R. c. Goupil | 2025 QCCQ 4237 |
COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | ST-FRANÇOIS |
LOCALITÉ DE | SHERBROOKE |
“Chambre criminelle et pénale” |
No : | 450-01-127794-225 |
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DATE : | 8 septembre 2025 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : | L'HONORABLE BENOIT GAGNON, J.C.Q. |
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SA MAJESTÉ LE ROI |
Poursuivant |
c. |
ERIC GOUPIL |
Accusé |
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DÉCISION
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- Le délinquant a été trouvé coupable de deux chefs d’accusation de conduite dangereuse causant des lésions, à l’issue d’un procès. Le Tribunal doit dorénavant lui imposer une peine pour chacun de ces chefs.
CONTEXTE
- Voici comment furent décrits les événements dans le jugement sur le verdict de culpabilité du délinquant :
« Par une matinée ensoleillée d’août 2022, X, un bébé de 5 mois, se rend à l’église avec ses parents. Son père la pousse dans un landau et sa mère suit quelque pas derrière. Pour se rendre à l’église, la famille doit traverser le Boulevard de Portland à Sherbrooke.
La famille s’arrête au passage piétonnier permettant la traverse sécuritaire du Boulevard de Portland. Le père de X, J... A..., appuie sur un dispositif qui allume des feux clignotants intermittents jaunes qui se trouvent de chaque côté de la chaussée.
Un véhicule roulant en direction ouest, dans la voie de droite s’arrête dès qu’il perçoit l’intention de la famille de traverser le boulevard. Il a un contact visuel avec le père de X et voit les feux clignotants intermittents. Un véhicule le suit, dans la même voie et s’arrête derrière lui. D’autres véhicules, roulant dans la voie de droite ralentiront, notant que des véhicules sont à l’arrêt et que les feux de signalisation du passage piétonnier sont allumés. L’accusé roule quant à lui dans la voie de gauche.
Le père de X s’engage sur le passage piétonnier sans jamais voir la voiture de l’accusé qui avance vers l’endroit où il se trouve. Il pousse le landau. L’accusé ne voit pas l’enfant et son père, sa vision de ceux-ci étant cachée par les véhicules arrêtés ou qui ralentissent. L’accusé témoigne ne pas avoir vu les feux intermittents indiquant la présence de l’enfant et de son père, malgré qu’il ait scruté l’endroit de la collision, tout juste avant celle-ci.
Alors que le père de la fillette dépasse tout juste la voiture à l’arrêt dans la voie de droite, le landau qu’il pousse devant lui est happé par le véhicule conduit par l’accusé. Le landau fait un vol plané sur plusieurs mètres. J... A... tombe le long du véhicule conduit par l’accusé, momentanément désorienté par l’impact. Il se relève et se porte au secours de sa fille.
L’accusé arrête rapidement son véhicule, en sort et prend sa tête entre ses mains, en proie à un choc nerveux. Des témoins appellent rapidement les policiers et les ambulanciers. La force de l’impact sur le landau fait craindre le pire quant à la santé de l’enfant. Celle-ci sera rapidement prise en charge par les services hospitaliers qui devront la transférer dans la métropole pour des soins chirurgicaux nichés.
La fillette survit mais reste avec des séquelles importantes de l’accident. Elle ne peut pas voir, marcher ou se tenir seule. Son père ressent encore des douleurs physiques secondaires à ses blessures, malgré les mois qui passent. Le choc psychologique et émotif perdure. »
- La preuve révèle que le délinquant a eu un comportement routier problématique pendant une certaine période avant le drame. La preuve révèle également que l’accusé conduisait alors qu’il tentait de trouver, sur son téléphone intelligent, des contacts dans des commerces pour un achat banal au moment, ou dans les secondes précédant la collision.
- Le Tribunal en est arrivé à la conclusion que le délinquant était coupable des deux chefs d’accusations, une fois son témoignage rejeté. Il a conclu que le délinquant avait eu une conduite dangereuse pour le public en ne s’arrêtant pas et en ne donnant pas priorité aux piétons qui traversaient au passage piétonnier, ce qui a causé la collision et les lésions subies par les deux victimes. La conduite du délinquant constituait un écart marqué par rapport à la façon dont un conducteur raisonnable et prudent aurait conduit son véhicule dans les mêmes circonstances. C’est pour ces raisons qu’il a été trouvé coupable.
