Décision

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Bergeron et Alcoa ltée

2009 QCCLP 3254

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Rimouski

12 mai 2009

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent

et Côte-Nord

 

Dossier :

350573-09-0805

 

Dossier CSST :

130021355

 

Commissaire :

Normand Michaud, juge administratif

 

Membres :

Mary Ann Morin, associations d’employeurs

 

Marc Paquet, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Mario Bergeron

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Alcoa ltée

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 4 juin 2008, monsieur Mario Bergeron (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 28 mai 2008 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 21 avril 2008 et déclare que le travailleur n’a pas subi, le 18 mars 2008, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle.

[3]                Le représentant du travailleur a renoncé à la tenue de l’audience prévue le 22 avril 2009 à Baie-Comeau et il a produit une argumentation écrite. Par sa part, monsieur Serge Pearson, conseiller en ressources humaines chez Alcoa ltée (l’employeur), a transmis une lettre au tribunal indiquant qu’il ne serait pas présent à l’audience et il a demandé de rendre une décision à partir des informations contenues au dossier.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Bien que la CSST ait analysé la réclamation sous l’angle d’une récidive, rechute ou aggravation, le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la CSST doit défrayer le coût d’une orthèse pour son pied droit.

LES FAITS

[5]                Le travailleur est à l’emploi de l’employeur depuis près de 20 ans.

[6]                Le 12 mars 2006, le travailleur subit un accident du travail alors qu’en descendant un escalier, il manque les deux dernières marches, saute pour éviter de tomber et atterrit sur le talon droit. Il ressent immédiatement une douleur au talon. Le lendemain, il consulte le docteur Martin Savard qui pose le diagnostic de contusion au talon droit. Ce dernier recommande l’application de glace et du repos. Le travailleur est en congé les 15, 16 et 17 mars et il reprend son travail habituel le 18 mars 2006. Ce diagnostic est repris lors des consultations médicales des 29 mai, 29 juin et 18 juillet suivants.

[7]                Le 21 avril 2006, le travailleur consulte le docteur Mario Dallaire, car il ressent toujours des douleurs au talon droit. Le médecin pose un diagnostic de bursite sous-calcanéenne. Il autorise le travail régulier et indique qu’une orthèse plantaire est à prévoir. Le travailleur reçoit effectivement son orthèse le 20 juin 2006.

[8]                Le 29 mai 2006, le docteur Jean Du Tremblay ajoute le diagnostic de pieds creux à celui de contusion au talon. Il prescrit des anti-inflammatoires.

[9]                Le 22 juin 2006, le docteur Paul-O. Nadeau, orthopédiste, examine le travailleur à la demande de l’employeur. Il rédige un rapport d’expertise médicale dans lequel il indique que le travailleur « a eu une contusion au niveau du talon avec vraisemblablement une bursite sous-calcanéenne avec possiblement une petite composante de fasciite plantaire mais le tout est rentré dans l’ordre surtout depuis que monsieur a ses orthèses ».

[10]           Le docteur Nadeau pose un diagnostic de contusion au niveau du talon sous-calcanéenne droite résolue. Il consolide la lésion à la date de son examen, soit le 22 juin 2006, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Il ne recommande aucun soin ou traitement additionnel et ne suggère que le port d’orthèses. Il ajoute que les arches plantaires sont diminuées, ce qui justifie le port d’orthèses et pourrait militer en faveur d’un partage de coûts.

[11]           Le 29 juin 2006, la docteure Line Brouillette, médecin de famille du travailleur, indique à son rapport médical qu’il ressent des douleurs au talon lorsqu’il porte ses bottes de travail et qu’il reste longtemps en position debout, mais que la situation s’est améliorée depuis qu’il porte son orthèse, soit depuis le 20 juin. Elle note que les anti-inflammatoires sont plus ou moins efficaces et elle prescrit une crème anti-inflammatoire.

[12]           Le 18 juillet 2006, la docteure Brouillette produit un rapport final dans lequel elle consolide la lésion dont le diagnostic est une contusion au talon droit résolue, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Elle note que l’essai du Pennsaid a été concluant et que l’« orthèse est à poursuivre ». Elle autorise un retour au travail régulier à compter du lendemain.

