Décision

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Simard c. R.

2025 QCCA 1062

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-10-008290-247

(750-01-060429-212)

 

DATE :

29 août 2025

 

 

FORMATION :

 LES HONORABLES

MANON SAVARD, J.C.Q.

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

 

 

MAXIME SIMARD

APPELANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ – poursuivant

 

 

 

ARRÊT

 

 

MISE EN GARDE : Une ordonnance limitant la publication a été prononcée en première instance en vertu de l’article 486.4 C.cr. afin d’interdire la publication ou la diffusion de quelque façon que ce soit de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime ou d’un témoin.

  1.                 L’appelant se pourvoit[1] contre un jugement rendu le 26 septembre 2024 par la Cour du Québec (l’honorable Benoît Gariépy) le condamnant à huit mois d’emprisonnement à être purgés dans la collectivité pour agression sexuelle[2].

 

  1.                 L’appelant et la victime ont formé un couple d’octobre 2019 à juillet 2020. Il était alors âgé de 28 ans et elle de 21 ans. L’appelant reconnaît qu’au cours de cette période, il a parfois touché la victime par-dessus ses vêtements pendant qu’elle dormait dans le but d’amorcer une relation sexuelle avec elle. Il cessait ces gestes lorsqu’elle lui signifiait ne pas vouloir de relation. La victime a porté plainte le 21 février 2021 et l’appelant a été accusé d’un chef d’agression sexuelle. Il a été reconnu coupable de cette infraction le 18 avril 2023[3]. 
  2.                 Le 23 avril 2024, le juge prononce un jugement précisant les faits qui seront retenus aux fins de la détermination de la peine. Il conclut qu’à une dizaine de reprises, l’appelant a touché les cuisses, fesses et seins de la victime par-dessus ses vêtements. Cette conclusion de fait n’est pas attaquée en appel.
  3.                 Lors de l’audience sur la détermination de la peine, l’intimé propose une peine d’emprisonnement de 12 mois, tandis que l’appelant réclame une absolution conditionnelle. Avant de considérer ces suggestions, le juge résume le profil de l’appelant et les conséquences du crime sur la victime.
  4.                 En ce qui a trait à la victime, le juge observe qu’avant sa relation avec l’appelant, elle avait vécu plusieurs épisodes de violence physique et sexuelle de la part de son père et de son ex-conjoint, qui était également son proxénète. Ces expériences ont laissé chez elle des séquelles importantes, qui l’ont rendue particulièrement vulnérable aux gestes commis en l’espèce. Elle a une faible estime de soi, a du mal à faire confiance aux autres et s’inquiète pour sa sécurité. Elle a tenté de se suicider en 2024 et est suivie depuis par un psychologue.
  5.                 L’appelant, quant à lui, a travaillé pour son père comme maçon avant de réorienter sa carrière vers l’immobilier, domaine dans lequel il a suivi une formation pour devenir courtier. Sa demande de permis d’exercice auprès de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) est en suspens dans l’attente de l’issue du présent dossier. Depuis les évènements, il a entrepris un suivi psychothérapeutique auprès d’un sexologue. Il affirme avoir beaucoup appris et se considère comme une meilleure personne. Il reconnaît avoir mal agi et regrette ses gestes et leurs conséquences sur la victime. Il a déclaré à la criminologue qui a rédigé le rapport présentenciel que la victime s’était confiée à lui sur son enfance difficile et « les enjeux qu’elle vivait en lien avec la sexualité »[4]. Selon ce rapport, le risque de récidive est faible.
  6.                 Le juge retient les facteurs aggravants suivants : (i) le mauvais traitement d’un partenaire intime; (ii) l’abus de confiance, les gestes ayant été commis alors que la victime était endormie et donc vulnérable; (iii) les conséquences importantes sur la victime, qui portait encore les séquelles d’agressions sexuelles passées; et (iv) la fréquence des gestes posés considérant que « la victime devait constamment, lorsqu’elle se réveillait, repousser sa main » et que les comportements ont perduré dans le temps.
  7.                 Les facteurs atténuants retenus par le juge à l’égard de l’appelant sont : (i) l’absence d’antécédents judiciaires; (ii) le faible risque de récidive vu son introspection et ses démarches thérapeutiques; (iii) l’emploi stable; (iv) le soutien familial; (v) le profil personnel et professionnel positif; et (vi) le respect des conditions de sa mise en liberté sous caution qui, bien que peu contraignantes selon le juge, ont duré longtemps.
  8.                 Après avoir soupesé la gravité objective et subjective de l’infraction, le juge conclut qu’une peine « quelque part au milieu de la fourchette applicable » s’impose, soit entre l’absolution et 10 ans d’emprisonnement.
  9.            Enfin, le juge estime que l’appelant n’a pas démontré qu’il avait un intérêt véritable à bénéficier d’une absolution. Il poursuit néanmoins son analyse et conclut qu’une absolution serait également contraire à l’intérêt public. Selon lui, une peine de huit mois d’emprisonnement à être purgée dans la collectivité constitue une peine appropriée.

