Décision

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9401-0428 Québec inc. c. 9414-8442 Québec inc.

2025 QCCA 1030

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE MONTRÉAL

 

 

 :

500-09-030459-234

(500-17-117132-210)

 

DATE :

20 août 2025

 

 

FORMATION :

 LES HONORABLES

MANON SAVARD, J.c.Q.

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

MYRIAM LACHANCE, J.C.A.

 

 

9401-0428 QUÉBEC INC.

APPELANTE – défenderesse

c.

 

9414-8442 QUÉBEC INC.

SIMON ADAMSON

ELEANOR HORSEMAN

INTIMÉS – demandeurs

et

 

OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE LABELLE

MIS EN CAUSE – mis en cause

 

 

ARRÊT

 

 

  1.                 L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 3 février 2023 (rectifié le 14 février 2023) par le juge Babak Barin de la Cour supérieure, district de Montréal, qui accueille en partie les demandes modifiées des intimés en confirmation d’un droit de passage et en injonction permanente.
  2.                 Pour les motifs de la juge Gagné, auxquels souscrivent la juge en chef Savard et la juge Lachance, LA COUR :
  3.                 ACCUEILLE la demande de permission d’appeler de bene esse hors délai;
  4.                 ACCUEILLE l’appel en partie, sans frais de justice vu le sort mitigé du pourvoi;
  5.                 INFIRME le jugement de première instance à seules fins de remplacer la septième conclusion par ce qui suit :

ORDERS the defendant to pay to the plaintiffs the sum of $40,000, with interest at the legal rate plus additional compensation as of June 7, 2022;

et d’ajouter la conclusion suivante :

THE WHOLE, with legal costs.

 

 

 

 

MANON SAVARD, J.c.Q.

 

 

 

 

 

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

 

 

 

 

 

MYRIAM LACHANCE, J.C.A.

 

Me Maxime Champagne

Me Patrick Cajvan

GOWLING WLG (CANADA)

Pour l’appelante

 

Me Hélène B. Tessier

LAPOINTE ROSENSTEIN MARCHAND MELANÇON

Pour les intimés

 

Date d’audience :

23 janvier 2025


 

 

 

MOTIFS DE LA JUGE GAGNÉ

 

 

  1.                 Le présent pourvoi a pour trame de fond une servitude de passage sur un chemin privé du Blueberry Lake Resort  Resort »), un complexe de villégiature situé dans la municipalité de Labelle.
  2.                 L’appelante, 9401-0428 Québec inc., est une société par actions dirigée par M. Georges Ata. Les intimés Simon Adamson et Eleanor Horseman (les « Adamson ») vivent à Londres et sont propriétaires du chalet 53. Quant à l’intimée 94148442 Québec inc. (« Québec inc. »), elle est propriétaire du chalet 51.
  3.                 Le Resort comporte plusieurs chemins, dont certains appartiennent à l’association Blueberry Lake Villégiatures, et d’autres à des particuliers. Le chemin des Chantiers, qui est au cœur du litige, appartient à l’appelante depuis août 2019.
  4.                 Cinq chalets sont situés sur le chemin des Chantiers, soit le chalet 52 (qui n’est pas concerné par le litige), les chalets 51 et 53 (qui appartiennent aux intimés) ainsi que les chalets 50 et 54 (qui appartiennent à des sociétés liées à M. Ata). En première instance, la principale question était de savoir si les chalets des intimés bénéficiaient d’une servitude de passage sur le chemin des Chantiers. L’appelante prétendait que non et que les intimés devaient emprunter un autre chemin pour se rendre à leurs chalets. Je précise tout de suite que le chalet 52 bénéficie pour sa part d’une servitude de passage par destination du propriétaire reconnue par un jugement de la Cour supérieure (« Jugement Dallaire ») rendu en 2015.
  5.            Le jugement de première instance déclare que les chalets des intimés bénéficient d’une servitude de passage sur le chemin des Chantiers. Il ordonne à l’appelante d’enlever les barrières et les cadenas en travers du chemin et de s’abstenir d’accomplir tout geste qui serait de nature à empêcher les intimés de l’emprunter. Il condamne en outre l’appelante à payer aux intimés 75 000 $ à titre de frais de justice, mais rejette la réclamation de ces derniers au chapitre des dommages moraux, le tout exécutoire malgré l’appel[1].
  6.            L’appelante se pourvoit contre ce jugement. Elle ne conteste plus l’existence d’une servitude de passage par destination du propriétaire (comme celle au bénéfice du chalet 52), mais soutient que le juge a erré en concluant que les chalets des intimés bénéficient d’une servitude conventionnelle. Le juge aurait également erré en prononçant les ordonnances injonctives. Enfin, l’appelante demande la permission d’appeler de bene esse hors délai de la partie du jugement portant sur les frais de justice octroyés pour sanctionner des manquements importants dans le déroulement de l’instance (art. 30 al. 2 (6o) et 342 C.p.c.).
  7.            Pour les motifs qui suivent, j’en viens aux conclusions suivantes :
  • La question de l’existence d’une servitude conventionnelle est théorique et il n’y a pas lieu de la trancher;
  • Le juge n’a pas commis d’erreur révisable en ordonnant à l’appelante d’enlever les barrières et les cadenas en travers du chemin et en ne limitant pas l’étendue de la servitude de passage;
  • Le juge a confondu les notions d’abus de procédure et de manquements importants dans le déroulement de l’instance et il a erré dans l’évaluation des dommages-intérêts à octroyer en réparation du préjudice subi par les intimés.
  1.            Je propose donc d’accorder la permission d’appeler et d’accueillir l’appel, sans frais de justice vu le sort mitigé du pourvoi, afin de réduire à 40 000 $ la somme accordée aux intimés, avec intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle à compter du 7 juin 2022[2] et les frais de justice en première instance.
  1. Faits et procédures
  1.            En 2003, John et Alexander Nowell Porritt (les « Porritt »), père et fils, et leur société, Blueberry Lake Villégiatures inc. / Blueberry Lake Resorts Inc. Blueberry »), entreprennent des démarches pour le développement du Resort. Au fil des années, plusieurs chalets sont construits, dont les chalets 50 à 54 aux alentours de 2007-2008.
  2.            Le 10 juin 2008, Blueberry vend aux Adamson le chalet 53[3]. L’acte de vente mentionne ceci :

SERVITUDE

1- The Vendor declares that the Property benefit of a right of way on the private road to reach Chemin St-Cyr. […]

[Caractères gras et soulignement dans l’original]

  1.            Dès lors, les Adamson empruntent le chemin privé à l’intersection du chemin StCyr pour se rendre à leur chalet. En 2011, la Municipalité de Labelle, par résolution, nomme ce chemin privé « chemin des Chantiers » afin d’aider les services de sécurité publique (ambulanciers, pompiers) à mieux localiser les propriétés qu’ils desservent. Les adresses civiques des chalets 50 à 54, qui étaient jusqu’alors sur le chemin NephtalieMaher, sont désormais sur le chemin des Chantiers.
  2.            Le 25 juin 2015, le Jugement Dallaire déclare que le chalet 52 bénéficie d’une servitude de passage par destination du propriétaire sur le chemin des Chantiers. Ce jugement est publié à l’index des immeubles sous le numéro 21 734 584.
  3.            Le 15 août 2019, l’appelante acquiert une série de lots, dont les lots 5 224 725 et 5 223 901 qui forment le chemin des Chantiers. L’acte de vente stipule que ces deux lots sont grevés d’une « servitude réelle et perpétuelle de passage résultant d’un jugement […] publié […] sous le numéro : 21 734 584 », soit le Jugement Dallaire.
  4.            En novembre 2019, l’appelante met en demeure les Adamson ainsi que Mme Clare Melanie Taylor et M. John Howard Taylor (les « Taylor »), propriétaires du chalet 51, de cesser d’emprunter le chemin des Chantiers pour accéder à leur chalet, affirmant qu’une « vérification des titres montre l’absence de servitude ».
  5.            Le 15 janvier 2021, Québec inc. acquiert le chalet 51[4] des Taylor. L’acte de vente indique :

SERVITUDE

Le Vendeur déclare que l’Immeuble n’est l’objet d’aucune servitude, à l’exception d’une servitude de passage, aux termes d’un acte publié le 29 avril 2008 au bureau de la publicité des droits de Labelle sous le numéro 15 152 958.

