- L’appelante (ou la « Ville ») se pourvoit contre un jugement rendu le 5 février 2024 par la Cour supérieure, district de Gatineau (l’honorable Carole Therrien)[1], laquelle accueille la demande présentée par l’intimée de démolir son propre bâtiment.
- Pour les motifs du juge Sansfaçon, auxquels souscrivent les juges Gagnon et Kalichman, LA COUR :
- REJETTE l’appel avec les frais de justice.
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| GUY GAGNON, J.C.A. |
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| STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. |
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| PETER KALICHMAN, J.C.A. |
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Me Marc Tremblay |
Me Amélie Boudreau |
DEVEAU DUFOUR MOTTET AVOCATS |
Pour l’appelante |
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Me Eric Oliver |
OLIVER AVOCATS |
Pour l’intimée |
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Date d’audience : | 5 novembre 2024 |
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- En novembre 2020, l’intimée (ou « NDI ») acquiert un lot sur lequel est érigée une maison de style « allumette », aussi appelée « maison hulloise », construite vers 1910 à laquelle est annexée une rallonge bâtie à l’arrière plusieurs décennies plus tard. Cette acquisition s’ajoute à celle de plusieurs autres immeubles du pâté de maisons où est située la maison en litige dans le but de les démolir et d’y construire un bâtiment de 159 logements.
- Le 3 août 2021, NDI présente à la Ville une demande de démolition de six maisons, dont celle en litige. Au moment de son dépôt, les demandes de démolition sont régies par le Règlement numéro 53-2002 concernant les demandes de démolition sur le territoire de la ville de Gatineau. Ce règlement interdisait la démolition de tout bâtiment sans l’obtention préalable d’une autorisation délivrée par le Comité sur les demandes de démolition (« le CDD »), mais spécifiait qu’une telle autorisation ne pouvait être délivrée tant que le projet de remplacement ne serait pas conforme aux normes de zonage et de construction et que les autorisations requises par règlements ne seraient pas données par le conseil municipal lorsque requis. Or, le bâtiment de remplacement projeté requérait l’approbation par le conseil municipal d’un plan d’implantation et d’intégration architecturale en vertu du Règlement numéro 505-2005 et d’un usage conditionnel en vertu du Règlement numéro 506-2005, et l’octroi d’une dérogation mineure au Règlement de zonage numéro 532-2020, aussi délivrée par le conseil municipal.
- Le 23 novembre 2021, la Ville adopte le Règlement numéro 900-2021 visant à régir la démolition d’immeubles sur le territoire de la Ville de Gatineau (le « Règlement »), lequel remplace le Règlement numéro 53-2002 concernant les demandes de démolition sur le territoire de la ville de Gatineau. Tout comme le règlement qu’il remplace, le nouveau Règlement interdit la démolition d’un bâtiment assujetti sans l’obtention préalable d’une autorisation du CDD sur les demandes de permis de démolition[2]. L’article 2 du Règlement précise qu’il s’applique à tout bâtiment principal ainsi qu’à tout « immeuble patrimonial » sur le territoire de la Ville, sauf s’il s’agit d’un immeuble « incendié ou endommagé, détruit à plus de 50 % de son volume, sans égard aux fondations, qui n’est pas un immeuble patrimonial », et qu’il ne s’applique pas à un immeuble visé par une ordonnance de démolition rendue par un tribunal.
- Le Règlement définit l’expression « Immeuble patrimonial » comme suit :
IMMEUBLE PATRIMONIAL
Un immeuble cité conformément à la Loi sur le patrimoine culturel, situé dans un site patrimonial cité conformément à cette loi ou inscrit dans l’inventaire du patrimoine bâti de la Ville de Gatineau.[3]
- À la différence de son prédécesseur, le nouveau Règlement n’impose plus comme condition préalable à la délivrance d’un permis de démolition l’obtention des résolutions du conseil municipal approuvant, lorsque requis, le plan d’implantation et d’intégration architecturale du bâtiment de remplacement, l’usage conditionnel et la dérogation mineure. Le service d’urbanisme et du développement durable (« SUDD ») informe alors l’intimée que toutes ses demandes d’autorisation de démolir, dont celle de la maison, pourront être présentées au CDD. Vu toutefois les nouvelles conditions prévues au nouveau Règlement, lorsque la demande de démolition concerne un bâtiment patrimonial, les parties conviennent de faire cheminer distinctement la demande de démolition qui la concerne de celles des autres bâtiments.