***

  1.            L’appelant soulève six moyens d’appel, mais ne les développe pas tous dans ses arguments écrits ou oraux. L’essentiel de son appel repose sur l’erreur qu’aurait commise le juge en refusant de lui accorder une absolution. Plus précisément, selon l’appelant, le juge a commis une erreur dans son appréciation de ce qui constitue un intérêt véritable à obtenir une absolution et n’aurait pas accordé suffisamment d’importance à l’objectif pénologique de la réinsertion sociale dans son analyse de l’intérêt public. Il demande à la Cour de casser le jugement de première instance et de remplacer la peine avec sursis prononcée par le juge par une absolution conditionnelle.
  2.            Avant d’examiner les moyens invoqués par l’appelant, il convient de rappeler certains principes applicables.
  3.            Compte tenu de la déférence dont bénéficie le juge chargé de déterminer la peine, le corridor d’intervention en appel est étroit[5]. Une telle intervention n’est justifiée que si la peine est manifestement non indiquée ou si le juge commet une erreur de principe ayant une incidence sur la détermination de la peine[6]. Dans l’arrêt Friesen, la Cour suprême énumère, parmi les erreurs de principe, l’erreur de droit, le défaut de tenir compte d’un facteur pertinent ou la prise en considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant. La pondération des facteurs peut également constituer une erreur de principe, mais uniquement lorsqu’elle constitue un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire du juge[7].
  4.            Une absolution n’est pas une « mesure d’exception »[8]. La Cour a déjà confirmé que lorsque les circonstances s’y prêtent, un juge peut prononcer une absolution dans des affaires mettant en cause des infractions de nature grave, y compris des voies de fait par étranglement[9], des agressions armées[10], des voies de fait causant des lésions corporelles à l’égard d’un partenaire intime[11] ou des agressions sexuelles[12]. 
  5.            Comme la Cour l’a précisé dans l’arrêt Naimer, « […] l’absolution ne peut être accordée que si les conditions prévues au paragraphe 730(1) C.cr. sont satisfaites. Elles commandent que [1] l’accusé ne soit pas une personne morale, [2] que l’infraction ne soit pas assortie d’une peine minimale ou d’une peine maximale de 14 ans ou plus et, finalement, [3] que l’absolution soit dans l’intérêt véritable de l’accusé et ne nuise pas à l’intérêt public »[13].
  6.            Il n’est pas contesté que les deux premières conditions sont remplies en l’espèce. La question est plutôt de déterminer si le juge a commis une erreur en concluant que l’appelant ne satisfaisait pas à la dernière condition, soit qu’il y allait de son intérêt véritable sans nuire à l’intérêt public.
  7.            Le juge conclut que « la preuve ne révèle pas qu’il […] serait dans l’intérêt véritable » de l’appelant de lui octroyer une absolution. Il reconnaît qu’il suffit que celui-ci établisse une possibilité de préjudice professionnel, mais conclut qu’il n’a pas réussi à faire une telle démonstration. Bien que la demande de permis de courtier déposée par l’appelant auprès de l’OACIQ soit en suspens dans l’attente de l’issue du dossier criminel, le juge souligne que celui-ci « ignore totalement si sa sentence aurait [un] quelconque effet sur l’attribution ou non de son permis de courtier ». Ainsi, selon le juge, le préjudice professionnel de l’appelant « n’est qu’au plus théorique ».
  8.            L’appelant a raison de soutenir qu’en parvenant à cette conclusion, le juge commet une erreur de principe.
  9.            Contrairement à ce que le juge conclut, il n’était pas nécessaire de connaître la décision finale sur la demande de permis de l’appelant pour conclure qu’il existait une possibilité de préjudice. Le fait que l’OACIQ ait suspendu la demande de permis de l’appelant en attendant la fin du processus criminel constitue une preuve qu’il existe au moins une « possibilité de préjudice professionnel »[14]. L’appelant avait donc un intérêt véritable à obtenir une absolution.
  10.            L’appelant fait valoir que le juge a commis une deuxième erreur de principe en concluant qu’une absolution serait contraire à l’intérêt public. Selon lui, le juge accorde une importance excessive aux facteurs de dénonciation et de dissuasion d’autant plus, ajoute-t-il, que l’infraction doit être considérée comme étant au bas de l’échelle et non « quelque part au milieu de la fourchette ». Il ajoute que le juge n’a accordé aucune importance à l’objectif de réinsertion sociale. Pour l’appelant, il est clair qu’une absolution dans ces circonstances n’était pas contraire à l’intérêt public compte tenu surtout de son évolution personnelle et de son faible risque de récidive. 
  11.            La considération des différents objectifs pénologiques par le juge relève d’un exercice discrétionnaire et commande la déférence en appel. Toutefois, le fait de ne pas pondérer les différents objectifs ou de les pondérer de manière déraisonnable constitue une erreur de principe[15]. La peine « doit tenir compte de l’ensemble des objectifs pénologiques et non s’arrêter à certains d’entre eux. Seul l’équilibre mène à une peine juste »[16].
  12.            Le juge reconnaît que : « la dénonciation et la dissuasion sont des objectifs flous pouvant mener rapidement à une sentence disproportionnée s’ils ne sont pas pondérés avec soin ». Il affirme que c’est ce qu’il « s’est assuré […] de faire dans le présent dossier ». Or, rien dans le jugement n’indique que, dans son examen de l’intérêt public, le juge ait effectivement pris en compte d’autres objectifs pénologiques que ceux de la dénonciation et de la dissuasion. Son analyse se concentre exclusivement sur ces considérations. Bien qu’il inclut une liste de facteurs atténuants ailleurs dans le jugement, il n’en tient pas compte au moment de déterminer si une absolution dans la présente affaire nuirait à l’intérêt public. Cela pose particulièrement problème au regard de l’objectif de réinsertion sociale. Le juge en fait mention de manière générale, mais ne l’analyse pas dans le contexte spécifique en l’espèce.
  13.            En outre, le juge examine l’infraction sans tenir compte des circonstances particulières dans lesquelles elle a été commise. Pourtant, le critère de l’intérêt public commande « une prise en compte de la gravité de l’infraction à la lumière des circonstances de l’affaire »[17] dans l’objectif de satisfaire au principe de la proportionnalité de la peine.
  14.            Certes, l’appelant a été reconnu coupable d’agression sexuelle, un crime objectivement grave, passible d’une peine maximale de 10 ans. Cependant, c’est une erreur de traiter tous les cas d’agression sexuelle comme ayant la même gravité subjective sans considérer les faits particuliers de l’infraction en cause. L’article 718.1 C.cr. énonce le principe fondamental de la détermination de la peine, soit la proportionnalité. Comme la Cour suprême l’énonce dans Nasogaluak :

[42] D’une part, ce principe requiert que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction.

[…]

Par conséquent, les deux optiques de la proportionnalité confluent pour donner une peine qui dénonce l’infraction et qui punit le délinquant sans excéder ce qui est nécessaire[18].