[Caractères gras et soulignement dans l’original]

  1.            L’acte publié le 29 avril 2008 sous le numéro 15 152 958 indique, à l’instar de l’acte de vente du chalet 53 (celui des Adamson) :

SERVITUDE

1- The Vendor declares that the Property benefit of a right of way on the private road to reach Chemin St-Cyr. […]

[Caractères gras et soulignement dans l’original]

  1.            Le 19 janvier 2021, M. Ata informe le président de Québec inc., M. Charles Therrien, que la propriété qu’il a achetée « n’a pas de droit de passage » sur le chemin des Chantiers. Il lui donne jusqu’au 15 mai 2021 pour « ouvrir un chemin [lui] permettant l’accès à [sa] propriété ».
  2.            Le 27 mai 2021, M. Ata transmet aux intimés un courriel indiquant : « based on the recent transgressions, the gate will be installed early next week on chemin des chantiers. No one is authorized to access this private road ». Quatre jours plus tard, il envoie un deuxième courriel aux intimés ayant pour objet « Illegal trespassing » pour les informer que « [l]e chemin sera bloqué ce mercredi ».
  3.            Le 3 juin 2021, M. Ata envoie un courriel aux intimés et à la municipalité, leur signalant que le chemin des Chantiers « est fermé par une barrière » et qu’« un cadenas y est installé pour éviter toute sorte d’intrusion par des personnes n’ayant aucun droit sur notre propriété ».
  4.            Le 10 juin 2021, l’avocate des intimés met l’appelante en demeure « de retirer immédiatement toute barrière que vous avez installée et qui bloque le chemin des Chantiers depuis le 2 juin dernier et qui empêche tout accès aux propriétés de nos clients ». Le même jour, ils déposent une demande introductive d’instance en confirmation d’un droit de passage par destination du propriétaire et en délimitation d’une assiette de droit de passage.
  5.            Le 16 juin 2021, les intimés présentent une demande d’ordonnance de sauvegarde. Le juge Daniel W. Payette de la Cour supérieure donne acte à l’engagement de l’appelante que voici :

Donne acte de l’engagement de [l’appelante et de ses représentants] de ne pas empêcher ni entraver de quelque manière que ce soit le libre accès des demandeurs, de leurs clients, de leurs invités, gestionnaires, fournisseurs ou toute personne qui y a affaire aux chalets 51 et 53 sis respectivement au 685 et 545 chemin des Chantiers par ledit chemin des Chantiers moyennant la remise en place du fil amovible visant à protéger l’accès d’intrus, ce qui exclut les personnes ci-haut et leur ordonne de s’y conformer;[5]

  1.            Les intimés modifient par la suite leur demande d’ordonnance de sauvegarde pour ajouter des conclusions en injonction interlocutoire et permanente. Cette demande est présentée le 7 septembre 2021 au stade de l’injonction interlocutoire. L’appelante réitère alors son engagement de ne pas empêcher ni entraver de quelque manière que ce soit le libre accès des intimés au chemin des Chantiers. Le juge Gregory Moore de la Cour supérieure donne acte à cet engagement et ordonne à l’appelante de s’y conformer.
  2.            Le 7 juin 2022, les intimés modifient leur demande introductive d’instance pour augmenter de 60 000 $ à 90 000 $ le montant des dommages-intérêts réclamés et pour ajouter une conclusion condamnant l’appelante à leur payer 80 432 $, à parfaire, pour compenser les honoraires et les débours qu’ils ont dû engager.
  3.            L’instruction au fond a lieu du 8 au 10 juin 2022. Le 10 juin 2022, les intimés modifient de nouveau leur demande introductive d’instance et leur demande en injonction interlocutoire et permanente pour ajouter une conclusion subsidiaire en reconnaissance d’une servitude de passage conventionnelle[6] ainsi que des conclusions injonctives.
  4.            Le jugement de première instance est rendu le 3 février 2023[7]. L’appelante se pourvoit par déclaration d’appel. Elle dépose par la suite une demande de permission d’appeler de bene esse hors délai de sa condamnation à payer 75 000 $ à titre de frais de justice, laquelle sera déférée à la formation qui entendra l’appel au fond[8].
  1. Jugement de première instance
  1.            Après des remarques introductives dénonçant l’abus commis par l’appelante, le juge rappelle les principes juridiques de la servitude par destination du propriétaire[9] et présente les faits[10]. Il passe ensuite à l’analyse qu’il divise en trois volets.
  2.            Premièrement, le juge examine la question de la servitude de passage[11]. Il conclut que les chalets des intimés (les fonds dominants) bénéficient collectivement et individuellement d’une servitude de passage conventionnelle sur le chemin des Chantiers (le fonds servant)[12]. Le fait que l’acte de vente de Québec inc. stipule que l’immeuble ne fait l’objet d’aucune servitude, à l’exception d’une servitude de passage, est sans importance[13]. Il n’y a aucun doute que les propriétaires anciens et actuels avaient l’intention de créer une servitude de passage sur le chemin des Chantiers[14]. De toute manière, tout doute qui pourrait découler de cet acte est totalement dissipé par les autres documents (actes de vente, certificats de localisation et plans)[15].
  3.            Au surplus, le juge conclut que les chalets des intimés bénéficient d’une servitude par destination du propriétaire, tout comme le chalet 52[16].
  4.            Deuxièmement, le juge traite de la demande en injonction permanente[17]. À la lumière de l’ensemble de la preuve, il conclut que les intimés ont manifestement droit à ce que soit rendue une injonction ordonnant à l’appelante d’enlever les barrières et les cadenas en travers du chemin des Chantiers et de s’abstenir d’accomplir tout geste qui serait de nature à empêcher les intimés d’emprunter ce chemin pour se rendre à leurs chalets[18].
  5.            Troisièmement, le juge analyse la question des dommages-intérêts et de l’abus de procédure[19]. Il conclut d’abord que les intimés n’ont pas satisfait au fardeau qui leur incombait pour l’octroi de dommages moraux[20].
  6.            Quant à l’abus de procédure, il estime que le comportement de l’appelante, tant avant qu’après le début du litige, était abusif[21]. Il invoque la résistance injustifiée de l’appelante chaque fois qu’une demande lui était présentée[22] ainsi que le mépris flagrant et délibéré de cette dernière à l’égard du Jugement Dallaire[23]. Il estime qu’une condamnation de 75 000 $ à titre de frais de justice est justifiée[24], sans toutefois préciser si cette condamnation repose sur l’article 51 ou 342 C.p.c. (ou les deux).
  1. Questions en litige
  1.            L’appelante formule six questions en litige qui ont trait à l’existence d’une servitude conventionnelle, au libellé des ordonnances injonctives prononcées par le juge et à sa condamnation à payer 75 000 $ à titre de frais de justice. Concernant ce dernier objet, elle reproche au juge des erreurs de droit dans l’application de l’article 342 C.p.c. et des erreurs mixtes de fait et de droit dans l’évaluation de la compensation pour le paiement des honoraires professionnels de l’avocate des intimés.
  2.            Je passerai rapidement sur la question de l’existence d’une servitude conventionnelle qui, à mon avis, est théorique. Je traiterai ensuite du libellé des ordonnances injonctives et de la somme accordée à titre de frais de justice.
  1. Analyse
  1. L’existence d’une servitude conventionnelle
  1.            Comme déjà mentionné, l’appelante ne conteste plus l’existence d’une servitude de passage par destination du propriétaire, mais soutient que le juge a erré en concluant que les chalets des intimés bénéficient d’une servitude conventionnelle.
  2.            Le dispositif du jugement ne précise pas le mode d’établissement de la servitude. Dans ses motifs, le juge conclut que les actes de vente des chalets des intimés ont établi une servitude de passage et que, si cela ne suffit pas, ces chalets bénéficient d’une servitude par destination du propriétaire constatée par des écrits des propriétaires originaux des fonds (les Porritt et Blueberry), comme le déclare le Jugement Dallaire à l’égard du chalet 52.
  3.            L’appelante ne conteste ni cette dernière conclusion ni l’assiette de la servitude décrite dans le jugement rectifié rendu le 14 février 2023. Elle soutient toutefois que le juge ne pouvait conclure à l’existence d’une servitude conventionnelle en l’absence d’une description complète du fonds servant dans les actes de vente. Selon elle, l’interprétation que le juge donne aux actes de vente aura des « conséquences draconiennes » sur ses droits et « ouvrira une boîte de Pandore » puisque tous les actes de vente des chalets du Resort, même ceux qui ne sont pas situés sur le chemin des Chantiers, contiennent la même clause conférant un droit de passage sur un chemin privé pour accéder au chemin St-Cyr.
  4.            L’appelante demande donc à la Cour d’ajouter les mots « by destination of the owner » après le mot « passage » dans le dispositif du jugement de première instance de façon à limiter la portée du jugement et à prévenir d’autres litiges.
  5.            Il est vrai que la description du fonds servant qui figure dans les actes de vente des Adamson et des Taylor n’est pas celle du chemin des Chantiers[25]. Les intimés en conviennent[26]. Cette lacune n’est toutefois pas fatale à l’établissement d’une servitude conventionnelle, comme l’explique la Cour dans l’arrêt Girard c. Ménard :

Pour qu’elle soit établie légalement, la servitude n’a pas besoin d’être décrite d’une manière complète dans le titre qui la constitue; il suffit qu’elle y soit désignée par la dénomination spéciale qui lui convient, l’interprétation peut combler les lacunes qui s’y rencontrent.[27]

