TRIBUNAL D’ARBITRAGE

ARBITRAGE SELON LE

RÈGLEMENT SUR LE

PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(Décret 841-98 du 17 juin 1998, c. B-1.1, r. 0.2)

 

CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL

 (Organisme d’arbitrage accrédité par la Régie du bâtiment du Québec)

____________________________________________________________________________________

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

DOSSIER NO: S17-022101-NP

 

SYNDICAT DE LA COPROPRIÉTÉ

CONDOS CITÉ CLARK

 (LE « BÉNÉFICIAIRE »)

et

DÉVELOPPEMENT WEBCOR INC.

 (L’« ENTREPRENEUR»)

et

RAYMOND CHABOT

ADMINISTRATEUR PROVISOIRE INC. es qualité

D’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE

DU PLAN DE GARANTIE DE

LA GARANTIE DES BÂTIMENTS

NEUFS DE L’APCHQ

(L’« ADMINISTRATEUR »)

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION ARBITRALE

______________________________________________________________________

 

Arbitre :                                                         Me Roland-Yves Gagné

 

Pour le Bénéficiaire:                                   Madame Tania Chiarotto

                                                                       Madame Andrée Lemay

 

Pour l’Entrepreneur:                                    Monsieur Silviu Weber

 

Pour l’Administrateur:                                 Madame Isabelle Lévesque

                                                                      Madame Anne Delage

                                                                     

Date de l’audience :                        11 mai 2017

 

Date de la décision:                                    25 mai 2017


 

DESCRIPTION DES PARTIES

 

BÉNÉFICIAIRE

 

Syndicat de la Copropriété Condos Cité Clark

a/s Madame Tania Chiarotto [...]

4123 rue Clark

Montréal, Qc.

H2W 1X1

 

 

ENTREPRENEUR

 

Développement Webcor Inc.

a/s Silviu Weber

5266 boul. Saint-Laurent

Montréal, Qc.

H2T 1S1

 

 

ADMINISTRATEUR

 

Isabelle Lévesque

Contentieux des garanties Abritat/GMN

7333 Place des Roseraies bur. 300

Anjou, Qc.

H1M 2X6

 


 

PIÈCES

 

L’Administrateur a produit les pièces suivantes :

 

A-1 :    Déclaration de copropriété en date du 21 octobre 2011;

A-2 :    Formulaire d’inspection préréception en date du 15 mai 2012;

A-3 :    Confirmation de parachèvement des menus travaux en date du 7 septembre 2012;

A-4 :    Lettre de dénonciation des bénéficiaires (sic!) datée du 23 novembre 2015;

A-5 :    Lettre de dénonciation des bénéficiaires datée du 18 juillet 2016;

A-6 :    Demande de réclamation des bénéficiaires en date du 19 juillet 2016;

A-7 :    (en liasse) Avis de 15 jours de l’administrateur daté du 18 août 2016;

A-8 :    Lettre de l’Entrepreneur datée du 25 août 2016;

A-9 :    Lettre de dénonciation (addenda) des bénéficiaires datée du 29 août 2016;

A-10 : Avis de 15 jours (ajout) par courriel à l’Entrepreneur daté du 7 septembre 2016;

A-11 : (en liasse) Décision de l’administrateur datée du 1er février 2017;

A-12 : (en liasse) Lettre du centre d’arbitrage CCAC datée du 22 février 2017 et formulaire daté du 22 février 2017.

 

Le Bénéficiaire a produit les pièces suivantes :

 

B-1 :    Condos Cite Clark lettre de dénonciation no2

B-2 :    Condos Cite Clark Addenda

B-3 :    Lettre de dénonciation reply - Webcor

B-4 :    12-05-15- test de fumée

B-5 :    Un fichier contenant les sous-fichiers suivants :

           

-      Courriels

-      Z_factures

-      Z_photos

-      .DS_Store

 

Et les documents pdf suivants :

-      02-28-17 - Dossier S17022101NP ajouts au dossier

-      z_09-12-15_lettre de dénonciation_reply


 

MANDAT ET JURIDICTION

 

[1]       Le Tribunal d’arbitrage est initialement saisi du dossier suite à une demande d’arbitrage par le Bénéficiaire, reçue par le Centre Canadien d’Arbitrage Commercial (CCAC) le 21 février 2017, et par la nomination de l’arbitre soussigné en date du 22 février 2017.