- Pour en arriver à cette conclusion, le Tribunal a, entre autres, considéré le comportement routier du délinquant dans les minutes qui précédaient la collision. Sans être directement en cause dans la collision en tant que tel, le comportement routier du délinquant, notamment en suivant de près d’autres véhicules, en faisant des accélérations, en brûlant un feu rouge et en conduisant plus rapidement que la vitesse permise un dimanche matin d’été a fait en sorte de rejeter la théorie présentée en défense d’une inattention momentanée. Au contraire, le comportement routier du délinquant a démontré une inattention soutenue et volontaire pendant une longue période avant l’incident.
- La preuve révèle, en plus d’une conduite téméraire et impulsive, une consultation fréquente, jusqu’au moment du drame, de pages Internet sur un téléphone cellulaire. C’est compte tenu de ces faits que le Tribunal en est arrivé à la conclusion de la culpabilité du délinquant sur les deux chefs de conduites dangereuse causant des lésions à X et à son père, monsieur A....
POSITION DES PARTIES
- Le délinquant suggère qu’on lui impose une peine de détention à purger dans la collectivité. Il suggère une peine de 12 mois, assortie d’une ordonnance visant à effectuer 50 heures de service communautaire.
- Au contraire, le ministère public suggère que le Tribunal impose une peine d’incarcération oscillant entre 12 et 18 mois. De façon subsidiaire mais sans en faire une suggestion au Tribunal, le ministère public soumet que si une peine de détention à purger dans la collectivité devait être imposée, celle-ci devrait se rapprocher du maximum prévu à la loi, soit 2 ans moins un jour et devrait comporter une ordonnance d’effectuer des travaux communautaires plus importante que celle proposée en défense.
ANALYSE
- Avant de débuter l’analyse en tant que tel de la peine juste, le Tribunal croit pertinent de revenir sur certains principes clés.
- L’imposition de la sentence est un aspect primordial du droit criminel. Sans une sentence juste et appropriée, le processus criminel relatif au verdict perdrait toute sa valeur : protéger la société et contribuer à la prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre.
- Dans R. c. Lacasse[2], la Cour suprême du Canada rappelle que la proportionnalité et l’individualisation sont des principes cardinaux dans l’application des objectifs prévus par les articles 718 et suivants du Code criminel.
- En effet, la crédibilité du système de justice pénale et criminelle auprès des justiciables est tributaire de la justesse des peines infligées aux délinquants. Qu'elle soit trop sévère ou trop clémente, une peine injuste peut, dans un cas comme dans l'autre, susciter dans l'esprit des justiciables un doute quant à la crédibilité du système compte tenu de ses objectifs.
- Pour ce faire et éviter l’arbitraire, le législateur a prévu quelques principes phares devant guider le Tribunal dans l’octroi d’une peine juste :
- Dénoncer le comportement illégal et le tort causé par celui-ci à la victime et à la société;
- Dissuader les délinquants et quiconque de commettre des infractions;
- Isoler au besoin les délinquants du reste de la société;
- Favoriser la réinsertion sociale des délinquants;
- Assurer la réparation des torts causés aux victimes et à la société;
- Susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants.
- Le Tribunal doit également tenter d’harmoniser la peine avec celles imposées à d’autres contrevenants dans des circonstances semblables, il doit éviter l’excès de nature ou de durée dans l’infliction des peines et s’obliger, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes.
- Afin de déterminer de la peine la plus appropriée, le Tribunal croit important de revenir sur certains facteurs pertinents quant au crime commis et à la personne du délinquant.
La gravité des infractions
- La gravité objective
- Historiquement l’infraction de conduite dangereuse causant des lésions était punie d’un maximum de 10 ans d’incarcération. En 2018, le Législateur a déterminé que ce seuil devait être haussé et devait maintenant porter à une peine maximale de 14 ans de détention. Le Législateur a également prévu que des peines minimales s’appliquent, même pour une première infraction commise par un délinquant.
