Décision

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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Telus Communications Inc. c. Fédération canadienne des municipalités, 2025 CSC 15

 

 

Appel entendu : 16 octobre 2024

Jugement rendu  : 25 avril 2025

Dossier : 40776

 

Entre :

 

Telus Communications Inc., Québecor Média inc.,

Vidéotron ltée et Rogers Communications Canada Inc.

Appelantes

 

et

 

Fédération canadienne des municipalités,

Bell Mobilité Inc., Électricité Canada et

Sa Majesté le Roi du chef de la province de la Colombie-Britannique

Intimés

 

- et -

 

Procureur général du Québec,

Association canadienne des télécommunications,

Conseil canadien des affaires et Chambre de commerce du Canada

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 87)

La juge Moreau (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Rowe, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin)

 

 

Motifs dissidents :

(par. 88 à 173)

La juge Côté (avec l’accord de la juge Martin)

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 


Telus Communications Inc.,

Québecor Média inc.,

Vidéotron ltée et

Rogers Communications Canada Inc. Appelantes

c.

Fédération canadienne des municipalités,

Bell Mobilité Inc., Électricité Canada et

Sa Majesté le Roi du chef de la province de la Colombie-Britannique Intimés

et

Procureur général du Québec,

Association canadienne des télécommunications,

Conseil canadien des affaires et

Chambre de commerce du Canada Intervenants

Répertorié : Telus Communications Inc. c. Fédération canadienne des municipalités

2025 CSC 15

No du greffe : 40776.

2024 : 16 octobre; 2025 : 25 avril.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau.

en appel de la cour d’appel fédérale

 Droit des communications — Télécommunications — Accès aux lignes de transmission dans un lieu public — Installation d’antennes petite cellule 5G — Régime d’accès dans une loi fédérale sur les télécommunications accordant aux entreprises de télécommunication un droit limité d’accès aux lignes de transmission situées dans un lieu public moyennant le consentement de l’administration publique compétente — CRTC habilité à déterminer en vertu du régime d’accès les conditions d’accès aux lignes de transmission lorsqu’une entreprise ne peut obtenir le consentement de l’administration publique selon des conditions qui lui sont acceptables — Le terme « ligne de transmission » dans le régime d’accès visetil les antennes petite cellule 5G? — Le CRTC atil compétence pour réglementer l’accès des entreprises à un lieu public aux fins d’installation d’antennes petite cellule 5G? — Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, c. 38, art. 43, 44.

 En 2019, le CRTC a publié un avis de consultation dans le but d’amorcer un examen général des services sans fil mobiles et du cadre réglementaire connexe. La réduction des obstacles au déploiement de l’infrastructure des services sans fil mobiles, y compris l’infrastructure 5G, était un thème de cette consultation. Divers participants, notamment plusieurs entreprises de télécommunication, ont fourni des commentaires sur les questions relatives à l’obtention de l’accès à différents types d’infrastructure afin de déployer des réseaux sans fil mobiles. En vertu des art. 43 et 44 de la Loi sur les télécommunications Loi »), dispositions qu’on appelle le « régime d’accès », les entreprises de télécommunication disposent d’un droit limité d’accès pour construire, entretenir et exploiter leurs lignes de transmission situées dans un lieu public, et le CRTC est habilité à fixer les conditions d’accès applicables lorsqu’une entreprise ne peut obtenir le consentement de l’administration publique compétente pour accéder à ses lignes de transmission selon des conditions qui lui sont acceptables. La consultation a soulevé la question de savoir si le pouvoir qu’a le CRTC de réglementer l’accès des entreprises à un lieu public en vertu du régime d’accès s’étendait à l’installation d’antennes petite cellule 5G. Alors que les réseaux sans fil mobiles de la génération précédente ont fonctionné à l’aide d’environ 13 000 tours d’antennes grande cellule dans tout le Canada pour transmettre de l’information de leurs réseaux filaires aux appareils des usagers, les réseaux 5G font appel à des antennes petite cellule à faible puissance. Vu leur courte portée, on prévoit qu’il faudra de 250 000 à 300 000 antennes petite cellule pour offrir une connectivité 5G complète au Canada. Étant donné que les antennes petite cellule 5G sont fixées sur des structures comme des poteaux de téléphone, des lampadaires, des abribus ou des édifices, dont bon nombre se trouvent dans des lieux publics appartenant à une municipalité, le déploiement de l’infrastructure 5G à travers le Canada obligera les entreprises à se rendre dans des lieux publics pour installer, entretenir et exploiter des antennes petite cellule 5G.

 Le CRTC a interprété le sens du terme « ligne de transmission » utilisé aux art. 43 et 44 de la Loi et a conclu qu’il n’avait pas compétence en vertu du régime d’accès pour trancher des différends en matière d’accès aux antennes petite cellule 5G situées dans des lieux publics. De l’avis du CRTC, « ligne de transmission » n’englobait pas les antennes petite cellule 5G ou une infrastructure sans fil, et ce, pour deux raisons. Premièrement, le sens ordinaire du terme « ligne de transmission » et le contexte de la Loi démontrent que le Parlement entendait que ce terme désigne uniquement l’infrastructure filaire. Deuxièmement, une interprétation étroite de « ligne de transmission » reconnaît de façon appropriée le régime législatif plus large adopté par le Parlement, y compris le régime législatif de la Loi sur la radiocommunication, qui y est étroitement lié, et qui confère au ministre de l’Industrie le pouvoir d’approuver les sites d’implantation de systèmes d’antennes. Une entreprise a interjeté appel de la décision du CRTC à la Cour d’appel fédérale, qui a confirmé l’interprétation donnée par le CRTC à « ligne de transmission ».

 Arrêt (les juges Côté et Martin sont dissidentes) : Le pourvoi est rejeté.

 Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Rowe, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau : Le CRTC a eu raison de conclure qu’il n’a pas compétence en vertu du régime d’accès pour trancher des différends en matière d’accès aux antennes petite cellule 5G situées dans des lieux publics. Le terme « ligne de transmission » s’entend seulement de l’infrastructure filaire. Le sens ordinaire de « ligne de transmission » ainsi que le texte des art. 43 et 44 de la Loi ont une forte connotation physique et linéaire qui s’applique facilement à l’infrastructure filaire comme des fils ou des câbles, mais non aux antennes. De même, le contexte plus large de la Loi, y compris les autres termes définis et l’historique législatif de la Loi, étaye l’interprétation plus étroite. Affirmer que le Parlement voulait que le terme s’étende aux antennes irait à l’encontre du texte, du contexte et de l’objet des art. 43 et 44 de la Loi. Il faut respecter la manière dont le Parlement concilie les intérêts des entreprises et ceux des administrations publiques.

 Conformément à la méthode moderne d’interprétation législative, le sens d’une disposition législative est établi en fonction de son texte, de son contexte et de son objet. L’interprétation législative est axée sur l’intention qu’avait le législateur au moment de l’édiction de la loi, et les tribunaux sont tenus de donner effet à cette intention. Cependant, ce principe n’empêche pas les tribunaux d’appliquer les lois à des circonstances nouvelles ou en évolution. Les législateurs se servent fréquemment de mots généraux ou ayant une acception large pour traiter de circonstances qui ne sont ni existantes ni envisagées, afin de faire en sorte que les objectifs à long terme d’un texte de loi puissent être réalisés sans qu’il soit nécessaire de le modifier constamment. Bien compris, il n’y a aucune contradiction entre le principe selon lequel l’opération d’interprétation repose sur l’intention du législateur qui a adopté le texte de loi et celui selon lequel les lois peuvent être appliquées à des circonstances que n’avait pas envisagées le législateur. L’interprétation dynamique est fermement implantée dans la méthode moderne d’interprétation législative. Il n’existe pas de ligne de démarcation nette entre des lois statiques et des lois dynamiques. La mesure dans laquelle une disposition peut s’appliquer à de nouvelles circonstances, y compris de nouvelles technologies, est une question d’interprétation à laquelle il faut répondre en examinant le texte de la loi en contexte et conformément à l’objectif du législateur.

 Le sens ordinaire de « ligne de transmission » aux art. 43 et 44 de la Loi tend à indiquer que le Parlement entendait que ce terme englobe seulement l’infrastructure filaire. La plupart des définitions du mot « ligne » dans les dictionnaires désignent une voie physique et tangible, et le jumelage de ce mot avec le mot « transmission » lui donne une forte connotation physique. Les lignes physiques peuvent utiliser différentes technologies, par exemple des câbles coaxiaux ou des câbles de fibres optiques, et tout de même concorder aisément avec le sens ordinaire de « ligne de transmission ». Mais les antennes ne cadrent pas naturellement avec ce sens ordinaire parce qu’elles transmettent l’information au moyen d’ondes électromagnétiques dans l’espace sans guide artificiel, et non le long de voies physiques. Une antenne ne saurait être couramment décrite comme une ligne de transmission même si elle doit naturellement être rattachée à une telle ligne. Le sens ordinaire de « ligne de transmission » étaye une interprétation étroite de ce terme et, par conséquent, une application étroite du régime d’accès.

 Le contexte immédiat du terme « ligne de transmission » aux art. 43 et 44 étaye l’idée qu’une « ligne de transmission » est une voie linéaire physique. L’article 43 parle de l’accès à un lieu et de travaux de creusage pour la construction de lignes de transmission sur une voie publique ou dans tout autre lieu public — ou audessus, audessous ou aux abords de ceuxci. L’alinéa 44a) renvoie au fait d’enfouir des lignes de transmission ou d’en modifier l’emplacement, et l’art. 45 traite de travaux de drainage ou de canalisation sur une ligne de transmission, ou audessus, audessous ou aux abords de cette ligne de transmission. Les dispositions dans leur ensemble évoquent des activités linéaires physiques. Les antennes ne peuvent être enfouies audessous d’un lieu public ou suivre un tracé aux abords de celuici, et elles ne suivent pas un « tracé » qui peut être modifié. La transmission d’information à partir d’antennes est tout aussi incompatible avec l’emploi du terme « ligne de transmission » aux art. 43 et 44. Les ondes radio ne suivent pas une trajectoire définie. Elles émanent d’antennes et se propagent dans de multiples directions. Elles ne sont ni enfouies, ni construites, et ne nécessitent pas non plus de travaux de creusage sur un lieu public. Un signal transmis par une antenne ne peut « suivre un tracé » sur un lieu public — ou audessus, audessous ou aux abords de celuici — et ne nécessite pas non plus de règles d’origine législative pour assurer l’accès aux fins d’installation, d’exploitation ou d’entretien.

 En ce qui concerne le contexte plus large, d’autres termes de la Loi sont définis de manière large pour englober essentiellement toute forme de télécommunication. Le Parlement est présumé avoir choisi d’utiliser des termes différents dans le but d’indiquer un sens différent. Il était loisible au Parlement d’utiliser « installation de transmission », un terme qui est défini au par. 2(1) et qui comprend l’infrastructure sans fil comme les antennes, dans les dispositions de la Loi qui régissent l’accès. Le Parlement a utilisé le terme distinct « ligne de transmission », dont le sens ordinaire est fortement associé à une infrastructure filaire, et non à une infrastructure sans fil. L’historique législatif et l’évolution de la Loi montrent en outre que les antennes ou tout autre matériel sans fil n’ont jamais fait partie du régime d’accès. La Loi a été rédigée de manière à éviter que de nouvelles technologies ne viennent contrecarrer son application, mais le Parlement entendait seulement étendre le régime d’accès aux appareils filaires fonctionnellement équivalents aux fils qui étaient visés par l’ancien régime d’accès.

 Les objectifs de la Loi n’exigent pas une interprétation large du terme « ligne de transmission » ou ne justifient pas d’écarter la volonté claire du Parlement d’accorder aux entreprises un droit d’accès restreint à leur infrastructure filaire seulement. Des objectifs de politique d’intérêt général ne peuvent à eux seuls donner au CRTC compétence sur une matière en particulier. Le grand objectif énoncé à l’al. 7a) de la Loi qui consiste à favoriser le développement ordonné des télécommunications n’exige pas que la Loi reçoive l’interprétation la plus favorable aux entreprises de télécommunication. D’importants objectifs de politique d’intérêt général opposés militent en faveur du traitement différent du matériel filaire et du matériel sans fil dans un réseau. La procédure d’installation d’antennes, instituée en vertu de l’art. 5 de la Loi sur la radiocommunication, indique que le Parlement est conscient des impacts particuliers qu’ont les antennes sur les collectivités et des risques associés à leur déploiement. De même, les structures municipales ne sont peutêtre pas conçues pour supporter des antennes petite cellule 5G, et les collectivités peuvent avoir des préoccupations esthétiques ou environnementales particulières en ce qui concerne l’emplacement d’une antenne. Par conséquent, le Parlement entendait que l’accès à ces lieux fasse l’objet de négociations de bonne foi entre les entreprises et les administrations publiques compétentes.

 L’objet du régime d’accès et les droits qu’il accorde ne sont pas contrecarrés par une interprétation de « ligne de transmission » qui est neutre sur le plan technologique en ce qui concerne l’infrastructure filaire, mais qui exclut d’autres technologies comme les antennes. Un régime d’accès qui s’applique au matériel filaire d’un réseau de télécommunications sans fil mobile mais non au matériel sans fil ne constitue pas le régime le plus favorable au déploiement de l’infrastructure 5G des entreprises, mais cela ne signifie pas que l’interprétation plus étroite mène à un résultat absurde; cette interprétation n’est pas déraisonnable, illogique ou incompatible avec les autres dispositions de la Loi; elle ne va pas à l’encontre de l’objet de la Loi ni ne rend telle ou telle partie de la Loi inutile ou futile.

 Les juges Côté et Martin (dissidentes) : Le pourvoi devrait être accueilli. Il y a désaccord avec les juges majoritaires quant à leur conclusion que l’installation de petites cellules 5G ne relève pas du champ d’application du régime d’accès prévu par la Loi. Interprétée correctement, l’expression « ligne de transmission » inclut les petites cellules 5G. Il s’agit d’une interprétation qui s’accorde avec le texte ainsi qu’avec le sens ordinaire et grammatical de l’expression « ligne de transmission ». Il s’agit également de la seule interprétation qui permet à la Loi et à la Loi sur la radiocommunication de s’appliquer ensemble efficacement, comme le voulait le Parlement, et qui correspond au désir de neutralité technologique du Parlement et le respecte, compte tenu de l’évolution rapide des technologies.

 La méthode moderne d’interprétation législative requiert un examen du texte des dispositions en cause. En l’absence d’une définition législative de « ligne de transmission », l’analyse s’attarde au sens ordinaire et grammatical du texte. Une façon d’interpréter l’expression « ligne de transmission » consiste à conclure qu’elle désigne une ligne physique, ce qui implique une voie physique et tangible. À supposer que cette interprétation étroite est la bonne, cette définition de « ligne de transmission » inclut nécessairement les petites cellules 5G, lesquelles se rattachent aux lignes de transmission existantes et les prolongent. Les petites cellules 5G sont fixées à des structures telles que des poteaux téléphoniques, des lampadaires et des immeubles, et elles sont raccordées aux réseaux de transport filaire existants des entreprises pour former un réseau de télécommunications unique et intégré. Les composantes filaires des réseaux de petites cellules sont incontestablement des lignes de transmission, même si l’expression est interprétée comme visant uniquement des lignes physiques ou filaires.

 Toutefois, le sens ordinaire des mots peut aussi appuyer une interprétation plus large qui n’exige pas de connexion physique. D’autres éléments du sens ordinaire et grammatical militent en faveur d’une interprétation des art. 43 et 44 de la Loi qui comprend les petites cellules 5G. La transmission dans ce contexte s’entend de la transmission d’information, par opposition, par exemple, à la transmission d’électricité. La notion d’information est définie de façon large au par. 2(1) de la Loi et s’entend de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de renseignements de toute nature. Bien qu’il soit vrai que, dans le cas des utilisateurs de téléphones cellulaires, aucune ligne de connexion physique ne relie les antennes à leurs téléphones, des tribunaux ont mentionné que la transmission de signaux radio entre des tours cellulaires et des téléphones cellulaires se fait le long d’une « ligne de diffusion ». Ces mentions d’une « ligne » de diffusion sans connexion filaire suggèrent qu’il existe une transmission linéaire de télécommunications entre deux points. L’interprétation plus large qui englobe les connexions sans fil concorde également avec un usage courant du mot « ligne » dans un contexte technologique. Il est possible de dire qu’un appareil est « en ligne » pour indiquer qu’il est connecté à Internet. Mais cette connexion n’est pas toujours filaire. En ce sens, une meilleure façon de décrire une ligne de transmission est de dire qu’il s’agit d’une connexion qui transmet de l’information entre deux points.

 De plus, tant le contexte externe — la relation entre la Loi et la Loi sur la radiocommunication — que le contexte interne — l’emplacement de l’art. 43 dans la Loi — s’accordent avec une interprétation plus large de « ligne de transmission » qui inclut le matériel sans fil. Premièrement, le Parlement a édicté deux lois pour régir l’accès aux antennes et leur emplacement, respectivement, dans la Loi et la Loi sur la radiocommunication. Ces deux lois ont évolué de manière concomitante et font partie du même régime législatif. Comme elles fonctionnent en tandem, elles tendent à indiquer que, dans le processus de sélection des emplacements de petites cellules 5G, le CRTC a le pouvoir d’accorder l’accès à un emplacement lorsqu’une entreprise et la municipalité ou l’autre administration publique concernée n’arrivent pas à s’entendre. Bien que la Loi sur la radiocommunication ne comporte pas de régime d’accès comparable à celui de la Loi, son al. 5(1)f) confère au Ministre le pouvoir d’approuver chaque emplacement où peuvent se trouver des appareils radio, y compris des systèmes d’antennes, et d’approuver l’érection de structures de soutien des antennes. Le pouvoir du Ministre d’approuver un emplacement n’emporte pas celui d’autoriser l’accès à un lieu en particulier. L’autorisation ministérielle d’installer une antenne à un emplacement en vertu de la Loi sur la radiocommunication est accordée uniquement après que l’accès à cet emplacement a fait l’objet de négociations. Lors du processus de sélection d’un emplacement pour la structure à laquelle sera raccordée une petite cellule 5G, le CRTC a le pouvoir d’y donner accès même lorsque l’entreprise et la municipalité ou l’administration publique n’arrivent pas à s’entendre. Une fois cet accès accordé, l’entreprise sollicitera ensuite l’autorisation du Ministre. Les deux lois n’engendrent aucun conflit; il s’agit d’un régime cohérent.

 Deuxièmement, le contexte interne de la Loi indique lui aussi que les petites cellules 5G sont visées par les mots « ligne de transmission ». La présomption d’uniformité d’expression — qui prévoit que des termes différents dans un même texte législatif doivent être considérés comme ayant un sens différent — est appliquée non pas comme une règle, mais plutôt comme une supposition qui tire sa force du contexte. En l’espèce, la présomption employée pour distinguer les expressions « ligne de transmission » et « installation de transmission » est considérablement affaiblie en raison des objets et historiques législatifs distincts de ces deux expressions. Ces expressions se rattachent à des régimes distincts dans la Loi : l’expression « ligne de transmission » se rattache au régime d’accès établi par les art. 43 à 45, tandis que l’expression « installation de transmission » est employée à l’art. 16, la disposition concernant l’exigence de propriété et de contrôle canadiens. En outre, le fait que les art. 43 à 45 de la Loi accordent aux entreprises le pouvoir d’apporter des modifications physiques à un bienfonds pour effectuer l’installation de technologie filaire n’a aucune importance. Même s’il existait une définition de « ligne de transmission » visant expressément les antennes, ces dispositions seraient nécessaires pour la réalisation des connexions filaires. Cela n’empêche pas l’installation d’infrastructures ne nécessitant pas de creusage du sol. Une entreprise a quand même besoin d’avoir accès au lieu pour y installer des petites cellules 5G, lesquelles peuvent toujours être installées sur une infrastructure existante.

 L’interprétation dynamique, c’estàdire une interprétation qui n’est pas figée dans le temps et qui peut évoluer avec la technologie, doit être considérée pour examiner l’objet de la Loi. Les objectifs généraux de la Loi énoncés à l’art. 7 —notamment favoriser le développement ordonné des télécommunications partout au Canada en un système, permettre l’accès aux Canadiens à des services de télécommunication sûrs, abordables et de qualité, accroître l’efficacité et la compétitivité des télécommunications canadiennes, assurer l’efficacité de la réglementation dans le cas où celleci est nécessaire et satisfaire les exigences économiques et sociales des usagers des services de télécommunication — reflètent une approche dynamique. Ces objectifs d’intérêt général ne fondent pas à eux seuls la juridiction du CRTC — ils éclairent plutôt sur la façon dont le régime d’accès doit être interprété. Une interprétation de « ligne de transmission » qui enlève aux entreprises un droit de recours prévu par le régime d’accès établi par la Loi va à l’encontre de ces objectifs. Le Parlement a intégré dans la Loi un engagement envers la neutralité technologique en employant les mots « ligne de transmission » et sa décision de ne pas définir « ligne de transmission » est un facteur indiquant que le caractère ouvert de l’expression a été maintenu pour qu’elle puisse évoluer. Conformément au principe de la neutralité technologique, puisque les réseaux 5G transmettent exactement les mêmes télécommunications et remplissent exactement la même fonction que les réseaux composés de câbles ou fils physiques, ils sont fonctionnellement équivalents et devraient recevoir le même traitement en vertu de la loi.