  1.            Afin d’individualiser la peine, et de la rendre proportionnelle, il est donc primordial de considérer les faits précis de l’infraction commise. En l’espèce, le juge devait tenir compte du contexte de l’infraction, sans pour autant diminuer ni banaliser la gravité d’une agression sexuelle. Voici comment la Cour décrit la tâche du juge à cet égard dans l’arrêt Lamoureux :

[30]      Il ne fait aucun doute que toutes les formes d’agressions sexuelles sont graves, que « [l]a violence sexuelle à l’égard des enfants demeure toutefois intrinsèquement répréhensible, quel que soit le degré d’atteinte à l’intégrité physique », et qu’il n’existe pas « de hiérarchie des actes physiques » : R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 145-146.

[31]      Tout en acceptant ces affirmations, il demeure que des circonstances peuvent se révéler plus graves que d’autres. Une infraction générique définit des comportements qui se produisent dans des circonstances diverses, leur attribuant des caractéristiques qui les rendent plus ou moins graves. L’exercice de la détermination de la peine exige du juge qu’il fasse des distinctions devant des tragédies humaines, un exercice de comparaison difficile et bien imparfait, mais nécessaire[19].

  1.            Or, la conclusion du juge voulant qu’une absolution nuirait à l’intérêt public repose sur une description de la gravité des agressions sexuelles en général, qui cadre difficilement avec l’infraction précise commise en l’espèce. À ce sujet, il s’exprime ainsi :

Comme la Cour l’a déjà souligné, l’infraction est objectivement et subjectivement grave, la conduite du délinquant étant répréhensible et son degré de responsabilité très élevé, ce genre de conduite doit être dénoncé avec vigueur.

Les délinquants qui maltraitent et abusent de personnes vulnérables, tout spécialement leur partenaire intime et tous ceux qui pourraient faire comme eux, doivent savoir que dans notre système de justice, les peines liées à de tels comportements sont prises très au sérieux.

 

  1.            Le fait que le juge ait appliqué une notion erronée de l’intérêt véritable et n’ait pas individualisé la peine ni tenu compte du principe de proportionnalité dans son analyse de l’intérêt public constitue des erreurs de principe, lesquelles sont déterminantes, car elles l’ont conduit à exclure la possibilité d’une absolution. La Cour doit maintenant déterminer la peine juste et appropriée.

