’avis que l’emploi de livreur de mets préparés n’est pas convenable parce qu’il n’offre pas de possibilités raisonnables d’embauche. Il est d’avis d’accueillir la requête.

[6]                Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que le travailleur n’a fourni aucune preuve prépondérante démontrant que l’emploi retenu de livreurs de mets préparés n’est pas convenable au sens de la Loi. Il est d’avis de rejeter la requête du travailleur.

LES FAITS

[7]                Le travailleur est mécanicien de machinerie lourde pour l’employeur.

[8]                Le 23 octobre 2001, alors âgé de 63 ans, le travailleur se frappe l’épaule droite sur une pièce d’équipement, tombe assis par terre et heurte son dos sur un morceau de métal. Les diagnostics en relation avec cet événement sont ceux de contusion, de capsulite et de déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite et également de lombalgie causée par une sténose spinale importante au niveau L4-L5.

[9]                À partir de 2003, le travailleur présente des problèmes au niveau de son épaule gauche. Le médecin diagnostique une tendinopathie de la coiffe des rotateurs de son épaule gauche et, ultérieurement, une rupture de la coiffe des rotateurs pour laquelle le travailleur a subi une acromioplastie. Cette condition n’est pas en relation avec la lésion professionnelle suivant une décision de la Commission des lésions professionnelles[2].

[10]           Le 19 avril 2007, le travailleur est examiné par le docteur Jean-Pierre Lacoursière, membre du Bureau d'évaluation médicale. Ce dernier fixe la date de consolidation des lésions à l’épaule droite et à la région lombaire au 1er décembre 2006 avec suffisance de soins. Seule la lésion à l’épaule gauche, d’origine personnelle, justifie encore des soins et une période d’incapacité. Le docteur Lacoursière octroie un déficit anatomo-physiologique de 8 % pour l’épaule droite et de 2 % pour entorse lombaire avec séquelles objectivées et retient les limitations fonctionnelles suivantes au niveau de l’épaule droite :

-           Éviter les mouvements de flexion et abduction dépassant 90 degrés de flexion;

-           Éviter de transporter des poids de plus de 10 livres à bout de bras plus que 90 degrés de flexion;

-           Éviter les mouvements répétitifs avec le membre supérieur droit en élévation antérieure ou en abduction.

 

 

[11]           Il retient également des limitations fonctionnelles au niveau lombaire :

-           Éviter les mouvements de flexion, d’extension ou de rotations répétitives;

-           Éviter de travailler en position penchée, accroupie ou instable;

-           Avoir la possibilité de changer de la position assise ou debout;

-           Ne pas avoir à marcher même d’une marche lente de façon continue pour des périodes dépassant 30 à 40 minutes;

-           Ne pas manipuler de façon répétitive des poids excédant 10 kg à partir du sol jusqu’à la ceinture.

 

 

[12]           Lors de cette évaluation, le docteur Lacoursière constate des limitations dans les amplitudes articulaires de l’épaule gauche du travailleur. Dans les faits, son épaule gauche a des amplitudes plus limitées que celles affectant son épaule droite.

[13]           La preuve documentaire et médicale au dossier révèle également que le travailleur a plusieurs pathologies personnelles qui n’ont pas fait l’objet de décision. Le travailleur a de l’arthrose sévère acromio-claviculaire, des changements dégénératifs sévères à L5-S1 et de l’arthrose inter-facettaires multi-étagée et bilatérale. Le travailleur a aussi un problème de surdité et de cataractes aux yeux.

[14]           Le 8 mai 2007, la CSST informe le travailleur que l’évaluation de la situation laisse entrevoir qu’il aura besoin de services de réadaptation pour atténuer les difficultés éprouvées résultant de la lésion professionnelle.