Jurisprudence

Citée par la juge Moreau

 Arrêts mentionnés : Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010-167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010-168, 2012 CSC 68, [2012] 3 R.C.S. 489; Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, 2003 CSC 28, [2003] 1 R.C.S. 476; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; R. c. Basque, 2023 CSC 18; Auer c. Auer, 2024 CSC 36; Piekut c. Canada (Revenu national), 2025 CSC 13; Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295; États-Unis d’Amérique c. Dynar, [1997] 2 R.C.S. 462; R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402; R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575; R. (Quintavalle) c. Secretary of State for Health, [2003] UKHL 13, [2003] 2 A.C. 687; Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724; Rogers Communications Inc. c. Voltage Pictures, LLC, 2018 CSC 38, [2018] 2 R.C.S. 643; R. c. Khill, 2021 CSC 37, [2021] 2 R.C.S. 948; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Utilities Commission), 2015 CSC 45, [2015] 3 R.C.S. 219; R. c. Steele, 2014 CSC 61, [2014] 3 R.C.S. 138; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Edmonton (Ville) c. 360Networks Canada Ltd., 2007 CAF 106, [2007] 4 R.C.F. 747; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30, [2022] 2 R.C.S. 303; R. c. Breault, 2023 CSC 9; TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144; John c. Ballingall, 2017 ONCA 579, 136 O.R. (3d) 305; Wang c. British Columbia (Securities Commission), 2023 BCCA 101, 480 D.L.R. (4th) 1; Société Radio-Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615; Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31; Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97; Rogers Communications Inc. c. Châteauguay (Ville), 2016 CSC 23, [2016] 1 R.C.S. 467; Calgary (City) c. Bell Canada Inc., 2020 ABCA 211, 7 Alta. L.R. (7th) 1; La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22.

Citée par la juge Côté (dissidente)

 Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010-167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010-168, 2012 CSC 68, [2012] 3 R.C.S. 489; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, 2003 CSC 28, [2003] 1 R.C.S. 476; La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22; R. c. Gordon, 2015 ONSC 1192; R. c. Kanagasivam, 2016 ONSC 1993; R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867; Rogers Communications Inc. c. Châteauguay (Ville), 2016 CSC 23, [2016] 1 R.C.S. 467; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; R. c. Steele, 2014 CSC 61, [2014] 3 R.C.S. 138; Edmonton (Ville) c. 360Networks Canada Ltd., 2007 CAF 106, [2007] 4 R.C.F. 747; Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 R.C.S. 231; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30, [2022] 2 R.C.S. 303.

Lois et règlements cités

Acte des chemins de fer, 1903, S.C. 1903, c. 58, art. 195.

Code criminel, L.R.C. 1985, c. C46.

Décret donnant au CRTC des instructions relativement à la mise en œuvre de la politique canadienne de télécommunication, DORS/2006355, art. 1b)(iv).

Décret donnant au CRTC des instructions relativement à la mise en œuvre de la politique canadienne de télécommunication pour promouvoir la concurrence, l’abordabilité, les intérêts des consommateurs et l’innovation, DORS/2019227, art. 1a)(vi).

Décret donnant au CRTC des instructions sur une approche renouvelée de la politique de télécommunication, DORS/202323, art. 2f), 18b).

Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(29), 92(10)a).

Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I21, art. 10.

Loi sur la radiocommunication, L.R.C. 1985, c. R2, art. 2 « radiocommunication », 5.

Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, c. 11.

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, c. C42, art. 3(1).

Loi sur les chemins de fer, L.R.C. 1985, c. R3, art. 2(1) « télégraphe », 327, 329(1), (2) à (4).

Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, c. 38, art. 2(1) « entreprise de télécommunication », « information », « installation de télécommunication », « installation de transmission », « service de télécommunication », « télécommunication », 5, 7, partie II, 16, 42, 43 à 45, 46, 47, 48, 64(1).

Projet de loi C62, Loi concernant les télécommunications, 3e sess., 34e lég., 1992.

Doctrine et autres documents cités

Butler, Dale. « Implications of the New Telecommunications Act », dans Insight Information Inc., Profiting from Canada’s Telecommunications Act, Toronto, Insight Press, 1993, Article III.

Canada. Chambre des communes. Souscomité sur le projet de loi C62 du Comité permanent des communications et de la culture. Procès-verbaux et témoignages du Souscomité sur le projet de loi C62 du Comité permanent des communications et de la culture, no 2, 3e sess., 34e lég., 27 avril 1993, p. 1419.

Canada. Chambre des communes. Souscomité sur le projet de loi C62 du Comité permanent des communications et de la culture. Procès-verbaux et témoignages du Sous-comité sur le projet de loi C62 du Comité permanent des communications et de la culture, no 8, 3e sess., 34e lég., 11 mai 1993, p. 16.

Canada. Chambre des communes. Souscomité sur le projet de loi C62 du Comité permanent des communications et de la culture. Procès-verbaux et témoignages du Sous-comité sur le projet de loi C62 du Comité permanent des communications et de la culture, no 10, 3e sess., 34e lég., 13 mai 1993, p. 4246.

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 POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges de Montigny, Locke et LeBlanc), 2023 CAF 79, 16 Admin. L.R. (7th) 89, 41 M.P.L.R. (6th) 76, 480 D.L.R. (4th) 709, [2023] A.C.F. no 498 (Lexis), 2023 CarswellNat 1013 (WL), qui a confirmé une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, Politique réglementaire de télécom CRTC 2021130, 15 avril 2021 (en ligne : https://crtc.gc.ca/fra/archive/2021/2021-130.pdf). Pourvoi rejeté, les juges Côté et Martin sont dissidentes.

 Ewa Krajewska, Michael Ryan, Alex Smith et Brandon Chung, pour l’appelante Telus Communications Inc.

 Eric Bédard et Joshua Bouzaglou, pour les appelantes Québecor Média inc. et Vidéotron ltée.

 Gerald (Jay) KerrWilson et Leslie J. Milton, pour l’appelante Rogers Communications Canada Inc.

 Stéphane ÉmardChabot, Patrice Gladu et John Mark Keyes, pour l’intimée la Fédération canadienne des municipalités.

 Brandon Kain et Adam Goldenberg, pour l’intimée Bell Mobilité Inc.

 Peter Ruby et Michael Wilson, pour l’intimée Électricité Canada.

 Freya Zaltz et Lorne Lachance, pour l’intimé Sa Majesté le Roi du chef de la province de la ColombieBritannique.

 Étienne Cloutier et Frédéric Perreault, pour l’intervenant le procureur général du Québec.

 Paul Daly, pour l’intervenante l’Association canadienne des télécommunications.

 Catherine Beagan Flood et Spencer Livingstone, pour l’intervenant le Conseil canadien des affaires.

 Andrew Bernstein, Jeremy Opolsky, J. Toshach Weyman et Kylie de Chastelain, pour l’intervenante la Chambre de commerce du Canada.

 Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Rowe, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau rendu par


 La juge Moreau —

  1.                Aperçu
  1.                               Le présent pourvoi porte sur l’interprétation qu’il convient de donner au terme « ligne de transmission » qui figure aux art. 43 et 44 de la Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, c. 38 (« Loi »). On appelle ces dispositions le « régime d’accès ». Elles accordent aux entreprises de télécommunication un droit limité d’accès pour construire, entretenir et exploiter leurs lignes de transmission situées dans un lieu public. Lorsqu’une entreprise ne peut obtenir le consentement de l’administration publique compétente pour accéder à ses lignes de transmission selon des modalités qui lui sont acceptables, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (« CRTC ») est habilité à fixer les modalités d’accès applicables.
  2.                               Les entreprises de télécommunication appelantes — Telus Communications Inc., Québecor Média Inc., Vidéotron ltée et Rogers Communications Canada Inc. (collectivement les « entreprises ») — demandent à notre Cour de dévier de l’interprétation adoptée par la Cour d’appel fédérale et le CRTC qui limite le sens du terme « ligne de transmission » à l’infrastructure filaire. Elles demandent à notre Cour de déclarer plutôt que « ligne de transmission » peut englober les antennes « petite cellule » utilisées dans les nouveaux réseaux sans fil mobiles de cinquième génération (« 5G »). À l’appui de leur thèse, elles invitent notre Cour à considérer le rôle de l’interprétation dynamique et de la neutralité technologique dans l’interprétation de la Loi et, de façon plus générale, dans la méthode moderne d’interprétation des lois.
  3.                               Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Le terme « ligne de transmission » s’entend seulement de l’infrastructure filaire. Affirmer que le Parlement voulait que le terme s’étende aux antennes irait à l’encontre du texte, du contexte et de l’objet des art. 43 et 44 de la Loi. Le sens ordinaire de « ligne de transmission » ainsi que le texte des art. 43 et 44 ont une forte connotation physique et linéaire qui s’applique facilement à l’infrastructure filaire comme des fils ou des câbles, mais non aux antennes. De même, le contexte plus large de la Loi, y compris les autres termes définis et l’historique législatif de la Loi, étaye l’interprétation plus étroite. Les objectifs de politique d’intérêt général énoncés à l’art. 7 de la Loi n’exigent pas l’interprétation de « ligne de transmission » la plus favorable aux entreprises. Il faut respecter la manière dont le Parlement concilie les intérêts des entreprises et ceux des administrations publiques. L’interprétation plus étroite n’entraîne pas de conséquences absurdes et ne pose aucun problème sur le plan du fédéralisme, contrairement à ce qu’ont prétendu les entreprises.
  4.                               Ultimement, le présent pourvoi ne porte pas sur la question de savoir si les services sans fil sont importants pour les Canadiens et les Canadiennes, ni sur celle de savoir si la Loi tend de façon générale à la neutralité technologique. Personne ne contesterait sérieusement ces points. Le pourvoi vise plutôt à déterminer quelle est la portée du pouvoir que la Loi confère au CRTC. Comme l’a luimême reconnu le CRTC dans les procédures devant lui, l’interprétation des entreprises outrepasserait les limites, fondées sur des principes, qui sont inhérentes au régime d’accès.
  5.                               Pour ces motifs, le CRTC a eu raison de conclure qu’il n’a pas compétence en vertu du régime d’accès pour trancher des différends en matière d’accès aux antennes petite cellule 5G situées dans des lieux publics. Le Parlement entendait que l’accès à ces lieux fasse l’objet de négociations de bonne foi entre les entreprises et les administrations publiques compétentes telles les municipalités. Si un changement législatif est souhaitable en raison de l’évolution de considérations d’intérêt général, c’est le rôle du Parlement d’apporter un tel changement.
  1.             Contexte
    1.             La technologie
  1.                               Les entreprises canadiennes de télécommunication sont en pleine mise à niveau de leurs réseaux sans fil mobiles 5G, que le CRTC a décrite en 2019 comme une « transformation majeure » dans les télécommunications canadiennes (Avis de consultation de télécom CRTC 201957, 28 février 2019 (en ligne), par. 18). Les réseaux 5G offrent une connectivité plus rapide et une meilleure capacité de transmission de données qui soutiendront de nouvelles applications, notamment l’« Internet des objets » (Politique réglementaire de télécom CRTC 2021130, 15 avril 2021 (en ligne) (« Décision du CRTC »), par. 2). À la suite d’un processus de mise aux enchères en 2021 et 2023, les entreprises ont acquis le droit d’utiliser les fréquences radio nécessaires pour une transmission de données avec le 5G en échange de paiements au gouvernement fédéral qui totalisent plus de 11 milliards de dollars.
  2.                               Les réseaux sans fil mobiles de la génération précédente ont fonctionné à l’aide d’environ 13 000 tours d’antennes grande cellule dans tout le Canada pour transmettre de l’information de leurs réseaux filaires aux appareils des usagers. Les réseaux 5G font appel à des antennes petite cellule à faible puissance. Vu leur courte portée, on prévoit qu’il faudra de 250 000 à 300 000 antennes petite cellule pour offrir une connectivité 5G complète au Canada. Bien qu’elles soient beaucoup plus petites que les tours d’antennes grande cellule des générations antérieures, les antennes petite cellule 5G fonctionnent essentiellement de la même façon. Elles transmettent des signaux sans fil dans de multiples directions aux appareils, mais continuent encore de s’appuyer sur l’information transmise par les fils ou les câbles du réseau filaire d’une entreprise. Le réseau sans fil mobile d’une entreprise peut donc être vu comme la combinaison de matériel filaire (p. ex., des câbles de fibres optiques) et de matériel sans fil (p. ex., des antennes petite cellule 5G).
  3.                               Les antennes petite cellule 5G ne constituent habituellement pas des structures autonomes. Elles sont plutôt fixées sur des structures existantes comme des poteaux de téléphone, des lampadaires, des abribus ou des édifices. Bon nombre de ces structures se trouvent dans des lieux publics appartenant à une municipalité. Cela veut dire que le déploiement de l’infrastructure 5G à travers le Canada obligera les entreprises à se rendre dans des lieux publics pour installer, entretenir et exploiter des antennes petite cellule 5G.
    1.             Le régime législatif applicable
  4.                               La Loi fait partie d’un « régime législatif » composé de mesures interreliées régissant les télécommunications au Canada (Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010168, 2012 CSC 68, [2012] 3 R.C.S. 489, par. 34). La Loi concerne les services de télécommunication fournis au public et la réglementation des entreprises. Comme l’a expliqué le juge Gonthier dans Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, 2003 CSC 28, [2003] 1 R.C.S. 476, l’objectif général de la Loi consiste « à promouvoir et à réglementer le développement ordonné au Canada d’une infrastructure de télécommunications fiable, abordable et efficace » (par. 38; voir aussi Loi, art. 7).
  5.                           L’article 43 de la Loi accorde aux entreprises un droit limité d’accès aux voies publiques et aux autres lieux publics pour y effectuer des travaux, notamment de creusage, en vue de construire, d’exploiter ou d’entretenir leurs lignes de transmission avec l’agrément de l’administration publique compétente, souvent une municipalité (par. 43(2) et 43(3)). Lorsqu’une entreprise n’est pas en mesure d’obtenir cet agrément à des conditions qui lui sont acceptables par la négociation, elle peut demander au CRTC d’intervenir et d’établir les modalités d’accès (par. 43(4)). Le CRTC peut également accorder à des personnes la permission d’avoir accès à la structure de soutien d’une ligne de transmission construite dans un lieu public (par. 43(5)). Une municipalité peut demander au CRTC de rendre en vertu de l’art. 44 une ordonnance prohibant une activité qui pourrait autrement être autorisée suivant l’art. 43.
  6.                           Voici le texte intégral des dispositions du régime d’accès :

 43 (1) Au présent article et à l’article 44, entreprise de distribution s’entend au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la radiodiffusion.

 (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4) et de l’article 44, l’entreprise canadienne et l’entreprise de distribution ont accès à toute voie publique ou tout autre lieu public pour la construction, l’exploitation ou l’entretien de leurs lignes de transmission, et peuvent y procéder à des travaux, notamment de creusage, et y demeurer pour la durée nécessaire à ces fins; elles doivent cependant dans tous les cas veiller à éviter toute entrave abusive à la jouissance des lieux par le public.

 (3) Il est interdit à l’entreprise canadienne et à l’entreprise de distribution de construire des lignes de transmission sur une voie publique ou dans tout autre lieu public — ou audessus, audessous ou aux abords de ceuxci — sans l’agrément de l’administration municipale ou autre administration publique compétente.

 (4) Dans le cas où l’administration leur refuse l’agrément ou leur impose des conditions qui leur sont inacceptables, l’entreprise canadienne ou l’entreprise de distribution peuvent demander au Conseil l’autorisation de construire les lignes projetées; celuici peut, compte tenu de la jouissance que d’autres ont des lieux, assortir l’autorisation des conditions qu’il juge indiquées.

 (5) Lorsqu’il ne peut, à des conditions qui lui sont acceptables, avoir accès à la structure de soutien d’une ligne de transmission construite sur une voie publique ou un autre lieu public, le fournisseur de services au public peut demander au Conseil le droit d’y accéder en vue de la fourniture de ces services; le Conseil peut assortir l’autorisation des conditions qu’il juge indiquées.

 44 Sur demande d’une administration municipale ou autre administration publique, le Conseil peut :

 a) soit obliger, aux conditions qu’il fixe, l’entreprise canadienne ou l’entreprise de distribution à enfouir les lignes de transmission qu’elles ont, ou projettent d’avoir, sur le territoire de l’administration en question ou à en modifier l’emplacement;

 b) soit ne leur en permettre la construction, l’exploitation ou l’entretien qu’en exécution de ses instructions.

D’autres dispositions pertinentes de la Loi et de la Loi sur la radiocommunication, L.R.C. 1985, c. R2, sont reproduites en annexe.