***

  1.            Le Code criminel énonce un certain nombre d’objectifs à prendre en considération lors de la détermination de la peine. Comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Houle, « la peine peut viser à dénoncer le comportement illégal et à dissuader les délinquants de commettre des infractions, tout comme elle peut tendre à favoriser leur réinsertion sociale et à assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité »[20]. De plus, comme il a été indiqué ci-dessus, une peine doit toujours être « proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant »[21] et doit tenir compte de l’ensemble des objectifs pénologiques[22].
  2.            En ce qui concerne les circonstances aggravantes de l’infraction, la Cour retient les suivantes : (i) l’infraction constitue un mauvais traitement à l’égard d’un partenaire intime; (ii) elle constitue un abus de confiance en ce que la victime était particulièrement vulnérable tant parce qu’elle dormait lorsque l’appelant l’a touchée que parce qu’elle avait vécu une enfance difficile liée, comme l’appelant le savait, à « des enjeux sur la sexualité »; (iii) les gestes constitutifs de l’infraction ont été commis à plusieurs reprises; et (iv) les conséquences physiques et psychologiques sur la victime étaient importantes.
  3.            Les circonstances atténuantes que la Cour retient sont les suivantes : (i) l’absence d’antécédents judiciaires; (ii) les remords de l’appelant et les efforts qu’il a déployés pour traiter le comportement qui a conduit à la commission de l’infraction, notamment en s’engageant dans un suivi en psychothérapie avec un sexologue; (iii) le profil personnel et professionnel positif de l’appelant et le soutien de sa famille; (iv) la responsabilisation de l’appelant, qui se reflète en partie dans le don de 2 000 $ qu’il a fait à La Traversée Rive-Sud inc., un organisme qui vient en aide aux victimes d’agressions sexuelles; et (v) le faible risque de récidive.
  4.            La Cour convient avec le juge qu’il importe de tenir compte, en l’espèce, des objectifs de dénonciation et de dissuasion, eu égard notamment au nombre de fois où l’appelant a touché la victime sans son consentement ainsi qu’à l’effet que ces actes ont eu sur elle.
  5.            Toutefois, l’objectif de réinsertion sociale doit également être pris en considération, surtout compte tenu de la prise de conscience par l’appelant de sa responsabilité, de ses efforts pour comprendre ce qui l’a conduit à commettre l’infraction, de son engagement dans une thérapie et de son faible risque de récidive. À ce titre, l’arrêt Friesen souligne le fait que les tribunaux doivent « encourager les délinquants à faire des efforts pour se réinsérer, car cela offre une protection de longue durée »[23]. La Cour suprême affirme aussi que si l’article 718.01 du Code criminel « exige que l’on accorde la priorité à la dissuasion et à la dénonciation, les juges chargés de la détermination de la peine conservent néanmoins le pouvoir discrétionnaire d’accorder un poids important à d’autres facteurs (y compris la réinsertion et les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue) pour en arriver à une peine juste, en conformité avec le principe général de proportionnalité (voir R. c. Bergeron, 2013 QCCA 7, par. 37 (CanLII)) »[24].
  6.            La question qui se pose maintenant est de savoir si les conditions d’une absolution conditionnelle sont réunies en l’espèce. Pour les raisons suivantes, la Cour conclut qu’elles le sont.
  7.            Premièrement, comme il a été expliqué ci-dessus, l’appelant a un intérêt véritable à obtenir une absolution. La preuve établit l’existence d’un risque réel que sans celle-ci, l’OACIQ refuse de lui délivrer un permis de courtier.
  8.            Deuxièmement, une absolution conditionnelle dans le cas présent ne nuirait pas à l’intérêt public. Pour en décider ainsi, la Cour tient compte de la gravité subjective de l’infraction. L’appelant, dans le but d’avoir des relations sexuelles avec la personne avec laquelle il entretenait habituellement de telles relations consensuelles, a touché la victime à différentes reprises par-dessus ses vêtements, alors qu’ils étaient couchés dans le même lit. Compte tenu des circonstances, la Cour estime que l’infraction en l’espèce implique des gestes sexuels de moindre gravité[25] et qu’elle mérite une peine se situant dans la partie inférieure de la fourchette des peines d’agression sexuelle. À cet égard, il convient également de noter que dès que la victime se réveillait, lorsqu’elle n’était pas intéressée, elle retirait la main de l’appelant, ce qui mettait fin aux attouchements.
