Décision

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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Pan, 2025 CSC 12

 

 

Appel entendu : 17 octobre 2024

Jugement rendu  : 10 avril 2025

Dossier : 40839

 

Entre :

 

Sa Majesté le Roi

Appelant/Intimé aux pourvois incidents

 

et

 

Jennifer Pan, David Mylvaganam,

Daniel Chi-Kwong Wong et Lenford Crawford

Intimés/Appelants aux pourvois incidents

 

- et -

 

Procureur général de l’Alberta

Intervenant

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 163)

Le juge en chef Wagner (avec l’accord des juges Côté, Rowe, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau)

Motifs dissidents en partie :

(par. 164 à 204)

La juge Karakatsanis (avec l’accord de la juge Martin)

 

 

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 


Sa Majesté le Roi Appelant/Intimé aux pourvois incidents

c.

Jennifer Pan,

David Mylvaganam,

Daniel Chi-Kwong Wong et

Lenford Crawford Intimés/Appelants aux pourvois incidents

et

Procureur général de l’Alberta Intervenant

Répertorié : R. c. Pan

2025 CSC 12

No du greffe : 40839.

2024 : 17 octobre; 2025 : 10 avril.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

 Droit criminel — Exposé au jury — Infractions incluses — Vraisemblance — Fille inculpée avec trois hommes du meurtre au premier degré de sa mère et de la tentative de meurtre de son père après que des intrus armés ont pénétré dans le domicile familial et fait feu sur ses parents — Refus par le juge du procès de la demande présentée par la défense pour que les infractions moindres et incluses de meurtre au deuxième degré et d’homicide involontaire coupable soient soumises à l’appréciation du jury en ce qui a trait au meurtre de la mère au motif que ces infractions n’étaient pas vraisemblables — Accusés déclarés coupables de meurtre au premier degré et de tentative de meurtre par le jury — Le juge du procès atil commis une erreur en refusant de soumettre les infractions moindres et incluses à l’appréciation du jury en ce qui a trait au chef de meurtre au premier degré? — Dans l’affirmative, l’erreur atelle vicié le chef connexe de tentative de meurtre?

 Droit criminel — Jurés — Délibérations — Aides au jury — Accusés inculpés de meurtre au premier degré et de tentative de meurtre — Diaporama résumant la preuve pertinente utilisé par le ministère public dans sa plaidoirie finale au procès, mais non inscrit comme pièce — Juge du procès permettant aux jurés de se servir du diaporama au cours des délibérations et leur donnant des directives en ce qui a trait à ses limites — Le juge du procès atil commis une erreur en permettant aux jurés de se servir du diaporama en tant qu’aide au jury au cours des délibérations?

 Trois intrus armés ont pénétré dans le domicile de la famille de J et ont fait feu sur la mère de J, qui est décédée sur les lieux, et sur son père, qui a été grièvement blessé, mais qui a survécu. J ainsi que trois autres personnes, W, C et M, ont été accusés du meurtre au premier degré de la mère et de la tentative de meurtre du père. La thèse du ministère public au procès était que J s’était arrangée par l’entremise de W et de C pour faire tuer ses parents par M et au moins une autre personne, que J avait promis de payer.

 Au cours de la conférence préalable à l’exposé, un avocat de la défense a exhorté le juge du procès à soumettre les infractions moindres et incluses de meurtre au deuxième degré et d’homicide involontaire coupable à l’appréciation du jury en ce qui a trait au chef de meurtre au premier degré. Les thèses de la défense sousjacentes à ces verdicts possibles, qui reposaient sur la responsabilité en tant que participant en vertu de l’art. 21 du Code criminel, étaient que les accusés n’avaient projeté que de tuer le père, mais qu’ils savaient que la réalisation de ce plan aurait pour conséquence probable la mort de la mère ou qu’il existait un risque raisonnablement prévisible que la mère subisse des lésions corporelles non négligeables. Le juge du procès a refusé, ayant conclu que ces thèses n’étaient pas vraisemblables. Dans ses directives, il a donc dit au jury qu’il y avait eu soit une seule attaque commise avec préméditation et de propos délibéré dans l’intention de tuer les deux parents, soit un plan conjoint entre deux ou plusieurs personnes en vue de commettre une invasion de domicile dans le cadre de laquelle les deux parents avaient été atteints de coups de feu. Les quatre accusés ont été déclarés coupables des chefs de meurtre au premier degré et de tentative de meurtre.

 Dans le cadre de l’appel interjeté par les accusés, la Cour d’appel a jugé que les infractions incluses de meurtre au deuxième degré et d’homicide involontaire coupable étaient vraisemblables et auraient dû être soumises à l’appréciation du jury en ce qui a trait au chef de meurtre au premier degré. La Cour d’appel a rejeté l’argument du ministère public voulant que la disposition réparatrice prévue au sousal. 686(1)b)(iii) du Code criminel puisse s’appliquer à l’erreur. Elle a donc annulé les déclarations de culpabilité de meurtre au premier degré et ordonné un nouveau procès, mais uniquement relativement à ce chef, car, à son avis, l’erreur commise par le juge du procès n’a pas vicié les déclarations de culpabilité pour tentative de meurtre.

 Le ministère public se pourvoit devant la Cour, cherchant à faire rétablir les déclarations de culpabilité de meurtre au premier degré. Chacun des accusés interjette un pourvoi incident, prétendant que l’erreur commise par le juge du procès en ne soumettant pas les infractions incluses à l’appréciation du jury a vicié les déclarations de culpabilité pour tentative de meurtre en plus des déclarations de culpabilité pour meurtre au premier degré, et qu’un nouveau procès est donc également justifié relativement au chef de tentative de meurtre. Les accusés prétendent en outre, comme ils l’ont fait sans succès devant la Cour d’appel, que le juge du procès a commis une erreur en permettant qu’un diaporama utilisé par le ministère public au procès dans la plaidoirie finale, mais non inscrit comme pièce, suive le jury dans la salle du jury, et qu’il a fait erreur dans son analyse des allégations de partialité d’un juré ainsi que dans ses directives au jury concernant l’utilisation de la preuve de propension.

 Arrêt (les juges Karakatsanis et Martin sont dissidentes quant au pourvoi) : Le pourvoi et les pourvois incidents sont rejetés.

 Le juge en chef Wagner et les juges Côté, Rowe, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau : Comme l’a ordonné la Cour d’appel, un nouveau procès s’impose pour tous les accusés en ce qui a trait au chef de meurtre au premier degré. Les infractions moindres et incluses de meurtre au deuxième degré et d’homicide involontaire coupable étaient vraisemblables et le jury aurait dû être autorisé à les examiner. Cependant, l’erreur commise par le juge du procès en ne soumettant pas les infractions incluses à l’appréciation du jury en ce qui a trait au chef de meurtre au premier degré n’a pas vicié les déclarations de culpabilité pour tentative de meurtre, de sorte qu’un nouveau procès n’est pas justifié relativement à ce chef d’accusation. En ce qui a trait aux autres moyens, l’approche adoptée par le juge du procès à l’égard du diaporama ne comportait aucune erreur justifiant l’annulation de la décision, et les allégations de partialité d’un juré ainsi que les directives au jury concernant la preuve de propension ne permettent pas de modifier les déclarations de culpabilité.

 La décision d’un juge de première instance sur la question de savoir si un moyen de défense positif ou une infraction incluse est vraisemblable de telle sorte qu’il y a lieu de les soumettre à l’appréciation du jury est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Un accusé inculpé d’une infraction peut être acquitté de cette infraction, mais néanmoins être déclaré coupable d’une infraction incluse, qui est définie comme telle dans le Code criminel ou qui a des éléments qui font partie de l’infraction imputée. Une infraction incluse doit être soumise à l’appréciation du jury si elle est vraisemblable, ce qui signifie qu’il existe une possibilité réaliste qu’un acquittement soit prononcé relativement à l’infraction principale et qu’un verdict de culpabilité soit rendu pour l’infraction incluse. Pour décider s’il s’agit d’une possibilité, le juge du procès doit se demander s’il existe une interprétation raisonnable de la preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant d’une manière judiciaire d’avoir un doute raisonnable à l’égard d’éléments de l’infraction principale qui la distinguent de l’infraction incluse, tout en acceptant hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l’infraction incluse. La question, d’une manière générale, est toujours de savoir si les inférences de fait nécessaires sont possibles sur le fondement d’une interprétation raisonnable de la preuve, mais l’approche diffère selon les types d’inférences en cause. Dans certains cas, les inférences de fait exigées pour rendre un verdict de culpabilité relativement à une infraction incluse seront simplement un sousensemble des inférences nécessaires pour rendre un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction principale, et la seule véritable question est de savoir si les inférences distinctives sont factuellement isolables de telle sorte qu’un jury pourrait avoir un doute raisonnable uniquement à l’égard de ces inférences. Dans les cas qui sont compliqués par des questions de responsabilité à titre de participant, la voie menant à une déclaration de culpabilité relativement à l’infraction incluse peut exiger des inférences de fait additionnelles. Pour que ce type d’infraction incluse soit soumis à l’appréciation du jury, il doit y avoir un fondement solide permettant au jury d’avoir un doute raisonnable à l’égard des éléments distinctifs de l’infraction principale, tout en n’ayant aucun doute de la sorte en ce qui a trait à l’ensemble des inférences, y compris les inférences de fait additionnelles, qui confirment l’infraction incluse.

 Le seuil de preuve applicable pour établir la vraisemblance consiste en des éléments de preuve qui permettraient à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de rendre un verdict d’acquittement à l’égard de l’infraction principale tout en rendant un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse. Dans les cas qui mettent en jeu des éléments de preuve circonstancielle, le juge du procès qui se demande s’il y a vraisemblance doit procéder à une évaluation limitée de la preuve, car il y a un écart inférentiel entre la preuve et les faits à être démontrés. Dans le cadre de cette opération, le juge du procès ne tire pas d’inférences de fait, mais il arrive plutôt à une conclusion concernant les inférences de fait qui pourraient raisonnablement être faites. Lorsqu’il effectue une évaluation limitée de la preuve, le juge du procès n’est pas autorisé à apprécier la crédibilité ou la fiabilité. La preuve doit être tenue pour vraie, mais une simple assertion, sans plus, est insuffisante pour établir la vraisemblance. L’obligation du juge du procès de donner des directives au jury à l’égard d’une infraction incluse dépendra non seulement de la preuve présentée, mais également des questions juridiques soulevées et des thèses avancées.

 En l’espèce, le juge du procès a commis une erreur en concluant que la thèse d’un plan ne visant qu’à tuer le père n’était pas vraisemblable. Eu égard à une appréciation raisonnable du dossier, le jury aurait pu avoir un doute raisonnable sur le fait que la mère était l’une des personnes visées du plan tout en acceptant les inférences de fait exigées pour déclarer les accusés coupables de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable. Malgré l’existence d’une preuve solide à l’appui de la thèse du ministère public selon laquelle les deux parents étaient visés, il n’y avait pas de preuve non contestée contredisant l’idée que le plan était seulement de tuer le père. En ce qui concerne les inférences de fait additionnelles exigées pour rendre un verdict de culpabilité relativement à l’infraction incluse, l’élément additionnel de mens rea en ce qui a trait à une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré est que les accusés savaient que la réalisation de l’intention commune de tuer le père aurait pour conséquence probable la mort de la mère. L’élément additionnel de mens rea pour l’homicide involontaire coupable est que l’infliction à la mère de lésions corporelles non négligeables était une conséquence objectivement prévisible du plan illégal de tuer le père. Il existait des éléments de preuve qui permettaient à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure de manière réaliste que ces éléments additionnels des infractions incluses avaient été établis et également de conclure qu’il existait un doute raisonnable en ce qui a trait à l’existence d’un plan visant à tuer la mère. En conséquence, les infractions incluses de meurtre au deuxième degré et d’homicide involontaire coupable étaient vraisemblables, et le juge du procès a commis une erreur en ne soumettant pas ces verdicts à l’appréciation du jury.

 La disposition réparatrice ne s’applique pas à l’erreur de droit commise par le juge du procès. La question est de savoir s’il n’existe aucune possibilité raisonnable que le verdict eût été différent si l’erreur de droit n’avait pas été commise. Une déclaration de culpabilité pour une accusation plus grave ne peut être considérée comme signifiant qu’un jury n’aurait pas rendu un verdict de culpabilité pour une accusation moins grave si celleci lui avait été soumise. Un doute raisonnable en ce qui a trait à la préméditation et au propos délibéré est un seuil peu exigeant et, bien qu’une déclaration de culpabilité à l’égard de l’une des infractions incluses obligerait le jury à tirer des inférences importantes reposant uniquement sur une preuve circonstancielle, une déclaration de culpabilité pour l’une ou l’autre de ces infractions n’est pas hors du champ des possibles.

 Un nouveau procès ne devrait pas être ordonné pour le chef de tentative de meurtre. L’alinéa 686(1)a) du Code criminel autorise une cour d’appel à accueillir un appel et à annuler un verdict si, notamment, l’appelant peut démontrer qu’une erreur de droit a été commise ou qu’il y a eu erreur judiciaire. Toutefois, les cours d’appel ne sont pas autorisées à modifier un verdict qui n’est pas touché par une erreur et qui n’est pas entaché d’une erreur judiciaire. Dans les cas où l’omission de soumettre une infraction incluse à l’appréciation du jury relativement à un chef d’accusation — ce qui constitue une erreur de droit qui déclenche l’intervention d’une cour d’appel — a une incidence importante sur un chef connexe, il conviendra d’annuler les deux verdicts et d’ordonner un nouveau procès pour chacun des chefs d’accusation. Toutefois, dans les cas où il y a des déclarations de culpabilité qui ne sont pas touchées par une erreur de droit, le risque d’incompatibilité occasionné par une ordonnance visant la tenue d’un nouveau procès relativement au chef d’accusation touché n’est pas en soi un fondement valable justifiant d’ordonner un nouveau procès pour le chef d’accusation non touché. Deux verdicts rendus dans des procès distincts, bien qu’incompatibles sur le plan factuel, ne peuvent pas être considérés incompatibles sur le plan juridique. Les conclusions de fait d’un jury lors d’un procès ne s’appliquent qu’à ce procès parce qu’elles dépendent entièrement, et sont indissociables, de la preuve et des arguments présentés lors de ce procès. C’est une caractéristique nécessaire du système de justice canadien que des procès différents peuvent donner lieu à des résultats qui impliquent des conclusions de fait différentes. Cela découle directement du fait que la présomption d’innocence ne peut être réfutée qu’au moyen d’une preuve produite de façon appropriée au procès dans lequel la culpabilité d’une personne est examinée. Rien dans la loi n’autorise une cour d’appel à ordonner un nouveau procès uniquement pour prévenir le risque que des verdicts incompatibles sur le plan factuel soient rendus dans le futur, et d’ailleurs une telle ordonnance ne serait pas appropriée de toute façon.

 En ce qui concerne le diaporama du ministère public, le juge du procès n’a pas commis d’erreur en permettant qu’il aille dans la salle du jury. La partie qui demande à ce qu’une aide au jury aille dans la salle du jury devrait communiquer celleci à la partie adverse dès qu’il est raisonnablement possible de le faire après qu’elle a été préparée et présenter une demande au tribunal en vue d’offrir cette aide. Lorsque l’aide est contestée, le juge du procès devrait solliciter des observations. Avant de permettre que l’aide aille dans la salle du jury au cours des délibérations, le juge du procès doit être convaincu que l’aide est raisonnablement nécessaire, exacte et équitable. Une aide sera raisonnablement nécessaire lorsque la preuve qu’elle inclut est tellement vaste, complexe ou de nature technique qu’un jury aurait du mal à parvenir à la comprendre sans aide ou sans consacrer des efforts et un temps déraisonnables. L’aide doit également résumer la preuve avec exactitude. Elle ne peut déformer, rapporter incorrectement ou occulter aucun élément de preuve, que ce soit intentionnellement ou non. Enfin, le juge du procès doit être convaincu qu’il serait équitable de permettre que l’aide aille dans la salle du jury, ce qui comporte un examen global de la valeur explicative et de l’effet préjudiciable de l’aide. Les juges de première instance doivent être conscients des déséquilibres sur le plan des ressources et ne devraient pas permettre qu’une aide unilatérale aille dans la salle du jury lorsqu’il serait trop lourd pour la partie adverse de produire des éléments matériels concurrents. Les objectifs ultimes de ces critères sont d’empêcher un raisonnement inapproprié de la part du jury et d’éviter l’apparence d’iniquité. Dans les circonstances exceptionnelles de l’espèce, le diaporama exprimait certes la thèse du ministère public, mais sa valeur explicative l’emportait sur tout préjudice possible, qui a été grandement réduit par la présence d’aides concurrentes des avocats des parties adverses ainsi que par la mise en garde vigoureuse du juge du procès au sujet des dangers de se fier au diaporama. La décision du juge du procès commande la déférence.

 Par ailleurs, le juge du procès n’a pas commis d’erreur dans son approche sur les questions de partialité d’un juré. De telles décisions commandent une grande déférence. Le juge du procès a recueilli les renseignements nécessaires pour déterminer s’il y avait une partialité réelle ou une crainte raisonnable de partialité. La décision de savoir s’il fallait aller plus loin était une décision discrétionnaire qui dépendait de l’évaluation de l’ensemble de la situation par le juge du procès, du point de vue d’un observateur raisonnable et informé. De plus, le juge du procès n’a pas commis d’erreur dans ses directives au jury sur la preuve de propension, lesquelles étaient adéquates. Le juge du procès n’a pas à rattacher chaque directive à chaque accusé nommément. L’avoir fait en l’espèce aurait inutilement ajouté à la complexité de directives au jury déjà longues et complexes.

 Les juges Karakatsanis et Martin (dissidentes quant au pourvoi) : Le pourvoi devrait être accueilli et les déclarations de culpabilité pour meurtre au premier degré devraient être rétablies. Il n’y a aucune raison d’intervenir en ce qui concerne la conclusion du juge du procès portant que le jury n’aurait pas dû recevoir de directives au sujet des infractions moindres et incluses de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable relativement au meurtre de la mère, car ces possibles verdicts étaient dénués de vraisemblance. Pour ce qui est des pourvois incidents, il y a accord avec l’opinion des juges majoritaires selon laquelle ils doivent être rejetés.

 Le juge qui préside un procès doit donner au jury des directives à l’égard d’une infraction moindre et incluse s’il est vraisemblable, au regard de l’ensemble de la preuve, que l’accusé est coupable de cette infraction, mais non de l’infraction qui lui est reprochée. Le critère de la vraisemblance est le même dans le contexte d’une infraction moindre et incluse que dans celui d’un moyen de défense affirmatif, mais l’analyse est nécessairement plus large et nuancée dans le premier cas. La question à se poser consiste à se demander si le jury pourrait réalistement arriver à la conclusion que les éléments de l’infraction moindre et incluse ont été établis hors de tout doute raisonnable tout en concluant également que le ministère public n’a pas établi hors de tout doute raisonnable quelque élément distinctif de l’infraction reprochée. Le juge du procès doit apprécier l’ensemble du dossier afin de décider s’il existe des éléments de preuve directs ou des inférences raisonnables qui pourraient étayer une thèse plausible concernant l’affaire menant à la fois à un acquittement relativement à l’accusation principale et à une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse. Lorsqu’il détermine la gamme des inférences raisonnables possibles à l’égard d’une preuve circonstancielle, le juge du procès doit procéder à une évaluation limitée, dans le cadre de laquelle il détermine et accepte toutes les inférences qui peuvent raisonnablement être tirées à partir de la preuve dans son ensemble, indépendamment de la fiabilité intrinsèque de quelque élément de preuve individuel. La tâche du juge du procès ne porte pas sur une seule et même question, mais consiste plutôt à se demander si une voie menant aux deux verdicts est plausible compte tenu de l’ensemble de la preuve. Cette portée élargie et ces nuances additionnelles dans l’analyse de la vraisemblance en ce qui concerne une infraction moindre et incluse impliquent par conséquent une appréciation qualitativement différente.

 Dans un procès avec jury, le juge du procès joue un rôle fondamentalement important à titre de gardien, en déterminant quels éléments de preuve sont soumis à l’appréciation au jury et quelles directives juridiques lui sont données à l’égard des verdicts qu’il peut rendre. Bien que le seuil de vraisemblance requis soit peu élevé, il constitue une mesure de contrôle utile et importante. L’omission de fournir des directives adéquates au jury à l’égard d’une infraction moindre et incluse pourrait amener celuici à conclure erronément que l’accusé n’est coupable d’aucune accusation, et le fait de donner au jury des directives concernant des thèses invraisemblables à l’égard d’infractions moindres et incluses risque uniquement d’engendrer de la confusion et des compromis. Les cours d’appel ne devraient pas présumer qu’elles sont aussi bien placées que le juge qui préside un procès pour évaluer les thèses concernant l’affaire qui sont plausibles au regard de l’ensemble de la preuve au dossier. Bien que les décisions définitives sur la question de savoir si une thèse concernant l’affaire est réaliste et si elle peut soutenir une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction moindre et incluse soient des questions de droit que les cours d’appel doivent contrôler suivant la norme de la décision correcte, un degré de déférence s’impose envers l’évaluation limitée effectuée par le juge du procès sur la base de son appréciation de la preuve.

 En l’espèce, le juge du procès, qui était le mieux placé pour déterminer au moyen d’une évaluation limitée la gamme des inférences raisonnables à la lumière de l’ensemble de la preuve dans le cadre d’une analyse de la vraisemblance, a correctement exercé son importante fonction de gardien en refusant de soumettre les infractions moindres et incluses à l’appréciation du jury. Il n’existait aucune preuve fondée sur les événements concrets entourant les attentats par balle qui permette d’inférer raisonnablement que le père était la seule personne visée. La preuve indique massivement que les parents de J étaient tous deux visés — les auteurs de l’invasion du domicile ont amené les deux parents à l’étage inférieur, leur ont couvert tous les deux la tête à l’aide de couvertures et leur ont tiré une balle dans la tête à tous les deux, de la même façon, à l’instar d’une exécution. De plus, J a été en contact constant avec les autres accusés tout au long de la journée de l’invasion du domicile, mais celleci n’a pourtant eu lieu qu’une fois que la mère fût rentrée à la maison, plutôt qu’au cours de la période de deux heures et demie qui a précédé et pendant laquelle seul le père se trouvait à la maison. Même en considérant la preuve de J sous son jour le plus favorable, il est conjectural de conclure que, parce qu’elle éprouvait moins d’animosité envers sa mère et qu’elle avait prémédité des mois plus tôt uniquement le décès de son père, le plan concernant le soir en question consistait lui aussi à tuer uniquement son père. Il n’y a au dossier aucune preuve indiquant que J, l’âme dirigeante de la machination suivant cette thèse, a tenté d’empêcher les intrus de s’en prendre à sa mère, ni aucune preuve que la mère a été traitée de manière substantiellement différente de la cible apparente de ce plan. Ce n’est pas le rôle des cours d’appel de tirer, à partir d’éléments de preuve isolés, des inférences qui sont conjecturales et vont à l’encontre d’une preuve accablante. L’ensemble des éléments de preuve non contestés relatifs aux événements de ce soirlà rend totalement invraisemblable l’autre thèse proposée.