  1.                           La Loi sur la radiocommunication fait partie du même régime de mesures interreliées. Elle traite de « l’attribution de fréquences de radiocommunication définies, aux autorisations de posséder et d’utiliser des appareils radio et à la réglementation technique du spectre des radiofréquences » (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 44; voir S. Handa et autres, Communications Law in Canada (feuilles mobiles), § 3.623.65).
  2.                           Bien que les entreprises aient acheté les licences de spectre nécessaires pour transmettre du 5G, ces licences ne leur permettent pas d’installer des antennes petite cellule 5G où bon leur semble. L’alinéa 5(1)f) de la Loi sur la radiocommunication investit le ministre de l’Industrie du pouvoir d’approuver « l’emplacement d’appareils radio, y compris de systèmes d’antennes » (voir Handa et autres, § 3.713.73). En règle générale, dans le cadre du processus actuel d’approbation ministérielle, l’entreprise doit consulter l’administration compétente en matière d’aménagement du territoire avant d’installer des antennes (voir Gestion du spectre et télécommunications, CPC2003Systèmes d’antennes de radiocommunications et de radiodiffusion (2022), art. 4.1). Toutefois, puisque les antennes petite cellule 5G sont des « [s]tructures sans pylônes », en ce qu’elles sont fixées à des structures existantes, elles sont actuellement exclues de ces exigences de consultation (voir art. 6).
  3.                           La Loi sur la radiocommunication est muette sur l’accès; elle n’accorde pas aux entreprises un droit d’accès aux lieux publics pour y installer des antennes et elle n’établit aucun mécanisme de règlement des différends. Les entreprises doivent obtenir l’accès à l’emplacement d’une antenne en négociant avec le propriétaire du lieu, que celuici soit public ou privé.
    1.             Historique procédural
      1.           Consultation et décision du CRTC
  4.                           En février 2019, le CRTC a rendu l’Avis de consultation de télécom CRTC 201957 dans le but d’amorcer un examen général des services sans fil mobiles et du cadre réglementaire connexe. L’examen était axé sur trois domaines principaux : (1) la concurrence sur le marché de détail des services sans fil mobiles; (2) le cadre réglementaire actuel des services sans fil mobiles de gros; et (3) l’avenir des services sans fil mobiles au Canada.
  5.                           Fait notable pour les besoins du présent pourvoi, la réduction des obstacles au déploiement de l’infrastructure des services sans fil mobiles, y compris l’infrastructure 5G, était un thème de la consultation de 2019. Diverses parties, notamment les entreprises, ont fourni des commentaires sur les questions relatives à l’obtention de l’accès à différents types d’infrastructure afin de déployer des réseaux sans fil mobiles, ainsi que sur la question de savoir si des changements pourraient ou devraient être apportées aux règles actuelles du CRTC pour faciliter cet accès. Cela a soulevé la question de savoir si le pouvoir du CRTC de réglementer l’accès des entreprises à un lieu public s’étendait à l’installation d’antennes petite cellule 5G, ce qui a obligé le CRTC à interpréter le sens du terme « ligne de transmission » utilisé aux art. 43 et 44 de la Loi.
  6.                           L’interprétation donnée au terme « ligne de transmission » par le CRTC figure dans sa volumineuse décision sur les différentes questions visées par la consultation de 2019. Le CRTC a conclu que « ligne de transmission » n’englobait pas les antennes petite cellule 5G ou une infrastructure sans fil, et ce, pour deux raisons.
  7.                           Premièrement, selon le CRTC, le sens ordinaire du terme « ligne de transmission » et le contexte de la Loi démontrent que le Parlement entendait que ce terme désigne uniquement l’infrastructure filaire. Bien que la Loi ne définisse pas « ligne de transmission », le terme « installation de transmission » est défini au par. 2(1) de la Loi comme étant « [t]out système électromagnétique — notamment fil, câble ou système radio ou optique — ou tout autre procédé technique pour la transmission d’information entre des points d’arrivée du réseau », sous réserve de certaines exceptions. Le CRTC a jugé cette définition fort importante en ce qu’elle démontrait que le Parlement « était conscient qu’il existait des technologies qui permettent de transmettre des télécommunications sans fil » (Décision du CRTC, par. 481). Par conséquent, « ligne de transmission » doit signifier autre chose qu’« installation de transmission ». Vu la « portée globale » du terme « installation de transmission », le Parlement doit avoir voulu que le terme « ligne de transmission » soir appliqué plus restrictivement (par. 482). En outre, les définitions du mot « line » (« ligne ») dans les dictionnaires — par exemple « wire or cable for a telephone » (« un fil ou un câble téléphonique ») — ont amené le CRTC à conclure que le « Parlement a voulu englober les “câbles de transmission” et les “fils de transmission” » (par. 483484, citant Canadian Oxford Dictionary (2e éd. 2004), p. 892).
  8.                           Deuxièmement, le CRTC a conclu qu’une interprétation étroite de « ligne de transmission » « reconnaît de façon appropriée le régime législatif plus large adopté par le Parlement, y compris le régime législatif de la Loi sur la radiocommunication, qui y est étroitement lié, et qui confère au ministre de l’Industrie le pouvoir d’approuver les sites d’implantation d’appareils radio » (par. 485).
    1.           Cour d’appel fédérale, 2023 CAF 79, 16 Admin. L.R. (7th) 89 (les juges de Montigny, Locke et LeBlanc)
  9.                           Telus a interjeté appel de la décision du CRTC, contestant entre autres la conclusion du CRTC selon laquelle le terme « ligne de transmission » ne vise pas l’infrastructure de télécommunications sans fil.
  10.                           La Cour d’appel fédérale a confirmé l’interprétation donnée par le CRTC à « ligne de transmission » et a rejeté à l’unanimité l’appel des entreprises. Pour arriver à cette conclusion, la cour a pris en considération le sens ordinaire et grammatical des mots « ligne de transmission », le contexte interne des dispositions en cause et des autres dispositions connexes de la Loi, l’interaction entre la Loi et la Loi sur la radiocommunication, ainsi que les objectifs de politique d’intérêt général du Parlement.
  11.                           À l’instar du CRTC, la Cour d’appel a conclu que le mot « ligne » a pour sens ordinaire une voie physique ou tangible, et que ce sens s’accorde avec les art. 43 et 44. Elle a également souscrit à l’opinion du CRTC selon laquelle, conformément à la présomption d’expression uniforme, une ligne de transmission doit être une souscatégorie plus restreinte d’« installation de transmission », étant donné que le terme « installation de transmission » est défini de manière générale dans la Loi. La cour a rejeté l’argument des entreprises suivant lequel une interprétation dynamique mène à un résultat différent, parce que « ligne de transmission » est un terme précis utilisé dans un contexte technique. Enfin, la cour a conclu, tout comme le CRTC que, parce que la Loi sur la radiocommunication établit un régime d’approbation de l’emplacement des antennes, il en va de même pour l’installation des antennes petite cellule 5G; « le ministre doit en approuver l’emplacement : il n’y a pas de droit limité d’accès soumis à la supervision du CRTC » (par. 100).
  12.                           La Cour d’appel a également jugé qu’un objectif de politique générale de la Loi, à savoir le développement ordonné des télécommunications, ne pouvait pas supplanter le libellé clair de la Loi. Le Parlement a choisi à dessein de ne pas exercer son pouvoir pour réglementer l’accès à l’infrastructure sans fil mobile, et a plutôt laissé cet accès faire l’objet de négociations de bonne foi entre les entreprises et les propriétaires de lieux municipaux.
  1.          Question en litige
  1.                           Les entreprises demandent à notre Cour de déclarer que le terme « ligne de transmission » figurant aux art. 43 et 44 de la Loi s’entend également des antennes petite cellule 5G. La seule question en litige est de savoir si « ligne de transmission » peut avoir ce sens.
  1.          Norme de contrôle
  1.                           Il peut être interjeté appel de la décision du CRTC à la Cour d’appel fédérale en vertu du par. 64(1) de la Loi. En l’absence de preuve d’une intention contraire, lorsque le législateur confère le droit de porter en appel une décision administrative devant une cour de justice, la cour de révision doit appliquer les normes de contrôle applicables en appel (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, par. 37). Les normes de contrôle applicables en appel doivent donc être appliquées ici. Dans l’examen de questions de droit, y compris des questions d’interprétation législative, la norme de contrôle applicable en appel est celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8).
  1.             Positions des parties
  1.                           Les entreprises appelantes soutiennent que le développement efficace des réseaux sans fil mobiles 5G dépend d’un régime d’accès qui facilite l’installation d’antennes petite cellule 5G. En arrêtant le sens de « ligne de transmission » au moment de l’édiction de la Loi et en l’appliquant exclusivement à la technologie filaire, le CRTC et la Cour d’appel ont contrecarré la volonté déclarée du Parlement que la Loi évolue au gré des nouvelles technologies et facilite le développement ordonné de l’infrastructure de télécommunications partout au Canada. Bien que le CRTC et la Cour d’appel aient reconnu l’importance capitale de développer la connectivité 5G à l’échelle pancanadienne, ils ont donné à « ligne de transmission » une interprétation qui faisait abstraction de ce contexte.
  2.                           Les entreprises ajoutent qu’une interprétation étroite de « ligne de transmission » va à l’encontre de la réalité en ce qui concerne l’infrastructure de télécommunications moderne. Les réseaux dits « sans fil » ne sont sans fil que pour l’utilisateur final. Les antennes petite cellule 5G doivent être raccordées au réseau filaire existant d’une entreprise. Conclure que « ligne de transmission » désigne seulement l’infrastructure filaire entraîne la conséquence absurde que les entreprises disposent d’un droit d’accès leur permettant de déployer les câbles reliés aux antennes petite cellule 5G, mais non un droit d’accès aux petites cellules ellesmêmes.
  3.                           Les intimées la Fédération canadienne des municipalités, Électricité Canada et la ColombieBritannique (collectivement les « administrations publiques ») défendent les intérêts des administrations publiques, telles les provinces et municipalités, qui sont touchées par le champ d’application du régime d’accès. Selon elles, ni le CRTC ni la Cour d’appel n’ont fait erreur. La proposition des entreprises d’étendre le sens de « ligne de transmission » pour qu’il englobe les antennes est une déformation intenable du régime d’accès. Le Parlement a consciemment édicté un cadre à deux volets pour régir l’infrastructure de télécommunications moderne. Le matériel filaire, comme les câbles de fibres optiques, est visé par le régime d’accès et le mécanisme de règlement des différends du CRTC. Mais le Parlement a choisi de laisser l’installation des antennes faire l’objet de négociations de bonne foi entre les entreprises et les propriétaires de lieux publics, notamment les municipalités. Il y a lieu de respecter ce choix.
  4.                           Les administrations publiques mentionnent que la position des entreprises repose sur la fausse prémisse que le Parlement était motivé par un seul but — le développement ordonné des télécommunications — lorsqu’il a édicté la Loi en 1993. Le Parlement peut ne pas réglementer certains aspects des télécommunications, et c’est ce qu’il a fait. Plus précisément, il s’est abstenu de réglementer l’accès aux antennes pour respecter les intérêts légitimes qu’ont les provinces et les municipalités dans la gestion de leurs lieux publics.
  1.          Analyse
    1.             Principes d’interprétation législative
  1.                           Il ne fait aucun doute que, conformément à la méthode moderne, le sens d’une disposition législative est établi en fonction de son texte, de son contexte et de son objet (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21; R. c. Basque, 2023 CSC 18, par. 63; Auer c. Auer, 2024 CSC 36, par. 64; Piekut c. Canada (Revenu national), 2025 CSC 13, par. 42).
  2.                           Les parties ne s’entendent pas sur la manière dont une loi devrait être interprétée en réponse à un changement de circonstances. Les entreprises plaident que les termes d’une loi ne sont pas [traduction] « limités au sens qu’ils avaient » au moment de l’édiction de la loi, et que le CRTC et la Cour d’appel ont fait erreur en retenant une interprétation « statique » plutôt que « dynamique » (m.a., Telus, par. 65). Les administrations publiques soutiennent que les entreprises se méprennent à l’égard du principe de l’interprétation dynamique en affirmant à tort que les termes d’un texte législatif peuvent acquérir de nouveaux sens au fil du temps. Bien qu’une loi ait été édictée à un moment antérieur donné, elle est interprétée et appliquée dans le moment présent. Si les circonstances ont évolué entre ces deux moments, quelle incidence cette évolution atelle sur l’opération d’interprétation?
  3.                           L’interprétation législative est axée sur l’intention qu’avait le législateur au moment de l’édiction de la loi, et les tribunaux sont tenus de donner effet à cette intention (voir Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232, p. 264266; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, p. 335; ÉtatsUnis d’Amérique c. Dynar, [1997] 2 R.C.S. 462, par. 45; P.A. Côté et M. Devinat, Interprétation des lois (5e éd. 2021), par. 24; R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd. 2022), § 6.01[1]). Les tribunaux doivent prendre soin de ne pas [traduction] « outrepasser leur rôle institutionnel » en se penchant sur des questions de nature politique soulevées par des changements postérieurs à l’édiction de la loi, auxquelles le législateur est plus à même de répondre (Sullivan, § 6.01[3]).
  4.                           Cependant, ce principe n’empêche pas les tribunaux d’appliquer les lois à des circonstances nouvelles ou en évolution. Il n’est pas contesté que, dans l’exercice de son pouvoir de légiférer, le législateur qui édicte une loi peut se servir de mots généraux ou ayant une acception large pour traiter de circonstances qui ne sont ni existantes ni envisagées (voir R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402, par. 61; Perka, p. 265; Côté et Devinat, par. 285). D’ailleurs, les législateurs le font fréquemment pour faire en sorte que les objectifs à long terme d’un texte de loi puissent être réalisés sans qu’il soit nécessaire de le modifier constamment (voir Sullivan, § 6.01[2]).
  5.                           Le législateur peut ainsi exprimer sa volonté qu’une disposition reçoive une interprétation dynamique, en ce que la disposition devrait pouvoir s’appliquer aux nouvelles circonstances sociologiques ou technologiques au fur et à mesure qu’elles se présentent (Sullivan, § 6.03). Pour préserver cette intention originale, les tribunaux doivent interpréter les concepts généraux ou ayant une acception large en demeurant sensibles à l’évolution du contexte (voir R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575, par. 38). Une telle approche ne déroge pas à la volonté du législateur qui a édicté le texte de loi — elle la réalise. Ce principe a été codifié à l’art. 10 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I21, lequel prévoit que la règle de droit « a vocation permanente » et « s’applique à la situation du moment de façon que le texte produise ses effets selon son esprit, son sens et son objet ».
  6.                           Bien compris, il n’y a aucune contradiction entre le principe selon lequel l’opération d’interprétation repose sur l’intention du législateur qui a adopté le texte de loi et celui selon lequel les lois peuvent être appliquées à des circonstances que n’avait pas envisagées le législateur. La remarque incidente de lord Bingham dans R. (Quintavalle) c. Secretary of State for Health, [2003] UKHL 13, [2003] 2 A.C. 687, par. 9, illustre ce point :

 [traduction] Il n’y a, selon moi, aucune incompatibilité entre la règle voulant que le libellé de la loi garde le sens qu’il avait quand le Parlement l’a employé et la règle portant qu’une loi a vocation permanente. Si le Parlement, peu importe le temps qui s’est écoulé, a adopté une loi applicable aux chiens, elle ne saurait être interprétée rationnellement comme s’appliquant aux chats; mais on pourrait légitimement conclure que la loi s’applique à des animaux qui n’étaient pas considérés comme des chiens quand elle a été adoptée, mais qui le sont aujourd’hui.

  1.                           De cette façon, l’interprétation dynamique est fermement implantée dans la méthode moderne d’interprétation législative. Il n’existe pas de ligne de démarcation nette entre des lois « statiques » et des lois « dynamiques ». La mesure dans laquelle une disposition peut s’appliquer à de nouvelles circonstances, y compris de nouvelles technologies, est une question d’interprétation comme toute autre question à laquelle il faut répondre en examinant le texte de la loi en contexte et conformément à l’objectif du législateur.
  2.                           En l’espèce, le véritable désaccord entre les parties porte sur le sens que le Parlement entendait donner au terme « ligne de transmission », de même que sur la question de savoir si les antennes petite cellule 5G sont visées par ce sens.
    1.             L’interprétation appropriée de « ligne de transmission »
  3.                           L’interprétation du terme « ligne de transmission » dans son contexte intégral et conformément à l’objet du régime d’accès confirme que le Parlement n’entendait pas que les droits d’accès restreints prévus aux art. 43 et 44 s’étendent aux antennes, y compris les antennes petite cellule 5G.
    1.           Le sens ordinaire de « ligne de transmission »
  4.                           Comme le terme « ligne de transmission » n’est pas défini dans la Loi, nous en examinerons d’abord le sens ordinaire.
  5.                           Les entreprises affirment que le sens ordinaire de ligne de transmission est suffisamment large pour signifier une voie physique ou non physique entre des points à l’intérieur d’un réseau. Elles disent qu’un « fil » est une voie physique, mais qu’une « ligne » peut être physique ou non. Plus particulièrement, Rogers demande à la Cour de reconnaître qu’une infrastructure de transmission sans fil, y compris des antennes petite cellule 5G, est [traduction] « fonctionnellement équivalente » à une infrastructure filaire parce que ces antennes transmettent la même information. Bien que les antennes ne soient pas des « lignes » physiques, elles font la même chose et devraient donc être visées par le régime d’accès. Subsidiairement, si la Cour devait retenir le sens ordinaire plus restreint retenu par le CRTC, selon lequel « ligne » désigne uniquement une voie physique ou tangible, les entreprises soutiennent que, comme les antennes sont raccordées au réseau filaire, elles font partie de la ligne de transmission physique.
  6.                           L’intimée la Fédération canadienne des municipalités soutient que les décideurs ont eu raison d’appliquer les définitions des dictionnaires du mot « ligne » et de conclure que ce mot doit désigner uniquement une voie physique linéaire. Elle dit qu’il est contraire au sens commun de considérer que le mot « ligne » désigne les ondes radio qui voyagent dans l’espace dans toutes les directions.
  7.                           À l’instar du CRTC et de la Cour d’appel, je suis d’avis que le sens ordinaire de « ligne de transmission » tend à indiquer que le Parlement entendait que ce terme englobe seulement l’infrastructure filaire.
  8.                           Le sens ordinaire et grammatical d’une disposition législative est le « sens naturel qui se dégage de la simple lecture de la disposition » (Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724, p. 735; voir aussi Rogers Communications Inc. c. Voltage Pictures, LLC, 2018 CSC 38, [2018] 2 R.C.S. 643, par. 28). Les définitions des dictionnaires ne sont pas déterminantes. De fait, la professeure Ruth Sullivan met en garde contre le recours indu à ces définitions, faisant remarquer que les définitions que l’on trouve dans les dictionnaires [traduction] « ne peuvent [. . .] indiquer le sens d’un mot employé dans un contexte particulier » (§ 3.03[3]). Les définitions des dictionnaires peuvent amener les interprètes à se concentrer sur des mots ou des expressions en particulier, et à ne pas considérer une disposition dans son ensemble. Néanmoins, elles peuvent aider en ce qui a trait au sens ordinaire, du moins comme point de départ (voir, p. ex., R. c. Khill, 2021 CSC 37, [2021] 2 R.C.S. 948, par. 84; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Utilities Commission), 2015 CSC 45, [2015] 3 R.C.S. 219, par. 34; R. c. Steele, 2014 CSC 61, [2014] 3 R.C.S. 138, par. 42).
  9.                           Le CRTC a souligné que la plupart des définitions des dictionnaires du mot « line » en anglais désignent une voie physique et tangible (Décision du CRTC, par. 483). Le CRTC a également mentionné que, bien que certaines définitions du mot français « ligne » évoquent à la fois des notions tangibles et intangibles, Le Petit Robert regroupe des définitions de « ligne » qui renvoient à des ouvrages de télécommunications sous la rubrique « fil tendu dans une direction déterminée » (par. 483, citant Le Petit Robert (2015), p. 1458).
  10.                           À mon avis, même s’il existe une définition abstraite de « ligne » qui fait état de toute connexion entre deux points, son jumelage avec le mot « transmission » lui donne une forte connotation physique (par. 483). Les lignes physiques peuvent utiliser différentes technologies, par exemple des câbles coaxiaux ou des câbles de fibres optiques, et tout de même concorder aisément avec le sens ordinaire de « ligne de transmission ». Mais les antennes, même les antennes petite cellule 5G, ne cadrent pas naturellement avec ce sens ordinaire parce que les antennes ne transmettent pas l’information le long de voies physiques. Les antennes sont une forme d’appareil radio, du matériel qui transmet de l’information « au moyen d’ondes électromagnétiques [. . .] dans l’espace sans guide artificiel » (Loi sur la radiocommunication, art. 2, sub verbo « radiocommunication »).
  11.                           Les entreprises plaident ensuite subsidiairement que le terme « ligne de transmission » peut englober les antennes petite cellule 5G, parce qu’elles sont raccordées au matériel filaire. D’après Telus, [traduction] « [d]ans la mesure où les petites cellules se rattachent physiquement à ces lignes de transmission (et ainsi les prolongent, les petite cellules ellesmêmes doivent aussi être des lignes de transmission » (m.a., par. 58). Je ne peux souscrire à cette affirmation, qui suppose d’accepter que « ligne de transmission » comprend non seulement des fils et des câbles, mais aussi tout ce qui peut se rattacher à ces fils et à ces câbles. Il s’agit d’un emploi anormal du terme. Une antenne ne saurait être couramment décrite comme une ligne de transmission même si elle doit naturellement être rattachée à une telle ligne, de la même façon qu’un grillepain n’est pas, en langage courant, un fil du simple fait qu’un fil le raccorde au réseau électrique par une prise de courant. Le sens ordinaire de « ligne de transmission » n’englobe pas tout élément du réseau qui est raccordé à une ligne de transmission, mais uniquement les lignes de transmission ellesmêmes. Comme je l’ai expliqué cidessus, une antenne ne relève pas aisément de ce sens ordinaire. Et, comme je l’explique plus loin, lorsque les mots sont interprétés en contexte et à la lumière des raisons d’intérêt général justifiant de régir différemment le matériel filaire et le matériel sans fil, cela ne fait que confirmer davantage ce point de vue.
  12.                           Pour ces motifs, je partage l’avis du CRTC et de la Cour d’appel que le sens ordinaire de « ligne de transmission » milite contre l’interprétation des entreprises. Il ne cadre pas avec du matériel qui transmet de l’information avec ou sans fils. Le sens ordinaire de « ligne de transmission » étaye ainsi une interprétation étroite de ce terme et, par conséquent, une application étroite du régime d’accès. Le sens ordinaire n’est toutefois pas déterminant. Il est également nécessaire d’examiner le contexte et les objectifs pour lesquels le Parlement a édicté la disposition en question.
    1.           Le régime d’accès
  13.                           Tout comme les décideurs des juridictions inférieures, la Fédération canadienne des municipalités affirme que les dispositions entourant le terme « ligne de transmission » montrent que le Parlement avait l’intention que ce terme s’entende uniquement de l’infrastructure filaire.
  14.                           Je reconnais que le texte entourant « ligne de transmission » aux art. 43 et 44 étaye l’idée qu’une « ligne de transmission » est une voie linéaire physique. L’article 43 parle de l’« accès à » un lieu et de travaux de « creusage » pour la construction de lignes de transmission « sur une voie publique ou dans tout autre lieu public — ou audessus, audessous ou aux abords de ceuxci ». L’alinéa 44a) renvoie au fait d’« enfouir » des lignes de transmission ou d’« en modifier l’emplacement ». Et l’art. 45 traite de travaux de drainage ou de canalisation « sur [une ligne de transmission] [. . .], ou audessus, audessous ou aux abords de [cette ligne de transmission] ». Il est facile de comprendre que la construction, l’exploitation ou l’entretien de câbles et de fils utilisant n’importe quel type de technologie de transmission nécessite une ou plusieurs de ces activités.
  15.                           Toutefois, les antennes ne peuvent être enfouies « audessous » d’un lieu public ou suivre un tracé « aux abords » de celuici. Il est également fort difficile de voir de quelle manière on pourrait modifier le « tracé » d’une antenne, car les antennes, contrairement aux fils et aux câbles, ne suivent pas de prime abord un « tracé ». Il est bien entendu vrai, comme l’ont souligné les entreprises à l’audience, que certains fils et câbles de transmission ne sont pas enfouis et ne nécessitent pas que l’entreprise ait à creuser sur le lieu public en question. De même, je reconnais que la construction d’une antenne pourrait impliquer l’accès à un lieu public ou le creusage sur celuici. Cependant, on peut imaginer l’enfouissement de câbles ou de fils ou leur installation audessus d’un lieu public d’une manière qui n’est pas possible dans le cas des antennes. Lorsqu’elles sont lues ensemble, les dispositions évoquent des activités linéaires physiques — la construction de fils ou de câbles sur, audessus, audessous ou aux abords d’un lieu public — et à tous les défis uniques que peut poser l’installation, l’exploitation ou l’entretien de ce type d’infrastructure.
  16.                           La transmission d’information à partir d’antennes est tout aussi incompatible avec l’emploi du terme « ligne de transmission » aux art. 43 et 44. Il n’est pas évident de savoir comment un signal transmis par une antenne peut « suivre un tracé » sur un lieu public — ou audessus, audessous ou aux abords de celuici — et encore moins nécessiter des règles d’origine législative pour assurer l’accès aux fins d’installation, d’exploitation ou d’entretien. Comme je l’ai souligné précédemment, l’art. 2 de la Loi sur la radiocommunication établit que la transmission à partir d’antennes petite cellule 5G constitue une transmission « sans guide artificiel ». Les ondes radio ne suivent pas une trajectoire définie. Elles émanent d’antennes et se propagent dans de multiples directions. Elles ne sont ni enfouies, ni construites. Elles ne nécessitent pas non plus de travaux de creusage sur un lieu public.
  17.                           Le contexte immédiat du terme « ligne de transmission » dans les dispositions de la Loi régissant l’accès étaye le sens plus restreint avancé par les administrations publiques.
    1.           Le contexte plus large
  18.                           Considérant le régime de la Loi dans son ensemble, Telus plaide que, tout comme d’autres termes de la Loi, à savoir « service de télécommunication », « installation de télécommunication » et « télécommunication », sont définis de manière large pour englober essentiellement toute forme de télécommunication (par. 2(1)), le terme « ligne de transmission » devrait lui aussi recevoir une interprétation large. Telus plaide en outre que, puisque les termes définis ne distinguent pas le matériel sans fil du matériel filaire au sein d’un réseau, le Parlement entendait clairement que la Loi soit interprétée d’une manière neutre sur le plan technologique et adaptable aux nouvelles technologies. Par conséquent, le terme « ligne de transmission » ne devrait pas être interprété d’une manière qui restreigne son application à une seule catégorie de technologie.
  19.                           Les administrations publiques soutiennent que « ligne de transmission » doit recevoir une interprétation plus étroite qu’« installation de transmission », un terme utilisé dans d’autres parties de la Loi. Électricité Canada signale que les deux termes ont été introduits pour la première fois dans la Loi. Il était donc loisible au Parlement d’utiliser « installation de transmission », qui comprend l’infrastructure sans fil comme les antennes, dans les dispositions de la Loi qui régissent l’accès. Le Parlement a plutôt choisi de remplacer « ligne de télégraphe ou de téléphone », le terme employé dans la Loi sur les chemins de fer, L.R.C. 1985, c. R3, à partir de laquelle le régime d’accès a été transposé dans la Loi, par le terme non défini « ligne de transmission ». La présomption d’uniformité d’expression tend à indiquer que le Parlement doit avoir voulu que « ligne de transmission » signifie autre chose qu’« installation de transmission ». Puisque le régime d’accès de la Loi sur les chemins de fer ne s’appliquait explicitement qu’à l’infrastructure filaire, les administrations publiques plaident que le Parlement entendait que « ligne de transmission » ait une portée tout aussi étroite.
  20.                           Si l’on applique la présomption d’uniformité d’expression, lorsque le Parlement a choisi d’utiliser des termes différents, il est présumé l’avoir fait intentionnellement « dans le but d’indiquer un sens différent » (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 81). En l’espèce, il y a de solides raisons de conclure que, suivant cette présomption, le Parlement voulait dire autre chose qu’« installation de transmission » ou « installation de télécommunication » quand il a utilisé le terme distinct « ligne de transmission ». Si le Parlement avait voulu inclure la très vaste gamme d’installations visées par des termes comme « installation de transmission », telles les antennes, il disposait de la terminologie pour le faire. Le Parlement a plutôt utilisé un terme dont le sens ordinaire est fortement associé à une infrastructure filaire, et non à une infrastructure sans fil.
  21.                           Je suis en désaccord avec la position des entreprises suivant laquelle, étant donné que le terme « installation de transmission » ne sert qu’à définir les paramètres d’une « entreprise de télécommunication » pour le régime de propriété et de contrôle établi à l’art. 16 de la Loi, il ne saurait servir à justifier une interprétation plus étroite de « ligne de transmission ». Il est vrai que la présomption d’uniformité d’expression peut être plus aisément réfutée lorsque sont examinées des dispositions figurant dans différentes parties d’une loi, surtout dans le cas de lois complexes et fréquemment modifiées comme le Code criminel, L.R.C. 1985, c. C46, ou les lois sur les assurances (Steele, par. 65). Mais la définition d’« installation de transmission » au par. 2(1) de la Loi n’est pas ellemême liée au régime de propriété ou de contrôle. Il s’agit d’une définition générale qui s’applique à la Loi dans son ensemble, contrairement à d’autres définitions qui s’appliquent seulement à une partie donnée de la Loi. De plus, comme les deux termes ont été ajoutés à la Loi en même temps, je ne vois pas pourquoi il faudrait supposer qu’« installation » et « ligne » ne sont que des variantes accidentelles d’un terme analogue. Il est évident à mon avis que le Parlement comprenait la différence entre une « installation » et une « ligne », et il y a lieu de respecter son choix.
  22.                           La preuve provenant de l’historique législatif et de l’évolution de la Loi montre en outre que les antennes ou tout autre matériel sans fil n’ont jamais fait partie du régime d’accès et que le Parlement a intentionnellement distingué les antennes du matériel filaire comme les fils ou les câbles.
  23.                           La Cour d’appel et le CRTC ont exposé l’historique du régime d’accès, soulignant qu’il a été élargi pour passer des « lignes télégraphiques ou téléphoniques » aux « lignes de transmission » (motifs de la C.A., par. 43, 83 et 89; Décision du CRTC, par. 477). Comme l’a fait observer la Cour d’appel dans Edmonton (Ville) c. 360Networks Canada Ltd., 2007 CAF 106, [2007] 4 R.C.F. 747, par. 64, le régime d’accès semble avoir été « rédig[é], du moins en partie, par la méthode “couper/coller” » de la Loi sur les chemins de fer, mais avec le terme plus large « ligne de transmission », qui remplace les mentions des lignes télégraphiques et lignes téléphoniques. Les droits d’accès euxmêmes ont été « repr[is] » et leur teneur demeure largement inchangé (voir Chambre des communes, Souscomité sur le projet de loi C62 du Comité permanent des communications et de la culture, Procèsverbaux et témoignages du Souscomité sur le projet de loi C62 du Comité permanent des communications et de la culture, no 10, 3e sess., 34e lég., 13 mai 1993, p. 4243). Par exemple, l’art. 327 de la Loi sur les chemins de fer était rédigé ainsi :