  9.            Cela étant dit, des gestes répétés – comme ceux en l’espèce – par opposition à un incident isolé, ne favorisent généralement pas l’absolution[26]. Toutefois, il faut tenir compte des circonstances qui ont mené à l’infraction. L’appelant reconnaît que ses actes étaient fondés sur une mauvaise compréhension de la notion de consentement. Selon la criminologue qui a rédigé le rapport présentenciel, le discours de l’appelant concorde avec son témoignage devant le tribunal. Il ne se rendait pas compte que ses gestes, commis pendant que la victime dormait, « représentaient une absence de consentement dans le cadre d’une relation de couple et pouvaient engendrer des accusations criminelles »[27]. Il s’agissait pour lui « de rituels habituels du couple pour initier la sexualité, et ce, de part et d’autre »[28]. Elle ajoute qu’il « accorde désormais une grande importance au consentement clair d’une partenaire et qu’il évite toute situation ambiguë »[29].
  10.            Comme le rappelle l’arrêt Friesen, « [l]’expression de remords constitue un facteur atténuant pertinent »[30], mais la Cour ajoute que « le remords revêt une importance accrue lorsqu’il est jumelé à une introspection et à des signes indiquant que le délinquant [traduction] « a compris la gravité de sa conduite et s’est par conséquent imposé un changement d’attitude ou une autodiscipline réduisant considérablement la probabilité de récidive »[31]. C’est évidemment le cas en l’espèce.
  11.            La méconnaissance par l’appelant de la notion de consentement ne diminue en rien sa responsabilité légale – il a, après tout, été reconnu coupable. Toutefois, elle réduit sa responsabilité morale dans les faits de l’espèce vu notamment l’introspection qui en a suivi.
  12.            La Cour doit également tenir compte des effets de l’infraction sur la victime. Il ne fait aucun doute, comme elle l’explique, que ces attouchements ont affecté son sentiment de sécurité, sa confiance et sa perception de soi. Toutefois, il faut également tenir compte du fait qu’elle a vécu plusieurs épisodes de violence physique et sexuelle dans le passé et que ces expériences ont laissé des séquelles importantes chez elle. La Cour partage l’avis du juge selon lequel les gestes de l’appelant ont contribué à la « perpétuation » des séquelles de la victime, mais elles ne sont pas à l’origine de toutes les séquelles dont elle souffre.
  13.            Comme le souligne la Cour dans Gravel, une peine d’emprisonnement est « la sanction privilégiée en matière d’agression sexuelle »[32]. Ainsi, dans de nombreux cas d’agressions sexuelles sur des victimes endormies ou inconscientes, comme dans l’affaire Houle[33], des peines d’emprisonnement ont été prononcées. Cela a également été le cas dans R. v. L.A.A.[34], R. v. R.R.[35] et R. c. Savard[36]. Toutefois, dans toutes ces affaires, l’atteinte à l’intégrité physique des victimes était beaucoup plus grave que dans la présente affaire. De plus, chacun de ces dossiers concernait également un chef de voyeurisme, une infraction distincte qui n’est pas en jeu ici. Bien entendu, chaque cas est un cas d’espèce et l’harmonisation des peines est donc un objectif qui comporte ses limites. Bien qu’une absolution demeure une mesure rare pour une agression sexuelle, elle peut être accordée lorsque les circonstances s’y prêtent[37].
  14.            La Cour estime que du point de vue d’une personne raisonnable et bien informée du fonctionnement du système judiciaire et du contexte dans lequel l’infraction a été commise, y compris le profil du contrevenant et celui de la victime[38], une absolution conditionnelle dans la présente affaire ne porterait pas atteinte à la confiance du public dans l’administration de la justice et ne serait pas contraire à l’intérêt public.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