[13]           Le 26 juillet 2006, le docteur Serge Lafrance, médecin-conseil à la CSST, note au dossier que l’orthèse est payable une fois pour le traitement de contusion et que le renouvellement est non payable, car il s’agit d’une condition personnelle (pieds creux).

[14]           Le 29 janvier 2008, une intervenante de la CSST fait état d’un appel téléphonique du travailleur pour un renouvellement de « semelles orthopédiques ».

[15]           Le 18 mars 2008, la docteure Brouillette examine le travailleur. Elle indique à ses notes cliniques que l’orthèse est « finie » et écrit sur l’attestation médicale transmise à la CSST « - Douleur talon droit qui a récidivé suite au non-renouvellement de l’orthèse en place. - Donc, orthèse nécessaire et doit être renouvelable à vie ».

[16]           Le même jour, le travailleur communique de nouveau avec la CSST qui l’informe qu’il doit remplir un formulaire Réclamation du travailleur.

[17]           Le 8 avril 2008, le travailleur transmet une réclamation à la CSST dans laquelle il indique : « Rechute, récidive, aggravation de mon accident du 12/03/06 parce que je ne portais plus orthèse car non renouveler » [sic].

[18]           Le 21 avril 2008, la CSST refuse cette réclamation. Elle considère qu’il n’y a pas de détérioration objective de son état de santé et conclut qu’il ne s’agit pas non plus d’une autre catégorie de lésion professionnelle. Cette décision est confirmée le 28 mai 2008 à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[19]           Le représentant du travailleur demande d’infirmer la décision du 28 mai 2008 et de déclarer que la CSST doit défrayer le coût de l’orthèse pour le talon droit. Il soumet qu’il ne s’agit pas d’une récidive, rechute ou aggravation comme la CSST a traité le dossier. Selon lui, le travailleur a droit au remboursement du coût de son orthèse en vertu de l’article 189.4 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Il s’agit là de l’unique objet des démarches entreprises par le travailleur à l’hiver 2008 et pour lequel il a produit une réclamation, comme demandé par la CSST.

[20]           Il allègue que la CSST est liée par l’attestation médicale du 18 juillet 2006 en vertu de l’article 212 de la loi. Cette attestation indique que le port de l’orthèse est à poursuivre. La CSST ne peut remettre en question la recommandation du médecin traitant sur ce sujet, puisque le dossier n’a pas été référé au Bureau d'évaluation médicale. Il soumet que la CSST ne peut refuser en 2008 de défrayer le coût de l’orthèse. De même, il estime qu’il n’est pas nécessaire que le travailleur démontre qu’il a subi une récidive, rechute ou aggravation pour demander le remplacement de son orthèse.

[21]           Finalement, le représentant du travailleur soutient que la CSST ne peut retenir l’opinion du docteur Lafrance, puisque le médecin traitant a recommandé le port d’une orthèse au regard du diagnostic de contusion au pied droit. Il n’y a pas d’autre indication au dossier que le renouvellement de l’orthèse est dû à une condition personnelle.

L’AVIS DES MEMBRES

[22]           La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie. Ils considèrent que ce dernier a droit au renouvellement de son orthèse. Il a subi une lésion professionnelle, le médecin traitant a recommandé le port d’une orthèse, ce qui lui a permis de travailler normalement pendant près de deux ans. Celle-ci s’est détériorée, les douleurs sont réapparues au même site et le médecin a prescrit une nouvelle orthèse. Ils estiment donc que la CSST devrait en défrayer le coût.


LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[23]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST doit défrayer le coût de l’orthèse plantaire. Le tribunal considère qu’il s’agit du seul et véritable objet du litige. En effet, les notes évolutives au dossier démontrent que le travailleur a communiqué avec la CSST en janvier 2008 afin d’obtenir le renouvellement de son orthèse. On lui a répondu qu’il devait obtenir une attestation de son médecin puis produire une nouvelle réclamation, ce qu’il a fait.

[24]           Le tribunal est d’avis que la CSST n’avait pas à analyser cette demande sous l’angle d’une récidive, rechute ou aggravation.

