Gendreau et H & R Block Canada inc. |
2011 QCCLP 5766 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
Dossier 426738-61-1012
[1] Le 15 décembre 2010, madame Louise Gendreau (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles, une requête par laquelle elle conteste une décision rendue le 29 novembre 2010 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Cette décision confirme une première décision rendue par la CSST le 7 juillet 2010 et déclare que la travailleuse n’a pas droit, à titre d’adaptation de son domicile, au remboursement des frais engagés pour l’installation d’une piscine et la construction d’un balcon.
Dossier 445301-61-1107
[3] Le 27 juillet 2011, la travailleuse dépose à la Commission des lésions professionnelles, une requête par laquelle elle conteste une décision rendue le 13 juillet 2011, par la CSST, à la suite d’une révision administrative.
[4] Cette décision confirme une première décision rendue le 27 juin 2011 et déclare que la travailleuse n’a pas droit au remboursement des frais reliés à la construction d’un balcon et l’installation d’une piscine, ces frais n’étant pas occupés pour l’adaptation d’équipements de loisirs.
[5] L’audience dans le dossier 426748-61-1012 s’est tenue le 14 avril 2011. La travailleuse y était présente et représentée. H & R Block Canada inc. (l’employeur) était absent. Cependant, le dossier n’a pu être mis en délibéré qu’à la suite de la décision de la révision administrative traitant de la même demande de la travailleuse, mais cette fois-ci sous l’angle de l’adaptation d’équipements de loisirs. Le dossier a été mis en délibéré le 29 août 2011, soit après la réception de la décision de la CSST et de la contestation de la travailleuse dans ce dossier 445301-61-1107.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
[6] À l’audience tenue le 14 avril 2011, le représentant de la travailleuse précise ainsi l’objet des contestations : il demande au tribunal de déclarer que la travailleuse a droit au remboursement du coût d’adaptation de sa piscine, c’est-à-dire du coût de la construction d’une passerelle sécuritaire entre la maison et la piscine.
[7] Subsidiairement, si le tribunal croit que la terrasse construite par la travailleuse est trop onéreuse et qu’une passerelle aurait été suffisante, le présent dossier pourrait être retourné à la CSST pour que celle-ci procède à l’évaluation des coûts de la construction d’une passerelle et assume le coût de la solution la plus appropriée et la plus économique.
LA PREUVE
[8] Le 9 février 2000, à l’âge de 55 ans, la travailleuse subit une lésion professionnelle. Les diagnostics reliés à cette lésion ont été précisés par la Commission des lésions professionnelles en 2003[1]. Il s’agit d’une entorse grave de la cheville gauche avec rupture complète du ligament péronéo-astragalien antérieur, déchirure de la capsule articulaire, synovite chronique à l’articulation tibio-tarsienne, instabilité et syndrome douloureux régional complexe. La lésion professionnelle sera également à l’origine d’une aggravation d’une condition personnelle à la cheville droite. L’atteinte permanente à l’intégrité physique, d’abord évaluée à 2 % en 2004, sera évaluée à 7 % en 2007. Quant aux limitations fonctionnelles, elles sont décrites le 24 février 2009, par le docteur Yves Bergeron :
La patiente mentionne actuellement qu’elle doit gérer son horaire pour tenter d’être assise le plus longtemps possible. La marche dans de bonnes conditions est limitée à 10-15 minutes alors que dans de mauvaises conditions ou essentiellement sur le gazon, elle est limitée de façon encore plus importante compte tenu d’un problème d’équilibre et que la patiente a peur de chuter. À cet égard, elle mentionne qu’elle a décidé de déménager d’une maison où il y avait 4 paliers d’escaliers à une nouvelle maison limitée à 2 paliers.
Les limitations fonctionnelles octroyées au Bureau d’évaluation médicale le 23 juillet 2004 vont de la classe I à la classe 4 selon l’échelle de l’IRSST (annexe).
Le docteur Duchesne mentionne en effet :
« La patiente ne devrait pas travailler en position debout sur une période consécutive de plus de 20 minutes ». Il s’agit d’une restriction plus sévère que la classe 3, impliquant donc la classe 4.