[15]           Le 24 mai 2007, le travailleur rencontre la CSST dans le cadre d’une exploration professionnelle. Il rencontre une conseillère en réadaptation de la CSST. Cette dernière lui mentionne qu’ils ont reçu la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles refusant de reconnaître sa pathologie à l’épaule gauche comme étant en relation. À cet égard, la conseillère lui mentionne que la CSST ne tiendra compte que des limitations fonctionnelles reliées au dos et à son épaule droite découlant de sa lésion professionnelle. Elle l’informe qu’il ne pourra plus faire son emploi de mécanicien de machinerie lourde et qu’il doit regarder des possibilités d’emploi ailleurs sur le marché du travail. Compte tenu de l’âge du travailleur (63 ans), la conseillère en réadaptation de la CSST lui demande s’il désire retourner travailler. Le travailleur se dit très atteint physiquement au niveau de son dos et de ses épaules. Il indique à la CSST qu’il se sent pris de court avec une telle question parce qu’il ne savait pas à quoi s’attendre de cette rencontre. La conseillère lui explique néanmoins que la CSST a pensé à un emploi convenable de commis aux pièces, emploi qui respecte son expérience en mécanique et ses limitations fonctionnelles. Le travailleur demande un délai pour réfléchir et communiquer avec son représentant. La CSST accepte.

[16]           Le 1er juin 2007, la conseillère parle avec le représentant du travailleur. Ce dernier demande que la CSST prenne en considération la condition globale du travailleur dans la détermination de sa capacité de retourner sur le marché du travail. Selon lui, l’emploi de commis aux pièces n’est pas convenable, ne respecte pas la Loi et qu’il ne s’agit que d’une solution « papier » de la CSST. Il demande à ce que le travailleur soit reconnu inapte au travail compte tenu de son âge et de sa condition globale. La CSST mentionne au représentant du travailleur qu’ils vont évaluer cette demande.

[17]           Entre temps, la CSST doit se rendre au domicile du travailleur pour évaluer ses besoins en travaux d’entretien à la suite d’une demande de sa part. Ainsi, le 11 juin 2007, la conseillère en réadaptation se rend au domicile du travailleur. Le travailleur fait état de ses autres problèmes de nature médicale. Il soulève être suivi par le docteur Pelchat pour une dépression. Il indique avoir cessé ses médicaments préférant se reposer. Il mentionne ses problèmes de surdité, aux jambes, de cataractes en attente de chirurgie et finalement, de diabète.

[18]           Le travailleur indique également, lors de cette rencontre, qu’il parle peu l’anglais et qu’il ne connaît rien aux ordinateurs. Il croit que personne ne voudra l’engager. À l’audience, le travailleur témoigne à l’effet qu’il n’est pas compétitif à 63 ans avec toutes ses limitations fonctionnelles.

[19]           Le 13 juin 2007, le représentant du travailleur reparle à la conseillère en réadaptation. Celle-ci l’informe qu’elle étudiera le dossier avec ses gestionnaires en vue de possiblement reconnaître l’incapacité de retour au travail du travailleur compte tenu de son âge et de sa condition globale.

[20]           Puis, il n’y a plus aucune intervention notée aux notes évolutives sauf pour un message laissé, le 6 juillet 2007, par la conseillère au représentant du travailleur, à l’effet que la CSST détermine unilatéralement l’emploi de livreur de mets préparés.

[21]           Le 9 juillet 2007, le représentant du travailleur communique avec la CSST. La conseillère l’informe que, suivant sa rencontre avec ses gestionnaires, c’est l’emploi de livreur de mets préparés qui est retenu comme emploi convenable. La CSST explique qu’il sera possible pour le travailleur de retirer sa pension de la Régie des rentes du Québec à 64 ans et demi, soit à la fin de son année de recherche d’emploi s’il ne désire pas retourner travailler. Il aurait alors droit à 478,94 $ toutes les deux semaines durant les six mois précédant son anniversaire de 65 ans.

[22]           Le 10 juillet 2007, soit le lendemain de cet entretien, la CSST retient l’emploi convenable de livreur de mets préparés. C’est l’objet du présent litige.

[23]           La démarche de détermination de l’emploi convenable et les passages de la description de tâches du système « Repères » figurent aux notes évolutives du dossier CSST du travailleur. Les extraits reliés à l’emploi de livreur de mets préparés impliquent des descriptions des tâches, le matériel utilisé, les conditions de travail, les caractéristiques personnelles, la formation, les catégories d’employeurs et principales professions apparentées ainsi que des perspectives d’emploi acceptables ou inférieures à la moyenne.

