Décision

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Galati c. Ville de Laval

2024 QCCA 263

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-030181-226

(540-17-014763-220)

 

DATE :

 11 mars 2024

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

 

PAOLO GALATI

APPELANT – demandeur

c.

 

VILLE DE LAVAL

INTIMÉE – défenderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 22 juin 2022 par la Cour supérieure, district de Laval (l’honorable Bernard Jolin), lequel rejette son mandamus visant à obtenir de l’intimée le remboursement de ses honoraires légaux[1].

[2]                Pour les motifs du juge Hamilton, auxquels souscrivent les juges Vauclair et Kalichman, LA COUR :

[3]                ACCUEILLE l’appel;

[4]                INFIRME le jugement de première instance;

[5]                ACCUEILLE le pourvoi en contrôle judiciaire de l’appelant;

[6]                ACCEPTE à titre de preuve nouvelle les factures des avocats de l’appelant relativement aux honoraires et déboursés engagés dans le présent dossier;

[7]                CONDAMNE l’intimée à payer 2 743,19 $ à l’appelant, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle à compter de l’assignation;

[8]                LE TOUT, avec les frais de justice en première instance et en appel.

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

Me Eric Oliver

Me Lucie Desgagné

MUNICONSEIL AVOCATS

Pour l’appelant

 

Me Célestine Chartier

Me Guillaume Desjardins

VILLE DE LAVAL – LESAJ, AVOCATS ET NOTAIRES

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

30 août 2023


 

 

 

MOTIFS DU JUGE HAMILTON

 

 

[9]                Cet appel porte sur l’obligation de la municipalité de rembourser les frais d’avocat d’un élu. Deux dispositions sont en jeu : l’article 35 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale (LEDMM)[2] et l’article 604.6 de la Loi sur les cités et villes (LCV)[3]. Dans ce dossier, l’argument principal porte sur l’article 35 LEDMM et l’article 604.6 LCV est plaidé de façon subsidiaire. Dans le dossier d’Isabella Tassoni et David De Cotis, entendu en même temps que le présent dossier et dont l’arrêt est rendu le même jour[4], c’est l’inverse.

CONTEXTE

[10]           L’appelant Paolo Galati est conseiller municipal de la ville de Laval depuis 2013. Il est aussi président du conseil des commissaires de la Commission scolaire anglophone Sir Wilfrid Laurier depuis 2014.

[11]           Le 5 novembre 2021 une modification à l’article 300 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (LERM)[5] entre en vigueur. Elle vient prohiber désormais le cumul des fonctions de conseiller municipal et de membre du conseil d’administration d’un centre de services scolaire anglophone.

[12]           L’appelant est réélu conseiller municipal de la Ville le 13 novembre 2021. Le 16 novembre 2021, le directeur général de la Ville écrit à l’appelant pour soulever des interrogations à l’égard de son habilité à occuper les deux fonctions. À la réception de cet avis, l’appelant sollicite l’avis d’un avocat « conseiller à l’éthique » au sens de l’article 35 LEDMM. Ce dernier demande à la Ville de confirmer qu’elle paiera ses honoraires, ce que la Ville refuse de faire. Il fait tout de même parvenir son avis juridique à l’appelant le 10 décembre 2021[6].

[13]           Le 10 janvier 2022, l’appelant dépose un pourvoi en contrôle judiciaire de type mandamus contre la Ville afin d’obtenir le remboursement des honoraires de son avocat. Par jugement rendu le 22 juin 2022, le juge Bernard Jolin de la Cour supérieure rejette le recours. L’appel dont nous sommes saisis porte sur ce jugement.

[14]           Pendant ce temps, le 7 décembre 2021, la Direction du contentieux et des enquêtes (DCE)[7], division administrative de la Commission municipale du Québec (CMQ), avise l’appelant qu’elle estime qu’en raison des modifications apportées à l’article 300 LERM, il ne sera plus habile à exercer ses fonctions de membre du conseil de la Ville tant qu’il exercera également les fonctions de commissaire de la commission scolaire.

[15]           La DCE dépose une action en déclaration d’inhabilité contre l’appelant le 25 janvier 2022[8]. L’appelant force l’intervention de la Ville et demande qu’il lui soit ordonné de lui rembourser les honoraires d’avocats déboursés dans ce nouveau dossier.