- Il faut donc reconnaître que le Législateur a envoyé par là un message clair quant à la gravité importante de ces infractions, qui mettent en péril la sécurité de tous les usagers de la route, qu’ils soient eux-mêmes conducteurs ou passagers d’un véhicule automobile, ou encore comme ici, de simples piétons qui doivent traverser un boulevard urbain pour vaquer à leurs occupations.
- La nature des lésions causées et leur impact sur les victimes
Monsieur A...
- Les lésions causées à monsieur A... sont importantes mais ne sont pas précisées dans la preuve. Essentiellement, monsieur A... rapporte des douleurs sur le côté gauche de son corps, douleurs qui sont persistantes aux pieds, jambes, côtes et poignets. Les douleurs ont eu un impact sur sa capacité à travailler pendant une certaine période.
- Les lésions physiques ne sont pas les seules conséquences du crime sur monsieur A.... Tel que nous le verrons plus tard, les lésions à sa fille X sont dans un autre registre, étant donné leur intensité et leur caractère permanent.
- Les besoins de l’enfant ont mis une pression économique et émotive importante sur ses parents, dont son père qui rapporte un épisode dépressif teinté d’anxiété après la collision, état qu’il semble encore porter aujourd’hui.
X
- Tel que mentionné plus tôt, les blessures à X sont d’un autre ordre. Dre Nicole Pigeon, directrice de la Clinique de Paralysie cérébrale au CHUS-Hôpital Fleurimont résume ainsi la situation médicale de X, suite au grave et sévère trauma-cranio-cérébral causé par la collision :
Retard global et sévère de son développement psychomoteur dans toutes les sphères. En effet, ses capacités langagières et motrices correspondent à celles d’un bébé de 4-6 mois (par exemple, ne parle pas du tout, reste assise seule moins d’une minute, se retourne facilement). C’est donc dire que l’écart chronologique et son âge développemental augmente avec le temps, ce qui me fait dire qu’elle aura sûrement une déficience intellectuelle (dont le niveau sera à mesurer dans quelques années).
Paralysie cérébrale de type quadriparésie spastique. Avec le temps, la spasticité des membres s’est installée alors qu’au début elle n’avait de la spasticité que dans les membres de son hémicorps droit. Là, ce sont les 4 membres qui son spastiques, mais le côté droit restant plus atteint que le gauche.
Épilepsie qui est bien contrôlée sous médication anticonvulsivante.
Trouble oral-moteur qui fait en sorte qu’on doit toujours adapté les textures des aliments et des liquides. Elle est nourrie seulement par l’adulte et c’est avec des purées (comme un petit bébé).
Subluxation des 2 hanches avec luxation de la hanche gauche récente. Ceci est secondaire à la spasticité de ses jambes; c’est une complication connue chez ces patients avec paralysie cérébrale. Elle sera opérée bientôt pour cela.
Atteinte cérébrale de la vision ce qui fait en sorte qu’elle a un contact visuel pauvre notamment. (sic)
- Les conséquences pour cette enfant, maintenant âgée de 3 ans, sont manifestes et selon toute probabilité, malheureusement permanentes. Bien que le niveau de soins que nécessitera l’enfant reste à déterminer au cours de sa vie, il faut noter le grand état de dépendance qui a été créé chez une enfant qui auparavant, se développait tout à fait normalement.
- Il faut être prudent avant de considérer des lésions comme un facteur aggravant. Ces lésions sont, par définition, toujours présentes dans un cas de conduite dangereuse causant des lésions. Ce seul fait, la présence de lésions, ne peut pas devenir un facteur aggravant en soi.
- Cela étant, le niveau de gravité des lésions causées, puisque ces lésions ont un effet important sur la santé de l’enfant et de monsieur A..., doivent être considérées comme une circonstance aggravante au sens du paragraphe 718.2(iii.1) C.cr. Le Tribunal est conscient que cet élément n’est pas en cause quant à la culpabilité morale du délinquant, en ce que ce dernier n’a pas voulu ces conséquences pour les deux victimes, mais c’est un élément qui permet de déterminer de la gravité de l’infraction commise.