[2]       Aucune objection quant à la compétence du Tribunal d’arbitrage n’a été soulevée par les parties et la juridiction du Tribunal d’arbitrage est alors confirmée.

 

 

LE DROIT

 

[3]       Le Bénéficiaire a produit une demande d’arbitrage en vertu de l’Article 35 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après nommé le Règlement) :

Le bénéficiaire ou l'entrepreneur, insatisfait d'une décision de l'administrateur, doit, pour que la garantie s'applique, soumettre le différend à l'arbitrage dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l'administrateur à moins que le bénéficiaire et l'entrepreneur ne s'entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d'en arriver à une entente. Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l'arbitrage est de 30 jours à compter de la réception par poste recommandée de l'avis du médiateur constatant l'échec total ou partiel de la médiation.

 

[4]       La Cour d’appel du Québec, dans trois arrêts, a jugé que ce Règlement était d’ordre public: 

[4.1]       en 2013 dans Consortium M.R. Canada Ltée c. Office municipal d’habitation de Montréal[1]:

[17] La juge avait raison de souligner les différences de vocation entre les recours arbitral et de droit commun.

 

[18] La procédure d'arbitrage expéditive prévue au Règlement pour réparer rapidement les malfaçons est, comme le note la juge, un complément aux garanties contre les vices cachés du Code civil. Régime d’ordre public[5], le Règlement vise notamment à obliger que les réparations des bâtiments résidentiels neufs soient effectuées rapidement par l'entrepreneur ou prises en charge par l'administrateur de la garantie.

[4.2]       en 2011 dans Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. c. MYL[2]:

[13]        Le Règlement est d'ordre public.  Il détermine notamment les dispositions essentielles du contrat de garantie en faveur des tiers.  Le contrat doit de plus être approuvé par la Régie du bâtiment (art. 76);

[4.3]       en 2004 dans La Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ Inc. c. Maryse Desindes et Yvan Larochelle, et René Blanchet mise en cause[3]

[11] Le Règlement est d’ordre public. Il pose les conditions applicables aux personnes morales qui aspirent à administrer un plan de garantie. Il fixe les modalités et les limites du plan de garantie ainsi que, pour ses dispositions essentielles, le contenu du contrat de garantie souscrit par les bénéficiaires de la garantie, en l’occurrence, les intimés.

[12] L’appelante est autorisée par la Régie du bâtiment du Québec (la Régie) à agir comme administrateur d’un plan de garantie approuvé. Elle s’oblige, dès lors, à cautionner les obligations légales et contractuelles des entrepreneurs généraux qui adhèrent à son plan de garantie.

[13] Toutefois, cette obligation de caution n’est ni illimitée ni inconditionnelle. Elle variera selon les circonstances factuelles […];

 

[15] La réclamation d’un bénéficiaire est soumise à une procédure impérative.

 

[5]       La Cour supérieure affirme dans Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. c. Dupuis[4] :

[75] Il est acquis au débat que l'arbitre doit trancher le litige suivant les règles de droit et qu'il doit tenir compte de la preuve déposée devant lui.  Il doit interpréter les dispositions du Règlement et les appliquer au cas qui lui est soumis. Il peut cependant faire appel aux règles de l'équité lorsque les circonstances le justifient. Cela signifie qu'il peut suppléer au silence du règlement ou l'interpréter de manière plus favorable à une partie.

 

 

INTRODUCTION

 

[6]       Dans sa décision du 1er février 2017, l’Administrateur écrit, quant aux points en arbitrage :

[6.1]       2. Sortie de la sécheuse de l’unité 4127 qui évacue dans la salle de bain de l’unité [...]

Au cours de l’année 2013, soit en première année de garantie, le syndicat a constaté que la sortie de la sécheuse de l’unité 4127 évacuait dans la salle de bain de l’unité [...].