Jurisprudence

Citée par le juge en chef Wagner

 Arrêt rejeté : R. c. Nygaard, [1989] 2 R.C.S. 1074; arrêts appliqués : Rémillard c. The King (1921), 62 R.C.S. 21; R. c. Hick, [1991] 3 R.C.S. 383; arrêts examinés : R. c. Ronald, 2019 ONCA 971; R. c. Aalders, [1993] 2 R.C.S. 482; arrêts mentionnés : R. c. Chacon-Perez, 2022 ONCA 3, 159 O.R. (3d) 481; R. c. Tenthorey, 2021 ONCA 324, 404 C.C.C. (3d) 457; R. c. Cinous, 2002 CSC 29, [2002] 2 R.C.S. 3; R. c. Tran, 2010 CSC 58, [2010] 3 R.C.S. 350; R. c. Alas, 2022 CSC 14, [2022] 1 R.C.S. 283; R. c. Land, 2019 ONCA 39, 145 O.R. (3d) 29; R. c. Paul, 2020 ONCA 259, 63 C.R. (7th) 377; R. c. Suthakaran, 2024 ONCA 50, 433 C.C.C. (3d) 175; R. c. Thibert, [1996] 1 R.C.S. 37; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; R. c. Buzizi, 2013 CSC 27, [2013] 2 R.C.S. 248; R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595; R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836; R. c. Davis, [1999] 3 R.C.S. 759; R. c. Nason, 2015 NBCA 34, 437 R.N.B. (2e) 259; R. c. Chalmers, 2009 ONCA 268, 243 C.C.C. (3d) 338; R. c. Matchett, 2018 BCCA 117, 359 C.C.C. (3d) 363; R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381; R. c. Fontaine, 2004 CSC 27, [2004] 1 R.C.S. 702; R. c. Haughton, [1994] 3 R.C.S. 516; R. c. G.R., 2005 CSC 45, [2005] 2 R.C.S. 371; R. c. Wolfe, 2024 CSC 34; Joseph c. R., 2018 QCCA 1441; R. c. Smith, 2023 NBCA 20; R. c. Iyamuremye, 2017 ABCA 276, 355 C.C.C. (3d) 289; R. c. Wong (2006), 209 C.C.C. (3d) 520; R. c. Arcuri, 2001 CSC 54, [2001] 2 R.C.S. 828; R. c. Pappas, 2013 CSC 56, [2013] 3 R.C.S. 452; R. c. Tatton, 2015 CSC 33, [2015] 2 R.C.S. 574; R. c. Sarrazin, 2010 ONCA 577, 259 C.C.C. (3d) 293, conf. par 2011 CSC 54, [2011] 3 R.C.S. 505; R. c. Illes, 2008 CSC 57, [2008] 3 R.C.S. 134; R. c. Tayo Tompouba, 2024 CSC 16; R. c. Sullivan, 2022 CSC 19, [2022] 1 R.C.S. 460; R. c. Chol, 2021 BCCA 279, 73 C.R. (7th) 78; R. c. Scheel (1978), 42 C.C.C. (2d) 31; R. c. Kanagasivam, 2016 ONSC 2250, 29 C.R. (7th) 201; R. c. Shaw, 2004 NBBR 260, 277 R.N.B. (2e) 306; R. c. Samaniego, 2022 CSC 9, [2022] 1 R.C.S. 71; R. c. Anderson, 2014 CSC 41, [2014] 2 R.C.S. 167; R. c. Hovila, 2013 CarswellAlta 2965; R. c. Belcourt, 2012 BCSC 2128; R. c. Bengert (1980), 15 C.R. (3d) 114; R. c. Poitras (2002), 57 O.R. (3d) 538; Woods c. Jackiewicz, 2019 ONSC 2069; R. c. Hamilton, 2011 ONCA 399, 271 C.C.C. (3d) 208; R. c. Durant, 2019 ONCA 74, 144 O.R. (3d) 465; R. c. Kossyrine, 2017 ONCA 388, 138 O.R. (3d) 91; R. c. Abdullahi, 2023 CSC 19.

Citée par la juge Karakatsanis (dissidente en partie)

 R. c. Gunning, 2005 CSC 27, [2005] 1 R.C.S. 627; R. c. Grant, 2015 CSC 9, [2015] 1 R.C.S. 475; R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339; R. c. Tran, 2010 CSC 58, [2010] 3 R.C.S. 350; R. c. Khill, 2021 CSC 37, [2021] 2 R.C.S. 948; R. c. Abdullahi, 2023 CSC 19; R. c. Wong (2006), 209 C.C.C. (3d) 520; Smith c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 215; R. c. Aalders, [1993] 2 R.C.S. 482; R. c. G.R., 2005 CSC 45, [2005] 2 R.C.S. 371; Fergusson c. The Queen, [1962] R.C.S. 229; R. c. Cinous, 2002 CSC 29, [2002] 2 R.C.S. 3; R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595; R. c. Krieger, 2006 CSC 47, [2006] 2 R.C.S. 501; R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836; R. c. Gauthier, 2013 CSC 32, [2013] 2 R.C.S. 403; R. c. Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 R.C.S. 1000; R. c. Arcuri, 2001 CSC 54, [2001] 2 R.C.S. 828; M.M. c. États-Unis d’Amérique, 2015 CSC 62, [2015] 3 R.C.S. 973; R. c. Kelsie, 2019 CSC 17, [2019] 2 R.C.S. 101; R. c. Wolfe, 2024 CSC 34; R. c. R.P., 2012 CSC 22, [2012] 1 R.C.S. 746; R. c. Land, 2019 ONCA 39, 145 O.R. (3d) 29; R. c. Thibert, [1996] 1 R.C.S. 37; R. c. Cairney, 2013 CSC 55, [2013] 3 R.C.S. 420; R. c. Buzizi, 2013 CSC 27, [2013] 2 R.C.S. 248; R. c. Alas, 2022 CSC 14, [2022] 1 R.C.S. 283; R. c. Shepherd, 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527; R. c. Samaniego, 2022 CSC 9, [2022] 1 R.C.S. 71; R. c. Couture, 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517.

Lois et règlements cités

Code criminel, L.R.C. 1985, c. C46, art. 21 à 23.1, 662, 686(1), (2).

Doctrine et autres documents cités

Hill, S. Casey, David M. Tanovich et Louis P. Strezos. McWilliams’ Canadian Criminal Evidence, 5e éd., Toronto, Thomson Reuters, 2013 (feuilles mobiles mises à jour mars 2025, envoi no 1).

Penney, Steven, Vincenzo Rondinelli et James Stribopoulos. Criminal Procedure in Canada, 3e éd., Toronto, LexisNexis, 2022.

Vauclair, Martin, Tristan Desjardins et Pauline Lachance. Traité général de preuve et de procédure pénales 2024, 31e éd., Montréal, Yvon Blais, 2024

 POURVOI et POURVOIS INCIDENTS contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges van Rensburg, Miller et Nordheimer), 2023 ONCA 362, 427 C.C.C. (3d) 4, [2023] O.J. No. 2223 (Lexis), 2023 CarswellOnt 7453 (WL), qui a annulé les déclarations de culpabilité pour meurtre au premier degré prononcées contre les accusés et ordonné un nouveau procès, et qui a confirmé les déclarations de culpabilité pour tentative de meurtre prononcées contre les accusés. Pourvoi et pourvois incidents rejetés, les juges Karakatsanis et Martin sont dissidentes quant au pourvoi.

 Susan L. Reid, Jeremy Streeter et Stephanie A. Lewis, pour l’appelant/intimé aux pourvois incidents.

 Stephanie DiGiuseppe et Jessica Proskos, pour l’intimée/appelante au pourvoi incident Jennifer Pan.

 Jack Gemmell, pour l’intimé/appelant au pourvoi incident David Mylvaganam.

 Peter Copeland, pour l’intimé/appelant au pourvoi incident Daniel ChiKwong Wong.

 Peter Zaduk et Jessica Zita, pour l’intimé/appelant au pourvoi incident Lenford Crawford.

 Andrew Barg, pour l’intervenant.

 Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Côté, Rowe, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau rendu par

 Le juge en chef —

  1.                Aperçu
  1.                               Dans la soirée du 8 novembre 2010, trois intrus armés ont pénétré dans le domicile familial des Pan. Les intrus ont conduit BichHa Pan et Hann Pan dans le sous-sol et ont fait feu sur chacun d’eux à la tête et aux épaules. Madame Pan est décédée sur les lieux. Monsieur Pan a été grièvement blessé, mais a survécu. Leur fille, l’intimée Jennifer Pan (« Jennifer »), n’a pas été blessée et a été attachée à une rampe d’escalier à l’étage au moyen d’un lacet de soulier.
  2.                               Jennifer et les autres intimés dans le pourvoi principal, Daniel Wong, Lenford Crawford et David Mylvaganam, ont été accusés du meurtre au premier degré de Mme Pan et de la tentative de meurtre de M. Pan. Ils ont tous été déclarés coupables par un jury des deux chefs d’accusation. La Cour d’appel a annulé leur déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré et a ordonné un nouveau procès pour ce seul chef d’accusation.
  3.                               Le ministère public se pourvoit contre l’arrêt de la Cour d’appel, cherchant à faire rétablir les déclarations de culpabilité de meurtre au premier degré. Il soutient que la Cour d’appel a eu tort de conclure que les infractions moindres et incluses de meurtre au deuxième degré et d’homicide involontaire coupable auraient dû être soumises à l’appréciation du jury à l’égard de ce chef d’accusation. Cet argument nous invite à examiner le critère de la vraisemblance tel qu’il s’applique aux infractions incluses. Après avoir exposé les principes pertinents, je conclus que les infractions incluses étaient vraisemblables en l’espèce et que le jury aurait dû être autorisé à les examiner. En conséquence, un nouveau procès s’impose pour tous les intimés en ce qui a trait au chef de meurtre au premier degré.
  4.                               Chacun des intimés interjette un pourvoi incident, demandant à notre Cour d’annuler sa déclaration de culpabilité pour tentative de meurtre et d’ordonner un nouveau procès pour ce chef d’accusation. Ils prétendent que l’erreur commise par le juge du procès en ne soumettant pas les infractions incluses à l’appréciation du jury a vicié les déclarations de culpabilité pour tentative de meurtre en plus des déclarations de culpabilité pour meurtre au premier degré, de sorte qu’un nouveau procès est justifié relativement aux deux chefs d’accusation. Je ne suis pas de cet avis. L’erreur ne touche que les déclarations de culpabilité pour meurtre au premier degré et ne permet pas de modifier les déclarations de culpabilité pour tentative de meurtre.
  5.                               Les intimés invoquent également diverses autres décisions du juge du procès qui, selon eux, étaient erronées et permettent d’ordonner un nouveau procès à l’égard des deux chefs d’accusation. Ils prétendent notamment que le juge du procès a commis une erreur en permettant qu’un diaporama préparé pour le ministère public suive le jury dans la salle du jury, et ils invitent notre Cour à examiner le cadre juridique régissant cette utilisation d’aides au jury. En appliquant à la présente affaire le cadre d’analyse approprié, je conclus que l’approche adoptée par le juge du procès ne comportait aucune erreur justifiant l’annulation de la décision. Je conclus également que les autres moyens d’appel incident — selon lesquels le juge du procès a fait erreur dans son analyse des allégations de partialité d’un juré ainsi que dans ses directives au jury concernant l’utilisation de la preuve de propension — ne permettent pas de modifier les déclarations de culpabilité, essentiellement pour les motifs exposés par la juridiction inférieure.
  6.                               En conséquence, pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et les pourvois incidents.
  1.             Preuve présentée au procès
  1.                               Jennifer et ses parents, M. et Mme Pan, entretenaient une relation difficile. Jennifer estimait que ses parents, et en particulier son père, étaient sévères et autoritaires. Elle leur a menti à propos de l’obtention de son diplôme d’études secondaires, de sa fréquentation de ce qui est aujourd’hui l’Université métropolitaine de Toronto, de son obtention d’un diplôme en pharmacie de l’Université de Toronto, de son bénévolat à l’hôpital pour enfants et de son emploi à une pharmacie d’un Walmart. Elle a créé de faux diplômes, de faux relevés de notes, de fausses photos de remise de diplômes et de faux talons de paye afin de maintenir la façade.
  2.                               Jennifer a également menti à ses parents à propos de son petit ami, Daniel Wong, qui travaillait dans un Boston Pizza et faisait le trafic de marijuana. Elle a fréquemment dit à ses parents qu’elle logeait chez une amie à Toronto, mais elle se rendait plutôt à Ajax pour loger chez M. Wong. Monsieur Pan a toujours désapprouvé la relation de sa fille avec M. Wong et lui a interdit à plusieurs reprises de le fréquenter. Madame Pan appuyait la position de son mari, mais, selon Jennifer, elle était plus compréhensive.
  3.                               La relation de Jennifer avec ses parents s’est détériorée en 2009 et au début de 2010 au fur et à mesure que ses mensonges ont été décelés. Ils ont découvert qu’elle n’avait pas obtenu de diplôme d’études secondaires ni de diplôme universitaire, qu’elle ne faisait pas de bénévolat à l’hôpital et ne travaillait pas non plus dans une pharmacie et qu’elle gardait contact avec M. Wong. Au printemps de 2010, M. Pan avait imposé à Jennifer des règles encore plus sévères et lui avait adressé un ultimatum : rester à la maison et rompre tout contact avec M. Wong, ou partir et ne plus jamais revenir. Jennifer a choisi de rester.
  4.                           Jennifer a témoigné qu’entre avril et juin 2010, elle a élaboré un plan avec son ami. Elle a témoigné que le plan consistait à faire tuer son père par le colocataire de son ami. Dans son témoignage, l’ami de Jennifer a hésité sur la question de savoir si le plan consistait à tuer les deux parents ou seulement M. Pan. Ce plan a finalement échoué parce que le colocataire a cessé de répondre aux appels de Jennifer.
  5.                           Jennifer a témoigné qu’en août 2010, elle était déprimée et ne voulait plus vivre. Elle a prétendu qu’elle avait pris des dispositions pour que Lenford Crawford, un ami de M. Wong, la tue. Ainsi, son frère pourrait toujours recevoir le produit de sa police d’assurancevie. Elle avait accepté de verser 10 000 $ à M. Crawford. Jennifer a témoigné qu’elle ne voulait pas que ses parents soient tués, mais qu’elle avait dit à M. Wong que le plan était de tuer son père pour que M. Wong n’intervienne pas.
  6.                           En septembre 2010, selon qu’a affirmé Jennifer dans son témoignage, elle se sentait davantage acceptée dans sa famille, en partie parce qu’elle avait été admise dans un programme d’études postsecondaires. Jennifer a communiqué avec M. Crawford afin d’annuler le plan pour qu’elle soit tuée et les deux ont convenu de frais d’annulation de 8 500 $.
  7.                           Le 8 novembre 2010, M. Crawford a envoyé à Jennifer un message texte lui disant [traduction] « après le travail ok ce sera le temps de jouer », ce qui, selon ce qu’elle a affirmé dans son témoignage, était une allusion au fait qu’il percevrait ses frais d’annulation (d.a., parties IIIV, vol. IV, p. 1505; voir aussi 2023 ONCA 362, 427 C.C.C. (3d) 4, par. 28). L’ami de Jennifer a témoigné qu’il avait parlé au téléphone à cette dernière ce soirlà et qu’elle lui avait dit qu’une invasion de domicile était prévue au cours de laquelle ses deux parents seraient abattus. Jennifer a nié cela.
  8.                           À 22 h 14 le même jour, trois intrus armés ont pénétré dans le domicile des Pan. Après avoir exigé de l’argent, ils ont conduit M. et Mme Pan au soussol et ont fait feu sur chacun d’entre eux à la tête et aux épaules. Madame Pan a succombé à ses blessures. Monsieur Pan a miraculeusement survécu, mais il a été grièvement blessé. Jennifer n’a pas été blessée et a été attachée à une rampe d’escalier à l’étage au moyen d’un lacet de soulier. Elle a pu appeler le 911.
  9.                           Les intimés, Jennifer, M. Wong, M. Crawford et M. Mylvaganam, ont été jugés par un jury pour le meurtre au premier degré de Mme Pan et la tentative de meurtre de M. Pan. Eric Carty était un coaccusé durant le procès, mais son dossier a été séparé après la clôture de la preuve du ministère public.
  10.                           La thèse du ministère public au procès était que Jennifer s’était arrangée pour faire tuer ses parents afin d’échapper à sa relation dysfonctionnelle avec eux, de pouvoir reprendre sa relation avec M. Wong et de toucher sa part des successions et des polices d’assurance vie de ceuxci. L’arrangement aurait été conclu par l’entremise de MM. Wong et Crawford, et exécuté par M. Carty, M. Mylvaganam et au moins une autre personne, que Jennifer avait promis de payer.
  11.                           Au procès, Jennifer a nié avoir voulu faire tuer ses parents. Elle a témoigné que l’arrangement avec M. Crawford était que c’était elle qui devait se faire tuer, mais qu’elle avait renoncé à ce plan lorsque sa vie familiale s’était améliorée. Les autres intimés ont présenté divers autres moyens de défense, mais n’ont pas témoigné.
  1.          Historique judiciaire
    1.             Cour supérieure de justice de l’Ontario (le juge Boswell)
  1.                           Chacun des moyens d’appel devant notre Cour a trait à une décision prise par le juge du procès tout au long du procès long et complexe. Il n’est pas nécessaire d’examiner de façon approfondie les détails de ce procès. Dans la présente section, j’expose brièvement chacune des décisions contestées, auxquelles je m’attarderai plus en détail plus loin.
  2.                           La première est la décision du juge du procès de ne pas donner de directives au jury sur les infractions incluses de meurtre au deuxième degré et d’homicide involontaire coupable relativement à la mort de Mme Pan. La thèse avancée à l’appui du meurtre au deuxième degré était que Jennifer et ses coconspirateurs n’avaient projeté que de faire tuer son père, mais savaient que la réalisation de ce plan aurait pour conséquence probable la mort de sa mère. La thèse de l’homicide involontaire coupable était que les intimés avaient projeté de tuer M. Pan et qu’il existait un risque raisonnablement prévisible que Mme Pan subisse des lésions corporelles non négligeables. Le juge du procès a conclu que ces thèses n’étaient pas vraisemblables. Il a également établi un lien entre les deux chefs d’accusation dans ses directives et il a dit au jury qu’ils étaient [traduction] « inextricablement liés » (d.a., partie V, vol. LXIV, p. 318319).
  3.                           Deuxièmement, le juge du procès a permis qu’un diaporama préparé pour le ministère public, qui résumait le point de vue de celuici sur la preuve pertinente provenant des tours de téléphonie cellulaire, aille dans la salle du jury afin d’aider celuici dans ses délibérations (2014 ONSC 6055, 318 C.C.C. (3d) 54). Ce moyen d’appel met également en doute la décision du juge du procès de rejeter la motion du ministère public visant à citer un témoin chargé d’établir l’authenticité du diaporama.
  4.                           Troisièmement, le juge du procès a refusé de libérer un juré ou de prononcer la nullité du procès (2014 ONSC 4287; 2014 ONSC 4645). L’épouse d’un juré assistait au procès et avait envoyé à celuici des messages textes qu’il avait communiqués à d’autres membres du jury. L’épouse avait également formulé des commentaires encourageants à un détective agissant à titre de témoin et s’était entretenue avec l’avocat de M. Crawford. Après avoir mené deux enquêtes sur le jury, mais sans exiger la production des messages textes euxmêmes, le juge du procès a conclu qu’il n’existait aucune crainte raisonnable de partialité.
  5.                           Quatrièmement, le juge du procès a donné des directives au jury au sujet de la preuve de propension qui avait été présentée contre M. Carty, l’accusé dont le dossier a ultérieurement été séparé du procès. Monsieur Crawford craignait que la preuve de propension contre M. Carty lui porte également préjudice en raison de sa relation étroite avec M. Carty. Le juge du procès a accepté d’intimer au jury de ne pas raisonner en ce sens, mais il n’a pas rattaché en fin de compte cette directive à M. Crawford nommément.
  6.                           Le jury a déclaré les intimés coupables du meurtre au premier degré de Mme Pan et de la tentative de meurtre de M. Pan.
    1.             Cour d’appel de l’Ontario, 2023 ONCA 362, 427 C.C.C. (3d) 4 (les juges van Rensburg, Miller et Nordheimer)
  7.                           Les intimés ont tous interjeté appel de leurs déclarations de culpabilité pour meurtre au premier degré et tentative de meurtre. La Cour d’appel a convenu avec eux que le juge du procès avait commis une erreur en ne soumettant pas les infractions incluses de meurtre au deuxième degré et d’homicide involontaire coupable à l’appréciation du jury et ne proposant pas que chaque chef d’accusation soit examiné séparément. Elle a jugé que cette erreur avait eu une incidence sur les déclarations de culpabilité de meurtre au premier degré pour l’ensemble des intimés et que la disposition réparatrice ne s’appliquait pas. La Cour d’appel a rejeté les autres moyens d’appel.
  8.                           En conséquence, la Cour d’appel a accueilli les appels interjetés contre les déclarations de culpabilité pour meurtre au premier degré, a annulé les déclarations de culpabilité pour ce chef d’accusation et a ordonné un nouveau procès. Elle a rejeté les appels des déclarations de culpabilité pour tentative de meurtre. Elle a également rejeté les appels interjetés par Jennifer et M. Wong contre les peines d’emprisonnement à perpétuité qui leur ont été infligées, lesquelles ne sont pas visées par le pourvoi devant notre Cour.
  1.          Moyens d’appel
  1.                           Le ministère public se pourvoit, cherchant à faire rétablir les déclarations de culpabilité pour meurtre au premier degré. Le pourvoi soulève deux questions principales :
  1. Le juge du procès atil commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que les infractions incluses d’homicide involontaire coupable et de meurtre au deuxième degré n’étaient pas vraisemblables?
  2. Dans l’affirmative, la disposition réparatrice s’appliquetelle?
  1.                           Les intimés interjettent chacun un pourvoi incident contre l’arrêt de la Cour d’appel, cherchant à faire annuler leur déclaration de culpabilité pour tentative de meurtre. Plusieurs des questions qu’ils soulèvent dans les pourvois incidents pourraient également fournir à notre Cour un fondement additionnel pour confirmer l’ordonnance visant la tenue d’un nouveau procès relativement au chef de meurtre au premier degré. Ces pourvois incidents soulèvent les questions suivantes :
  1. Si un nouveau procès est ordonné relativement aux déclarations de culpabilité pour meurtre au premier degré, les déclarations de culpabilité pour tentative de meurtre doiventelles également être annulées et un nouveau procès doitil être ordonné?
  2. Le juge du procès atil commis une erreur susceptible de contrôle en permettant que le diaporama du ministère public entre dans la salle du jury?
  3. Le juge du procès atil commis une erreur susceptible de contrôle dans son approche sur les questions de partialité d’un juré?
  4. Le juge du procès atil commis une erreur susceptible de contrôle dans ses directives au jury au sujet de la preuve de propension?
  1.             Analyse
    1.             Le pourvoi du ministère public
      1.           Contexte et décisions des juridictions inférieures
  1.                           Au cours de la conférence préalable à l’exposé, l’avocat de Jennifer a exhorté le juge du procès à soumettre le meurtre au deuxième degré et l’homicide involontaire coupable à l’appréciation du jury pour tous les intimés en ce qui a trait à l’accusation de meurtre au premier degré de Mme Pan. La thèse sousjacente à ces autres verdicts possibles était que Jennifer et ses coconspirateurs n’avaient projeté que de faire tuer son père, mais qu’ils savaient que la réalisation de ce plan aurait pour conséquence probable la mort de sa mère ou qu’il existait un risque raisonnablement prévisible que Mme Pan subisse des lésions corporelles non négligeables. Cela pourrait donner lieu à des déclarations de culpabilité de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable au titre de la responsabilité en tant que participant fondée sur l’intention commune aux termes du par. 21(2) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C46.
  2.                           Le juge du procès a rendu sa décision dans un courriel adressé aux avocats, ayant conclu que le scénario avancé par l’avocat de Jennifer n’était pas vraisemblable :

 [traduction] Je ne suis pas convaincu de la vraisemblance de l’affirmation selon laquelle un scénario plausible découlant de la preuve est qu’il y a eu une entreprise criminelle commune pour tuer M. Pan qui a abouti au meurtre de Mme Pan par un membre du projet commun. Je suis convaincu que deux scénarios plausibles découlent de la preuve et de nos discussions concernant la position de chaque partie. Suivant le premier, il y a eu une attaque commise avec préméditation et de propos délibéré contre les Pan. Suivant le deuxième, il y a eu un plan ou un accord conjoint en vue de commettre une invasion de domicile / un vol qualifié dans un domicile et les Pan ont été la cible de coups de feu au cours de l’opération. J’ai arrangé les directives en conséquence.