 327. Sous réserve du présent article et des articles 328 à 332, lorsqu’une compagnie possède, en vertu d’une loi spéciale ou d’une autre autorité du Parlement, les pouvoirs de construire, d’exploiter et d’entretenir des lignes télégraphiques ou téléphoniques, cette compagnie peut, pour y exercer ces pouvoirs, pénétrer dans une voie publique, un square ou autre lieu public, et, aussi souvent que la compagnie le juge à propos, y ouvrir et creuser le sol . . .

Les mentions du droit d’une entreprise de « creuser » ou d’« ouvrir » le sol d’un lieu public pour ses lignes remontent aux versions de la Loi sur les chemins de fer du siècle précédent (voir, p. ex., Acte des chemins de fer, 1903, S.C. 1903, c. 58, art. 195).

  1.                           D’autres caractéristiques du régime d’accès ont elles aussi été directement importées de la Loi sur les chemins de fer. Par exemple, le par. 329(1) de cette loi contenait les mêmes renvois à la construction de lignes « audessus, le long, en travers ou audessous » d’un lieu public. Et les par. 329(2) à (4) exposaient un mécanisme de règlement des différends similaire à celui figurant dans la Loi.
  2.                           D’autres parties de la Loi sur les chemins de fer montrent également que le Parlement fait depuis longtemps la distinction entre l’infrastructure filaire et l’infrastructure sans fil. Comme il a été mentionné plus haut, le régime d’accès prévu dans la Loi sur les chemins de fer était clairement réservé à l’infrastructure filaire, mais son par. 2(1) renvoie à de l’infrastructure sans fil — il définit « télégraphe » en y assimilant le « télégraphe sans fil ». Il est de toute évidence possible d’inférer que les télégraphes sans fil ne sont pas reliés par des fils. En conséquence, même si la Loi sur les chemins de fer envisageait l’infrastructure de télécommunications sans fil, le régime d’accès prévu par cette loi régissait uniquement l’infrastructure filaire. Cette distinction a été maintenue dans la Loi.
  3.                           Le Parlement a effectivement élargi la portée du régime d’accès quand celuici a été déplacé de la Loi sur les chemins de fer à la Loi. Nous savons que le Parlement a tenu compte de la portée du régime d’accès à la demande de nouvelles sociétés entrant sur le marché de câblodistribution qui sollicitaient les mêmes droits d’accès que leurs concurrents. Les déclarations en comité montrent que les câblodistributeurs craignaient que le régime d’accès existant les désavantage par rapport aux entreprises de téléphonie traditionnelles (voir Souscomité sur le projet de loi C62 du Comité permanent des communications et de la culture, no 2, 3e sess., 34e lég., 27 avril 1993, p. 1419; Souscomité sur le projet de loi C62 du Comité permanent des communications et de la culture, no 10, p. 4246; voir aussi D. Butler, « Implications of the New Telecommunications Act », dans Insight Information Inc., Profiting from Canada’s Telecommunications Act (1993), Article III, p. 1112). Ultimement, le Parlement a étendu le régime d’accès aux « entreprise[s] de distribution » pour assujettir les câblodistributeurs au régime d’accès. Le remplacement du terme « ligne de télégraphe ou de téléphone » par le terme « ligne de transmission » a fait en sorte que le régime d’accès couvre tout le matériel filaire, notamment les câbles de fibres optiques et les câbles coaxiaux.
  4.                           Le Hansard ne révèle toutefois aucune indication que le Parlement entendait étendre le régime d’accès de manière à ce qu’il englobe les appareils de radiocommunication sans fil comme les antennes. Le ministre des Communications de l’époque a présenté la Loi comme étant technologiquement neutre afin que les « nouvelles technologies » ne rendent pas « désuet le cadre réglementaire présenté dans l[a] [Loi] » (Souscomité sur le projet de loi C62 du Comité permanent des communications et de la culture, no 8, 3e sess., 34e lég., 11 mai 1993, p. 16). Je reconnais que le régime d’accès est technologiquement neutre pour ce qui est des différentes technologies filaires, allant des câbles télégraphiques traditionnels aux câbles modernes de fibres optiques. Au même titre que la Cour d’appel a conclu dans 360Networks que les mots « autre lieu public » figurant dans la Loi doivent recevoir une interprétation souple pour permettre au CRTC de s’adapter aux « faits de chaque espèce » (par. 67), le terme « ligne de transmission » vise également toutes les lignes de transmission du réseau d’une entreprise. Mais cela ne veut pas dire que le terme « ligne de transmission » a le même sens que le terme « installation de transmission », ou que « ligne de transmission » englobe tout le matériel qui fait partie du réseau sans fil mobile d’une entreprise.
  5.                           Les commentaires du ministre démontrent que la Loi a été rédigée de manière à éviter que de nouvelles technologies ne viennent contrecarrer l’application de la Loi. Les antennes ne constituent pas une nouvelle technologie à laquelle n’avait pas songé le Parlement quand il a écrit « ligne de transmission » dans la Loi et n’a pas employé « installation de transmission ». La Loi sur la radiocommunication, qui régit expressément les antennes, précède la Loi et demeure en vigueur. Les entreprises ont concédé qu’une antenne petite cellule 5G fonctionne essentiellement de la même manière qu’une antenne grande cellule (quoiqu’avec une portée plus faible). Cela appuie la conclusion que les antennes petite cellule 5G sont visées par le concept d’antenne dans la Loi sur la radiocommunication, lequel demeure le même aujourd’hui qu’à l’époque où la Loi a été édictée et que le Parlement n’a pas intégré dans le champ d’application du régime d’accès. Je ne conclus pas que les antennes petite cellule 5G peuvent être régies uniquement par la Loi sur la radiocommunication. Mais en n’intégrant pas les antennes dans le champ d’application du régime d’accès, le Parlement entendait seulement étendre le régime d’accès aux appareils filaires fonctionnellement équivalents aux fils qui étaient visés par l’ancien régime d’accès.
  6.                           L’analogie que tentent d’établir les entreprises avec la manière dont notre Cour aborde la neutralité technologique dans le cas de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, c. C42, n’est pas persuasive. S’inspirant de l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30, [2022] 2 R.C.S. 303, les entreprises font valoir que la Loi ne peut être interprétée de manière « à favoriser ou à défavoriser une forme de technologie en particulier » (par. 63). De l’avis des entreprises, la Loi régit la transmission d’information (par. 2(1), sub verbo « télécommunication »). Par conséquent, toute technologie qui transmet de l’information de manière fonctionnellement équivalente doit être traitée de la même façon pour l’application de la Loi.
  7.                           L’arrêt Société canadienne des auteurs portait sur une décision de la Commission du droit d’auteur du Canada qui avait déterminé que le fait de mettre une œuvre à la disposition du public en ligne constituait une activité distincte protégée et justifiant rémunération. En conséquence, deux redevances devaient être payées lorsqu’une œuvre était mise en circulation en ligne — une première lorsqu’elle était mise à la disposition du public et une seconde lorsqu’on y avait accès (par. 15). La Cour a statué qu’obliger les utilisateurs à verser des redevances additionnelles en fonction du mode de circulation de l’œuvre violait le principe de la neutralité technologique ancré dans la Loi sur le droit d’auteur (par. 7). La loi protège les droits visant « ce que reçoit l’utilisateur, et non la manière dont il le reçoit » (par. 70 (en italique dans l’original)). Voilà pourquoi notre Cour a, dans plusieurs arrêts, confirmé que la Loi sur le droit d’auteur doit traiter de façon neutre des technologies différentes (c.àd. les moyens ou les « façons » de mettre des œuvres en circulation).
  8.                           À mon avis, le régime d’accès est un régime législatif fort différent de la Loi sur le droit d’auteur. Les articles 43 et 44 de la Loi visent à régler des questions liées à la construction, à l’exploitation et à l’entretien de types précis d’infrastructure physique. Le régime d’accès n’est pas analogue à un régime qui protège expressément les droits de produire ou de reproduire des œuvres, qui peuvent être intangibles, « sous une forme matérielle quelconque » à l’aide de plusieurs supports (Loi sur le droit d’auteur, par. 3(1)). Même s’ils transmettent tous deux de l’information, les antennes et les câbles sont des ouvrages physiques différents, et c’est leur aspect physique, soit leur construction, leur exploitation et leur entretien, que le régime d’accès cherche à régir.
  9.                           En résumé, les entreprises ne m’ont pas convaincue que le contexte plus large de la Loi indique que le Parlement entendait que le terme « ligne de transmission » vise l’infrastructure sans fil, comme les antennes. Ce terme désigne uniquement l’infrastructure filaire.
    1.           Les objectifs de la Loi
  10.                           Le terme « ligne de transmission » doit également être interprété en harmonie avec les objectifs législatifs du Parlement.
  11.                           Les entreprises s’appuient sur les grands objectifs énoncés à l’art. 7 de la Loi, en particulier celui visant à favoriser le « développement ordonné » des télécommunications (al. 7a)), pour affirmer que « ligne de transmission » devrait englober les antennes. Les entreprises soutiennent qu’une interprétation large est le meilleur moyen d’assurer le déploiement efficace de l’infrastructure 5G à travers le Canada. Comme il a été résumé plus haut, les administrations publiques plaident que le texte et le contexte du régime d’accès tendent à indiquer que le Parlement a adopté une approche « passive » pour l’accès à l’emplacement des antennes. À leur avis, cette approche ne vient pas contrecarrer la réalisation de l’objet de la Loi. Les administrations publiques soulignent également les objectifs de politique d’intérêt général raisonnables qui militent en faveur de la décision de laisser la question de l’accès à l’emplacement des antennes faire l’objet de négociations de bonne foi entre les entreprises et les administrations publiques.
  12.                           Je ne suis pas convaincue que les objectifs généraux énoncés à l’art. 7 exigent une interprétation large du terme « ligne de transmission » ou justifient d’écarter la volonté claire du Parlement d’accorder aux entreprises un droit d’accès restreint à leur infrastructure filaire seulement (voir, par analogie, Barrie, par. 42). Comme l’a indiqué notre Cour dans R. c. Breault, 2023 CSC 9, même des objectifs de politique d’intérêt général « louable[s] » ne permettent pas en soi aux tribunaux d’appliquer des interprétations qui ne sont pas compatibles avec le texte et le contexte d’un texte de loi (par. 26; voir aussi TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144, par. 79). Des objectifs de politique d’intérêt général ne peuvent à eux seuls donner au CRTC compétence sur une matière en particulier (voir Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010168, par. 2223).
  13.                           Comme c’est souvent le cas dans de telles opérations, le calibrage du régime d’accès a obligé le Parlement à mettre en balance des intérêts opposés. En l’espèce, le Parlement a mis en balance les intérêts des entreprises et ceux des administrations publiques. La Cour doit respecter cette mise en équilibre.
  14.                           À cette fin, aucune des interprétations proposées ne semble incompatible avec les objectifs généraux de la Loi. Le « développement ordonné » n’exige pas que la Loi reçoive l’interprétation la plus favorable aux entreprises de télécommunication. D’ailleurs, les entreprises ne contestent pas qu’il y a d’autres limites restreignant la portée du régime d’accès — celuici ne couvre pas les terrains privés ou les poteaux des services publics (voir Barrie). La portée des droits d’accès d’une entreprise peut également faire l’objet de conditions fixées par le CRTC. Il est donc clair que le Parlement n’a pas édicté le régime d’accès qui faciliterait le déploiement d’infrastructure le plus favorable aux entreprises. Cela tend plutôt à indiquer que des limites claires à la portée du régime d’accès étaient dans les fait voulues.
  15.                           Il existe d’importants objectifs de politique d’intérêt général opposés qui militent en faveur de telles limites et particulièrement du traitement différent du matériel filaire et du matériel sans fil dans un réseau. Les pouvoirs conférés au ministre par l’art. 5 de la Loi sur la radiocommunication sont des éléments contextuels qui aident à comprendre pourquoi il y a lieu de respecter le traitement différent réservé par la loi aux antennes et à l’infrastructure filaire. La procédure d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada pour l’installation d’antennes, instituée en vertu de l’art. 5 de la Loi sur la radiocommunication, indique que le Parlement est conscient des impacts particuliers qu’ont les antennes sur les collectivités et des risques associés à leur déploiement. Par exemple, les entreprises doivent s’assurer que leurs antennes ne nuisent pas à d’autre matériel électronique, y compris à d’autres antennes, elles doivent suivre les consignes de sécurité concernant l’exposition aux champs de radiofréquences, et elles doivent se conformer à la législation environnementale applicable (CPC2003 — Systèmes d’antennes de radiocommunications et de radiodiffusion, art. 7.17.2 et 7.4). Cela vaut même pour les antennes exclues du processus de consultation publique. En outre, comme le signale la ColombieBritannique, les structures municipales ne sont peutêtre pas conçues pour supporter des antennes petite cellule 5G, et les collectivités peuvent avoir des préoccupations esthétiques ou environnementales particulières en ce qui concerne l’emplacement d’une antenne. En résumé, les antennes font intervenir des considérations différentes de celles soulevées par les fils ou les câbles. Cela étaye l’intention du Parlement de maintenir la distinction entre le matériel sans fil et le matériel filaire dans le régime d’accès.
  16.                           L’objet du régime d’accès et les droits qu’il accorde ne sont pas contrecarrés par une interprétation de « ligne de transmission » qui est neutre sur le plan technologique en ce qui concerne l’infrastructure filaire, mais qui exclut d’autres technologies comme les antennes. Je souligne qu’en imposant, dans le cas du déploiement d’une antenne, des mesures réglementaires additionnelles qui n’existent pas dans le cas du matériel filaire, le Parlement avait toujours à l’esprit le même objectif de « développement ordonné » qui, selon les entreprises, serait contrecarré si les antennes n’étaient pas couvertes par le régime d’accès (voir Loi sur la radiocommunication, par. 5(1)). Cette situation diffère des affaires où des arguments fondés sur la neutralité technologique ont été retenus. Par exemple, dans John c. Ballingall, 2017 ONCA 579, 136 O.R. (3d) 305, par. 23, la Cour d’appel de l’Ontario a statué que le mot « journal » figurant au par. 5(1) de la Loi sur la diffamation, L.R.O. 1990, c. L.12, ne s’entendait pas uniquement des articles imprimés. Un libelle publié sur le site Web d’un journal donne lui aussi ouverture à une action en justice. Le fait de restreindre la manière dont sont diffusés les propos diffamatoires entrave la réalisation de l’objet de la disposition, qui est d’établir un droit d’action contre la diffusion de contenu diffamatoire (par. 2223). Par contre, limiter la portée du régime d’accès à l’infrastructure filaire ne nuit pas à la capacité des entreprises d’avoir accès à cette infrastructure, pas plus qu’elle ne contrecarre la réalisation des objectifs généraux de la Loi, dont le « développement ordonné » des télécommunications au Canada. Je ne suis pas convaincue que la Cour devrait opter pour une interprétation de « ligne de transmission » qui est neutre sur le plan technologique pour tous les types de matériel qu’une entreprise peut déployer à travers son réseau, ou que les objectifs que visait le Parlement en édictant le régime d’accès sont compromis par l’interprétation plus étroite de « ligne de transmission ».
    1.           Les conséquences absurdes
  17.                           Enfin, les entreprises plaident qu’une interprétation étroite de « ligne de transmission » conduit au résultat absurde suivant lequel le matériel filaire d’un réseau sans fil mobile (le câble) est couvert par le régime d’accès alors qu’une autre pièce d’équipement nécessaire (l’antenne) ne l’est pas. Québecor et Vidéotron soutiennent que, comme il est impossible d’exploiter des lignes de transmission 5G sans antennes petite cellule, les mêmes droits d’accès devraient valoir pour l’ensemble du réseau, c.àd. à la fois les câbles et les antennes. De même, selon Rogers, le Parlement ne peut pas avoir voulu accorder aux entreprises un droit d’accès qui leur permet de déployer les câbles raccordés aux antennes petite cellule 5G, mais non les antennes en tant que telles.
  18.                           Les conséquences d’une interprétation particulière constituent un aspect de la méthode moderne d’interprétation des lois. Les conséquences qui sont compatibles avec l’objet et l’économie de la loi sont présumées avoir été voulues. À l’inverse, les composantes qui sont absurdes ou autrement inacceptables sont présumées ne pas avoir été voulues (Rizzo, par. 27; Wang c. British Columbia (Securities Commission), 2023 BCCA 101, 480 D.L.R. (4th) 1, par. 4243; voir aussi R. Sullivan, « Statutory Interpretation in a New Nutshell » (2003), 82 R. du B. can. 51, p. 64).
  19.                           Je conviens avec les entreprises qu’un régime d’accès qui s’applique au matériel filaire d’un réseau de télécommunications sans fil mobile mais non au matériel sans fil ne constitue pas le régime le plus favorable au déploiement de l’infrastructure 5G, un régime que le Parlement aurait pu édicter. Le régime obligera les entreprises à négocier avec les municipalités sans avoir de recours auprès du CRTC. Cela dit, cela ne signifie pas que l’interprétation plus étroite mène à un résultat absurde; cette interprétation n’est pas déraisonnable, illogique ou incompatible avec les autres dispositions de la Loi; elle ne va pas à l’encontre de l’objet de la Loi ni ne rend telle ou telle partie de la Loi inutile ou futile (Rizzo, par. 27).
  20.                           Je ne suis pas convaincue qu’une interprétation étroite du terme « ligne de transmission » risque d’entraîner la conséquence absurde de nuire à la réalisation des objectifs généraux de la Loi. Des éléments de preuve présentés au CRTC indiquaient que les délais pour accéder à des lieux publics pouvaient aller jusqu’à deux ans. Mais le CRTC a conclu que les municipalités ou les autres administrations publiques n’ont pas « systématiquement » fait obstacle au déploiement de l’infrastructure 5G (Décision du CRTC, par. 475). Cette conclusion de fait commande la déférence. Les entreprises n’ont pas été en mesure d’établir que régir différemment l’accès au matériel filaire et au matériel sans fil au sein d’un réseau nuirait au déploiement ordonné de l’infrastructure de télécommunications — 5G ou autre — des entreprises à travers le au Canada.
  21.                           En outre, il n’y a selon moi rien d’absurde dans le fait qu’une partie du matériel, tels les fils ou les câbles, est assujettie au régime d’accès, alors qu’une autre, telles les antennes, ne l’est pas. Comme il a été mentionné précédemment, les antennes impliquent des risques et des impacts particuliers qui sont absents lorsque les entreprises installent, entretiennent et exploitent des fils ou des câbles. Le régime d’accès, par contraste, a clairement été conçu en tenant compte de l’infrastructure linéaire. Par conséquent, assujettir au régime d’accès l’ensemble de l’infrastructure connectée, y compris les antennes petite cellule 5G ou les tours d’antennes grande cellule de générations antérieures, sans tenir compte de ces risques et impacts pourrait soulever des préoccupations au sujet de conséquences non souhaitées. C’est le cas même si je fais une distinction entre les antennes petite cellule 5G et les antennes grande cellule — elles ont en commun de nombreux risques et impacts, par exemple les interférences de fréquences, la sécurité relative à l’exposition, etc.
  22.                           Dans l’interprétation de l’intention du Parlement et dans son application à des circonstances qui évoluent, les tribunaux doivent prendre soin de ne pas faire des choix de politique d’intérêt général qu’il convient de laisser aux législatures. « Il n’appartient pas à la Cour de faire “en interprétant” la loi ce que le législateur a choisi de ne pas faire en l’adoptant » (Société RadioCanada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615, par. 53).
    1.           Les préoccupations liées au fédéralisme
  23.                           Québecor et Vidéotron soutiennent que l’interprétation adoptée par le CRTC et la Cour d’appel revient à conclure que le Parlement a délégué de manière non permise aux municipalités le pouvoir de déterminer l’emplacement des antennes petite cellule 5G, pouvoir qui relève de sa compétence exclusive. Les entreprises affirment qu’il s’agit de préoccupations liées au fédéralisme qui militent en faveur de l’interprétation plus large du terme « ligne de transmission ». En réponse, la ColombieBritannique soutient que la position des entreprises est fondée sur une conception trop rigide du partage des compétences que notre Cour a rejetée depuis longtemps en faveur du fédéralisme coopératif. La Cour d’appel n’a pas présumé que les municipalités sont constitutionnellement habilitées à empiéter sur les pouvoirs du fédéral, ni laissé supposer que le Parlement a délégué aux municipalités des compétences fédérales exclusives, et les entreprises n’ont pas établi au regard de la preuve que des lois provinciales nuiraient à l’emplacement des antennes.
  24.                           Notre Cour n’aborde pas à la légère des litiges constitutionnels qui ne sont pas nécessaires pour trancher le pourvoi dont elle est saisie (voir Commission scolaire francophone des Territoires du NordOuest c. Territoires du NordOuest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31, par. 108; Phillips c. NouvelleÉcosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, par. 910). Les entreprises n’ont pas attaqué la validité de mesures provinciales ou municipales en particulier, et il n’aurait d’ailleurs pas été approprié qu’elles le fassent dans le cadre du présent pourvoi. Si les entreprises croient qu’une province ou une municipalité a empiété sur la compétence exclusive du Parlement à l’égard de l’emplacement des installations de télécommunications et des entreprises de télécommunications en vertu du par. 91(29) et de l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867, le recours approprié consisterait à contester les mesures en question si elles sont prises et lorsqu’elles le sont (voir, p. ex., Rogers Communications Inc. c. Châteauguay (Ville), 2016 CSC 23, [2016] 1 R.C.S. 467; Calgary (City) c. Bell Canada Inc., 2020 ABCA 211, 7 Alta. L.R. (7th) 1).
  25.                           Je ne suis pas convaincue que les arguments des entreprises sur ce point commandent une interprétation de « ligne de transmission » qui écarterait la décision du Parlement de laisser l’accès aux emplacements des antennes faire l’objet de négociations de bonne foi entre les entreprises et les propriétaires de lieux publics. Comme il a été expliqué précédemment, les entreprises n’ont de toute façon pas démontré que le régime d’accès limité a entravé le développement ordonné de l’infrastructure de télécommunications depuis 1993, ni que ce régime risque d’entraver le développement ordonné de l’infrastructure de télécommunications dans le futur.
    1.           Les groupes d’examen du cadre législatif
  26.                           Je suis conforté dans mon interprétation de la Loi par le fait que les personnes l’ayant examinée de près ont similairement attribué au terme « ligne de transmission » le sens plus étroit. Les administrations publiques ont attiré l’attention de la Cour sur un rapport d’examen du cadre législatif produit en 2020 qui recommandait, comme l’a résumé la Cour d’appel dans ses motifs, « que le CRTC ait compétence sur toutes les questions liées à l’accès, pour les installations par câble et sans fil, et que le ministre confie au CRTC l’encadrement du processus des emplacements des antennes de radiocommunication et de radiodiffusion » (par. 115; voir Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications, L’avenir des communications au Canada : le temps d’agir — Rapport final (2020), p. 102103). Il s’agissait de la deuxième de deux recommandations formulées au Parlement pour que les questions d’accès soient confiées à la compétence du CRTC, la première ayant été formulée dans un rapport d’examen du cadre législatif en 2006 (voir Groupe d’étude sur le cadre réglementaire des télécommunications, Groupe d’étude sur le cadre réglementaire des télécommunications : Rapport final 2006 (2006), p. 54 à 515).
  27.                           Notre Cour a conclu que des modifications proposées puis abandonnées n’étaient pas pertinentes pour déterminer le sens du texte de loi qui autrement aurait été modifiée (voir La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22, par. 63). Similairement, l’inaction apparente du Parlement à la suite des recommandations susmentionnées n’établit pas en soi que « ligne de transmission » a la signification préconisée par les administrations publiques. Néanmoins, mon interprétation trouve appui dans le fait que les rapports recommandant ce changement législatif, qui ont été rédigés par des personnes ayant étudié attentivement cette législation, concordent avec ma conclusion selon laquelle le régime actuel d’accès ne s’applique pas aux antennes.
  1.       Conclusion
  1.                           Pour tous ces motifs, je conclus que le terme « ligne de transmission » désigne uniquement l’infrastructure de transmission filaire. Cette interprétation de « ligne de transmission » signifie que les art. 43 et 44 de la Loi n’accordent pas aux entreprises un droit d’accès restreint dans le cas des antennes — y compris les antennes petite cellule 5G — situées dans des lieux publics, et ils n’autorisent pas non plus le CRTC à trancher des différends concernant l’accès à ces antennes.
  2.                           Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens en faveur de la Fédération canadienne des municipalités, d’Électricité Canada et de Sa Majesté le Roi du chef de la province de la ColombieBritannique.