[Renvoi omis]

  1.            Il s’agit donc d’une question d’interprétation (art. 1425 et s. C.c.Q.). Selon le juge, les actes de vente sont clairs et démontrent sans aucun doute l’intention commune des parties d’établir une servitude de passage sur un chemin privé qui se trouve à être le chemin des Chantiers.
  2.            Le caractère clair ou non des actes de vente peut se discuter, mais dès lors que l’appelante ne conteste plus l’existence d’une servitude par destination du propriétaire sur le chemin des Chantiers, la question de l’interprétation de ces actes par le juge devient théorique. Et même si tous les actes de vente des chalets du Resort contenaient la même clause de droit de passage (ce que le dossier d’appel ne permet pas de constater), le jugement de première instance n’aura pas l’autorité de la chose jugée à l’égard de ces chalets. L’existence d’une servitude conventionnelle à leur bénéfice dépendra de la preuve de l’intention commune des parties au moment de la signature des actes de vente. Plusieurs éléments devront être considérés, notamment l’interprétation que les parties ont donnée à la clause ou qu’elle peut avoir reçue ainsi que la situation des chalets par rapport au chemin des Chantiers et au chemin St-Cyr.
  3.            Bref, la question de l’existence d’une servitude conventionnelle au bénéfice des chalets 51 et 53 est théorique puisque sa solution serait sans effet pratique ou concret sur les droits des parties[28]. Et si l’objectif de l’appelante est d’obtenir un avis juridique, ce n’est évidemment pas le rôle des tribunaux qui, en règle générale, « n’officient pas à titre consultatif »[29]. De même, la Cour ne pourrait se prononcer sur l’existence d’une servitude de passage conventionnelle au bénéfice des autres chalets du Resort en l’absence d’un débat contradictoire mettant en cause les propriétaires de ces chalets.
  4.            Il n’y a donc pas lieu de s’attarder davantage sur cette question.
  1. Les ordonnances injonctives
  1.            En premier lieu, l’appelante reproche au juge d’avoir rendu l’ordonnance suivante qui lui impose d’enlever les barrières et les cadenas installés en travers du chemin des Chantiers :

ORDERS the defendant, its directors, officers and representatives to remove any barriers and locks that have been placed on chemin des Chantiers obstructing the plaintiffs, their guests, invitees, representatives, managers, the emergency services of any municipality or anyone else who finds themselves on chemin des Chantiers with the permission of the plaintiffs, to gain access to and from the properties located at 545 and 685 chemin des Chantiers to, to and from, chemin St. Cyr;

[Caractères gras dans l’original]

  1.            Elle prétend que si le juge avait bien interprété l’article 1186 C.c.Q., il n’aurait pas rendu cette ordonnance. Selon elle, le juge se trompe en concluant que cette disposition empêche le propriétaire du fonds servant de poser tout geste qui pourrait diminuer l’exercice de la servitude ou la rendre moins commode.
  2.            Ce reproche n’est pas fondé.
  3.            La règle prévue à l’article 1186 al. 2 C.c.Q. veut que « [l]e propriétaire du fonds servant ne peut rien faire qui tende à diminuer l’exercice de la servitude ou à le rendre moins commode ». Le fait d’installer une barrière à l’entrée d’un terrain où se situe la servitude de passage ne contrevient pas forcément à cette règle; tout dépend des circonstances. À cet égard, le professeur Pierre-Claude Lafond écrit :

2091 – Il est généralement admis que le fait de placer une barrière sur la lisière de terrain sur laquelle s’exerce le droit de passage ne constitue pas en soi une diminution de la servitude et ne la rend pas plus incommode. Chaque cas doit être apprécié à la lumière de ses circonstances propres. […]

Les divergences d’opinions apparaissent lorsque la barrière ou la porte est fermée à clef ou que celle-ci ne présente pas d’intérêt ou d’avantage particulier pour le propriétaire du fonds servant. Dans certains jugements, il a été décidé qu’un acte posé dans de telles circonstances constituait une diminution des avantages de la servitude et ce, même si celui-ci avait offert d’en remettre la clef au propriétaire du fonds dominant. Dans le dernier cas cité, le contrôle du propriétaire du fonds servant sur la clé a même été qualifié d’abusif. […][30]

[Italiques dans l’original]

  1.            Le professeur Sylvio Normand abonde dans le même sens :

Obligation passive – L’obligation passive du propriétaire du fonds servant explique qu’il lui soit défendu de poser des gestes qui tendent à diminuer l’usage de la servitude ou à la rendre plus incommode (1186 al. 2 C.c.Q.). Il doit se garder de limiter l’exercice de la servitude, de restreindre l’accès au fonds servant ou d’édifier des constructions ou des ouvrages nuisibles sur l’assiette de la servitude. […] Par ailleurs, la présence d’une barrière, même si elle est postérieure à la création d’une servitude, se justifie parfois lorsqu’elle a pour but de conférer « un bénéfice nécessaire ou important au fonds servant, ou de le protéger contre un risque ou danger significatif ».[31]

[Caractères gras dans l’original; renvois omis]

  1.            Le constat est le même dans la jurisprudence. L’installation d’une barrière est parfois permise[32], parfois non[33], selon les circonstances de chaque cas[34]. Les facteurs à prendre en compte sont l’utilité de la barrière[35], l’objectif poursuivi[36] et dans quelle mesure celle-ci nuit à l’exercice du droit de passage[37] ou le rend plus difficile[38].
  2.            En l’espèce, le juge ordonne à l’appelante d’enlever les barrières et les cadenas installés sur le chemin des Chantiers[39]. Pour conclure ainsi, il tient compte des termes et de l’esprit de l’article 1186 C.c.Q., de l’ensemble de la preuve (en particulier des témoignages des Adamson, de M. Therrien et de M. Ata) et du fait qu’avant l’arrivée de ce dernier, les intimés « had the benefit of the quiet and unobstructed use of chemin des Chantiers »[40]. Il tient compte également des lettres, des courriels et de la conduite de M. Ata[41].
  3.            Cette conclusion ne comporte aucune erreur et prend appui sur la preuve, laquelle démontre que le fil amovible tend à diminuer l’exercice de la servitude ou à le rendre moins commode et que M. Ata a installé ce fil dans le seul but d’empêcher les intimés de passer, alors qu’il niait l’existence d’une servitude.
  4.            Cela ressort des échanges entre M. Ata et les intimés, où il dit notamment qu’une caméra sera installée vis-à-vis la barrière, que les intimés et leurs représentants ne sont pas autorisés à passer sur le chemin des Chantiers et que « toute introduction non autorisée […] sera considérée comme une intrusion ». Je souligne ce courriel du 27 mai 2021 où M. Ata écrit :

Dear Sirs,

lt seems that provocation doesn’t stop. Yesterday Mrs. Natasha drove thru our parking space at lot 50. She knows for a fact that it is a private and it is ours. We have the video.

Therefore based on the recent transgressions, the gate will be installed early next week on chemin des chantiers. No one is authorized to access this private road.

Note that the authorities (police, city, health department, firefighters) will be notified and will have access to the driveway in case of emergency.

Enough is enough. Open your own road.

  1.            Quatre jours plus tard, M. Ata revient à la charge avec un courriel particulièrement abrasif ayant pour objet « Illegal trespassing ».
  2.            La jurisprudence établit que « [l]a détermination de ce qui constitue une diminution de l’exercice d’une servitude de passage ou de sa commodité est un exercice contextuel » qui « relève de l’appréciation du juge de première instance »[42]. L’intervention de la Cour n’est justifiée qu’en présence d’une erreur manifeste et déterminante[43].
  3.            L’appelante ne pointe aucune erreur de cette nature. Elle prétend que l’installation du fil amovible visait à « protéger son bien de la présence d’intrus », mais la preuve n’appuie pas cette prétention.
  4.            Finalement, l’appelante insiste sur le fait que le fil amovible n’était pas cadenassé. Or, c’est M. Ata qui, dans son courriel du 3 juin 2021, a informé les intimés et la municipalité qu’un cadenas était installé « pour éviter toute sorte d’intrusion par des personnes n’ayant aucun droit sur notre propriété ». L’appelante est donc malvenue de reprocher aux intimés d’avoir cru à la présence d’un cadenas.
  5.            En deuxième lieu, l’appelante reproche au juge d’avoir rendu l’ordonnance suivante :

ORDERS the defendant, its directors, officers and representatives to refrain from taking any steps that would prevent the plaintiffs, their guests, invitees, representatives, managers, the emergency services of any municipality or anyone else who finds themselves on chemin des Chantiers with the permission of the plaintiffs, from using chemin des Chantiers to gain peaceful access to and from that road to, to and from, chemin St. Cyr;

[Caractères gras dans l’original]

