Décision

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A.P. c. Procureur général du Québec

2025 QCCA 24

 

 

 

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-030178-222

(500-17-113736-204)

 

DATE :

15 janvier 2025

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

PATRICK HEALY, J.C.A.

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

 

A… P…

APPELANTE – demanderesse

c.

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

INTIMÉ – défendeur

et

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC

RÉGIE DE L’ASSURANCE MALADIE DU QUÉBEC

MIS EN CAUSE – mis en cause

 

 

ARRÊT

 

 

  1.                 L’appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Marc St-Pierre), qui, le 21 juillet 2022, rejette l’action intentée à l’intimé et aux mis en cause en vue de faire déclarer invalide et inopérant l’art. 10 al. 4 de la Loi sur l’assurance maladie, disposition qui serait discriminatoire et contraire à l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
  2.                 Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Healy et Moore, LA COUR :
  3.                 Rejette l’appel, avec frais de justice.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

PATRICK HEALY, J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

Me Olga Redko

Me Étienne Morin-Lévesque

IMK

Pour l’appelante

 

Me Luc-Vincent Gendron-Bouchard

Me Andréa Boivin-Claveau

BERNARD, ROY (JUSTICE-QUÉBEC)

Pour l’intimé

 

Me Philippe Gilliard

Rousseau Landry

Pour la mise en cause Régie de l’assurance maladie du Québec

 

Date d’audience :

7 février 2024


 

MOTIFS DE LA JUGE BICH

 

 

  1.                 L’art. 10 al. 4 de la Loi sur l’assurance maladie[1], qui limite le remboursement du coût des services médicaux reçus hors Québec, est-il discriminatoire envers les femmes québécoises qui requièrent des soins de santé reproductive (contraception, grossesse et interruption volontaire de grossesse (« IVG »), accouchement, etc.[2])? L’appelante répond à cette question par l’affirmative, du moins en ce qui concerne les soins de grossesse, et elle soutient que cette disposition législative entrave l’accès à de tels soins, qui sont pourtant essentiels à l’autonomie des femmes et à leur pleine participation à la société. Toujours selon l’appelante, le fardeau découlant de l’art. 10 al. 4 L.a.m. se situerait par ailleurs dans le droit fil d’une réalité sexiste bien ancrée, alors que la société laisse encore largement aux femmes la responsabilité entière ou, du moins, la responsabilité première, de la santé reproductive, y compris en termes pécuniaires.

I. Contexte

  1.                 Rappelons brièvement les faits.
  2.                 De janvier à juin 2016, l’appelante, normalement domiciliée au Québec, séjourne en Colombie-Britannique, avec son conjoint, pour des raisons professionnelles. Enceinte, elle consulte en vue d’un suivi de grossesse. Divers examens révéleront que le fœtus est atteint de déficiences qui affecteront son développement et sa survie même. L’appelante se résigne à interrompre sa grossesse. Lors de l’intervention, on procède également à la pose d’un stérilet, pour éviter une autre grossesse immédiate.
  3.                 L’appelante paie elle-même les coûts de 1 715,08 $ liés au suivi de grossesse et aux soins qui lui ont été prodigués (y compris l’IVG) et, de retour au Québec, elle réclame de la Régie de l’assurance maladie (« Régie ») le remboursement des dépenses ainsi engagées (dont certaines l’ont été auprès de fournisseurs du secteur privé non assuré). Se fondant sur l’art. 10 al. 4 L.a.m., la Régie n’acquiesce à cette demande qu’en partie, acceptant de lui rembourser 385,50 $, soit le montant qui aurait été versé aux professionnels de la santé pour les soins équivalents dispensés au Québec[3].
  4.                 Insatisfaite, l’appelante demande à la Régie de réviser cette première décision, avec un succès mitigé : on hausse le montant du remboursement de 219,95 $, pour un nouveau total de 605,45 $. Elle porte alors sa contestation auprès du Tribunal administratif du Québec (« TAQ »), faisant valoir que l’art. 10 al. 4 L.a.m. est contraire aux art. 7 (sécurité de la personne) et 15 (égalité) de la Charte canadienne des droits et libertés[4] et qu’il enfreint également les art. 1 (sûreté, intégrité, liberté de la personne) ainsi que 10 et 4 (égalité dans l’exercice du droit à la dignité) de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec[5], sans être sauvegardé par les art. 1 de la première ou 9.1 de la seconde.
  5.                 Le 4 mars 2020, le TAQ rejette le recours de l’appelante[6]. À son avis, celle-ci n’aurait pas établi que l’art. 10 al. 4 L.a.m. crée une distinction susceptible d’enfreindre, sur la base du sexe (seul motif allégué), l’art. 15 de la Charte canadienne ou l’art. 10 de la Charte québécoise. De plus, ni l’art. 7 de la Charte canadienne ni l’art. 1 de la Charte québécoise n’imposent d’obligation positive à l’État, en l’occurrence celle de procéder au remboursement complet des soins de santé reproductive (incluant l’IVG) obtenus hors Québec.
  6.            L’appelante se pourvoit en contrôle judiciaire de cette décision auprès de la Cour supérieure, reprenant pour l’essentiel les moyens présentés au TAQ (à savoir le caractère discriminatoire de l’art. 10 al. 4 L.a.m., disposition qui serait par ailleurs attentatoire à la sécurité des femmes en entravant leur accès aux soins de santé liés à la grossesse). Dans son jugement du 21 juillet 2022, la Cour supérieure, sous la plume du juge Marc St-Pierre, rejette la demande[7]. D’une part, comme le TAQ, elle estime que l’appelante n’a pas établi que l’art. 10 al. 4 L.a.m., dans la mesure où il limite le remboursement du coût des services de santé obtenus hors du Québec, engendre une distinction fondée sur le sexe :

[14] For the Court, as mentioned at the hearing, there is a major distinction between those cases and this one; firstly, the provisions under attack in Brooks and Alliance directly infringed on women and, second, in Fraser, there was evidence that women were disproportionately affected by the job-sharing agreement that penalized pension plan beneficiaries.

[15] Counsel for the Plaintiff insisted on the [TRANSLATION] “reproductive burden” discussed by her expert witness that should serve as evidence of the disproportionate impact on women of the cost of reproductive care.

[16] With respect, the Court does not believe this is the issue; the question is instead whether, in general, the Quebec limitation on reimbursing the cost of services obtained outside the province has a disproportionate impact on women as compared to men; no evidence was adduced in this regard.

[17] In the circumstances, the Court cannot find that women are indirectly discriminated against under section 15 of the Canadian charter by a provision that limits the reimbursement of services covered by the RAMQ obtained outside the province.[8]

  1.            D’autre part, se fondant principalement sur le jugement de la Cour fédérale dans Médecins canadiens pour les soins aux réfugiés c. Procureur général du Canada[9] (où l’on contestait une réduction de la couverture médicale offerte aux demandeurs d’asile), la Cour supérieure conclut que l’art. 10 al. 4 L.a.m. ne contrevient pas aux art. 7 de la Charte canadienne ou 1 de la Charte québécoise et n’attente pas au droit à la vie, à la sécurité et à la liberté que protègent ces dispositions.

* *

  1.            Le 3 novembre 2022, l’appelante obtient la permission de se pourvoir contre ce jugement[10].
  2.            Notons que, le jour même de l’audition de l’appel, le 7 février 2024, la Cour a prononcé l’arrêt Procureur général du Québec c. Kanyinda[11], qui traite également de discrimination fondée sur le sexe. La Cour a invité les parties à lui faire parvenir, si elles l’estimaient utile, des commentaires sur l’impact potentiel de cet arrêt sur la présente affaire. Le 16 février suivant, l’appelante et l’intimé ont répondu à cette invitation en déposant des argumentations supplémentaires; la mise en cause Régie a informé la Cour qu’elle n’en produirait pas.

II. Moyens d’appel

  1.            Devant la Cour, l’appelante ne conteste plus la validité de l’art. 10 al. 4 L.a.m. au regard de l’art. 7 de la Charte canadienne et des art. 1 et 10 de la Charte québécoise[12]. L’appel porte donc uniquement sur la question de savoir si l’art. 10 al. 4 L.a.m. enfreint l’art. 15 de la Charte canadienne.

* *

  1.            Pour la bonne compréhension des arguments qu’avancent les parties, il convient de reproduire immédiatement l’art. 10 L.a.m. :

10. Une personne assurée a droit d’exiger de la Régie le remboursement du coût des services assurés qui lui ont été fournis en dehors du Québec par un professionnel de la santé, à l’exception des services pharmaceutiques et des médicaments visés aux troisième et quatrième alinéas de l’article 3, pourvu qu’elle remette à la Régie sur demande les reçus d’honoraires qu’elle a payés et qu’elle lui fournisse les renseignements dont la Régie a besoin pour justifier le paiement réclamé.

10. An insured person is entitled to exact from the Board the reimbursement of the cost of the insured services furnished to him outside Québec by a professional in the field of health, except the pharmaceutical services and medications referred to in the third and fourth paragraphs of section 3, provided that he delivers to the Board, on request, the receipts for the fees paid by him, and furnishes it with the information the Board needs to justify the payment claimed.

 Malgré le premier alinéa, le coût de l’exécution d’une ordonnance ou de son renouvellement et de médicaments fournis à une personne admissible au sens de la Loi sur l’assurance médicaments (chapitre A29.01) ainsi que le coût de services et de médicaments prévus par règlement fournis à une personne assurée, à l’extérieur du Québec, par une personne légalement autorisée à y exercer la profession de pharmacien et avec qui la Régie a conclu une entente particulière à cette fin, peut faire l’objet d’un remboursement, s’ils sont fournis dans une pharmacie située dans une région limitrophe au Québec lorsque, dans un rayon de 32 km de cette pharmacie, aucune pharmacie au Québec ne dessert la population.

 Notwithstanding the first paragraph, the cost of filling or renewing a prescription and the cost of the medications provided to an eligible person, within the meaning of the Act respecting prescription drug insurance (chapter A-29.01), as well as the cost of services and medications determined by regulation and provided to an insured person outside Québec by a person legally authorized to practise as a pharmacist in the place concerned and with whom the Board has entered into an individual agreement for that purpose, may be reimbursed if the services and medications are furnished in a pharmacy situated in a region bordering on Québec and if no pharmacy situated, in Québec, within a radius of 32 kilometres of that pharmacy provides services to the public.

Non en vigueur

 Il en est de même du coût de médicaments fournis à une personne admissible au sens de la Loi sur l’assurance médicaments, à l’extérieur du Québec, dans le cadre des activités d’un établissement suivant le troisième alinéa de l’article 8 de cette loi.

Not in force

 The same applies to the cost of medications provided, outside Québec, to an eligible person within the meaning of the Act respecting prescription drug insurance, as part of the services provided by an institution, in accordance with the third paragraph of section 8 of that Act.

 Toutefois, elle n’a droit d’exiger que le moindre du montant qu’elle a effectivement payé pour ces services ou de celui établi par la Régie pour de tels services payés au Québec.

 However, the person shall only be entitled to claim the lesser of the amount actually paid for the services and the amount established by the Board for such services paid in Québec.

 Malgré le quatrième alinéa, une personne assurée peut exiger le montant effectivement payé pour des services médicaux dans les cas et conditions déterminés par règlement.

 Notwithstanding the fourth paragraph, an insured person may exact the amount actually paid for medical services in the cases and on the conditions fixed by regulation.

 

[Je souligne]

  1.            L’appelante ne conteste ici que le quatrième alinéa de cet article et la limite qu’il impose au remboursement prévu par le premier, limite qui serait discriminatoire dans le cas des soins de santé liés à la grossesse[13]. Comme l’écrit l’appelante dans son mémoire, en présentant le fondement de cette contestation :

4. Under the HIA, through the public insurance plan operated by the Régie de l’assurance maladie du Québec (the “RAMQ”), insured Quebec residents access a wide range of medical services within the province without paying for them directly.

5. However, under s. 10 HIA, an insured resident who receives medical treatment outside Quebec, even in another Canadian province, must pay out of pocket for that treatment and apply to the RAMQ for reimbursement of their expenses after the fact. Para. 4 of s. 10 HIA provides that an insured person may only be reimbursed for up to the amount paid for a given service in Quebec – regardless of the nature of the care sought.

6. The Appellant, an insured Quebec resident, was impacted by this statutory limitation when she had to seek pregnancy-related healthcare, including an abortion, while temporarily residing in Vancouver. She paid for her care out of pocket. When she sought reimbursement, the RAMQ applied para. 4 of s. 10 HIA to deny most of her claim.

7. The application of para. 4 of s. 10 HIA to the pregnancy-related care the Appellant required violated her right to equality guaranteed by s. 15(1) of the Canadian Charter of Rights and Freedoms (“Charter”).

[…]

31. The principal issue in this appeal is whether para. 4 of s. 10 HIA violates the Appellant’s right to equality under s. 15(1) of the Charter by limiting the amount of reimbursement available for pregnancy-related healthcare received outside the province.

32. This appeal also raises an important question about the applicable analytical framework under s. 15(1): When faced with a law of general application, how may a claimant prove its disproportionate impact? Can she show that a law has a disproportionate impact on a protected group when applied in a particular context? Or must she prove the disproportionate impact of the global effects of the law?

33. The Appellant submits that:

  • It is appropriate to ask whether the application of the HIA to pregnancyrelated healthcare has a disproportionate impact on women. It is unnecessary to insist on proof of disproportionate impact from a global application of s. 10 to all possible forms of healthcare, as the Judge did in this case.
  • Section 10 is neutral on its face, in that the limit on reimbursement applies to all types of medical services, irrespective of the sex of the patient. Yet women will disproportionately (in fact, exclusively) rely on s. 10 in the context of pregnancy-related care; men will never require such care or be charged for it. For the same reason, the limit on reimbursement for pregnancy-related healthcare imposes a greater financial burden on women than on men. That is, because of the inherent association between pregnancy and sex, the application of s. 10 to pregnancyrelated care has a disproportionate impact on women.
  • The financial burden imposed by the limit on reimbursement perpetuates women’s historical disadvantage in accessing pregnancy-related healthcare, which is distinct from most if not all other forms of sex-specific care due to its inherent link with women’s autonomy, dignity, and capacity to make fundamental life choices. A limitation on access to such care thus has a significant detrimental impact on women’s ability to participate fully in society – a consequence that will not necessarily result from limitations on access to other sex-specific care. As a result, when applied to pregnancy-related care, s. 10 HIA is discriminatory.
  • The Attorney General has failed to demonstrate that such discrimination is justified in a free and democratic society.
  1.            Dans son argumentation supplémentaire, l’appelante précise notamment que :

2. As a preliminary point, this Court stressed in Kanyinda that “l’absence de mesures d’adaptation pour les membres des groupes protégés” can be the source of discrimination. The present case is another illustration of this principle. Section 10, para. 4 of the Health Insurance Act, CQLR c. A-29 (“HIA”) fails to account for the unique nature of pregnancy-related care, instead treating it like any other health service. The absence of accommodation is the source of the violation of the Appellant’s right to equality.

[…]

6. Second, in Kanyinda, the claimant demonstrated that excluding asylum seekers from subsidized childcare services had a disproportionate impact on women based on an expert report finding that limits on affordable childcare predominantly limited women’s access to the labour market. This uncontradicted expert evidence, in addition to Supreme Court dicta about the reality of gender divisions in domestic labour and their impact on women’s working lives, led this Court to conclude that the impugned law created a distinction based on sex through its effects.

7. Likewise, in the present case, when the limit on reimbursement is applied to pregnancy-related care, para. 4 of s. 10 HIA has a disproportionate effect on women. As in Kanyinda, this conclusion is supported both by uncontradicted expert evidence (to the effect that women are predominantly responsible for the financial costs of accessing pregnancy-related health care) and by Supreme Court dicta regarding the “strong association” between pregnancy and gender.

8. In fact, a finding of disproportionate impact is even clearer in this case than in Kanyinda: there, women were disproportionately (through not exclusively) affected by the law. Here, since only women can become pregnant, only women will require pregnancy-related healthcare. The financial burden of pregnancyrelated care imposed by para. 4 of s. 10 HIA will thus be borne disproportionately, if not exclusively, by women (in this vein, the TAQ judge made a finding of fact that it was “incontestable” that women predominantly bear the “fardeau supplémentaire lié à la reproduction”).

9. Third, both Kanyinda and the present case are illustrations of the Supreme Court’s statement in Fraser that “disproportionate impact can be established if members of protected groups are denied benefits or forced to take on burdens more frequently than others.” In Kanyinda, women were disproportionately denied a benefit (access to subsidized childcare services); here, the effect of para. 4 of s. 10 HIA when applied to pregnancy-related care is to disproportionately oblige women to assume a burden (the financial burden resulting from the obligation to pay for pregnancy-related care).

[…]

10. At the second step of the s. 15(1) analysis, in Kanyinda, this Court concluded based on uncontradicted expert evidence that exclusion of asylum seekers from subsidized childcare services reinforced, perpetuated, and exacerbated women’s historical disadvantage, since women are disproportionately responsible for childcare.

11. The same type of analysis applies in here. The Lévesque report demonstrates that women bear the primary responsibility – including financial responsibility – for seeking out and obtaining pregnancy-related healthcare, which in turn is perpetuated by legislative action that obliges women to bear such financial responsibility. The perpetuation of this economic disadvantage is conjunctive with the perpetuation of barriers to access to pregnancy-related care that result from the financial costs of such care (including failures to reimburse such costs) and their attendant deleterious consequences. Indeed, Dr. Lévesque explained that “les études démontrent que si [une femme] a pas l’argent pour [interrompre sa grossesse] et que les soins requis pour le faire sont excessifs sur le plan financier, bien ça va moduler sa décision et elle va devenir mère alors que ce n’est pas ce qu’elle souhaite faire”. As in Kanyinda, this evidence is uncontradicted.