 Version française des motifs des juges Côté et Martin rendus par


 La juge Côté —

 TABLE DES MATIÈRES

 

Paragraphe

I. Aperçu

[88]

II. Contexte

[94]

III. Le régime statutaire pertinent

[99]

IV. Analyse

[104]

A. Le sens ordinaire et grammatical des mots « ligne de transmission »

[108]

(1)            L’interprétation exigeant une ligne de connexion physique peut viser les petites cellules 5G

[109]

(2)            Le sens ordinaire et grammatical appuie une interprétation plus large de « ligne de transmission »

[117]

B. Le contexte de la disposition

[126]

(1)            Le contexte externe : l’interaction entre les deux lois

[127]

(2)            Le contexte interne de la Loi sur les télécommunications

[142]

C. L’objet de la Loi sur les télécommunications

[155]

V. Conclusion

[171]

  1. Aperçu
  1.                           Les services sans fil mobiles sont une composante clé de la vie quotidienne des Canadiens et Canadiennes et de l’économie numérique du pays. Non seulement ils facilitent les communications, mais ils sont également devenus essentiels pour le commerce, la culture, le divertissement, la sécurité et l’apprentissage. Les services sans fil mobiles sont le secteur de l’industrie des télécommunications qui a connu la croissance la plus importante et la plus rapide au cours des dernières années, et cette tendance devrait se poursuivre avec le déploiement de nouvelles technologies comme les réseaux de cinquième génération (« 5G »). Il ne fait aucun doute que le fonctionnement de notre société dépend de l’exploitation appropriée de ces réseaux.
  2.                           La très grande vitesse avec laquelle surviennent les progrès technologiques — conjuguée à notre dépendance toujours croissante aux nouvelles technologies dans notre vie de tous les jours — a motivé le développement par le Parlement de la Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, c. 38 (« Loi »), et de la Loi sur la radiocommunication, L.R.C. 1985, c. R2, dans une optique de neutralité technologique. Durant l’étude en comité du projet de loi C62, qui est devenu la Loi sur les télécommunications, le ministre des Communications de l’époque, Perrin Beatty, a fait remarquer que le gouvernement « propos[ait] délibérément un cadre qui permet[trait] de conserver une certaine souplesse pour l’avenir » et visait à ce que « le projet de loi soit technologiquement neutre » pour faire en sorte que le Canada ait « une structure réglementaire souple et moderne » (Chambre des communes, Souscomité sur le projet de loi C62 du Comité permanent des communications et de la culture, Procèsverbaux et témoignages du Souscomité sur le projet de loi C62 du Comité permanent des communications et de la culture, no 8, 3e sess., 34e lég., 11 mai 1993, p. 16). La neutralité technologique permet à nos lois de continuer à s’appliquer sans qu’il faille constamment leur apporter des modifications pour les adapter aux changements technologiques constants. Elle procure en outre certitude et prévisibilité aux entreprises de services sans fil qui réalisent le développement technologique sur lequel nous comptons.
  3.                           Ces deux lois ont évolué de façon parallèle et concomitante. Elles sont étroitement interreliées. Dans le passé, notre Cour a clairement affirmé que la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, c. 11, la Loi sur la radiocommunication et la Loi sur les télécommunications opèrent à titre de régime statutaire interconnecté (Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010168, 2012 CSC 68, [2012] 3 R.C.S. 489 Renvoi relatif à la radiodiffusion »), par. 34 et 37).
  4.                           L’amélioration de la technologie 5G nécessite des mises à niveau importantes des réseaux actuels par le déploiement de petites cellules 5G à travers le pays. Ces petites cellules fonctionnent à l’aide d’antennes à faible puissance qui sont fixées sur des poteaux, des lampadaires et des immeubles et qui sont raccordées aux réseaux existants. Alors que les réseaux existants fonctionnent avec seulement 13 000 tours grande cellule, plus de 250 000 petites cellules 5G devront être installées pour que les réseaux 5G puissent fonctionner.
  5.                           Le présent pourvoi requiert que notre Cour détermine si, et de quelle manière, la législation applicable permet aux entreprises de services sans fil d’effectuer ces mises à niveau importantes, et, plus précisément, si le régime d’accès prévu aux art. 43 et 44 de la Loi sur les télécommunications peut faciliter l’installation des petites cellules 5G. Depuis le début des années 1900, le régime d’accès constitue un aspect essentiel du développement des réseaux de télécommunications canadiens. Pour trancher le pourvoi, la Cour doit interpréter l’expression « ligne de transmission » utilisée aux art. 43 et 44 de la Loi sur les télécommunications et décider si elle vise ou non les petites cellules 5G. Si cette expression vise effectivement les petites cellules 5G, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (« CRTC » ou « Conseil ») sera alors en mesure d’accorder aux entreprises l’accès aux lieux publics pour qu’elles les installent, dans les cas où une entreprise et une entité publique n’arrivent pas à s’entendre. Si les petites cellules 5G ne sont pas visées par la définition de « ligne de transmission », alors les entreprises devront négocier individuellement l’accès aux emplacements, sans possibilité de s’adresser au CRTC en cas d’impasse. Autrement dit, une interprétation qui n’inclut pas les petites cellules 5G dans la définition de « ligne de transmission » fera en sorte qu’il sera considérablement plus difficile — et dans certains cas impossible — pour les entreprises de réaliser d’importantes mises à niveau des réseaux mobiles canadiens.
  6.                           Ma collègue la juge Moreau adopte une telle interprétation, concluant que l’installation de petites cellules 5G ne relève pas du champ d’application du régime d’accès prévu par la Loi sur les télécommunications. Avec égards, je ne peux me rallier à cette conclusion et je dois exprimer mon désaccord. À mon avis, il ressort clairement du texte, du contexte et de l’objet de la Loi sur les télécommunications que l’expression « ligne de transmission » inclut les petites cellules 5G. Il s’agit d’une interprétation qui s’accorde avec le texte ainsi qu’avec le sens ordinaire et grammatical de l’expression « ligne de transmission ». Il s’agit également de la seule interprétation qui permet à la Loi sur les télécommunications et à la Loi sur la radiocommunication de s’appliquer ensemble efficacement, comme le voulait le Parlement. De plus et en dernier lieu, il s’agit de la seule interprétation qui correspond au désir de neutralité technologique du Parlement et qui le respecte, compte tenu de l’évolution rapide des technologies.
  1.             Contexte
  1.                           Au cours des deux dernières décennies, le CRTC a émis un certain nombre de directives concernant les conditions et modalités auxquelles doivent se conformer les entreprises de services sans fil nationales afin de protéger les consommateurs et d’encourager la concurrence.
  2.                           En février 2019, le CRTC a émis l’Avis de consultation de télécom CRTC 201957 (en ligne) dans le but d’amorcer un vaste examen des services sans fil mobiles et du cadre réglementaire y associé. Des entreprises de télécommunications telles les appelantes participaient à ce processus. Lorsque les participants ont été invités à formuler des commentaires à ce sujet, une question s’est posée quant à la juridiction du CRTC sur l’accès aux infrastructures municipales et à d’autres espaces publics pour l’installation de petites cellules 5G. Cette question a obligé le CRTC à interpréter l’expression « ligne de transmission » à l’art. 43 de la Loi sur les télécommunications.
  3.                           Le 15 avril 2021, le CRTC a communiqué sa décision par le truchement de la Politique réglementaire de télécom CRTC 2021130 (en ligne) (« décision du CRTC ») et a conclu que l’expression « ligne de transmission » ne peut viser les petites cellules ou les technologies qui transmettent des télécommunications sans fil.
  4.                           La Cour d’appel fédérale a confirmé cette interprétation. Elle a conclu que le mot « ligne » a pour sens ordinaire une voie physique ou tangible et que, comme les petites cellules 5G ont une composante sans fil, elles ne correspondent pas à cette définition étroite. La cour a appliqué la présomption d’uniformité d’expression et statué que l’expression « ligne de transmission » doit être définie plus étroitement que l’expression « installation de transmission » — qui est définie plus largement au par. 2(1) de la Loi comme étant « [t]out système électromagnétique — notamment fil, câble ou système radio ou optique — ou tout autre procédé technique pour la transmission d’information entre des points d’arrivée du réseau ». Selon la Cour d’appel fédérale, les objectifs de la Loi sur la radiocommunication et de la Loi sur les télécommunications sont mis en œuvre au moyen de deux cadres parallèles, mais distincts, qui prévoient l’approbation des emplacements pour l’installation des antennes et à l’accès à ces emplacements. Élargir la portée des art. 43 et 44 de la Loi sur les télécommunications ferait abstraction du choix délibéré du Parlement d’établir une démarcation entre les deux régimes et risquerait d’engendrer des conflits d’application.
  5.                           Notre Cour est maintenant appelée à examiner la question.
  1.          Le régime statutaire pertinent
  1.                           Avant d’entreprendre mon analyse, il est utile de décrire les objectifs de la Loi sur les télécommunications. L’article 7 de la Loi reconnaît le « caractère essentiel » des télécommunications au Canada et énonce ainsi les objectifs de la Loi :

 a) favoriser le développement ordonné des télécommunications partout au Canada en un système qui contribue à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure sociale et économique du Canada et de ses régions;

 b) permettre l’accès aux Canadiens dans toutes les régions — rurales ou urbaines — du Canada à des services de télécommunication sûrs, abordables et de qualité;

 c) accroître l’efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes;

 d) promouvoir l’accession à la propriété des entreprises canadiennes, et à leur contrôle, par des Canadiens;

 e) promouvoir l’utilisation d’installations de transmission canadiennes pour les télécommunications à l’intérieur du Canada et à destination ou en provenance de l’étranger;

 f) favoriser le libre jeu du marché en ce qui concerne la fourniture de services de télécommunication et assurer l’efficacité de la réglementation, dans le cas où celleci est nécessaire;

 g) stimuler la recherche et le développement au Canada dans le domaine des télécommunications ainsi que l’innovation en ce qui touche la fourniture de services dans ce domaine;

 h) satisfaire les exigences économiques et sociales des usagers des services de télécommunication;

 i) contribuer à la protection de la vie privée des personnes.