  (d.a., parties IIIV, vol. XIII, p. 6222; voir aussi les motifs de la C.A., par. 66.)

  1.                           Le juge du procès a donné au jury la directive de n’examiner que deux scénarios possibles. Selon le premier scénario, il y a eu une seule attaque commise avec préméditation et de propos délibéré dans l’intention de tuer à la fois M. et Mme Pan. Selon le deuxième scénario, il y a eu un plan ou un accord conjoint entre deux ou plusieurs personnes en vue de commettre une invasion de domicile avec vol qualifié, dans le cadre desquels les Pan ont été atteints de coups de feu. Le juge a dit aux jurés qu’ils n’étaient [traduction] « nullement tenus de conclure à la réalisation de l’un ou l’autre scénario » et qu’ils « ne ser[aient] peutêtre pas convaincus que l’un ou l’autre [avait] été établi en preuve » (d.a., partie I, vol. I, p. 409).
  2.                           Le juge du procès a donné au jury comme directive soit de conclure que Jennifer était coupable de meurtre au premier degré et de tentative de meurtre, soit de l’acquitter des deux accusations. La possibilité d’autres verdicts a été laissée ouverte en ce qui concerne MM. Wong, Mylvaganam et Crawford. Le jury n’a pas été autorisé à examiner les deux chefs d’accusation séparément.
  3.                           La Cour d’appel a jugé que les infractions moindres et incluses de meurtre au deuxième degré et d’homicide involontaire coupable étaient vraisemblables et auraient dû être soumises à l’appréciation du jury pour le chef d’accusation lié à la mort de Mme Pan. La cour a souligné que le critère de la vraisemblance s’applique aux infractions moindres et incluses lorsqu’il se peut qu’un jury ne soit pas convaincu hors de tout doute raisonnable en ce qui concerne les éléments de l’infraction principale, mais qu’il soit convaincu hors de tout doute raisonnable en ce qui a trait à ceux d’une infraction incluse (par. 5859, citant R. c. Chacon-Perez, 2022 ONCA 3, 159 O.R. (3d) 481; R. c. Ronald, 2019 ONCA 971). Un ou une juge de première instance ne devrait pas tenir compte de la probabilité ou de l’improbabilité, selon lui ou selon elle, d’une déclaration de culpabilité pour cette infraction incluse, ni de préoccupations relatives à la crédibilité ou à la fiabilité de la preuve nécessaire pour parvenir à ce résultat (par. 6870, citant R. c. Tenthorey, 2021 ONCA 324, 404 C.C.C. (3d) 457; R. c. Cinous, 2002 CSC 29, [2002] 2 R.C.S. 3).
  4.                           La Cour d’appel a conclu qu’il existait des éléments de preuve qui auraient pu soulever un doute raisonnable sur la question de savoir si le meurtre de Mme Pan avait été commis avec préméditation et de propos délibéré, et qui auraient pu étayer la thèse selon laquelle on savait que la réalisation d’un plan visant à tuer M. Pan aurait pour conséquence probable la mort de Mme Pan. Cela pourrait donner lieu à une déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré. Il était également possible pour le jury d’avoir été convaincu qu’il existait un risque raisonnablement prévisible que Mme Pan subisse des lésions corporelles non négligeables dans le cadre de la mise en œuvre du plan visant à tuer M. Pan, ce qui aurait mené à une déclaration de culpabilité pour homicide involontaire coupable. La cour est restée indifférente à l’observation du ministère public selon laquelle une preuve beaucoup plus solide étayait la thèse que les deux parents étaient les personnes visées, puisque cela ne changeait rien au fait que certains éléments de preuve appuyaient l’autre thèse.
  5.                           L’erreur a eu une incidence sur les quatre intimés. La Cour d’appel a rejeté l’argument du ministère public voulant que la disposition réparatrice puisse s’appliquer à l’erreur, et elle a donc conclu que les déclarations de culpabilité de meurtre au premier degré devaient être annulées et qu’un nouveau procès devait être ordonné.
    1.           Norme de contrôle
  6.                           La décision d’un juge de première instance sur la vraisemblance est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (R. c. Tran, 2010 CSC 58, [2010] 3 R.C.S. 350, par. 40; R. c. Alas, 2022 CSC 14, [2022] 1 R.C.S. 283, par. 3).
  7.                           Le ministère public insiste sur le fait que, bien que cette question soit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, [traduction] « lorsqu’aucune erreur n’est relevée, une certaine déférence s’impose à l’égard de la décision du juge du procès » (m.a., par. 73). Le ministère public invoque certains arrêts de cours d’appel intermédiaires faisant état d’une incertitude sur la nature de la déférence à accorder au juge du procès dans ce contexte (voir, p. ex., R. c. Land, 2019 ONCA 39, 145 O.R. (3d) 29, par. 71; R. c. Paul, 2020 ONCA 259, 63 C.R. (7th) 377, par. 2627; R. c. Suthakaran, 2024 ONCA 50, 433 C.C.C. (3d) 175, par. 15).
  8.                           Il est vrai qu’il y a eu de l’incertitude par le passé au sujet de la norme de contrôle applicable à la question de savoir s’il y avait vraisemblance (voir, p. ex., R. c. Thibert, [1996] 1 R.C.S. 37, par. 33). Dans des affaires telles Thibert, la question n’a pas été caractérisée comme une question de droit contrôlable selon la norme de la décision correcte. Cependant, maintenant qu’il a catégoriquement été établi que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, cela a pour effet d’éliminer tout besoin de déférence. La décision correcte signifie que « les cours d’appel ont toute latitude pour substituer leur opinion à celle des juges de première instance » (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8). Les juges de première instance doivent trancher la question de la vraisemblance correctement, à défaut de quoi ils commettent une erreur de droit susceptible de contrôle (voir Cinous, par. 55). Je rejetterais l’invitation du ministère public de nous écarter du sens établi de la norme de la décision correcte dans ce contexte. Introduire un certain degré de déférence en l’espèce ne ferait que créer de la confusion et des complications inutiles dans le droit en matière de norme de contrôle.
  9.                           Ma collègue parvient à une interprétation différente de la norme de contrôle. Elle affirme que le juge du procès est le mieux placé pour statuer sur la vraisemblance (par. 187) et que la déférence à l’égard de l’évaluation limitée de la preuve par le juge du procès peut aisément coexister avec la norme de la décision correcte pour ce qui est de la décision ultime (par. 184). Cependant, comme l’a conclu notre Cour dans l’arrêt R. c. Buzizi, 2013 CSC 27, [2013] 2 R.C.S. 248, « le juge d’instance ne jouit aucunement d’une “position privilégiée” pour déterminer la vraisemblance d’un moyen de défense, ce qui est une question de droit » (par. 15). De plus, dans des affaires comme la présente qui reposent sur une preuve circonstancielle, une évaluation limitée de la preuve par le juge du procès sera coextensive à son examen de la vraisemblance. La décision du juge du procès en l’espèce montre qu’il est futile d’essayer d’isoler le processus d’évaluation limitée par rapport à la décision selon laquelle il y a vraisemblance de telle sorte qu’une norme de contrôle puisse s’appliquer au premier et une autre à la seconde. Il n’a établi aucune distinction de la sorte.
  10.                           Ma collègue fait une analogie avec des affaires où les tribunaux font preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du juge du procès, mais n’en font pas en ce qui a trait à la question de droit ultime à laquelle ces conclusions se rattachent (par. 185). Soit dit en tout respect, je ne puis voir la pertinence de ces affaires en ce qui concerne la question en l’espèce. Une caractéristique centrale du critère de la vraisemblance et de l’opération d’évaluation limitée est le fait que le juge du procès n’est pas autorisé à tirer des conclusions de fait (Cinous, par. 54). La constatation des faits est une opération fondamentalement différente. Comme l’a reconnu la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Paul, l’évaluation limitée commande [traduction] « nécessairement moins » de déférence que la constatation des faits, car certaines des raisons qui justifient la déférence envers les juges de première instance, par exemple leur position privilégiée pour apprécier la crédibilité, ne sont d’aucune pertinence à l’égard d’une évaluation limitée (par. 30, citant Housen, par. 1518). En conséquence, bien que je convienne avec ma collègue que les conclusions de fait du juge du procès commandent la déférence, cela n’appuie pas la conclusion selon laquelle la déférence s’impose en l’espèce.
  11.                           Il ressort clairement d’arrêts comme Paul et Land que la confusion dans ce domaine a généré de la [traduction] « complexité » pour les cours d’appel (Land, par. 71). Notre Cour peut résoudre cette complexité et il est dans l’intérêt de la justice de le faire.
    1.           Principes régissant le critère de la vraisemblance à l’égard des infractions incluses
  12.                           Notre Cour a traité en profondeur de la question de savoir dans quelles circonstances un moyen de défense devait être soumis à l’appréciation du jury et, dans ce contexte, elle a formulé le critère de la vraisemblance avec précision et clarté (voir, p. ex., R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595; R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836; R. c. Davis, [1999] 3 R.C.S. 759; Cinous). Le critère de la vraisemblance a également été appliqué, à la fois par notre Cour et par d’autres cours d’appel, pour déterminer dans quelles circonstances une infraction incluse peut être soumise à l’appréciation du jury (voir, p. ex., R. c. Aalders, [1993] 2 R.C.S. 482; Ronald; Chacon-Perez; Tenthorey; R. c. Nason, 2015 NBCA 34, 437 R.N.B. (2e) 259; R. c. Chalmers, 2009 ONCA 268, 243 C.C.C. (3d) 338). Bien que le critère de la vraisemblance soit constamment utilisé à cette fin, peu de choses ont été dites sur la manière dont l’approche appliquée à l’égard du critère peut différer et sur les considérations inédites qui peuvent entrer en jeu lorsqu’il est question d’infractions incluses et non pas de moyens de défense. Le présent pourvoi offre l’occasion de se pencher directement làdessus.
    1.              Considérations concurrentes du critère de la vraisemblance à l’égard des infractions incluses
  13.                           Le critère de la vraisemblance vise à établir un équilibre entre deux considérations concurrentes. D’une part, les thèses farfelues qui n’ont aucun fondement probatoire doivent être exclues de l’examen du jury. Proposer ces thèses au jury ne servirait aucun objectif de recherche de la vérité et ne ferait que créer de la confusion, qu’inciter à faire des compromis inacceptables et qu’allonger inutilement l’exposé du juge (voir Park, par. 11; Osolin, p. 683; voir aussi R. c. Matchett, 2018 BCCA 117, 359 C.C.C. (3d) 363, par. 23).
  14.                           L’importance de ne pas soumettre à l’appréciation du jury des thèses insoutenables est amplifiée dans le contexte des infractions incluses. Alors que le fait de donner des directives au jury sur un moyen de défense insoutenable fait courir le risque d’un acquittement non étayé par la preuve, le fait de donner des directives au jury à l’égard d’une infraction incluse insoutenable fait courir le risque d’une déclaration de culpabilité déraisonnable, qui est « l’erreur qui est peutêtre la plus grave de toutes » (R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381, par. 26).
  15.                           D’autre part, en fixant le seuil de preuve à un niveau peu élevé, le critère de la vraisemblance garantit que toutes les thèses valables sont soumises à l’examen attentif du jury. De cette manière, le critère facilite l’exercice du droit de la personne accusée d’être jugée par un jury, si elle le désire, plutôt que par un juge siégeant seul (voir Osolin, p. 690, citant P. Hogg, Constitutional Law of Canada (3e éd. 1992), vol. 2, p. 4815; R. c. Fontaine, 2004 CSC 27, [2004] 1 R.C.S. 702, par. 5860). Les juges de première instance doivent faire attention de ne pas compromettre ce choix protégé en statuant sur des questions qui relèvent à juste titre du jury.
  16.                           Bien que les infractions incluses ne soient pas complètement analogues aux moyens de défense, la question de savoir s’il convient de soumettre ces infractions à l’appréciation du jury fait également intervenir le droit de présenter une défense pleine et entière dans la mesure où les soumettre à cette appréciation donne au jury une voie additionnelle permettant de conclure que l’accusé n’est pas coupable de l’infraction principale. D’ailleurs, notre Cour a reconnu que ne pas soumettre un verdict réaliste à l’appréciation du jury présente le risque que le jury, appelé à choisir entre une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction principale et un acquittement, rende un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction principale simplement parce qu’un acquittement serait « prononcé à contrecœur » (R. c. Haughton, [1994] 3 R.C.S. 516, p. 517).
  17.                           Ces considérations concurrentes font ressortir une caractéristique unique des infractions incluses. Alors que les moyens de défense sont purement disculpatoires, les infractions incluses possèdent à la fois une dimension disculpatoire — en ce sens qu’elles sont disculpatoires à l’égard de l’infraction principale — et une dimension inculpatoire évidente. En conséquence, alors que les moyens de défense sont invoqués par l’accusé, la partie qui cherche à faire soumettre une infraction incluse à l’appréciation du jury sera différente d’une affaire à l’autre.
  18.                           Une norme juridique comme le critère de la vraisemblance ne varie pas en fonction de la partie qui soutient que le critère est respecté; toutefois, lorsque c’est l’accusé plutôt que le ministère public qui soutient qu’il y a lieu de soumettre l’infraction incluse à l’appréciation du jury, le tribunal doit être conscient que sa décision influera sur le droit de l’accusé de contrôler sa propre défense. La même considération n’entrera pas en jeu lorsque c’est le ministère public qui prétend que l’infraction incluse devrait être soumise à l’appréciation du jury.
  19.                           En gardant ces considérations à l’esprit, j’examine d’abord ce que signifie le fait qu’une infraction incluse soit vraisemblable. J’explique ensuite comment la façon d’aborder la preuve peut varier selon les différents types de cas, malgré le fait que le critère reste fondamentalement le même. Enfin, je précise le type d’évaluation de la preuve qui est permis pour trancher la question de savoir s’il y a vraisemblance au vu de la preuve.
    1.              Critère de la vraisemblance à l’égard des infractions incluses
  20.                           Un accusé inculpé d’une infraction peut être acquitté de cette infraction, mais néanmoins être déclaré coupable d’une infraction incluse, même si le chef d’accusation ne fait pas expressément mention de l’infraction incluse. Une infraction est dite « incluse » à cet effet lorsqu’elle est définie comme telle dans le Code criminel ou lorsque ses éléments font partie de l’infraction imputée « telle qu’elle est décrite dans la disposition qui la crée ou telle qu’elle est portée dans le chef d’accusation » luimême (art. 662; voir R. c. G.R., 2005 CSC 45, [2005] 2 R.C.S. 371, par. 25 et 2933; voir aussi M. Vauclair, T. Desjardins et P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2024 (31e éd. 2024), par. 34.5134.53; S. Penney, V. Rondinelli et J. Stribopoulos, Criminal Procedure in Canada (3e éd. 2022), ¶11.21).
  21.                           Lorsqu’une infraction est à juste titre une infraction incluse conformément à ces principes, la question distincte de savoir si cette infraction devrait être soumise à l’appréciation du jury se pose. Une infraction incluse doit être soumise à l’appréciation du jury si, et seulement si, elle est vraisemblable, ce qui signifie qu’il existe une possibilité réaliste qu’un acquittement soit prononcé relativement à l’infraction principale et qu’un verdict de culpabilité soit rendu pour l’infraction incluse (voir R. c. Wolfe, 2024 CSC 34, par. 50; Joseph c. R., 2018 QCCA 1441, par. 19; R. c. Smith, 2023 NBCA 20, par. 33; R. c. Iyamuremye, 2017 ABCA 276, 355 C.C.C. (3d) 289, par. 82; voir aussi Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 33.2733.28).
  22.                           Pour décider s’il s’agit d’une possibilité réaliste, le juge du procès doit se demander s’il existe une interprétation raisonnable de la preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant d’une manière judiciaire d’avoir un doute raisonnable à l’égard d’éléments de l’infraction principale qui la distinguent de l’infraction incluse, tout en acceptant hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l’infraction incluse (R. c. Wong (2006), 209 C.C.C. (3d) 520 (C.A. Ont.), par. 12; Ronald, par. 46; Tenthorey, par. 63; Chacon-Perez, par. 162). L’enquête exige que le juge examine la preuve dans son ensemble et qu’il garde à l’esprit que, conformément à la présomption d’innocence, un jury peut toujours rejeter des éléments de preuve ou refuser de tirer des inférences particulières (Ronald, par. 48; Joseph, par. 25).
    1.              L’application du critère est contextuelle
  23.                           La notion de « vraisemblance » intervient dans plusieurs contextes distincts. La question, d’une manière générale, est toujours de savoir si les inférences de fait nécessaires sont possibles sur le fondement d’une interprétation raisonnable de la preuve. Cependant, l’approche différera naturellement selon les types d’inférences en cause ou, autrement dit, selon la conclusion dont on dit qu’elle est vraisemblable.
  24.                           L’appréciation de la question de savoir si un moyen de défense positif est vraisemblable, par exemple, exige que le tribunal examine les inférences de fait distinctes qui forment ensemble les éléments juridiques du moyen de défense. L’analyse comporte un examen contextuel du dossier visant à rechercher des éléments de preuve qui peuvent étayer ces inférences distinctes (voir Cinous; Osolin; Park; voir aussi Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 33.23).
  25.                           En revanche, dans certains cas, les inférences de fait exigées pour rendre un verdict de culpabilité relativement à une infraction incluse seront simplement un sousensemble des inférences nécessaires pour rendre un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction principale. La seule véritable question dans de tels cas est de savoir si les inférences distinctives sont factuellement isolables de telle sorte qu’un jury pourrait avoir un doute raisonnable uniquement à l’égard de ces inférences. La question n’est pas de savoir s’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour les étayer (voir Ronald; Tenthorey). Il s’agit de questions distinctes sur le plan analytique.
  26.                           Les faits de l’affaire Ronald en sont un exemple. Dans cette affaire, afin de déclarer l’autrice principale coupable de meurtre au premier degré, le jury devait être convaincu hors de tout doute raisonnable qu’elle avait intentionnellement tué la victime, en ce qu’elle avait au préalable prémédité le meurtre. Le fondement factuel d’une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré pour cette accusée était le même, mais sans la préméditation et le propos délibéré. Dans ce dossier, la question était simplement de savoir si le jury aurait pu de manière réaliste avoir un doute raisonnable relativement à l’élément de la préméditation et du propos délibéré qui distingue le meurtre au premier degré du meurtre au deuxième degré tout en acceptant hors de tout doute raisonnable les autres éléments qui constituent le meurtre au deuxième degré (par. 61).
  27.                           La simplicité de l’enquête dans l’arrêt Ronald explique la remarque formulée par le juge d’appel Doherty, au par. 47, selon laquelle aucun [traduction] « fardeau de présentation » n’incombe à la partie qui demande à ce qu’une infraction incluse soit soumise à l’appréciation jury :

 [traduction] Lorsque la défense, ou le ministère public, prétend qu’un jury devrait recevoir des directives sur la possibilité d’une déclaration de culpabilité relativement à l’infraction incluse de meurtre au deuxième degré, il n’est pas essentiel que la partie qui demande ces directives fasse état d’éléments de preuve pouvant étayer des inférences qui sont incompatibles avec la préméditation et le propos délibéré. Contrairement à ce qu’il en est pour les moyens de défense positifs, aucun fardeau de présentation n’incombe à la défense, ou au ministère public, pour mettre « en jeu » la possibilité d’une déclaration de culpabilité pour l’infraction incluse de meurtre au deuxième degré. Il suffit qu’au vu de l’ensemble de la preuve, un jury raisonnable puisse ne pas être convaincu, hors de tout doute raisonnable, que le meurtre a été commis avec préméditation et de propos délibéré. Cette incertitude possible peut servir de fondement à un verdict approprié de nonculpabilité de meurtre au premier degré, mais de culpabilité relativement à l’infraction incluse de meurtre au deuxième degré.