[Renvois omis]

  1.            De son côté, l’intimé soutient que la L.a.m. met en place une « police d’assurance » par laquelle l’État, par le truchement de la Régie, assume, à certaines conditions, le coût des services de santé dispensés au Québec aux personnes assurées[14] ou en rembourse le coût lorsqu’ils sont dispensés hors Québec à ces mêmes personnes. Compte tenu de ce contexte législatif, c’est-à-dire de l’objet du régime, de l’affectation des ressources de l’État et de l’objectif d’intérêt public qui est poursuivi, on ne pourrait prétendre que l’art. 10 al. 4 L.a.m. enfreint l’art. 15 de la Charte canadienne en créant indirectement, par son effet, une distinction fondée sur le sexe : cette disposition, qui s’applique indifféremment à tout service assuré, imposerait au contraire le même régime de remboursement à toutes les personnes assurées, sans égard à leur race, leur origine nationale ou ethnique, leur couleur, leur religion, leur sexe, leur âge ou leurs déficiences mentales ou physiques, pour reprendre la nomenclature de l’art. 15, ou autre caractéristique analogue. Elle n’établirait donc aucune distinction contraire à cette disposition.
  2.            Plus précisément, selon l’intimé, l’appelante n’aurait aucunement démontré que la disposition distingue les personnes assurées sur la base de leur sexe, affectant les femmes d’une manière disproportionnée. À ce propos, l’intimé reproche d’ailleurs à l’appelante de confondre en une seule les deux étapes du test élaboré par la jurisprudence afin de déterminer s’il y a discrimination ou non, et de se servir du désavantage historique des femmes, notamment en matière de santé reproductive, pour établir l’existence d’une distinction, procédé que rejette clairement l’arrêt Sharma de la Cour suprême[15].
  3.            De toute façon, pour l’intimé, l’appelante ne se serait pas non plus déchargée de son fardeau de démontrer, à la seconde étape, que l’art. 10 al. 4 L.a.m. renforce, perpétue ou accentue le désavantage dont souffrent les femmes en matière de soins de santé reproductive, avec les répercussions qui s’ensuivent sur leur capacité à intégrer pleinement la vie sociale et le marché du travail. Plutôt, l’appelante rechercherait ici « un bénéfice qui n’est pas prévu à la loi »[16], à savoir le remboursement de l’intégralité du coût des soins reçus à l’extérieur du Québec, bénéfice que le législateur n’aurait aucunement l’obligation d’offrir.
  4.            Dans ses notes supplémentaires, l’intimé fait ainsi valoir que :

D’abord, il appert clairement des motifs de la Cour d’appel dans le jugement Kanyinda que ce dossier met en cause l’accès à un bénéfice prévu par un règlement, plus précisément l’accès au paiement de la contribution réduite (voir notamment les par. 12, 60 in fine, 64, 65 et 87 du jugement) prévu par l’article 3 du Règlement sur la contribution réduite (RLRQ c. S-4.1.1, r.1). En peu de mots, l’appelante incidente dans le dossier Kanyinda demande ce qui lui est refusé, mais accordé à d’autres : la contribution réduite.

La situation est tout autre dans l’affaire A. P. c. PGQ. En effet, dans le présent dossier, l’appelante est admissible au bénéfice prévu par la loi, c’est-à-dire au remboursement pour des soins reçus en dehors du Québec, à la hauteur du moindre du montant effectivement payé ou de celui établi par la Régie pour de tels services au Québec. Comme les faits au dossier en témoignent, l’appelante a obtenu ce bénéfice conformément aux modalités prévues à l’article 10 de la Loi sur l’assurance maladie du Québec (RLRQ, c. A-29) (« LAM »), et ce, comme toute autre personne assurée recevant des soins normalement disponibles au Québec dans une autre province (argumentation de l’intimé, par. 16 à 30).

Il s’ensuit que l’appelante recherche un bénéfice qui n’est pas prévu par la LAM (argumentation de l’intimé, par. 35 à 38), c’est-à-dire qu’elle souhaite obtenir un remboursement complet pour des soins normalement disponibles au Québec qu’elle a reçus hors Québec. Or, en vertu de la LAM, aucune personne assurée n’a droit à un tel bénéfice.

[…]

Dans Kanyinda, la Cour souligne qu’un exercice de comparaison est nécessaire à la démonstration d’un effet préjudiciable dans le cadre d’une analyse relative au droit à l’égalité (par. 84 et 85 du jugement). La Cour estime être devant une preuve qui lui permet de comparer les hommes et les femmes. Dans A. P. c. PGQ, la nature même de la thèse avancée par l’appelante, qui consiste à n’étudier l’effet de la loi qu’à l’égard des femmes, sans considération de son effet sur les hommes, ne permet aucune comparaison.

Au surplus, aucune preuve au dossier ne permet de démontrer que les modalités de remboursement de soins prévues à l’article 10 de la LAM auraient un effet financier disproportionné sur les femmes par rapport aux hommes. Au contraire, la preuve disponible illustre que toutes les personnes assurées reçoivent le même bénéfice prévu à la loi et, incidemment, que la loi a le même effet pour toute personne assurée.

  1.            Critiquant par ailleurs l’arrêt Kanyinda, l’intimé ajoute que « [l]’absence d’intégration des femmes au marché du travail peut être un désavantage historique, et leur intégration un objectif poursuivi par le législateur, mais cette dernière n’est pas un avantage qu’il a le pouvoir de conférer »[17] et que « [l]es avantages conférés par la loi sont nécessairement plus humbles et ne peuvent que constituer des moyens favorisant la poursuite de tels objectifs »[18].

III. Analyse

  1.            Quelques mots d’abord sur la norme d’intervention applicable à l’espèce. La Cour est saisie de l’appel d’un jugement de la Cour supérieure statuant sur le pourvoi en contrôle judiciaire d’une décision du TAQ prononcée en vertu de l’art. 18.4 L.a.m. La question de droit soulevée devant ces instances se rapportant à la validité même de l’art. 10 al. 4 L.a.m. au regard du paragr. 15(1) de la Charte canadienne, c’est la norme de la décision correcte que devait appliquer la Cour supérieure et qui doit présider à l’examen auquel il faut maintenant se livrer. Il en va de même des questions mixtes de droit et de fait et, comme l’écrivait récemment la Cour suprême, « il n’y a pas lieu de faire montre de déférence à l’égard des questions mixtes de fait et de droit s’inscrivant dans le cadre d’une question constitutionnelle, vu l’importance de répondre correctement aux questions constitutionnelles »[19]. De leur côté, les conclusions purement factuelles du TAQ sont révisables selon la norme de la décision raisonnable, dans la mesure où elles peuvent « être isolées de l’analyse constitutionnelle »[20].

* *

  1.            L’art. 10 al. 4 L.a.m. est-il discriminatoire à l’endroit des femmes et contraire au paragr. 15(1) de la Charte canadienne, comme le soutient l’appelante? Il faut, pour répondre à cette question, s’en remettre au cadre analytique élaboré par la Cour suprême en matière d’interprétation et d’application de cette disposition.
  2.            Le paragr. 15(1) de la Charte canadienne énonce que :

15(1)  Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

15(1)  La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

  1.            Renforçant cette proposition en ce qui concerne la discrimination femmeshommes, l’art. 28 de la Charte canadienne indique pour sa part que :

28  Notwithstanding anything in this Charter, the rights and freedoms referred to in it are guaranteed equally to male and female persons.

28  Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes.

  1.            Comme le rappelait récemment notre cour, cette dernière disposition, « impose en effet aux interprètes de la Charte canadienne l’obligation de tenir compte de l’égalité (réelle) des sexes dans la détermination du sens et de la portée des art. 2 à 23 et dans leur application à une situation donnée »[21]. Cette consigne est même impérative et elle a « primauté sur les autres règles interprétatives que contient la Charte et qui ne peuvent elles-mêmes légitimer l’introduction de distinctions femmes-hommes dans les droits et libertés garantis par les art. 2 à 23 »[22], droits et libertés qui incluent, bien sûr, le droit à l’égalité reconnu, en diverses déclinaisons, par le paragr. 15(1) de la même charte. À cet égard, l’art. 28 renforce certainement l’idée d’une interprétation libérale et généreuse du paragr. 15(1).
  2.            Faisant par ailleurs le point sur l’abondante jurisprudence de la Cour suprême en matière de discrimination, les juges Brown et Rowe, dans l’arrêt Sharma[23], expliquent en ces termes la manière de procéder à la détermination de l’existence ou de l’inexistence d’une situation contraire au paragr. 15(1) de la Charte canadienne :

[28] Le critère à deux volets applicable pour évaluer une demande fondée sur le par. 15(1) n’est pas en cause en l’espèce. Ce critère oblige le demandeur à démontrer que la loi ou la mesure de l’État contestée :

a) crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue;

b) impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage (R. c. C.P., 2021 CSC 19, par. 56 et 141; Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 27; Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548, par. 1920).[24]

  1.            Comme l’écrivait, il y a déjà 25 ans, la juge McLachlin (elle n’était pas encore juge en chef) dans ColombieBritannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU[25], le paragr. 15(1) de la Charte canadienne prohibe la discrimination « flagrante ou dissimulée »[26], c’est-à-dire directe – qui s’observe à première vue – ou indirecte – qui résulte de l’effet préjudiciable de la norme –, mais la nature de la démonstration qui doit en être faite n’est pas tout à fait la même. S’agissant, comme en l’espèce (et j’y reviendrai), d’une question de discrimination indirecte (celle qui crée une distinction par l’imposition « d’obligations, de peines ou de conditions restrictives résultant d'une politique ou d'une pratique qui est neutre à première vue, mais qui a un effet négatif disproportionné sur un individu ou un groupe d'individus en raison d'une caractéristique spéciale de cet individu ou de ce groupe d'individus »[27]), les juges Brown et Rowe, dans Sharma, ajoutent ce qui suit sur la manière de procéder alors à l'analyse en deux volets :

[31] La première étape consiste à se demander si la loi contestée a créé un effet disproportionné sur le groupe demandeur pour un motif protégé ou a contribué à cet effet. Pour ce faire, il faut nécessairement établir une comparaison entre le groupe demandeur et d’autres groupes ou la population générale (Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, p. 164). La deuxième étape, à son tour, vise à déterminer si cet effet impose des fardeaux ou refuse des avantages d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage. La conclusion que la loi contestée a un effet disproportionné sur un groupe protégé (première étape) ne permet pas automatiquement de conclure que la distinction est discriminatoire (deuxième étape).

[Je souligne]

  1.            Que la distinction soit une notion comparative est une idée bien implantée dans la jurisprudence. Comme le mentionne le passage ci-dessus, la Cour suprême, dans Andrews c. Law Society of British Columbia, sous la plume majoritaire du juge McIntyre, observait déjà que l’égalité elle-même est « un concept comparatif dont la matérialisation ne peut être atteinte ou perçue que par comparaison avec la situation des autres dans le contexte socio-politique où la question est soulevée »[28]. Dans Hodge c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), le juge Binnie, se fondant sur Andrews, observe à son tour que « [l]a personne qui demande à bénéficier d’un traitement égal doit le faire en prenant comme référence d’autres personnes avec qui elle peut légitimement être comparée »[29].
  2.            Le caractère comparatif de l’exercice n’est pas écarté dans le cas où l’on allègue une discrimination indirecte : le traitement imposé à tous sans distinction apparente peut établir en réalité, par son effet, une distinction entre individus sur la base de leurs caractéristiques personnelles (c’est d’ailleurs ce que soutient ici l’appelante). Autrement dit, il y a distinction lorsque les effets de la loi sur les uns ne sont pas ce qu’ils sont sur les autres. Comme l’écrivait à ce propos le juge McIntyre dans Andrews, « une loi destinée à s'appliquer à tous ne devrait pas, en raison de différences personnelles non pertinentes, avoir un effet plus contraignant ou moins favorable sur l'un que sur l'autre »[30] [je souligne], ce qui implique une comparaison. Dans Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), arrêt visant une situation de discrimination indirecte, le juge La Forest, au nom de la Cour suprême, reconnaît lui aussi que « la personne qui allègue une violation du par. 15(1) doit d’abord établir que, en raison d’une distinction faite entre elle et d’autres personnes, elle est privée de la “même protection” ou du “même bénéfice” de la loi »[31]. La nécessité de la comparaison, qui fait l’objet d’une longue analyse, est également reconnue dans l’arrêt Withler[32] et ce, que la distinction soit expresse ou qu’elle résulte d’un effet préjudiciable :

[62] Le rôle de la comparaison consiste, à la première étape, à établir l’existence d’une « distinction ». Il ressort du mot « distinction » l’idée que le demandeur est traité différemment d’autrui. La comparaison entre donc en jeu, en ce sens que le demandeur prétend qu’il s’est vu refuser un avantage accordé à d’autres ou imposer un fardeau que d’autres n’ont pas, en raison d’une caractéristique personnelle correspondant à un motif énuméré ou analogue visé par le par. 15(1).

[…]

[64] Dans certains cas, il sera relativement simple d’établir l’existence d’une distinction, par exemple lorsque la loi, à sa face même, crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue (discrimination directe). Il en est souvent ainsi lorsqu’il est question de prestations gouvernementales, comme c’était le cas dans les affaires Law, Lovelace et Hodge. Dans d’autres cas, ce sera plus difficile, parce que les allégations portent sur une discrimination indirecte : bien qu’elle prévoie un traitement égal pour tous, la loi a un effet négatif disproportionné sur un groupe ou une personne identifiable par des facteurs liés à des motifs énumérés ou analogues. Ainsi, dans l’arrêt Granovsky, la Cour a fait remarquer que « [l]es exigences en matière de cotisation du RPC, qui, à première vue, appliquaient les mêmes règles à tous les cotisants, avaient un effet différent sur les personnes qui veulent travailler mais qui ne peuvent pas le faire en raison d’une déficience » (par. 43). Dans ce cas, le demandeur aura une tâche plus lourde à la première étape. L’existence d’un désavantage historique ou sociologique pourrait aider à démontrer que la loi impose au demandeur un fardeau qu’elle n’impose pas à d’autres ou lui refuse un avantage qu’elle accorde à d’autres. Le débat sera centré sur l’effet de la loi et sur la situation du groupe de demandeurs.

[65] L’analyse à la deuxième étape sert à déterminer si la loi cause une inégalité réelle en perpétuant un désavantage ou un préjugé ou en appliquant un stéréotype qui ne correspond pas à la situation ou aux caractéristiques réelles des demandeurs. À cette étape, la comparaison peut favoriser une meilleure compréhension contextuelle de la situation du demandeur dans le cadre d’un régime législatif et dans la société en général et aider ainsi à déterminer si la mesure législative ou la décision contestée perpétue un désavantage ou un stéréotype. La valeur probante de la preuve comparative, considérée dans cette perspective contextuelle, dépendra des circonstances. (Voir Andrea Wright, « Formulaic Comparisons: Stopping the Charter at the Statutory Human Rights Gate », dans Fay Faraday, Margaret Denike et M. Kate Stephenson, dir., Making Equality Rights Real: Securing Substantive Equality under the Charter (2006), 409, p. 432; Sophia Reibetanz Moreau, « Equality Rights and the Relevance of Comparator Groups » (2006), 5 J.L. & Equality 81; Pothier.)

[Je souligne]

  1.            Cela dit, et pour revenir à l’arrêt Sharma[33], les juges Brown et Rowe y font diverses précisions sur chacun des volets du test, particulièrement en ce qui concerne la discrimination indirecte, c’est-à-dire par effet préjudiciable. À cet égard, ils soulignent notamment ce qui suit quant au premier volet du test :

[39] Deux questions se posent. Premièrement, selon quelle norme les tribunaux devraientils mesurer l’effet en question? Deuxièmement, comment les demandeurs peuventils prouver cet effet?

[40] Il y a tout d’abord lieu de faire une différence entre un effet et un effet disproportionné. Toutes les lois sont censées avoir un certain effet sur les personnes; il ne suffit donc pas de démontrer que la loi a des effets sur un groupe protégé. À la première étape du critère du par. 15(1), les demandeurs doivent démontrer que la loi a un effet disproportionné sur un groupe protégé par rapport aux personnes qui ne font pas partie de ce groupe. Autrement dit, le fait de laisser subsister un écart entre le traitement d’un groupe protégé et le traitement des personnes ne faisant pas partie de ce groupe ne viole pas le par. 15(1).

[41] L’obligation de démontrer l’existence d’un effet disproportionné entraîne nécessairement un exercice de comparaison à la première étape. Comme l’a expliqué le juge McIntyre dans l’arrêt Andrews, « [l’égalité] est un concept comparatif dont la matérialisation ne peut être atteinte ou perçue que par comparaison avec la situation des autres dans le contexte sociopolitique où la question est soulevée » (p. 164; voir aussi Fraser, par. 55). Notre Cour n’exige plus un « groupe de comparaison aux caractéristiques identiques » (Withler, par. 5564; Fraser, par. 94). Toutefois, l’arrêt Withler confirme que la comparaison joue un rôle aux deux étapes de l’analyse fondée sur le par. 15(1). À la première étape, le mot « distinction » luimême implique que le demandeur est traité différemment des autres, que ce soit directement ou indirectement (Withler, par. 62, cité dans Fraser, par. 48).

[42] Comme nous l’avons expliqué, dans les cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable, la loi contestée est en apparence neutre. À la première étape, le demandeur doit présenter suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que, de par son effet, la loi contestée crée un effet disproportionné en raison d’une distinction fondée sur un motif protégé ou contribue à cet effet (Fraser, par. 60, citant Taypotat, par. 34; Alliance, par. 26; Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, p. 764765). Le lien de causalité joue donc un rôle capital. […]

[…]

[50] En résumé, la première étape consiste à déterminer si les dispositions contestées créent un effet disproportionné pour un motif protégé sur le groupe demandeur par rapport à d’autres groupes ou contribuent à cet effet. Si le demandeur établit que la loi ou la mesure de l’État crée un effet disproportionné ou y contribue, le tribunal doit passer à la deuxième étape. Il faut toutefois bien comprendre que, même si le fardeau de preuve à la première étape ne doit pas être excessif, le demandeur doit s’en acquitter. La nature exacte du fardeau de preuve imposé aux demandeurs dépend de ce qu’ils demandent. Dans tous les cas cependant, il demeure que les demandeurs doivent s’acquitter d’un fardeau à la première étape.[34]

[Je souligne]

  1.            Quant au second volet du test, les juges Brown et Rowe le résument ainsi :

(i) Fardeau de la preuve

[51] Notre Cour n’a jamais été d’avis que toute distinction est discriminatoire (Andrews, p. 182). D’où l’importance de la deuxième étape du critère du par. 15(1), qui oblige le demandeur à démontrer que la loi contestée impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage subi par le groupe touché. La question qui se pose est la suivante : que doiton entendre par renforcer, perpétuer ou accentuer un désavantage?