  1.                       Les articles 43 et 44 de la Loi sur les télécommunications sont les dispositions se rapportant à ce qu’on appelle le régime d’accès. Ces dispositions sont rédigées ainsi :

 43 (1) Au présent article et à l’article 44, entreprise de distribution s’entend au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la radiodiffusion.

 (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4) et de l’article 44, l’entreprise canadienne et l’entreprise de distribution ont accès à toute voie publique ou tout autre lieu public pour la construction, l’exploitation ou l’entretien de leurs lignes de transmission, et peuvent y procéder à des travaux, notamment de creusage, et y demeurer pour la durée nécessaire à ces fins; elles doivent cependant dans tous les cas veiller à éviter toute entrave abusive à la jouissance des lieux par le public.

 (3) Il est interdit à l’entreprise canadienne et à l’entreprise de distribution de construire des lignes de transmission sur une voie publique ou dans tout autre lieu public — ou audessus, audessous ou aux abords de ceuxci — sans l’agrément de l’administration municipale ou autre administration publique compétente.

 (4) Dans le cas où l’administration leur refuse l’agrément ou leur impose des conditions qui leur sont inacceptables, l’entreprise canadienne ou l’entreprise de distribution peuvent demander au Conseil l’autorisation de construire les lignes projetées; celuici peut, compte tenu de la jouissance que d’autres ont des lieux, assortir l’autorisation des conditions qu’il juge indiquées.

 (5) Lorsqu’il ne peut, à des conditions qui lui sont acceptables, avoir accès à la structure de soutien d’une ligne de transmission construite sur une voie publique ou un autre lieu public, le fournisseur de services au public peut demander au Conseil le droit d’y accéder en vue de la fourniture de ces services; le Conseil peut assortir l’autorisation des conditions qu’il juge indiquées.

 44 Sur demande d’une administration municipale ou autre administration publique, le Conseil peut :

 a) soit obliger, aux conditions qu’il fixe, l’entreprise canadienne ou l’entreprise de distribution à enfouir les lignes de transmission qu’elles ont, ou projettent d’avoir, sur le territoire de l’administration en question ou à en modifier l’emplacement;

 b) soit ne leur en permettre la construction, l’exploitation ou l’entretien qu’en exécution de ses instructions.

  1.                       Le paragraphe 43(2) prévoit que les entreprises ont accès aux lieux publics pour la construction, l’entretien et l’exploitation de lignes de transmission pour autant qu’elles veillent à éviter toute entrave abusive à la jouissance de ces lieux par le public. Normalement, le consentement de la municipalité ou de l’autre administration publique concernée est nécessaire pour l’installation d’une ligne de transmission (par. 43(3)). Cependant, l’art. 43 confère au CRTC des pouvoirs décisionnels lui permettant d’accorder l’accès à un lieu pour l’installation d’une ligne de transmission lorsque la municipalité ou l’autre administration publique concernée refuse son consentement (par. 43(4)). Dans un tel cas, le CRTC possède le pouvoir d’énoncer les conditions de cet accès (ibid.). L’interprétation de l’expression « ligne de transmission » constitue donc une porte d’entrée au régime d’accès. De plus, en vertu du par. 43(5), un fournisseur de services au public peut également demander au CRTC l’accès à la structure de soutien d’une ligne de transmission. Quant à l’art. 44, il codifie le droit des municipalités et autres administrations publiques de demander au CRTC de rendre diverses ordonnances visant une entreprise.
  2.                       Par conséquent, bien que les entreprises doivent toujours négocier des ententes pour la construction et l’installation de lignes de transmission ou pour l’accès à la structure de soutien d’une ligne de transmission, les art. 43 et 44 créent un régime d’accès qui facilite considérablement la construction et l’installation de lignes de transmission — un régime de grande importance dans un contexte où plus de 250 000 installations doivent être effectuées pour opérationnaliser les mises à niveau du réseau.
  3.                       En revanche, la Loi sur la radiocommunication régit l’exploitation de dispositifs qui utilisent le spectre radioélectrique en instaurant un système d’octroi de licences. Selon l’al. 5(1)f) de la Loi sur la radiocommunication, le ministre de l’Industrie (« Ministre ») a juridiction pour « approuver l’emplacement d’appareils radio, y compris de systèmes d’antennes, ainsi que la construction de pylônes, tours et autres structures porteuses d’antennes ». Toutefois, comme je l’explique plus en détail ciaprès, ce pouvoir d’approbation n’habilite pas le Ministre à régir l’accès aux emplacements pour l’installation de ces antennes, contrairement au régime énoncé dans la Loi sur les télécommunications.
  1.          Analyse
  1.                       Le point de départ de toute interprétation statutaire au Canada repose sur la méthode moderne, suivant laquelle il faut lire les termes d’une loi [traduction] « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26).
  2.                       Dans l’arrêt Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, 2003 CSC 28, [2003] 1 R.C.S. 476, notre Cour a eu recours à la méthode moderne pour décider si le par. 43(5) de la Loi sur les télécommunications pouvait permettre à des câblodistributeurs privés d’avoir accès aux poteaux électriques d’une municipalité afin d’y installer des lignes de transmission, ainsi que pour trancher la question de savoir si cet accès relevait de la juridiction du CRTC (voir le par. 20). Pour arriver à sa conclusion, la Cour s’est penchée sur (1) le sens ordinaire et grammatical des art. 43 et 44 de la Loi; (2) le contexte interne de ces articles; (3) le contexte externe de l’art. 43, y compris d’autres dispositions de la Loi; et (4) les objectifs d’intérêt général de la Loi.
  3.                       Tout comme la Cour d’appel fédérale l’a fait dans ses motifs, je m’appuie sur le cadre juridique utilisé dans l’arrêt Barrie pour décider si le CRTC a juridiction sur les petites cellules 5G. Cependant, contrairement à la Cour d’appel fédérale, j’arrive à la conclusion que les mots « ligne de transmission » aux art. 43 et 44 de la Loi sur les télécommunications visent les lignes sans fil.
  4.                       Premièrement, je me penche sur le sens ordinaire et grammatical des mots « ligne de transmission ». Je conclus que cette expression, à elle seule, tend à indiquer que les petites cellules 5G sont visées par le régime d’accès prévu dans la Loi sur les télécommunications. D’ailleurs, même si les mots « ligne de transmission » étaient censés désigner uniquement les connexions filaires, les petites cellules 5G seraient visées par une telle définition. Cette conclusion ne met toutefois pas fin à l’analyse, car le sens ordinaire de « ligne de transmission » peut également être interprété comme incluant davantage que seulement des connexions filaires. Deuxièmement, je poursuis l’analyse en examinant les contextes externe et interne des dispositions du régime d’accès, contextes qui appuient une interprétation de « ligne de transmission » qui inclut les lignes sans fil. Troisièmement, et en dernier lieu, je conclus qu’une interprétation dynamique des mots « ligne de transmission », qui requiert l’application du principe de la neutralité technologique, tend à indiquer que le Parlement entendait créer un régime législatif évolutif capable de s’adapter au développement de nouvelles technologies, notamment le déploiement de petites cellules 5G.
    1.             Le sens ordinaire et grammatical des mots « ligne de transmission »
  5.                       La méthode moderne d’interprétation législative requiert que notre Cour examine d’abord le texte des dispositions en cause. En l’absence d’une définition dans la loi, comme c’est le cas en l’espèce pour « ligne de transmission », l’analyse doit s’attarder au sens ordinaire et grammatical du texte, c’estàdire son « sens ordinaire ».
    1.           L’interprétation exigeant une ligne de connexion physique peut viser les petites cellules 5G
  6.                       Une façon d’interpréter l’expression « ligne de transmission » consiste à conclure qu’elle désigne une ligne physique. Il s’agit de l’interprétation privilégiée par la Cour d’appel fédérale, qui a jugé que l’expression implique nécessairement une « voie physique et tangible » (2023 CAF 79, 16 Admin. L.R. (7th) 89, par. 81).
  7.                       À supposer, pour les besoins de l’analyse, que cette interprétation étroite est la bonne, je suis d’avis que cette définition de « ligne de transmission » inclut nécessairement les petites cellules 5G. Cellesci utilisent les voies physiques ou tangibles dont parle la Cour d’appel fédérale. De fait, il convient de mentionner que les installations sans fil comme les petites cellules 5G sont fixées à des structures telles que des poteaux téléphoniques, des lampadaires et des immeubles, et qu’elles sont « raccordées », habituellement au moyen de câbles de fibres optiques, aux réseaux de transport filaire existants des entreprises pour former un réseau de télécommunications unique et intégré. En ce sens, les petites cellules 5G sont rattachées aux lignes de transmission existantes et elles les prolongent.
  8.                       Les petites cellules 5G requièrent à la fois un câble pour la transmission de l’information et un branchement à une source d’alimentation. Dans un guide qui a été préparé par l’intimée la Fédération canadienne des municipalités dans le but d’informer les municipalités au sujet du déploiement des petites cellules 5G, et qui a pour titre Partir d’un bon pied : Préparer le déploiement de la 5G dans votre municipalité (2020) (« Guide de déploiement 5G »), le fonctionnement de petites cellules 5G est décrit de la façon suivante :

 Les petites cellules dépendent d’un certain nombre de connexions physiques pour fonctionner. Pour que les données puissent entrer dans Internet ou en sortir, chaque antenne de petite cellule doit être câblée dans le réseau à fibres optiques souterrain de l’entreprise de télécommunication. Chaque antenne est également accompagnée de divers appareils de soutien ou de contrôle et nécessite sa propre source d’énergie. Par conséquent, si les câbles sont situés sous terre, il faudra peutêtre construire des conduits pour la fibre optique et pour la source d’alimentation.

 . . .

 . . . Ces antennes permettent aux utilisateurs de vivre une expérience sans fil, mais pour que la technologie fonctionne, chaque antenne de petite cellule exige une source d’alimentation et doit habituellement être reliée par câble au réseau Internet du fournisseur.

 . . .

 . . . Chaque petite cellule doit être branchée au réseau 5G au moyen de câbles afin de transmettre les données captées par les petites cellules et d’acheminer les données aux appareils et utilisateurs sans fil. Cet élément de connexion filaire au réseau 5G d’un fournisseur sera probablement installé sur votre emprise et pourrait nécessiter l’installation de socles ou de placards au sol. Conformément aux règlements applicables à l’infrastructure filaire, les entreprises de télécommunication ont le droit d’utiliser l’espace des emprises municipales pour ces installations, mais, comme nous l’avons souligné, ce droit est assujetti aux conditions du consentement de votre municipalité. Toute dispute relative aux conditions d’accès peut être soumise au CRTC par l’une ou l’autre des parties. [Je souligne; p. 10 et 1516.]

  1.                       En outre, dans ses réponses aux questions posées dans l’Avis de consultation de télécom CRTC 201957, la Fédération canadienne des municipalités a fait remarquer que [traduction] « [d]’un point de vue technique, la technologie 5G “sans fil” n’existe pas : les petites cellules 5G doivent être raccordées au moyen d’un fil [. . .] Chaque cellule a également besoin d’une source d’alimentation directe, également fournie par fils » (CRTC Telecom Notice 201957 — FCM Responses to the Commission’s Questions, 2019 (en ligne), p. 6). Par conséquent, les composantes filaires des réseaux de petites cellules sont incontestablement des lignes de transmission, même si je tiens pour acquis que l’expression doit être interprétée comme visant uniquement des lignes physiques ou filaires.
  2.                       Ma collègue estime que le fait que les antennes sont raccordées ne signifie pas qu’elles doivent pour autant être considérées comme des lignes de transmission (par. 46). Je suis en désaccord.
  3.                       Les petites cellules 5G ne peuvent fonctionner sans les deux éléments; la composante antenne des petites cellules dépend de la composante filaire. Les petites cellules 5G ne sauraient être divisées en composantes filaires et non filaires alors que les deux sont nécessaires pour que l’infrastructure 5G fonctionne. Avec égards, l’analogie que fait ma collègue entre une petite cellule 5G et un grillepain est inappropriée. Les petites cellules comportent à la fois une source d’alimentation et un fil secondaire servant à connecter l’antenne au reste du réseau de l’entreprise. Plus important encore, ce fil secondaire est essentiel en ce qu’il permet à l’antenne d’interagir avec toutes les autres antennes de l’ensemble du réseau de l’entreprise. La technologie 5G ne fonctionne que lorsque les petites cellules 5G sont à proximité les unes des autres. Sans une telle proximité, les antennes ne servent à rien; elles ne sont efficaces qu’ensemble. Les grillepain sont quant à eux branchés pour utilisation individuelle. Ils n’ont pas besoin d’être connectés aux autres grillepain pour fonctionner.
  4.                       Bien que la Cour d’appel fédérale ait souligné que l’antenne petite cellule 5G doit avoir « une connexion filaire au réseau par câble de l’entreprise » et que, dans cette mesure, elle n’est « guère différent[e] des antennes cellulaires installées sur des tours et des édifices élevés au cours de la dernière décennie » (par. 12), la conclusion à laquelle la cour est parvenue quant à l’interprétation de l’expression « ligne de transmission » n’a pas donné effet à cette constatation factuelle.
  5.                       Les appelantes soutiennent que cela suffirait en soi pour trancher le présent pourvoi. Je suis toutefois d’avis que, conformément aux principes établis dans La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22, par. 2324, l’analyse doit se poursuivre, car le sens ordinaire des mots peut aussi appuyer une interprétation plus large qui n’exige pas de connexion physique. Mettre fin à l’analyse en se limitant à cette définition filaire du mot « ligne » dissocie la définition du troisième mot qui compose l’expression — transmission —, et dissocie d’autant plus la définition du contexte de la Loi sur les télécommunications et du régime de réglementation.
    1.           Le sens ordinaire et grammatical appuie une interprétation plus large de « ligne de transmission »
  6.                       D’autres éléments du sens ordinaire et grammatical militent en faveur d’une interprétation des art. 43 et 44 de la Loi sur les télécommunications qui comprend les petites cellules 5G.
  7.                       Dans l’arrêt Barrie, notre Cour a jugé que « transmission » dans ce contexte s’entend de la transmission d’« information », par opposition, par exemple, à la transmission d’électricité (par. 3334). Une « ligne de transmission » peut donc s’entendre d’une ligne qui transmet de l’information. Et le mot « information » est défini de façon large au par. 2(1) de la Loi : « Signes, signaux, écrits, images, sons ou renseignements de toute nature. »
  8.                       L’appelante Rogers Communications Canada Inc. soutient que le CRTC et la Cour d’appel fédérale se sont à tort trop appuyés sur la définition du mot « ligne » dans les dictionnaires pour conclure qu’une ligne de transmission doit être raccordée physiquement (m.a., par. 65).
  9.                       Il va de soi que dans les cas où, comme en l’espèce, l’aspect central d’une interprétation repose sur un ou deux mots, la pratique normale des tribunaux pourrait être de se reporter aux définitions figurant dans les dictionnaires pour déterminer [traduction] « les limites de l’usage approprié de chaque acception d’un mot » (voir C. Hutchison, The Modern Principle of Statutory Interpretation (2e éd. 2022), §3.04). Cependant, bien que les définitions des dictionnaires puissent s’avérer un bon point de départ, elles ne sont pas décisives. À cette étape initiale de l’interprétation, elles ne devraient constituer qu’un [traduction] « sens présumé », qui doit être confirmé, sinon révisé, au regard du contexte et de l’objet de la loi, ainsi que de l’intention visée par celle-ci (ibid., citant B. G. Slocum, Ordinary Meaning : A Theory of the Most Fundamental Principle of Legal Interpretation (2015), p. 22).
  10.                       À mon avis, la Cour d’appel fédérale et le CRTC ont fait erreur en rejetant la possibilité que le sens ordinaire de « ligne de transmission » puisse inclure également un type de ligne sans fil. L’analyse de quelques définitions de dictionnaires et de la technologie 5G ellemême n’écarte pas a priori la possibilité qu’une ligne de transmission puisse être sans fil.
  11.                       Bien qu’il soit vrai que, dans le cas des utilisateurs de téléphones cellulaires, aucune ligne de connexion physique ne relie les antennes à leurs téléphones, l’intervenant le Conseil canadien des affaires signale avec justesse que le sens ordinaire du mot « ligne » dans le contexte des télécommunications est moins concluant que ne laissent croire les définitions des dictionnaires sur lesquelles s’est appuyé le CRTC (m. interv., par. 14).
  12.                       D’ailleurs, dans le passé, des tribunaux ont mentionné que la transmission de signaux radio et autres entre des tours cellulaires et des téléphones cellulaires se fait le long d’une [traduction] « ligne de diffusion » (R. c. Gordon, 2015 ONSC 1192, par. 85; R. c. Kanagasivam, 2016 ONSC 1993, par. 13). Comme l’a affirmé le Conseil canadien des affaires, ces mentions d’une « ligne » de diffusion sans connexion filaire suggèrent qu’il existe une transmission linéaire de télécommunications entre deux points. Ainsi, bien que la Cour d’appel fédérale ait rejeté l’argument des appelantes au motif qu’« une antenne ne crée pas un parcours linéaire, mais plutôt une sphère » (par. 84), cela ne semble pas être entièrement exact d’un point de vue technologique.
  13.                       L’interprétation plus large qui englobe les connexions sans fil concorde également avec un usage courant du mot « ligne » dans un contexte technologique. Par exemple, il est possible de dire qu’un appareil est « en ligne » pour indiquer qu’il est connecté à Internet. Mais cette connexion n’est pas toujours filaire. En ce sens, une meilleure façon de décrire une ligne de transmission est de dire qu’il s’agit d’une connexion qui transmet de l’information entre deux points.
  14.                       Une simple lecture de l’expression « ligne de transmission » révèle donc une ambiguïté qui nous oblige à poursuivre l’analyse et d’examiner le contexte et l’objet qui soustendent les art. 43 et 44 de la Loi sur les télécommunications afin d’en dégager le sens exact (La Presse, par. 2324).
    1.             Le contexte de la disposition
  15.                       Tant la relation entre la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiocommunication (le contexte externe) que l’emplacement de l’art. 43 dans la Loi sur les télécommunications (le contexte interne) s’accordent avec une interprétation plus large de « ligne de transmission » qui inclut le matériel sans fil. J’examine successivement chacun de ces contextes.
    1.           Le contexte externe : l’interaction entre les deux lois
  16.                       Le contexte externe des art. 43 et 44 ainsi que la relation entre ces articles et le régime d’approbation de l’emplacement des antennes prévu par la Loi sur la radiocommunication appuient la conclusion à laquelle j’arrive. Le Parlement a édicté deux lois pour régir l’accès aux antennes et leur emplacement, respectivement, dans la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiocommunication. Comme elles fonctionnent en tandem, ces deux lois tendent à indiquer que, dans le processus de sélection des emplacements de petites cellules 5G, le CRTC a le pouvoir d’accorder l’accès à un emplacement lorsqu’une entreprise et la municipalité ou l’autre administration publique concernée n’arrivent pas à s’entendre. Je conclus que dépouiller le CRTC de sa juridiction à l’égard des emplacements pour l’installation de petites cellules 5G aurait pour effet de conférer un droit de veto aux municipalités ou aux autres administrations publiques, ce qui n’a pu être l’intention du Parlement.
  17.                       Comme je l’ai mentionné plus tôt, la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiocommunication ont évolué de manière concomitante et font partie du « même régime législatif » (Renvoi relatif à la radiodiffusion, par. 34). Il faut présumer que le Parlement privilégie « l’harmonie, la cohérence et l’uniformité » lorsqu’il traite du même sujet dans des lois différentes (par. 37, citant R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867, par. 52, et R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 325326).
  18.                       Le régime d’accès prévu par la Loi sur les télécommunications accorde au CRTC le pouvoir d’autoriser l’accès à un lieu pour y installer une ligne de transmission et de trancher tout différend entre les entreprises et les municipalités ou autres administrations publiques relativement à cet accès. Pour sa part, la Loi sur la radiocommunication ne comporte pas de régime d’accès comparable à celui de la Loi sur les télécommunications. Toutefois, l’al. 5(1)f) de la Loi sur la radiocommunication confère effectivement au Ministre le pouvoir d’approuver chaque emplacement où peuvent se trouver des appareils radio, y compris des systèmes d’antennes, et d’approuver l’érection de structures de soutien des antennes.
  19.                       Une interprétation harmonieuse de ces dispositions oblige notre Cour à reconnaître la différence fondamentale entre le pouvoir qu’a le Ministre en vertu de la Loi sur la radiocommunication d’« autoriser » un emplacement d’installation et le pouvoir qu’a le CRTC en vertu de la Loi sur les télécommunications d’accorder l’accès à cet emplacement. Le pouvoir du Ministre d’approuver un emplacement n’emporte pas celui d’autoriser l’accès à un lieu en particulier. Rien dans la Loi sur la radiocommunication ne suggère le contraire. En outre, cette loi ne prévoit aucun mécanisme permettant au Ministre de gérer les différends éventuels entre une entreprise et une entité publique en cas d’impasse au sujet de l’accès. Le seul pouvoir qu’a le ministre pour résoudre les différends est énoncé dans la circulaire CPC2003 — Systèmes d’antennes de radiocommunications et de radiodiffusion (2022) et se rapporte uniquement aux impasses découlant des discussions entre les parties au sujet de la construction d’un système d’antennes (Rogers Communications Inc. c. Châteauguay (Ville), 2016 CSC 23, [2016] 1 R.C.S. 467, par. 9).
  20.                       De fait, dans l’arrêt Châteauguay, notre Cour n’a jamais confirmé que le Ministre dispose d’un quelconque pouvoir concernant l’accès à des terres publiques. Dans cette affaire, le Ministre a exercé son pouvoir d’approbation des emplacements pour accorder à Rogers l’autorisation d’installer une antenne sur une propriété privée. Après l’approbation, la Ville de Châteauguay a néanmoins signifié un « avis de réserve » qui avait pour effet d’interdire la construction sur la propriété privée en question. Cette affaire ne portait pas sur le régime d’accès.
  21.                       Le pouvoir conféré au Ministre par la Loi sur la radiocommunication n’est pas un pouvoir d’accorder des droits d’accès. D’ailleurs, si c’était le cas, on s’attendrait à ce que cela soit mentionné explicitement, compte tenu du régime d’accès qui est déjà prévu dans la Loi sur les télécommunications.
  22.                       Adopter l’interprétation de ma collègue aurait pour effet d’empêcher le CRTC de fixer les conditions d’accès à un emplacement envisagé pour l’installation de petites cellules 5G. Cela veut dire qu’une municipalité ou une autre administration publique aurait, dans les faits, un droit de veto si une entreprise ne parvenait pas à s’entendre avec elle pour obtenir l’accès à un lieu d’installation. S’exprimant au nom des juges majoritaires de notre Cour dans Châteauguay, le juge Wagner (maintenant juge en chef du Canada) et moimême avons refusé de reconnaître pareil pouvoir à une municipalité en raison de la compétence exclusive du Parlement sur les télécommunications (par. 42).
  23.                       L’autorisation ministérielle d’installer une antenne à un emplacement en vertu de la Loi sur la radiocommunication est accordée uniquement après que l’accès à cet emplacement a fait l’objet de négociations. La Fédération canadienne des municipalités mentionne ce fait dans le Guide de déploiement 5G, lequel précise que, « [c]ontrairement à la Loi sur les télécommunications, les entreprises de télécommunications ne jouissent d’aucun droit d’accès pour installer des antennes de transmission, y compris les petites cellules, et doivent négocier l’accès au cas par cas » (p. 12). Le document précise également ce qui suit :