  1.            ACCUEILLE l’appel;
  2.            INFIRME le jugement sur la détermination de la peine rendu le 26 septembre 2024;
  3.            ACCORDE à l’appelant une absolution conditionnelle assortie d’une ordonnance de probation de 3 ans avec un suivi probatoire de 18 mois, aux conditions suivantes :
  1.      Ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite;
  2.      Répondre à toute convocation du Tribunal;
  3.      Se présenter à un agent de probation avant 16 h le 3 septembre 2025 et, par la suite, selon les modalités de temps et de forme fixées par l’agent, et ce, pour une période de 18 mois;
  4.      Résider au [...], Otterburn Park, Québec, [...];
  5.      Prévenir le Tribunal ou l’agent de probation de tout changement d’adresse ou de nom et les aviser rapidement de ses changements d’emploi ou d’occupation;
  6.        Suivre toutes les recommandations de l’agent de probation concernant tout traitement ou thérapie qu’il jugera approprié;
  7.      Effectuer 240 heures de travaux communautaires dans un délai de 18 mois à compter de la présente ordonnance;
  8.      Respecter les modalités d’exécution des travaux communautaires imposées par l’agent de probation et lui fournir la preuve écrite de l’exécution des travaux;
  9.         Ne pas communiquer ou tenter de communiquer, directement ou indirectement, avec E… B… (1998-[...]);
  10.         Ne pas se trouver en présence physique de E… B… (1998-[...]);
  11.      Ne pas se trouver dans un rayon de 300 mètres du domicile de E… B… (1998-[...]) ou de son lieu de travail ou d’étude;
  12.         Ne pas harceler, importuner, molester ou épier E… B… (1998-[...]);
  13.    Ne pas faire référence directement ou indirectement à E… B… (1998-[...]) sur quelque média social que ce soit;
  14.      Ne pas être propriétaire, possesseur ou porteur d’arme, de munition, d’arme blanche ou d’imitation d’arme, y compris des couteaux, sauf dans les restaurants et dans un but légitime;
  1.            MAINTIENT les ordonnances prononcées par le juge d’instance en vertu des articles 109 et 485.051 du Code criminel.