[6.2]       3. Odeurs de fumée de cigarette

Au cours de l’année 2013, soit en première année de garantie, le syndicat a constaté que des odeurs de fumée de cigarette étaient perceptibles dans les unités 4121, 4125, 4127 et 4129.

[6.3]       […] Analyse et décision […]

Le syndicat a déclaré avoir découvert les situations décrites aux points 2 et 3 au cours de l’année 2013 […] Quant à l’administrateur, il fut informé par écrit de l’existence de ces situations pour la première fois le 27 novembre 2015. En ce qui a trait au délai de dénonciation, les paragraphes 3e, 4e ou 5e de l’article 10 ou 27 du Règlement, selon le type de bâtiment, stipule que les malfaçons, les vices cachés ou les vices majeurs, selon le cas, doivent être dénoncés par écrit à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder six (6) mois de leur découverte ou survenance ou, en cas de vices ou de pertes graduels, de leur première manifestation. Dans le cas présent, il appert que le délai excède le délai raisonnable (6 mois) et par conséquent, l’administrateur ne peut donner suite à la demande de réclamation du syndicat à l’égard de ces points.

[7]       Lors de la conférence préparatoire la représentante du Bénéficiaire a affirmé que les points sur lesquels le Bénéficiaire a un différend avec l’Administrateur du Plan de Garantie et qui sont soumis à l’arbitrage sont:

[7.1]       Point 2. Sortie de la Sécheuse de l’Unité 4127 […]

Note du soussigné : le Bénéficiaire conteste autant le fond que le titre de ce point, qui aurait dû se lire après « 4127 » : « qui évacue dans la salle de bain de l’unité [...] et la pièce où se trouve l’échangeur dans l’unité [...] »;

Le Tribunal considère que, vu la conclusion à laquelle il en arrive quant au non-respect du délai de dénonciation, cet ajout ne change rien à l’issue de la réclamation du Bénéficiaire contre l’Administrateur du Plan de Garantie;

[7.2]       Point 3. Odeurs de fumée de cigarette.

[8]       Suite aux discussions lors de la conférence préparatoire, il a été décidé qu’il serait dans le meilleur intérêt de la justice et des parties de procéder en deux étapes:

[8.1]       1ère étape : Puisque la décision de l’Administrateur du 1er février 2017

[8.1.1]           a rejeté ces deux réclamations du Bénéficiaire vu le délai de dénonciation (« il appert que le délai de dénonciation excède le délai raisonnable (6 mois) »),

[8.1.2]           sans se prononcer

8.1.2.1.  sur le fond de la problématique alléguée, et, le cas échéant,

8.1.2.2.  si cette problématique alléguée fait l’objet d’un vice couvert par le Plan de Garantie,

cette réclamation pour les points 2 et 3 mentionnée dans cette décision était-elle recevable vu le délai de dénonciation prévu au Règlement?

[8.2]       2ième étape : En cas de réponse positive à la première étape, les parties seront convoquées pour une seconde audition à une autre date, dans le but de

[8.2.1]           trancher la question à savoir, l’immeuble du Bénéficiaire est-il atteint du (des) vice(s) allégué(s) par le Bénéficiaire quant aux points 2 et 3 et ce(s) vice(s) est-il (sont-ils) couvert(s) par le Plan de Garantie géré par l’Administrateur;

[8.2.2]           alternativement, le Tribunal d’arbitrage sera prêt à considérer, suite à une demande motivée, tout autre mesure à prendre quant à cette deuxième étape, incluant le renvoi à l’Administrateur pour qu’il rende une décision sur le fond.

 

DÉCISION

[9]        Malgré toute la sympathie qu’il peut avoir pour le Bénéficiaire, le Tribunal n’a d’autres choix que de rejeter sa demande envers l’Administrateur et maintenir la décision de ce dernier, pour les motifs qui suivent.

 

Version du Règlement applicable

[10]    Tout d’abord, le Tribunal d’arbitrage réitère qu’à défaut de dispositions transitoires décrétées ou exprimées par le Législateur, le nouvel article 27 du Règlement tel qu’amendé et en vigueur le 1er janvier 2015 n’est pas applicable pour le contrat de construction objet du présent arbitrage, conclu entre des particuliers avant son entrée en vigueur.