  1.            Elle soutient que le juge a erré en ne limitant pas l’ordonnance à ce qui est nécessaire pour les besoins du droit de passage. Selon elle, l’ordonnance est si large qu’elle pourrait l’empêcher d’intervenir si les intimés s’adonnaient à un exercice illicite et dérogatoire du chemin des Chantiers (p. ex. à des fins récréatives, en luge ou en motoneige). Elle demande donc à la Cour de remplacer les mots « to gain peaceful access to and from that road to, to and from, chemin St. Cyr » par « only to access to and from the properties located at 545 and 685 chemin des Chantiers to, to and from, Chemin St. Cyr ».
  2.            En réalité, cette demande vise à limiter l’étendue de la servitude. Je rappelle que, selon l’article 1177 al. 3 C.c.Q., la servitude s’étend à tout ce qui est nécessaire à son exercice. Elle consiste ici en un droit de passage par tout moyen de locomotion (et non seulement à pied, comme c’est le cas pour la deuxième servitude d’accès au lac privé). Il n’y a pas lieu de la limiter. Quant au reste, c’est une question de bons sens. Je fais miens les propos de la Cour dans Trudel c. Laurin :

[14] […] Il y a ici une affaire de bon sens qui devrait aller de soi entre gens de bonne volonté. […] Il ne saurait être question dans un arrêt comme celui-ci de régler par le menu détail ce qui est permis et ce qui est interdit. Les intéressés doivent exercer par eux-mêmes leur jugement, quitte à faire l’objet d’une condamnation pour outrage au tribunal s’il s’avère qu’ils en sont dépourvus.[44]

  1.            En définitive, l’appelante ne démontre aucune erreur manifeste et déterminante pouvant justifier l’intervention de la Cour au regard du libellé des ordonnances injonctives prononcées par le juge.
  1. La somme accordée par le jugement à titre de frais de justice
  1.            Réglons d’abord la question de la demande de permission d’appeler de bene esse hors délai. Dans l’arrêt qui défère cette demande à la formation qui entendra l’appel au fond, la Cour écrit :

[7] Il semble qu’aucune décision de la Cour ne se prononce sur la question en litige, à savoir si une permission est requise pour traiter en appel la condamnation aux frais en raison de manquements importants dans le déroulement de l’instance lorsque le jugement lui-même fait l’objet d’une déclaration d’appel sur d’autres questions.[45]

  1.            Depuis lors, la Cour a tranché la question dans l’arrêt Droit de la famille — 241524, où elle écrit :

[3] Si l’appelant bénéficie d’un appel de plein droit pour ses trois premiers moyens (sous réserve du paragr. [8] ci-dessous), le quatrième est soumis à une permission aux termes de l’article 30 alinéa 2(6) C.p.c. L’appelant saisit donc la Cour d’une requête pour permission d’appeler hors délai de l’ordonnance prononcée en vertu de l’article 342 C.p.c. de même que d’une requête en suspension de l’exécution provisoire du jugement. L’intimée quant à elle présente une requête en rejet d’appel.[46]

  1.            Une permission d’appeler est donc requise pour la partie du jugement qui condamne l’appelante à payer aux intimés 75 000 $ « as legal costs ».
  2.            Je propose d’accorder la permission d’appeler. Pour l’essentiel, l’appelante soutient que le juge s’est fondé sur un « historique procédural erroné » et qu’il l’a condamnée à payer 75 000 $ aux intimés en l’absence de tout manquement dans le déroulement de l’instance et sans établir un lien causal entre les supposés manquements et les honoraires professionnels de leur avocate. Ces questions méritent l’attention de la Cour et, dans les circonstances, je suis d’avis que les conditions prévues à l’article 363 C.p.c. sont remplies.

***

  1.            En règle générale, chacune des parties est tenue d’assumer les honoraires professionnels de l’avocat dont elle a retenu les services[47]. Les articles 51 et s. et 342 C.p.c. font exception à cette règle.
  2.            Les articles 51 et s. C.p.c. visent les abus de procédure, alors que l’article 342 C.p.c. vise les manquements importants constatés dans le déroulement de l’instance[48]. Bien sûr, un tribunal peut conclure que la demande d’une partie est abusive en plus de constater des manquements importants dans le déroulement de l’instance[49]. L’un n’exclut pas l’autre.
  3.            Examinons ces dispositions d’un peu plus près.

i. Les articles 51 et s. C.p.c.

  1.            L’article 51 C.p.c. fonde le pouvoir des tribunaux de déclarer qu’une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif. L’abus, tel que défini à l’alinéa 2, englobe un large spectre de situations[50]. Il vise notamment :
  • sans égard à l’intention, une demande en justice ou un autre acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire;
  • un comportement vexatoire ou quérulent;
  • l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable;
  • l’utilisation de la procédure de manière à nuire à autrui;
  • le détournement des fins de la justice, entre autres si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics[51].
  1.            L’article 53 C.p.c. énumère les mesures que le tribunal peut prendre dans un cas d’abus (par exemple, rejeter un acte de procédure[52]) ou lorsqu’il paraît y avoir un abus (par exemple, assujettir un acte de procédure à certaines conditions). Cette liste n’est pas limitative[53]. La possibilité de condamner une partie à payer des dommages-intérêts, quant à elle, est prévue à l’article 54 al. 1 C.p.c. Je rappelle le texte de cette disposition :

54. Le tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure, incluant celui présenté sous la présente section, ordonner, le cas échéant, le remboursement de la provision versée pour les frais de l’instance, condamner une partie à payer, outre les frais de justice, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les débours que celle-ci a engagés ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs.

[…]

54. On ruling on whether a judicial application or pleading, including one presented under this division, is abusive, the court may order a provision for costs to be reimbursed, order a party to pay, in addition to legal costs, damages for any injury suffered by another party, including to cover the professional fees and disbursements incurred by that other party, or award punitive damages if warranted by the circumstances.

[…]

  1.            Comme l’explique la Cour dans l’arrêt Restaurant King Ouest, « les articles 51 et s. C.p.c. ne créent pas un régime de responsabilité sans faute et […] seul le type d’abus décrit à l’article 51 C.p.c. qui dénote un comportement fautif peut justifier la responsabilité civile et la condamnation à des dommages-intérêts du justiciable »[54].
  2.            Ainsi, la condamnation d’une partie à payer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie sur la base des articles 51 et 54 C.p.c. exige la démonstration d’un lien de causalité entre l’abus (faute) et les honoraires et les débours engagés (préjudice)[55]. Et pour qu’un abus de procédure au sens de l’article 51 C.p.c. soit considéré comme fautif, le comportement de la partie doit déroger à celui qu’une personne prudente et diligente aurait adopté dans les mêmes circonstances. Comme l’expliquent les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore, l’analyse de la faute reste ici classique :

1-236  […] L’analyse de la faute reste ici classique et consiste à évaluer ce qu’une personne prudente et diligente aurait fait dans les circonstances particulières de l’espèce. On sanctionne donc, d’une part, la mauvaise foi de celui qui cherche dans la justice un auxiliaire de sa vengeance personnelle ou de manœuvres d’intimidation. D’autre part, en l’absence de mauvaise foi, les juges examinent le comportement du défendeur et octroient une compensation lorsque celui-ci révèle, eu égard aux circonstances, une incurie, une maladresse, une légèreté ou une témérité coupable en invoquant, par exemple, des moyens de droit ou de fait insoutenables. Il en est également ainsi lorsque l’une des parties manifeste un entêtement à poursuivre des moyens manifestement faibles ou inexistants. […][56]

[Renvois omis]

  1.            En somme, tous les types d’abus visés à l’article 51 C.p.c. ne sont pas générateurs de responsabilité civile[57]. Une demande en justice qui est manifestement mal fondée, mais qui ne recèle ni mauvaise foi ni témérité, pourra être rejetée en vertu de l’article 53 C.p.c., mais elle ne pourra pas entraîner une condamnation à payer des dommages-intérêts compensatoires, étant donné l’absence de faute[58].
  2.            Selon la même logique, il faut distinguer l’abus sur le fond de l’abus de procédure, car, en règle générale, seul le second permet l’octroi de dommagesintérêts pour compenser les honoraires et les débours engagés par la partie victime d’abus[59]. L’arrêt de principe en la matière est Viel c. Entreprises immobilières du terroir Ltée  Viel »), où le juge Rochon écrit :

[74] […] L’abus sur le fond intervient avant que ne débutent les procédures judiciaires. L’abus sur le fond se produit au moment de la faute contractuelle ou extracontractuelle.  Il a pour effet de qualifier cette faute. La partie abuse de son droit par une conduite répréhensible, outrageante, abusive, de mauvaise foi. Au moment où l’abus sur le fond se cristallise, il n’y a aucune procédure judiciaire d’entreprise. C’est précisément cet abus sur le fond qui incitera la partie adverse à s’adresser aux tribunaux pour obtenir la sanction d’un droit ou une juste réparation.