  1.                           J’interprète la remarque du juge Doherty comme indiquant que le juge du procès n’a pas besoin de rechercher des éléments de preuve contredisant l’inférence distinctive — c’estàdire qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait des éléments de preuve étayant une autre version des faits —, mais qu’il doit plutôt examiner « l’ensemble de la preuve » pour déterminer si un doute raisonnable sur ce seul élément est réalistement possible. Dans l’arrêt Ronald, l’inférence distinctive était la préméditation et le propos délibéré, et le juge Doherty a correctement expliqué que le jury avait le droit d’avoir un doute raisonnable en ce qui concerne cette inférence. Il a fait observer qu’établir la viabilité de l’infraction incluse en l’espèce n’imposait pas réellement un « fardeau de présentation » à l’accusé en ce sens qu’il n’exigeait pas que le jury accepte des inférences de fait additionnelles.
  2.                           Toutefois, dans d’autres cas, particulièrement ceux qui sont compliqués par des questions de responsabilité à titre de participant, la voie menant à une déclaration de culpabilité relativement à l’infraction incluse peut en effet exiger des inférences de fait additionnelles, et non pas simplement moins d’inférences de fait. Pour que ce type d’infraction incluse soit soumis à l’appréciation du jury, il doit y avoir un fondement solide permettant au jury d’avoir un doute raisonnable à l’égard des éléments distinctifs de l’infraction principale, tout en n’ayant aucun doute de la sorte en ce qui a trait à l’ensemble des inférences, y compris les inférences de fait additionnelles, qui confirment l’infraction incluse.
  3.                           La présente affaire est un bon exemple. Comme l’a reconnu la Cour d’appel, [traduction] « dans les affaires comme celleci [. . .], la voie menant à une infraction incluse ne se présente pas nécessairement dès qu’il existe un doute raisonnable concernant la préméditation et le propos délibéré » (par. 64). Pour certains des intimés, la voie menant à la responsabilité à l’égard de l’infraction principale de meurtre au premier degré passe par la responsabilité en tant que participant prévue au par. 21(1) du Code criminel. Pour déclarer ces intimés coupables de l’infraction principale, le jury doit reconnaître qu’ils ont apporté leur aide ou leur encouragement dans le meurtre prémédité de Mme Pan. En revanche, la voie menant à la responsabilité pour les infractions incluses de meurtre au deuxième degré et d’homicide involontaire coupable passe par la responsabilité fondée sur l’intention commune en vertu du par. 21(2). Pour les déclarer coupables de meurtre au deuxième degré, par exemple, le jury doit reconnaître que les intimés ont formé le dessein de tuer M. Pan, et qu’ils savaient que la réalisation de leur plan aurait pour conséquence probable la mort de Mme Pan. Une déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré, dans les circonstances exceptionnelles de la présente affaire, repose sur des inférences de fait différentes, et non pas simplement moins d’inférences de fait.
  4.                           Le juge du procès, dans des cas comme celuici, doit se demander si, au vu de l’ensemble de la preuve, un jury raisonnable pourrait avoir un doute raisonnable sur l’un ou l’autre des éléments distinctifs de l’infraction principale, et également si le jury pourrait de manière réaliste accepter les inférences de fait sousjacentes à une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse. En ce sens, de tels cas ressemblent à des cas de défense parce qu’il ne suffit pas de simplement conclure que le jury pourrait avoir un doute raisonnable concernant les inférences distinctives tout en n’ayant pas un tel doute à l’égard des inférences restantes.
  5.                           Il n’est pas surprenant que la façon d’aborder la preuve varie selon les différents types de cas. La question de savoir s’il y a un fondement probatoire à un moyen de défense distinct diffère de la question de savoir si un jury pourrait avoir un doute isolable à l’égard de l’élément distinctif d’une infraction principale, question qui, pour sa part, diffère de celle de savoir si des types plus complexes d’infractions incluses sont soutenables au vu du dossier. À la base, cependant, décider s’il y a vraisemblance impliquera toujours un examen contextuel visant à déterminer si le dossier peut de manière réaliste étayer le raisonnement proposé (voir Chacon-Perez, par. 164; Ronald, par. 43). Que l’analyse soit décrite comme imposant un fardeau de présentation dans le contexte des moyens de défense, ou simplement comme une appréciation de l’ensemble de la preuve dans le contexte des infractions incluses, la question primordiale est la même.
  6.                           En somme, une infraction incluse sera vraisemblable s’il existe une interprétation raisonnable de la preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de rendre un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse et un verdict d’acquittement à l’égard de l’infraction principale. Le juge du procès doit se demander non seulement si l’interprétation raisonnable de la preuve pourrait permettre d’avoir un doute à l’égard des éléments distinctifs de l’infraction principale, mais aussi si la même interprétation raisonnable de la preuve pourrait permettre au jury de conclure que tous les éléments de l’infraction incluse sont établis. Cela soulève la question de savoir si une interprétation donnée de la preuve est raisonnable à cette fin.
    1.              Seuil de preuve et « évaluation limitée »
  7.                           Comme c’est le cas pour tout examen concernant la vraisemblance, le seuil de preuve énoncé dans l’arrêt Cinous constitue un point de départ utile. Le seuil consiste à se demander « s’il existe une preuve ou quelque élément de preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de prononcer l’acquittement, s’il y ajoutait foi » (par. 83). Lorsque cet énoncé est adapté au contexte des infractions incluses, la question pertinente est de savoir s’il existe des éléments de preuve qui permettraient à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de rendre un verdict d’acquittement à l’égard de l’infraction principale tout en rendant un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse. Comme l’a expliqué le juge Doherty dans l’arrêt Ronald, il n’est pas nécessaire qu’il y ait des éléments de preuve étayant le doute. Au vu de l’ensemble de la preuve, un doute raisonnable à l’égard des inférences distinctives doit plutôt être compatible sur le plan fonctionnel avec une absence d’un tel doute en ce qui a trait aux inférences nécessaires restantes.
  8.                           Dans les cas qui mettent en jeu des éléments de preuve circonstancielle, le juge du procès qui se demande s’il y a vraisemblance doit procéder à une « évaluation limitée » de la preuve (R. c. Arcuri, 2001 CSC 54, [2001] 2 R.C.S. 828, par. 23; voir aussi Cinous, par. 90). Cette opération est nécessaire, car « la preuve circonstancielle est, par définition, caractérisée par un écart inférentiel entre la preuve et les faits à être démontrés » (Arcuri, par. 23). Dans le cadre du processus d’évaluation limitée, le juge du procès ne tire pas d’inférences de fait, mais il arrive plutôt « à une conclusion concernant les inférences de fait qui pourraient raisonnablement être faites » (Cinous, par. 91). En d’autres mots :

 . . . le juge doit s’abstenir « de se prononcer sur la crédibilité des témoins, d’apprécier la valeur probante de la preuve, de tirer des conclusions de fait ou de faire des inférences de fait précises », peu importe jusqu’à quel point la réponse peut paraître évidente pour lui. En fait, il doit, à cette étape des procédures, tenir pour vrai tous les témoignages rendus. Néanmoins, s’il l’estime opportun, le juge peut se livrer à une évaluation limitée de la preuve considérée dans son ensemble, comme il le ferait pour décider du renvoi à procès à l’issue de l’enquête préliminaire. [Je souligne; notes en bas de page omises.]

 (Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 33.23)

  1.                           Les inférences de fait qui découlent raisonnablement de la preuve doivent être mises à la disposition du jury même lorsque le juge du procès estime que d’autres inférences plus plausibles pourraient être tirées. Autrement dit, l’opération d’« évaluation limitée » ne fait pas de comparaison entre des inférences concurrentes. Cette forme d’analyse comparative est un exemple d’évaluation substantielle, qui dépasse de la portée du critère de la vraisemblance (Cinous, par. 90; R. c. Pappas, 2013 CSC 56, [2013] 3 R.C.S. 452, par. 26).
  2.                           Lorsqu’il effectue une évaluation limitée de la preuve, le juge du procès n’est pas autorisé à apprécier la crédibilité ou la fiabilité (Cinous, par. 90). L’exception étroite à la règle selon laquelle la preuve doit être tenue pour vraie est qu’une simple assertion, sans plus, peut être insuffisante pour établir la vraisemblance (Aalders, p. 505; Park, par. 20).
  3.                           Un exemple d’évaluation limitée autorisée consiste à se demander si le raisonnement proposé entre en conflit avec des éléments de preuve qui ne sont pas sérieusement contestés. Selon la juge L’HeureuxDubé dans l’arrêt Park, « [l]orsque, examinée d’un œil réaliste, la preuve en faveur de l’accusé qui est sérieusement contestée est manifestement et logiquement inconciliable avec la preuve qui n’est pas sérieusement contestée, on peut conclure alors, tant sur le plan du droit que sur celui de la logique, à l’invraisemblance du moyen de défense auquel se rapportent les contradictions constatées sur le plan de la logique » (par. 29 (soulignement omis)). Il en va de même pour les infractions incluses.
  4.                           Par exemple, dans l’affaire Aalders, l’accusé a été inculpé de meurtre au premier degré après s’être introduit par effraction dans la résidence de la victime, l’avoir guettée pendant quelque quatre heures et lui avoir tiré dessus à huit reprises. Les balles ont toutes pénétré dans le torse et le cou de la victime, à l’exception d’une balle qui a pénétré dans sa jambe. Il existe une déduction conforme au bon sens selon laquelle une personne veut les conséquences de ses actes délibérés (R. c. Tatton, 2015 CSC 33, [2015] 2 R.C.S. 574, par. 27). Au vu de l’ensemble de la preuve dans cette affaire, et malgré la déclaration de l’accusé selon laquelle il n’avait pas l’intention de tuer la victime, mais seulement de la blesser, l’infraction incluse d’homicide involontaire coupable n’était pas vraisemblable. Une simple assertion qui allait à l’encontre de tous les autres éléments de preuve n’aurait pas permis à un jury de raisonnablement rendre un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse tout en rendant un verdict d’acquittement à l’égard de l’infraction principale (Aalders, p. 505; Park, par. 20).
  5.                           L’obligation du juge du procès de donner des directives au jury à l’égard d’une infraction incluse dépendra non seulement de la preuve présentée, mais également des questions juridiques soulevées et des thèses avancées (voir R. c. Sarrazin, 2010 ONCA 577, 259 C.C.C. (3d) 293, par. 62, conf. par 2011 CSC 54, [2011] 3 R.C.S. 505; Chalmers, par. 5253). Dans l’affaire Wong, par exemple, l’accusé a prétendu avoir agi accidentellement ou, subsidiairement, avoir agi en légitime défense, lorsqu’il a blessé le collègue de son colocataire. Il a été accusé de voies de fait graves pour avoir infligé une blessure, mais il a été déclaré coupable par le jury de l’infraction incluse de voies de fait causant des lésions corporelles. Le juge Doherty a statué que l’infraction incluse n’aurait pas dû être soumise à l’appréciation du jury parce que l’élément distinctif de l’infraction principale — la nature de la blessure subie — n’était pas contesté. En conséquence, les seuls verdicts qui auraient dû pouvoir être rendus par le jury étaient une déclaration de culpabilité relativement à l’infraction principale ou un acquittement complet (par. 1214).
  6.                           Il faut aussi tenir compte des cas dans lesquels la seule question que le jury devait trancher est celle de l’identité du contrevenant (voir, p. ex., Chacon-Perez). Les interprétations de la preuve dont dispose raisonnablement le jury dans de tels cas seront généralement soit que l’accusé a commis l’infraction principale, soit que quelqu’un d’autre l’a commise, aucun de ces scénarios n’étant compatible avec la déclaration de culpabilité de l’accusé pour une infraction incluse. En conséquence, ces cas justifieront généralement des accusations « tout ou rien », lesquelles exigent du jury qu’il rende soit un verdict de culpabilité en ce qui a trait à l’infraction principale, soit un verdict d’acquittement.
    1.           Application aux faits
  7.                           Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le juge du procès a commis une erreur en concluant que la thèse d’un plan ne visant qu’à tuer M. Pan n’était pas vraisemblable. Eu égard à une appréciation raisonnable de ce dossier, le jury aurait pu avoir un doute raisonnable sur le fait que Mme Pan était l’une des personnes visées du plan tout en acceptant les inférences de fait exigées pour déclarer les intimés coupables de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable.
  8.                           Il ne s’agit pas d’un cas comme celui de l’affaire Aalders, dans laquelle l’ensemble de la preuve contredisait la simple assertion de l’accusé selon laquelle il n’avait pas l’intention de tuer la victime. En l’espèce, malgré l’existence d’une preuve solide à l’appui de la thèse du ministère public, il n’y avait pas de preuve non contestée contredisant l’idée que le plan était seulement de tuer M. Pan.
  9.                           Le ministère public fait état d’éléments de preuve sous forme de messages textes qui, selon lui, réfutent les thèses relatives aux infractions incluses. Par exemple, le 31 octobre 2010, à la suite d’un appel téléphonique entre MM. Crawford et Carty, MM. Carty et Mylvaganam ont échangé les messages textes suivants :

 [traduction]

 Carty : Dix liasses

 Mylvaganam : Ouais

 Mylvaganam : Quand t’es prêt OK

 Carty : Ouais, 5 pour chaque

 Mylvaganam : Toi et moi

 Carty : Ouais, mais si tu fais le tout et les dix sont pour toi

 Mylvaganam : Facile

 (d.a., parties IIIV, vol. II, p. 609)

  1.                           Le ministère public affirme que le renvoi à « 5 pour chaque » établit que deux meurtres ont été envisagés et que MM. Carty et Mylvaganam seraient payés 5 000 $ pour chacun d’eux (m.a., par. 15). Une autre interprétation que le jury pouvait accepter est qu’ils recevraient chacun 5 000 $ pour perpétrer un seul meurtre à moins que M. Mylvaganam commette le meurtre seul, auquel cas il recevrait la totalité des 10 000 $. Choisir entre ces interprétations, même si l’une d’entre elles est plus plausible, reviendrait à procéder à une évaluation substantielle et à usurper le rôle du jury.
  2.                           Un autre échange de textos pertinent a eu lieu entre Jennifer et M. Wong le 2 novembre 2010, échange dans lequel M. Wong a révélé qu’il éprouvait des sentiments pour une autre femme :

 [traduction]

 [Jennifer] Alors tu ressens pour elle ce que je ressens pour toi. Donc annule avec [H]omeboy.

 [Wong] J’aime passer du temps avec elle, elle fait partie de mes amis les plus proches et là je ne peux même pas être ça à cause des gens

 [Wong] Qu’estce que tu veux dire je croyais que tu avais dit que tu voulais ça pour toi

 [Jennifer] Oui c’est ça. Mais si je n’ai nulle part où aller.

 [Wong] Annule avec [H]omeboy? T’as dit que tu voulais ça avec ou sans moi

 [Jennifer] Mais si tu la veux elle, comment estce que tu vas me protéger contre eux?

 (m.a., par. 15, citant d.a., parties IIIV, vol. IV, p. 14781479.)

  1.                           Le ministère public prétend que le commentaire de Jennifer selon lequel elle n’aurait « nulle part où aller » n’aurait aucun sens à moins que le plan fût de faire tuer les deux parents. Si sa mère était en vie, elle aurait quelque part où aller (m.a., par. 15). Encore une fois, je ne suis pas d’accord pour dire que l’interprétation du ministère public est la seule interprétation possible de cet échange. Selon d’autres interprétations, Jennifer ne serait plus à l’aise de vivre dans sa maison que sa mère soit en vie ou non, ou il s’agissait simplement d’une tentative de la part d’une femme au cœur brisé de susciter de la compassion. Il appartenait au jury de décider quelle était l’interprétation correcte.
  2.                           Le ministère public fait état d’autres éléments de preuve qui établissent l’existence d’un plan pour tuer à la fois M. et Mme Pan. Ces éléments de preuve comprennent un témoignage que les deux parents imposaient des règles strictes et faisaient Jennifer se sentir malheureuse; qu’elle a été en contact avec les auteurs des crimes tout au long de la soirée et qu’ils ne sont arrivés à la maison qu’après que sa mère fut revenue de sa séance de danse en ligne; que les deux parents ont été traités de la même façon tout long de l’attaque; et que les agresseurs n’ont pas couvert leur visage, ce qui tend à indiquer qu’ils n’avaient pas l’intention de laisser Mme Pan comme témoin.
  3.                           Ces éléments de preuve se heurtaient au fait que Jennifer a constamment fait une distinction entre ses parents en disant que son père était celui qui imposait les règles strictes et la faisait se sentir isolée. Elle a témoigné que sa mère était [traduction] « beaucoup plus compréhensive » et faisait preuve d’empathie à l’égard de ses sentiments pour M. Wong, et qu’elle lui permettait de passer du temps en cachette sur son téléphone cellulaire après que son père le lui eut confisqué (d.a., partie V, vol. L, p. 88). Jennifer a fait plusieurs déclarations selon lesquelles, dans un monde parfait, elle serait avec sa mère, mais son père serait parti. Ce témoignage a été quelque peu corroboré par les témoignages du frère et du cousin de Jennifer, qui ont tous les deux déclaré que la relation de cette dernière avec sa mère était meilleure que sa relation avec son père.
  4.                           Plus important encore, Jennifer a témoigné que son ami lui a dit qu’il voulait tuer son père, et qu’alors [traduction] « il y a eu un déclic, quelque chose a cliqué entre ce qu’il avait dit et ce que je ressentais. Parce que c’était mon père qui me faisait sentir isolée; ma mère me faisait encore sentir chez moi, dans une atmosphère chaleureuse » (d.a., partie V, vol. XLVIII, p. 89). Ensuite, quelques mois avant la fusillade, elle a pris des dispositions pour que le colocataire de son ami tue son père — uniquement son père — et ce plan a échoué uniquement parce que le colocataire ne l’a jamais mené à terme. Les attitudes différentes de Jennifer envers chacun des parents et son plan antérieur de tuer M. Pan étaient des éléments de preuve circonstancielle établissant que Mme Pan n’était peutêtre pas visée par le plan du 8 novembre.
  5.                           La question, au vu de l’ensemble de cette preuve, n’est pas de savoir si une thèse en ressort plus forte. Ma collègue reconnaît cela (au par. 199), mais, soit dit en tout respect, elle se livre à ce genre d’évaluation substantielle dans son application du droit à la présente affaire. La question qu’il convient de se poser, eu égard à la présomption d’innocence et au fardeau qui incombe au ministère public de prouver chacun des éléments d’une infraction hors de tout doute raisonnable, est de savoir si le dossier laissait de façon réaliste la possibilité au jury d’avoir un doute raisonnable sur le fait que les intimés avaient établi un plan en vue de faire tuer la mère de Jennifer, tout en acceptant hors de tout doute raisonnable qu’ils avaient établi un plan en vue de faire tuer son père. À mon avis, il était réalistement possible pour le jury à la fois d’accepter hors de tout doute raisonnable que M. Pan était la cible du plan des intimés et d’avoir un doute raisonnable sur le fait que Mme Pan était également visée.
  6.                           En ce qui concerne maintenant les inférences de fait additionnelles exigées pour rendre un verdict de culpabilité relativement à l’infraction incluse, l’élément additionnel de mens rea en ce qui a trait à une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré est que les intimés savaient que la réalisation de l’intention commune de tuer M. Pan aurait pour conséquence probable la mort de Mme Pan. L’élément additionnel de mens rea pour l’homicide involontaire coupable est que les lésions corporelles non négligeables étaient une conséquence objectivement prévisible du plan illégal de tuer M. Pan.
  7.                           Il existait des éléments de preuve qui permettaient à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure de manière réaliste que les éléments des infractions incluses avaient été établis et également de conclure qu’il existait un doute raisonnable en ce qui a trait à l’existence d’un plan visant à tuer Mme Pan. Il était loisible au jury d’accepter que les intimés avaient prémédité la mort de M. Pan, avaient recruté plusieurs hommes qu’ils ne connaissaient pas bien pour les aider à exécuter ce plan et avaient prévu que les hommes seraient armés. Il lui était également loisible d’accepter que Jennifer, au su ou à l’insu des autres intimés, avait déverrouillé la porte de la maison et avait prévu que les hommes arriveraient pendant que Mme Pan était à la maison. Sur la foi de cette preuve, le jury pouvait conclure de façon réaliste que les intimés savaient subjectivement que la réalisation de leur plan aurait pour conséquence probable la mort de Mme Pan ou qu’il était objectivement prévisible que cette dernière subirait des lésions corporelles.
  8.                           Pour résumer, je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que les infractions incluses de meurtre au deuxième degré et d’homicide involontaire coupable étaient vraisemblables et qu’elles auraient dû être soumises à l’appréciation du jury.
    1.           Disposition réparatrice
  9.                           La Cour d’appel a jugé que la disposition réparatrice énoncée au sousal. 686(1)b)(iii) du Code criminel ne s’appliquait pas à l’omission du juge du procès de soumettre les infractions incluses à l’appréciation du jury. Se fondant sur l’arrêt Ronald, par. 66, la cour a conclu que [traduction] « le fait qu’une infraction incluse n’a pas été soumise à l’appréciation du jury, alors qu’elle aurait dû l’être, signifie que l’erreur n’était pas inoffensive » (par. 143).
  10.                           Le ministère public prétend que la Cour d’appel a commis une erreur parce que la preuve d’un plan visant à tuer les deux parents était accablante, alors que la preuve d’un plan ne visant qu’à tuer M. Pan était tout au plus marginale. Les intimés disent que la Cour d’appel a eu raison de conclure que la disposition ne s’applique pas aux circonstances de l’espèce.
  11.                           L’omission de donner des directives au jury sur un verdict possible constitue une erreur de droit au sens du sousal. 686(1)a)(ii) du Code criminel (Sarrazin, par. 64). Une erreur de droit justifie l’annulation de la déclaration de culpabilité en vertu du par. 686(2). Cependant, le sousal. 686(1)b)(iii) permet à une cour d’appel de rejeter l’appel et de confirmer la déclaration de culpabilité lorsque le ministère public peut établir que l’erreur n’a entraîné aucun tort important ni aucune erreur judiciaire grave (par. 65; R. c. Illes, 2008 CSC 57, [2008] 3 R.C.S. 134, par. 21).
  12.                           Plus précisément, la disposition réparatrice prévue au sousal. 686(1)b)(iii) peut être invoquée : (1) si l’erreur ou l’irrégularité en question est négligeable ou inoffensive de sorte qu’elle n’a eu aucune incidence sur le verdict; ou (2) si l’erreur ou l’irrégularité, malgré sa gravité qui justifierait la tenue d’un nouveau procès, n’a causé aucun tort important ni erreur judiciaire grave, car la preuve contre l’accusé est à ce point accablante que le juge des faits rendrait inévitablement un verdict de culpabilité (voir R. c. Tayo Tompouba, 2024 CSC 16, par. 76).
  13.                           En termes simples, la question est de savoir s’il n’existe aucune possibilité raisonnable que le verdict eût été différent si l’erreur de droit n’avait pas été commise (Sarrazin, par. 65). Je ne suis pas convaincu que le ministère public se soit acquitté de son fardeau à cet égard.
  14.                           Notre Cour a établi qu’une déclaration de culpabilité pour une accusation plus grave ne peut être considérée comme signifiant qu’un jury n’aurait pas rendu un verdict de culpabilité pour une accusation moins grave si celleci lui avait été soumise (Haughton). Dans de telles circonstances, comme je l’ai mentionné plus haut, il y a toujours le risque que « le jury n’ait prononcé une déclaration de culpabilité que parce que son seul autre choix aurait été l’acquittement et qu’il l’aurait prononcé à contrecœur » (p. 517).
  15.                           Ce n’est que dans de rares cas qu’il sera possible de conclure que l’erreur consistant à ne pas soumettre un verdict possible à l’appréciation du jury n’a pas causé de tort important. Comme l’a affirmé le juge Doherty dans l’arrêt Ronald, la disposition est susceptible de s’appliquer lorsque [traduction] « la cour peut tenir compte des conclusions de fait implicites dans le verdict ou les verdicts rendus par le jury, pourvu que ces verdicts ne soient pas entachés de l’erreur de droit et que ces conclusions soient révélées sans équivoque par le verdict » (par. 6869). Cela dit, la cour doit demeurer consciente du risque que le jury ait rendu un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction principale uniquement parce que l’acquittement était la seule autre possibilité. Bien que je n’exclue pas la possibilité que, dans de rares cas, la vraisemblance d’une infraction incluse soit si marginale qu’elle permet l’application de la disposition, il ne s’agit pas de l’un de ces cas.
  16.                           Si le jury avait reçu des directives appropriées sur les thèses relatives aux infractions incluses, il aurait eu à examiner la preuve tendant à indiquer que Jennifer n’avait pas la même animosité envers sa mère que celle qu’elle avait envers son père. Je souligne que cette preuve émane en grande partie de Jennifer ellemême, dont la thèse au procès était que le seul plan en novembre 2010 était qu’elle serait ellemême tuée, et qui n’avait donc aucun intérêt à admettre avoir une quelconque animosité envers l’un ou l’autre de ses parents. Le fait qu’elle ait admis son animosité envers son père tout en affirmant que sa mère était [traduction] « la mère parfaite » est non négligeable (d.a., partie V, vol. L, p. 310). Un doute raisonnable en ce qui a trait à la préméditation et au propos délibéré, comme je l’ai souligné, est un seuil peu exigeant.
  17.                           Je ne conteste pas qu’une déclaration de culpabilité à l’égard de l’une des infractions incluses, en particulier le meurtre au deuxième degré, lequel comporte un élément de mens rea subjective, obligerait le jury à tirer des inférences importantes reposant uniquement sur une preuve circonstancielle. Toutefois, je ne considère pas qu’une déclaration de culpabilité pour l’une ou l’autre de ces infractions soit hors du champ des possibles. Je conclus donc que la disposition réparatrice ne s’applique pas.
  18.                           Je rejetterais donc le pourvoi du ministère public. Je vais maintenant examiner les pourvois incidents interjetés par les intimés.
    1.             Pourvois incidents
      1.           Un nouveau procès devraitil être ordonné pour le chef de tentative de meurtre étant donné qu’un nouveau procès a été ordonné pour le meurtre au premier degré?
        1.              Contexte et décisions des juridictions inférieures
  19.                           Après avoir conclu qu’il fallait tenir un nouveau procès à l’égard du chef de meurtre au premier degré relativement à la mort de Mme Pan, la Cour d’appel s’est penchée sur le chef de tentative de meurtre relativement aux coups de feu tirés sur M. Pan. Elle a conclu que les déclarations de culpabilité des intimés pour la tentative de meurtre de M. Pan pouvaient être maintenues malgré l’erreur commise par le juge du procès en ne soumettant pas les infractions incluses à l’appréciation du jury en ce qui a trait au chef de meurtre au premier degré relatif à Mme Pan. Il en était ainsi parce que les thèses relatives aux infractions incluses qui auraient dû être soumises à l’appréciation du jury énonçaient également l’attaque de M. Pan, c’estàdire qu’elles n’auraient pas soulevé d’autres raisonnements ou des bases de doute additionnelles à l’égard du chef de tentative de meurtre.
  20.                           Les intimés prétendent que la Cour d’appel a commis une erreur en refusant d’ordonner un nouveau procès pour le chef de tentative de meurtre de M. Pan. Sans un nouveau procès à l’égard de ce chef, soutiennentils, il y a un risque de verdicts incompatibles. Autrement dit, lors d’un nouveau procès, le jury peut rejeter entièrement la thèse selon laquelle il y avait un plan d’assassiner l’un ou l’autre des parents de Jennifer et rendre un verdict d’acquittement sur ce fondement. Jennifer, et peutêtre d’autres intimés, seraient alors condamnés à purger leur peine relativement à la tentative de meurtre de M. Pan même si un jury tout aussi qualifié a conclu, par voie de conséquence nécessaire, qu’ils n’étaient pas responsables de cette tentative.
  21.                           Selon le ministère public, l’erreur n’a eu une incidence que sur le chef de meurtre au premier degré et non sur le chef de tentative de meurtre. Rien dans la loi ne permet à une cour d’appel d’annuler une déclaration de culpabilité et d’ordonner un nouveau procès pour un chef d’accusation qui n’était pas luimême entaché d’une erreur de droit. Même si une cour pouvait ordonner un nouveau procès pour ce chef d’accusation afin d’éviter des verdicts incompatibles futurs, le ministère public prétend qu’il n’y a pas réellement de risque d’incompatibilité en l’espèce. Selon son raisonnement, même un acquittement complet lors d’un nouveau procès en ce qui a trait aux coups de feu tirés sur Mme Pan pourrait être interprété d’une manière qui est compatible avec les déclarations de culpabilité pour tentative de meurtre.
  22.                           Les arguments des parties soulèvent donc deux questions. La première est de savoir si la perspective d’incompatibilité peut à elle seule justifier d’ordonner un nouveau procès relativement à un chef d’accusation non entaché d’une erreur de droit. La deuxième est de savoir si la perspective d’une véritable incompatibilité est présente en l’espèce. Comme je vais l’expliquer, la réponse à la première question est « non », de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la seconde.
    1.              Principes régissant les nouveaux procès pour des chefs d’accusation connexes
  23.                           Le pouvoir d’une cour d’appel d’ordonner un nouveau procès prend sa source dans la loi. Les dispositions pertinentes sont les par. 686(1) et (2) du Code criminel, dont voici le libellé :