« La patiente ne devrait pas monter ou descendre fréquemment des escaliers au travail ». Il s’agit d’une restriction considérée modérée, classe 2.
« La patiente ne devrait pas monter dans des escaliers ou des escabeaux ».
Il s’agit d’une restriction considérée modérée, classe 2.
« La patiente ne devrait pas travailler de façon régulière en position accroupie ».
Il s’agit d’une restriction considérée légère, classe 1.
Compte tenu des rechutes subséquentes en juillet 2006 à la cheville gauche et en mai 2008 à la cheville droite, nous considérons actuellement que la patiente a des restrictions très sévères au niveau des membres inférieurs, classe 4 selon l’échelle de l’IRSST.
[9] Le 29 janvier 2009, la CSST détermine que la travailleuse ne peut redevenir capable d’exercer son emploi de réceptionniste, ni même d’exercer un nouvel emploi ou un emploi convenable. La travailleuse a donc droit de recevoir une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à l’âge de 68 ans, sous réserve que cette indemnité diminuera à compter de son 65e anniversaire de naissance.
[10] Entre temps, en août 2008, la travailleuse déménage. Elle explique devant la Commission des lésions professionnelles, le 10 juin 2009, ce qui l’a amené à vendre son domicile pour en acheter un autre :
[16] À l’audience, la travailleuse déclare qu’à la suite de sa lésion professionnelle, elle a pris la décision avec son conjoint de vendre sa maison laquelle comportait quatre paliers. Cette situation lui engendrait des difficultés dans les déplacements effectués à l’intérieur de la maison. Ainsi, elle avait cinq marches à gravir pour se rendre à la chambre ainsi qu’à la salle de bain. Il y avait huit marches à monter pour se rendre au premier sous-sol et deux autres marches pour se rendre au deuxième sous-sol. Il y avait une salle de bain également au deuxième sous-sol. La laveuse et la sécheuse étaient au premier sous-sol. Tous ces déplacements engendraient des douleurs, ainsi que de l’enflure à sa cheville. Elle craignait de chuter lors de ses déplacements dans les escaliers. C’est dans ce contexte, qu’elle a tenté à quatre reprises de vendre sa maison jusqu’au moment où finalement elle a été en mesure de déménager le 8 août 2008.
[11] Le 16 juin 2009, la Commission des lésions professionnelles[2] déclare que la travailleuse a droit au remboursement de ses frais de déménagement, ayant démontré que sa condition physique nécessitait une modification de son lieu de résidence et que la solution la plus appropriée était de déménager.
[12] À l’audience de la présente contestation, la travailleuse explique qu’elle avait une piscine lorsqu’elle vivait sur la rue Montrose mais qu’il lui a été impossible de trouver une maison avec piscine après la vente. Elle a pris la décision d’en faire installer une parce que l’exercice, en piscine, est bénéfique pour ses chevilles. Le 16 juin 2010, elle fait parvenir à la CSST deux soumissions pour la construction d’un « balcon » entre la maison et la piscine, l’une de 7,500,00 $, l’autre de 8,630,00 $. Elle y ajoute le prix d’une piscine hors terre, soit 3,000,00 $. Cette demande est refusée par la CSST, puis par la révision administrative. C’est ce dont se plaint la travailleuse en l’instante.
[13] La travailleuse explique que vu ses restrictions à marcher sur un terrain accidenté ou sur du gazon, elle a fait construire une terrasse entre son domicile et sa piscine. Elle peut donc, sans danger, passer de l’intérieur de sa maison à sa piscine. Aussi, il a été décidé de construire une terrasse plutôt qu’une simple passerelle pour éviter que la travailleuse ait à utiliser un escalier entre sa maison et son terrain pour profiter de sa cour arrière. Une table et des chaines ont été placées sur la terrasse et la travailleuse peut ainsi profiter de sa cour arrière, sans utiliser des escaliers et sans se promener sur le gazon.
[14] La travailleuse ne demande plus le remboursement de l’achat et de l’installation de sa piscine. Cependant, elle estime avoir droit au remboursement du coût de construction d’une terrasse entre sa maison et sa piscine.