[52] Les tribunaux doivent examiner les désavantages historiques ou systémiques dont a fait l’objet le groupe demandeur. Le fait de laisser subsister un tel désavantage n’est pas suffisant en soi pour satisfaire aux exigences de la deuxième étape. Deux arrêts de notre Cour le démontrent. Dans l’arrêt Fraser, la juge Abella a fait observer : « L’objectif est d’examiner l’effet du préjudice causé au groupe touché », lequel préjudice peut prendre la forme d’une exclusion ou d’un désavantage économique, d’une exclusion sociale, de préjudices psychologiques, de préjudices physiques ou d’une exclusion politique (par. 76 (nous soulignons), citant C. Sheppard, Inclusive Equality : The Relational Dimensions of Systemic Discrimination in Canada (2010), p. 6263). Dans l’arrêt Withler, notre Cour a expliqué qu’une incidence négative ou l’aggravation de la situation était nécessaire : […]

[Sauf indication contraire, je souligne]

  1.            La disposition législative qui renforce ou encourage un stéréotype ou un préjugé ou qui semble relever de l’arbitraire sera, il va sans dire, suspecte dans ce contexte[35].
  2.            Enfin, se fondant sur l’étude que le juge en chef Wagner a faite de la question dans l’arrêt R. c. C.P.[36], les juges Brown et Rowe rappellent que « pour déterminer si une distinction est discriminatoire à la deuxième étape de l’analyse, les tribunaux devraient également tenir compte du contexte législatif plus large »[37]. Citant l’arrêt Withler[38], ils écrivent en effet que : « La Cour a expliqué que, lorsque la disposition contestée s’inscrit dans un régime législatif général — comme c’est souvent le cas —, il faut tenir compte de l’économie générale de la loi (par. 3), et que “[l’]effet d’amélioration [de la mesure législative] sur la situation des autres participants et la multiplicité des intérêts qu’elle tente de concilier joueront également dans l’analyse du caractère discriminatoire” (par. 38 (nous soulignons)) »[39]. À cette fin, « les objets du régime, la question de savoir si la politique est conçue dans l’intérêt de divers groupes, l’affectation des ressources, les objectifs d’intérêt public particuliers visés par le législateur et la question de savoir si les limites prévues par le régime tiennent compte de ces facteurs »[40] sont autant d’éléments à considérer.
  3.            Les juges Brown et Rowe indiquent enfin que :

[63] Tout d’abord, le par. 15(1) n’a pas pour effet d’imposer à l’État une obligation positive générale de remédier aux inégalités sociales ou d’adopter des lois réparatrices (Thibaudeau c. Canada, […] [1995] 2 R.C.S. 627, par. 37; Eldridge, par. 73; Auton (Tutrice à l’instance de) c. ColombieBritannique (Procureur général), 2004 CSC 78, [2004] 3 R.C.S. 657, par. 41; Alliance, par. 42). S’il en était autrement, les tribunaux seraient entraînés de manière inadmissible à s’ingérer dans le rôle complexe dévolu au législateur en matière d’élaboration de politiques et d’affectation des ressources, ce qui serait contraire au principe de la séparation des pouvoirs. Dans l’arrêt Alliance, notre Cour a invalidé des modifications apportées à la loi québécoise sur l’équité salariale au motif que ces modifications « entrav[aient] l’accès aux mesures antidiscrimination » en affaiblissant les protections législatives existantes en matière d’équité salariale (par. 39). Toutefois, ce faisant, la juge Abella a expressément refusé d’imposer « à l’État une obligation positive distincte d’adopter des régimes de prestations visant à corriger des inégalités sociales » (par. 42). La Cour a également affirmé que le par. 15(1) n’oblige pas le législateur à maintenir ses politiques actuelles : […][41]

  1.            Pareillement, et toujours à la seconde étape de leur analyse, les tribunaux doivent être respectueux de la dynamique législative : « lorsque l’État légifère pour s’attaquer à des inégalités, il peut procéder de manière graduelle »[42], les tribunaux devant une certaine déférence au législateur qui doit en effet disposer d’« une marge de manœuvre raisonnable pour traiter des problèmes étape par étape, pour soupeser les inégalités qui peuvent découler de la loi en fonction des autres inégalités qui résultent de l’adoption d’une ligne de conduite, et pour tenir compte des difficultés, qu’elles soient de nature sociale, économique ou budgétaire, qui se présenteraient s’il tentait de traiter des problèmes socioéconomiques dans leur ensemble […] »[43].
  2.            En dernier lieu, deux observations.
  3.            D’une part, il faut souligner que les deux volets du test élaboré par la Cour suprême ne sont pas étanches et qu’il existe entre eux des recoupements, particulièrement dans le cas de la discrimination indirecte, comme le rappelle le passage suivant de l’arrêt Sharma :

[30] L’incertitude quant au fardeau de preuve dans les affaires de discrimination par suite d’un effet préjudiciable survient lorsque les tribunaux regroupent les deux étapes de l’analyse en une seule, comme l’a fait la majorité de la Cour d’appel en l’espèce (voir par. 83). Il n’y a pas de « cloisons étanches » entre les deux étapes de l’analyse (Fraser, par. 82), puisqu’à chaque étape, on s’attarde aux effets de la loi contestée sur le groupe protégé. Bien que les éléments de preuve puissent se recouper à chacune des étapes, les deux étapes posent des questions fondamentalement différentes. L’analyse effectuée à une étape doit donc demeurer distincte de l’analyse faite à l’autre.

  1.            Dans le cas de la discrimination indirecte, le premier volet du test consiste à vérifier l’existence d’un effet préjudiciable disproportionné sur les membres d’un groupe protégé (la disproportion s’évaluant de manière comparative). Or, lorsqu’il en est, cet effet préjudiciable intersecte presque inévitablement, à la seconde étape, avec la question de savoir s’il provoque, renforce ou accentue un désavantage – et donc un préjudice – historique ou systémique, de nature économique, sociale, politique ou autre. On doit donc s’intéresser à ce même effet sous deux rapports : celui de la détermination de la discrimination indirecte à l’encontre d’un groupe protégé ou de membres d’un tel groupe et celui de sa relation en quelque sorte causale (provoquer, renforcer ou accentuer) avec le désavantage (marginalisation, exclusion, oppression) que subit un groupe ou les membres d’un groupe protégé.
  2.            D’autre part, sur le plan méthodologique, notons que « la connaissance d’office peut jouer un rôle à la deuxième étape »[44] du test de l’art. 15, tout comme d’ailleurs à la première, selon les critères usuels[45].
  3.            Appliquons cet enseignement à l’espèce.

* *

  1.            Avant d’aller plus loin, il faut toutefois préciser l’étendue du débat dont la Cour est saisie et celle de l’examen qu’il faut en faire, bref, cerner ce dont il est véritablement question.
  2.            Examinons en premier lieu la nature exacte de la réclamation de l’appelante. Dans sa demande de révision, elle reproche à la Régie de ne pas lui avoir remboursé l’ensemble du coût des services reçus en rapport avec sa grossesse et la terminaison de celle-ci, parmi lesquels le coût des services médicaux proprement dits, celui des médicaments et celui des services qui ne sont pas assurés au Québec. Elle estime en effet que « [t]he RAMQ’s refusal to reimburse certain of [her] expenses in whole or in part has a disproportionate and adverse effect on [her] because of her pregnancy, and therefore constitutes discrimination on the basis of sex, contrary to sections 15 and 10 of the Canadian Charter and Quebec Charter, respectively »[46] (à l’époque, elle allègue également que cette décision de la Régie enfreint l’art. 7 de la Charte canadienne ainsi que l’art. 1 de la Charte québécoise, argument abandonné en appel). Comme le montre le reste de la demande en question, cependant, le débat, à ce double égard, se fixe d’abord et avant tout sur l’art. 10 al. 4 L.a.m. De même, le recours qu’entreprend l’appelante devant le TAQ et son pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure soulèvent essentiellement la validité de cette disposition précise de la L.a.m. Comme on l’a vu plus haut, c’est également ce qui ressort de ses procédures et de son mémoire d’appel ainsi que des explications fournies lors de l’audience tenue par la Cour.
  3.            Par ailleurs, bien que les conclusions de la demande introductive d’instance amendée adressée à la Cour supérieure, de la déclaration d’appel, de la requête pour permission d’appeler ainsi que du mémoire de l’appelante réclament que l’art. 10 L.a.m. soit déclaré invalide, apparemment dans sa totalité, la discussion, devant le TAQ, la Cour supérieure et notre cour, a porté uniquement sur la limite imposée par le quatrième alinéa de cette disposition au remboursement ou au paiement des services assurés dispensés hors Québec. Le cas échéant, seule cette portion de l’art. 10 L.a.m. devrait être déclarée invalide, ce qui n’est pas sans impact sur l’analyse qui doit être faite de la thèse de l’appelante.
  4.            Reproduisons en effet de nouveau, par commodité, l’art. 10 L.a.m. :

10. Une personne assurée a droit d’exiger de la Régie le remboursement du coût des services assurés qui lui ont été fournis en dehors du Québec par un professionnel de la santé, à l’exception des services pharmaceutiques et des médicaments visés aux troisième et quatrième alinéas de l’article 3, pourvu qu’elle remette à la Régie sur demande les reçus d’honoraires qu’elle a payés et qu’elle lui fournisse les renseignements dont la Régie a besoin pour justifier le paiement réclamé.

10. An insured person is entitled to exact from the Board the reimbursement of the cost of the insured services furnished to him outside Québec by a professional in the field of health, except the pharmaceutical services and medications referred to in the third and fourth paragraphs of section 3, provided that he delivers to the Board, on request, the receipts for the fees paid by him, and furnishes it with the information the Board needs to justify the payment claimed.

 Malgré le premier alinéa, le coût de l’exécution d’une ordonnance ou de son renouvellement et de médicaments fournis à une personne admissible au sens de la Loi sur l’assurance médicaments (chapitre A29.01) ainsi que le coût de services et de médicaments prévus par règlement fournis à une personne assurée, à l’extérieur du Québec, par une personne légalement autorisée à y exercer la profession de pharmacien et avec qui la Régie a conclu une entente particulière à cette fin, peut faire l’objet d’un remboursement, s’ils sont fournis dans une pharmacie située dans une région limitrophe au Québec lorsque, dans un rayon de 32 km de cette pharmacie, aucune pharmacie au Québec ne dessert la population.

 Notwithstanding the first paragraph, the cost of filling or renewing a prescription and the cost of the medications provided to an eligible person, within the meaning of the Act respecting prescription drug insurance (chapter A-29.01), as well as the cost of services and medications determined by regulation and provided to an insured person outside Québec by a person legally authorized to practise as a pharmacist in the place concerned and with whom the Board has entered into an individual agreement for that purpose, may be reimbursed if the services and medications are furnished in a pharmacy situated in a region bordering on Québec and if no pharmacy situated, in Québec, within a radius of 32 kilometres of that pharmacy provides services to the public.


Non en vigueur

 Il en est de même du coût de médicaments fournis à une personne admissible au sens de la Loi sur l’assurance médicaments, à l’extérieur du Québec, dans le cadre des activités d’un établissement suivant le troisième alinéa de l’article 8 de cette loi.

Not in force

 The same applies to the cost of medications provided, outside Québec, to an eligible person within the meaning of the Act respecting prescription drug insurance, as part of the services provided by an institution, in accordance with the third paragraph of section 8 of that Act.

 Toutefois, elle n’a droit d’exiger que le moindre du montant qu’elle a effectivement payé pour ces services ou de celui établi par la Régie pour de tels services payés au Québec.

 However, the person shall only be entitled to claim the lesser of the amount actually paid for the services and the amount established by the Board for such services paid in Québec.

 Malgré le quatrième alinéa, une personne assurée peut exiger le montant effectivement payé pour des services médicaux dans les cas et conditions déterminés par règlement.

 Notwithstanding the fourth paragraph, an insured person may exact the amount actually paid for medical services in the cases and on the conditions fixed by regulation.

  1.            Seul le quatrième alinéa de cette disposition, comme on vient de le voir, est contesté par l’appelante, mais les premier et cinquième alinéas fournissent un contexte utile : le premier alinéa énonce le principe en matière de services assurés reçus hors Québec, principe que délimite le quatrième alinéa, tandis que le cinquième prévoit une exception à cette limite, par voie réglementaire (exception qui ne s’applique pas à la situation de l’appelante)[47]. On notera aussi qu’en vertu de l’art. 11 L.a.m., la Régie, plutôt que de procéder par remboursement, peut également, lorsque les circonstances s’y prêtent, assumer d’emblée les frais engagés à l’extérieur du Québec (et payer directement les professionnels de la santé qui y dispensent les soins), mais là encore jusqu’à concurrence de la limite prévue par le quatrième alinéa de l’art. 10, sous réserve d’une même exception :

11. La Régie peut aussi assumer elle-même, pour le compte d’une personne assurée, le paiement du coût des services visés dans l’article 10, sur présentation d’un relevé d’honoraires et après avoir obtenu les renseignements dont elle a besoin pour justifier le paiement réclamé.

11. The Board itself may also assume, on behalf of any insured person, payment of the cost of the services contemplated in section 10 upon presentation of a statement of fees and after having obtained the information it needs to justify the payment claimed.

 Elle ne peut toutefois payer ainsi un montant supérieur à celui qu’elle aurait payé sur présentation d’un reçu d’honoraires en vertu de l’article 10.

 Nevertheless, it shall not so pay an amount higher than that which it would have paid upon presentation of a receipt for fees under section 10.

 Malgré le deuxième alinéa, elle peut assumer le coût effectivement réclamé pour des services médicaux dans les cas et conditions déterminés par règlement.

 Notwithstanding the second paragraph, it may assume payment of the amount claimed for medical services in the cases and on the conditions fixed by regulation.

  1.            En second lieu, il est nécessaire d’expliquer la portée des art. 10 et 11 L.a.m., qui détermine elle aussi le champ de la contestation.
  2.            Ces dispositions visent le remboursement ou le paiement du coût des « services assurés […] fournis en dehors du Québec / insured services furnished […] outside Québec » (art. 10 L.a.m.), services assurés qui sont définis de la manière suivante par l’art. 1 al. 1a) L.a.m. :

1. Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, les expressions et mots suivants signifient ou désignent :

1. In this Act, unless the context indicates a different meaning, the following expressions and words mean or designate:

a)  « services assurés » : les services, médicaments, appareils ou autres équipements suppléant à une déficience physique, aides visuelles, aides auditives et aides à la communication visés dans l’article 3;

(a)  “insured services” : the services, medications, devices or other equipment that compensate for a physical deficiency, visual or hearing aids and communication devices contemplated in section 3;

  1.            L’art. 3 L.a.m. donne la liste des services en question, au nombre desquels « tous les services que rendent les médecins et qui sont requis au point de vue médical / all services rendered by physicians that are medically required » (art. 3 al. 1a)), « les services de planification familiale déterminés par règlement et qui sont rendus par un médecin / family planning services determined by regulation and furnished by a physician » (art. 3 al. 1d)), ainsi que « les services de procréation assistée déterminés par règlement et qui sont rendus par un médecin / assisted procreation services determined by regulation and rendered by a physician » (art. 3 al. 1e)). On parle donc ici de services médicaux au sens de services rendus par un médecin. Les services des dentistes et des optométristes sont également visés, à certaines conditions (art. 3 al. 1b) et c) L.a.m., qui ne sont pas en cause ici). Les troisième et quatrième alinéas de l’art. 3 visent quant à eux les services pharmaceutiques et les médicaments. L’art. 3 traite également des appareils ou autres équipements suppléant à une déficience physique, aides visuelles, aides auditives et aides à la communication, dont il n’est pas question dans le présent dossier.
  2.            Les art. 10 et 11 L.a.m. prévoient le remboursement ou le paiement des services assurés au sens de l’art. 3 (disposition que l’appelante n’a pas contestée[48]), dont les services médicaux définis plus haut, à l’exclusion des services pharmaceutiques et des médicaments fournis hors Québec, comme le précise le premier alinéa de l’art. 10 sous réserve, toutefois, des exceptions prévues en ses deuxième et troisième alinéas (qui n’ont pas d’application ici, le troisième alinéa n’étant par ailleurs pas en vigueur). Les règles relatives aux services pharmaceutiques et aux médicaments sont en effet prévues par une loi distincte, la Loi sur l’assurance médicaments[49] (adoptée en 1996), qui établit un régime général d’assurance médicaments offert à la population québécoise et dont l’art. 2 décrit l’objet :

2. Le régime général a pour objet d’assurer à l’ensemble de la population du Québec un accès raisonnable et équitable aux médicaments requis par l’état de santé des personnes.

2. The purpose of the basic plan is to ensure that all persons in Québec have reasonable and fair access to the medication required by their state of health.

 À cette fin, il prévoit une protection de base à l’égard du coût de services pharmaceutiques et de médicaments et exige des personnes ou des familles qui en bénéficient une participation financière tenant compte notamment de leur situation économique

 To that end, the plan provides for a minimum level of coverage for the cost of pharmaceutical services and medications, and requires a financial participation on the part of persons or families covered by the plan depending, in particular, on their economic situation.

  1.            La couverture offerte par cette loi est réservée aux personnes résidentes du Québec qui sont inscrites auprès de la Régie et qui ne bénéficient pas d’une assurance collective ou d’un régime d’avantages sociaux incluant cette protection. Elle ne s’étend qu’aux services pharmaceutiques et médicaments « fournis au Québec / provided in Québec » (art. 7 et 8 de la Loi sur l’assurance médicaments), sauf exceptions prévues par les deuxième et troisième paragraphes de l’art. 8, exceptions inapplicables à l’espèce[50]. Le principe et les exceptions prévues à cet égard par les trois premiers alinéas de l’art. 10 L.a.m. concordent avec les exigences des art. 7 et 8 de la Loi sur l’assurance médicaments, dont ils découlent et dont ils sont indissociables.
  2.            Or, les dispositions pertinentes de la Loi sur l’assurance médicaments n’ont pas été contestées par l’appelante, et elles ne peuvent évidemment l’être indirectement par le truchement de la contestation ciblant l’art. 10 al. 4 L.a.m. L’appelante n’a pas non plus formellement contesté sous ce rapport les trois premiers alinéas de l’art. 10 L.a.m., bien qu’elle réclame le remboursement, en vrac, de tous les coûts dont le remboursement lui a été refusé par la Régie, mais sans qu’aucun argument particulier n’ait été avancé sur la teneur précise de cette réclamation ou sur la Loi sur l’assurance médicaments.
  3.            Enfin, il faut également souligner que les art. 10 et 11 L.a.m. ne couvrent pas non plus le coût des services hospitaliers (lesquels sont régis par la Loi sur l’assurancehospitalisation[51]), le Québec ayant conclu des ententes de facturation réciproque avec toutes les provinces et territoires du Canada en cette matière, y compris la Colombie-Britannique[52], ententes en vertu desquelles ces services ne sont pas payés par les personnes assurées lorsque celles-ci y ont recours hors Québec, mais facturés directement à l’organisme compétent de leur province d’origine (le texte des ententes n’étant pas en preuve, il est impossible de savoir si elles comportent des restrictions qui auraient été autorisées par les lois habilitantes). On notera que les parties, dans le cadre du présent débat, n’ont pas fait ces distinctions entre les services assurés par l’art. 3 L.a.m. et les services hospitaliers. Ces derniers ne peuvent être en jeu ici puisqu’ils ne sont pas visés par l’art. 10 (ou 11) L.a.m.
  4.            Finalement (et j’aurai l’occasion de revenir sur le sujet), l’appelante ne conteste pas non plus la conformité de l’art. 10 al. 4 L.a.m. avec les sous-al. 11(1)b)(i) et (ii) de la Loi canadienne sur la santé[53], et elle ne conteste pas davantage la validité de ces dernières dispositions.
  5.            Pour conclure, l’appel ne concerne donc – et ne peut concerner – que l’art. 10 al. 4 L.a.m. et il se rapporte uniquement au remboursement ou au paiement des services médicaux définis par l’art. 3 L.a.m. (et particulièrement ceux des paragr. a), d) et e) du premier alinéa de celui-ci, qui visent les services de médecins). Ne sont pas en cause les services pharmaceutiques, les médicaments et les services hospitaliers (dans ce dernier cas, excluant les services des médecins) dont parlent les art. 3 et 10 al. 1, 2 et 3 L.a.m., mais qui sont régis d’abord et avant tout par d’autres lois et règles que l’appelante n’a pas contestées[54]. L’analyse sera donc concentrée sur les services médicaux visés par l’art. 10 al. 4 L.a.m.