 686 (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict d’inaptitude à subir son procès ou de nonresponsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la cour d’appel :

 a) peut admettre l’appel, si elle est d’avis, selon le cas :

 (i) que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve,

 (ii) que le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit,

 (iii) que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire;

 . . .

 (2) Lorsqu’une cour d’appel admet un appel en vertu de l’alinéa (1)a), elle annule la condamnation et, selon le cas :

 a) ordonne l’inscription d’un jugement ou verdict d’acquittement;

 b) ordonne un nouveau procès.

  1.                           L’alinéa 686(1)a) autorise une cour d’appel à accueillir un appel et à annuler un verdict si l’appelant peut démontrer que ce dernier est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve, qu’une erreur de droit a été commise ou qu’il y a eu erreur judiciaire. Dans l’arrêt Tayo Tompouba, notre Cour a relevé le principe sousjacent à chacun de ces trois moyens d’appel, au par. 54 :

 . . . une cour d’appel ne peut généralement intervenir que si l’erreur a été préjudiciable à l’accusé. Autrement, il s’agit d’une erreur sans conséquence juridique, sous réserve des cas où l’erreur, sans causer un préjudice direct à l’accusé, est grave au point d’ébranler la confiance de la population dans l’administration de la justice . . . [Références omises.]

  1.                       L’alinéa 686(1)a) est formulé en termes généraux pour englober tout verdict rendu d’une manière vraiment inéquitable pour l’accusé. Toutefois, l’intervention d’une cour d’appel n’est pas sans limites. Les cours d’appel ne sont pas autorisées à modifier un verdict qui n’est pas touché par une erreur et qui n’est pas entaché d’une erreur judiciaire (Tayo Tompouba, par. 56). Une règle de base, fondamentale pour notre système décisionnel, veut que les cours d’appels ne modifient pas les verdicts des jurys qui sont à la fois raisonnables et équitables.
  2.                       Comme nous l’avons vu plus haut, les intimés soulignent à juste titre que l’omission de soumettre une infraction incluse à l’appréciation du jury constitue une erreur de droit qui déclenche l’intervention d’une cour d’appel en vertu du sousal. 686(1)a)(ii) (Sarrazin, par. 65). Une déclaration de culpabilité pour tout chef d’accusation sur lequel cette erreur a une incidence importante devrait être annulée. En effet, il y aura des situations où l’omission de soumettre une infraction incluse relativement à un chef d’accusation aura une incidence importante non seulement sur ce chef d’accusation, mais également sur un chef connexe. Dans de tels cas, il conviendra d’annuler les deux verdicts et d’ordonner un nouveau procès pour chacun des chefs d’accusation.
  3.                       Dans l’affaire Ronald, par exemple, deux coaccusés, Mme Ronald et M. Gill, ont été inculpés du meurtre au premier degré de la victime, l’épouse de M. Gill. La thèse du ministère public était que M. Gill avait participé à la préméditation, mais que Mme Ronald avait perpétré le meurtre seule. La Cour d’appel a estimé que la juge du procès avait commis une erreur en omettant de laisser place à la possibilité qu’un verdict de meurtre au deuxième degré soit rendu contre Mme Ronald parce que la thèse qu’elle avait commis le meurtre sans avoir projeté de le faire avec M. Gill était vraisemblable.
  4.                       La Cour d’appel a ordonné à juste titre un nouveau procès à la fois pour Mme Ronald et pour M. Gill, parce que selon l’autre thèse voulant que le meurtre ne fût pas prémédité, M. Gill était innocent. En conséquence, dans les faits, le jury avait été privé non seulement d’une voie valable menant à une déclaration de culpabilité pour une infraction moindre et incluse contre Mme Ronald, mais également d’une voie valable menant à l’acquittement de M. Gill. Il s’agissait d’un cas où les deux déclarations de culpabilité ont été touchées de façon importante par une erreur de droit commise en ce qui a trait à la directive formulée à l’égard d’une seule d’entre elles.
  5.                       Toutefois, dans les cas où il y a des déclarations de culpabilité qui ne sont pas touchées par une erreur de droit, le risque d’incompatibilité occasionné par une ordonnance visant la tenue d’un nouveau procès relativement au chef d’accusation touché n’est pas en soi un fondement valable justifiant d’ordonner un nouveau procès pour le chef d’accusation non touché.
  6.                       La question de l’incompatibilité sur le plan factuel dans des procès distincts s’est posée à plusieurs reprises dans des cas où des coaccusés sont jugés séparément et obtiennent des résultats différents. Dans l’arrêt Rémillard c. The King (1921), 62 R.C.S. 21, notre Cour s’est penchée sur la question de savoir s’il est possible que l’auteur principal soit déclaré coupable d’une infraction moins grave que celle pour laquelle un participant est déclaré coupable dans le cadre de deux procès distincts. La Cour a jugé à l’unanimité qu’il n’y avait aucune incompatibilité dans ces résultats. Comme l’a expliqué le juge Anglin :

 [traduction] Le fait que, dans un autre procès, un autre jury, appelé à se prononcer sur une preuve qui peut avoir été quelque peu différente, ait décidé que l’infraction commise par Roméo Rémillard en tuant Lucien Morissette ne constituait qu’un homicide involontaire coupable n’a aucun rapport avec la question de savoir si Joseph Rémillard pouvait à juste titre être traduit en justice pour le meurtre, et pouvait, sur preuve qu’il avait aidé à sa perpétration, l’avait encouragée ou en avait été à l’origine, être déclaré coupable de meurtre. Entre Romeo Rémillard et le ministère public, le verdict du jury qui a jugé M. Rémillard est sans aucun doute concluant en ce qui concerne la nature de son crime. Entre Joseph Rémillard et le ministère public, il ne détermine rien. La nature de l’infraction effectivement commise par chacun doit être tranchée par le jury chargé de statuer sur l’acte d’accusation dont il fait l’objet. [p. 2324]

L’arrêt Rémillard fait autorité en ce qui concerne la proposition selon laquelle deux verdicts rendus dans des procès distincts, bien qu’incompatibles sur le plan factuel, ne peuvent pas être considérés incompatibles sur le plan juridique.

  1.                       Jennifer soutient qu’il est possible de faire une distinction d’avec l’affaire Rémillard et invoque plutôt la décision de notre Cour dans R. c. Nygaard, [1989] 2 R.C.S. 1074. Dans cette affaire, deux coaccusés, MM. Nygaard et Schimmens, étaient inculpés de meurtre au premier degré. Ayant constaté une erreur de droit se rapportant exclusivement à la défense d’alibi de M. Schimmens, la Cour a conclu que les deux accusés devaient subir un nouveau procès :

 Si Nygaard n’obtenait pas également un nouveau procès, le résultat absurde et inacceptable pourrait être que Schimmens, l’auteur principal du crime, serait déclaré coupable de meurtre au second degré alors que Nygaard, partie au crime, serait déclaré coupable de meurtre au premier degré. [p. 1094]

  1.                       Une question semblable a été examinée deux ans plus tard dans l’arrêt R. c. Hick, [1991] 3 R.C.S. 383. Dans cette affaire, deux coaccusés, MM. Hick et Marshall, étaient inculpés de séquestration et d’agression sexuelle. Monsieur Hick a plaidé coupable à l’égard d’un acte d’accusation alléguant la perpétration de l’infraction de séquestration, alors que M. Marshall a subi un procès, où il a été acquitté des deux chefs d’accusation. La question en litige était de savoir si M. Hick aurait dû être autorisé à retirer son plaidoyer eu égard à l’acquittement de M. Marshall. Citant l’arrêt Rémillard, notre Cour a jugé qu’il ne l’était pas parce que « le verdict du jury n’est concluant qu’entre le ministère public et l’accusé à ce procès » (p. 386).
  2.                       À mon avis, les arrêts Rémillard et Hick formulent les bons principes juridiques. Dans la mesure où il est incompatible, l’arrêt Nygaard ne devrait pas être suivi parce qu’il a été rendu per incuriam. Une décision est rendue per incuriam, ou par inadvertance, lorsqu’elle ne tient pas compte d’une loi pertinente ou d’une source faisant autorité (voir R. c. Sullivan, 2022 CSC 19, [2022] 1 R.C.S. 460, par. 77). Pour qu’une décision puisse être annulée au motif qu’elle a été rendue per incuriam, il ne suffit pas de relever une source qui est absente des motifs. Il faut que l’inadvertance « touche à l’essence de la décision » (par. 77). Autrement dit, « il faut démontrer que le fait que la source était manquante a influé sur le jugement » (ibid., citant M. Rowe et L. Katz, « A Practical Guide to Stare Decisis » (2020), 41 Windsor Rev. Legal Soc. Issues 1, p. 19).
  3.                       La Cour dans Nygaard n’a pas concilié sa décision avec celle qu’elle a rendue dans Rémillard, laquelle était une source faisant autorité. Si la Cour dans Nygaard avait tenu compte des contraintes juridiques que lui impose l’arrêt Rémillard, elle serait parvenue à un résultat différent; elle n’aurait pas pu conclure que M. Nygaard devait obtenir un nouveau procès uniquement parce que son coaccusé M. Schimmens devait en obtenir un. Dans la mesure où l’arrêt Nygaard appuie la proposition suivant laquelle un participant doit obtenir un nouveau procès uniquement parce que le contrevenant principal en a obtenu un, il ne devrait pas être suivi.
  4.                       Cette conclusion rend la common law conforme à l’art. 23.1 du Code criminel, qui a été édicté avant que la Cour rende sa décision dans Nygaard, mais après que l’infraction dans cette affaire eut été commise. L’article 23.1 prévoit que les art. 21 à 23, dispositions portant sur la responsabilité à titre de participant, s’appliquent à un accusé « même si la personne qu’il a aidée, encouragée, conseillée, amenée, reçue ou assistée ne peut être déclarée coupable de l’infraction ». L’édiction de l’art. 23.1 a coupé court à tout argument selon lequel un participant doit obtenir un nouveau procès uniquement parce que l’auteur principal en obtiendra un.
  5.                       Les conclusions de fait d’un jury lors d’un procès ne s’appliquent qu’à ce procès parce qu’elles dépendent entièrement, et sont indissociables, de la preuve et des arguments présentés lors de ce procès (Rémillard, p. 2324; Hick, p. 386; R. c. Chol, 2021 BCCA 279, 73 C.R. (7th) 78, par. 31). Les parties prennent des décisions stratégiques en ce qui a trait à la preuve à produire, à la manière de la présenter et aux thèses à faire valoir. C’est une caractéristique nécessaire de notre système de justice que des procès différents peuvent donner lieu à des résultats qui impliquent des conclusions de fait différentes. Cela découle directement du fait que l’innocence est présumée et que cette présomption ne peut être réfutée qu’au moyen d’une preuve produite de façon appropriée au procès dans lequel la culpabilité d’une personne est examinée.
  6.                       En somme, rien dans la loi n’autorise une cour d’appel à ordonner un nouveau procès uniquement pour prévenir le risque que des verdicts incompatibles sur le plan factuel soient rendus dans le futur, et d’ailleurs une telle ordonnance ne serait pas appropriée de toute façon. Un principe fondamental veut que les cours d’appel ne modifient pas les verdicts de jury valablement rendus et non viciés.
    1.              Application aux faits
  7.                       L’unique raison pour annuler les déclarations de culpabilité de tentative de meurtre à l’égard de M. Pan et ordonner qu’elles soient examinées dans un nouveau procès serait que l’omission du juge du procès de soumettre le meurtre au deuxième degré et l’homicide involontaire coupable à l’appréciation du jury relativement à la mort de Mme Pan a eu une incidence importante sur ces déclarations de culpabilité. La juridiction inférieure a eu raison de juger que cette erreur n’a pas eu une incidence importante sur le verdict de tentative de meurtre.
  8.                       Contrairement à la situation dans l’affaire Ronald, l’omission du juge du procès de soumettre le meurtre au deuxième degré et l’homicide involontaire coupable à l’appréciation du jury relativement au meurtre de Mme Pan ne met aucunement en doute le verdict du jury en ce qui a trait à la tentative de meurtre de M. Pan. L’argument selon lequel ces infractions incluses auraient dû être soumises à l’appréciation du jury reposait entièrement sur l’insistance de l’avocat de Jennifer que le plan des intimés pouvait plausiblement avoir été de ne tuer que M. Pan. Loin d’être disculpatoires relativement à la tentative de meurtre de M. Pan, les thèses en matière de responsabilité sousjacentes à ces infractions incluses supposent toutes les deux que les intimés sont coupables à l’égard de ce chef d’accusation. Permettre au jury d’examiner les autres thèses n’aurait donc pas soulevé de motif de doute à l’égard de ce chef d’accusation.
  9.                       En somme, l’erreur d’avoir omis de soumettre les infractions incluses à l’appréciation du jury relativement au chef de meurtre au premier degré n’a pas entaché le verdict du jury à l’égard du chef de tentative de meurtre. Rien dans la loi n’autorise donc une cour d’appel à ordonner un nouveau procès relativement au chef de tentative de meurtre sur la base de cette erreur. Je me penche maintenant sur les autres moyens d’appel incident, qui, selon les intimés, fournissent des bases additionnelles permettant d’ordonner un nouveau procès relativement à la fois au chef de meurtre au premier degré et au chef de tentative de meurtre.
    1.           Le juge du procès atil commis une erreur en permettant que le diaporama du ministère public aille dans la salle du jury?
  10.                       Le moyen d’appel incident qui suit soulève une question d’une portée plus large à propos du recours à des aides au jury. Des avancées technologiques exponentielles ont rendu tant les activités criminelles que les enquêtes policières de plus en plus complexes. Cette complexité croissante signifie que la preuve présentée dans des procès criminels modernes est souvent vaste et épineuse. Les aides au jury, qui synthétisent et expliquent la preuve, jouent un rôle important dans la recherche de la vérité dans ces affaires. Par ailleurs, les aides au jury présentent des risques qui exigent l’attention soutenue des juges de première instance. En l’espèce, j’examine dans quelles circonstances il y a lieu de permettre qu’elles aillent dans la salle du jury afin d’aider celuici dans ses délibérations.
    1.              Contexte et décisions des juridictions inférieures
  11.                       Peu avant la clôture de sa preuve, le ministère public a communiqué une présentation PowerPoint de 231 diapositives. Ce diaporama résumait les éléments de preuve provenant de sources disparates, notamment les métadonnées téléphoniques, les éléments de preuve fournis par les tours de téléphonie cellulaire, les données récupérées sur les téléphones cellulaires, les relevés de retraits bancaires, l’heure de l’appel au 911 et les enregistrements des images de vidéosurveillance. Les diapositives exposaient en détail comment plus de 400 appels, près de 100 échanges de textos et les contenus de plus de 250 messages textes individuels mettaient en cause tous les coaccusés.
  12.                       Le ministère public a demandé que le diaporama soit admis à titre de pièce et que l’analyste de la Police provinciale de l’Ontario qui l’a créé soit appelé à témoigner. Les intimés ont accepté que le ministère public puisse utiliser le diaporama dans sa plaidoirie finale, mais Jennifer s’est opposée à la communication tardive, M. Crawford et elle se sont opposés à son admissibilité en tant que pièce et au fait d’appeler l’analyste à témoigner, et MM. Mylvaganam et Wong ont demandé de contreinterroger l’analyste et se sont opposés à ce que le diaporama soit envoyé à la salle du jury à titre de pièce numérotée si des changements ne pouvaient pas y être apportés par suite du contreinterrogatoire.
  13.                       Le juge du procès a statué que le ministère public ne pouvait pas faire témoigner l’analyste, mais pouvait se servir de la présentation dans la plaidoirie finale (2014 CanLII 74050). Après la clôture des défenses, le juge du procès a statué qu’il permettrait que le diaporama et les tableaux connexes aillent dans la salle du jury, mais qu’il n’inscrirait pas le diaporama comme pièce (2014 ONSC 6055). Selon le juge du procès, le diaporama aiderait grandement le jury à parvenir à comprendre un énorme volume d’éléments de preuve, et bien qu’il ait mis en évidence la preuve du ministère public, il a aussi montré ses limites. Le diaporama a également servi de point de départ à la défense pour démontrer des lacunes dans la thèse du ministère public. Le juge du procès a donné des directives au jury en ce qui a trait aux limites du recours au diaporama dans ses délibérations.
  14.                       La Cour d’appel a conclu que le juge du procès n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans ses décisions concernant le diaporama. Elle a souligné en particulier que la preuve en l’espèce était dense, compliquée et volumineuse, et que les avocats de la défense disposaient d’une copie du diaporama avant de livrer leur plaidoirie finale et étaient en mesure de s’exprimer sur toute lacune dans celleci. Il était également révélateur que les avocats de la défense aient été autorisés à fournir au jury d’autres tableaux qui montraient des éléments de preuve sur lesquels ils projetaient de mettre l’accent et que le juge du procès ait donné des directives minutieuses et explicites au jury en ce qui a trait aux limites inhérentes du diaporama.
    1.              Définition des aides au jury
  15.                       Les aides au jury sont des outils permettant de comprendre la signification d’un élément ou d’un ensemble d’éléments de preuve testimoniale, documentaire ou matérielle. Elles comprennent des cartes, des échéanciers, des listes de protagonistes, des tableaux et des diaporamas. Alors que les éléments de preuve testimoniale, documentaire et matérielle [traduction] « donnent au juge des faits la possibilité d’avoir une impression directe significative », les aides au jury remplissent une fonction secondaire, à savoir « aider le jury à interpréter, à comprendre ou à analyser » ces éléments de preuve (S. C. Hill, D. M. Tanovich et L. P. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence (5e éd. (feuilles mobiles)), § 23.1).
  16.                       Contrairement à la preuve, les aides au jury ne fournissent pas un fondement justifiant à lui seul des conclusions de fait ou de droit. Leur utilité repose entièrement sur la question de savoir si le juge des faits accepte de façon indépendante la preuve sur laquelle elles reposent (R. c. Scheel (1978), 42 C.C.C. (2d) 31 (C.A Ont.), p. 34; voir aussi R. c. Kanagasivam, 2016 ONSC 2250, 29 C.R. (7th) 201, par. 41; R. c. Shaw, 2004 NBBR 260, 277 R.N.B. (2e) 306, par. 8).
  17.                       Les aides au jury prennent différentes formes et leur sophistication varie, et la distinction entre les aides au jury et la preuve peut parfois être difficile à établir (voir Hill, Tanovich et Strezos, § 23.1). Dans certains cas, des outils qui peuvent être à juste titre classés comme des aides au jury seront néanmoins admis en preuve par l’entremise d’un témoin et déposés comme pièces conformément aux règles ordinaires de preuve. La présente espèce ne concerne pas la pratique consistant à admettre des aides au jury en preuve conformément à ces règles.
  18.                       La question soulevée est plutôt de savoir dans quelles circonstances des aides au jury peuvent être autorisées à aller dans la salle du jury en dehors des règles normales de preuve pour être utilisées par le jury au cours de ses délibérations. À la Cour d’appel, le juge Nordheimer a fait remarquer que, normalement, seules deux catégories d’éléments matériels iront dans la salle du jury : les pièces déposées au procès et les aides au jury présentées sur consentement (par. 114). Comme il l’a souligné à juste titre, malgré le consentement des parties, le juge du procès conserve le pouvoir discrétionnaire de ne pas envoyer une aide au jury dans la salle du jury et, inversement, le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire de permettre qu’une aide contestée aille dans la salle du jury en certaines circonstances. Je vais maintenant examiner ces circonstances.
    1.              Cadre applicable lorsqu’il s’agit de permettre l’utilisation d’aides au jury dans la salle du jury
  19.                       Sur le plan théorique, le pouvoir discrétionnaire de permettre que des aides au jury aillent dans la salle du jury relève du domaine des pouvoirs de gestion du juge du procès, lesquels découlent de la compétence inhérente ou implicite du tribunal de contrôler sa propre procédure et de « garantir le bon fonctionnement des rouages de la cour » (R. c. Samaniego, 2022 CSC 9, [2022] 1 R.C.S. 71, par. 20; voir aussi R. c. Anderson, 2014 CSC 41, [2014] 2 R.C.S. 167, par. 58).
  20.                       La partie qui demande à ce qu’une aide au jury aille dans la salle du jury devrait communiquer celleci à la partie adverse dès qu’il est raisonnablement possible de le faire après qu’elle a été préparée et présenter une demande au tribunal en vue d’offrir cette aide. Lorsque la partie adverse s’oppose à ce que l’aide aille dans la salle du jury, le juge du procès devrait solliciter des observations. Les aides qui satisfont aux critères énoncés ciaprès devraient être autorisées à aller dans la salle du jury et devraient porter une marque formelle de façon à les distinguer de la preuve.
  21.                       Si une aide est autorisée à être utilisée par le jury, il incombe au juge du procès de donner des directives au jury sur les utilisations appropriées et inappropriées de l’aide (voir, p. ex., R. c. Hovila, 2013 CarswellAlta 2965 (B.R.), par. 20). Comme exemple d’une mise en garde bien formulée, je citerais les directives du juge du procès en l’espèce, lesquelles sont reproduites plus loin. Des directives appropriées sont essentielles pour garantir que le jury ne se fie pas à une aide comme [traduction] « raccourci pratique » au lieu d’examiner la preuve (R. c. Belcourt, 2012 BCSC 2128, par. 10).
  22.                       La détermination des mécanismes procéduraux et des directives qui sont nécessaires dans les circonstances dépendra de la nature de l’aide, de son objet et des points de vue des parties. Par exemple, une aide au jury simple comme une carte ou une liste de protagonistes peut commander une approche simplifiée ou informelle. En revanche, une aide complexe ou obscure peut exiger que la partie qui l’offre appelle un témoin à expliquer et à authentifier l’aide. Le juge du procès devrait prendre des décisions dans l’optique de prévenir l’iniquité, de maintenir l’efficacité du procès et d’améliorer la capacité de recherche de la vérité du jury.
  23.                       En ce qui concerne les critères substantiels, je suis d’accord avec le juge Nordheimer pour dire que le juge du procès a commis une erreur en se fondant sur une déclaration tirée de l’arrêt R. c. Bengert (1980), 15 C.R. (3d) 114 (C.A. C.B.), selon laquelle [traduction] « les membres du jury [ont] droit à tout ce qui peut les aider à traiter la preuve de manière raisonnable, intelligente et rapide » (p. 160). Ce critère est trop large et ne tient pas compte du préjudice potentiel découlant du recours excessif aux aides.
  24.                       J’adopterais plutôt le critère énoncé par le juge Nordheimer de la Cour d’appel, avec quelques légères modifications. Avant de permettre qu’une aide au jury aille dans la salle du jury au cours des délibérations, le juge du procès doit être convaincu que l’aide est raisonnablement nécessaire, exacte et équitable. Ces critères servent à mettre en balance la valeur que sont susceptibles de revêtir ces aides dans la compréhension de la preuve avec leur capacité à distraire le jury ou à l’induire en erreur. Il y a lieu de permettre que des aides au jury aillent dans la salle du jury si le premier élément l’emporte sur le second.
  25.                       Le premier critère est que l’aide doit être raisonnablement nécessaire pour que le jury comprenne la preuve. Une aide sera raisonnablement nécessaire lorsque la preuve qu’elle inclut est tellement vaste, complexe ou de nature technique qu’un jury aurait du mal à parvenir à la comprendre sans aide ou sans consacrer des efforts et un temps déraisonnables. Le juge du procès n’a pas à être convaincu qu’il serait impossible pour le jury de s’acquitter de sa tâche sans l’aide; il suffit de démontrer qu’il serait déraisonnablement lourd, ou déraisonnablement long, pour le jury de passer en revue les points de données pertinents nécessaires à la compréhension de la preuve sans l’aide. Comme la juge Fairburn (maintenant juge en chef adjointe de la Cour d’appel) l’a expliqué dans la décision Kanagasivam, au par. 42 :