[11]    Puisque le contrat préliminaire et de garantie a été signé avant le 1er janvier 2015, et que le bâtiment résidentiel a été construit avant cette date, c’est la version du Règlement d’avant le 1er janvier 2015 qui s’applique au présent arbitrage.

[12]    Cette question a déjà été tranchée par plusieurs décisions arbitrales, le tout, pour les motifs déjà exprimés par le soussigné et par d’autres arbitres dans les décisions citées au support de ces motifs dans Nazco et Milian c. 9181-5712 Québec Inc. et Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ[5] et 3093-2313 Québec c. Létourneau et Bouchard et la Garantie des maisons neuves de l’APCHQ[6].

 

Moment de la Découverte au sens du Règlement

[13]    Selon l’article 27 du Règlement applicable au présent arbitrage, l’Administrateur couvre les malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception, les vices cachés et les vices majeurs de la façon suivante :

27.  La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir:

[…]

  3°    la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l'année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des malfaçons;

 

  4°    la réparation des vices cachés au sens de l'article 1726 ou de l'article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l'article 1739 du Code civil;

 

  5°    la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l'article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux des parties communes ou, lorsqu'il n'y a pas de parties communes faisant partie du bâtiment, de la partie privative et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation.

 

[14]    La preuve au dossier et lors de l’audience montre clairement que :

[14.1]    le 4 décembre 2013[7], le Bénéficiaire a reçu un « bon de travail » pour « senteur + boucane dans les condos », « Appel de service pour problème de senteur et de boucane dans les condos. Vérifier sortie hotte de poêle et échangeur d’air. Vérifier la cloche au toit complètement bouché. Nettoyer et montrer ouvrage à un locataire »;

[14.2]    le 22 avril 2014[8], le Bénéficiaire a reçu un « bon de travail » pour « […] Vérifier système au toit. Nettoyer grillage de l’évacuateur de la bâtisse, grille bouchée. Nettoyer et montrer faire entretien sur système d’échangeur dans les 3 condos (4115-4125 et 4129). Entretien recommandé au 6 mois (printemps/automne). Lorsque tous les échangeurs seront nettoyés, nettoyer voir si condensation persiste. A voir si besoin augmenter vitesse moteur au toit »;

[14.3]    le 22 octobre 2014[9], le Bénéficiaire écrit à ses membres : « despite numerous attempts to fix the situation with the air exchanger, nothing seems to work. I have continuous cooking odours in my apartment along with condensation that is now causing mold in my bathroom and the paint to peel off […] »;

[14.4]    le 20 mars 2015[10] (8 mois avant la dénonciation de novembre 2015), le Bénéficiaire écrit à l’Entrepreneur: « I am writing to you because I am still having some major issues with the air exchanger […] I am constantly getting condensation […] The smells of cooking and cigarette smoke are also a constant […] »;

[14.5]    puis, avant même d’aviser l’Administrateur que des travaux correctifs allaient être effectués, le Bénéficiaire,  

[14.5.1]        le 26 mai 2015[11], informe l’Entrepreneur par courriel que « the syndicat has decided to install the new air exchanger »;

[14.5.2]        en septembre 2015 (facture du 27 octobre 2015[12]), effectue des travaux visant à corriger la problématique;

mais, le Bénéficiaire ne dénonce sa problématique par écrit à l’Administrateur qu’en novembre 2015 (réception le 27 novembre 2015[13]), plus de six mois de la découverte de sa problématique alléguée :

« Cette lettre est pour vous aviser que les problèmes avec la ventilation et l’échangeur d’air se perpétuent. […] Le problème fut observé initialement par moi-même […] en décembre 2013 ».

[15]    La représentante du Bénéficiaire témoigne de façon crédible et plaide avoir tout fait de son côté pour régler le problème en accord avec l’Entrepreneur avant de contacter l’Administrateur (« we took measures, steps to find solution to the problem »).