L’AVIS DES MEMBRES
[15] La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis d’accueillir en partie la demande de la travailleuse. Ils sont d’avis que la travailleuse a droit à des mesures de réadaptation sociale, notamment à l’égard de l’adaptation de son domicile. En particulier, vu les conséquences de sa lésion professionnelle, elle a droit à l’adaptation de sa piscine, par la construction d’une passerelle entre son domicile et sa piscine. Cependant, il y a lieu de retourner le présent dossier à la CSST pour que celle-ci évalue la mesure la plus appropriée, au coût le plus économique.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[16] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a droit au remboursement des frais engagés pour la construction d’une terrasse entre sa résidence et sa piscine.
[17] Les articles pertinents de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi) se lisent comme suit :
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
__________
1985, c. 6, a. 151.
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
__________
1985, c. 6, a. 152.
153. L'adaptation du domicile d'un travailleur peut être faite si :
1° le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique;
2° cette adaptation est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile; et
3° le travailleur s'engage à y demeurer au moins trois ans.
Lorsque le travailleur est locataire, il doit fournir à la Commission copie d'un bail d'une durée minimale de trois ans.
__________
1985, c. 6, a. 153.
156. La Commission ne peut assumer le coût des travaux d'adaptation du domicile ou du véhicule principal du travailleur visé dans l'article 153 ou 155 que si celui-ci lui fournit au moins deux estimations détaillées des travaux à exécuter, faites par des entrepreneurs spécialisés et dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige, et lui remet copies des autorisations et permis requis pour l'exécution de ces travaux.
__________
1985, c. 6, a. 156.
181. Le coût de la réadaptation est assumé par la Commission.
Dans la mise en oeuvre d'un plan individualisé de réadaptation, la Commission assume le coût de la solution appropriée la plus économique parmi celles qui permettent d'atteindre l'objectif recherché.
__________
1985, c. 6, a. 181.
[18] Au moment de sa lésion professionnelle, la travailleuse possédait une résidence équipée d’une piscine extérieure. Cette résidence, depuis la lésion professionnelle, n’était plus adéquate à cause des différents paliers pour aller d’une pièce à l’autre. On peut même conclure que cette résidence n’était plus sécuritaire pour la travailleuse. C’est ce qui ressort de la preuve rapportée par le tribunal dans sa décision du 16 juin 2009[4].
[19] Vu les coûts élevés nécessaires à l’adaptation de cette résidence, la travailleuse a pris la décision de déménager. Elle a donc acquis une nouvelle résidence mieux adaptée à sa condition, mais dépourvue de piscine. Comme il s’agissait d’une activité à laquelle elle s’adonnait, la travailleuse a acquis et fait installer une piscine hors terre à son nouveau domicile. Au surplus, la travailleuse témoigne utiliser sa piscine pour faire des exercices pour ses chevilles, lesquels lui ont été enseignés dans le passé, en physiothérapie.
[20] La demande de la travailleuse en l’instance doit donc être interprétée en fonction de l’article 151, lequel traite de la réadaptation sociale. Il faut analyser si ce qui est demandé a pour but d’aider la travailleuse à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s’adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles[5]. Vu la preuve au dossier et en regard des explications fournies par la travailleuse en l’instance, le tribunal en conclut que la travailleuse a droit à la réadaptation sociale telle que prévue à l’article 151 de la loi.
[21] La travailleuse explique qu’après l’installation de la piscine hors terre, il devenait nécessaire de construire une passerelle entre celle-ci et son domicile. En effet, pour y accéder, elle devait sortir de son domicile, utiliser le balcon existant, descendre un escalier, marcher sur le gazon, remonter et redescendre des escaliers attenants à la piscine. Le tribunal ne doute pas que ces manœuvres étaient dangereuses pour la travailleuse vu les conséquences de la lésion professionnelles sur ses chevilles.
[22] La mise en œuvre d’un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile adapté à sa capacité résiduelle[6]. D’autre part, l’adaptation du domicile doit être nécessaire et constituer la solution appropriée pour permettre au travailleur d’entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d’avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile[7].