* *

  1.            Le premier volet de l’analyse consiste à déterminer si l’art. 10 al. 4 L.a.m. crée, directement ou par son effet, une distinction fondée en l’espèce sur le sexe, motif visé par le paragr. 15(1) de la Charte canadienne.
  2.            Distinction directe. Constatons d’abord que l’art. 10 al. 4 L.a.m. ne comporte aucune distinction directe, c’est-à-dire explicite : son texte est neutre et ne différencie pas les personnes assurées les unes des autres, que ce soit sur la base de leur sexe, sur celle des autres caractéristiques qu’énumère le paragr. 15(1) de la Charte canadienne (race, origine nationale ou ethnique, couleur, religion, âge ou déficiences mentales[55] ou physiques) ou sur des caractéristiques analogues reconnues par la jurisprudence (par ex. : orientation sexuelle[56], état civil ou matrimonial[57], citoyenneté[58], « autochtonitélieu de résidence »[59] et « statut de non-résident dans une communauté autochtone autonome »[60]) ou encore sur toute autre caractéristique (par exemple, le revenu). En fait, si l’on s’en tient au texte, lorsqu’elles obtiennent des services médicaux (quels qu’ils soient) hors Québec, toutes les personnes couvertes par la L.a.m. ont droit au remboursement prévu par l’art. 10 al. 1 L.a.m., sous réserve de la limite prévue par l’art. 10 al. 4 L.a.m. Aucune n’obtiendra plus et aucune n’obtiendra moins. Le même avantage et la même contrainte sont imposés à toutes les personnes assurées, y compris en matière de soins liés à la grossesse ou, plus généralement, à la santé reproductive.
  3.            De ce point de vue, la situation de l’espèce n’a rien à voir avec celles des arrêts Brooks c. Canada Safeway Ltd.[61] et Benner c. Canada (Secrétaire d’État)[62], qui donnent l’exemple d’une discrimination directe fondée sur le sexe, ni avec celle de l’arrêt M. c. H.[63], où il s’agit d’une discrimination directe fondée sur l’orientation sexuelle.
  4.            Ainsi, dans Brooks[64], un programme d’assurance invalidité excluait expressément les femmes enceintes de la couverture autrement prodiguée aux membres du personnel de l’entreprise, et ce, pour toute la période allant de la dixième semaine précédant la date prévue d’accouchement à la fin de la sixième semaine suivant l’accouchement, que l’invalidité soit due à la grossesse ou à une cause autre. Les femmes enceintes étaient donc explicitement privées d’un avantage conféré à leurs collègues, ce qui constituait évidemment une distinction claire (par ailleurs clairement fondée sur le sexe, comme le reconnaît la Cour suprême).
  5.            Même chose dans Benner, alors que la Loi sur la citoyenneté[65] traitait différemment les enfants nés à l’étranger d’un père canadien et ceux d’une mère canadienne. Les seconds ne pouvaient acquérir la citoyenneté canadienne sans se soumettre à un processus rigoureux dont les premiers étaient exemptés. On imposait donc une obligation supplémentaire aux enfants d’une mère canadienne tout en les empêchant d’accéder aux bénéfices et avantages offerts aux enfants d’un père canadien. Là encore, la distinction, fondée en l’occurrence sur le sexe du parent, figurait textuellement dans la loi, distinction en vertu de laquelle certaines personnes étaient privées du « même bénéfice » et de la « même protection » de la loi que les autres, au sens du paragr. 15(1) de la Charte canadienne.
  6.            Enfin, dans M. c. H., la loi ontarienne en cause excluait, par omission, les conjoints de même sexe, réservant ses bénéfices aux conjoints de sexe différent formant un couple. Comme le constate la Cour suprême, la distinction, fondée sur l’orientation sexuelle, ressortait de la lecture même de la loi : « Il est par conséquent manifeste que la loi a établi une distinction formelle entre la demanderesse et d’autres personnes, laquelle est fondée sur des caractéristiques personnelles »[66], en l’occurrence l’orientation sexuelle.
  7.            Par contraste, redisons-le, l’art. 10 al. 4 L.a.m. ne fait aucune distinction de ce type (et, d’ailleurs, l’art. 10 dans son entier ne fait lui-même aucune telle distinction, et pas davantage l'art. 11).
  8.            Distinction indirecte. Mais si l’art. 10 al. 4 L.a.m. ne fait pas de distinction directe et n’impose pas de différence de traitement, à première vue, entre femmes et hommes ou entre femmes et tout autre groupe au chapitre du remboursement ou du paiement du coût des services médicaux obtenus hors Québec, créerait-il cependant cette distinction de manière indirecte, c’estàdire par l’effet défavorable disproportionné qu’il aurait sur les femmes enceintes – et donc sur les femmes, comme le soutient l’appelante? Autrement dit, la neutralité du texte législatif cacherait-elle un effet préjudiciable à cellesci?
  9.            L’on doit répondre à ces questions par la négative, l’approche comparative préconisée à ce stade de la démarche analytique ne permettant pas de conclure que, dans la mesure où il s’agit de personnes assurées au sens de la L.a.m. (ce qui est le cas de l’appelante), l’art. 10 al. 4 L.a.m. a sur les femmes un effet négatif disproportionné ou contribue à cet effet, engendrant une différence de traitement par rapport à d’autres, les hommes en l’occurrence.
  10.            L’effet de l’art. 10 al. 4 L.a.m. est plutôt le reflet exact de son texte et la preuve ne révèle pas que sa mise en œuvre engendre quelque écart de traitement que ce soit entre les femmes et toute autre personne : aucune personne assurée ne peut obtenir, pour des services médicaux dispensés hors Québec, un montant supérieur à celui qui aurait été versé aux professionnels de la santé si le service avait été prodigué au Québec, et ce, peu importe sa nature (à condition qu’il soit assuré au sens de l’art. 3 et couvert par l’art. 10 al. 1 L.a.m.) et peu importe les caractéristiques personnelles de l’individu assuré. La loi n’affecte pas les femmes plus que les hommes (premier groupe comparatif, lorsqu’on invoque, comme en l’espèce, une discrimination fondée sur le sexe) ou que tout autre groupe, protégé ou non au sens du paragr. 15(1) de la Charte canadienne : les femmes ne sont pas privées, en matière de soins de santé reproductive, d’un avantage que d’autres obtiendraient; elles ne sont pas sujettes à des restrictions qui ne seraient pas imposées à d’autres.
  11.            Autrement dit, du moins a priori, le poids de la loi et de la limite qu’elle impose au remboursement prévu par l’art. 10 al. 1 L.a.m. (ou au paiement prévu par l’art. 11 L.a.m.) pèse de la même façon sur les épaules de toute personne couverte par le régime d’assurance maladie québécois, incluant les femmes enceintes et les femmes en général, et il n’affecte pas celles-ci de manière disproportionnée. Le fait de n'être pas remboursée pleinement est certainement désavantageux par rapport à un remboursement intégral (ce qui relève de l’évidence), mais toutes les personnes assurées par la L.a.m. subissent ce même désavantage. Plus exactement, toutes les personnes assurées risquent de le subir dans la mesure où le coût des services médicaux qu’elles encourent hors Québec est supérieur au coût des mêmes soins au Québec.
  12.            La situation des femmes au regard de l’art. 10 al. 4 L.a.m. ne se compare donc pas à celle dont il était question, par exemple, dans les arrêts BCGSEU[67] ou Fraser c. Canada (Procureur général)[68], archétypes du genre, ou encore dans l’arrêt Kanyinda[69].
  13.            Dans BCGSEU, le gouvernement de la province imposait, entre autres exigences physiques minimales, une certaine norme aérobique comme condition d’embauche de toute personne désireuse d’exercer la fonction de pompier forestier. Neutre en apparence (et adoptée par ailleurs de bonne foi), cette norme, révélait la preuve, était largement fondée sur la physiologie masculine, ce qui avait pour effet concret d’exclure de cette fonction la plupart des femmes, cellesci étant dotées d'une capacité aérobique moindre que les hommes, peu importe leur condition physique. La Cour suprême, sous la plume de la juge McLachlin (telle qu’alors), constate le caractère préjudiciable de la norme en question, qui établit indirectement, par son effet, une distinction fondée sur le sexe et qui restreint significativement l’accès des femmes à un type d’emploi, restriction disproportionnée par rapport aux hommes. La Cour suprême examine ensuite la question de savoir si, malgré cela, la norme est néanmoins valide comme exigence professionnelle justifiée (elle conclura par la négative), sujet qui n’est pas pertinent à l’espèce.
  14.            L’affaire Fraser concerne quant à elle un programme de partage de poste mis sur pied par la GRC, programme dont les principales utilisatrices sont des femmes ayant un ou des enfants, qui se trouvent ainsi à travailler chacune à temps partiel. En vertu de la loi et du règlement applicables au régime de retraite des membres de la GRC, le rachat des périodes de congé (un congé sans solde, par exemple) était généralement permis, de façon à bonifier la prestation de retraite qui aurait autrement été diminuée, bénéfice qui n’était cependant conféré qu’aux membres travaillant à temps plein et qui ne l’était donc pas aux membres participant au programme de partage de poste. Dans les faits, cela avait un effet disproportionné sur les femmes en privant celles qui choisissaient ce partage d’un avantage dont jouissaient les autres membres de la GRC. La juge Abella, au nom de la majorité, conclut à l’existence d’une distinction femmes-hommes, les premières étant moins bien traitées que les seconds en termes de retraite :

[97] Avec égards, le fait de se baser sur la réduction temporaire des heures de travail d’un membre de la GRC pour imposer des conséquences moins avantageuses en matière de pension a clairement un effet disproportionné sur les femmes. Les éléments de preuve pertinents — les conséquences du système — ont démontré ceci :

  • Les membres de la GRC qui ont réduit leurs heures de travail en participant au programme de partage de poste étaient principalement des femmes ayant de jeunes enfants.
  • De 2010 à 2014, la totalité des membres ayant réduit leurs heures de travail par le truchement du programme de partage de poste étaient des femmes, et la plupart ont déclaré avoir participé au programme afin de s’occuper de leurs enfants.

[98] Ces statistiques ont été renforcées par des éléments de preuve convaincants sur les désavantages auxquels les femmes font face en tant que groupe lorsqu’elles concilient leur vie professionnelle et les travaux ménagers. Les éléments de preuve soumis par Mme Fraser ont démontré que les femmes assument depuis toujours une part écrasante des responsabilités à l’égard des enfants, que les travailleurs à temps partiel au Canada sont disproportionnellement des femmes et que cellesci sont beaucoup plus susceptibles que les hommes de travailler à temps partiel pour s’occuper des enfants. Par conséquent, elles connaissent moins de stabilité en matière d’emploi ainsi que des périodes de « réduction du temps de travail », y compris au sein de services de police.

[…]

[106] Toutes ces sources — et d’autres encore — établissent un lien clair entre les femmes et des heures de travail moindres ou instables. Elles appuient solidement l’argument central de Mme Fraser : le fait pour la GRC de se baser sur la réduction temporaire des heures de travail d’un de ses membres pour imposer des conséquences moins avantageuses en matière de pension a un effet disproportionné sur les femmes. Il est donc satisfait au premier volet de l’analyse relative au par. 15(1).

  1.            Enfin, dans Kanyinda, la Cour d’appel se penche sur la validité d’une disposition réglementaire appliquée de façon telle que les parents demandeurs d’asile en attente de la reconnaissance de leur statut de réfugié ne peuvent, même lorsqu’ils détiennent un permis de travail, avoir accès aux garderies québécoises subventionnées (ni à leurs listes d’attente). Selon la Cour, le règlement est « à première vue neutre puisque les parents sont des hommes ou des femmes » [70]. Mais son effet ne l’est pas et, comme le reconnaît la Cour, « en excluant les personnes demandant l’asile, il a une incidence négative disproportionnée à l’égard des femmes demandant l’asile, et est ainsi discriminatoire par suite de son effet préjudiciable »[71]. En effet, l’exclusion des demandeurs d’asile se trouve à affecter principalement les femmes, qui, selon la preuve, assument encore largement le soin et la responsabilité des enfants, et donc à les défavoriser sur le plan socioéconomique, et ce, d’une manière que n’éprouvent pas les hommes demandeurs d’asile (ou les individus qui ne sont pas des demandeurs d’asile). On peut donc conclure à l’existence d’une distinction fondée sur le sexe (distinction que la Cour, à la seconde étape, jugera discriminatoire, puisqu’elle renforce le désavantage historique et systémique dont souffrent les femmes en raison de leurs responsabilités familiales).
  2.            Comme on le voit, dans chacun de ces exemples, la distinction avait pour effet de désavantager les femmes de manière disproportionnée en les privant concrètement d’un bénéfice, d’un accès, d’un droit octroyé aux hommes (qu’il s’agisse de leur refuser un emploi, de les frustrer de la possibilité d’améliorer leur régime de retraite ou de les exclure des services de garde subventionnés) ou en leur imposant un fardeau, une restriction un inconvénient que n’ont pas à subir les hommes. En outre, dans le cas de Fraser et de Kanyinda, il se trouve que ce préjudice confirme, renforce et perpétue le désavantage général que subissent les femmes sur le marché du travail, ce qui, à la seconde étape du test applicable, permet de conclure au caractère discriminatoire de la distinction (c’estàdire de la différence de traitement) qui leur est infligée.
  3.            Or, on doit bien constater ici, à la première étape du test applicable, que l’art. 10 al. 4 L.a.m. n’a pas l’effet de priver les femmes, que ce soit à l’égard des soins de grossesse ou d’autres soins de santé, du bénéfice reconnu par la loi, à savoir un remboursement limité du coût des services médicaux hors Québec. En effet, et pour reprendre ce que j’écrivais plus haut[72], qu’elle soit femme ou homme, quelles que soient ses caractéristiques personnelles et quelle que soit la nature du service médical en cause, y compris lorsqu’il est lié à un soin spécifique au genre, toute personne assurée au sens de la L.a.m. a droit, dans la même mesure exactement, au remboursement ou au paiement limité du coût des services médicaux qui lui ont été prodigués hors Québec, c’est-à-dire : lorsque ce coût dépasse celui des services équivalents dispensés au Québec, la Régie rembourse ou paie uniquement le montant égal au coût québécois. En pareil cas, aucune personne assurée n’obtiendra plus (à moins de répondre aux exigences de l’art. 10 al. 5 L.a.m., qui n’est pas en jeu ici), aucune n’obtiendra moins et chacune affronte la même limite. En d’autres termes, toutes les personnes assurées, sans égard à leur sexe (ou autre caractéristique), ont accès au même avantage (celui d’un remboursement) et elles subissent une même restriction (celle d’un plafonnement dudit remboursement).
  4.            Bref, que ce soit directement ou par son effet, l’art. 10 al. 4 L.a.m. ne crée aucune distinction entre personnes assurées : il n’y a ici aucun avantage qui soit conféré à quiconque (notamment aux hommes) et dont les femmes ou certaines d’entre elles seraient privées, exclues ou dépouillées. En corollaire, le même désavantage et le même risque de désavantage sont imposés à toute personne assurée.
  5.            Mais l’appelante soutient qu’on ne peut se satisfaire de ce constat, puisque le fait de traiter les femmes enceintes comme tout le monde engendre justement une distinction liée au désavantage général et préexistant des femmes dans la société. Ainsi qu’on l’a vu précédemment, les femmes assument, notamment sur le plan financier, la plus grande partie de la responsabilité et du coût des soins de santé reproductive, et certainement ceux de la grossesse, y compris l’IVG, ce qui, là encore, peut nuire à leur intégration dans le marché du travail. Ne pas les rembourser pleinement pour les soins en question accroîtrait cet effet négatif. Selon l’appelante, l’arrêt Kanyinda appuierait cet argument, alors que la Cour y conclut que le fait de ne pas avoir accès aux garderies subventionnées a un effet délétère sur l’accès des demanderesses d’asile au marché du travail. Pareillement, le fait de ne pas avoir accès au remboursement illimité du coût des soins de grossesse reçus hors Québec a ce même effet délétère sur l’accès des femmes au marché du travail et leur statut ou leur bien-être socioéconomique.
  6.            Qu’en est-il?
  7.            À mon avis, on peut d’abord écarter la comparaison avec l’arrêt Kanyinda, qui n’est pas l’exemple d’une situation dans laquelle toutes les personnes sont traitées de la même façon, ce qui engendre indirectement une distinction. Dans cette affaire, comme on l’a vu, un bénéfice concret était offert par l’État aux parents du Québec, à savoir le paiement d’une contribution réduite pour l’accès aux services de garde subventionnés régis par la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance[73], bénéfice dont étaient exclus les demandeurs d’asile. Or, selon la preuve, cette exclusion affectait surtout les femmes, premières responsables des enfants, bien plus que les hommes, établissant ainsi une différence de traitement fondée sur le sexe (différence jugée par ailleurs discriminatoire, à la seconde étape, car renforçant le désavantage historique et systémique des femmes sur le marché du travail, désavantage issu de leurs responsabilités familiales). La situation de l’espèce n’est pas celle-là, alors que le même bénéfice restreint est offert à toutes les personnes assurées en vertu de la L.a.m. : il n’y a pas d’exclusion, directe ou indirecte.
  8.            C’est plutôt l’arrêt Eldridge[74] qui illustre ici l’idée qu’un traitement en apparence égal puisse en effet engendrer des distinctions à caractère discriminatoire et exiger de l’État, en certaines circonstances, qu’il offre proactivement à certains ce qu’il n’offre pas à d’autres, c’est-à-dire des « mesures d’adaptation pour les membres des groupes protégés »[75]. Toutefois, cette obligation naît, comme c’était d’ailleurs le cas dans Eldridge, lorsqu’il s’agit de faire en sorte que les membres d’un groupe protégé aient véritablement accès aux mêmes avantages ou services offerts par ailleurs à tous et toutes. Dans cette affaire, le fait que l’État n’offre pas de service d’interprétation (gestuelle en l’espèce) privait en réalité les personnes ayant une perte d’acuité auditive de soins de santé d’une qualité équivalente à celle dont jouissent les personnes qui n’ont pas cette difficulté. La distinction se trouvait dans cet effet préjudiciable des règles gouvernementales qui, n’offrant d’interprète à personne (et donc traitant tout le monde de la même façon, en apparence), nuisaient aux personnes malentendantes en entravant leur accès à des soins de santé de qualité. Elles étaient ainsi empêchées de jouir de la même protection et du même bénéfice que les personnes entendantes, au sens du paragr. 15(1) de la Charte canadienne, l’absence d’interprète faisant en sorte qu'elles reçoivent des services de santé d’une qualité moindre que celle des personnes entendantes. En d’autres mots, et pour emprunter ceux de l’arrêt Law[76], l’État, en omettant de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle se trouvent les personnes malentendantes dans la société canadienne, créait ainsi une différence de traitement réelle entre celles-ci et d’autres personnes en raison d’une caractéristique personnelle, en l’occurrence leur déficience auditive.
  9.            La situation que fait valoir l’appelante n’est toutefois pas de la même nature et, même si l’on ne peut nier le désavantage socioéconomique systémique des femmes, notamment pour des raisons liées à la grossesse, à la santé reproductive et aux responsabilités familiales, il demeure que la preuve n’établit pas ce en quoi l’art. 10 al. 4 L.a.m. aurait un effet négatif plus prononcé sur les femmes, par comparaison avec les hommes ou avec les membres d’autres groupes (protégés ou non au sens de l’art. 15 de la Charte canadienne), créant ainsi une distinction, c’est-à-dire une différence de traitement par rapport à un même avantage, à savoir, en l’espèce, l’accès aux soins et services de santé.
  10.            L’appelante a produit au soutien de sa thèse le rapport et le témoignage de l’experte Sylvie Lévesque, sexologue, titulaire d’un doctorat en santé publique et professeure au département de sexologie de l’UQAM. Le rapport, intitulé « L’accès à l’avortement : quels enjeux pour le bien-être des femmes? », porte exclusivement, comme son titre l’indique, sur l’accès à l’IVG – et non sur la santé reproductive en général, qu’invoque ici l’appelante – et il se fonde sur une revue de la littérature sur le sujet, littérature qui comporte assez peu d’études québécoises ou canadiennes, comme le précise l’experte lors de son témoignage, ce qu’elle explique par le fait que l’avortement est généralement accessible au Canada (par contraste, par exemple, avec les ÉtatsUnis)[77]. Le rapport note d’ailleurs ce qui suit, dans un premier temps :

Au Canada, l'avortement est considéré comme une procédure médicale, qui doit être pratiquée par un médecin et offerte gratuitement aux citoyens canadiens sous le Canada Health Act (Palley, 2006). Cette intervention a été classée comme une procédure médicale nécessaire (medically necessary service) par toutes les associations de médecins et de chirurgiens des différentes provinces canadiennes. Comparativement aux services de santé associés à la grossesse, l'avortement est une procédure simple, rapide et relativement peu chère au Canada (Kaposy, 2010).