[16]    Le Bénéficiaire plaide que le délai de six mois ne devrait pas courir de la découverte de la problématique, mais à partir du moment où il a fait les travaux « expérimentalement » (mot employé sous réserves, d’après le Bénéficiaire, les travaux n’auraient pas corrigé la problématique, le soussigné n’exprime ici aucune opinion quant au fond) correctifs en accord avec l’Entrepreneur mais sans notifier l’Administrateur avant d’effectuer ces travaux.

[17]    Avec respect, le Tribunal ne peut pas faire sienne, la plaidoirie du Bénéficiaire, vu

[17.1]    les dispositions du Règlement;

[17.2]    l’arrêt de la Cour d’appel dans Desindes (voir le paragraphe [4] ci-haut : « [15] La réclamation d’un bénéficiaire est soumise à une procédure impérative »);

[17.3]    la preuve au dossier.


 

[18]    Comme le soussigné le rappelait dans l’affaire Abdellatif Bensari c. Les Constructions M.C. et La Garantie Qualité Habitation[14], le délai de six mois est un délai de déchéance (l’article 10 cité est l’équivalent de l’article 27 pour les maisons non détenues en condo):

[64] […] l’état du droit à cet effet est clair : le délai de six mois prévu à l’article 10 du Règlement est un délai de rigueur et de déchéance.

[65] Dans l’affaire Abderrahim Moustaine et al. c. Brunelle Entrepreneur Inc. et La Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de L’APCHQ (Soreconi 070424001) du 9 mai 2008, Me Jean Philippe Ewart, arbitre, écrit :

[31] Le Tribunal est d’avis […] que le délai maximum de six (6) mois prévu aux alinéas 3e, 4e et 5e respectivement de l’article 10 (…) du Règlement est de rigueur et de déchéance et ne peut conséquemment être sujet à extension.

[36] En résumé, la dénonciation prévue à l’article 10 du Règlement se doit d’être par écrit, est impérative et essentielle, le délai de six mois prévu au même article emporte et est un délai de déchéance, et si ce délai n’est pas respecté, le droit des Bénéficiaires à la couverture du plan de garantie visé et à le (sic!) droit à l’arbitrage qui peut en découler sont respectivement éteints, forclos et ne peuvent être exercés

[66] Baudouin explique ce qu’est un délai de déchéance[15]

Dans le cas des délais de déchéance, la créance est absolument éteinte après l'expiration du temps fixé. Le tribunal est alors tenu de suppléer d'office au moyen en résultant (art. 2878 C.c.). Dans ces cas donc, ce n'est plus seulement l'action en justice qui est éteinte, mais bien le droit lui-même.

[19]    Dans l’affaire Domaine c. Construction Robert Garceau Inc. et la Garantie Qualité Habitation[16], notre collègue Me Michel A. Jeanniot écrit:

[58]    Le Tribunal comprend qu’il ne s’agit pas ici de plaider sa propre turpitude mais, l’ignorance du délai de six (6) mois prévu aux articles 3.2, 3.3 et/ou 3.4 du contrat de garantie et/ou de l’article 10 du Règlement ainsi que la bonne foi des parties ne constituent pas des éléments en droit qui habilitent le décideur à faire fi d’un délai de déchéance. Tout motif, quel qu’il soit, (si noble soit-il) ne peut reposer sur un fondement juridique puisque même si la preuve révèle qu’il pouvait s’agir de l’erreur ou de la négligence d’un tiers mandataire et/ou conseiller, il s’agit ici d’un délai de déchéance; sitôt le calendrier constaté, l’arbitre est dans l’impossibilité d’agir. (nos soulignés)

[20]    Le sens d’autonomie du Bénéficiaire, plaidé à l’encontre de la décision de l’Administrateur basée sur un délai déraisonnable de dénonciation, ne change pas les termes du Règlement quant à ses obligations à cet effet envers l’Administrateur du Plan de garantie de leur bâtiment résidentiel neuf.

[21]    Ce Règlement a été décrété par le Législateur pour couvrir le bâtiment du Bénéficiaire selon ses dispositions, Règlement que notre Cour d’appel a jugé comme étant d’ordre public (voir paragraphe [4] ci-haut). 