[24]           À l’audience, le travailleur dit avoir fait des démarches de recherches d’emploi auprès de certains restaurants de la région qui se sont avérées infructueuses. Il croit que sa candidature est refusée en raison de son âge avancé et de sa condition physique globale sans qu’on lui en ait fait mention. Pour lui, il est évidemment difficile, voire impossible, qu’un employeur potentiel lui dise formellement que c’est en raison de son âge ou de ses incapacités physiques que sa candidature n’est pas retenue.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[25]           Le tribunal doit décider si l’emploi convenable retenu de livreur de mets préparés constitue un emploi convenable au sens de la Loi, laquelle définit ainsi la notion d’emploi convenable :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.

 

 

[26]           Pour qu’un emploi convenable puisse être « convenable », il doit :

1°         permettre l’utilisation des capacités résiduelles du travailleur;

2°         permettre l’utilisation des qualifications professionnelles du travailleur;

3°         présenter une possibilité raisonnable d’embauche;

4°         présenter des conditions d’exercice ne comportant pas de danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur, compte tenu de sa lésion[3].

 

 

[27]           La Commission des lésions professionnelles est d’avis « également que l’emploi convenable doit constituer avant tout pour le travailleur un emploi « approprié » qui doit tenir compte, dans la mesure du possible, de la réalité du travailleur, c’est-à-dire de ses caractéristiques personnelles, de ses acquis par le travail et de ses capacités de gain »[4].

[28]           La détermination de l’emploi convenable est prévue aux articles 145, 146 et 166 de la loi :

145.  Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 145.

 

146.  Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.

 

Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.

__________

1985, c. 6, a. 146.

 

166.  La réadaptation professionnelle a pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable.

__________

1985, c. 6, a. 166.

 

[29]           Dans le présent dossier, le travailleur conserve une atteinte permanente à son intégrité physique et des limitations fonctionnelles. La CSST était donc justifiée de reconnaître au travailleur le droit à la réadaptation. Ce droit à la réadaptation implique nécessairement un soutien de la CSST.

[30]           Dans le présent dossier, le processus enclenché par la CSST est prévu à l’article 171 de la Loi qui se lit comme suit :

171.  Lorsqu'aucune mesure de réadaptation ne peut rendre le travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent et que son employeur n'a aucun emploi convenable disponible, ce travailleur peut bénéficier de services d'évaluation de ses possibilités professionnelles en vue de l'aider à déterminer un emploi convenable qu'il pourrait exercer.

 

Cette évaluation se fait notamment en fonction de la scolarité du travailleur, de son expérience de travail, de ses capacités fonctionnelles et du marché du travail.

__________

1985, c. 6, a. 171.

 

 

[31]           À la lecture de cet article, il ressort clairement que la CSST évalue les possibilités professionnelles d’un travailleur en fonction de sa scolarité, de son expérience de travail, de ses capacités fonctionnelles et du marché du travail, le tout en vue d’aider le travailleur à déterminer un emploi convenable qu’il pourrait exercer. Le tribunal comprend que le législateur prévoit que le travailleur a un rôle de premier plan dans la détermination de son emploi convenable. Cet article ne dit pas « en vue d’aider la CSST à déterminer un emploi convenable ». L’article 171 de la Loi vise clairement le travailleur. Les services d’évaluation sont en vue de « l’aider » à déterminer un emploi convenable qu’il pourrait exercer.