  Le cadre juridique régissant les antennes est complètement différent et est établi en vertu de la Loi sur la radiocommunication. Contrairement à ce qui se passe pour les fils et les câbles, les entreprises de télécommunication n’ont aucun droit d’accès à la propriété pour installer leurs antennes de transmission. Les entreprises doivent négocier sur un pied d’égalité avec les propriétaires des actifs sur lesquels ils souhaitent installer une antenne. En général, les entreprises de télécommunication achètent ou louent des terrains pour y installer de grandes tours ou, [si elles] souhaitent fixer une antenne plus petite à une structure existante (toit, mur d’immeuble, poteau de service public, etc.), [elles] négocient une entente d’occupation avec le propriétaire, qui comprend habituellement une certaine forme de loyer. Bien entendu, tout propriétaire est libre de refuser.

  Une fois qu’elles ont obtenu un emplacement pour une antenne, les entreprises doivent faire une demande d’approbation technique auprès d’Innovation, Sciences et Développement économique (ISDE). ISDE évaluera chaque demande en fonction de la procédure relative aux systèmes d’antenne (Circulaire des procédures concernant les clients CPC2003). Pour les structures de pylônes autonomes, quelle que soit leur hauteur, la procédure prévoit des consultations officielles avec la municipalité en tant qu’autorité locale d’aménagement du territoire. Toutefois, les installations de petites cellules 5G sur des structures existantes (tours et structures autres que des tours, comme un bâtiment ou un poteau électrique) ne sont pas soumises à cette exigence, tant que la hauteur de la structure ne s’accroît pas de plus de 25 %. [Je souligne; p. 14.]

  1.                       En réponse aux demandes d’information du CRTC, l’appelante Telus Communications Inc. a similairement affirmé que le pouvoir du Ministre d’autoriser un emplacement ne comprend pas celui d’y donner accès (d.a., vol. V, p. 17681769) :

  [traduction] Toutefois, l’alinéa 5f) n’accorde pas, a priori, aux entreprises de télécommunication le droit d’accès à un emplacement en particulier. En pratique, il leur incombe d’obtenir le droit d’accéder aux emplacements où elles souhaitent installer des tours, par exemple en concluant des baux. La procédure d’approbation subséquente est engagée selon les processus d’ISDE, qui bien souvent exigent la consultation de la communauté (mais pas dans tous les cas). L’exercice des pouvoirs conférés par l’alinéa 5f) s’apparente aux pouvoirs d’aménagement du territoire et de zonage exercés par des municipalités à l’égard d’autres industries qui ne sont pas de compétence fédérale.

  Par contraste, l’article 43 de la Loi sur les télécommunications accorde aux entreprises des droits d’accès concrets aux voies publiques et autres lieux publics afin d’y construire des lignes de transmission. Les deux lois sont, en conséquence, complémentaires : une entreprise pourrait exercer un droit d’accès à des terres publiques pour y installer la tour, et le processus d’ISDE s’appliquerait ensuite pour déterminer s’il s’agissait d’un endroit autorisé à cette fin. Subsidiairement, une entreprise pourrait négocier l’accès à des terres privées (sans un droit d’accès prévu à l’article 43), et le processus d’ISDE continuerait de s’appliquer. Ces pouvoirs sont indirects, mais aucunement en conflit. Par conséquent, les principes d’interprétation statutaire applicables commandent que les deux pouvoirs continuent de produire pleinement leur force et leur effet. [Je souligne.]

  1.                       Bien que la question consiste à décider si une petite cellule 5G est visée par l’expression « ligne de transmission » aux art. 43 et 44 de la Loi sur les télécommunications, personne ne conteste qu’une petite cellule 5G serait également régie par la Loi sur la radiocommunication. La licence pour l’antenne et l’approbation de l’emplacement envisagé pour la petite cellule 5G relèvent de la juridiction du Ministre. Au surplus, si une entreprise ne peut négocier l’accès à un emplacement, alors elle ne procédera jamais à l’obtention de l’autorisation ministérielle.
  2.                       J’estime que l’interaction entre les deux lois peut se résumer comme suit : lors du processus de sélection d’un emplacement pour la structure à laquelle sera raccordée une petite cellule 5G, le CRTC a le pouvoir d’y donner accès même lorsque l’entreprise et la municipalité ou l’administration publique n’arrivent pas à s’entendre. Une fois cet accès accordé, l’entreprise sollicitera ensuite l’autorisation du Ministre. Les deux lois n’engendrent aucun conflit. Elles s’appliquent en tandem sans aucun problème. Il s’agit d’un régime cohérent.
  3.                       Ma collègue souligne que la Loi sur la radiocommunication indique que le Parlement « est conscient des impacts particuliers qu’ont les antennes sur les collectivités et des risques associés à leur déploiement » (par. 73). Je ne conteste pas que les petites cellules 5G peuvent présenter des risques similaires à ceux associés aux grandes antennes. Comme je l’explique cidessus, l’autorisation ministérielle pour l’emplacement d’une antenne est accordée après que l’accès à l’emplacement a été négocié. L’autorisation ministérielle constitue la façon de gérer ces risques. Je ne suis pas d’accord avec ma collègue pour dire que l’existence de la Loi sur la radiocommunication et de son règlement pour l’approbation de l’emplacement des antennes tend à indiquer que le Parlement entendait instaurer un régime d’accès pour la technologie filaire seulement (par. 63). La Loi sur la radiocommunication tient compte des risques uniques que posent les antennes, risques que ma collègue et moimême reconnaissons. Aucune intention de la part du Parlement de ne pas soumettre les antennes au régime d’accès prévu par la Loi sur les télécommunications ne saurait être extrapolée du seul fait qu’il existe une autre loi. Cela est d’autant plus vrai compte tenu de l’interrelation des deux lois et des chevauchements qu’entraîne leur opération.
  4.                       Qui plus est, je ne conteste pas que le Parlement avait le « développement ordonné » à l’esprit quand il a édicté ces règles additionnelles à l’égard du déploiement des antennes, comme l’écrit ma collègue (par. 74). L’édiction de ces règles dans le cadre d’un seul régime — la Loi sur la radiocommunication concorde avec l’objectif de « développement ordonné ». Néanmoins, ne pas reconnaître que les petites cellules 5G sont visées par la définition de « ligne de transmission » pour les besoins de l’application du régime d’accès prévu par la Loi sur les télécommunications irait à l’encontre de cet objectif.
  5.                       Suivant l’interprétation de ma collègue, la composante filaire des petites cellules 5G serait régie par le régime d’accès établi dans la Loi sur les télécommunications, tandis que l’antenne, la composante sans fil, ne serait pas visée par ce régime. Cela produit concrètement des résultats absurdes, contrairement à la conclusion de ma collègue à cet égard (par. 7579). Les entreprises auraient la possibilité de recourir au pouvoir décisionnel du CRTC pour obtenir l’accès afin d’installer la composante filaire des petites cellules 5G, sans avoir une telle possibilité pour l’installation de l’autre composante.
  6.                       Ma collègue a raison de dire que la portée des droits d’accès d’une entreprise peut également faire l’objet de conditions fixées par le CRTC (par. 72). Toutefois, quelles que soient ces conditions, il demeure que l’accès sera accordé d’une façon ou d’une autre, par opposition à une approche qui accorde un droit de veto de facto aux municipalités et autres administrations publiques. Comme le Parlement était sans doute conscient de l’existence des antennes quand il a utilisé l’expression « ligne de transmission » et créé le régime d’accès, il ne peut avoir eu l’intention d’établir, en matière de télécommunications, un régime d’accès pour la technologie filaire, mais aucun régime d’accès pour la technologie sans fil.
    1.           Le contexte interne de la Loi sur les télécommunications
  7.                       Le contexte interne de la Loi appuie lui aussi la conclusion selon laquelle les petites cellules 5G sont visées par les mots « ligne de transmission ». À mon avis, la présomption d’uniformité d’expression appliquée par la Cour d’appel fédérale pour distinguer les expressions « ligne de transmission » et « installation de transmission » dans la Loi sur les télécommunications est considérablement affaiblie en raison des objets et historiques législatifs distincts de ces deux expressions.
  8.                       Dans son analyse du contexte interne de la Loi, la Cour d’appel fédérale s’est appuyée sur la présomption d’uniformité d’expression pour conclure que les lignes de transmission sans fil ne relèvent pas de la juridiction du CRTC.
  9.                       L’expression « ligne de transmission » n’est pas définie dans la Loi. Cependant, l’expression « installation de transmission » est définie au par. 2(1) et s’entend de « [t]out système électromagnétique — notamment fil, câble ou système radio ou optique — ou tout autre procédé technique pour la transmission d’information entre des points d’arrivée du réseau, à l’exception des appareils de transmission exclus. » Selon la Cour d’appel fédérale, à la lumière de cette définition large d’« installation de transmission », les mots « ligne de transmission » doivent recevoir une interprétation différente et plus étroite.
  10.                       La présomption d’uniformité d’expression prévoit que, « lorsque des termes différents sont employés dans un même texte législatif, il faut considérer qu’ils ont un sens différent » (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 81). Cela sousentend qu’« [i]l faut tenir pour acquis que le législateur a délibérément choisi des termes différents dans le but d’indiquer un sens différent » (ibid.).
  11.                       Cependant, la présomption peut être réfutée par d’autres principes d’interprétation. Comme l’a indiqué notre Cour dans R. c. Steele, 2014 CSC 61, [2014] 3 R.C.S. 138, « il peut arriver que la présomption d’uniformité d’expression soit clairement réfutée par d’autres principes d’interprétation, de sorte que le sens voulu par le législateur peut varier d’une loi à l’autre, voire, dans certaines situations, d’une disposition à l’autre » (par. 51). Les auteurs PierreAndré Côté et Mathieu Devinat expliquent que la présomption d’uniformité d’expression est appliquée non pas comme une règle, mais plutôt comme une supposition qui tire sa force du contexte (Interprétation des lois (5e éd. 2021), par. 1147) :

  La présomption d’uniformité des expressions ne devrait donc pas être appliquée sans tenir compte de l’environnement textuel de chacune des expressions. Il s’agit d’une présomption dont l’autorité pourra varier en fonction de la qualité de la rédaction de la loi : le sentiment que le texte examiné a été rédigé avec plus ou moins de soin contribuera donc à donner plus ou moins d’autorité au principe. Autre élément qui peut jouer : la plus ou moins grande proximité, dans le texte, entre les deux expressions qu’on présume avoir le même sens.

  1.                       Avec égards, je suis d’avis que la Cour d’appel fédérale n’a pas tenu compte de certains éléments qui affaiblissent la présomption en l’espèce. Les expressions « ligne de transmission » et « installation de transmission » ont des objets et historiques législatifs distincts.
  2.                       En effet, ces expressions se rattachent à des régimes distincts dans la Loi : l’expression « ligne de transmission » se rattache au régime d’accès établi par les art. 43 à 45, tandis que l’expression « installation de transmission » est employée à l’art. 16, la disposition concernant l’exigence de propriété et de contrôle canadiens. Bien que ces dispositions aient été adoptées dans le cadre du même projet de réforme législative, l’historique statutaire révèle des objectifs d’intérêt général distincts qui affectent la force de la présomption d’uniformité d’expression.
  3.                       L’expression « installation de transmission » a été introduite presque un siècle après l’édiction du régime d’accès, lequel était anciennement établi dans la Loi sur les chemins de fer, L.R.C. 1985, c. R3 — la loi qui a été remplacée par la Loi sur les télécommunications. Le régime de propriété et de contrôle établi par la partie II de la Loi énonce quelles entreprises sont admises à agir à titre d’entreprises de télécommunication. La définition d’« installation de transmission » ellemême ne joue aucun autre rôle dans quelque autre article de la Loi — sauf dans d’autres définitions qui sont employées dans la Loi, par exemple la définition d’« installation de télécommunication ».
  4.                       Le simple fait que la définition d’« installation de transmission » figure dans l’article de la Loi où se trouvent les définitions, plutôt qu’à l’art. 16, n’a aucune incidence. À première vue, ce fait semble renforcer plutôt qu’affaiblir la présomption. Toutefois, bien que la définition figure au tout début de la Loi, l’expression est utilisée à seulement trois autres endroits dans la Loi. L’expression « installation de transmission » figure au par. 16(2), sous la rubrique « Admissibilité ». Cette disposition énonce qu’une entreprise canadienne est admise à agir comme entreprise de télécommunication si, entre autres exigences, elle « n’est propriétaire ou exploitante que d’une installation de transmission visée au paragraphe (5) » (al. 16(2)b)). Il s’agit d’une disposition cruciale; elle établit quelles entités sont considérées comme des entreprises de télécommunication et sont, en conséquence, investies de divers pouvoirs et privilèges énoncés dans la Loi. D’ailleurs, la définition d’« entreprise de télécommunication » est étroitement liée à celle d’« installation de transmission ». L’expression « entreprise de télécommunication » est en effet définie ainsi au par. 2(1) : « Propriétaire ou exploitant d’une installation de transmission grâce à laquelle sont fournis par luimême ou une autre personne des services de télécommunication au public moyennant contrepartie. »
  5.                       Les seuls autres endroits où le Parlement utilise l’expression « installation de transmission » dans la Loi sont l’art. 5, sous la rubrique « Assujettissement à la loi », et l’art. 7, qui énonce les objectifs de la Loi. L’article 5 ne fait que préciser que « [l]e fiduciaire, le syndic, le séquestre, l’administrateur du bien d’autrui ou toute autre personne qui gère ou exploite une installation de transmission d’une entreprise canadienne sous l’autorité d’un tribunal ou en application d’un acte juridique est assujetti à la présente loi ».
  6.                       Étant donné que le Parlement souhaitait renvoyer à cette expression afin de préciser quelles personnes sont assujetties à la Loi — un objectif qui n’aurait pas de raison d’être dans la disposition sur l’admissibilité générale —, il tombe naturellement sous le sens que l’expression « installation de transmission » soit définie au début de la Loi. En outre, l’al. 7e) énonce qu’un des objectifs de la Loi consiste à « promouvoir l’utilisation d’installations de transmission canadiennes pour les télécommunications à l’intérieur du Canada et à destination ou en provenance de l’étranger ». Cette disposition ne confère aucun pouvoir aux entreprises de télécommunication — elle énonce un objectif très large qui emploie l’expression au sens le plus général possible de la définition. Qui plus est, le seul fait que la définition se trouve au début du texte de loi ne signifie pas qu’elle a pour fonction de s’appliquer de façon générale; l’expression est employée d’une manière effective et substantielle uniquement à l’art. 16 de la Loi. Je note aussi que la définition du terme « télécommunication » luimême au par. 2(1) de la Loi — terme qui figure dans le titre de la Loi — s’entend notamment de la transmission d’information « soit par système électromagnétique, notamment par fil, câble ou système radio ou optique, soit par tout autre procédé technique semblable ». Cette définition englobe les ondes radio. Au surplus, et plus important encore, elle indique que le Parlement a su employer le terme « fil » ou « câble » lorsqu’il renvoyait spécifiquement à une ligne physique.
  7.                       De plus, ma collègue affirme que les art. 43 à 45 de la Loi « évoquent des activités linéaires physiques », étant donné que ces dispositions traitent de l’accès à un lieu et des travaux, notamment de creusage, en vue de la construction de lignes de transmission « sur » une infrastructure publique « ou audessus, audessous ou aux abords de ce[lle]ci » (par. 5051).
  8.                       Avec égards, cela accorde beaucoup trop d’importance au fait que la Loi envisage des ouvrages physiques. Le fait que la Loi accorde aux entreprises le pouvoir d’apporter des modifications physiques à un bienfonds pour effectuer l’installation de technologie filaire n’a aucune importance. Dans la mesure où l’expression « ligne de transmission » vise des connexions physiques, ce sur quoi tous s’accordent en l’espèce, les dispositions en question sont nécessaires. Même s’il existait une définition de « ligne de transmission » visant expressément les antennes, ces dispositions seraient nécessaires pour la réalisation des connexions filaires. Cela n’empêche pas l’installation d’infrastructures ne nécessitant pas de creusage du sol. Aucune disposition n’est nécessaire lorsque l’installation ne requiert pas d’altérations physiques du bienfonds. Et, de toute manière, une entreprise a quand même besoin d’avoir « accès » au lieu pour y installer des petites cellules 5G, lesquelles peuvent toujours être installées « sur » une infrastructure existante. Ces cellules peuvent en outre nécessiter des travaux de creusage dans certains cas, ainsi que le reconnaît ma collègue (par. 50).
    1.             L’objet de la Loi sur les télécommunications
  9.                       Les principes de l’interprétation dynamique, c’estàdire une interprétation qui n’est pas figée dans le temps et qui peut évoluer avec la technologie, doivent être considérés à l’étape où le tribunal est appelé à examiner l’objet de la Loi. Ces principes s’appliquent depuis longtemps dans le contexte des télécommunications (voir le m.a., Telus, par. 7275).
  10.                       Dans Edmonton (Ville) c. 360Networks Canada Ltd., 2007 CAF 106, [2007] 4 R.C.F. 747, la Cour d’appel fédérale a examiné le sens des mots « voie publique ou tout autre lieu public » à l’art. 43 de la Loi sur les télécommunications. Dans cette affaire, les parties ne s’entendaient pas sur la question de savoir si les terrains servant au train léger sur rail dans la ville d’Edmonton devaient être considérés comme un « autre lieu public ». Le juge Evans a reconnu l’existence d’un problème d’interprétation concernant les mots « voie publique ou tout autre lieu public », qui, comme « ligne de transmission », tirent leur origine de versions plus anciennes de la Loi (voir le par. 60). Ultimement, le juge Evans a opté pour une interprétation plus large permettant à la notion d’« autre lieu public » d’inclure tous les terrains servant au train léger sur rail. Il a conclu qu’une interprétation plus restreinte aurait « fai[t] entrave à l’application efficace de la [L]oi » de manière incompatible avec ses objectifs, notamment « encourager le développement efficace et ordonné des réseaux de télécommunications » et fournir un cadre réglementaire « réceptif à l’avancement technologique des télécommunications et à l’entrée en jeu des forces du marché et de la concurrence commerciale » (par. 64).
  11.                       Si la Cour d’appel fédérale avait adopté en l’espèce la même approche contextuelle et dynamique que dans l’affaire 360Networks pour interpréter « ligne de transmission », elle aurait conclu que l’expression devrait être interprétée de manière à englober l’infrastructure de transmission sans fil.
  12.                       Cette approche dynamique est également reflétée dans le texte de l’art. 10 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I21, qui énonce que « [l]a règle de droit a vocation permanente; exprimée dans un texte au présent intemporel, elle s’applique à la situation du moment de façon que le texte produise ses effets selon son esprit, son sens et son objet. »
  13.                       En outre, divers éléments se rapportant à l’intention du Parlement lorsqu’il a édicté et réformé la Loi sur les télécommunications militent en faveur de l’application d’une interprétation dynamique en l’espèce. Je m’explique.
  14.                       Les objectifs généraux de la Loi énoncés à l’art. 7 reflètent une approche dynamique. L’article 7 reconnaît le « caractère essentiel » des télécommunications au Canada et précise que les objectifs de la Loi visent notamment à « favoriser le développement ordonné des télécommunications partout au Canada en un système », à « permettre l’accès aux Canadiens [. . .] à des services de télécommunication sûrs, abordables et de qualité », à « accroître l’efficacité et la compétitivité [. . .] des télécommunications canadiennes », à « assurer l’efficacité de la réglementation, dans le cas où celleci est nécessaire » et à « satisfaire les exigences économiques et sociales des usagers des services de télécommunication ».
  15.                       Un régime de réglementation des télécommunications efficace et efficient qui favorise l’accès à des services sûrs et de qualité à travers le Canada est un régime qui rend plus facile — et non plus difficile — la réalisation par les entreprises des importantes mises à niveau nécessaires pour développer les réseaux de télécommunications du Canada. Il va de soi que ces objectifs d’intérêt général ne fondent pas à eux seuls la juridiction du CRTC — ils éclairent plutôt sur la façon dont le régime d’accès doit être interprété. Avec égards, une interprétation de « ligne de transmission » qui enlève aux entreprises un droit de recours prévu par le régime d’accès établi par la Loi sur les télécommunications va à l’encontre de ces objectifs. Exiger des entreprises qu’elles négocient l’accès avec les municipalités ou d’autres administrations publiques sans pouvoir s’adresser au CRTC en cas d’impasse rendra naturellement plus difficile le déploiement de l’infrastructure 5G. Le nombre même de petites cellules 5G qui doivent être déployées — au moins 250 000, comparativement à seulement 13 000 tours à grande cellule — accroît considérablement la difficulté des négociations du fait qu’il y a 20 fois plus d’antennes à installer sur la même étendue géographique.
  16.                       Comme le souligne l’appelante Telus dans son mémoire, les instructions du Cabinet indiquent l’engagement du CRTC envers la neutralité technologique. Les instructions de 2006 donnaient comme directive au CRTC de « donner lieu, dans toute la mesure du possible, à des ententes ou régimes neutres sur le plan de la technologie et de la concurrence » (Décret donnant au CRTC des instructions relativement à la mise en œuvre de la politique canadienne de télécommunication, DORS/2006355, sousal. 1b)(iv)), tandis que la directive de 2019 exigeait du CRTC qu’il examine comment ses décisions « permettent l’innovation dans les services de télécommunication, y compris de nouvelles technologies et des offres de services différenciées » (Décret donnant au CRTC des instructions relativement à la mise en œuvre de la politique canadienne de télécommunication pour promouvoir la concurrence, l’abordabilité, les intérêts des consommateurs et l’innovation, DORS/2019227, sousal. 1a)(vi)). Cela a été confirmé de nouveau dans les plus récentes instructions du Cabinet en 2023 (Décret donnant au CRTC des instructions sur une approche renouvelée de la politique de télécommunication, DORS/202323, al. 2f)). Ces instructions ne portent pas uniquement sur la neutralité technologique, puisqu’elles se rapportent spécifiquement au régime d’accès. Elles requièrent que le CRTC prenne des mesures pour « rendre obligatoire l’accès amélioré aux structures de soutènement, telles que les poteaux et les conduits téléphoniques, et identifier et aborder d’autres obstacles au déploiement des réseaux de télécommunication en temps opportun » (al. 18b)).
  17.                       Ma collègue adopte une approche étroite à l’égard de la neutralité technologique dans la présente affaire, concluant que le terme « ligne de transmission » est neutre sur le plan technologique seulement dans la mesure où il s’applique à tout type de technologie filaire. Avec égards, l’historique législatif milite contre une interprétation aussi étroite. L’édiction de la Loi sur les télécommunications en 1993 a remplacé la Loi sur les chemins de fer, afin de créer un régime légal complet en matière de télécommunications, et « pour rendre le régime plus moderne et pour tenir compte des nouvelles technologies » (motifs de la C.A., par. 88).
  18.                       La Loi a émané du projet de loi C62, Loi concernant les télécommunications, 3e sess., 34e lég., 1992. Comme il a été mentionné précédemment, durant l’étape de l’examen en comité à la Chambre des communes, le ministre des Communications, Perrin Beatty, a affirmé ce qui suit au sujet du texte de loi proposé :