[16]           Par jugement rendu le 13 juillet 2022[9], le juge Martin F. Sheehan de la Cour supérieure rejette la demande en déclaration d’inhabilité de la DCE au motif que l’appelant est membre du conseil d’administration d’une commission scolaire et non d’un centre de services scolaire. De plus, il ordonne à la Ville d’acquitter les honoraires professionnels, déboursés et frais de justice consacrés à la défense de l’appelant dans le dossier d’inhabilité, en vertu de l’article 604.6 LCV[10]. Ce jugement n’est pas porté en appel. En conséquence, la demande dans le présent dossier ne porte que sur les honoraires professionnels et déboursés facturés à l’appelant pour la rédaction de l’avis juridique du 10 décembre 2021 et sa représentation dans le présent dossier.

LE JUGEMENT ENTREPRIS

[17]           Après avoir résumé les faits pertinents, le juge de première instance procède à l’analyse de la demande de l’appelant.

[18]           Premièrement, il étudie sa prétention fondée sur l’article 35 LEDMM[11]. D’emblée, il estime que cette disposition accorde à la Ville un pouvoir lié l’obligeant à rembourser les honoraires d’avocats engagés par un élu municipal lorsque les conditions y étant énoncées sont remplies[12]. Ensuite, il opine que l’objectif de la LEDMM est de guider les élus municipaux de manière à prévenir toute forme d’inconduite disciplinaire. Conséquemment, il estime que la procédure de remboursement des honoraires d’avocats déboursés par des élus municipaux prévue à l’article 35 LEDMM doit viser des opinions juridiques sollicitées de façon préventive[13]. Enfin, le juge conclut que l’avis sollicité par l’appelant échappe à l’application de l’article 35 LEDMM, car 1) il ne vise pas à l’éclairer à titre préventif sur une question potentiellement conflictuelle – la problématique de son cumul de mandat s’étant déjà cristallisée – et 2) il ne vise pas un manquement aux règles édictées par le Code d’éthique et de déontologie des élus de la Ville de Laval et leurs employés politiques (le « Code »), la question du cumul de fonctions s’inscrivant en marge de celui-ci[14]. Il rejette donc cette prétention.

[19]           Deuxièmement, le juge étudie la prétention de l’appelant fondée sur l’article 604.6 LCV. D’emblée, il note que l’appelant n’a pas demandé à la Ville de le rembourser en invoquant cette disposition et que, partant, il pourrait rejeter cette prétention sur cette seule base[15]. Cela étant, le juge poursuit son analyse et conclut qu’il la rejetterait également sur le fond car l’avis juridique n’a pas été sollicité par l’appelant alors qu’il était en défense, contrairement à ce qu’exige l’article 604.6 LCV[16]. Il rejette donc cette deuxième prétention.

[20]           Pour ces motifs, le juge rejette le pourvoi de type mandamus de l’appelant.

MOYENS D’APPEL

[21]           L’appelant soulève les trois questions suivantes :

  • Le juge de première instance a-t-il commis une erreur mixte de droit et de fait déterminante en statuant que la missive de son avocat datée du 16 décembre 2021 ne suffit pas à obtenir le paiement des honoraires facturés pour la rédaction de l’avis juridique demandé par l’appelant en vertu de l’article 35 LEDMM?
  • Le juge de première instance a-t-il commis une erreur de droit en statuant que des allégations dénonçant une situation déjà cristallisée font perdre à l’élu concerné le droit de demander un avis juridique aux frais de sa municipalité en vertu de l’article 35 LEDMM?
  • À titre subsidiaire, le juge de première instance a-t-il commis une erreur mixte de droit et de fait déterminante en statuant que l’obtention d’un avis juridique par l’appelant quant à sa situation de cumul de fonctions ne faisait pas partie intégrante d’une défense au sens de l’article 604.6 LCV à l’encontre d’un éventuel recours en inhabilité?

ANALYSE

[22]           Puisque les deux premiers moyens d’appels portent sur l’interprétation et l’application de l’article 35 LEDMM, je les traiterai ensemble.

  1. Article 35 LEDMM

[23]           La version de l’article 35 LEDMM en vigueur au moment des faits[17] se lit ainsi :

35. La Commission dresse une liste de conseillers à l’éthique et à la déontologie dont les services peuvent être retenus par la municipalité ou par un membre d’un conseil de celle-ci pour fournir un avis sur toute question relative au code d’éthique et de déontologie.

 

35. The Commission draws up a list of ethics and conduct advisers whose services may be retained by a municipality or a council member to provide an advisory opinion on any matter relating to the code of ethics and conduct.