 [traduction] L’utilisation d’aides démonstratives de cette nature peut servir à raccourcir ce qui pourrait autrement prendre des jours d’audience à développer. Elle peut également faciliter la tâche du jury en abrégeant ce qui pourrait être d’innombrables heures passées à revoir et à distiller des données au cours du processus de recherche des faits.

  1.                       Les jurys ne sont pas censés [traduction] « trouver des aiguilles dans des bottes de foin » (Kanagasivam, par. 48). Cependant, lorsque l’aide ne fait que reformuler la preuve déjà accessible d’une manière plus attrayante ou pratique, le critère de la nécessité ne sera pas rempli.
  2.                       Deuxièmement, l’aide doit résumer la preuve avec exactitude. Elle ne peut déformer, rapporter incorrectement ou occulter aucun élément de preuve, que ce soit intentionnellement ou non (Kanagasivam, par. 52). Dans l’arrêt R. c. Poitras (2002), 57 O.R. (3d) 538 (C.A.), le juge Doherty a décrit comme suit l’impératif d’exactitude, au par. 48 :

 [traduction] Toute inexactitude ou insuffisance dans les documents écrits, ou toute confusion ou iniquité créée par ces documents, est susceptible d’avoir une incidence importante sur la validité de tout verdict rendu par le jury. La grande importance accordée au fait d’assurer l’exactitude et l’impartialité des documents écrits ne devrait pas décourager l’utilisation des documents écrits, mais devrait encourager une préparation minutieuse de tout document écrit destiné au jury.

Une aide qui pourrait être trompeuse en soi peut être considérée suffisamment exacte si elle est accompagnée d’autres aides qui complètent le portrait de la preuve. Toutefois, des préoccupations relatives à l’équité peuvent entrer en jeu si on attend des parties qu’elles répondent aux aides unilatérales au jury, comme je l’explique cidessous.

  1.                       En outre, une aide peut être considérée inexacte si elle ne tient pas compte de la complexité de la preuve. Pour rappeler la mise en garde formulée par le juge Conlan dans la décision Woods c. Jackiewicz, 2019 ONSC 2069, [traduction] « nous devons prendre soin d’éviter de trop simplifier la preuve technique par l’utilisation d’une aide démonstrative » (par. 13(vi)). Il n’est pas toujours possible d’abréger sans sacrifier l’exactitude.
  2.                       Troisièmement et enfin, le juge du procès doit être convaincu qu’il serait équitable de permettre que l’aide aille dans la salle du jury. L’appréciation de l’équité comporte un examen global de la valeur explicative et de l’effet préjudiciable de l’aide (voir Jackiewicz, par. 13(iii)). Une considération clé est la mesure dans laquelle l’aide reflète la thèse d’une partie, bien qu’il n’existe aucune condition préalable stricte voulant qu’une aide soit totalement exempte du point de vue de la partie qui l’offre. Si l’aide reflète la thèse d’une partie, la partie adverse devrait avoir la possibilité de soumettre sa propre aide, ou de soumettre des modifications ou des ajouts à l’aide. Les aides neutres qui ne reflètent pas le point de vue de l’une ou l’autre des parties répondront plus facilement aux exigences de l’équité.
  3.                       En exerçant leur pouvoir discrétionnaire à l’égard des aides au jury, les juges de première instance devraient viser à préserver le fonctionnement approprié et équitable du système contradictoire. Les juges de première instance doivent être conscients des déséquilibres sur le plan des ressources et ne devraient pas permettre qu’une aide unilatérale aille dans la salle du jury lorsqu’il serait trop lourd pour la partie adverse de produire des éléments matériels concurrents. Une considération importante est la rapidité avec laquelle une aide peut raisonnablement être communiquée après avoir été préparée. Certaines aides devront peutêtre être mises à jour tout au long du procès pour pouvoir satisfaire au critère de l’exactitude ou représenter équitablement l’ensemble de la preuve. Naturellement, il sera plus lourd pour une partie de fournir des éléments matériels concurrents si l’aide originale est communiquée pour la première fois peu de temps avant sa présentation au jury.
  4.                       Les objectifs ultimes de ces critères sont d’empêcher un raisonnement inapproprié de la part du jury et d’éviter l’apparence d’iniquité. La décision d’envoyer ou non une aide au jury à la salle du jury est, en fin de compte, une décision discrétionnaire qui appartient au juge du procès. À titre de décision relative à la gestion de l’instance, elle commande la déférence en l’absence d’une erreur de principe ou d’un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire (Samaniego, par. 26).
    1.              Application aux faits
  5.                       Le juge du procès n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans son traitement du diaporama du ministère public. En ce qui concerne la procédure par laquelle les aides au jury sont parvenues à entrer dans la salle du jury, le juge du procès a mis en balance de façon raisonnable les valeurs d’équité et d’efficacité. Il a ordonné au ministère public de fournir à la défense une version déverrouillée du diaporama deux mois et demi avant les plaidoiries finales de telle sorte que les avocats de la défense puissent soumettre des modifications, créer leur propre présentation ou s’exprimer sur les lacunes du diaporama dans leur plaidoirie finale.
  6.                       En outre, son rejet de la motion du ministère public en vue de faire entendre un témoin pour authentifier le diaporama luimême était justifiable parce que le jury avait déjà entendu les longs témoignages de trois représentants de sociétés de télécommunications expliquant la preuve résumée dans le diaporama. De plus, les avocats de Jennifer, M. Carty et M. Crawford ont chacun contesté la motion, protestant que le témoin répéterait inutilement la preuve du ministère public.
  7.                       Enfin, le juge du procès a donné des directives minutieuses au jury sur les limites du diaporama et les raisonnements inadmissibles :

 [traduction] Vous devez faire attention à l’utilisation que vous faites de cette présentation. La présentation PowerPoint n’est pas censée être un survol complet de l’ensemble de la preuve en l’espèce. Elle n’est même pas censée être un survol complet des éléments de preuve provenant de téléphones cellulaires en l’espèce. En effet, de grandes parties de la preuve ne figurent aucunement dans la présentation. Son utilité limitée est de vous aider à comprendre comment certains éléments de preuve provenant de téléphones cellulaires s’articulent du point de vue du ministère public. La présentation ne constitue pas un élément de preuve. Elle ne doit pas servir à remplacer votre examen et prise en compte de l’ensemble de la preuve en l’espèce, ni servir de raccourci en ce qui concerne cet examen et prise en compte. Son utilité se limite à vous aider à comprendre comment cette partie de la preuve du ministère public s’articule.

 Vous trouverez peutêtre la présentation PowerPoint visuellement attrayante. Vous ne devez toutefois pas accorder plus d’importance au contenu de la présentation simplement parce qu’elle est attrayante ou parce qu’elle semble exhaustive. Comme je l’ai dit, elle n’est pas censée être exhaustive. Vous devez examiner de manière équitable et impartiale l’ensemble de la preuve et des arguments des avocats en l’espèce.

 (d.a., partie I, vol. I, p. 304305)

  1.                       En ce qui concerne les critères de la nécessité, de l’exactitude et de l’équité, bien que le juge du procès n’ait pas bénéficié des indications formulées dans le présent arrêt, je suis convaincu qu’il n’a commis aucune erreur en permettant que le diaporama aille dans la salle du jury.
  2.                       Le diaporama était raisonnablement nécessaire, parce que la preuve provenant de téléphones cellulaires qu’il résumait était volumineuse et fragmentée en milliers de points de données provenant de trois fournisseurs de services distincts. Des diaporamas ont été utilisés dans des salles d’audience afin de synthétiser et de résumer des données de tours de téléphonie cellulaire (voir, p. ex., Kanagasivam; R. c. Hamilton, 2011 ONCA 399, 271 C.C.C. (3d) 208). Il aurait été déraisonnable de s’attendre à ce que le jury reconstitue luimême une chronologie alors que ce diaporama existait déjà. La preuve provenant de téléphones cellulaires constituait une partie importante de la preuve en l’espèce, et il était raisonnablement nécessaire de fournir au jury un outil qui l’aiderait à l’interpréter.
  3.                       L’intimé M. Mylvaganam prétend que le diaporama était inexact parce qu’il lui attribuait certains appels alors que l’identité de l’auteur de l’appel était une question en litige. Il souligne que le ministère public a concédé que certains des appels attribués à M. Mylvaganam dans le diaporama ont dû être faits par M. Carty même s’ils provenaient du téléphone cellulaire de M. Mylvaganam. Il se plaint en outre que le diaporama passait sous silence une preuve d’appels à un autre suspect.
  4.                       Selon moi, il ne s’agit pas d’inexactitudes. Le diaporama étiquetait les appels avec le nom de M. Mylvaganam parce que son téléphone cellulaire avait été utilisé, mais le jury connaissait bien la thèse selon laquelle M. Carty avait fait certains de ces appels. Cette question a fait l’objet d’une grande partie de la plaidoirie finale de l’avocat de M. Mylvaganam. Le juge du procès a expliqué au jury qu’une partie de sa tâche consistait à décider qui se servait du téléphone de M. Mylvaganam à quelque moment que ce soit. De plus, le diaporama du ministère public a été envoyé à la salle du jury avec une aide additionnelle appelée la [traduction] « Liste des appels étranges » qui a été préparée par l’avocat de M. Mylvaganam. Cette liste exposait en détail la prétention de M. Mylvaganam selon laquelle il n’avait pas fait les appels contestés et éliminait toute crainte que le diaporama du ministère public ait pu induire le jury en erreur sur ce point. Ces garanties apaisaient de manière raisonnable la crainte que le jury puisse interpréter le diaporama comme réglant une question qui lui avait été expressément soumise pour décision.
  5.                       Il en va de même pour ce qui est de l’omission reprochée. L’avocat de M. Mylvaganam a fourni au jury une liste chronologique des appels téléphoniques mettant en cause l’autre suspect, qui a été autorisée à aller dans la salle du jury avec le diaporama. Les aides considérées ensemble brossaient un portrait exact de la preuve.
  6.                       Dans l’ensemble, il était équitable d’admettre le diaporama du ministère public et de l’envoyer dans la salle du jury. Le diaporama exprimait certes la thèse du ministère public, mais, dans les circonstances exceptionnelles de la présente affaire, sa valeur explicative l’emportait sur tout préjudice possible. Le préjudice a été grandement réduit par la présence d’aides concurrentes des avocats de la défense, qui ont complété le portrait de la preuve, ainsi que par la mise en garde vigoureuse du juge du procès au sujet des dangers de se fier au diaporama. La décision du juge du procès de permettre que le diaporama aille dans la salle du jury commande la déférence.
    1.           Le juge du procès atil commis une erreur dans son approche sur les questions de partialité d’un juré?
  7.                       Environ quatre mois après le début du procès, le jury a fait parvenir au juge du procès une note dans laquelle il soulevait des préoccupations en ce qui a trait aux échanges de messages textes entre le juré no 4 et son épouse qui était présente au procès à titre de membre du public :

 [traduction] Nous savons que l’épouse de l’un de nos jurés assiste régulièrement au procès. Nous avons récemment appris qu’un nombre limité de messages textes ont été reçus par le juré, dont certains ont été communiqués à des personnes faisant partie du jury. Nous avons discuté de la question de façon très détaillée et nous estimons que les renseignements communiqués n’ont aucune incidence sur le procès. Dans le cadre de notre discussion, nous nous sommes sentis obligés de porter cela à votre attention.

 (Motifs de la C.A., par. 97; voir aussi le d.a., parties IIIV, vol. XI, p. 5592.)

Les avocats de certains des intimés ont demandé l’annulation du procès.