La santé étant une compétence de juridiction provinciale, la responsabilité de l'offre de services de santé revient au gouvernement de chaque province. Au Québec, deux types d'avortement sont disponibles, soit l'avortement chirurgical et, depuis 2018 l'avortement médical par le biais du régime combiné de mifépristone et de misoprotol (Mifegymiso) ou « pilule abortive », selon le terme connu du grand public. Une femme qui constate une grossesse et qui ne souhaite pas poursuivre celle-ci peut prendre rendez-vous auprès d'un.e médecin formé.e et compétent.e en matière d'avortement; cette personne peut œuvrer dans différents endroits, au sein du réseau de soins de santé public, d'une clinique communautaire ou d'un bureau privé (Collège des médecins du Québec., 2017). Si elle est titulaire d'une carte d'assurance-maladie valide, l'intervention sera prise en charge par la RAMQ. Le recours à l'avortement médical peut également se faire, depuis peu, auprès de médecins de famille ou spécialistes formés à l'interruption de grossesse.

Globalement, au Québec, le délai pour avoir accès à un service d'avortement est court; en moyenne une à deux semaines (Lévesque et Gonin, 2018). Au Canada, la très grande majorité des avortements (90%) surviennent pendant les 12 premières semaines de gestation et plus de 99.3% sont complétés lors des 20 premières semaines (Abortion Rights Coalition of Canada, 2018). […][78]

[Transcription textuelle]

  1.            En somme, constate l'experte, les femmes assurées en vertu de la L.a.m. ont, au Québec, un accès généralement rapide et gratuit[79] à l’IVG, celle-ci étant une procédure également accessible et relativement peu coûteuse partout au Canada[80], par contraste avec d’autres pays.
  2.            Dans un second temps, l’experte examine les raisons qui peuvent expliquer les grossesses non planifiées et la volonté de recourir à l’IVG (difficultés d’accès à la contraception, connaissances limitées sur la fertilité et la contraception, absence de partenaire ou partenaire peu fiable, violence intime, jeune âge, difficultés économiques qui ne permettent pas d’envisager la venue d’un enfant). Enfin, l’experte recense les obstacles à l’avortement, dont les coûts, qui peuvent parfois retarder l’intervention ou la rendre impossible :

Le coût associé à la procédure ou aux frais associés semble aussi un facteur pouvant expliquer un accès tardif à l'avortement. Ainsi, l'étude canadienne de Sethna et Doull (2013) rapporte que 22 % des femmes sondées ont dû défrayer pour avorter. De ce nombre, 19% indique qu'elles ont payé pour la procédure d'avortement et le déplacement vers la clinique. La moyenne des coûts défrayés semble indiquer que les femmes n'ont pas déboursé pour l'intervention per se, mais ont plutôt été facturées des frais accessoires, tels que des frais administratifs ou des médicaments. Toutefois, le quart des femmes ayant dû débourser des frais rapporte que cette somme s'élève à plus de 300$, ce qui pourrait correspondre à la procédure elle-même.

Un autre facteur pouvant moduler l'accès à l'avortement est la facturation réciproque entre les provinces. Pendant de longues années, l'avortement faisait partie des services exclus des ententes de facturation réciproque. Cette exclusion a créé de nombreux torts à de multiples femmes, considérant la mobilité territoriale et la migration trans-provinciale, notamment chez les jeunes femmes pour des motifs d'étude et les femmes des Premières nations vivant dans les territoires nordiques ou éloignés des centres urbains (Sethna et Doull, 2013). Cette situation a été modifiée le 18 juin 2015, pour l'ensemble des provinces et territoires canadiens, à l'exception du Québec. Le Québec a pour sa part retiré l'avortement des services exclus en mars 2016. Dans la pratique toutefois, il semble que cette situation soit plus difficile. En effet, les Québécoises qui doivent obtenir un avortement dans une autre province peuvent rencontrer des difficultés d'ordre administratif et financier, afin d'accéder à l'avortement. Des obstacles sont créés par les démarches à effectuer pour obtenir un remboursement et les coûts supplémentaires pouvant être appliqués, malgré l'interdiction formulée dans la Loi canadienne sur la santé : « provincial extra billing and user charges for medically necessary health services are not permitted » (Palley, 2006, p. 556). Malheureusement, comme l'indiquent Waddington et al., « we are not aware of any studies examining whether or not challenges of reciprocal billing between provinces have impeded Canadian women's ability to access abortion care in a timely fashion » (2015, p.41). Ces auteur.e.s soulignent cependant qu'aux ÉtatsUnis, des études mettent en évidence les délais d'accès à l'avortement pouvant être occasionnés par des obstacles légaux ou administratifs (Bitler et Zavodny, 2001).[81]

[Transcription textuelle]

  1.            Les obstacles administratifs auxquels renvoie ce passage ne sont toutefois pas identifiés et le témoignage de l’appelante ne révèle pas qu’elle ait affronté des écueils de cet ordre : elle a accédé à l’IVG moins de cinq jours après avoir été informée des déficiences du fœtus et avoir pris sa décision de mettre un terme à sa grossesse. Il est vrai qu’elle a contacté la Régie dès qu’elle a commencé son suivi de grossesse, afin de savoir à quoi elle avait droit en termes de couverture d’assurance maladie. Personne n’a pu l’éclairer ou l’aider, la plus grande confusion semblant régner, de sorte qu’elle a payé elle-même l’ensemble des frais qui lui ont été facturés pour les soins reçus (ce qui n’a pas été facile, car cette dépense imprévue de plus de 1 700 $ excédait le budget très serré qui était alors le sien). À son retour au Québec, elle en a demandé le remboursement. Les démarches qu’elle a dû effectuer tant avant qu’après son retour ont engendré passablement de stress[82] et constituent certainement un inconvénient, mais on peut difficilement voir là un préjudice propre à l’IVG, à la grossesse ou au sexe. C’est du reste ce que constate aussi le TAQ, à juste titre[83]. C’est plutôt le manque de moyens et la lourdeur du processus de remboursement, combinés ici à un cafouillis administratif, qui ont été la source du stress qu’a subi l’appelante. Or, toute personne en manque de moyens tenue de payer pour des frais médicaux imprévus, mais nécessaires, subira le même genre de stress, l’impéritie et le grippage bureaucratiques n’étant pas propres aux demandes de remboursement relatives aux soins de grossesse ou à l’IVG.
  2.            Par ailleurs, l’experte Lévesque explique aussi que « [l]es frais liés à l’obtention d’un avortement peuvent conduire certaines femmes à renoncer à mettre terme à une grossesse »[84] et elle en donne pour exemple la situation de l’accès à l’avortement aux États-Unis, mentionnant diverses études américaines. Elle renvoie également à une étude australienne allant dans le même sens. L’experte se penche enfin sur les conséquences physiques et psychologiques de ne pouvoir accéder à une IVG, ainsi que les répercussions, à moyen et à long terme, du « refus d’obtenir un avortement »[85] sur la trajectoire socioprofessionnelle des femmes, elles qui assument, de façon générale, la responsabilité de la santé reproductive, y compris sur le plan financier.
  3.            Les constats de l’experte Lévesque, sont exacts[86], indubitablement, mais ils demeurent très génériques. Ils ne suffisent pas pour établir que l’art. 10 al. 4 L.a.m., par la limite qu’il impose au remboursement ou au paiement des services médicaux reçus hors Québec, affecte les femmes de manière disproportionnée (car c’est là la proposition de l’appelante), c’est-à-dire 1° que par l’effet de cette disposition, les femmes, par comparaison aux autres personnes assurées (les hommes au premier chef, le motif de discrimination invoqué ici étant le sexe), subissent des conséquences que ne subissent pas les autres ou qu’elles en subissent davantage, et 2° qu’elles sont de ce fait l'objet d'une différence de traitement faisant en sorte que, pour paraphraser la juge en chef McLachlin dans l’affaire Auton, elles n’obtiennent pas ou pas au même degré un avantage prévu par la loi ou se voient imposer une obligation ou un fardeau que la loi n’impose pas à d’autres[87].
  4.            On doit certainement reconnaître que les personnes appartenant aux groupes protégés par le paragr. 15(1) de la Charte canadienne sont souvent désavantagées sur le plan des revenus ou des ressources. C’est le cas des femmes, et il suffira de s’en remettre sur ce point aux constats de la Cour suprême dans Fraser[88] ou dans les arrêts Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux[89] et Centrale des syndicats du Québec c. Québec (Procureure générale)[90]. Ces arrêts rappellent la dévalorisation économique et sociale du travail des femmes, d’où l’iniquité salariale qui perdure, ainsi que, plus généralement, le désavantage systémique qui est le leur sur le marché du travail et qui découle en partie, comme le note aussi l’arrêt Kanyinda, de la responsabilité reproductive et parentale qu’elles assument de façon disproportionnée. Cela ne signifierait-il pas – et c’est ce qu’avance en définitive l’appelante – qu’elles sont par conséquent, et nécessairement, « surdésavantagées » par rapport aux hommes en ce qui concerne l’application de la limite prévue par l’art. 10 al. 4 L.a.m., particulièrement lorsqu’il s’agit de soins de santé reproductive, incluant l’IVG? Pour en revenir à la formulation qu’emploie l’arrêt Law, en omettant de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle se trouvent encore les femmes dans la société canadienne, l’art. 10 al. 4 L.a.m. ne se trouverait-il pas à créer une différence de traitement réelle entre elles « et d’autres personnes »[91] (ici les hommes) en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, en l’occurrence leur sexe (sur-désavantage qui pourrait même être exacerbé lorsque les femmes appartiennent également à d’autres groupes que protège l’art. 15 de la Charte canadienne, par un effet d’intersection)?
  5.            Or, si l’appelante l’affirme, elle ne le démontre pas. La preuve ne comporte en effet aucun élément permettant de comparer concrètement l’« effet réel de la mesure législative »[92] sur les femmes et sur les hommes (le seul motif de discrimination invoqué étant le sexe) et la manière dont les unes et les autres sont touchés par cette disposition. Certainement, l’art. 10 al. 4 L.a.m. peut avoir un impact différent sur les personnes assurées, mais rien dans la preuve n’établit que cet impact serait de quelque façon lié au sexe ou varierait selon le sexe.
  6.            Rappelons ici que, depuis l’origine, la mise sur pied du régime public de santé canadien et québécois et l’organisation du système de santé avaient et ont toujours pour objet et objectif d’offrir à la population un accès aussi vaste et continu que possible à des soins de qualité, sans obstacle financier ou autre et sans différence selon les catégories socioéconomiques ou les caractéristiques personnelles des individus, ce qui est essentiel au bien-être de chaque personne et au développement optimal de la société ellemême[93]. Dans ce contexte, on pourrait donc considérer que la limite imposée par l’art. 10 al. 4 L.a.m. est intrinsèquement désavantageuse[94] et qu’elle heurte le principe d’accès égal et universel en imposant un fardeau financier potentiel à toutes les personnes assurées appelées à recevoir des services médicaux hors Québec. Les personnes ayant peu de moyens en seront particulièrement affectées (tout comme elles l’étaient avant la mise sur pied du régime public de santé), ce qui peut effectivement entraver leur accès aux soins de santé et, ultimement, leur intégration à la société ou au marché du travail, et ce, quel que soit le groupe, protégé ou non, auquel elles appartiennent. Ce sont vraisemblablement ces personnes que l’art. 10 al. 4 L.a.m. affecte de manière disproportionnée, la faiblesse ou l’insuffisance des moyens financiers étant une sorte de caractéristique transversale, qui fédère nombre d’individus à travers tous les groupes.
  7.            De fait, cette limite est désavantageuse pour toutes les personnes assurées recevant des services médicaux hors Québec et elle n’est pas moins désavantageuse lorsqu’elle vise d’autres groupes que les femmes (pour les soins de grossesse), y compris des groupes protégés. Pensons par exemple aux personnes en situation de handicap (que celui-ci soit physique ou mental). L’art. 10 al. 4 L.a.m. affecte tout autant l’accès aux soins spécifiques à leur condition qui leur seraient prodigués hors Québec et, potentiellement, avec les mêmes effets exactement. On peut penser aussi à certains groupes ethniques, souvent défavorisés par ailleurs, y compris en termes d’accès aux soins de santé, lesquels sont pourtant essentiels à leur intégration socioéconomique, ellemême semée, déjà, d’autres embûches. On peut considérer aussi la situation des personnes âgées ou, à l’inverse, celle des enfants. Dans tous ces cas, les difficultés d’accès à certains services médicaux, au premier rang desquelles les coûts, peuvent avoir le même genre de répercussions, augmenter l’incapacité d’une personne ou générer une telle incapacité, nuire de façon générale à sa trajectoire ou à son intégration socioéconomique ou amoindrir ses chances de développement.
  8.            À vrai dire, même les personnes ne faisant pas partie d’un groupe protégé sont désavantagées par la limite que fixe l’art. 10 al. 4 L.a.m., et elles le sont particulièrement lorsqu’il s’agit de personnes moins bien nanties. Il suffit d’évoquer ici l’exemple d’une personne qui subit un AVC ou un grave accident dans un pays (les ÉtatsUnis viennent immédiatement à l’esprit) avec lequel le Québec n’a pas d’entente de réciprocité en matière de services médicaux et hospitaliers et où les coûts de ceux-ci sont très élevés : en vertu de l’art. 10 al. 4 L.a.m., le remboursement (ou le paiement) du coût des services reçus dans ce pays ne serait que très partiel, avec toutes les conséquences qu'on imagine aisément. On pourrait bien sûr être tenté de rétorquer que les personnes qui sortent des frontières québécoises n'ont qu’à se doter d’assurances privées, mais cellesci ne sont pas accessibles à toutes les bourses (et l’appelante en est l’exemple)[95]. De ce point de vue, encore une fois, l’art. 10 al. 4 L.a.m., en limitant le remboursement ou le paiement des coûts de santé, peut avoir sur ces personnes moins nanties le même effet préjudiciable. C’est une limite qui peut même être ruineuse dans certains cas[96] et qui, dans la mesure où elle empêcherait l’obtention d’un service médical nécessaire, pourrait mettre en péril la vie, l’autonomie, la dignité et l’avenir même des personnes en question (incluant les femmes, il va sans dire)[97].
  9.            Signalons d’ailleurs que, dans sa demande amendée de pourvoi en contrôle judiciaire, l’appelante alléguait justement que la restriction prévue par l’art. 10 al. 4 L.a.m. « may force affected persons to decide between paying for necessary medical treatment that might be financially ruinous, or not paying and not receiving that treatment and suffering the health consequences that result »[98]. L’avis amendé qu’elle adresse au procureur général du Québec en vertu de l’art. 76 C.p.c. contient également ceci :

4. Second, an application of s. 10 of the Act can actually have the effect of impeding individuals from accessing crucial health services. Some Quebec residents who find themselves having to seek health care in a different province might not be able to afford paying for health services out of pocket, particularly if they are not guaranteed a full reimbursement of the fees they incur. As a result of s. 10, these individuals might be forced to forego necessary treatment and suffering the health consequences of doing so. […][99]

  1.            Il est vrai que ces affirmations, qui sont difficilement contestables, ont été faites au soutien du moyen relatif à l’art. 7 de la Charte canadienne, que défendait encore l’appelante en première instance, mais qu’elle a abandonné dans le cadre du présent appel. Il reste que l’impact qu’elle décrit est bel et bien celui qu’est susceptible d’avoir l’art. 10 al. 4 L.a.m. sur toute personne assurée (au sens de la L.a.m.) n’ayant pas la capacité (ou ayant des capacités moindres) de payer le coût des services médicaux dont elle a besoin alors qu’elle séjourne hors Québec. Ce faisant, l’appelante met le doigt sur le problème premier que soulève l’art. 10 al. 4 L.a.m., problème qui affecte cependant toutes les personnes assurées ayant besoin de soins de santé hors Québec, et non seulement les femmes pour leurs soins de grossesse.
  2.            Le débat entre les parties n’a toutefois pas porté sur la question de savoir si l’art. 10 al. 4 L.a.m. pouvait créer une distinction potentiellement discriminatoire sur la base de la condition, du statut, de la classe sociale[100] ou des moyens financiers. C’est une question que je n’examinerai donc pas. Pour le reste, et je me permets de le redire, la preuve ne révèle pas que les femmes sont, dans le cas des soins de grossesse (incluant l’IVG), plus défavorisées que toute autre personne par l’art. 10 al. 4 L.a.m.
  3.            En fait, au nom de la discrimination générale dont les femmes sont encore l’objet dans notre société, l'appelante, ici, recherche un avantage – celui du remboursement ou du paiement intégral et sans limite du coût de services médicaux reçus hors Québec – que la loi ne reconnaît à personne. Or, comme le rappelle clairement l’arrêt Auton (dont l’enseignement est repris dans Sharma), la question de savoir si l’avantage recherché est prévu par la loi est un élément essentiel de l’analyse requise par le paragr. 15(1) de la Charte canadienne :

28 Le rôle précis du par. 15(1) dans la poursuite de cet objectif est de veiller à ce que le gouvernement qui décide d’accorder un avantage ou d’imposer une obligation le fasse de façon non discriminatoire. La demande fondée sur le par. 15(1) ne peut donc viser qu’un avantage ou une obligation prévus par la loi. […]

[…]

29 La plupart des demandes fondées sur le par. 15(1) portent sur un avantage ou une obligation clairement prévu [sic] par la loi. Conséquemment, l’exigence que l’avantage ou l’obligation en cause découle de la loi n’a guère été commentée. Néanmoins, le libellé de la disposition et la jurisprudence commandent le respect de cette exigence pour qu’un tribunal puisse faire droit à une demande fondée sur le par. 15(1).