[25]           Les articles 188 et 194 de la loi prévoient qu’un travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à l’assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion professionnelle et que le coût de l’assistance médicale est à la charge de la CSST :

188.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.

__________

1985, c. 6, a. 188.

 

194.  Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.

 

Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.

__________

1985, c. 6, a. 194.

 

 

[26]           L’article 189 prévoit pour sa part ce que comprend l’assistance médicale :

189.  L'assistance médicale consiste en ce qui suit :

 

1° les services de professionnels de la santé;

 

2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);

 

3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;

 

4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;

 

5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.

__________

1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.

 

 

[27]           Donc, suivant l’article 188 de la loi, le droit du travailleur à l’assistance médicale est assujetti à deux conditions : le travailleur doit avoir été victime d’une lésion professionnelle et l’assistance médicale doit être requise par son état de santé en relation avec cette lésion professionnelle.

[28]           Personne ne conteste que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 12 mars 2006 et qu’une orthèse plantaire constitue manifestement une assistance médicale au sens de l’article 189 de la loi. Toutefois, est-elle requise par l’état de santé du travailleur en relation avec sa lésion professionnelle?

[29]           La Commission des lésions professionnelles estime que la CSST doit défrayer le coût de l’orthèse.

[30]           La preuve révèle que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 12 mars 2006 dont les diagnostics émis par les médecins traitants et retenus par la CSST ont été une contusion au talon droit et une bursite sous-calcanéenne. Ils n’ont pas été contestés conformément à la loi. La CSST, tout comme le tribunal, est donc liée par ceux-ci. Le médecin traitant a recommandé le port d’une orthèse et la CSST l’a fournie.

[31]           La preuve démontre également qu’à la suite de la détérioration de celle-ci, les douleurs sont réapparues au talon droit du travailleur et il a dû consulter. La docteure Brouillette indique sur l’attestation médicale transmise à la CSST que la douleur au talon droit a récidivé à la suite du non-renouvellement de l’orthèse en place. Elle estime que celle-ci est nécessaire et doit être renouvelée à vie.

[32]           La CSST n’a pas fait examiner le travailleur par un médecin de son choix, comme l’autorise l’article 204 de la loi. Elle est donc liée par le diagnostic émis par le médecin du travailleur et ses recommandations. Si elle considérait que la mention « douleur » ne constituait pas un diagnostic valable, elle se devait de faire examiner le travailleur, ce qu’elle n’a pas fait.

[33]           La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le port de l’orthèse plantaire est en relation avec l’événement accidentel du 12 mars 2006 et non avec la condition personnelle du travailleur (pieds creux), laquelle était d’ailleurs asymptomatique. En effet, il n’avait jamais porté d’orthèse plantaire avant l’événement d’origine malgré sa condition personnelle. Il a porté une orthèse et il a pu travailler normalement, Il a recommencé à ressentir de la douleur au talon lorsque son orthèse s’est détériorée.

[34]           Le tribunal estime que l’opinion de la docteure Brouillette doit être privilégiée à celle du médecin-conseil de la CSST, le docteur Lafrance, parce que celle-ci est le médecin de famille du travailleur et qu’elle l’a suivi depuis juin 2006 pour cette lésion. Elle est ainsi la mieux placée pour connaître l’évolution de sa pathologie.

[35]           Par ailleurs, il n’y a aucune preuve au dossier démontrant que les douleurs ressenties au talon par le travailleur sont reliées à une autre condition médicale que la contusion au talon droit et la bursite sous-calcanéenne reconnues comme lésion professionnelle. Rappelons que le travailleur est tombé de tout son poids sur son talon droit.

[36]           La Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que la CSST doit défrayer le coût de l’orthèse plantaire du travailleur pour son pied droit.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de monsieur Mario Bergeron, le travailleur;

MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 28 mai 2008 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail doit défrayer le coût de remplacement de l’orthèse pour le talon droit du travailleur.

 

 

 

 

Normand Michaud

 

 

Me Denis Mailloux

C.S.N.

Représentant de la partie requérante

 



[1]       L.R.Q., c. A-3.001.

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