  1.                       Le juge du procès a mené une enquête sur chacun des jurés, à commencer par le juré no 4, dont l’épouse a été mentionnée dans la note. Le juré no 4 a dit que les textos ne révélaient aucun renseignement sur ce qui s’était passé en cour en l’absence du jury, mais portaient plutôt sur certaines discussions de corridor. Le juge du procès a tiré la conclusion de fait suivant laquelle l’épouse du juré avait transmis les renseignements suivants : les atermoiements dus au retard d’un témoin ou d’un avocat ou au fait que M. Carty n’avait pas reçu son sandwich, un commentaire sur l’apparence physique d’une témoin à venir et le nom d’un témoin à venir. Tous les jurés ont confirmé être demeurés impartiaux.
  2.                       Le juge du procès a rejeté la demande d’annulation du procès. Il a conclu que, bien qu’ils aient été envoyés à tort, les textos n’étaient pas importants au point où ils détruisaient ou minaient l’apparence de justice et d’équité. L’épouse du juré no 4 n’a pas informé celuici des discussions qui ont eu lieu à l’intérieur de la salle d’audience en l’absence du jury. Il était naïf de croire que des jurés non séquestrés dans les circonstances seraient complètement isolés.
  3.                       Une autre question s’est posée lorsque la même épouse a exprimé des opinions fermes sur l’affaire à un détective qui était un témoin clé du ministère public. Celuici a témoigné que l’épouse du juré no 4 lui avait esquissé un geste d’applaudissement, ce qui signifiait, selon lui, qu’elle applaudissait à son travail, qu’elle avait dit qu’il [traduction] « devait se défendre davantage », et qu’elle « ne voyait pas de tuyaux de caoutchouc » (2014 ONSC 4645, par. 7), ce qui signifiait, selon lui, qu’il n’avait forcé personne à dire quoi que ce soit contre son gré. De plus, l’avocat de M. Carty a informé la cour qu’il avait eu lui aussi des échanges avec l’épouse du juré no 4, en lui demandant ses impressions sur l’affaire et en la considérant [traduction] « un peu comme un 13e juré » (d.a., partie V, vol. XLIV, p. 136).
  4.                       Le juge du procès a mené une deuxième enquête au cours de laquelle le juré no 4 a confirmé qu’il n’était au courant d’aucun commentaire fait par son épouse sur l’un ou l’autre des participants à l’instance. Il a également confirmé que rien dans ce qu’il a entendu à propos de l’affaire de l’extérieur de la salle d’audience n’a eu une incidence sur son point de vue à l’égard du processus ou de l’un ou l’autre des participants. Les avocats de la défense ont prétendu conjointement que le juré no 4 devait être libéré et un des avocats de la défense a demandé l’annulation du procès.
  5.                       Le juge du procès a rejeté la demande d’annulation du procès et a refusé de libérer le juré no 4. Il a affirmé qu’il n’y avait aucune preuve de partialité réelle et que la conduite de l’épouse ne suscitait pas une crainte raisonnable de partialité ni ne minait l’apparence de justice et d’équité. Pour en arriver à cette conclusion, le juge du procès a accepté la déclaration du juré no 4 portant qu’il ne savait pas que son épouse avait fait les commentaires en question et qu’elle ne lui avait fait part d’aucune opinion. Malgré le fait que la conduite était [traduction] « inappropriée » et que la « perception n’est pas très bonne », un observateur raisonnable et informé n’estimerait pas que la conduite était suffisante pour susciter une crainte raisonnable de partialité (2014 ONSC 4645, par. 41 et 48). Cette décision concernait la déposition du témoin détective, mais ne traitait pas expressément des contacts d’un avocat de la défense avec l’épouse.
  6.                       La Cour d’appel a jugé qu’il aurait été certes préférable lors de la première enquête de demander à voir les messages textes, mais qu’il était loisible au juge du procès d’accepter la déclaration du juré no 4 portant qu’il n’était pas au courant des commentaires de son épouse et que les opinions de celleci ne lui avaient pas été communiquées. La décision d’un juge du procès portant sur une question relative au jury commande une grande déférence (R. c. Durant, 2019 ONCA 74, 144 O.R. (3d) 465). Le juge du procès a statué que les événements n’avaient pas miné l’apparence d’équité et, ultimement, cette décision lui appartenait (R. c. Kossyrine, 2017 ONCA 388, 138 O.R. (3d) 91).
  7.                       Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que les décisions portant sur des questions relatives aux jurés commandent une grande déférence (Durant, par. 152; voir aussi Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 27.54). Une enquête est suffisante si elle permet au juge du procès de [traduction] « déterminer le véritable fondement de la demande de libération et de trancher celleci » (Durant, par. 141).
  8.                       La Cour d’appel a rejeté à bon droit ce moyen d’appel. Le juge du procès a recueilli les renseignements nécessaires pour déterminer s’il y avait une partialité réelle ou une crainte raisonnable de partialité. La décision de savoir s’il fallait aller plus loin et faire témoigner l’épouse du juré no 4 ou exiger la production des messages textes était une décision discrétionnaire qui dépendait de l’évaluation de l’ensemble de la situation par le juge du procès, du point de vue d’un observateur raisonnable et informé. Sa décision de ne pas le faire ne constituait pas une erreur susceptible de contrôle.
    1.           Le juge du procès atil commis une erreur dans ses directives sur la preuve de propension?
  9.                       La défense de M. Mylvaganam était qu’il n’était jamais sorti de la voiture dans la soirée de la fusillade et qu’il croyait que les autres n’étaient là que pour commettre un vol qualifié dans le domicile. La description initiale faite par M. Pan des agresseurs, à savoir deux hommes noirs et un homme blanc, était au cœur de cette défense. L’avocat de M. Mylvaganam a prétendu que les deux hommes noirs que M. Pan avait décrits étaient un autre suspect et M. Carty. Comme M. Mylvaganam n’est pas blanc, atil soutenu, il ne pouvait pas avoir été le troisième agresseur.
  10.                       Le juge du procès a permis à M. Mylvaganam de présenter une preuve de propension contre M. Carty à l’appui de la prétention selon laquelle ce dernier était l’un des tireurs. La preuve comprenait le surnom de M. Carty, « Sniper » (« Tireur d’élite » en français), deux tatouages, dont « SNYPA » avec un AK47 sur le mollet de M. Carty et un tatouage sur le cou, et trois des déclarations de culpabilité de M. Carty pour des infractions avec violence, dont une déclaration de culpabilité en 2013 pour meurtre au premier degré.
  11.                       Au cours de la conférence préalable à l’exposé, l’avocat de M. Crawford a prétendu que la preuve de propension contre M. Carty pouvait porter préjudice à son propre client en raison de la relation étroite entre M. Crawford et M. Carty. Le juge du procès s’est dit du même avis. Le deuxième jour de son exposé au jury, il a fait une mise en garde contre une utilisation inappropriée de la preuve de propension :

 [traduction] Entretemps, je tiens à préciser comment vous ne devez pas utiliser la preuve de la propension à la violence de M. Carty. Vous ne devez pas estimer que parce que M. Carty a un casier judiciaire pour des infractions avec violence commises avec des armes à feu, qu’il est plus probable que l’une ou l’autre des personnes accusées soient coupables des infractions reprochées. Vous ne devez pas estimer que l’une ou l’autre des personnes accusées est coupable uniquement parce qu’elle connaissait M. Carty ou avait des liens avec lui.

 (d.a., partie I, vol. I, p. 292; voir aussi les motifs de la C.A., par. 128.)

  1.                       Le troisième jour de l’exposé, le juge du procès a répété ces directives :

 [traduction] Vous ne devez pas [. . .] tenir compte [de la preuve de propension contre M. Carty] lorsque vous décidez si le ministère public a prouvé la culpabilité de l’une ou l’autre des personnes accusées hors de tout doute raisonnable sauf dans la limite suivante : (1) vous pouvez vous demander si cette preuve de propension, lorsqu’elle est examinée dans le contexte de l’ensemble des autres éléments de preuve, suscite un doute raisonnable dans votre esprit sur la question de savoir si M. Mylvaganam avait l’état d’esprit requis pour commettre un meurtre au premier degré; et (2) vous pouvez considérer le fait que M. Mylvaganam avait accès à des armes à feu à l’automne 2010 comme étant pertinent pour permettre de le placer dans le cercle relativement restreint des personnes au sein de notre communauté qui ont accès à des armes de poing et qu’il est donc une personne qui aurait pu commettre les infractions.

 (d.a., partie V, vol. LXV, p. 7980, voir aussi les motifs de la C.A., par. 129.)

  1.                       La Cour d’appel a jugé que les directives sur la manière d’utiliser la preuve de propension étaient suffisantes et que le juge du procès n’était pas tenu d’adapter cette mise en garde à M. Crawford en particulier. La Cour d’appel a souligné que [traduction] « [d]ans un procès avec de multiples personnes accusées, cette plainte pourrait être faite relativement à presque toute directive que le juge du procès donne » (par. 133).
  2.                       Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que l’approche du juge du procès à l’égard de la preuve de propension ne permet pas de modifier les déclarations de culpabilité. Les directives au jury étaient adéquates. Il était clair que la mention par le juge du procès de « l’une ou l’autre » des personnes accusées comprenait M. Crawford, d’autant plus que l’avocat de M. Crawford a soulevé cette préoccupation et a fait part de sa propre mise en garde contre les raisonnements inadmissibles dans ses observations finales.
  3.                       Le juge du procès n’est aucunement tenu de rattacher chaque directive à chaque accusé nommément. L’avoir fait en l’espèce aurait inutilement ajouté à la complexité de directives au jury déjà longues et complexes. Comme l’a déclaré la Cour dans l’arrêt R. c. Abdullahi, 2023 CSC 19, par. 35, « [l]’accusé a le droit d’être jugé par un jury qui a reçu des directives appropriées, et non des directives parfaites ». L’argument de M. Crawford semble être une exigence de perfection. Il ne peut être retenu.
  1.          Dispositif
  1.                       Je rejetterais le pourvoi et tous les pourvois incidents.

 

 Version française des motifs des juges Karakatsanis et Martin rendus par

 La juge Karakatsanis —

  1. Aperçu
  1.                       Je me joins au juge en chef pour rejeter les pourvois incidents. Avec égards, cependant, je ne vois aucune raison d’intervenir à l’égard de la décision du juge du procès de ne pas donner au jury de directives au sujet des infractions moindres et incluses relativement au meurtre de la mère de Jennifer Pan, BichHa Pan.
  2.                       Je suis d’accord avec le juge en chef pour dire que le juge qui préside un procès ne doit donner au jury des directives à l’égard d’une infraction moindre et incluse que si et seulement si il est vraisemblable, au regard de l’ensemble de la preuve, que l’accusé est coupable de cette infraction, mais non de l’infraction qui lui est reprochée. Je conviens également avec le juge en chef que, dans le présent contexte, le critère de la vraisemblance est le même que dans le cas d’un moyen de défense affirmatif. Toutefois, je tiens à souligner des différences fondamentales en ce qui concerne l’application du critère dans le contexte d’une infraction moindre et incluse.
  3.                       Dans le cas d’une infraction moindre et incluse, l’analyse de la vraisemblance est nécessairement plus large et nuancée qu’elle ne l’est dans le cas d’un moyen de défense affirmatif. La question ne consiste pas simplement à se demander si le jury pourrait conclure que les éléments de l’infraction moindre et incluse ont été établis hors de tout doute raisonnable. Elle consiste plutôt à se demander si le jury pourrait réalistement arriver à une telle conclusion tout en concluant également que le ministère public n’a pas établi hors de tout doute raisonnable quelque élément distinctif de l’infraction reprochée. Le juge du procès doit donc apprécier l’ensemble du dossier afin de décider s’il existe des éléments de preuve directs ou des inférences pouvant  raisonnablement être tirées qui pourraient étayer une thèse plausible concernant l’affaire menant à la fois à un acquittement relativement à l’accusation principale et à une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse. En ce sens, la tâche du juge du procès ne porte pas sur une seule et même question, mais consiste plutôt à se demander si une voie menant aux deux verdicts est plausible compte tenu de l’ensemble de la preuve. Cette portée élargie et ces nuances additionnelles impliquent une appréciation qualitativement différente.
  4.                       Dans un procès avec jury, le jury est le seul juge des faits et il a la responsabilité de rendre un verdict (R. c. Gunning, 2005 CSC 27, [2005] 1 R.C.S. 627, par. 2728). En même temps, le juge du procès joue un « rôle fondamentalement important » à titre de gardien (R. c. Grant, 2015 CSC 9, [2015] 1 R.C.S. 475, par. 44). Le juge doit déterminer quels éléments de preuve sont soumis à l’appréciation du jury, et quelles directives juridiques lui sont données à l’égard des verdicts qu’il peut rendre (R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339, par. 4748; R. c. Tran, 2010 CSC 58, [2010] 3 R.C.S. 350, par. 41; R. c. Khill, 2021 CSC 37, [2021] 2 R.C.S. 948, par. 114). Ce devoir existe pour faire en sorte que « le jury comprenne sa tâche et soit convenablement outillé pour prendre sa décision » (R. c. Abdullahi, 2023 CSC 19, par. 32).
  5.                       Bien que le seuil de vraisemblance requis soit peu élevé, il constitue une mesure de contrôle utile et importante. L’omission de fournir des directives adéquates au jury à l’égard d’une infraction moindre et incluse pourrait amener celuici à conclure erronément que l’accusé n’est coupable d’aucune accusation. Toutefois, pour reprendre les propos du juge Doherty, donner au jury des directives concernant des thèses invraisemblables à l’égard d’infractions moindres et incluses risque uniquement d’engendrer [traduction] « de la confusion et des compromis. Ni l’une ni l’autre de ces situations n’est propice au prononcé d’un verdict valable » (R. c. Wong (2006), 209 C.C.C. (3d) 520 (C.A. Ont.), par. 12).
  6.                       Les cours d’appel ne devraient pas présumer qu’elles sont aussi bien placées que le juge qui préside un procès pour évaluer les thèses concernant l’affaire qui sont plausibles au regard de l’ensemble de la preuve au dossier. La présente affaire illustre amplement l’avantage qu’a le juge du procès qui voit la cause se dérouler devant ses yeux, dans toute sa complexité.
  7.                       Le juge du procès a correctement exercé son importante fonction de gardien en refusant de soumettre les infractions moindres et incluses à l’appréciation du jury. Il n’existait aucune preuve directe appuyant la thèse selon laquelle, le soir en question, les intimés ont agi en mettant à exécution un plan consistant à tuer uniquement Hann Pan, le père de Mme Pan. Et le juge du procès — qui a observé directement la volumineuse preuve présentée — a également conclu que la preuve ne permettait pas d’appuyer réalistement des inférences circonstancielles favorables à cette thèse. Je ne constate aucune erreur dans son appréciation directe de la preuve. Ce n’est pas le rôle des cours d’appel de tirer, à partir d’éléments de preuve isolés, des inférences qui sont conjecturales et vont à l’encontre d’une preuve accablante. C’est particulièrement le cas compte tenu du fait qu’une grande partie de la preuve concernant ce qui s’est passé le soir du meurtre n’était pas contestée. Je n’interviendrais pas à l’égard de la conclusion du juge du procès selon laquelle un verdict de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable serait dénué de vraisemblance en ce qui a trait au meurtre de la mère de Mme Pan.
  8.                       Par conséquent, j’accueillerais le pourvoi, je rejetterais les pourvois incidents et je rétablirais les déclarations de culpabilité pour meurtre au premier degré.
  1. Formulation de directives au jury au sujet d’infractions moindres et incluses
    1. Le critère de la « vraisemblance » dans le contexte des infractions moindres et incluses
  1.                       Le juge qui préside un procès doit donner aux jurés une directive leur expliquant qu’ils peuvent déclarer l’accusé non coupable d’une infraction reprochée, mais coupable d’une infraction moindre et incluse, lorsqu’un tel verdict est vraisemblable au regard de l’ensemble de la preuve (Smith c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 215; R. c. Aalders, [1993] 2 R.C.S. 482, p. 504505). Une infraction est une « infraction moindre et incluse » d’une infraction reprochée lorsqu’elle est déclarée telle dans le Code criminel, L.R.C. 1985, c. C46, ou lorsque ses éléments constitutifs sont compris dans l’infraction reprochée (R. c. G.R., 2005 CSC 45, [2005] 2 R.C.S. 371, par. 25; Fergusson c. The Queen, [1962] R.C.S. 229, p. 233).
  2.                       Notre Cour a appliqué le critère de la vraisemblance dans plusieurs contextes, notamment pour savoir si un jury doit recevoir des directives au sujet d’un moyen de défense affirmatif (voir, de façon générale, R. c. Cinous, 2002 CSC 29, [2002] 2 R.C.S. 3). Le critère de la vraisemblance existe pour assurer le respect de la « division fondamentale des tâches respectives du juge et du jury » (R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, p. 682). C’est au jury, en tant que juge des faits, qu’appartient la responsabilité d’arriver à un verdict (R. c. Krieger, 2006 CSC 47, [2006] 2 R.C.S. 501, par. 18). Cependant, le juge du procès joue un rôle important à titre de gardien en filtrant les verdicts qui peuvent plausiblement ouverts au jury. Je suis d’accord avec le juge en chef pour dire que « le juge du procès doit se demander s’il existe une interprétation raisonnable de la preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant d’une manière judiciaire d’avoir un doute raisonnable à l’égard d’éléments de l’infraction principale qui la distinguent de l’infraction incluse, tout en acceptant hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l’infraction incluse » (par. 51).
  3.                       Lorsqu’une partie demande au juge du procès de donner au jury des directives à l’égard d’infractions moindres et incluses données, sur la base d’une thèse précise concernant l’affaire, l’analyse du juge du procès comporte deux volets. D’abord, il doit examiner l’ensemble de la preuve et déterminer si la gamme des inférences factuelles raisonnables nécessaires au soutien de cette thèse peut être tirée à partir du dossier. Ensuite, il doit déterminer si la thèse en question est plausible, en ce sens qu’un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait la retenir et rendre un verdict de culpabilité à l’égard d’une infraction moindre et incluse. La thèse doit pouvoir amener le jury à entretenir un doute raisonnable à l’égard de l’infraction reprochée, tout en le convainquant que l’infraction moindre et incluse est établie hors de tout doute raisonnable (voir, de façon générale, Cinous, par. 82).
  4.                       Déterminer la gamme des inférences raisonnables qui peuvent être tirées commande une appréciation différente selon qu’il s’agit d’une preuve directe ou d’une preuve circonstancielle. Une preuve directe est une preuve qui, si on y prête foi, est suffisante pour établir un fait en litige. Le juge du procès doit accepter comme étant avéré tout fait pour lequel il existe une preuve directe, sauf dans le cas de simples affirmations allant à l’encontre d’une preuve accablante ou d’un fait non contesté (R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836, par. 30; R. c. Gauthier, 2013 CSC 32, [2013] 2 R.C.S. 403, par. 6061; Aalders).
  5.                       Une preuve circonstancielle est une preuve qui, si on y prête foi, peut permettre de tirer des inférences à l’appui d’un fait (R. c. Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 R.C.S. 1000, par. 23). Lorsqu’il apprécie une preuve circonstancielle, le juge du procès doit procéder à une « évaluation limitée », dans le cadre de laquelle il détermine et accepte toutes les inférences qui peuvent raisonnablement être tirées à partir de l’ensemble de la preuve, indépendamment de la fiabilité intrinsèque de quelque élément de preuve individuel (Cinous, par. 8991; R. c. Arcuri, 2001 CSC 54, [2001] 2 R.C.S. 828, par. 2324).
  6.                       L’opération d’évaluation limitée est étroitement circonscrite. La tâche du juge du procès à ce stade ne consiste pas à tirer des conclusions de fait ou à décider si quelque élément de preuve donné est fiable ou crédible. De même, le rôle du juge n’est pas de déterminer quelles inférences peuvent être tirées à partir de chaque élément de preuve considéré isolément. L’appréciation est effectuée au regard de l’ensemble de la preuve au dossier. Ainsi, lorsqu’un élément de preuve ou un ensemble d’éléments de preuve considéré isolément pourrait raisonnablement permettre de tirer une inférence, mais que celleci est déraisonnable au regard de l’ensemble de la preuve, elle ne peut faire partie de la gamme des inférences raisonnables (Arcuri, par. 34; M.M. c. États-Unis d’Amérique, 2015 CSC 62, [2015] 3 R.C.S. 973, par. 47). Compte tenu du seuil de vraisemblance peu élevé requis, la gamme des inférences raisonnables peut comprendre des inférences contradictoires, ainsi que des inférences requérant que le jury rejette certains éléments de preuve ou ensembles d’éléments de preuve.
  7.                       Dans l’appréciation de la thèse concernant l’affaire qui est avancée par la partie qui demande à ce que le jury reçoive des directives au sujet d’une infraction moindre et incluse, le juge du procès doit se poser deux questions : Compte tenu de la gamme des inférences raisonnables, estce qu’un jury raisonnable, ayant reçu des directives adéquates, pourrait conclure que la thèse proposée est plausible? Et estce que cette thèse permet de conclure que l’infraction moindre et incluse est établie hors de tout doute raisonnable, tout en permettant l’existence d’un doute raisonnable à l’égard des éléments additionnels de l’infraction reprochée?
  8.                       Pour qu’une thèse soit compatible avec une infraction moindre et incluse, elle ne doit pas être simplement « ténue et conjecturale » (R. c. Kelsie, 2019 CSC 17, [2019] 2 R.C.S. 101, par. 2). Elle doit plutôt constituer une « possibilité réaliste » (R. c. Wolfe, 2024 CSC 34, par. 50). De plus, cette thèse peut s’appuyer sur des modes de responsabilité différents de ceux sur lesquels repose la thèse du ministère public concernant l’infraction reprochée. Par exemple, dans la présente affaire, la thèse du ministère public concernant l’infraction reprochée reposait, dans le cas de Mme Pan, sur la responsabilité découlant du fait d’aider ou d’encourager autrui à commettre une infraction (Code criminel, par. 21(1)), tandis que la thèse concernant les infractions moindres et incluses reposait sur la responsabilité découlant du fait de participer à la réalisation d’une fin commune (par. 21(2)). Il s’ensuit que la thèse avancée au soutien de l’infraction moindre et incluse peut reposer sur des inférences tirées de la preuve différentes de celles appuyant la thèse du ministère public concernant l’infraction reprochée, et pas nécessairement sur moins d’inférences.
  9.                       Le juge du procès ne doit pas donner au jury de directives sur une thèse reposant sur des inférences qui, considérées isolément, sont toutes raisonnablement possibles, mais qui se contredisent mutuellement au point de ne pouvoir plausiblement coexister. Une thèse basée sur des inférences contradictoires est déraisonnable. Le fait de donner au jury des directives sur une telle thèse reviendrait à inviter ce dernier à rendre potentiellement un verdict déraisonnable (R. c. R.P., 2012 CSC 22, [2012] 1 R.C.S. 746, par. 9). Cela constituerait une violation par le juge de son rôle de gardien. En revanche, le fait pour le juge du procès de ne pas donner de directives au jury lorsqu’il est convaincu qu’un verdict à l’égard d’une infraction moindre et incluse est vraisemblable minerait le rôle du jury en tant que juge des faits.
  10.                       Le critère de la vraisemblance est le même dans tous les contextes, en ce que le juge du procès doit décider si la gamme des inférences raisonnables peut appuyer une thèse réaliste concernant l’affaire. Cependant, appliquer le critère de la vraisemblance dans le contexte des infractions moindres et incluses exige une analyse plus nuancée que dans le contexte des moyens de défense affirmatifs. Lorsqu’il examine un tel moyen de défense, le juge du procès est uniquement tenu de se demander si chaque élément du moyen de défense est vraisemblable. Toutefois, dans le cas d’une infraction moindre et incluse, il doit conclure à la vraisemblance d’une thèse concernant la preuve à l’égard de laquelle le ministère public a prouvé chaque élément de l’infraction moindre et incluse, mais non les éléments additionnels requis relativement à l’infraction reprochée. Par exemple, dans un procès pour meurtre où la preuve indiquant que la victime a été tuée intentionnellement est accablante et où le seul fait contesté est l’identité du tueur, il se pourrait que chaque élément de l’infraction moindre et incluse d’homicide involontaire coupable soit vraisemblable. Cependant, comme il serait invraisemblable dans un tel cas que le ministère public soit en mesure de prouver que l’accusé est coupable d’homicide involontaire coupable mais non de meurtre, donner des directives au jury au sujet de l’infraction d’homicide involontaire coupable constituerait une erreur.
  11.                       L’analyse diffère aussi en ce qui concerne la portée de l’examen effectué par le juge du procès. Dans le contexte des moyens de défense affirmatifs, la tâche du juge du procès est simplifiée parce qu’il est uniquement tenu d’examiner la preuve directe et les inférences circonstancielles qui bénéficient à l’accusé, à l’exception des simples affirmations intéressées (Cinous, par. 98; Gauthier, par. 25; Osolin, p. 687). Mais dans le contexte des infractions moindres et incluses, le juge du procès doit adopter une approche plus large et considérer toute la gamme des inférences raisonnables, indépendamment de l’identité de la partie que cellesci semblent avantager. De plus, bien que les juges présidant les procès doivent systématiquement considérer l’ensemble de la preuve lorsqu’ils appliquent le critère de la vraisemblance, un moyen de défense affirmatif représente une question plus particulière, à l’égard de laquelle une abondance d’éléments de preuve pourrait néanmoins ne produire aucune inférence pertinente. Enfin, dans le cas de l’analyse de la vraisemblance d’une infraction moindre et incluse, il faut non seulement considérer isolément les différentes inférences raisonnables composant la gamme, mais également se demander si ces inférences raisonnables peuvent appuyer une thèse plausible qui permettrait au jury de déclarer l’accusé non coupable de l’infraction reprochée, mais coupable de l’infraction moindre et incluse. En ce sens, l’appréciation du juge du procès ne s’attache pas à une question précise, mais requiert plutôt de considérer l’ensemble de la preuve afin de décider si une thèse donnée, fondée sur un degré de responsabilité moindre, est plausible.
    1. La norme de contrôle applicable à l’appréciation du caractère vraisemblable
  12.                       La norme de contrôle applicable à la décision du juge du procès en ce qui concerne la vraisemblance a été qualifiée de domaine présentant une [traduction] « certaine complexité » (R. c. Land, 2019 ONCA 39, 145 O.R. (3d) 29, par. 71). D’un côté, le ministère public mentionne des affaires dans lesquelles notre Cour a reconnu l’avantage qu’a le juge du procès de pouvoir observer directement la preuve présentée, et a demandé aux cours d’appel de faire montre de déférence en cas de contrôle de l’existence de vraisemblance (voir le m.a., par. 6, se référant à R. c. Thibert, [1996] 1 R.C.S. 37, par. 33; R. c. Cairney, 2013 CSC 55, [2013] 3 R.C.S. 420, par. 63). De l’autre côté, Mme Pan invoque des affaires où notre Cour a affirmé que la norme de contrôle applicable à la question de la vraisemblance est celle de la décision correcte (voir le m.i., par. 124, se référant à R. c. Buzizi, 2013 CSC 27, [2013] 2 R.C.S. 248, par. 15; Tran, par. 40; R. c. Alas, 2022 CSC 14, [2022] 1 R.C.S. 283, par. 3).
  13.                       Ces jurisprudences sont conciliables. À mon avis, l’application de la norme de la décision correcte à la question ultime de l’existence ou non de vraisemblance peut coexister avec la manifestation d’un degré de déférence envers l’« évaluation limitée » effectuée par le juge du procès sur la base de son appréciation de la preuve.
  14.                       Les cours d’appel font régulièrement montre de déférence envers l’appréciation de la preuve faite par les juges présidant les procès, mais elles contrôlent leurs décisions juridiques définitives suivant la norme de la décision correcte. Ainsi, dans l’arrêt R. c. Shepherd, 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527, alors qu’elle examinait la question de savoir s’il existait des motifs raisonnables et probables justifiant une demande d’échantillon d’haleine, notre Cour a déclaré que, « [b]ien que les conclusions de fait du juge du procès commandent la déférence, la décision qu’il a rendue en définitive est susceptible de contrôle au regard de la norme de la décision correcte » (par. 20). De façon plus générale, l’admissibilité d’un élément de preuve constitue une question de droit qui est toujours contrôlée suivant la norme de la décision correcte, mais les conclusions de fait que tire le juge du procès pour statuer sur l’admissibilité commandent la déférence (R. c. Samaniego, 2022 CSC 9, [2022] 1 R.C.S. 71, par. 25; R. c. Couture, 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517, par. 81). Les cours d’appel appliquent quotidiennement ces deux normes de contrôle. Les juges qui président les procès ne tirent pas de conclusions de fait dans l’analyse de la vraisemblance, mais l’évaluation limitée de la preuve à laquelle ils procèdent implique une appréciation de l’ensemble de la preuve. À mon avis, dans le cadre du contrôle d’une analyse de la vraisemblance, le fait de faire montre de déférence envers l’appréciation de la preuve par le juge du procès n’a pas pour effet de rendre le droit confus ou complexe.
  15.                       Je suis d’accord avec le juge en chef pour dire que l’existence ou non de la vraisemblance est une question de droit. Les décisions définitives sur la question de savoir si une thèse concernant l’affaire est réaliste et si elle peut soutenir une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction moindre et incluse sont des questions de droit qui doivent être contrôlées suivant la norme de la décision correcte. Il s’agit de questions binaires pour lesquelles il n’existe qu’une seule réponse correcte.
  16.                       Cependant, la norme de la décision correcte constitue une norme inappropriée pour contrôler l’évaluation limitée que fait le juge du procès lorsqu’il détermine la gamme des inférences raisonnables à la lumière de l’ensemble de la preuve. Comme a clairement conclu notre Cour dans l’arrêt Thibert, par. 33, le juge du procès est le mieux placé pour effectuer ces déterminations dans le cadre d’une analyse de la vraisemblance, car, à la différence d’une cour d’appel, il a l’avantage de prendre connaissance directement de l’ensemble du dossier de première instance. En reconnaissance de cela, les cours d’appel devraient hésiter à infirmer la détermination par le juge du procès des inférences qui peuvent réalistement être tirées de l’ensemble de la preuve.
  17.                       Le présent pourvoi fait amplement ressortir la justification de cette approche déférente en appel. Le juge du procès avait une compréhension intime du colossal dossier de première instance en l’espèce, les procédures ayant demandé plus de 100 jours de séance et donné lieu à la présentation de plus de 300 pièces. Compte tenu de cette toile de fond, et en l’absence d’une erreur de principe isolable, un certain degré de déférence en appel s’impose par souci d’humilité et de respect judiciaires.
  1. Application
  1.                       Avant l’exposé au jury, le procureur de Mme Pan a demandé au juge du procès de donner au jury des directives sur les infractions moindres et incluses de meurtre au deuxième degré et d’homicide involontaire coupable en lien avec le meurtre de la mère de Mme Pan, BichHa Pan. Le juge a refusé la demande, affirmant ce qui suit dans un courriel envoyé aux procureurs :