 

 

Est inscrit sur cette liste tout avocat ou notaire qui en formule la demande, dans la mesure où il pratique en droit municipal et remplit les critères de compétence et d’expérience fixés par la Commission.

 

Any lawyer or notary who requests to be on the list is entered on the list, provided that the lawyer or notary practises municipal law and meets the competency and experience requirements set by the Commission.

 

Cette liste est accessible sur le site Internet de la Commission.

 

The list is posted on the Commission’s website.

 

Tout membre d’un conseil d’une municipalité peut obtenir, aux frais de cette dernière, un avis d’un conseiller à l’éthique et à la déontologie, dans la mesure où:

Any member of a council of a municipality may obtain, at the municipality’s expense, an advisory opinion from an ethics and conduct adviser, provided that :

 

1° l’avis est demandé, à titre préventif, pour aider le membre du conseil à respecter les règles prévues au code d’éthique et de déontologie qui lui est applicable;

 

(1)  the opinion is requested as a preventive measure to help the council member observe the rules of the code of ethics and conduct applicable to the member;

 

le conseiller qui produit l’avis est inscrit sur la liste;

 

(2)  the adviser who prepares the opinion is entered on the list; and

 

les honoraires facturés par le conseiller pour la production de l’avis sont raisonnables.

 

(3)  the fees charged by the adviser to prepare the opinion are reasonable.

 

La municipalité paie les honoraires raisonnables sur présentation d’une attestation écrite du conseiller à l’éthique et à la déontologie indiquant le nom du membre du conseil qui a sollicité l’avis et attestant que les conditions prévues aux paragraphes 1° à 3° du quatrième alinéa sont remplies.

 

The municipality pays the reasonable fees on presentation of a written attestation from the ethics and conduct adviser stating the name of the council member who requested the opinion and certifying that the requirements in subparagraphs 1 to 3 of the fourth paragraph are met.

 

[Soulignement ajouté]

 

[Emphasis added]

 

[24]           L’avocat de l’appelant a fourni l’attestation prévue au dernier alinéa de l’article 35 LEDMM :

Compte tenu de ce qui précède, je vous confirme que je suis bien inscrit sur la liste des conseillers en éthique, l’avis demandé est à titre préventif et que les honoraires facturés seront raisonnables.

[25]           À mon avis, cette attestation suffit, en principe, pour donner naissance à l’obligation de la municipalité de rembourser les honoraires demandés par l’appelant.

[26]           Le juge conclut que l’avis sollicité par l’appelant échappe à l’application de l’article 35 LEDMM, car 1) il ne vise pas à l’éclairer à titre préventif sur une question potentiellement conflictuelle – la problématique de son cumul de mandat s’étant déjà cristallisée – et 2) il ne vise pas un manquement aux règles édictées par le Code, mais plutôt une inhabilité légale édictée à l’article 300 LERM[18].

[27]           Ces motifs de refus ne peuvent être retenus.

[28]           D’abord, le juge présume du contenu de l’avis juridique sollicité par l’appelant. Cet avis n’a jamais été déposé en preuve et les parties n’ont pas expliqué comment ce document protégé par le secret professionnel aurait pu être présenté au juge.

[29]           Mais de toute façon, même si le juge avait raison de présumer que l’avis porte sur le cumul de fonctions de l’appelant, une situation qui « s’est déjà cristallisée »[19] et qui découle de l’application de l’article 300 LERM, cela ne suffirait pas pour refuser le remboursement des honoraires. L’article 35 LEDMM doit être interprété de façon à encourager un élu municipal faisant l’objet d’une allégation de manquement à obtenir l’éclairage approprié lui permettant de rectifier une situation potentiellement illégale ou d’adopter une meilleure pratique pour l’avenir. L’appelant explique dans sa procédure en mandamus que le cumul de fonctions était susceptible de mener à des « reproches de nature déontologique » et que l’avis juridique était prospectif en ce qu’il portait sur une question de conflit d’intérêts potentiel[20] : 

13. Ainsi, il appert que le demandeur est, en date des présentes, membre d’un conseil d’administration d’une commission scolaire et non pas d’un centre de services scolaires, rendant inapplicables les dispositions législatives qui étaient invoquées dans les lettres P-1 et P-2 jusqu’à ce qu’un jugement final soit rendu sur le recours intenté par les commissions scolaires anglophones;

14. Les accusations de la Ville et de la CMQ à l’égard du demandeur étant tout de même susceptibles de mener à des reproches de nature déontologique à son endroit malgré le sursis d’application des nouvelles dispositions législatives relatives aux centres de services scolaires anglophones, le demandeur a ainsi sollicité un avis juridique sur une question de conflit d’intérêts potentiel auprès de Me Mario Paul-Hus, conseiller à l’éthique autorisé figurant sur la liste dressée par la CMQ;

[Soulignements ajoutés]

[30]           Un tel conflit d’intérêts potentiel est précisément visé par le Code.