[75] À l’opposé, l’abus du droit d’ester en justice est une faute commise à l’occasion d’un recours judiciaire. C’est le cas où la contestation judiciaire est, au départ, de mauvaise foi, soit en demande ou en défense. Ce sera encore le cas lorsqu’une partie de mauvaise foi, multiplie les procédures, poursuit inutilement et abusivement un débat judiciaire. Ce ne sont que des exemples.  […]

[76] Je formule la question qui nous est posée comme suit : la conduite répréhensible, abusive et de mauvaise foi d’une partie sur le fond du litige permet-elle en soi à la partie adverse de réclamer les honoraires extrajudiciaires de son avocat à titre de dommages-intérêts?

[77] Soit dit avec égards, les principes de la responsabilité civile m’incitent à apporter une réponse négative à la question posée. En principe et sauf circonstances exceptionnelles, les honoraires payés par une partie à son avocat ne peuvent, à mon avis, être considérés comme un dommage direct qui sanctionne un abus sur le fond. Il n’existe pas de lien de causalité adéquat entre la faute (abus sur le fond) et le dommage. La causalité adéquate correspond à ou aux événements ayant un rapport logique, direct et immédiat avec l’origine du préjudice subi. Seul l’abus du droit d’ester en justice peut être sanctionné par l’octroi de tels dommages. Il m’apparaît erroné de transformer l’abus sur le fond en un abus du droit d’ester en justice dès qu’un recours judiciaire est entrepris. Quelques explications s’imposent.[60]

[Caractères gras ajoutés]

  1.            L’abus sur le fond survient (ou naît) avant le dépôt des procédures, alors que l’abus d’ester en justice (abus de procédure) se manifeste ou se perpétue à l’occasion de la procédure judiciaire[61]. L’abus sur le fond ne donne pas droit au remboursement des honoraires extrajudiciaires, sauf circonstances exceptionnelles. Il en est ainsi puisque le fait d’agir en justice « est, de prime abord, un droit et non une faute »[62].
  2.            En ce qui concerne ces « circonstances exceptionnelles » où un acte de procédure manifestement mal fondé s’avère une faute civile, le juge Morissette incite à la prudence et rappelle que de tels cas se présentent rarement :

[123] La prémisse du juge est exacte et on ne peut lui reprocher d’avoir fait une lecture sélective de l’arrêt Viel. En effet, l’abus du droit d’ester en justice peut résulter non seulement d’initiatives procédurales abusives parce qu’assimilables à une forme de harcèlement, mais aussi, et exceptionnellement, du refus injustifiable d’une partie de faire face à l’évidence et de renoncer, en demande ou en défense, à une procédure condamnée d’avance. Il faut cependant demeurer très prudent sur ce plan car il y a souvent risque que la position apparemment insoutenable d’une partie s’avère défendable au procès, même si celui qui l’a adoptée finit par échouer au fond. En règle très générale, qui ne souffre que de rares exceptions, on doit se garder d’évaluer le caractère abusif de la demande ou de la défense en orientant le débat vers ce que les parties plaident au fond. […][63]

  1.            Ces cas d’exception riment souvent avec refus d’accepter l’issue d’une affaire, harcèlement procédural, persistance infondée à contester une demande[64] et multiplication des procédures en vue de remettre en question une décision judiciaire déjà passée en force de la chose jugée.

ii. L’article 342 C.p.c.

  1.            L’article 342 C.p.c. consacre le pouvoir discrétionnaire du tribunal de sanctionner les manquements importants constatés dans le déroulement de l’instance :

342. Le tribunal peut d’office ou sur demande, après avoir entendu les parties, sanctionner les manquements importants constatés dans le déroulement de l’instance en ordonnant à l’une d’elles, à titre de frais de justice, de verser à une autre partie, selon ce qu’il estime juste et raisonnable, une compensation pour le paiement des honoraires professionnels de son avocat ou, si cette autre partie n’est pas représentée par avocat, une compensation pour le temps consacré à l’affaire et le travail effectué.

À ces fins, en matière familiale, le tribunal tient compte de l’historique des procédures impliquant les parties.

342. The court, after hearing the parties, may, on its own initiative or on an application, punish substantial breaches noted in the conduct of the proceeding by ordering a party to pay to another party, as legal costs, an amount that it considers fair and reasonable to cover the professional fees of the other party’s lawyer or, if the other party is not represented by a lawyer, to compensate the other party for the time spent on the case and the work involved.

 

For that purpose, in family matters, the court takes into account the history of the proceedings involving the parties.

  1.            Qu’est-ce qu’un manquement important? Lors de l’adoption du nouveau Code de procédure civile, le ministre de la Justice de l’époque, M. Bertrand St-Arnaud, l’a décrit comme un manquement « d’une certaine gravité » et qui est plus qu’anodin[65]. La jurisprudence de la Cour supérieure va dans le même sens[66].
  2.            De son côté, la Cour a qualifié les comportements suivants de « manquements importants » : le défaut de respecter des engagements; l’utilisation de prétextes pour retarder la transmission de renseignements financiers pertinents (ultimement communiqués pendant le procès avec huit mois de retard); l’omission ou le refus de transmettre l’identité et les coordonnées de témoins clés; et le fait d’éviter de répondre aux questions lors d’un interrogatoire[67]. Ce sont tous des gestes destinés à embêter l’autre partie, à entraver le cours du procès ou à faire perdre le temps des parties et du tribunal[68].
  3.            Les manquements énumérés à l’article 341 al. 2 C.p.c. (ne pas respecter des délais, indûment tarder à présenter un incident ou un désistement, faire comparaître un témoin inutilement, etc.) peuvent également servir de guide. Bien que les articles 341 et 342 C.p.c. n’aient pas le même objet (l’article 341 permet au tribunal de condamner la partie qui a eu gain de cause à payer les frais de justice), « le même principe les soustend : décourager les justiciables à faire un mauvais usage de la procédure et les encourager à respecter les engagements qu’ils prennent dans le cadre du contrat judiciaire »[69].
  4.            En somme, l’article 342 C.p.c. « vise à décourager les parties de faire un mauvais usage de la procédure »[70]. Il s’agit d’évaluer « le comportement d’une partie dans le cadre des procédures judiciaires […] et non pas la position adoptée par elle sur le fond de l’affaire »[71]. Dans l’arrêt Biron c. 150 Marchand Holdings inc., la Cour précise que l’article 342 C.p.c. doit être interprété à la lumière des principes directeurs de la procédure civile (art. 19 et 20 C.p.c.), à savoir :

-          Le devoir de limiter l’affaire à ce qui est nécessaire pour résoudre le litige […];

-          Le devoir de ne pas agir en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive ou déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi […];

-          Le devoir de coopérer, « notamment en s’informant mutuellement, en tout temps, des faits et des éléments susceptibles de favoriser un débat loyal et en s’assurant de préserver les éléments de preuve pertinents » […];

-          Le devoir « au temps prévu par le Code ou le protocole de l’instance, [de] s’informer des faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et des éléments de preuve qu’elles entendent produire » […].[72]

  1.            Contrairement à l’article 54 C.p.c., l’article 342 C.p.c. vise d’abord à « sanctionner/punish » les manquements, et non à réparer le préjudice subi par une autre partie. Certes, la sanction permettra de compenser, dans une certaine mesure, les honoraires professionnels de l’avocat de cette autre partie (ou, si elle n’est pas représentée par avocat, le temps consacré à l’affaire et le travail effectué), mais l’objectif premier consiste à imposer une sanction proportionnelle à la gravité des manquements[73], selon ce que le tribunal estime juste et raisonnable, et non selon le principe de la restitution intégrale.
  2.            La conclusion d’un juge sur l’existence d’un manquement important au sens de l’article 342 C.p.c. commande « une grande déférence »[74]. La Cour n’interviendra « qu’en présence d’une erreur de droit ou d’une erreur manifeste et déterminante quant aux questions factuelles ou mixtes »[75].

***

  1.            Qu’en est-il ici?
  2.            Comme déjà mentionné, le juge estime qu’une condamnation de 75 000 $ à titre de frais de justice (« as legal costs ») est justifiée. Ses remarques introductives laissent entendre qu’il se fonde sur l’article 51 C.p.c. :

[1] Taking an unreasonable, unjustified, and vexatious position in any situation that causes prejudice or harm to another and forces that person to commence or pursue judicial proceedings to protect or vindicate a right constitutes abuse. The conduct must be sanctioned lest it give rise to repetition.

[2] The purpose of the Code of Civil Procedure that was brought into force in Quebec in 2016 was to provide the public with means and incentives to ideally prevent or resolve disputes amicably and, if not possible, to pursue them in a simple, proportionate, and economical manner.

[3] That is not what took place in this case. Despite the clear intention of the original landowners, the passage of time and the plethora of plans, technical land survey and other property description documents available and pointing to a servitude of passage, the defendant decided to challenge and obstruct the plaintiffs’ rights.

[4] The plaintiffs should have never been forced to commence legal proceedings against the defendant, whose president and sole owner deliberately and unreasonably decided to take a chance – because he could afford it – and see what happens by turning the simple and straightforward into complicated and long, and thereby obliging the plaintiffs to expend money and resources to protect a right that was already theirs.