 

 

 

 

MANON SAVARD, J.C.Q.

 

 

 

 

 

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

 

 

Me Louis Frédérique Carmichaël-Moreau

HELLER CARMICHAEL

Pour l’appelant

 

Me Francis Villeneuve-Ménard

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

9 mai 2025

 


[1]  Simard c. R., 2024 QCCA 1563 (j. unique).

[2]  Le Roi c. Simard, C.Q. Saint-Hyacinthe, no 750-01-060429-212, 26 septembre 2024, Gariépy, j.c.q.

[3]  Le Roi c. Simard, C.Q. Saint-Hyacinthe, no 750-01-060429-212, 18 avril 2023, Gariépy, j.c.q.

[4]  Pièce SD-2, Rapport d’expertise criminologique, 12 avril 2024, E.I, vol. 1, p. 4.

[5]  R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 29.

[6]  R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, par. 11, 41 et 44.

[7]  R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 26.

[9]  R. c. Déry Bédard, 2024 QCCA 446.

[10]  Sadak c. R., 2021 QCCA 1938.

[11]  Ivanov c. R., 2025 QCCA 301.

[12]  R. c. Gravel, 2018 QCCA 1114, par. 25 et 26.

[13]  Naimer c. R., 2015 QCCA 1525, par. 12.

[14]   M.P. c. R., 2020 QCCA 892, par. 9.

[15]  R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 45; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, par. 43-46; R. c. Pitts, 2024 QCCA 963, par. 14; Savard c. R., 2024 QCCA 1447, par. 175.

[16]  Harbour c. R., 2017 QCCA 204, par. 84.

[17]  Sadak c. R., 2021 QCCA 1938, par. 29.

[18]  R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, par. 42.

[19]  Lamoureux c. R., 2022 QCCA 1531.

[20]  R. c. Houle, 2023 QCCA 99, par. 33.

[21]  Art. 718.1 C.cr.

[22]  Harbour c. R., 2017 QCCA 204, par. 84.

[23]  R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 124.  Voir aussi R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, par. 48.

[24]  R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 104.

[25]  Siciliano c. R., 2025 QCCA 335, par. 46, référant avec approbation à R. c. Cloutier (2004), [2005] R.J.Q. 287, 2004 CanLII 48297 (C.Q.), auquel réfèrent également avec approbation les arrêts suivants de la Cour : S.J. c. R., 2024 QCCA 253, par. 229-230; Moisan c. R., 2023 QCCA 117, par. 35; Fruitier c. R., 2022 QCCA 1225, par. 90; J.L. c. R., 2021 QCCA 1509, par. 118.

[26]  Vandal c. R., 2024 QCCA 1496, par. 59, citant Parent et Desrosiers, Traité de droit criminel. La peine, t. 3, 4e éd., Montréal, Thémis, 2024, p. 365, no 251.

[27]  Pièce SD-2, Rapport d’expertise criminologique, 12 avril 2024, E.I, vol. 1, p. 13.

[28]  Ibid.

[29] Ibid.

[30]  R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 165.

[31]  Id. Dans ce passage, la Cour cite la décision R. c. Anderson (1992), 74 C.C.C. (3d) 523 (C.A. C.-B.), p. 536.

[32]  R. c. Gravel, 2018 QCCA 1114, par. 15.

[34]  R. v. L.A.A., 2020 ONCJ 556.

[35]  R. v. R.R., 2022 ONCJ 407.

[36]  R. c. Savard, 2013 QCCQ 1950.

[37]  R. c. Gravel, 2018 QCCA.

[38]  R. c. Houle, 2023 QCCA 99, par. 54; Ivanov c. R., 2025 QCCA 301, par. 79.

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