- La maison en litige est alors vacante, non chauffée depuis 2020 et barricadée depuis avril 2021. Elle n’est pas classée ou citée au sens de la Loi sur le patrimoine culturel[4] et ne figure dans aucun inventaire prévu à l’article 120 de cette loi (il est admis qu’au jour du procès, aucun inventaire de ce type n’avait encore été adopté par le conseil municipal). Elle apparaît toutefois dans un inventaire intitulé « Inventaire et classement du patrimoine bâti – Rapport synthèse – Phase 1, Novembre 2008 », réalisé par la Ville de Gatineau en 2008, qui n’a cependant jamais été adopté par le conseil municipal. Nous y reviendrons.
- L’intimée dépose au soutien de sa demande d’autorisation de démolir la maison en litige un rapport d’inspection visuelle sommaire du 13 novembre 2020 préparé par Éric De Foy[5] et une étude patrimoniale de juin 2021 préparé par la société Brodeur Frenette[6]. À la suite d’une première étude de la demande, le CDD requiert de l’intimée la confection d’une expertise supplémentaire afin de s’assurer qu’il n’existe pas d’autre solution à part la démolition de ce bâtiment, que la Ville considère patrimonial en raison de la qualification qui lui est donnée dans son Inventaire et classement du patrimoine bâti de novembre 2008. L’intimée fait alors préparer un rapport du 4 avril 2022 par l’ingénieur Jonathan Landry, de K-NECT Design, lequel conclut que « le bâtiment ne pourra pas être utilisé pour une construction future, [qu’il] y a un danger pour la sécurité des usagers et des bâtiments adjacents [et que] la démolition complète du bâtiment dans les meilleurs délais [est recommandée] »[7].
- Le 30 mai 2022, le Conseil local du patrimoine (le « CLP ») transmet au CDD son avis requis par l’article 22(1°) du Règlement. Il estime que l’étude patrimoniale préparée par Brodeur Frenette est incomplète, puisqu’elle ne traite pas de tous les critères d’évaluation prévus par le Règlement et que l’étude de l’expert Jonathan Landry n’indique pas si des travaux de consolidation pourraient être accomplis dans le but de préserver tout ou partie du bâtiment. L’avis recommande au CDD de suspendre la demande de démolition et d’exiger la confection d’une expertise additionnelle[8].
- Le CDD retient cette dernière recommandation[9]. Un mandat est alors confié à Francis Landry, de CIMA+, choisi cette fois de concert par le SUDD et l’intimée. Ce rapport est produit le 6 septembre suivant. Il conclut que le bâtiment présente des déficiences majeures à l’ensemble de ses composantes structurelles et un danger et que la récupération de certains de ses éléments n’est pas envisageable sécuritairement. Il recommande d’y interdire l’accès et de prévoir sa démolition complète à court terme.
- L’intimée dépose aussi auprès du CDD un rapport préparé par Pierre Barrieau, de Gris Orange Consultants inc., lequel exprime l’avis que l’intégration de la partie avant de la maison à la structure du futur nouveau bâtiment à logements pourrait permettre de maintenir l’essentiel de ses éléments caractéristiques ainsi que son rapport à la rue et au paysage bâti du secteur.
- Après avoir pris connaissance de ces rapports additionnels, le CLP maintient son objection à la démolition[10].
- Le SUDD dépose alors à l’attention du CDD sa propre analyse de chacun des critères du Règlement applicables à l’étude d’une demande de démolition d’un immeuble patrimonial et y expose, en tenant en compte de tous les rapports et avis jusque-là reçus, les points favorables à la conservation de la maison et ceux favorables à sa démolition. Il recommande au CDD d’autoriser la démolition, à certaines conditions, la principale étant de récupérer, au moment de la démolition, certaines de ses composantes typiques, qu’il nomme expressément, en vue d’une réutilisation éventuelle ou d’une reproduction à l’authentique[11].