- La même prudence s’applique sur le facteur aggravant qui se retrouve codifié au paragraphe 718.2(ii) C.cr., soit que l’infraction constitue un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de 18 ans. La collision et les lésions qui en ont résulté peut certes être considérée comme un mauvais traitement à l’égard de l’enfant de 5 mois qu’était X. Cela étant, il faut convenir que si la conduite du délinquant était dangereuse pour le public, y compris les enfants, on ne se retrouve pas ici dans le cadre d’une situation où cette circonstance aggravante devrait être considérée avec plus d’attention, comme si, par exemple, la conduite dangereuse s’était produite dans une zone scolaire à la sortie des classes.
- Le Tribunal se limitera à noter que cette circonstance aggravante est présente dans notre situation et que le jeune âge de X au moment de l’impact aura comme conséquence que les séquelles probablement permanentes qu’elle aura à subir se répercuteront sur plusieurs années.
- Le nombre de victimes
- Le paragraphe 320.22a) C.cr. prévoit spécifiquement que constitue un facteur aggravant le fait que plus d’une personne ait été blessées par la conduite dangereuse du délinquant. Ce facteur est ici bien sûr présent, par des lésions causées tant à l’enfant, X qu’à son père, monsieur A....
- Bref, le crime commis à l’égard des deux victimes est un crime grave aux conséquences funestes. C’est un crime qui requiert que le Tribunal considère avec attention les principes de dénonciation et de dissuasion.
PROFIL DU DÉLINQUANT
- Voici comment s’exprime la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Fournier :
« Par ailleurs, il importe de rappeler un autre principe fondamental de justice selon lequel il faut établir un juste équilibre entre les droits de l'individu et ceux de la société, gardant présent à l'esprit que la détermination de la peine ne doit pas refléter une vengeance ou une catégorisation d'infractions, mais plutôt l'imposition d'une punition. Le droit prétorien enseigne que le processus conduisant à la détermination de la peine doit être axé sur l'individu. Cela nécessite que dans chaque cas, le juge d'instance façonne une peine adaptée à la situation du délinquant en cause et à la nature de l'infraction qui lui est reprochée. Bref, une peine doit être individualisée et sera appropriée et juste si elle est modelée à l'individu plutôt que pour une catégorie de délinquants. Voilà pourquoi dans chaque cas, le juge d'instance doit prendre en considération et soupeser les facteurs aggravants et atténuants ainsi que les autres circonstances pour que la peine soit considérée comme individualisée[3]. »
- Voilà pourquoi il est primordial de s’attarder également au délinquant et non pas seulement aux crimes commis. Cela sert le principe fondamental en droit pénal qu’est celui de la proportionnalité. Voici donc les éléments relatifs au délinquant que le Tribunal considère comme étant pertinents à l’analyse.
ANTÉCÉDENTS JUDICIAIRES ET PÉNAUX
- Le délinquant était sans antécédents judiciaires en matière criminelle au moment de la commission des infractions. Son parcours est toutefois différent en ce qui a trait à son respect des obligations réglementaires relatives à la conduite d’un véhicule automobile.
- Dans les 10 années précédant le drame, le délinquant a commis 17 infractions au Code de la sécurité routière. On y relève principalement des infractions d’excès de vitesse, dont un de « grand excès de vitesse » commis en 2016. Les trois dernières infractions routières constatées datent de 2021[4].
COMPORTEMENT POSTÉRIEUR À L’INFRACTION
- Le délinquant a requis un procès. Cela est son droit le plus strict et il ne peut lui en être tenu rigueur d’aucune façon. La décision de rejeter le témoignage du délinquant et d’arriver à la conclusion que la preuve du ministère public satisfaisait au fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable est une question juridique qui revenait au Tribunal.
- Le délinquant peut être en désaccord avec ces conclusions du Tribunal. Cela n’en fait pas un facteur aggravant, en fait, cela n’en fait pas un facteur pertinent au stade de l’imposition de la sentence. Le Tribunal ne peut que constater qu’un facteur atténuant d’importance, un plaidoyer de culpabilité, n’est pas présent pour l’analyse à effectuer sur la sentence à imposer.
- Au niveau personnel, le délinquant a décrit au Tribunal que depuis cet événement, il a reçu un diagnostic de choc post-traumatique. Ce diagnostic est secondaire à l’événement en cause, mais également à un accident routier qu’il avait subi moins de deux mois avant la collision avec X et monsieur A....