[31]           J’en conclus que l’appelant avait donc droit au remboursement des honoraires d’avocats pour la préparation de l’avis juridique du 10 décembre 2021 en vertu de l’article 35 LERMM et que le juge de première instance a commis une erreur en rejetant sa demande en mandamus.

[32]           Toutefois, l’article 35 LEDMM se limite au droit d’obtenir le remboursement des honoraires d’avocats liés à la préparation de l’avis juridique du 10 décembre 2021[21]. Le remboursement des honoraires se rapportant au recours en mandamus et à l’appel n’est pas prévu à l’article 35 LEDMM, mais doit plutôt suivre les règles du droit commun. Suivant le droit commun, les honoraires engagés pour ester en justice sont remboursables seulement sous forme de dommages-intérêts pour abus du droit d’ester en justice. Un tel abus n’est ni allégué ni prouvé en l’instance.

[33]           Par conséquent, l’appelant a droit seulement au remboursement des honoraires et déboursés engagés pour la préparation de l’avis juridique du 10 décembre 2021. Suivant la facturation déposée au dossier de la Cour[22], je chiffre ce montant (taxes incluses) à 2 743,19 $.

  1. Article 604.6 LCV

[34]           Comme indiqué ci-dessus, en ce qui concerne le dossier d’inhabilité intenté par la DCE, le juge Sheehan a ordonné à la Ville d’acquitter les honoraires professionnels, déboursés et frais de justice consacrés à la défense de l’appelant, en vertu de l’article 604.6 LCV. Le présent dossier se limitant à la demande de l’avis juridique, il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 604.6 LCV.

CONCLUSION

[35]           Je propose d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement de première instance, d’accueillir le pourvoi en contrôle judiciaire de l’appelant et de condamner la Ville à payer 2 743,19 $ à l’appelant, avec les intérêts, l’indemnité additionnelle et les frais en première instance et en appel.

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 


[1]  Galati c. Ville de Laval, 2022 QCCS 2652 [jugement entrepris].

[2]  Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale, RLRQ, c. E-15.1.0.1, tel qu’en vigueur le 30 novembre 2018.

[3]  Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19.

[5]  Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, RLRQ, c. E-2.2.

[6]  L’appelant s’est opposé au dépôt en preuve de l’avis juridique, en raison du secret professionnel. Le juge maintient l’objection.

[7]  Maintenant connue comme la Direction des enquêtes et des poursuites en intégrité municipale (DEPIM).

[8]  Dossier 540-17-014784-226.

[9]  Direction des enquêtes et des poursuites en intégrité municipale (Commission municipale du Québec) c. Galati, 2022 QCCS 2574.

[10]  Id., paragr. 105.

[11]  Jugement entrepris, paragr. 26 et s.

[12]  Id., paragr. 19 à 25.

[13]  Id., paragr. 31; Au soutien de cette conclusion, il juge réfère à la décision de première instance dans Tassoni c. Ville de Laval, 2022 QCCS 342.

[14]  Jugement entrepris, paragr. 35.

[15]  Id., paragr. 37.

[16]  Id., paragr. 38 à 40.

[17]  Cette version de l’article est entré en vigueur le 5 novembre 2021.

[18]  Jugement entrepris, paragr. 35.

[19]  Ibid.

[20]  Pourvoi en contrôle judiciaire de type mandamus visant à obtenir le paiement des frais juridiques du demandeur à titre d’élu municipal, 10 janvier 2022.

[21]  Je note que le résultat aurait été différent si le remboursement avait lieu suivant l’article 604.6 LCV, en raison des dispositions expresses de l’article 604.9 LCV. Voir Ville de Saint-Constant c. Succession de Pépin, 2020 QCCA 1292, paragr. 171-178.

[22]  La Cour accepte la production des factures à titre de preuve nouvelle.

AVIS :
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