[22]    Le Tribunal d’arbitrage ne peut pas conclure autrement suite à la preuve présentée devant lui, vu les dispositions du Règlement.

[23]    Malgré tous les pouvoirs qui sont dévolus à l’arbitre en vertu du Règlement et selon la jurisprudence à cet effet[17], le Tribunal d’arbitrage ne peut pas faire appel à l’équité pour faire réapparaître un droit déchu qui n’existe plus, il ne s’agit pas ici de suppléer au silence du Règlement ou l’interpréter de manière plus favorable à une partie, malgré toute la sympathie qu’il pourrait avoir envers le Bénéficiaire.

[24]    Cette position en droit est bien établie. Voir entre autres:

[24.1]    l’affaire Kwok et Tang c. 9181-5712 Québec et La Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ[18] notre collègue Me Tibor Holländer, arbitre, écrit:

[134] The Beneficiaries’ failure to do so cannot be saved by the application of principles of equity or fairness that would therefore result in the Tribunal allowing their claim.

[24.2]    l’affaire Castonguay et al et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ et Construction Serge Rheault Inc.[19], notre collègue MJohanne Despatis, arbitre, écrit:

[28] Il est vrai que l’audience m’a permis de constater que le point 3 concerne un problème qui, s’il avait été dénoncé à temps, aurait pu être corrigé en conformité du Plan. Force est toutefois de constater, après analyse du Plan, qui est clair et impératif au sujet de ces questions, et à la lumière de toute la jurisprudence pertinente à la sanction de ce délai de six mois, qu’il s’agit d’un délai impératif qu’il n’est tout simplement pas possible d’ignorer ni de contourner en invoquant l’équité. 

[25]    Vu la preuve, le Tribunal d’arbitrage n’a d’autres choix que de maintenir la décision de l’Administrateur qui avait raison de conclure qu’entre la découverte de décembre 2013 et la dénonciation de novembre 2015, s’était écoulé un délai de plus de 6 mois qui n’était pas raisonnable au sens du Règlement applicable au présent arbitrage et rejeter la demande du Bénéficiaire.

 

RÉSERVE DES DROITS

[26]    L’article 11 de la Loi sur le bâtiment[20] stipule :

11. La présente loi n'a pas pour effet de limiter les obligations autrement imposées à une personne visée par la présente loi.

[27]    Le Tribunal rappelle la décision de la Cour supérieure dans l’affaire Garantie d'habitation du Québec c. Jeanniot[21]:

[63] Il est clair des dispositions de la Loi et du Règlement que la garantie réglementaire ne remplace pas le régime légal de responsabilité de l'entrepreneur prévu au Code civil du Québec. Il est clair également que la garantie prévue à la Loi et au Règlement ne couvre pas l'ensemble des droits que possède un bénéficiaire, notamment en vertu des dispositions du Code civil du Québec et que les recours civils sont toujours disponibles aux parties au contrat.

[28]          Dans la décision arbitrale Valérie Hamelin c. Groupe Sylvain Farand inc. c. La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc[22], notre collègue MJean Robert LeBlanc rappelle :

Enfin, le Tribunal souligne que la présente décision arbitrale est rendue uniquement et strictement dans le cadre de l’application du Règlement et qu’en conséquence elle est sans préjudice et sous toutes réserves des droits d’une Partie d’intenter tout recours approprié devant les tribunaux civils ayant compétence, sujet bien entendu, aux règles de droit commun et de prescription civile, le cas échéant.

[29]    Le Tribunal d’arbitrage réservera les droits du Bénéficiaire de porter ses prétentions devant les tribunaux de droit commun contre toute personne autre que l’Administrateur du Plan de Garantie, le tout, sujet aux règles de la prescription civile et de droit commun, sans que cette affirmation ne puisse être interprétée comme étant une opinion, dans un sens ou dans l’autre, sur le bien-fondé de la réclamation du Bénéficiaire.

 

FRAIS

[30]    L’article 37 du Règlement stipule : 

Les coûts de l'arbitrage sont partagés à parts égales entre l'administrateur et l'entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.

Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts sont à la charge de l'administrateur à moins que le bénéficiaire n'obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas l'arbitre départage ces coûts.