[Renvoi omis]

  1.            Plus loin dans ses motifs, le juge renvoie indifféremment aux articles 51 et 342 C.p.c., mais le comportement qu’il décrit concerne davantage la position adoptée par l’appelante sur le fond de l’affaire :

[139] In this case, to use the words of the plaintiffs’ lawyer at trial, if the parties could not reach an amicable solution in the face of the clear terms of the Dallaire J. judgment, “a simple visit and consultation with a notary” would have likely sufficed to resolve the differences between the defendant and the plaintiffs. Instead, the defendant obliged – indeed instigated – the plaintiffs to pursue legal proceedings.

[140] While reproduced in full above, the following excerpt of exchanges between Adamson and Ata sheds light on the approach, modus operandi and the intentions of the defendant and its representative.

Georges :

Have good day. I hope to see your lawyer in court. In the meantime, no one is authorized on my driveway.

Simon :

Ok but its sad that it has come to using lawyers.

Georges :

No, not at all. You have options. But if you feel that you have the right and it is worth 200k$ to claim it. I don’t see why you should not go to court.

Ask your lawyer the minimal cost that you are going to pay.

As of today, you don’t have any legal right.

Happy Easter mate.

[…]

Georges :

Not at all. I want to clear all the titles issues. Once done, the value of my properties go up. This is my specialty. I buy properties that have issues and once these issues are cleared, I sell at a higher price.

[Underlining is mine]

[141] Yet another sample of the defendant’s position in writing justifies the plaintiffs’ request for a condemnation of costs as against the defendant. In his email dated 31 May 2021 and entitled “Illegal Trespassing” Ata writes:

[…]

Messieurs Therrien et Adamson, ni vous ni vos locataires, ni vos représentants sont les bienvenues sur mon terrain. Vous étiez informés depuis plus de 20 mois de la situation et vous n’avez pris aucune action. Le chemin sera bloqué ce mercredi. Si votre avocate pense qu’elle a un certain droit sur notre terrain, elle peut présenter une injonction provisoire demandant l’accès. Vous avez tout le droit de le faire et nous avons le droit de défendre nos intérêts contrairement à ce que Mtre Tessier vous a écrit dans sa correspondance. On est dans un pays de droit et le droit doit être respecté. Prouvez-nous que vous ayez le droit à ce chemin et on vous permettra d’y accéder. Maintenant, il n’y a aucun document légal qui prouve que vous avez accès à ce terrain.

[Underlining is mine]

[Soulignements et caractères gras dans l’original]

  1.            Je note également que le juge détermine le quantum de la condamnation en s’appuyant, notamment, sur les honoraires et les débours engagés par les intimés de mars à septembre 2021 (donc en partie avant le dépôt de la demande introductive d’instance le 10 juin 2021)[76]. Il prend en compte le temps consacré par les intimés pour mener une bataille juridique « that should have from the outset been resolved amicably or at a minimum managed more efficiently »[77]. Il considère comme un manquement important dans le déroulement de l’instance le mépris flagrant et délibéré démontré par M. Ata à l’égard du Jugement Dallaire et, à la fin, il en vient à la conclusion suivante :

[157] Based on the facts depicted above, I do not think there is anything unjust or unfair here to conclude that the defendant’s conduct, both before and after the litigation was commenced, was abusive. There is nothing unclear about the Dallaire J. judgment.

[Soulignement dans l’original]

  1.            En somme, même si le juge cite l’article 342 C.p.c. et emploie à certains endroits le langage de cette disposition (« a substantial breach in the conduct of a proceeding », « as legal costs »), le comportement qu’il sanctionne, à savoir la position adoptée par l’appelante malgré le Jugement Dallaire et ses tentatives d’intimidation contre les intimés, ne correspond pas à des manquements importants dans le déroulement de l’instance. D’ailleurs, le juge ne pointe aucun manquement de cette nature, sauf peut-être lorsqu’il souligne « the unsubstantiated and vehement resistance » de l’appelante jusqu’à la dernière minute chaque fois qu’une demande était présentée[78]. Sur ce point, il fait erreur puisque l’appelante a informé les intimés plus d’une semaine à l’avance qu’elle consentait à ce que l’ordonnance de sauvegarde prononcée par le juge Payette soit prolongée jusqu’au jugement au fond.
  2.            Le juge se méprend également lorsqu’il retient que la juge Silvana Conte a dû rendre une deuxième ordonnance de sauvegarde en raison des difficultés rencontrées par les intimés à l’été 2021[79]. Cette ordonnance n’existe tout simplement pas; la juge Conte a seulement communiqué avec les avocats des parties à titre de juge coordonnatrice de la salle d’audience où la demande en injonction interlocutoire devait être présentée.
  3.            À vrai dire, le dossier ne révèle aucun manquement important dans le déroulement de l’instance à proprement parler. Comme l’appelante le fait remarquer : « Le dossier s’est rendu à procès seulement un an après le dépôt de la demande introductive d’instance en juin 2021 et tous les engagements judiciaires pris par [elle] ont été respectés »[80].
  4.            C’est donc à tort que le juge considère le comportement de l’appelante comme un manquement important dans le déroulement de l’instance au sens de l’article 342 C.p.c.
  5.            Par ailleurs, le comportement de l’appelante avant l’introduction de l’instance et sa position au fond peuvent, dans les circonstances particulières de l’espèce, être qualifiés d’abus de procédure au sens de l’article 51 C.p.c. Je rappelle qu’en novembre 2019, alors qu’elle était bien au fait de la servitude de passage par destination du propriétaire dont bénéficiait le chalet 52, l’appelante a mis en demeure les Adamson et les Taylor de cesser d’emprunter le chemin des Chantiers pour accéder à leur chalet, déclenchant ainsi les hostilités. En avril 2021, M. Ata a défié les intimés de le poursuivre et, au début du mois de juin 2021, il a installé une barrière pour les empêcher d’emprunter le chemin. Le seul fait que l’appelante n’a pas entrepris le recours judiciaire ne la met pas à l’abri d’une condamnation pour abus de procédure. Comme l’observe le juge Rochon dans Viel, l’abus du droit d’ester en justice peut résider dans une « contestation judiciaire [qui] est, au départ, de mauvaise foi, soit en demande ou en défense »[81].
  6.            En réalité, il s’agit d’un cas exceptionnel où l’abus sur le fond et l’abus de procédure sont pratiquement indissociables. La faute de l’appelante (le fait d’empêcher abusivement les intimés d’emprunter le chemin des Chantiers) s’accompagne d’une utilisation de la procédure de manière déraisonnable ou de manière à nuire à autrui, voire d’un détournement des fins de la justice, pour reprendre les termes de l’article 51 C.p.c. L’appelante a maintenu cette position tant avant qu’après l’introduction de l’instance. Ainsi, l’abus sur le fond, qui est survenu avant le dépôt des procédures, s’est perpétué à l’occasion de la procédure judiciaire, se transformant ainsi en abus de procédure.
  7.            Dès le départ, l’appelante aurait dû reconnaître, ou tout au moins envisager sérieusement, que les chalets des intimés, à l’instar du chalet 52, bénéficiaient d’une servitude de passage par destination du propriétaire, ce qu’elle ne conteste plus aujourd’hui. Cette conclusion s’imposait au vu du Jugement Dallaire, de la situation des chalets des intimés par rapport au chemin des Chantiers et au chalet 52, des divers plans préparés par l’arpenteur-géomètre Daniel Robidoux à l’automne 2007 et en mai 2008 et des actes de vente de 2008 des chalets 51, 52 et 53 qui mentionnent tous un droit de passage sur un chemin privé pour rejoindre le chemin St-Cyr[82].
  8.            Au lieu d’agir comme l’aurait fait une personne sensée et raisonnable, l’appelante a cherché à profiter d’une lacune dans les titres (l’absence de description technique du fonds servant). Le juge constate qu’il s’agit d’un modus operandi[83], se référant à cet échange d’avril 2021 entre l’intimé Simon Adamson et M. Ata :

Simon : like blaming me indirectly… taking it out on me

Georges : Not at all. I want to clear all the titles issues. Once done, the value of my properties will go up. This is my specialty. I buy properties that have issues and once these issues are cleared, I sell at a higher price.[84]

[Caractères gras dans l’original]

  1.       De même, au lieu de coopérer avec les intimés dans la recherche d’une solution, l’appelante les a défiés de recourir aux tribunaux à des coûts exorbitants :

Georges :

Have good day. I hope to see your lawyer in court. In the mean time no one is authorized on my driveway

Simon :

Ok. But its sad that it has come to using lawyers.

Georges :

No, not at all. You have options. But if you feel that you have the right and it is worth 200k$ to claim it, I don’t see why you should not go to court.

Ask your lawyer the minimal cost that you are going to pay.