[…]

38 Plaidant en faveur d’une égalité d’accès aux services médicaux, les requérants ont invoqué l’arrêt Eldridge, où notre Cour a statué que la province était tenue de fournir des services d’interprétation gestuelle aux personnes atteintes de surdité afin qu’elles jouissent de l’égalité d’accès aux services essentiels qu’offrait à tous le régime de soins de santé de la ColombieBritannique. Notre Cour en a décidé ainsi parce que les avantages en cause — consultation d’un médecin et soins obstétriques — étaient prévus par la loi. Or, en ne fournissant pas de services d’interprétation aux personnes atteintes de surdité, la province privait dans les faits un groupe de personnes handicapées d’un avantage accordé par la loi. L’arrêt Eldridge porte sur l’inégalité d’accès à un avantage prévu par la loi et sur l’application non discriminatoire d’une loi conférant un avantage. Dans la présente affaire, c’est l’accès à un avantage non conféré par la loi qui est recherché. L’arrêt Eldridge n’étaye donc pas la thèse des requérants.[101]

[Je souligne, à l’exception du mot « l’ application » dans le paragr. 38 ci-dessus, qui est souligné dans l’original]

  1.            Dans Auton, l’on réclamait en faveur des enfants en situation d’autisme la reconnaissance d’une certaine thérapie, non offerte jusque-là dans le réseau public de santé et dont les coûts seraient, pour éviter toute discrimination, entièrement assumés par l’État dans le cadre du régime d’assurance maladie. Or, selon la Cour suprême, « peu importe l’angle sous lequel on le considère, l’avantage recherché n’est pas prévu par la loi »[102] et l’analyse pouvait donc s’arrêter là. Par ailleurs, cet avantage n’était offert à aucune autre personne appartenant à un groupe comparable[103]. La situation de l’espèce est similaire : l’avantage recherché par l’appelante n’est pas prévu par la loi. En effet, le remboursement (ou le paiement) illimité du coût des services médicaux reçus hors Québec ne fait pas partie des avantages offerts à quiconque par le régime d’assurance maladie du Québec et celui-ci n’accorde dans tous les cas qu’un remboursement ou un paiement comportant une limite.
  2.            Dans un autre ordre d’idées, il faut souligner que la preuve n’a pas non plus été faite en l’espèce que les femmes recevant hors Québec des services médicaux liés à la grossesse obtiennent, en vertu des art. 10 ou 11 L.a.m., un remboursement ou un paiement moins élevé que les hommes ou que les autres personnes assurées ayant reçu des soins d’une autre nature. On aurait pu se questionner sur l’existence d’une distinction si, par exemple, il avait été établi que les femmes enceintes, et je prends ici un chiffre aléatoire, ne recouvrent jamais plus que 50 % des coûts qu’elles réclament alors que les hommes (pour les services médicaux spécifiques à leur genre ou non), les personnes appartenant à un autre groupe protégé ou les personnes assurées en général recouvrent de leur côté, toujours par hypothèse, des sommes qui, tout en respectant la limite de l’art. 10 al. 4 L.a.m., atteignent 75 % des coûts qu’elles ont assumés hors Québec. Peutêtre le problème aurait-il été alors lié non seulement à l’art. 10 al. 4 L.a.m., mais aussi à l’insuffisance ou à la parcimonie du barème établi par la Régie pour les services de santé reproductive reçus au Québec. La preuve, cependant, ne contient rien de tel : elle n’aborde pas ce scénario (qui n’a d’ailleurs pas été évoqué par les parties) et nous ignorons tout des barèmes employés par la Régie, qui n’ont eux-mêmes pas été contestés.
  3.            En somme, les art. 10 et 11 L.a.m. confèrent aux personnes assurées en vertu de cette loi un même avantage doublé d’un même désavantage : toute personne assurée recevant hors Québec des services médicaux assurés au sens de la L.a.m. aura droit au remboursement ou au paiement des frais qu’elle aura assumés, mais jusqu’à concurrence de la limite fixée par l’art. 10 al. 4 L.a.m., limite qui s’applique dans tous les cas, peu importe que le service soit spécifique ou non au sexe, au genre ou à une autre caractéristique. Au sens de l’art. 15 de la Charte canadienne, et pour reprendre l’arrêt Sharma, l’art. 10 al. 4 L.a.m. ne crée donc pas, « à première vue ou de par son effet »[104], une distinction fondée sur le sexe, seul motif invoqué par l’appelante, ou sur un motif énuméré ou un motif analogue reconnu. Au contraire, aussi restrictif soit-il, et pour reprendre cette fois les termes du paragr. 15(1) lui-même, il « ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi », protection et bénéfice en l’occurrence intrinsèquement restreints.
  4.            Tout cela étant considéré, la proposition de l’appelante ne peut donc convaincre, aucune démonstration n’ayant été faite que les femmes sont victimes, sur la base de leur sexe, d’une distinction en se voyant refuser un avantage octroyé à d’autres (les hommes au premier chef) ou en devant supporter un fardeau plus lourd.
  5.            Enfin, on ne peut retenir l’argument avancé par l’appelante selon lequel le seul fait que le coût des services médicaux liés à la grossesse soit assujetti à une limite de remboursement ou de paiement, lorsque ces services ont été reçus hors Québec, établirait forcément une distinction désavantageuse fondée sur le sexe, et forcément disproportionnée puisque seules les femmes sont susceptibles de recevoir de tels services[105]. En effet, on notera qu’il est également des soins qui sont spécifiquement masculins (vasectomie, traitement du cancer de la prostate ou des testicules, par exemple) et auxquels sont liés des services médicaux que seuls reçoivent les hommes : faudrait-il pour autant conclure que la limite imposée par l’art. 10 al. 4 L.a.m. engendre, quant à ces services, une distinction, également fondée sur le sexe, ayant un effet désavantageux et disproportionné, mais cette fois sur les hommes? Poser la question, et je le dis respectueusement, c’est y répondre.
  6.       De même, pourquoi cibler uniquement les services rattachés à la grossesse? Certaines affections (on peut penser au cancer du sein ou à l’ostéoporose) touchent les femmes de manière beaucoup plus fréquente. En outre, que faire des conditions médicales auxquelles certaines minorités ethniques sont particulièrement exposées? Comment traiter les personnes vivant avec une déficience physique ou mentale?
  7.       En fait, s’il fallait sur ce point suivre l’argument de l’appelante, on devrait conclure que tous les groupes protégés par l’art. 15 de la Charte canadienne, et qui sont protégés précisément parce qu’il s’agit de groupes traditionnellement défavorisés ou marginalisés et sujets à discrimination, subissent un désavantage du fait de l’art. 10 al. 4 L.a.m., qui, en imposant une limite au remboursement ou au paiement des coûts engagés hors Québec, accentue leur précarité et affecte leur intégration socioéconomique en nuisant à leur accès aux soins de santé. Finalement, seuls les hommes ne faisant partie d’aucun groupe protégé seraient assujettis à la limite fixée par l’art. 10 al. 4 L.a.m.
  8.       L’argument ne peut tenir et ne permet pas de conclure à l’existence d’une distinction fondée sur un motif prohibé, en l’occurrence le sexe. Cet argument, qui infère le désavantage du motif de distinction prohibé, aurait plutôt pour effet de donner à toute personne appartenant à un groupe protégé par l’art. 15 un avantage (celui d’un remboursement intégral du coût des services médicaux hors Québec) qui ne serait pas octroyé aux autres personnes assurées en vertu de la L.a.m. À mon avis, l’on ne peut pas raisonner ainsi, du moins dans le cadre du présent dossier.
  9.       On pourrait souhaiter, peut-être, que le régime de remboursement ou de paiement prévu par les art. 10 et 11 L.a.m. dans le cas des services médicaux prodigués hors Québec soit plus généreux (en particulier lorsque les services sont reçus ailleurs au Canada[106]). Cela, cependant, ne change pas le fait que la disposition législative contestée ne crée pas de distinction, que ce soit directement ou par effet préjudiciable, entre les membres d’un groupe protégé, en l’occurrence les femmes, aux fins des soins reliés à leur santé reproductive (incluant l’IVG), et les membres de tout autre groupe de comparaison, quelle qu’en soit la composition (hommes, personnes membres d’un autre groupe protégé, population en général).
  10.       Évidemment, les choses seraient bien différentes si les soins de grossesse en général et l’IVG en particulier étaient exclus des services assurés par la L.a.m. ou s’ils étaient complètement ou partiellement exclus du régime de remboursement ou de paiement prévu par les art. 10 et 11 L.a.m. ou encore si l’on prévoyait pour ce type de services un remboursement ou un paiement d’un niveau inférieur à celui auquel auraient droit d’autres personnes assurées, au premier rang desquelles les hommes (s'agissant d'une allégation de discrimination fondée sur le sexe), ou si, s’agissant d’IVG, on subordonnait le remboursement/paiement à la condition qu’elle soit dispensée dans un centre hospitalier public seulement ou avant une certaine date ou moyennant une autorisation préalable de la Régie ou autre condition non imposée aux autres personnes assurées. Mais ce n’est pas le cas.
  11.       Par conséquent, et comme l’avait déjà, à bon droit, conclu le TAQ dans sa décision du 4 mars 2020, la démonstration de l’appelante ne franchit pas le seuil de la première étape du test à deux volets présidant à l’application de l’art. 15 de la Charte canadienne : ayant fait abstraction de l’exercice comparatif qui s’impose, elle n’a pas établi l’existence d’une différence de traitement liée au sexe. L’art. 10 al. 4 L.a.m. ne formule pas de telle distinction, qui ne peut pas non plus s’inférer ou résulter d’un effet préjudiciable. Comme l’écrit le TAQ, « [l]e droit à l’égalité ne protège pas contre une mesure qui affecte un groupe, lorsqu’il affecte de manière générale tous les groupes »[107] et, peut-on ajouter, lorsqu’il affecte tous les groupes de la même façon. L’appel doit donc être rejeté sans qu’il soit nécessaire de passer à la seconde étape.

* *

  1.       Je me permettrai toutefois quelques observations additionnelles.
  2.       Comme on le sait – car il s’agit-là d’un fait notoire – le maintien du système public de santé est une des missions principales de l’État québécois[108], système qu’établissent à la fois la L.a.m., la Loi sur les services de santé et les services sociaux, la Loi sur l’assurance-hospitalisation ainsi que, plus récemment, la Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace[109], le tout dans le respect des paramètres établis par la Loi canadienne sur la santé. Inutile de dire qu’il s’agit, à tous égards, d’un système particulièrement complexe et très finement calibré. Les questions de la détermination des services assurés, de l’accès à ceux-ci et de leur financement sont inextricablement liées à la structure même du système, qui compte sur une variété d’acteurs institutionnels, collectifs ou individuels, et de parties prenantes, ainsi qu’aux capacités et aux ressources de l’État québécois (avec l’apport de la contribution fédérale prévue par la Loi canadienne sur la santé). C’est donc avec prudence que les tribunaux s’aventureront sur le terrain de la gestion ou de l’orientation économique du système, toute incursion se faisant au risque d’usurper le rôle du législateur et celui de l’exécutif (on rappellera ici la mise en garde de la juge Karakatsanis dans Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario[110]), de dénaturer le régime ou d’attenter à son intégrité.
  3.       Cette prudence ne signifie bien sûr pas que les tribunaux ne puissent jamais intervenir en la matière et, comme l’écrivent la juge en chef McLachlin et le juge Major dans Chaoulli :

104 La Charte ne confère aucun droit constitutionnel distinct à des soins de santé. Cependant, lorsque le gouvernement établit un régime de soins de santé, ce régime doit respecter la Charte. […][111]

  1.       Mais cela, qui est irréfutable, ne signifie pas que les tribunaux soient bien outillés pour régler les difficultés du système de santé et, sauf exception dont les arrêts Chaoulli et Eldridge[112] sont des exemples, il n’entre ordinairement pas dans leurs attributs de le remodeler. C’est d’ailleurs ce qui ressort de l’arrêt de la Cour suprême dans l’arrêt Auton[113], affaire qui présente une similarité avec le présent dossier, puisqu’il y est question, comme ici, d’un avantage qui n'était pas reconnu à un groupe protégé en matière de santé (à savoir un traitement pouvant être prodigué aux enfants en situation d’autisme et qui n’était pas couvert par le régime de santé public de la province). La Cour suprême n’y a pas vu un manquement à l’art. 15 de la Charte canadienne et n’est pas intervenue[114].
  2.       Enfin, et le juge en chef Wagner le rappelle explicitement dans R. c. C.P., l’analyse à laquelle on doit se livrer aux fins de l’art. 15 de la Charte canadienne est centrée sur « l’effet réel de la disposition à la lumière de tout son contexte »[115] [je souligne]. Le juge en chef rappelle aussi le danger qui consiste à « sélectionner artificiellement certains éléments particuliers d’un régime législatif à multiples facettes »[116] pour conclure à discrimination : c’est l’ensemble qu’il faut examiner. En application de ces enseignements, l’art. 10 al. 4 L.a.m. ne peut être examiné seul et de façon isolée, comme le voudrait ici l’appelante, il doit l’être dans le contexte législatif général qui est le sien, à la lumière des caractéristiques de l’ensemble du régime. En effet, « [l’]effet d’amélioration [de la mesure législative] sur la situation des autres participants et la multiplicité des intérêts qu’elle tente de concilier joueront également dans l’analyse du caractère discriminatoire »[117].
  3.       Or, comme indiqué plus tôt, le régime mis sur pied par le législateur québécois a pour objet de garantir à toutes les personnes qui résident ou séjournent dans la province et qui sont inscrites auprès de la Régie un accès gratuit et universel aux soins de santé, sans égard aux caractéristiques des individus et, notamment, à leur capacité de payer : c’est un accès égal que l’on veut assurer, en éliminant « les barrières financières à l'accès à ces services »[118], incluant, bien sûr, les services médicaux. Les services ainsi offerts aux personnes assurées (services qui sont prévus par la loi et par les règlements) sont en principe dispensés sur le territoire québécois[119], ce qui relève de l’ordre des choses, puisque, inutile de le rappeler, l’État québécois ne contrôle pas ce qui se passe outre ses frontières.
  4.       Ce dernier point n’est pas sans importance. Si la limite prévue par l’art. 10 al. 4 L.a.m. n’existait pas, toute personne assurée par la L.a.m. et soignée hors Québec aurait droit, en vertu de l’art. 10 al. 1, au remboursement ou au paiement intégral du coût des services médicaux ainsi reçus, qu’ils aient été prévus ou imprévus (ce qui neutraliserait accessoirement l’art. 10 al. 5 L.a.m., qui deviendrait inutile). Cela pourrait même encourager les personnes assurées à se faire soigner hors Québec, que ce soit ailleurs au Canada ou dans un autre pays. C’est vraisemblablement pourquoi, dès l’origine, le législateur, tout en élargissant la couverture territoriale de l’assurance maladie (comme l’envisageait déjà l’al. 4(1)d) de la Loi [fédérale] sur les soins médicaux[120]), a choisi d’imposer une limite au remboursement des frais médicaux encourus hors Québec. Le principe consacré dans les art. 10 et 11 L.a.m. existe en effet depuis la mise en place originale du régime public de santé. Il se trouvait alors énoncé par les art. 9 et 10 de la loi d’alors[121] et incluait déjà la restriction que consacre l’actuelle L.a.m. :

9. Une personne qui réside au Québec a droit d'exiger de la Régie le remboursement du coût des services assurés qui lui ont été fournis en dehors du Québec par un professionnel de la santé pourvu qu'elle remette à la Régie les reçus d'honoraires qu'elle a payés et qu'elle lui fournisse les renseignements dont la Régie a besoin pour justifier le paiement réclamé.

9. A resident of the province of Québec shall be entitled to exact from the Board the reimbursement of the cost of the insured services furnished to him outside the province of Québec by a professional provided that such resident delivers to the Board the receipts for the fees paid by him, and furnished it with the information the Board needs to justify the payment claimed.

 Elle n'a toutefois droit d'exiger que le moindre du montant qu'elle a effectivement payé pour ces services ou de celui qui aurait été payé par le Régie pour de tels services à un professionnel de la santé du Québec en vertu d'une entente.

 However, he shall only be entitled to exact the lesser of the amount he actually paid for such services or that which would have been paid by the Board for such services to a professional of the province of Québec under an agreement.

10. La Régie peut aussi assumer elle-même, pour le compte d'une personne qui réside au Québec, le paiement du coût des services visés à l'article 9, sur présentation d'un relevé d'honoraires et après avoir obtenu les renseignements dont elle a besoin pour justifier le paiement réclamé.

10. The Board itself may also assume, on behalf of any resident of the province of Québec, payment of the cost of the services contemplated in section 9 upon presentation of a statement of fees and after having obtained the information it needs to justify the payment claimed.

 Elle ne peut toutefois payer ainsi un montant supérieur à celui qu'elle aurait payé sur présentation d'un reçu d'honoraires en vertu de l'article 9.

 Nevertheless, it shall not so pay an amount higher than that which it would have paid upon presentation of a receipt for fees under section 9.