[23] Le tribunal a déjà décidé qu’une piscine constitue un accessoire du domicile d’un travailleur et qu’à ce titre, elle doit être considérée comme bien ou commodité de ce domicile[8]. Il a aussi été décidé que l’adaptation prévue à l’article 153 de la loi n’a pas pour unique but de permettre d’entrer et de sortir du domicile. Elle vise également à permettre l’accès, de façon autonome, aux biens et commodités de celui-ci[9], dont une piscine.
[24] La preuve offerte par la travailleuse en l’instance est à cet effet. Au surplus, la travailleuse démontre qu’elle a subi une atteinte permanence grave à son intégrité physique. Pour conclure ainsi, le tribunal n’a pas à s’arrêter au pourcentage accordé à titre d’atteinte permanente, mais à prendre connaissance des restrictions et séquelles fonctionnelles telles que décrites et commentées par le docteur Yves Bergeron. Quant à l’engagement de demeurer dans son domicile au moins trois ans, cette condition est déjà rencontrée.
[25] La travailleuse a donc droit à l’adaptation qu’elle demande. Autrement dit, elle a droit au remboursement des sommes engagées pour procéder à l’adaptation de l’accès de son domicile à sa piscine extérieure.
[26] La loi prévoit que la travailleuse a droit au coût d’adaptation de sa piscine selon la solution appropriée la plus économique conformément à l’article 181 déjà cité aux présentes et après avoir présenté des estimations des travaux à exécuter selon les exigences de l’article 156, également cité aux présentes.
[27] Dans le cas qui nous concerne, la travailleuse a non seulement déjà effectué les travaux, mais, au surplus, elle a choisi non pas de construire une passerelle entre son domicile et la piscine, mais une terrasse de 12 pieds par 20 pieds, sur laquelle elle a installé un ensemble de patio. À l’audience, son époux témoigne avoir retenu les services du plus bas soumissionnaire, à l’époque, de sorte que la terrasse a coûté la somme de 7,500,00 $ plus taxes.
[28] Est-ce que la construction d’une terrasse de 12 pieds par 20 pieds était, conformément à la loi, la solution appropriée la plus économique qui permet à la travailleuse de redevenir autonome dans l’accomplissement d’une de ses activités habituelles? La Commission des lésions professionnelles, dans l’état du présent dossier, ne peut répondre à cette question et seule la CSST possède l’expertise nécessaire pour procéder à une telle enquête.
[29] Ainsi, à partir de l’analyse des besoins de la travailleuse et à la lumière du droit que lui accorde la loi, la CSST pourra déterminer les coûts de l’installation d’une passerelle entre le domicile et la piscine de la travailleuse et choisir parmi les solutions les plus appropriées au coût le plus économique.
[30] Pour cette raison, le présent dossier sera retourné à la CSST, le tribunal se limitant à constater le droit de la travailleuse.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossiers 426738-61-1012 et 445301-61-1107
ACCUEILLE en partie les requêtes de madame Louise Gendreau;
INFIRME les décisions rendues les 29 novembre 2010 et 13 juillet 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que madame Louise Gendreau a droit au remboursement du coût de l’adaptation de sa piscine extérieure par la construction d’une passerelle entre celle-ci et son domicile;
RETOURNE le présent dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour que celle-ci procède à l’évaluation du coût d’une telle adaptation et en verse le montant à la travailleuse.
|
|
|
Louise Boucher |
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Claude Bovet |
|
Représentant de la partie requérante |
[1] C.L.P. 168618-61-0109, 30 avril 2003, L. Nadeau.
[2] C.L.P. 360789-61-0810, 16 juin 2009, D. Martin.
[3] L.R.Q., c. A-3.001.
[4] Déjà citée en 2.
[5] Article 151 de la loi.
[6] Article 152 de la loi.
[7] Article 153 de la loi.
[8] Lussier et Steinberg inc. C.L.P. 143225-62-0006, 5 avril 2001, G. Godin.
[9] Aubé et École de conduite Tecnic Rive-Sud, 376298-62-0904, 7 juillet 2007, C. Racine.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.