[32]           Dans le présent dossier, la CSST a déterminé l’emploi de livreur de mets préparés de façon unilatérale. Elle soumet une première suggestion d’emploi de commis aux pièces au travailleur. Le travailleur demande à y réfléchir. Son représentant communique avec la CSST et manifeste, qu’à son avis, cet emploi n’est pas convenable et qu’il s’agit d’une solution dite « de papier ». Il demande à l’agente de vérifier si le travailleur peut être reconnu incapable d’exercer tout emploi compte tenu de l’âge avancé du travailleur, âgé de plus de 63 ans ainsi que de sa condition globale. La CSST n’évacue pas cette possibilité. Bien au contraire, elle décide d’en parler à ses gestionnaires et de recommuniquer avec le représentant du travailleur. Aucune note de la rencontre avec les gestionnaires ne figure au dossier. Il est impossible de voir ou constater le raisonnement de la conseillère en réadaptation ou de la teneur des explications et de la décision des gestionnaires. Plutôt, la CSST recommunique avec le représentant pour l’informer qu’elle a retenu un autre emploi convenable de livreurs de mets préparés. Elle rend sa décision unilatéralement le lendemain.

[33]           Il est reconnu que la CSST peut procéder de façon unilatérale dans certaines circonstances par exemple lorsqu’un travailleur fait défaut de collaborer au processus de détermination d’emploi convenable[5]. Dans ces circonstances, la CSST doit alors respecter certaines conditions et doit s’assurer que cet emploi respecte toutes les caractéristiques de l’emploi convenable décrites à l’article 2 de la Loi[6]. Elle doit susciter la collaboration du travailleur.

[34]           De l’avis du présent tribunal, la CSST n’était pas justifiée de procéder à déterminer l’emploi de livreur de mets préparés de façon unilatérale.

[35]           Selon le présent tribunal, la CSST avait la collaboration du travailleur et de son représentant jusqu’à ce qu’elle décide, unilatéralement, de prendre un tout nouveau tournant en déterminant un emploi qui n’avait jamais fait l’objet de discussion. Ni le travailleur ni le représentant n’a été consulté dans la détermination de cet emploi. En fait, le travailleur et son représentant étaient plutôt dans l’attente d’une décision d’inemployabilité.

[36]           La CSST n’a présenté aucune preuve lors de l’audience sur un manque de collaboration du travailleur ou de son représentant. En fait, le manque de collaboration vient plutôt de la CSST dans le présent dossier. En effet, le travailleur se dit non préparé et dérouté lors de la première rencontre avec sa conseillère en réadaptation. À ce moment, la CSST doit comprendre que le travailleur a besoin de soutien et d’aide dans son processus de réflexion.

[37]           Ce processus de réadaptation entraîne nécessairement d’importantes décisions de la part des travailleurs et travailleuses qui y ont accès. Il s’agit pour la plupart de ces personnes d’importants changements de vie professionnelle. Il faut leur fournir de l’aide et du temps de réflexion avant d’en arriver à la détermination d’un emploi.

[38]           Ce soutien ressort bien de la Loi et est bien reflété par l’article 171 où le législateur prévoit que le « travailleur peut bénéficier de services d'évaluation de ses possibilités professionnelles en vue de l'aider à déterminer un emploi convenable qu'il pourrait exercer ». Le travailleur fait partie intégrante du processus de détermination d’un emploi convenable à moins d’un manque de collaboration évident de sa part, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

[39]           En outre, l’emploi de livreur de mets préparés ne respecte pas la réalité professionnelle du travailleur qui œuvrait comme mécanicien de machinerie lourde. Il faut tenter de rechercher, autant que faire se peut, « à identifier un emploi qui offre un statut professionnel comparable à celui occupé au moment de la lésion »[7]. C’est en effet ainsi que la Commission des lésions professionnelles décrit la démarche d’évaluation dans l’affaire Labonté et Coiffure Chantal Coiffure et CSST où elle s’exprime comme suit :

[61]      L’emploi convenable en est un qui, suivant sa définition, permet au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles, donc lui permettant de mettre à profit sa formation, son expérience, son expertise acquise de même que ses intérêts et aptitudes tels qu’il lui était permis de le faire dans l’emploi occupé au moment de la survenance de la lésion professionnelle.

 

[62]      Dans la démarche d’évaluation des possibilités professionnelles du travailleur, tel que le prévoit l’article 171 de la loi, il s’agit donc de respecter la réalité professionnelle de ce dernier et de rechercher, en autant que faire se peut, à identifier un emploi qui offre un statut professionnel comparable à celui occupé au moment de la lésion et qui privilégie l’utilisation des éléments compatibles et transférables des acquis professionnels du travailleur tel qu'il les utilisait au moment de la survenance de sa lésion professionnelle.