As of today, you don’t have any legal right

Happy Easter mate[85]

[Caractères gras dans l’original]

  1.       L’appelante a persisté dans sa contestation de l’existence d’une servitude de passage par destination du propriétaire jusqu’en appel, forçant la tenue d’un procès de trois jours, alors que tous les éléments au dossier montraient qu’elle avait tort.
  2.       Le refus de l’appelante de tenir compte du Jugement Dallaire et ses tentatives d’intimidation contre les intimés peuvent être considérés comme un abus de son droit d’ester en justice. Le juge n’a pas erré en voulant sanctionner ce comportement.
  3.       Le quantum de la condamnation n’est toutefois pas justifié. Comme l’observe le juge[86], les intimés réclamaient tous leurs « honoraires extrajudiciaires, évalués à 80 431,54 $, à parfaire »[87], mais ils ont produit une seule facture de 66 621 $ pour la période du 22 mars au 9 novembre 2021[88]. Exerçant sa discrétion, le juge a fixé le quantum à 75 000 $, en l’absence de tout autre élément preuve[89].
  4.       On l’a vu, la condamnation d’une partie à des dommages-intérêts compensatoires sur la base des articles 51 et 54 C.p.c. exige la démonstration d’un lien de causalité entre l’abus (faute) et les honoraires et les débours engagés (préjudice)[90].
  5.       En l’espèce, le juge lui-même reconnaît que le litige entre les parties aurait pu se régler à l’amiable dès le départ, ou tout au moins de manière plus efficace. Mais, dans tous les cas, les intimés auraient eu à débourser une somme d’argent pour obtenir un jugement déclaratoire de servitude.
  6.       Cette somme est difficile à évaluer sans une part d’arbitraire. Il reste que la majorité des honoraires et des débours engagés par les intimés aurait pu être évitée. Dans les circonstances, je propose de réduire à 40 000 $ la somme qui leur a été accordée.
  7.       Finalement, l’appelante soutient que le juge a erré en permettant que l’avocate des intimés ne témoigne pas sur les honoraires et les débours réclamés. Elle invoque ce passage de l’arrêt Hébert (Succession de) :

[128]  Les avocats qui réclament le remboursement de leurs honoraires à une tierce partie dans le cadre d’une procédure judiciaire ne sont pas dispensés d’en faire la preuve pas plus que le plombier, l’architecte, le comptable, etc.  Il n’est pas suffisant de déposer ses notes d’honoraires lorsqu’on veut en réclamer le remboursement à un tiers autre que son client.[91]

  1.       C’est vrai, mais l’appelante ici était représentée par avocat (contrairement à la partie adverse dans l’arrêt Hébert) et ce dernier a choisi de ne pas contre-interroger l’avocate des intimés. Il aurait pu le faire, l’avocate des intimés ne s’y opposait pas et du temps d’audience avait même été annoncé. Cet argument ne peut donc être retenu.
  1. Conclusion
  1.       Pour ces motifs, j’accueillerais la demande de permission d’appeler de bene esse hors délai et l’appel, sans frais de justice vu le sort mitigé du pourvoi, afin de réduire à 40 000 $ la somme accordée aux intimés, avec intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle à compter du 7 juin 2022 et les frais de justice en première instance.

 

 

 

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

 


[1] 9414-8442 Québec inc. c. 9401-0428 Québec inc., 2023 QCCS 278 [Jugement de première instance].

[2] Date de la demande introductive d’instance modifiée réclamant à l’appelante les honoraires et les débours engagés par les intimés.

[3] Une propriété désignée comme faisant partie du lot 4, rang 12, sur le cadastre officiel du canton de La Minerve, dans la circonscription foncière de Labelle (lot 5 223 899, anciennement le lot 445).

[4] Une propriété désignée comme faisant partie du lot 4, rang 12, sur le cadastre officiel du canton de La Minerve, dans la circonscription foncière de Labelle (lot 5 223 892, anciennement le lot 443).

[5]  Procès-verbal et ordonnance de sauvegarde, 16 juin 2021 (Payette, j.c.s.).

[6]  Dans l’éventualité où le tribunal refuserait de reconnaître une servitude de passage par destination du propriétaire.

[7] Un jugement rectifié est rendu le 14 février 2023 afin d’inclure une description technique du droit de passage sur le chemin des Chantiers.

[8] 9401-0428 Québec inc. c. 9414-8442 Québec inc., 2023 QCCA 1650.

[9]  Jugement de première instance, par. 6-8.

[10]  Id., par. 9-55.

[11]  Id., par. 59-121.

[12]  Id., par. 56 et 59-96.

[13]  Id., par. 68-69.

[14]  Id., par. 93-95.

[15]  Id., par. 60-67 et 74.

[16]  Id., par. 97-121.

[17]  Id., par. 57 et 124-134.

[18]  Ibid.

[19]  Id., par. 135-161.

[20]  Id., par. 135.

[21]  Id., par. 157.

[22]  Id., par. 143. Notamment, lorsque les intimés ont présenté une demande d’ordonnance de sauvegarde le 16 juin 2021 et une demande en injonction interlocutoire le 7 septembre 2021.

[23]  Id., par. 150 et 157.

[24]  Id., par. 143-145.

[25] La description qui figure dans les actes de vente est celle du fonds servant d’une autre servitude qui confère un droit de passage à pied pour accéder à un lac privé.

[26] Argumentation des intimés, par. 27.

[27] Girard c. Ménard, 1995 CanLII 5095, p. 4-5 (C.A.). Voir aussi : Sylvio Normand, Introduction au droit des biens, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2020, p. 327.

[28] Organisation mondiale sikhe du Canada c. Procureur général du Québec, 2024 QCCA 254, par. 379380, demandes d’autorisation d’appel à la Cour suprême et demande d’autorisation de pourvoi incident à la Cour suprême accueillies, 23 janvier 2025, no 41231, citant Dostie c. Procureur général du Canada, 2022 QCCA 1652, par. 50, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 27 juillet 2023, no 40597.

[29] Id., par. 382, ajoutant « sauf dans les renvois dont ils sont saisis par les gouvernements ». Voir également l’article 10 al. 3 C.p.c. selon lequel les tribunaux ne sont pas tenus de se prononcer sur des questions théoriques.

[30]  Pierre-Claude Lafond, Précis de droit des biens, 2e éd., Montréal, Thémis, 2007, p. 919, par. 2091.

[31]  Sylvio Normand, Introduction au droit des biens, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2020, p. 340.

[32]  Picotte c. Labranche, 2014 QCCA 675, par. 4; Tessier c. Véronneau, 1996 CanLII 6269 (C.A.); Rioux c. Nesbitt, [1910] 19 B.R. 75 (B.R. Qc); Lussier c. 9060-4190 Québec inc., 2017 QCCS 5450; Gillepsie c. Gribbon, 2010 QCCS 966, par. 50-55, appel rejeté par Gribbon c. Gillespie, 2012 QCCA 968; Lavoie-Anctil c. Gosselin, 2007 QCCS 2929.

[33]  Caron c. Bédard, 2015 QCCA 1041; Couture c. Ferme La champignière Inc., 2002 CanLII 28009 (C.A.); Leclair c. Pearson, 1993 CanLII 3777 (C.A.); Fleurant c. Vigeant, 2013 QCCS 2849; Martin c. Bourdon, 2009 QCCS 1361; Parent c. Camping Domaine de la paix inc., 2008 QCCS 5909.

[34] Rioux c. Nesbitt, [1910] 19 B.R. 75 (B.R. Qc).

[35]  Picotte c. Labranche, 2014 QCCA 675, par. 4. P. ex., dans Deschênes c. Galland, 2010 QCCA 741, par. 41-42, la Cour confirme la conclusion du juge de première instance ordonnant au propriétaire du fonds servant de retirer une clôture n’ayant aucune utilité.

[36]  Deschênes c. Galland, 2010 QCCA 741, par. 60; Parent c. Camping Domaine de la paix inc., 2008 QCCS 5909, par. 19.

[37]  Picotte c. Labranche, 2014 QCCA 675, par. 4; Tessier c. Véronneau, 1996 CanLII 6269 (C.A.).

[38]  Couture c. Ferme La champignière Inc., 2002 CanLII 28009, par. 12 et 14 (C.A.).

[39]  Jugement de première instance, par. 124 et 127.

[40]  Id., par. 127, 130 et 131 [Soulignement ajouté].

[41]  Id., par. 130.

[42]  3351 Gouin Est inc. c. Groupe Immo Oikos inc., 2023 QCCA 989, par. 59 [Renvoi omis].

[43] Ibid.

[44]  Trudel c. Laurin, 2016 QCCA 1376, par. 14.

[45]  9401-0428 Québec inc. c. 9414-8442 Québec inc., 2023 QCCA 1650, par. 7.

[46]  Droit de la famille — 241524, 2024 QCCA 1314, par. 3.