- À la suite de ce diagnostic, la situation personnelle du délinquant s’est fortement détériorée. Il tombe dans un certain marasme, un état qui semble profondément dépressif. L’impact est grand sur ses activités quotidiennes, vivant presque cloîtré chez lui, ayant de la difficulté à effectuer des tâches ménagères simples. Il est en arrêt de travail depuis la collision.
- Le fait de se trouver dans un véhicule routier est hautement anxiogène pour lui, même comme passager. Le délinquant ne conduit plus de véhicule routier et n’envisage pas de le faire dans un avenir rapproché.
- Il bénéficie d’un soutien en psychoéducation d’une personne qui patiemment, selon la théorie « des petits pas », l’encourage à vaquer à quelques activités ménagères de base. Celle-ci note une évolution d’ensemble significative mais dont les attentes doivent visiblement demeurer modérées.
- La psychoéducatrice qui suit le délinquant rapporte que celui-ci est encore envahi par des cauchemars et des réminiscences (flashbacks) de la collision et la vision de monsieur A... priant pour son enfant. Le délinquant vit de la honte et de la culpabilité à la suite de l’événement.
REMORDS ET REGRETS
- Le remord est ainsi défini dans le Larousse : « Vive douleur morale causée par la conscience d’avoir mal agi ». Quant au regret, le même ouvrage le définit ainsi : « Chagrin, repentir d’avoir fait ou de ne pas avoir fait ».
- Bien que le délinquant voie sa responsabilité dans un « accident », et se sente légitimement responsable de cet accident et des conséquences sur la famille A..., il ne voit pas sa responsabilité dans une conduite dangereuse. On ne peut donc pas parler ici de douleur morale causée par la conscience d’avoir mal agi, puisque le délinquant ne reconnait pas sa responsabilité criminelle dans cette collision. L’absence de remords ne peut pas équivaloir à une circonstance aggravante dans cette situation. Le Tribunal ne fait que noter que cette circonstance atténuante ne se retrouve pas dans les éléments qu’il doit analyser.
- Cela étant, ici, le délinquant présente des regrets face à la situation qui sont sincères et réels. Le Tribunal a pu se rendre compte du comportement véritablement contrit du délinquant et sa grande tristesse, voire sa détresse, notamment lors du témoignage de monsieur A... sur les conséquences de la collision sur lui et sa famille. Ces regrets doivent être considérés au stade de l’imposition de la peine en ce qu’ils contribuent à abaisser le risque de récidive, le repentir sincère pouvant modifier de façon substantielle les comportements futurs.
RISQUE DE RÉCIDIVE
- Le risque de récidive du délinquant est considéré comme faible par l’autrice du rapport présentenciel. Le processus judiciaire a eu un impact dissuasif significatif sur lui. À un niveau plus personnel, la honte et la culpabilité qu’il ressent encore aujourd’hui en regard des conséquences sur la famille A... confirme que le délinquant semble avoir intégré profondément les risques reliés à la sécurité routière.
- Le délinquant provient d’une famille lui ayant transmis des valeurs prosociales importantes, famille qui le soutient encore aujourd’hui dans les épreuves auxquelles il doit faire face. Malgré le fait qu’il s’est isolé depuis la collision, il peut encore compter sur un réseau d’amis et de proches qui exercent une influence positive sur lui.
- Ayant toujours travaillé avant la collision, le délinquant gagnerait, selon l’autrice du rapport présentenciel, à retourner au travail, à des fins de réinsertion sociale. Bien qu’elle soit consciente que pour l’instant le délinquant est inapte au travail, elle recommande malgré tout cette optique, lorsque médicalement le délinquant le pourra.
- Le Tribunal conclut, après l’analyse de la preuve, qu’effectivement le risque de récidive du délinquant est faible. Tout risque résiduel est à toute fin pratique annihilé par le fait que le délinquant ne conduit pas de véhicule routier et n’envisage pas le retour à la conduite dans un futur proche, et même à moyen terme. L’imposition d’une interdiction de conduire discrétionnaire permettrait également, selon le Tribunal, à réduire le risque de récidive à un risque quasi nul.