 

[Je souligne]

  1.       Dans tous les cas, la perspective d’un remboursement ou d’un paiement sans limite est difficilement envisageable, les ressources de l’État québécois (tout comme celles des contribuables) n’étant pas infinies et le contrôle des coûts – de tous les coûts – étant, cela va de soi, essentiel à la préservation de l’intégrité du système d’assurance maladie et au maintien de ses objectifs. Le quatrième alinéa de l’art. 10 L.a.m., tout autant que le premier, est en phase avec ces objectifs et procède d’une affectation rationnelle des ressources dans le contexte d’une politique d’intérêt public conçue au bénéfice du plus grand nombre et dont il faut assurer la pérennité.
  2.       Notons d’ailleurs que les autres provinces et territoires canadiens imposent aussi une limite au remboursement ou au paiement du coût des services médicaux dispensés hors leurs frontières, limite qui varie selon que les services sont dispensés au Canada ou hors Canada[122], mais qui fait partie intrinsèque de tous les régimes provinciaux et territoriaux, quoiqu’elle ne soit pas partout la même. Bien qu’elle ne soit pas déterminante, la comparaison est néanmoins utile et révélatrice.
  3.       Ainsi, à moins d’arrangements interjuridictionnels, en Alberta[123], au Manitoba[124], au Nouveau-Brunswick[125], au Nunavut[126], à TerreNeuve-et-Labrador[127] et dans les Territoires du Nord-Ouest[128], le remboursement du coût des services médicaux reçus au Canada ne peut en principe excéder un montant calculé en fonction des tarifs prévus par le régime public de la province ou du territoire où ils ont été dispensés (ce qui semble correspondre au texte du sous-al. 11(1)b)(i) de la Loi canadienne sur la santé).
  4.       Par contraste, et sous réserve des accords interjuridictionnels négociés par leurs gouvernements, l’ÎleduPrinceÉdouard[129], l’Ontario[130], la Saskatchewan[131] et le Yukon[132] remboursent ou paient les services médicaux obtenus hors leurs frontières selon leurs propres barèmes (comme le fait le Québec).
  5.       De son côté, à moins d’un accord interprovincial ou autre, la NouvelleÉcosse rembourse ou paie le coût des services médicaux reçus hors la province à hauteur d’un montant raisonnable déterminé par le ministre, qui peut fixer un maximum[133]. Il semble en aller de même en Colombie-Britannique où, en l’absence d’un accord de réciprocité, l’instance compétente déterminera le montant à rembourser[134].
  6.       Enfin, certaines provinces restreignent le remboursement aux cas d’urgence ou aux circonstances inattendues[135].
  7.       Dans le cas des services hors Canada, presque toutes les provinces et territoires imposent une limite analogue à celle de l’art. 10 al. 4 L.a.m.[136], avec, ici et là, quelques exceptions ou ajustements. Ainsi, la Colombie-Britannique rembourse un montant raisonnable (avec la réserve déjà énoncée)[137]. La Nouvelle-Écosse ne rembourse pas le coût des services médicaux reçus en dehors du Canada, sauf lorsqu’ils ont été préapprouvés (dans des circonstances et selon des conditions très précises que prévoit la loi)[138].
  8.       Il ressort de ce contexte que la limite qu’impose le législateur québécois au remboursement/paiement du coût des soins de santé prodigués hors Québec à une personne assurée au Québec n’est pas arbitraire; elle n’est pas non plus fondée sur un stéréotype ou sur un préjugé. C’est une limite qui tient à la nature même du régime de santé mis en place par la province et qui permet de concilier la variété des besoins, intérêts, exigences et contraintes (y compris financières) propres à un système de santé public, au bénéfice d’un maximum de personnes[139]. Elle ne crée pas plus de distinction (ici fondée sur le sexe) qu’elle n’en aurait créé si le législateur avait plutôt décidé de ne pas rembourser les frais médicaux encourus hors province.
  9.       On peut regretter que le Québec n’ait pas, en matière de services médicaux, conclu des accords de réciprocité avec les provinces et territoires du Canada, comme il l’a fait en matière de soins hospitaliers. Cette décision relève toutefois de l’opportunité politique et ne rend pas l’art. 10 al. 4 L.a.m. discriminatoire pour autant, aucune distinction contraire à l’art. 15 de la Charte canadienne n’en résultant (distinction qui serait en l’occurrence fondée sur le sexe)[140].

* *


  1.       Pour toutes ces raisons, j’estime qu’il y a lieu de rejeter l’appel, avec frais de justice.

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 


[1]  RLRQ, c. A-29 [« L.a.m. »].

[2]  On peut ainsi rattacher également aux soins de santé reproductive ce qui concerne les soins postpartum, la prévention et le traitement de maladies ou anomalies du système reproducteur, et autres.

[3]  Selon la première décision de la Régie, certaines des réclamations de l’appelante ne sont par ailleurs pas couvertes par la L.a.m. Voir pièce P-4, Statement of payments and reimbursement (10 février 2017).

[4]  Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.U.), 1982, ch. 11 [« Charte canadienne »].

[5]  RLRQ, c. C-12 [« Charte québécoise »].

[6]  A.P. c. Régie de l’assurance maladie du Québec, 2020 QCTAQ 02730.

[7]  A.P. c. Attorney General of Quebec, 2022 QCCS 2875.

[8]  Quoique le juge de première instance ne mentionne pas l’art. 10 de la Charte québécoise, il est sousentendu que son raisonnement s’y applique.

[9]  2014 CF 651.

[10]  A.P. c. Attorney General of Quebec, 2022 QCCA 1502.

[11]  2024 QCCA 144 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême accueillie, 3 octobre 2024, n° 41210) [« Kanyinda »].

[12]  Déclaration d’appel, paragr. 16, et demande de permission d’appeler, paragr. 18 : « The Judge rejected arguments based on s. 7 of the Canadian Charter and ss. 1 and 10 of the Quebec Charter, which are not the subject of the present appeal » [je souligne].

[13]  Lors de l’audience, l’un des avocat·e·s de l’appelante a bien précisé que la déclaration d’invalidité recherchée ne visait que les soins liés à la grossesse, incluant l’IVG.

[14]  L’art. 1 paragr. g.1) L.a.m. définit la « personne assurée » comme « une personne qui réside ou qui séjourne au Québec et qui est dûment inscrite à la Régie / a resident or temporary resident of Québec who is duly registered with the Board ». Cette définition est précisée par les art. 5-8 L.a.m. Aucune de ces dispositions n’est contestée dans le cadre du présent recours et elles n’y ont pas même été mentionnées.

[15]  R. c. Sharma, 2022 CSC 39 [« Sharma »].

[16]  Exposé de l’intimé, argumentation, paragr. 13. Voir également le paragr. 36.

[17]  Argumentation supplémentaire de l’intimé, p. 3.

[18]  Ibid.

[19]  Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, 2024 CSC 13, paragr. 95 (motifs concordants de la j. Côté, passage auquel souscrit le j. Jamal, au paragr. 45 de ses motifs majoritaires).

[20]  Id., paragr. 97 (motifs concordants de la j. Côté, passage auquel souscrit le j. Jamal, au paragr. 45 de ses motifs majoritaires). De façon générale, on verra les paragr. 92-97 de cet arrêt.

 Sur ces normes et leur portée respective, voir également : Conseil scolaire de district de la région de York c. Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, 2024 CSC 22, paragr. 63-71 (motifs majoritaires du j. Rowe); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, paragr. 17 et 55-57 (motifs majoritaires du j. en chef Wagner et des j. Moldaver, Gascon, Côté, Brown, Rowe et Martin).

[21]  Organisation mondiale sikhe du Canada c. Procureur général du Québec, 2024 QCCA 254, paragr. 456 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême, n° 41231).

[22]  Ibid.

[23]  Préc., note 15.

[24]  La juge Karakatsanis, dans sa dissidence, reprend le même test à deux volets : Sharma, préc., note 15, paragr. 188. C’est également le test que reprennent les juges Kasirer et Jamal, au nom de la majorité, dans Dickson c. Vuntut Gwitchin First Nation, 2024 CSC 10, paragr. 188, à l’instar des juges Martin et O’Bonsawin, dissidentes, mais pas sur ce point (id., paragr. 347). Notre cour a repris ce test dans l’arrêt Kanyinda, préc., note 11, paragr. 82.

[25]  [1999] 3 R.C.S. 3 [« BCGSEU »].

[26]  Id., paragr. 48.

[27]  CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114, p. 1137 (sous la plume unanime du j. en chef Dickson). Cette affaire porte sur la Loi canadienne des droits de la personne (à l’époque S.C. 1976-77, ch. 33), mais la définition de la discrimination indirecte n’est pas différente de celle qui s’impose aux fins de la Charte canadienne.

[28]  Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, p. 164 [« Andrews »].

[29]  Hodge c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CSC 65, paragr. 1. Voir également le paragr. 17 du même arrêt.

[30]  Andrews, préc., note 28, p. 165.

[31]  Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, paragr. 58 [« Eldridge »].

[32]  Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12 [« Withler »]. Cet arrêt explique aussi les risques liés à l’exercice comparatif (alors qu’il faut tendre à l’égalité réelle et non pas à l’égalité formelle), notamment dans le choix du groupe de comparaison.

[33]  Préc., note 15.

[34]  L’arrêt Kanyinda, préc., note 11, reprend également cet enseignement, citant intégralement le paragr. 41 de Sharma.

[35]  Sharma, préc., note 15, paragr. 53.

[36]  2021 CSC 19.

[37]  Sharma, préc., note 15, paragr. 56.

[38]  Préc., note 32.

[39]  Sharma, préc., note 15, paragr. 57 [soulignement original].

[40]  Id., paragr. 59.

[41]  Dans sa dissidence, la juge Karakatsanis semble indiquer que cette obligation positive de l’État ne saurait être exclue d’emblée (Sharma, préc., note 15, paragr. 205).

[42]  Sharma, préc., note 15, paragr. 64 (italique original).

[43]  McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, p. 317, passage cité dans Sharma, préc., note 15, paragr. 65 (motifs majoritaires des j. Brown et Rowe).

[44]  Sharma, préc., note 15, paragr. 55, point b) (motifs majoritaires des juges Brown et Rowe).

[45]  Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, paragr. 78-79 [« Law »]. Voir aussi : Julien Fournier, « Tracer la frontière entre la preuve du contexte législatif et social et la plaidoirie : proposition d’un cadre d’analyse pour l’application de la prohibition de l’expertise sur le droit dans le contentieux constitutionnel », (2021) 51 R.G.D. 279–315.

[46]  Applicant’s First Application for Review, dated July 19, 2017, pièce P-5, p. 3/8.

[47]  Les art. 23.1 et 23.2 du Règlement d’application de la Loi sur l’assurance maladie, RLRQ, c. A-29, r. 5, prévoient ainsi que, moyennant certaines formalités, les coûts d’un service assuré requis, mais non disponible au Québec peuvent être assumés ou remboursés pleinement par la Régie.

[48]  Il faut le préciser, car la L.a.m. ne vise pas certains types de soins de santé assurés par des professionnels de la santé autres que les médecins.

[49]  RLRQ, c. A-29.01.

[50]  Les art. 7 et 8 de la Loi sur l’assurance médicaments énoncent que :

7.  Le régime général garantit à toute personne admissible, dans la mesure prévue par la présente loi, le paiement du coût de services pharmaceutiques et de médicaments qui lui sont fournis au Québec, sans égard au risque relié à son état de santé.

7.  The basic plan provides coverage to every eligible person for the cost of pharmaceutical services and medications provided in Québec, to the extent provided for in this Act, regardless of the risk associated with that person’s state of health.

8.  Les garanties du régime général couvrent, dans la mesure prévue par la présente loi, les services pharmaceutiques déterminés par règlement du gouvernement en vertu du paragraphe 1.2° du premier alinéa de l’article 78, ainsi que les médicaments inscrits à la liste des médicaments dressée par règlement du ministre en vertu de l’article 60, fournis au Québec par un pharmacien sur ordonnance d’un médecin, d’un résident en médecine, d’un dentiste, d’une sage-femme ou d’un autre professionnel habilité par la loi ou par un règlement pris en application du paragraphe b du premier alinéa de l’article 19 de la Loi médicale (chapitre M-9). […]

8.  Coverage under the basic plan includes, to the extent provided for by this Act, the pharmaceutical services determined by government regulation under subparagraph 1.2 of the first paragraph of section 78 and the medications entered on the list of medications drawn up by the Minister in a regulation made under section 60, when provided in Québec by a pharmacist on the prescription of a physician, a medical resident, a dentist, a midwife or another professional authorized by law or a regulation under subparagraph b of the first paragraph of section 19 of the Medical Act (chapter M-9). […]

     La même couverture s’applique dans le cas où une personne obtient des médicaments dans une pharmacie à l’extérieur du Québec d’une personne légalement autorisée à y exercer la profession de pharmacien et avec qui la Régie a conclu une entente particulière à cette fin, lorsque la pharmacie est située dans une région limitrophe au Québec et que, dans un rayon de 32 kilomètres de cette pharmacie, aucune pharmacie au Québec ne dessert la population.

     The same coverage applies when a person obtains medications in a pharmacy outside Québec from a person legally authorized to practise as a pharmacist in the place concerned and with whom the Board has entered into an individual agreement for that purpose, if the pharmacy is situated in a region bordering on Québec and if no pharmacy situated in Québec within a radius of 32 kilometres of that pharmacy provides services to the public.

      Les garanties couvrent également, dans les cas, aux conditions et pour les catégories de personnes déterminés par règlement du gouvernement, les médicaments indiqués par ce règlement qui sont fournis dans le cadre des activités d’un établissement au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou de la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5) ou, le cas échéant, d’un établissement reconnu à cette fin par le ministre et situé à l’extérieur du Québec dans une région limitrophe.

      In addition, coverage includes, in the cases and on the conditions and for the classes of persons determined by government regulation, the medications specified in the regulation that are provided as part of the services provided by an institution within the meaning of the Act respecting health services and social services (chapter S-4.2) or the Act respecting health services and social services for Cree Native persons (chapter S-5) or any other institution recognized for that purpose by the Minister that is situated outside Québec in a region bordering on Québec.

[…]

[…]

[Passage ombragé non en vigueur; je souligne]

 On notera que la portion non en vigueur du troisième alinéa de l’art. 8 ci-dessus correspond au troisième alinéa de l’art. 10 L.a.m., alinéa qui n’est lui-même pas en vigueur.

[51]  RLRQ, c. A-28.

[52]  Pour les ententes interprovinciales relatives aux services hospitaliers, ententes auxquelles participe le Québec (services qui incluent l’IVG depuis mars 2016 et qui l’incluaient à la date à laquelle l’appelante a obtenu ce soin), voir : Règlement d’application de la Loi sur l’assurance-hospitalisation, RLRQ, c. A28, r. 1, art. 14 à 19 (dispositions adoptées en 1981 ou, pour l’art. 15.1, en 1982, et qui ont été occasionnellement modifiées, mais dans tous les cas bien avant 2016, époque à laquelle se sont produits les faits de l’espèce). Voir aussi :

          https://g26.pub.msss.rtss.qc.ca/Formulaires/Circulaire/ConsCirculaire.aspx?enc=fiC/nTJX+J0= et son annexe 2014-015 Message (2016-05-09).pdf (au sujet du retrait, en mars 2016, de l’exclusion des services d’« avortement thérapeutique et interruption volontaire de la grossesse »);

          https://www.ramq.gouv.qc.ca/SiteCollectionDocuments/professionnels/manuels/425-services-hospitaliers-internes-externes/ententes-interprovinciales.pdf;

          Santé Canada, Loi canadienne sur la santé – Rapport annuel 2022-2023, Ottawa, Santé Canada, février 2024, p. 45, https://www.canada.ca/content/dam/hc-sc/documents/services/publications/health-system-services/canada-health-act-annual-report-2022-2023/loi-canadienne-sur-la-sante-rapport-annuel-2022-2023.pdf.

[53]  L.R.C. (1985), ch. C-6.

[54]  Notons ici que la décision du TAQ (préc., note 6) indique que « [l]es parties ont admis, lors de l’audience, que les montants remboursés par la RAMQ représentent la totalité des montants pouvant être remboursés en application de la Loi et des règlements sur l’assurance maladie » (paragr. 55). On pourrait néanmoins se demander si l’appelante aurait pu obtenir un remboursement complet du montant de 500 $ facturé par le BC Women’s Hospital (établissement public, facture 0340, 16 mai 2016, pièce P-2) pour ce qui semble être des frais hospitaliers, lesquels étaient à l’époque couverts par l’entente interprovinciale alors existante. En fait, on peut même se demander si l’établissement hospitalier en question aurait dû lui facturer un tel montant (s’il s’agit bien d’un montant lié à des services hospitaliers), vu cette entente. Faute de la preuve nécessaire, la Cour n’est toutefois pas en mesure de répondre à cette question, qui n’a par ailleurs pas été abordée ni même évoquée par les parties.

[55]  Ce qui inclut les déficiences intellectuelles, cognitives et sensorielles, tout comme les maladies et troubles mentaux.

[56]  Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513 (repris notamment dans : Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493; M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3; Withler, préc., note 32).

[57]  Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61.

[58]  Andrews, préc., note 28.

[59]  Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203.

[60]  Dickson c. Vuntut Gwitchin First Nation, préc., note 24, paragr. 198 (motifs majoritaires des j. Kasirer et Jamal).

[61]  [1989] 1 R.C.S. 1219 [« Brooks »].

[62]  [1997] 1 R.C.S. 358 [« Benner »].

[63]  Préc., note 56.

[64]  Bien que cet arrêt porte sur l’application d’une loi provinciale sur les droits de la personne, son enseignement repose sur des principes reconnus également par l’art. 15 de la Charte canadienne.

[65]  S.C. 1974-75-76, ch. 108, proclamées en vigueur le 15 février 1977 par TR/7743 (L.R.C. (1985), ch. C29).

[66]  M. c. H., préc., note 56, paragr. 62 (motifs majoritaires des j. Cory et Iacobucci, portion du j. Cory).

[67]  Préc., note 25, paragr. 11-12 et 69.

[68]  2020 CSC 28 [« Fraser »].

[69]  Préc., note 11.

[70]  Kanyinda, préc., note 11, paragr. 88.

[71]  Ibid.

[72]  Voir supra, paragr. [66] et [67].

[73]  RLRQ, c. S-4.1.1.

[74]  Eldridge, préc., note 31.

[75]  Fraser, préc., note 68, paragr. 54 (motifs majoritaires de la j. Abella).

[76]  Law, préc., note 45, paragr. 39 et paragr. 88, point 3A).

[77]  Témoignage de l’experte Sylvie Lévesque, notes sténographiques du 27 novembre 2019, p. 41-42. Au cours de ce témoignage, Mme Lévesque aura l’occasion de signaler qu’il peut exister par ailleurs des différences régionales dans l’accès à l’avortement, et l’on parle ici principalement des différences existant à cet égard entre régions éloignées et grands centres urbains (id., p. 61-63).

[78]  Sylvie Lévesque, « L’accès à l’avortement : quels enjeux pour le bien-être des femmes? », rapport d’expertise, 15 mai 2019, pièce P-9 [« rapport Lévesque »], p. 10.

[79]  L’adjectif « gratuit » est utilisé ici pour signifier que la femme qui souhaite interrompre sa grossesse n’aura pas à débourser le coût de l’intervention, intervention au financement duquel elle participe cependant grâce à ses contributions fiscales, comme toute personne assurée en vertu de la L.a.m., ces contributions soutenant l’ensemble du système de santé et du régime d’assurance maladie.