 [traduction] Je ne suis pas convaincu de la vraisemblance de l’affirmation selon laquelle un scénario plausible découlant de la preuve est qu’il y a eu une entreprise criminelle commune pour tuer M. Pan qui a abouti au meurtre de Mme Pan par un membre du projet commun. Je suis convaincu que deux scénarios plausibles découlent de la preuve et de nos discussions concernant la position de chaque partie. Suivant le premier, il y a eu une attaque commise avec préméditation et de propos délibéré contre les Pan. Suivant le deuxième, il y a eu un plan ou un accord conjoint en vue de commettre une invasion de domicile / un vol qualifié dans un domicile et les Pan ont été la cible de coups de feu au cours de l’opération. J’ai arrangé les directives en conséquence.

 (d.a., parties IIIV, vol. XIII, p. 6222)

  1.                       Madame Pan et les autres intimés au pourvoi du ministère public soutiennent que le juge du procès a commis une erreur en réduisant la responsabilité à l’alternative « tout ou rien » et en retenant seulement deux thèses plausibles : ou bien Mme Pan et les autres intimés étaient impliqués dans un projet visant à tuer ses deux parents, ou bien les attentats par balle étaient survenus par suite d’une invasion de domicile « ayant mal tourné ». Le juge du procès a donné aux jurés la directive selon laquelle Mme Pan devait être acquittée s’ils concluaient que les attentats par balle étaient survenus par suite d’une invasion de domicile. Selon les intimés, une autre thèse aurait dû être soumise à l’appréciation du jury — celle selon laquelle le meurtre du père avait été commis avec préméditation et de propos délibéré par Mme Pan et les coaccusés, mais qu’ils n’avaient pas eu l’intention de cibler la mère. Si c’était le cas, Mme Pan et les autres intimés pourraient être déclarés coupable, en ce qui concernait la mère, de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable, plutôt que de meurtre au premier degré.
  2.                       Suivant cette thèse, la responsabilité serait fondée sur le par. 21(2) du Code criminel. Ainsi que l’a souligné la Cour d’appel, aux termes de cette disposition, Mme Pan et les autres intimés pourraient être déclarés coupable de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable sur la base de l’intention commune des intimés de poursuivre la fin illégale que constituait le meurtre du père (2023 ONCA 362, 427 C.C.C. (3d) 4, par. 72). Madame Pan et les autres intimés seraient coupables de meurtre au deuxième degré s’ils savaient que le meurtre de la mère était une conséquence probable de la réalisation de ce plan. Ils seraient coupables d’homicide involontaire coupable dans la mesure où ils savaient ou devaient savoir que la réalisation du plan aurait pour conséquence probable l’infliction de lésions corporelles non négligeables à la mère. Dans les deux scénarios, le jury devrait d’abord avoir un doute raisonnable que le décès de la mère avait été causé avec préméditation et de propos délibéré, mais néanmoins conclure également que les intimés avaient participé à la fin commune illégale consistant à tuer le père. Je suis d’accord pour dire que si cette thèse avait été plausible et possible eu égard à la gamme des inférences raisonnables, elle aurait pu soutenir une déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction moindre et incluse. Toutefois, comme je vais le démontrer, c’est plutôt le contraire qui est vrai — cette thèse était dépourvue de vraisemblance, étant donné que les inférences requises ne pouvaient pas raisonnablement être tirées de la preuve.
  3.                       À l’appui de l’autre thèse relative à la preuve, Mme Pan fait état d’éléments de preuve concernant son absence d’animosité envers sa mère, contrairement à celle qu’elle éprouvait à l’endroit de son père, ainsi que d’éléments de preuve concernant un projet antérieur qu’elle avait formé au printemps 2010, à savoir un projet qui consistait à faire tuer uniquement son père et qui avait été abandonné bien avant les événements du 8 novembre 2010. Selon son témoignage, elle avait payé le colocataire de son ami pour qu’il abatte son père alors que celui-ci quitterait son lieu de travail. Madame Pan a cependant indiqué que ce plan n’avait pas abouti du fait que le colocataire avait empoché l’argent et n’avait jamais abattu son père par balle. Elle a témoigné qu’elle n’avait jamais prémédité la mort de sa mère. En outre, Mme Pan fait valoir que la relation plus positive qu’elle avait avec sa mère, situation corroborée par le témoignage de son frère et de sa cousine, pouvait soulever un doute raisonnable relativement à la question de savoir si le meurtre de la mère avait été commis avec préméditation et de propos délibéré. Au procès, Mme Pan a témoigné que la plupart des règles strictes en vigueur à la maison étaient imposées par son père. Enfin, parmi les autres éléments de preuve pertinents, mentionnons le témoignage de Mme Pan concernant son comportement durant l’invasion du domicile, dans lequel elle a dit avoir imploré les intrus de la laisser se joindre à sa mère lorsque ses parents étaient conduits au soussol.
  4.                       Toutefois, le témoignage de Mme Pan relativement aux meilleures relations qu’elle entretenait avec sa mère et à son projet antérieur de tuer son père doit être apprécié au regard de l’ensemble de la preuve concernant ce qui s’est effectivement passé le 8 novembre 2010 — ce témoignage ne peut être considéré isolément à seule fin de déterminer s’il pourrait soulever un doute raisonnable quant à la question de savoir si le meurtre de la mère a été commis avec préméditation et de propos délibéré. C’est précisément ce qu’a fait la Cour d’appel lorsqu’elle a conclu qu’il était possible pour le jury d’entretenir un doute raisonnable quant à la commission du meurtre avec préméditation et de propos délibéré, mais d’arriver également à la conclusion que les conditions requises pour conclure à la responsabilité suivant le par. 21(2) étaient réunies. La Cour d’appel n’a pas précisé comment, eu égard à l’ensemble de la preuve, le jury pourrait plausiblement arriver à cette conclusion sur la responsabilité.
  5.                       Comme il a été expliqué précédemment, il ne suffit pas, dans l’analyse de la vraisemblance, de se limiter à la question de savoir s’il peut exister un doute raisonnable concernant la préméditation et le propos délibéré pour ce qui est du meurtre de la mère. Il faut plutôt se demander si un doute raisonnable sur cet élément pouvait réalistement coexister avec la thèse selon laquelle il n’y avait pas de doute raisonnable quant aux autres éléments constitutifs du meurtre au deuxième degré ou de l’homicide involontaire coupable.
  6.                       Pour accepter cette autre thèse, il faudrait que le jury rejette entièrement le témoignage de Mme Pan portant qu’il n’existait aucun plan en vue de tuer ses parents le 8 novembre 2010 et qu’elle avait simplement annulé un projet antérieur consistant à se faire tuer. Il faudrait que le jury conclue hors de tout doute raisonnable que les intimés avaient prémédité de causer de propos délibéré la mort du père, et que les événements du 8 novembre 2010 avaient été une invasion de domicile orchestrée par Mme Pan avec les autres intimés, au cours de laquelle la mère était décédée, malgré le fait qu’elle n’était pas une cible dans le plan en question.
  7.                       Cependant, il n’existait aucune preuve fondée sur les événements concrets entourant les attentats par balle qui permette d’inférer raisonnablement que le père était la seule personne visée. La preuve concernant les événements du 8 novembre 2010 était largement incontestée et indiquait massivement que les parents de Mme Pan étaient tous les deux visés. Le père et la mère ont été traités de la même façon par les intrus, mis à part le fait que l’un d’eux a frappé le père à la tête avec son arme. Les hommes qui ont pénétré dans le domicile ne l’ont fait qu’une fois la mère revenue à la maison, comme prévu, après son cours de danse en ligne régulier, même si le père se trouvait déjà dans la maison depuis deux heures et demie avant le retour de la mère de son cours. Ils ont ensuite amené les deux parents à l’étage inférieur, leur ont couvert tous les deux la tête à l’aide de couvertures et leur ont tiré une balle dans la tête à tous les deux, de la même façon, à l’instar d’une exécution. À aucun moment, Mme Pan n’a ordonné aux hommes de ne pas faire de mal à sa mère ni tenté de faire cesser l’apparente invasion de domicile, même si, selon l’autre thèse proposée, elle était l’âme dirigeante du plan visant à tuer seulement son père. Le fait qu’au moins un des intrus ne s’est pas couvert le visage pendant l’invasion du domicile tend également à indiquer que ceuxci n’entendaient pas laisser derrière quelque témoin qui pourrait les identifier.
  8.                       La preuve concernant ce qui s’est passé au cours des heures qui ont précédé l’invasion du domicile rend encore plus invraisemblable l’autre thèse proposée concernant la preuve. Madame Pan a été en contact constant avec les autres intimés tout au long de la journée du 8 novembre 2010. Les relevés de ses appels font état d’appels avec Lenford Crawford, Daniel Wong et David Mylvaganam entre 18 h 12 et 22 h 05, ainsi que de nombreux messages textes avec M. Wong durant ce même laps de temps. Elle a parlé au téléphone pendant près d’une minute avec M. Wong à 21 h 11, et ses relevés d’appels indiquent deux appels entre son appareil et celui de M. Mylvaganam dans l’heure qui a précédé l’invasion de domicile, le dernier de ses appels ayant pris fin quelques minutes seulement avant le début de l’invasion du domicile vers 22h 15. Pour pouvoir rendre un verdict de culpabilité pour meurtre au deuxième degré ou homicide involontaire coupable, le jury devait conclure que ces appels se rapportaient au plan visant à tuer le père. Toutefois, la mère était absente de 19 h à 21 h 30, en raison de son cours hebdomadaire de danse en ligne que Mme Pan savait être une activité hebdomadaire régulière selon ce qu’elle a dit dans son témoignage. Il est significatif que, malgré les communications constantes entre Mme Pan — l’âme dirigeante du plan — et les coaccusés le soir en question, l’invasion du domicile n’a eu lieu qu’une fois la mère rentrée à la maison vers 21 h 30, plutôt qu’au cours de la période de deux heures et demie qui a précédé et pendant laquelle seul le père se trouvait à la maison.
  9.                       Le ministère public nous invite à considérer d’autres éléments de preuve incriminants qui, prétendil, contredisent la thèse selon laquelle le père était la seule personne visée. Il souligne les éléments suivants : les déclarations de Mme Pan aux policiers où elle parle de ses « parents » et de « leurs » règles et restrictions, plutôt que de désigner uniquement son père comme étant l’objet de son animosité; les témoignages de l’ami de Mme Pan et du colocataire de celui-ci selon lesquels Mme Pan avait déclaré qu’elle voulait la mort de ses deux parents; le témoignage de l’ami de Mme Pan selon lequel, quelques minutes avant l’invasion du domicile, Mme Pan l’avait informé au téléphone qu’il allait se produire une fausse invasion de domicile au cours de laquelle ses deux parents devaient être tués; et le mobile financier qu’avait Mme Pan d’éliminer ses deux parents — un héritage qu’elle ne toucherait pas si seul son père était tué.
  10.                       Toutefois, le juge du procès n’a pas pour rôle d’évaluer la preuve afin de déterminer quelle thèse est la plus plausible. Malgré l’existence d’éléments de preuve basés sur les déclarations de Mme Pan à ses amis selon lesquelles elle avait prémédité de tuer ses deux parents, et sur le fait qu’elle n’hériterait et ne tirerait quelque avantage financier que s’ils mouraient tous les deux, le jury pouvait avoir un doute raisonnable sur ces éléments de preuve. Le jury peut toujours accepter entièrement ou partiellement un témoignage, ou encore le rejeter complètement.
  11.                       Il n’en demeure pas moins que l’ensemble des éléments de preuve non contestés relatifs aux événements du 8 novembre 2010 rend totalement invraisemblable l’autre thèse proposée selon laquelle seul le père de Mme Pan était censé mourir ce soirlà. Comme l’a déclaré la juge L’HeureuxDubé dans l’arrêt Park : « Lorsque, examinée d’un œil réaliste, la preuve en faveur de l’accusé qui est sérieusement contestée est manifestement et logiquement inconciliable avec la preuve qui n’est pas sérieusement contestée, on peut conclure alors, tant sur le plan du droit que sur celui de la logique, à l’invraisemblance du moyen de défense auquel se rapportent les contradictions constatées sur le plan de la logique » (par. 29 (soulignement omis)). Le critère à appliquer ne consiste pas à faire état de « certains » éléments de preuve susceptibles d’étayer une autre thèse. La preuve doit être telle que le jury pourrait raisonnablement tirer les inférences requises pour rendre un verdict de culpabilité relativement aux infractions moindres et incluses tout en entretenant un doute raisonnable quant à savoir si le meurtre de la mère a été commis avec préméditation et de propos délibéré. En l’espèce, même en considérant sous son jour le plus favorable la preuve soumise par Mme Pan, vu l’ensemble des éléments de preuve non contestés, il est conjectural de conclure que, parce que Mme Pan éprouvait moins d’animosité envers sa mère et qu’elle avait prémédité des mois plus tôt uniquement le décès du père, le plan du 8 novembre 2010 ne consistait lui aussi qu’à tuer seulement son père.
  12.                       En ce sens, les faits du présent pourvoi sont similaires à ceux de l’arrêt Aalders. Dans cette affaire, notre Cour a rejeté l’appel formé par l’accusé à l’encontre de sa déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré, concluant à l’absence de vraisemblance de la thèse fondée sur l’infraction incluse d’homicide involontaire coupable. Cette conclusion était basée sur les faits non contestés concernant le meurtre — notre Cour a statué que l’affirmation de l’accusé selon laquelle il n’avait pas eu l’intention de tuer la victime mais seulement de lui tirer dans les jambes n’était pas conciliable avec le fait que l’accusé s’était caché dans la maison de la victime et avait attendu le retour de celleci pendant plusieurs heures, avant de lui tendre une embuscade et de faire feu sur elle à huit reprises, tous les coups sauf un ayant atteint la victime dans le haut du corps (p. 504505). Dans l’affaire Aalders, la preuve favorable à la thèse de l’accusé était son propre témoignage, un élément de preuve direct, mais en l’espèce les intimés ne peuvent invoquer que des inférences conjecturales.
  13.                       Si le jury acceptait que Mme Pan avait planifié, exécuté et orchestré l’invasion de domicile du 8 novembre 2010 dans le but de tuer son père, l’ensemble de la preuve ne permettait pas de tirer quelque inférence raisonnable que le plan n’incluait pas le meurtre de sa mère. Il n’y a au dossier aucune preuve indiquant que Mme Pan, l’âme dirigeante de la machination suivant cette thèse, a tenté d’empêcher les intrus de s’en prendre à sa mère, ni aucune preuve que la mère a été traitée de manière substantiellement différente de la cible apparente de ce plan.
  14.                       Je ne constate aucune erreur dans l’approche suivie par le juge du procès, qui a conclu que seulement « deux scénarios plausibles découlent de la preuve ». Bien que les motifs qu’il a exposés soient brefs, le juge a appliqué le bon critère. Il était conscient de l’importance de la plausibilité dans l’analyse de la vraisemblance, affirmant qu’il n’y avait que deux scénarios ou thèses plausibles concernant la responsabilité. Le fait de s’attacher à la plausibilité des scénarios possibles, au regard de l’ensemble de la preuve, était approprié. De plus, le juge du procès était le mieux placé pour se prononcer sur cette question, ayant présidé un long et complexe procès durant plus de neuf mois et ayant pu observer directement les témoins pendant qu’ils déposaient. Donner des directives au jury sur les infractions moindres et incluses, dans un procès déjà exceptionnellement long et complexe, aurait inutilement ajouté à la complexité et potentiellement créé de la confusion, particulièrement si l’on considère que l’exposé au jury a duré trois jours et demi et comptait 573 pages. De telles directives auraient pu amener le jury à rendre un verdict déraisonnable. Eu égard à l’ensemble de la preuve présentée en l’espèce, le fait de donner des directives au jury sur les infractions moindres et incluses irait à l’encontre du rôle important que joue le juge du procès en tant que de gardien.
  1. Conclusion
  1.                       J’accueillerais le pourvoi du ministère public, je rejetterais les pourvois incidents des intimés et je rétablirais les déclarations de culpabilité pour meurtre au premier degré inscrites au procès.

 Pourvoi et pourvois incidents rejetés, les juges Karakatsanis et Martin sont dissidentes quant au pourvoi.

 Procureur de l’appelant/intimé aux pourvois incidents : Ministère du Procureur général de l’Ontario, Bureau des avocats de la Couronne — Droit criminel, Toronto.

 Procureurs de l’intimée/appelante au pourvoi incident Jennifer Pan : Henein Hutchison Robitaille, Toronto.

 Procureur de l’intimé/appelant au pourvoi incident David Mylvaganam : Jack Gemmell, Toronto.

 Procureur de l’intimé/appelant au pourvoi incident Daniel Chi-Kwong Wong : Peter Copeland, Toronto.

 Procureurs de l’intimé/appelant au pourvoi incident Lenford Crawford : Lockyer Zaduk Zeeh, Toronto.

 Procureur de l’intervenant : Alberta Crown Prosecution Service — Appeals and Specialized Prosecutions Office, Calgary.

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