 

[63]      Évidemment, il ne sera pas toujours possible d’atteindre cet objectif étant donné la complexité du processus d’orientation professionnelle et l’interférence de nombreux facteurs inhérents à celui-ci.  La démarche entreprise par la CSST, en collaboration avec le travailleur, doit néanmoins, dans la mesure du possible, être avant tout orientée vers la recherche de cet objectif.

____________

            8           C.L.P. 117062-61-9905, 15 octobre 1999, G Morin.

 

 

[40]           Dans le présent dossier, la CSST n’a pas procédé à une réelle évaluation avec le travailleur de ses possibilités professionnelles au sens de l’article 171 de la Loi dans le cadre de la détermination de l’emploi de livreur de mets préparés. Il en va de même pour le premier emploi discuté de commis aux pièces. Dans ce cas, la CSST a soumis unilatéralement cette suggestion d’emploi convenable avant d’avoir offert des services d’évaluation au travailleur conformément à l’article 171 de la Loi pour ensuite abandonner l’emploi de « commis aux pièces » sans en expliquer les raisons au travailleur ou à son représentant.

[41]           Par ailleurs, le tribunal voit mal en quoi l’expérience de mécanicien de machinerie lourde est mise à contribution dans l’emploi de livreur de mets préparés. De toute évidence, l’évaluation des possibilités professionnelles n’a pas été faite conformément aux objectifs de la Loi.

[42]           Quant à la possibilité raisonnable d’embauche, l’emploi convenable doit correspondre à une catégorie d’emploi présente sur le marché du travail[8]. Dans le présent dossier et suivant les informations au système « Repères », les perspectives d’emploi de livreur de mets préparés vont d’acceptables à inférieures à la moyenne.

[43]           Qu’en est-il du travailleur âgé de plus de 63 ans et présentant une capacité physique résiduelle plus réduite par rapport à la population en général?

[44]           La capacité résiduelle d'un travailleur s'évalue, en premier lieu, en fonction des limitations fonctionnelles que celui-ci conserve à la suite de sa lésion professionnelle[9]. Mais la notion de capacité résiduelle évoquée dans la définition de l'emploi convenable est plus large et englobe toutes les limitations fonctionnelles physiques et psychiques connues au moment de l'évaluation de la capacité résiduelle des travailleurs[10].

[45]           L’âge du travailleur au moment de la détermination peut être un élément dans l’évaluation des possibilités raisonnables d’embauche[11]. Il faut se rappeler que le travailleur est âgé de plus de 63 ans au moment de la détermination de son emploi convenable. La jurisprudence[12] a déjà reconnu qu’un travailleur doit être placé sur le même pied que les autres travailleurs devant une possibilité raisonnable d’embauche :

[58]      […] La jurisprudence a établi que le travailleur doit être placé sur le même pied que les autres travailleurs devant une possibilité d’embauche sans être forcé de se représenter comme quelqu’un qui doit avoir des exigences différentes des autres11. Ainsi, en plus de son âge et de son inexpérience, le travailleur a des limitations fonctionnelles importantes au bras gauche qui font en sorte qu’il pourrait difficilement concurrencer un autre travailleur pour le même poste12.

__________

11          Caron et Transport Network Québec ltée, C.A.L.P. 44467-63-9209, 19 avril 1994,             J.-M. Duranceau.

12          Lajoie et Système intérieur Laval inc., [1994] C.A.L.P. 28 .

 

 

[46]           Quant à la capacité résiduelle du travailleur, les limitations fonctionnelles sont tellement importantes que la CSST envisage de reconnaître le travailleur inemployable et convient d’en discuter avec ses gestionnaires. Aucune note de cette rencontre n’est au dossier. On comprend toutefois que les gestionnaires ont décidé de procéder unilatéralement à la détermination d’un emploi convenable sans explication au travailleur sauf pour celles ayant trait à la poursuite du versement de son indemnité de remplacement du revenu jusqu’à 64 ans et demi (l’âge du travailleur à la fin de son année de recherche d’emploi).