[80]  Il semble y avoir des exceptions à cette affirmation, notamment à l’Île-du-Prince-Édouard et au Nouveau-Brunswick, où l’IVG est moins disponible et où elle est encadrée d’une manière qui en restreint l’accès (quoique, apparemment, les règles du NouveauBrunswick aient récemment été assouplies). Mais cela ne concerne pas le débat de l’espèce. Voir notamment : Rachael Johnstone et Emmett Macfarlane, « Public Policy, Rights and Abortion Access in Canada », (2015) 51 International Journal of Canadian Studies 97, notamment aux p. 108-109; Louise Langevin, Le droit à l’autonomie procréative des femmes : entre liberté et contrainte, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2020, paragr. 67 [cahier de sources de l’appelante, onglet 44]. Voir aussi : Abortion Services | Government of Prince Edward Island (https://www.princeedwardisland.ca/en/information/health-pei/abortion-services); Avortement - Vitalité | Leader francophone au service de ses collectivités (https://vitalitenb.ca/fr/services-et-emplacement/repertoire-des-services/avortement).

 On pourrait aussi parler de l’accès à l’IVG ou aux soins de santé reproductive en général dans les régions éloignées, mais, là encore, ce n’est pas la question en jeu ici, la situation de l’appelante ne mettant pas en cause la disponibilité des services d’interruption de grossesse.

[81]  Rapport Lévesque, p. 18-19.

[82]  C’est ce qui ressort de son témoignage devant le TAQ, mais aussi de la lettre qu’elle adresse à la Régie le 15 décembre 2016, lorsqu’elle présente sa demande initiale de remboursement (pièce P-3, Applicant’s Application for Reimbursement, dated December 15, 2016, troisième page).

[83]  A.P. c. Régie de l’assurance maladie du Québec, préc., note 6, paragr. 96 (« Il [le rapport Lévesque] démontre l’impact des frais sur l’accès à l’avortement, mais cet impact serait le même, selon le Tribunal, pour tout type de soins médicaux. Ce n’est pas propre à l’avortement »).

[84]  Rapport Lévesque, p. 20.

[85]  Rapport Lévesque, p. 24.

[86]  De façon générale, voir : L. Langevin, Le droit à l’autonomie procréative des femmes : entre liberté et contrainte, préc., note 80; Joanna N. Erdman, Vanessa Gruben et Erin Nelson, Canadian Health Law and Policty, 5e éd., Toronto, Lexis Nexis, chap. 17 (« Regulating Reproduction »), p. 399 et s.

[87]  Auton (Tutrice à l’instance de) c. Colombie-Britannique (Procureur général), 2004 CSC 78, paragr. 27 [« Auton »].

[88]  Préc., note 68.

[89]  2018 CSC 17.

[90]  2018 CSC 18.

[91]  Law, préc., note 45, paragr. 39 et paragr. 88, point 3A).

[92]  Termes empruntés à l’arrêt Withler, préc., note 32, paragr. 43 (voir aussi paragr. 39), cité par les j. Brown et Rowe dans Sharma, préc., note 15, paragr. 57.

[93]  On pourra consulter à ce sujet le préambule et l’art. 3 de la Loi canadienne sur la santé ainsi que l’art. 1 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, RLRQ, c. S-4.2, l’art. 2 de la Loi sur l’assurance-hospitalisation et l’art. 2 de la Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace, L.Q. 2023, c. 34. Voir aussi, dans le même sens, l’art. 2 de la Loi sur l’assurance médicaments.

[94]  J’emploie le qualificatif « désavantageuse » avec une certaine circonspection, car, bien sûr, la décision législative de prévoir un remboursement restreint du coût des services médicaux obtenus hors Québec est préférable à la décision de n’en permettre aucun et constitue, en ce sens, un avantage net.

[95]  Sans compter que l’idée de se doter d’une telle assurance ne viendra pas nécessairement à l’esprit de la personne du Québec qui fait une excursion d’une ou deux journées dans une province voisine, l’Ontario par exemple, ou dans un État américain limitrophe, ou qui traverse en auto le NouveauBrunswick et l’ÎleduPrinceÉdouard pour se rendre aux Îles-de-la-Madeleine.

[96]  Et pas seulement dans le cas des plus démunis.

[97]  Il faut dire aussi que le désavantage réel peut varier selon l’individu et les circonstances de la situation qui l’amène à recevoir des soins de santé hors Québec. Il pourra ainsi différer selon le lieu où sont reçus les soins, l’effet de la limite, pour quiconque n’a pas d’assurance privée, étant plus grand si le soin est prodigué aux États-Unis, où les frais médicaux sont notoirement élevés, plutôt que dans une province canadienne. La nature du service requis et son urgence comptent également dans l’équation : le traitement d’un infarctus sera plus coûteux et potentiellement plus obérant qu’une visite de grossesse routinière.

[98]  Amended Application for Judicial Review, August 13, 2021, paragr. 40.

[99]  Amended Notice to the Attorney General of Quebec, November 1, 2017.

[100]  Possibilité envisagée favorablement, mais sans conclusion finale, dans R.O. c. Ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale, 2021 QCCA 1185 (demande de permission d’appeler à la Cour suprême rejetée, 31 mars 2022, n° 39880).

[102]  Id., paragr. 47.

[103]  Id., paragr. 57-62.

[104]  Sharma, préc., note 15, paragr. 28 – point a).

[105]  Argument qu’elle exprime de la manière suivante au paragr. 8 des notes supplémentaires adressées à la Cour à la suite de l’arrêt Kanyinda : « In fact, a finding of disproportionate impact is even clearer in this case than in Kanyinda: there, women were disproportionately (through [sic] not exclusively) affected by the law. Here, since only women can become pregnant, only women will require pregnancy-related healthcare. The financial burden of pregnancy-related care imposed by para. 4 of s. 10 HIA will thus be borne disproportionately, if not exclusively, by women […] ».

[106]  Notons ici que l’art. 7 al. d) de la Loi canadienne sur la santé fait de la transférabilité des régimes de santé provinciaux une condition du versement de la contribution pécuniaire entière du fédéral. L’art. 11 de cette loi, qui définit cette transférabilité, prévoit notamment ce qui suit :

11  (1)  In order to satisfy the criterion respecting portability, the health care insurance plan of a province

11 (1)  La condition de transférabilité suppose que le régime provincial d’assurance-santé :

[…]

[…]

(b) must provide for and be administered and operated so as to provide for the payment of amounts for the cost of insured health services provided to insured persons while temporarily absent from the province on the basis that

b) prévoie et que ses modalités d’application assurent le paiement des montants pour le coût des services de santé assurés fournis à des assurés temporairement absents de la province :

(i) where the insured health services are provided in Canada, payment for health services is at the rate that is approved by the health care insurance plan of the province in which the services are provided, unless the provinces concerned agree to apportion the cost between them in a different manner, or

(i) si ces services sont fournis au Canada, selon le taux approuvé par le régime d’assurance-santé de la province où ils sont fournis, sauf accord de répartition différente du coût entre les provinces concernées,

(ii) where the insured health services are provided out of Canada, payment is made on the basis of the amount that would have been paid by the province for similar services rendered in the province, with due regard, in the case of hospital services, to the size of the hospital, standards of service and other relevant factors; and

(ii) s’ils sont fournis à l’étranger, selon le montant qu’aurait versé la province pour des services semblables fournis dans la province, compte tenu, s’il s’agit de services hospitaliers, de l’importance de l’hôpital, de la qualité des services et des autres facteurs utiles;

[…]

[…]

 Comme on le sait, l’art. 10 al. 4 L.a.m. prévoit que le montant remboursé ou payé ne dépasse pas le montant « établi par la Régie pour de tels services payés au Québec », alors que le sous-al. 11(1)b)(i) de la Loi canadienne sur la santé prévoit plutôt un remboursement ou un paiement à hauteur du taux prévu par le régime de la province où le service a été fourni, à moins d’un accord. Or, le Québec ne participe apparemment à aucun accord sur les services médicaux, quoique, ainsi qu’on l’a vu plus haut, il le fasse en matière de services hospitaliers. Je rappelle que les parties n’ont pas débattu de la question de savoir si l’art. 10 al. 4 L.a.m. était conforme ou non au sous-al. 11(1)b)(i) de la Loi canadienne sur la santé (voir supra, paragr. [55]), la sanction d’une non-conformité étant une réduction ou une retenue de la contribution fédérale au financement des soins de santé dans la province ou le territoire en cause, conformément aux art. 7 et 15 de la Loi canadienne sur la santé. Par contre, a priori, l’art. 10 al. 4 L.a.m. paraît conforme au sousal. 11(1)b)(ii) en ce qui touche les services dispensés à l’étranger, c’est-à-dire hors Canada (ce dont les parties n’ont pas discuté non plus, mais qui paraît ressortir à première vue d’une lecture comparée de ces deux dispositions).

[107]  A.P. c. Régie de l’assurance maladie du Québec, préc., note 6, paragr. 103.

[108]  Il occupe aussi une part substantielle de son budget annuel : Nicholas-James Clavet, Jean-Yves Duclos, Bernard Fortin, Steeve Marchand, Pierre-Carl Michaud, Les dépenses en santé du gouvernement du Québec, 2013-2030 : projections et déterminants, Série scientifique n°2013s-45, Montréal, Cirano, décembre 2013; Ministère de la Santé et des Services sociaux, Comptes de la santé 2020-2021, 2021-2022, 2022-2023, Québec, Gouvernement du Québec, 2023.

[109]  On pourrait y ajouter la Loi sur l’assurance médicaments, adoptée en 1996.

[110]  2013 CSC 43, paragr. 28-31 (motifs majoritaires).

[111]  Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35.

[112]  Préc., note 31.

[113]  Préc., note 87.

[114]  Dans cette affaire, on invoquait aussi l’art. 7 de la Charte canadienne, argument qui fut également rejeté.

[115]  R. c. C.P., préc., note 36, paragr. 145.

[116]  R. c. C.P., préc., note 36, paragr. 144.

[117]  Withler, préc., note 32, paragr. 38, repris par les j. Brown et Rowe dans Sharma, préc., note 15, paragr. 57 (reproduit supra, paragr. [35]).

[118]  Lorne Giroux, « L’assurance-maladie », (1970) 11 C. de D. 535, p. 535. Voir aussi : Marco Laverdière, « Le cadre juridique canadien et québécois relatif au développement parallèle de services privés de santé et l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés », (1998-99) 29 R.D.U.S. 117, p. 133 (« Il est facile d'identifier et de comprendre l'objectif poursuivi par l'instauration d'un système public de santé comme celui qui existe au Canada et au Québec. On peut aisément concevoir qu'une telle mesure a pour but d'assurer à chaque citoyen, indépendamment de sa capacité de payer, l'accès aux services sociosanitaires qu'il requiert. Ce fut là la principale motivation des architectes du système public. Elle se retrouve d'ailleurs formulée en toutes lettres dans les rapports des grandes commissions d'enquête qui ont eu à poser les bases du système que l'on connaît actuellement »). Voir également les motifs dissidents des j. Binnie et Lebel dans Chaoulli, préc., note 111, paragr. 164 (« La Loi canadienne sur la santé, L.R.C. 1985, ch. C6, et les lois provincial.es équivalentes reposent sur une politique d’accès aux soins de santé fondée sur le besoin plutôt que sur la capacité de payer ou le statut social »).

[119]  Et de même, chaque province régit les services de santé offerts sur son territoire.

[120]  S.C. 1966-67, c. 64, disposition reprise dans la version refondue de la loi (S.R.C. 1970, ch. M-8). L’al. 4(1)d) de cette loi énonçait, entre autres choses, que le régime d’assurance maladie d’une province, dans la mesure où le gouvernement fédéral y contribue financièrement, « doit prévoir, et ses modalités d’administration et d’application doivent assurer, le paiement de montants relatifs aux frais des services assurés dispensés aux personnes assurées alors qu’elles sont temporairement absentes de la province / the plan provides for and is administered and operated so as to provide for the payment of amounts in respect of the cost of insured services furnished to insured persons while temporarily absent from the province ». Cette disposition est l’ancêtre de l’al. 11b) de l’actuelle Loi canadienne sur la santé.

[121]  S.Q. 1970, c. 37.

[122]  Notons que la plupart des provinces ont également des dispositions (législatives et/ou réglementaires) analogues aux dispositions réglementaires adoptées en vertu de l’art. 10 al. 5 L.a.m., pour le cas de services médicaux rendus hors la province ou le pays, mais avec l’approbation des autorités compétentes de celle-ci. Comme on l’a vu plus haut, ce cas de figure n’est pas en cause dans le présent dossier.

[123]  Medical Benefits Regulation, Alberta Regulation 84/2006, sous-paragr. 4(3)(a) (sauf si le service reçu dans l’autre province ou territoire n’y est pas un service assuré, mais l’est en Alberta, auquel cas, le remboursement maximal sera limité au coût établi par les barèmes albertains, sousparagr. 4)3)(b)).

[124]  Règlement sur l'assurance relative aux soins médicaux, 49/93, paragr. 7(1).

[125]  Règlement du Nouveau-Brunswick 84-20 pris en vertu de la Loi sur le paiement des services médicaux (D.C. 84-64), paragr. 13.1b) et sous-paragr. 14(4)a).

[127]  Physicians and Fee Regulations under the Medical Care Insurance Act, 1999, Newfoundland and Labrador Regulation 69/03, paragr. 7(1).

[128]  Loi sur l’assurance-maladie, LRTN-O 1988, ch. M8, paragr. 4(2).

[129]  Health Services Payment Act Regulations, paragr. 1(c) et 11(1) (règlement adopté en vertu du Health Services Payment Act, R.S.P.E.I. 1988, cap. H-2).

[130]  Health Insurance Act, R.R.O. 1990, Regulation 552, sous-paragr. 29 (2)(3).

[131]  The Saskatchewan Medical Care Insurance Act, R.S.S. 1978, c. S-29, paragr. 14(3)(3.1) et art. 18.1; The Saskatchewan Medical Care Insurance Payment Regulations, 1994, chapter S-29 Reg 19, paragr. 7(4) et art. 8.

[133]  Hospital Insurance Regulations made under Section 17 of the Health Services and Insurance Act R.S.N.S. 1989, c. 197, N.S. Reg. 11/1958 (December 1, 1958), amended to O.I.C. 2023-45 (effective February 7, 2023), N.S. Reg. 33/2023, sous-al. 7(1)(a) et paragr. 7(3), (4) et (7).

[134]  Medicare Protection Act, RSBC 1996, ch. 286, art. 29. Selon le site officiel Medical Benefits Outside of B.C. - Province of British Columbia (gov.bc.ca (https://www2.gov.bc.ca/gov/content/health/health-drug-coverage/msp/bc-residents/benefits/services-covered-by-msp/medical-benefits/medical-benefits-outside-of-british-columbia), il semble que le montant ainsi remboursé ne soit pas supérieur à ce que la province verserait à ses propres professionnels de la santé (« If you are eligible for coverage while temporarily absent from B.C., MSP will help pay for unexpected medical services provided the services are medically required, rendered by a licensed physician and normally insured by MSP. Reimbursement for physician services will be made in Canadian funds and payment will not exceed the amount payable had the same services been performed in B.C. Any excess cost is the responsibility of the beneficiary »).

[135]  C’est ainsi le cas de la Colombie-Britannique en vertu du Medicare Protection Act, RSBC 1996, ch. 286, sousparagr. 29(4)(a) (« the need for the service arose unexpectedly »), de l’Île-du-Prince-Édouard, en vertu du Health Services Payment Act Regulations, art. 11 (ce dernier parlant de services médicaux requis hors province « as a result of a sudden illness or accident »), du Manitoba, en vertu du Règlement sur l'assurance relative aux soins médicaux, 49-93, sous-paragr. 7(2)a) (services « nécessaires par suite d'un accident ou d'une maladie subite »), de la Nouvelle-Écosse, en vertu du Hospital Insurance Regulations made under Section 17 of the Health Services and Insurance Act R.S.N.S. 1989, c. 197, N.S. Reg. 11/1958, paragr. 7(4) (le service doit avoir été nécessaire « because of an accident or sudden attack of illness »).

[136]  Voir : Medical Benefits Regulation, Alberta Regulation 84/2006, art. 5 (Alberta); Health Services Payment Act Regulations, paragr. 1(c) et sousparagr. 11(1)(b) (Île-du-Prince Édouard); Règlement sur l'assurance relative aux soins médicaux, 49-93, paragr. 7(2) (Manitoba); Règlement du NouveauBrunswick 84-20 pris en vertu de la Loi sur le paiement des services médicaux, (D.C. 84-64), paragr. 13.1(b) et sous-paragr. 14(4)b)(i) (Nouveau-Brunswick); Loi sur l’assurance-maladie, L.C. Nun., ch. M-40, paragr. 4(3) et Règlement sur les soins médicaux, R.R.T.N.-O. 1990, ch. M-4, paragr. 4(2) (Nunavut); Health Insurance Act, R.R.O. 1990, Regulation 552, art. 29 (Ontario); The Saskatchewan Medical Care Insurance Act, R.S.S. 1978, c. S-29, paragr. 14(3)(3.1), et The Saskatchewan Medical Care Insurance Payment Regulations, 1994, ch. S-29, Reg 19, paragr. 7(4) et art. 8 (Saskatchewan); Loi sur l’assurance-maladie, LRTN-O 1988, ch. M-8, paragr. 4(3) (Territoires-du-Nord-Ouest); Newfoundland and Labrador Regulation 69/03, paragr. 7(2)(3) (Terre-Neuve-et-Labrador); Règlement concernant les services d’assurance-santé, O.C. 1971/275, paragr. 10(3) (Yukon).

[137]  Medicare Protection Act, RSBC 1996, ch. 286, art. 29, et note 134 supra.

[138]  Hospital Insurance Regulations made under Section 17 of the Health Services and Insurance Act R.S.N.S. 1989, c. 197, N.S. Reg. 11/1958, paragr. 7(4)(5).

[139]  En ce sens, la situation de l’espèce est très différente de celle qui était en cause dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Directrice de la protection de la jeunesse du CISSS A, 2024 CSC 43, où la Cour suprême sous la plume du j. en chef Wagner, exclut la considération des incidences budgétaires d’une ordonnance prononcée par la Cour du Québec, en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse (RLRQ, c. P-34.1), dans l’examen de la question de savoir si une telle ordonnance est conforme à l’habilitation législative : « Il n’existe aucune règle indiquant que le législateur est présumé vouloir limiter les pouvoirs qu’il confère à un tribunal d’origine législative en fonction de l’ampleur des incidences budgétaires découlant de l’exercice de ces pouvoirs » (paragr. 27), « un tel critère de validité [étant] dénué d’assise dans la LPJ » (paragr. 94).

[140]  La question de la validité de ce choix au regard de la Loi canadienne sur la santé, je le rappelle, n’a pas été débattue en l’espèce.

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