 

[31]    Chaque cas est un cas d’espèce.

[32]    Vu tous les faits, vu que la demande d’arbitrage fut produite de bonne foi, vu l’article 116 du Règlement, le Tribunal départage les frais d’arbitrage de la façon suivante, soit $50.00 pour le Bénéficiaire et le solde à l’Administrateur.

 

[33]    PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

[34]    REJETTE la demande du Bénéficiaire quant aux points 2 et 3, MAINTIENT la décision de l’Administrateur du 1er février 2017 quant à ces points Et RÉSERVE le droit du Bénéficiaire, à supposer qu’il ait un recours fondé, de porter devant les tribunaux de droit commun, sa prétention quant à ces points ainsi que de rechercher les correctifs qu’il réclame contre toute personne autre que l’Administrateur, sujet aux règles de droit commun et de la prescription civile;

 

[35]    ORDONNE au Bénéficiaire à payer au CCAC la somme de $50.00 pour sa part des frais d’arbitrage.

 

[36]    ORDONNE à l'Administrateur du Plan de Garantie à payer les frais d'arbitrage encourus dans le présent dossier moins la somme de $50.00.

Montréal, le 25 mai 2017

__________________________

Me ROLAND-YVES GAGNÉ

Arbitre / CCAC

 

Autorités citées ou soumises :

 

Consortium M.R. Canada Ltée c. Office municipal d’habitation de Montréal 12 juillet 2013, 2013 QCCA 1211.

 

Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. c. MYL, 2011 QCCA 56.

 

La Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ Inc. c. Maryse Desindes et Yvan Larochelle, et René Blanchet mise en cause 2004 CanLII 47872 (QC C.A.).

 

Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. c. Dupuis 2007 QCCS 4701, hon. juge Michèle Monast.

 

Nazco et Milian c. 9181-5712 Québec Inc. et Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ CCAC S16-011902-NP, 8 avril 2016, MRoland-Yves Gagné, arbitre.

3093-2313 Québec c. Létourneau et Bouchard et la Garantie des maisons neuves de l’APCHQ CCAC S15-022401-NP, Décision rectifiée du 12 novembre 2015, Me Roland-Yves Gagné, arbitre.

Syndicat des Copropriétaires Lot 3 977 437 c. Gestion Mikalin et La Garantie Abritat GAMM 2013-15-011, 24 avril 2015, Jean Morissette, arbitre.

 

Abdellatif Bensari c. Les Constructions M.C. et La Garantie Qualité Habitation, SORECONI 100508001, 26 novembre 2010, Me Roland-Yves Gagné, arbitre.

 

Abderrahim Moustaine et al. c. Brunelle Entrepreneur Inc. et La Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de L’APCHQ, Soreconi 070424001 du 9 mai 2008, Me Jean Philippe Ewart, arbitre.

 

Jean-Louis Baudouin, La prescription civile, 7e édition, 2007, Éditions Yvon Blais, Cowansville p. 1219, I-1447.

 

Domaine c. Construction Robert Garceau Inc. et la Garantie Qualité Habitation, CCAC S13-091201-NP, 16 juillet 2014, Me Michel A. Jeanniot, arbitre.

 

Garantie habitation du Québec inc. c. Lebire J.E. 2002-1514 (Hon. Juge Jacques Dufresne).

 

Garantie des bâtiments résidentiles neufs de l’APCHQ Inc. c. Décarie 2006 QCCS 907 (Hon. Juge Gilles Hébert).

 

Kwok et Tang c. 9181-5712 Québec et La Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ CCAC S14-080101-NP, 5 octobre 2015, Me Tibor Holländer, arbitre.

 

Castonguay et al et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ et Construction Serge Rheault Inc. GAMM 2011-12-009, 6 octobre 2011, Me Johanne Despatis, arbitre.

 

Garantie d'habitation du Québec c. Jeanniot 2009 QCCS 909 (Johanne Mainville, juge).

Valérie Hamelin c. Groupe Sylvain Farand  inc. C La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc CCAC S13-121002-NP, 26 avril 2014, Me Jean Robert Leblanc, arbitre.