[47]           La CSST invite alors le travailleur à faire ses démarches auprès de la Régie des rentes du Québec. N’y a-t-il pas là un aveu implicite de la CSST quant à l’incapacité résiduelle du travailleur? Le tribunal se pose la question, mais n’a pas besoin d’y répondre pour régler le sort du présent litige.

[48]           Compte tenu de ce qui précède, le tribunal est d’avis que l’emploi de livreur de mets préparés n’offre pas de possibilités raisonnables d’embauche compte tenu de l’âge du travailleur, de sa capacité globale et de son manque de compétitivité sur le marché du travail.

[49]           Il convient de retourner le dossier du travailleur à la CSST afin qu’elle reprenne le processus de réadaptation, avec la collaboration du travailleur, afin d’établir un plan de réadaptation professionnelle approprié en tenant compte des goûts, aptitudes et qualifications professionnelles du travailleur.

[50]           Le travailleur conserve donc le droit à l’indemnité de remplacement du revenu comme le prévoit l’article 47 de la Loi :

47. Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d'exercer à plein temps un emploi convenable.

__________

1985, c. 6, a. 47.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête déposée par monsieur André Pelchat, le travailleur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 29 octobre 2007 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’emploi de livreur de mets préparés ne constitue pas un emploi convenable au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

RENVOIE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour qu’elle reprenne le processus de détermination d’un emploi convenable;

DÉCLARE en conséquence que le travailleur a droit aux indemnités de remplacement du revenu tant et aussi longtemps qu’il aura besoin de réadaptation pour exercer à plein temps un emploi convenable ou pour participer à toute autre mesure de réadaptation que pourra déterminer la Commission de la santé et de la sécurité du travail, et ce, à compter du 7 juillet 2008.

 

 

__________________________________

 

Claire Burdett

 

 

 

 

M. Yvan Perron

UTAQ

Représentant de la partie requérante

 

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           C.L.P. 223073-62C-0312, 17 mai 2007, M. Auclair.

[3]           Martin et Ameublements Elran ltée, C.A.L.P. 45962-62-9210, 14 juillet 1994, L. Thibault; Pisani et Marché D’Alimentation Régal Inc, C.L.P. 134973-72-0003, B. Lemay.

[4]           Précitée note 3.

[5]           Martel et Installation électrique Danor ltée et C.S.S.T., C.L.P. 104625-61-9808, 28 janvier 2000, P. Perron; Béchard et M et G Cable Service Inc., C.L.P. 121589-62-9908, 31 janvier 2000, A. Vaillancourt; Précitée note 3.

[6]           Précitée note 3; Thibodeau et Toitures Trois Étoiles inc., C.L.P. 201812-71-0303, 4 octobre 2004, D. Gruffy, (04LP-168).

[7]           Labonté et Coiffure Chantal Coiffure et C.S.S.T., 117062-61-9905, 15 octobre 1999, G Morin;       Précitée note 3.

[8]           Lemarier et Motel Idéal Lajeunesse, C.L.P. 159986-61-0105, 24 juillet 2002, G. Morin.

[9]           C.S.S.T. et Fiset, C.A.L.P. 74567-63-9511, 24 janvier 1997, B. Lemay.

[10]         Fortin et Entr. Peinturlure inc., C.L.P. 200948-01A-0302, 31 octobre 2004, C.-A. Ducharme (décision accueillant la requête en révision) ; Nadeau et Les Produits Paradis 1988 inc. (fermé), C.L.P. 249285-62B-0411, 16 mai 2005, J.-M. Dubois, révision rejetée, 5 décembre 2005, B. Lemay.

[11]         Tardif et Les Habitations Doux Confort et C.S.S.T., 253955-63-0501, 6 décembre 2005, J.-P. Arsenault; D'Urso et Éclairages Pa-Co inc., C.L.P. 201355-64-0610, 1er octobre 2007, R. Daniel.

[12]         Précitée note 11.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.