CONCLUSIONS
- Les lésions causées n’étaient pas délibérées, le délinquant n’a jamais voulu happer monsieur A... et sa fille. Néanmoins, son comportement routier le matin du drame s’écartait de façon importante du comportement du conducteur raisonnablement prudent et ce sont ces imprudences criminelles qui ont directement causé la collision et les conséquences sur la famille A.... La volonté de faire du tort n’était pas présente, mais les gestes qui ont effectivement causé un tort immense à la famille A... étaient criminellement répréhensibles.
- L’historique du délinquant, ses liens familiaux et sa capacité réelle, bien que diminuée présentement, d’offrir une contribution positive à la collectivité par son travail font du délinquant un candidat au profil intéressant pour la réhabilitation. Son faible risque de récidive permet également de considérer favorablement la possibilité pour le délinquant de devenir un citoyen soucieux des lois et de la sécurité pour tous.
HARMONISATION DES PEINES
Principes généraux
- Si le Tribunal doit particulariser la sentence à l’individu qu’il condamne, il doit également viser à comparer la peine envisagée avec d’autres peines imposées pour des infractions semblables dans des circonstances semblables. Tout cela sert le principe phare en matière de détermination de la peine, soit celui de la proportionnalité[5].
ABSENCE DE CERTAINS FACTEURS AGGRAVANTS
- Bien que cela ne constitue pas un élément atténuant en soit, il faut noter que l’on ne retrouve pas dans la présente situation certains éléments aggravants que l’on peut retrouver dans d’autres situations. Rien ne démontre que le délinquant avait consommé drogue ou alcool avant ou pendant sa conduite[6] (bien que l’on ait découvert des substances dans son véhicule). Le délinquant ne conduisait pas un « gros véhicule à moteur »[7], il ne conduisait pas le véhicule dans le cadre d’un emploi[8], il ne conduisait pas dans le cadre d’une épreuve de vitesse[9] et il n’avait pas de passager de moins de 16 ans à bord de son véhicule[10]. Il n’a par ailleurs pas fait face à d’autres accusations criminelles, telle qu’un refus de fournir un échantillon d’haleine ou de délit de fuite[11]. Ces facteurs sont neutres par eux-mêmes. Il apparait toutefois pertinent de noter leur absence afin de comparer adéquatement les sentences imposées dans d’autres cas analysés par le Tribunal.
- La Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt Silbande[12], fait une analyse exhaustive des peines imposées en matière de conduite dangereuse. Il se dégage de l’analyse faite par la Cour d’appel que pour les délinquants ayant commis une infraction de conduite dangereuse causant des lésions corporelles, la majeure partie d’entre eux se voient imposer des peines de 12 à 18 mois de détention. Il appert important de noter que l’arrêt Silbande a été rendu en 2014, donc avant l’amendement législatif de 2018 faisant passer la peine maximale de 10 à 14 ans de détention. L’arrêt Silbande a également été rendu avant la modification législative rendant dorénavant possible des peines d’emprisonnement à purger dans la collectivité pour ce type d’infraction. N’en demeure pas moins que la fourchette de peine pour cette infraction semble toujours d’actualité[13].
- Quant à eux, les auteurs Parent et Desrosiers, dans leur ouvrage de doctrine La Peine, enseignent que la fourchette usuelle de peine pour le crime de conduite dangereuse causant des lésions oscille généralement entre 9 et 18 mois de détention[14].
- Les deux procureurs suggérant des peines de détention se situant dans cette fourchette, tout en suggérant des modalités différentes, le Tribunal considère qu’une peine d’emprisonnement oscillant entre 12 et 18 mois, donc d’un terme provincial, semble être la peine indiquée. Reste dorénavant à déterminer si cette peine doit être purgée dans un établissement de détention, ou si elle peut être purgée dans la collectivité
EMPRISONNEMENT DANS LA COLLECTIVITÉ
- Afin de déterminer si une peine d’emprisonnement à purger dans la collectivité devrait être imposée à un délinquant, le Tribunal doit s’assurer de certaines conditions.
- Premièrement, l’infraction en cause ne doit pas être exclue du régime. C’est ici le cas. Le législateur a décidé, en 2022, de modifier le Code criminel afin qu’un crime comme celui de conduite dangereuse causant des lésions permette dorénavant à un Tribunal d’imposer un tel type de peine.