 Le projet de loi propose délibérément un cadre qui permet de conserver une certaine souplesse pour l’avenir. Nous voulions éviter que les nouvelles technologies rendent rapidement désuet le cadre réglementaire présenté dans le projet de loi. Nous voulions que le projet de loi soit technologiquement neutre, qu’il permette de définir les objectifs généraux de ce que nous voulons obtenir et nous offre une structure réglementaire souple et moderne. [Je souligne.]

 (Souscomité sur le projet de loi C62 du Comité permanent des communications et de la culture, p. 16)

  1.                       La décision du Parlement de ne pas définir « ligne de transmission » — une expression qui n’a « aucun sens technique » — est un autre facteur indiquant que le caractère ouvert de l’expression a été maintenu pour qu’elle puisse évoluer (m.a., Telus, par. 82, citant Barrie, par. 14). Plusieurs autres termes dans la Loi sur les télécommunications s’appliquent aussi, indépendamment de la technologie qui est employée. Par exemple, les expressions « service de télécommunication », « installation de télécommunication » et « télécommunication » sont toutes définies de façon générale afin qu’elles puissent essentiellement viser toute forme de télécommunication (voir par. 85; par. 2(1)).
  2.                       Cela démontre que le Parlement a intégré dans la Loi un engagement envers la neutralité technologique en employant les mots « ligne de transmission ». Compte tenu de la rapidité avec laquelle la technologie peut évoluer, une telle mesure est appropriée; le texte de loi n’a pas à être mis à jour en raison d’avancées technologiques et sa portée est suffisamment large pour englober des technologies que nous ne possédons pas encore.
  3.                       Conformément au principe de la neutralité technologique, puisque les réseaux 5G transmettent exactement les mêmes télécommunications et remplissent exactement la même fonction que les réseaux composés de câbles ou fils physiques, ils sont fonctionnellement équivalents et devraient recevoir le même traitement en vertu de la loi (voir le m.a., Rogers, par. 8088).
  4.                       Le principe de la neutralité technologique a surtout été appliqué par notre Cour dans le contexte du droit d’auteur. Dans l’arrêt Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 R.C.S. 231, ce principe a été décrit de la façon suivante :

 À notre avis, la conclusion de la Commission selon laquelle un tarif distinct s’applique au téléchargement pour la « communication » d’une œuvre musicale va à l’encontre du principe de la neutralité technologique, à savoir que la Loi sur le droit d’auteur s’applique uniformément aux supports traditionnels et aux supports plus avancés sur le plan technologique [. . .]. Le paragraphe 3(1) de la Loi adhère au principe de la neutralité technologique en reconnaissant un droit de produire ou de reproduire une œuvre « sous une forme matérielle quelconque ». À notre avis, il n’y a aucune différence d’ordre pratique entre acheter un exemplaire durable de l’œuvre en magasin, recevoir un exemplaire par la poste ou télécharger une copie identique sur le Web. Internet ne représente qu’un taxi technologique assurant la livraison d’une copie durable de la même œuvre à l’utilisateur. [par. 5]

  1.                       Récemment, dans l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30, [2022] 2 R.C.S. 303, le juge Rowe, rédigeant les motifs des juges majoritaires, a réitéré que « [s]elon le principe de la neutralité technologique, en l’absence d’une intention contraire du Parlement, la Loi sur le droit d’auteur ne devrait pas être interprétée de manière à favoriser ou à défavoriser une forme de technologie en particulier » (par. 63 (je souligne)).
  2.                       Ma collègue a raison de dire que la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, c. C42, constitue un régime législatif fort différent (par. 66). Cependant, ce fait ne justifie pas à lui seul d’écarter l’intention très claire qu’avait le Parlement, lorsqu’il a édicté la Loi sur les télécommunications, de créer un régime législatif qui ne deviendra pas obsolète avec l’évolution des technologies. Par conséquent, le principe de la neutralité technologique ne peut être interprété comme s’appliquant uniquement dans le contexte de la Loi sur le droit d’auteur.
  1.             Conclusion
  1.                       En somme, le texte, le contexte et l’objet de la Loi indiquent tous que les petites cellules 5G sont visées par l’expression « ligne de transmission » dans la Loi sur les télécommunications. Le sens ordinaire et grammatical de « ligne de transmission » qui limite la notion de « ligne » à une connexion physique vise clairement les petites cellules 5G, étant donné qu’elles sont dotées d’une composante filaire. Toutefois, il ressort clairement d’un examen plus approfondi du sens du mot « ligne », des contextes interne et externe des dispositions dans lesquelles figure l’expression, ainsi que de l’objet de la Loi, que le Parlement entendait que l’expression ait un sens beaucoup plus large que celui de connexion physique par fil. L’expression « ligne de transmission » est un terme souple et général qui est défini dans certains cas comme incluant les connexions sans fil. Cela concorde aussi avec la compréhension courante du mot « ligne ».
  2.                       Une interprétation correcte en est une qui tient compte de la façon dont les deux régimes opèrent ensemble. La Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiocommunication fonctionnent en tandem, le CRTC étant capable de donner accès à un emplacement dans l’éventualité où une entreprise et une municipalité n’arrivent pas à s’entendre. C’est uniquement dans une telle situation que le Ministre autorisera un emplacement. Il n’y a pas de conflit entre les deux régimes. Toute autre interprétation est dissociée de l’objet de la Loi sur les télécommunications; une définition large de l’expression « ligne de transmission » reflète le besoin de neutralité technologique. Il s’agit d’une expression destinée à englober les nouvelles technologies à mesure qu’elles voient le jour au fil du temps.
  3.                       Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerais le pourvoi et je confirmerais une interprétation de l’expression « ligne de transmission » qui inclut les petites cellules 5G.

ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, c. 38

7 La présente loi affirme le caractère essentiel des télécommunications pour l’identité et la souveraineté canadiennes; la politique canadienne de télécommunication vise à :

 a) favoriser le développement ordonné des télécommunications partout au Canada en un système qui contribue à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure sociale et économique du Canada et de ses régions;

 b) permettre l’accès aux Canadiens dans toutes les régions — rurales ou urbaines — du Canada à des services de télécommunication sûrs, abordables et de qualité;

 c) accroître l’efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes;

 d) promouvoir l’accession à la propriété des entreprises canadiennes, et à leur contrôle, par des Canadiens;

 e) promouvoir l’utilisation d’installations de transmission canadiennes pour les télécommunications à l’intérieur du Canada et à destination ou en provenance de l’étranger;

 f) favoriser le libre jeu du marché en ce qui concerne la fourniture de services de télécommunication et assurer l’efficacité de la réglementation, dans le cas où celleci est nécessaire;

 g) stimuler la recherche et le développement au Canada dans le domaine des télécommunications ainsi que l’innovation en ce qui touche la fourniture de services dans ce domaine;

 h) satisfaire les exigences économiques et sociales des usagers des services de télécommunication;

 i) contribuer à la protection de la vie privée des personnes.

42 (1) Dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la présente loi ou une loi spéciale, le Conseil peut, par ordonnance, sauf disposition contraire de toute autre loi ou loi spéciale, enjoindre ou permettre à tout intéressé ou à toute personne touchée par l’ordonnance de procéder, selon les éventuelles modalités de temps, d’indemnisation, de surveillance ou autres qu’il estime justes et indiquées dans les circonstances, à l’une des opérations suivantes : fourniture, construction, modification, mise en place, déplacement, exploitation, usage, réparation ou entretien d’installations de télécommunication, acquisition de biens ou adoption d’un système ou d’une méthode.

(2) Le Conseil peut préciser à qui et dans quelle proportion les frais d’exécution de l’opération sont imputables, ainsi que la date de paiement.

43 (1) Au présent article et à l’article 44, entreprise de distribution s’entend au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la radiodiffusion.

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4) et de l’article 44, l’entreprise canadienne et l’entreprise de distribution ont accès à toute voie publique ou tout autre lieu public pour la construction, l’exploitation ou l’entretien de leurs lignes de transmission, et peuvent y procéder à des travaux, notamment de creusage, et y demeurer pour la durée nécessaire à ces fins; elles doivent cependant dans tous les cas veiller à éviter toute entrave abusive à la jouissance des lieux par le public.

(3) Il est interdit à l’entreprise canadienne et à l’entreprise de distribution de construire des lignes de transmission sur une voie publique ou dans tout autre lieu public — ou audessus, audessous ou aux abords de ceuxci — sans l’agrément de l’administration municipale ou autre administration publique compétente.

(4) Dans le cas où l’administration leur refuse l’agrément ou leur impose des conditions qui leur sont inacceptables, l’entreprise canadienne ou l’entreprise de distribution peuvent demander au Conseil l’autorisation de construire les lignes projetées; celuici peut, compte tenu de la jouissance que d’autres ont des lieux, assortir l’autorisation des conditions qu’il juge indiquées.

(5) Lorsqu’il ne peut, à des conditions qui lui sont acceptables, avoir accès à la structure de soutien d’une ligne de transmission construite sur une voie publique ou un autre lieu public, le fournisseur de services au public peut demander au Conseil le droit d’y accéder en vue de la fourniture de ces services; le Conseil peut assortir l’autorisation des conditions qu’il juge indiquées.

44 Sur demande d’une administration municipale ou autre administration publique, le Conseil peut :

 a) soit obliger, aux conditions qu’il fixe, l’entreprise canadienne ou l’entreprise de distribution à enfouir les lignes de transmission qu’elles ont, ou projettent d’avoir, sur le territoire de l’administration en question ou à en modifier l’emplacement;

 b) soit ne leur en permettre la construction, l’exploitation ou l’entretien qu’en exécution de ses instructions.

45 Sur demande d’une administration municipale ou de toute autre administration publique, ou du propriétaire d’un terrain, le Conseil peut permettre, aux conditions qu’il estime indiquées, des travaux de drainage ou de canalisation sur le terrain servant aux lignes de transmission d’une entreprise canadienne ou les terrains servant à leur exploitation, ou audessus, audessous ou aux abords de ces terrains.

46 (1) Avec l’approbation du Conseil, l’entreprise canadienne qui estime nécessaire pour la fourniture de services de télécommunication au public d’acquérir un bienfonds ou un intérêt afférent ou, dans la province de Québec, un droit afférent — ou d’en prendre possession — sans le consentement du propriétaire ou titulaire en avise le ministre compétent pour l’application de la partie I de la Loi sur l’expropriation.

(2) Le Conseil adresse copie de l’autorisation au ministre et au ministre compétent, ainsi qu’à chaque propriétaire du bienfonds ou titulaire de l’intérêt ou du droit en cause.

(3) Pour l’application de la Loi sur l’expropriation, le bienfonds, l’intérêt ou le droit qui sont, selon le ministre compétent, nécessaires pour cette fourniture sont réputés l’être pour un ouvrage public ou à toute autre fin d’intérêt public et l’entreprise doit payer le montant requis en application du paragraphe 10(9) et des articles 25, 29 et 36 de la même loi, toute mention de la Couronne, dans cette loi, valant par ailleurs mention de l’entreprise canadienne,

(4) Les frais occasionnés par l’exercice — relativement au bienfonds, à l’intérêt ou au droit — des attributions conférées au procureur général du Canada par la Loi sur l’expropriation constituent une créance de Sa Majesté du chef du Canada sur l’entreprise canadienne concernée dont le recouvrement peut être poursuivi devant tout tribunal compétent.

47 Le Conseil doit, en se conformant aux décrets que lui adresse le gouverneur en conseil au titre de l’article 8 ou aux normes prescrites par arrêté du ministre au titre de l’article 15, exercer les pouvoirs et fonctions que lui confèrent la présente loi et toute loi spéciale de manière à réaliser les objectifs de la politique canadienne de télécommunication et à assurer la conformité des services et tarifs des entreprises canadiennes avec les dispositions de l’article 27.

48 (1) Le Conseil peut, d’office ou sur demande d’un intéressé, instruire et trancher toute question relative à une interdiction, obligation ou autorisation découlant de la partie II, sauf en ce qui a trait aux câbles sousmarins internationaux, de la partie III, de la présente partie ou d’une loi spéciale; il doit par ailleurs faire enquête sur toute question qui lui est soumise en application de l’article 14.

(1.1) Le Conseil peut, d’office ou sur demande d’un intéressé, instruire et trancher toute question relative à une interdiction, obligation ou autorisation découlant des articles 51 à 53 de la Loi canadienne sur l’accessibilité.

(2) La décision du Conseil en ce qui touche la qualité d’intéressé est obligatoire et définitive.

Loi sur la radiocommunication, L.R.C. 1985, c. R2

5 (1) Sous réserve de tout règlement pris en application de l’article 6, le ministre peut, compte tenu des questions qu’il juge pertinentes afin d’assurer la constitution ou les modifications ordonnées de stations de radiocommunication ainsi que le développement ordonné et l’exploitation efficace de la radiocommunication au Canada :

. . .

 f) approuver l’emplacement d’appareils radio, y compris de systèmes d’antennes, ainsi que la construction de pylônes, tours et autres structures porteuses d’antennes;

 

 Pourvoi rejeté avec dépens, les juges Côté et Martin sont dissidentes.

 Procureurs de l’appelante Telus Communications Inc. : Henein Hutchison Robitaille, Toronto.

 Procureurs des appelantes Québecor Média inc. et Vidéotron ltée : Woods, Montréal.

 Procureurs de l’appelante Rogers Communications Canada Inc. : Fasken Martineau DuMoulin, Ottawa.

 Procureurs de l’intimée la Fédération canadienne des municipalités : Sicotte Guilbault, Ottawa; Dunton, Rainville, Montréal; Conseiller législatif, Ottawa.

 Procureurs de l’intimée Bell Mobilité Inc. : McCarthy Tétrault, Toronto.

 Procureurs de l’intimée Électricité Canada : Goodmans, Toronto.

 Procureur de l’intimé Sa Majesté le Roi du chef de la province de la Colombie-Britannique : Ministry of Attorney General — Legal Services Branch, Vancouver.

 Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec : Ministère de la Justice du Québec — Droit constitutionnel et autochtone, Québec.

 Procureur de l’intervenante l’Association canadienne des télécommunications : Paul Daly Law PC, Ottawa.

 Procureurs de l’intervenant le Conseil canadien des affaires : Blake, Cassels & Graydon, Toronto.

 Procureurs de l’intervenante la Chambre de commerce du Canada : Torys, Toronto.

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