 

Sucila Chinniyan Shanmuganathan et al c. Saint-Luc Habitation Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. CCAC S10-240201-NP, 18 juin 2010, Me Albert Zoltowski, arbitre.

 

Carl Michel c. 9104-2523 Québec Inc. et la Garantie Abritat GAMM 2015-06-001, 2 juin 2015, Jean Doyle, arbitre.

 

 

 

 

 



[1] 12 juillet 2013, Cour d’appel, 2013 QCCA 1211 Renvoi [5] : Voir art. 3, 4, 5, 18, 105, 139 et 140 du Règlement.

[2] 2011 QCCA 56.

[3] AZ-50285725, 15 décembre 2004, J.E. 2005-132 (C.A.).

[4] 2007 QCCS 4701, 26 octobre 2007, Michèle Monast, juge.

[5] CCAC S16-011902-NP, 8 avril 2016, MRoland-Yves Gagné, arbitre, paragraphes [128] et seq.

[6] CCAC S15-022401-NP Décision rectifiée du 12 novembre 2015, Me Roland-Yves Gagné, arbitre, paragraphes [446] à [467]; voir aussi, au même effet, Syndicat des Copropriétaires Lot 3 977 437 c. Gestion Mikalin et La Garantie Abritat GAMM 2013-15-011, 24 avril 2015, Jean Morissette, arbitre.

[7] Z_Factures, pièce B-5.

[8] Z_Factures, pièce B-5.

[9] Courriel fichier 22-10-14, pièce B-5.

[10] Courriel fichier 04-26-15, pièce B-5.

[11] Courriel fichier 26-05-15, pièce B-5.

[12] Z_Factures, pièce B-5.

[13] Pièce A-4.

[14] Soreconi 100508001, 26 novembre 2010, Me Roland-Yves Gagné, arbitre.

[15] La prescription civile, 7e édition, 2007, Éditions Yvon Blais, Cowansville, p. 1219, I-1447.

[16] CCAC S13-091201-NP, 16 juillet 2014, Me Michel A. Jeanniot, arbitre.

[17] Voir, par exemple, Garantie habitation du Québec inc. c. Lebire J.E. 2002-1514 (Hon. juge Jacques Dufresne) : 97. L'article 116 du Règlement est une autre manifestation de la volonté du législateur d'accorder une grande latitude à l'Arbitre appelé à décider d'un différend : «Un arbitre statue conformément aux règles de droit ; il fait aussi appel à l'équité lorsque les circonstances le justifient.»
98. Il n'est pas fréquent de retrouver une disposition expresse autorisant un décideur à faire appel à l'équité. Cette mention est significative d'une volonté de mettre en place, au bénéfice des parties visées par le Règlement, un mécanisme de règlement des différends qui soit efficace. ;
Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. c. Décarie 2006 QCCS 907 (Hon. juge Gilles Hébert) : [26] En équité et à l'égard de Charles qui s'est toujours conformé aux directives de l'APCHQ, l'arbitre juge bon de rappeler à la Garantie que l'entrepreneur a souscrit un engagement qui a causé problème et qui peut encore causer problème et il rappelle à la Garantie son devoir moral d'intervenir. [27] Le but de la Loi sur le bâtiment et du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs est d'assurer que l'acquéreur d'une maison neuve auprès d'un entrepreneur faisant partie de l'APCHQ a une assurance que la maison neuve sera en bon état. Il serait naïf de croire que le prix de vente établi par un entrepreneur ne tient pas compte des coûts reliés au contrat de Garantie. [28] Le tribunal conclut que l'arbitre a exercé une certaine discrétion en faisant appel à l'équité comme la loi le lui permet et il n'a pas excédé sa juridiction.

[18] CCAC S14-080101-NP, 5 octobre 2015, Me Tibor Holländer, arbitre.

[19] GAMM 2011-12-009, 6 octobre 2011, Me Johanne Despatis, arbitre.

[20] B-1.1

[21] 2009 QCCS 909 (Hon. Johanne Mainville, J.C.S.).

[22] CCAC S13-121002-NP, 26 avril 2014.