- En deuxième lieu, le Tribunal doit déterminer que le terme de détention à imposer soit provincial, donc de deux ans moins un jour. Cette première étape est déjà franchie vu les conclusions déjà nommées et les représentations des parties. Qui plus est, aucune peine minimale de détention n’est prévue à la Loi.
- Le Tribunal doit ensuite être convaincu que la mesure ne met pas la sécurité de la collectivité en danger. Vu les conclusions du rapport présentenciel auxquelles adhère le Tribunal relativement au faible risque de récidive du délinquant, le Tribunal considère que cette condition est également remplie. Le Tribunal est également convaincu que le délinquant respecterait les conditions d’une telle ordonnance d’emprisonnement dans la collectivité.
- La Cour suprême du Canada mentionne que lorsque les trois premières conditions d’ouverture au sursis sont au rendez-vous, le Tribunal doit envisager sérieusement la possibilité de prononcer l’emprisonnement avec sursis[15]. Ne pas le faire risquerait de devenir une erreur de droit. Reste donc à déterminer si cette mesure répondrait à l’objectif essentiel et aux principes d’imposition de la peine.
- Certes, une peine à purger dans la collectivité permettrait une réinsertion sociale du délinquant. Elle permettrait également, par un suivi probatoire, l’imposition de travaux communautaires et d’une interdiction de conduire, d’assurer la réparation des torts causés à la société et permettrait de susciter la conscience de ses responsabilités chez le délinquant.
- Le fait que X soit une enfant fait interagir l’article 718.01 C.cr., et le fait qu’elle et son père étaient des piétons, donc des usagers vulnérables de la voie publique, fait interagir l’article 718.04 C.r.. Ces deux articles commandent au Tribunal chargé d’imposer une peine qu’il porte une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion. Puisqu’il est acquis pour le Tribunal que la dissuasion et la dénonciation spécifique au délinquant est déjà atteinte, la question qui demeure est de déterminer si un tel type de peine permettrait de dénoncer adéquatement le crime commis et de dissuader d’autres délinquant de le commettre[16].
- La Cour suprême du Canada enseigne que les conducteurs automobiles sont probablement les plus susceptibles d’être découragés d’agir criminellement par de sévères peines de détention[17]. Est-ce à dire que seule des peines d’incarcération devraient être imposées pour ce type d’infraction ?
- Dans trois arrêts récents (les arrêts Rioux[18], Rondeau[19] et Morin[20]), la Cour d’appel du Québec a cassé des peines d’incarcération imposées en première instance et a plutôt imposé des peines de détention à purger dans la collectivité pour des infractions criminelles relatives à la conduite automobile ayant causé la mort. Les infractions dans ces cas, commandaient une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité et pouvaient donc être considérées comme objectivement parmi les plus graves de notre droit criminel.
- Dans ces trois arrêts, la Cour rappelle que les objectifs de dénonciation et de dissuasion ne peuvent pas, dans tous les cas, avoir un effet dirimant empêchant l’octroi d’une ordonnance d’emprisonnement dans la collectivité. Ces objectifs doivent être pondérés avec les autres et ne peuvent pas faire en sorte d’exclure d’emblée ce type de peine.
- Dans l’arrêt Charbonneau[21], notre Cour d’appel réitère que ce serait une erreur que de conclure que seule l’incarcération dans un milieu carcéral permet d’atteindre les objectifs de dénonciation et de dissuasion, la sévérité n’étant pas l’apanage de l’emprisonnement. S’il est vrai que l’incarcération produit habituellement un effet dénonciateur plus grand que l’emprisonnement avec sursis, cette dernière mesure sentencielle peut toutefois avoir un effet dénonciateur appréciable lorsqu’elle est assortie de conditions rigoureuses et que sa durée d’application est plus longue que la peine qui aurait ordinairement été infligée.
- La Cour suprême du Canada rappelle qu’il ne faut pas sous-estimer les stigmates d'une ordonnance de sursis à l'emprisonnement assortie de la détention à domicile. Le fait que le délinquant vive dans la collectivité sous des conditions strictes et que ses voisins soient bien au fait de son comportement criminel peut, dans bien des cas, produire un effet dénonciateur suffisant. Dans certaines circonstances, en raison de la honte que le délinquant ressent lorsqu'il rencontre des membres de la collectivité, il peut même être plus difficile pour ce dernier de purger sa peine au sein de la collectivité qu'en prison[22].