[47]  Royal Lepage commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., 2007 QCCA 915, par. 30; Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, Volume 1 – Principes généraux, 9e éd., Montréal, Yvon Blais, 2020, par. 1347 et 1-348.

[48]  Biron c. 150 Marchand Holdings inc., 2020 QCCA 1537, par. 98 et 102.

[49]  Voir par exemple Droit de la famille — 172623, 2017 QCCA 1751, par. 51-55 : la Cour conclut qu’il y a abus de procédure selon les articles 51 et s. C.p.c. de même que des manquements importants dans le déroulement de l’instance au sens de l’article 342 C.p.c. Elle octroie une somme de 15 000 $ pour le tout.

[50]  Biron c. 150 Marchand Holdings inc., 2020 QCCA 1537, par. 102; 2741-8854 Québec inc. c. Restaurant King Ouest inc., 2018 QCCA 1807, par. 26 [Restaurant King Ouest].

[51]  Art. 51 al. 2 C.p.c.; Luc Chamberland (dir.), Le grand collectif. Code de procédure civile : commentaires et annotations, 9e éd., vol. 1 « Articles 1 à 390 », Cowansville, Yvon Blais, 2024, art. 51 (Raphaël Lescop et Vanessa Ntaganda).

[52] Le rejet d’un acte de procédure en vertu des articles 51 et 53 C.p.c. ne doit toutefois pas être confondu avec le moyen d’irrecevabilité prévu à l’article 168 al. 2 C.p.c. (le rejet d’une demande ou d’une défense non fondée en droit, quoique les faits allégués puissent être vrais). Voir notamment : Lacour c. Construction D.M. Turcotte TRO inc., 2019 QCCA 1023, par. 28-31.

[53]  Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 9e éd., vol. 1, Montréal, Yvon Blais, 2020, no 1-243.

[54] 2741-8854 Québec inc. c. Restaurant King Ouest inc., 2018 QCCA 1807, par. 28. Voir aussi : Vandal c. Municipalité de Boileau, 2020 QCCA 777, par. 6-8.

[55]  Syndicat de la copropriété de l’Île Bellevue Phase I c. Propriétés Belcourt inc., 2021 QCCA 92, par. 6768; Jean-Paul Beaudry ltée c. 4013964 Canada inc., 2013 QCCA 792, par. 75.

[56] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 9e éd., vol. 1, Montréal, Yvon Blais, 2020, no 1-236.

[57] 2741-8854 Québec inc. c. Restaurant King Ouest inc., 2018 QCCA 1807, par. 28; JeanLouis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 9e éd., vol. 1, Montréal, Yvon Blais, 2020, no 1-352.1.

[58] Vandal c. Municipalité de Boileau, 2020 QCCA 777, par. 7.

[59]  Viel c. Entreprises immobilières du terroir Ltée., 2002 CanLII 41120, par. 77-79 (C.A.), cité dans Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, par. 163 et dans Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, par. 168. Voir aussi : Sabrina Saint-Louis, Le pouvoir de sanctionner l’abus de procédure, Montréal, Yvon Blais, 2020, p. 30-32.

[60]  Viel c. Entreprises immobilières du terroir Ltée., 2002 CanLII 41120, par. 74-77 (C.A.), repris maintes fois par la Cour, même sous le régime des articles 54.1 à 54.6 a.C.p.c. et depuis l’entrée en vigueur de l’art. 51 C.p.c. en 2016, notamment dans Bédard Martin c. Intact, compagnie d’assurances inc., 2018 QCCA 162, par. 64-65; Lavigne c. Municipalité de Val-des-Monts, 2017 QCCA 1125, par. 54; Gestion Marigec inc. c. Immeubles Rimanesa inc., 2024 QCCA 1055, par. 60, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 24 juillet 2025, no 41500.

[61]  Royal Lepage commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., 2007 QCCA 915, par. 39; Lévesque c. Carignan (Corporation de la Ville de), 2007 QCCA 63, par. 44.

[62]  Équipement de transformation IMAC (ETI) c. Ville de Saint-Bruno-de-Montarville, 2021 QCCA 1427, par. 14.

[63]  Fillion c. Chiasson, 2007 QCCA 570, par. 123.

[64] Voir, par exemple, l’arrêt Lévesque c. Carignan (Corporation de la Ville de), 2007 QCCA 63, par. 54, où le juge Chamberland écrit que « l’abus de droit sur le fond du litige s’est transformé en abus d’ester en justice quand la municipalité a choisi de contester la demande d’annulation du règlement ».

[65]  Assemblée nationale, Journal des débats, 40e lég., 1re sess., vol. 43, no 92, 20 novembre 2013, 15 h 37 (B. St-Arnaud).

[66]  Plusieurs décisions de la Cour supérieure suggèrent qu’il s’agit d’un manquement qui se situe à un « degré intermédiaire entre le manquement anodin et le manquement grave » : Layla Jet Ltd. c. Acass Canada Ltd., 2020 QCCS 667, par. 6, demande de permission d’appeler rejetée, 2020 QCCA 720; Boulanger c. Succession de Lemieux, 2018 QCCS 5289, par. 36; Gagnon c. Audi Canada inc., 2018 QCCS 3128, par. 48; Construction Dureco inc. c. 9108-5621 Québec inc., 2016 QCCS 5786, par. 5.

[67]  Chicoine c. Vessia, 2023 QCCA 582, par. 10 et s.; Lavoie c. Latouche, 2019 QCCA 2116, par. 148. Voir aussi les manquements importants confirmés par cette Cour dans R.D. c. L.M., 2017 QCCA 1651, par. 64.

[68]  Lavoie c. Latouche, 2019 QCCA 2116, par. 148.

[69] Luc Chamberland (dir.), Le grand collectif. Code de procédure civile : commentaires et annotations, 9e éd., vol. 1 « Articles 1 à 390 », Cowansville, Yvon Blais, 2024, art. 342 (Marie-Josée Hogue).

[70]  Biron c. 150 Marchand Holdings inc., 2020 QCCA 1537, par. 99 [Renvoi omis].

[71]  Luc Chamberland (dir.), Le grand collectif. Code de procédure civile : commentaires et annotations, 9e éd., vol. 1 « Articles 1 à 390 », Cowansville, Yvon Blais, 2024, art. 342 (Marie-Josée Hogue). Voir aussi : R.D. c. L.M., 2017 QCCA 1651, par. 63; Gagnon c. Audi Canada inc., 2018 QCCS 3128, par. 39.

[72]  Biron c. 150 Marchand Holdings inc., 2020 QCCA 1537, par. 100. Voir aussi : Denis Ferland et Benoît Emery, Précis de procédure civile du Québec, 6e éd., vol. 1, Montréal, Yvon Blais, 2020, p. 1153, no 1-2743.

[73] Lavoie c. Latouche, 2019 QCCA 2116, par. 149.

[74]  Biron c. 150 Marchand Holdings inc., 2020 QCCA 1537, par. 109.

[75]  Ibid. [Renvoi omis]. Voir aussi : Droit de la famille — 23935, 2023 QCCA 816, par. 15; Droit de la famille  211893, 2021 QCCA 1485, par. 17; Droit de la famille — 20125, 2020 QCCA 186, par. 32, citant Construction Dompat inc. c. Société des vétérans polonais de guerre du Maréchal J. Pilsudski inc., 2019 QCCA 926, par. 190; Ly c. Construction Sainte Gabrielle inc., 2018 QCCA 1438, par. 59; R.D. c. L.M., 2017 QCCA 1651, par. 59.

[76] Jugement de première instance, par. 144.

[77] Id., par. 145.

[78] Id., par. 143.

[79] Id., par. 51.

[80] Argumentation de l’appelante, par. 75.

[81] Viel c. Entreprises immobilières du terroir Ltée., 2002 CanLII 41120, par. 75 (C.A.).

[82] Le chemin privé en question était forcément le chemin des Chantiers, qui sera nommé ainsi en 2011. S’il s’était agi du chemin Nephtalie-Maher, les actes de vente l’auraient indiqué puisque ce chemin portait déjà ce nom à l’époque.

[83] Jugement de première instance, par. 140.

[84] Pièce P-40, Échanges sur Skype entre Simon Adamson et Georges Ata, p. 4.

[85]  Id., p. 2.

[86] Jugement de première instance, par. 142.

[87]  Demande introductive d’instance modifiée (2) en confirmation d’un droit de passage par destination du propriétaire et en délimitation d’une assiette de droit de passage, 10 juin 2022, p. 24.

[88] Pièce P-47, Note d’honoraires, 30 novembre 2021, p. 10.

[89] Jugement de première instance, par. 143.

[90]  Supra, par. [75]; Syndicat de la copropriété de l’Île Bellevue Phase I c. Propriétés Belcourt inc., 2021 QCCA 92, par. 6768; Jean-Paul Beaudry ltée c. 4013964 Canada inc., 2013 QCCA 792, par. 75.

[91]  Hébert (Succession de), 2011 QCCA 1170, par. 128, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 23 février 2012, no 34374.

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