- Il faut réitérer qu’une peine d’emprisonnement dans la collectivité est une peine privative de liberté[23]. Toute contravention aux conditions de l’ordonnance devrait transformer l’emprisonnement dans la collectivité en incarcération dans un centre de détention[24]. Les tribunaux d’instance supérieure relèvent par ailleurs que la preuve empirique suggère que l’effet dissuasif de l’incarcération demeure incertain[25].
- Il est également entendu que l'emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dissuasif général appréciable si l'ordonnance est assortie de conditions suffisamment punitives et si le public est informé de la sévérité de ces sanctions[26]. Un autre moyen de réaliser l'objectif de dissuasion générale est le recours à des ordonnances de service communautaire.
- Ici, les principes bien que prééminents de dénonciation et de dissuasion ne font pas en sorte que seule l’incarcération dans un établissement de détention puisse être une mesure appropriée. En effet, compte tenu de la sévérité et de la nature des conditions assortissant l'ordonnance de sursis à l'emprisonnement que le Tribunal pourrait imposer, cette sanction serait ici justifiée[27].
- Puisqu’une peine de détention dans la collectivité permettrait de remplir tous et chacuns des objectifs de la peine, le principe de modération, obligeant les tribunaux d’envisager la peine la moins privative de liberté lorsque les circonstances le justifient[28], fait en sorte que c’est cette avenue qui sera ici privilégiée par le Tribunal. Afin de démontrer la gravité des gestes commis, le Tribunal considère que la peine de détention doit être significativement plus importante que celle proposée par le délinquant dans son quantum.
- Une peine globale de 14 mois d’incarcération aurait été privilégiée par le Tribunal sans la possibilité d’imposer une peine avec sursis. Puisque cette option existe ici, et qu’elle lui semble la voie à privilégier, il imposera une peine globale de 20 mois d’emprisonnement à purger dans la collectivité. Cette peine globale sera toutefois particularisée pour chacune des victimes, la gravité de leurs lésions justifiant cette réflexion.
- Le Tribunal imposera également au délinquant d’effectuer au total 200 heures de travaux communautaires, à travers l’ordonnance d’emprisonnement à purger dans la collectivité et l’ordonnance de probation qui suivra. L’accomplissement de ces travaux communautaires aura un triple objectif : augmenter la dénonciation et la dissuasion générale à l’égard des crimes commis par le délinquant, lui permettre symboliquement d’assurer une certaine forme de réparation à la collectivité tout en lui permettant de se réhabiliter, à la suggestion de l’autrice du rapport présentenciel.
- Le Tribunal imposera également au délinquant une interdiction de conduire de 6 ans, débutant au moment du verdict, le 17 juillet 2024. Cette interdiction de conduire d’une durée importante remplira elle aussi divers objectifs : dénoncer et dissuader quiconque de se livrer à de telles manœuvres au volant d’un véhicule et réduire le risque de récidive chez le délinquant, protégeant ainsi le public sur une longue période.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL
IMPOSE un terme de détention de 15 mois sur le chef de conduite dangereuse ayant causé des lésions àX
IMPOSE un terme de détention consécutif de 5 mois sur le chef de conduite dangereuse ayant causé des lésions à J... A...
PERMET au délinquant de purger cette peine d’emprisonnement de 20 mois dans la collectivité aux conditions qui seront explicitées lors de l’audience, incluant l’obligation d’effectuer 100 heures de service communautaire;
IMPOSE au délinquant une probation d’une durée de 2 ans, qui débutera à l’échéance de la peine d’emprisonnement dans la collectivité, aux conditions qui seront explicitées à l’audience, incluant l’obligation d’effectuer 100 heures de service communautaire;
INTERDIT au délinquant de conduire tout véhicule à moteur pour une période de 6 ans à compter du 17 juillet 2024, en vertu du paragraphe 320.24(4)(5)b) C.cr.
DISPENSE le délinquant du paiement de la suramende compensatoire
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| __________________________________ BENOIT GAGNON, J.C.Q. |
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Me Stéphanie Landry |
Procureure du poursuivant |
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Me Christian Raymond |
Avocat de l'accusé |
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Date de l'audience : | 20 juin 2025 |
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