- Le 25 octobre 2022, le CDD refuse d’autoriser la démolition du bâtiment principal[12].
- La semaine suivante, l’intimée dépose une demande de révision de la décision du CDD au conseil municipal, droit accordé à toute personne insatisfaite d’une décision du CDD par l’article 148.0.19 Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (ci-après LAU)[13].
- Le 18 novembre 2022, l’intimée transmet à la Ville un nouveau rapport de Simon Frigon, de CDRG-Red Team, daté du 7 novembre précédent, lequel conclut que la restauration de la maison n’est pas possible.
- Bien qu’elle se soit prévalue du droit de demander une révision auprès du conseil municipal de la Ville, un droit prévu par la LAU, NDI dépose le 6 décembre 2022 une demande introductive d’instance en démolition fondée sur l’article 231 LAU. Cet article prévoit :
231. Lorsqu’une construction est dans un état tel qu’elle peut mettre en danger des personnes ou lorsqu’elle a perdu la moitié de sa valeur par vétusté, par incendie ou par explosion, la Cour supérieure peut, sur demande de l’organisme compétent, de la municipalité ou de tout intéressé, ordonner l’exécution des travaux requis pour assurer la sécurité des personnes ou, s’il n’existe pas d’autre remède utile, la démolition de la construction. Le tribunal peut, selon le cas, ordonner au propriétaire de la construction ou à la personne qui en a la garde de maintenir une surveillance adéquate de la construction jusqu’à ce que la mesure corrective imposée soit apportée. Il peut autoriser l’organisme compétent ou la municipalité à assurer cette surveillance aux frais du propriétaire si celui-ci ou la personne qui a la garde de la construction omet de se conformer au jugement. En cas d’urgence exceptionnelle, le tribunal peut autoriser l’organisme compétent ou la municipalité à exécuter ces travaux ou à procéder à cette démolition sur le champ et l’organisme compétent ou la municipalité peut en réclamer le coût du propriétaire du bâtiment. Le tribunal peut aussi, dans tous les cas, enjoindre aux personnes qui habitent le bâtiment de l’évacuer dans le délai qu’il indique. | 231. Where a structure is in such a condition as to constitute a danger to persons or where it has lost one-half of its value through decay, fire or explosion, the Superior Court may, on application by the responsible body, the municipality, or any interested person, order the carrying out of the works required to ensure the safety of persons or, if there is no other useful remedy, the demolition of the structure. The court may order the owner or the person having custody of the structure to keep the structure under adequate surveillance until the imposed corrective measure has been carried out. It may authorize the responsible body or the municipality to ensure surveillance at the owner’s expense if the owner or person having custody of the structure fails to comply with the court judgment. Where the matter is exceptionally urgent, the court may authorize the responsible body or the municipality to carry out the work or to proceed with the demolition without further delay, and the responsible body or the municipality may claim the cost thereof from the owner of the building. The court may also, in all cases, enjoin the persons living in the building to vacate it within the time it fixes. [Soulignements ajoutés] |
- La Ville mandate alors l’architecte Nathalie Smith et l’ingénieur Luc Pelletier, de NCS Architecture, afin qu’ils préparent un rapport additionnel portant sur les valeurs patrimoniales de l’immeuble et sur son état de détérioration.
- Ce rapport est produit le 6 février 2023[14]. Il comporte deux sections.
- La première section traite de la valeur patrimoniale de la maison. Tenant compte des valeurs sociales, symboliques et historiques de la maison, du fait qu’elle est représentative de l’histoire de Hull et qu’elle a conservé beaucoup de ses éléments caractéristiques patrimoniaux, NCS Architecture lui attribue une valeur patrimoniale supérieure, attribution qui est toutefois conditionnelle à l’accomplissement de l’une ou l’autre de deux mesures.
- La première de ces mesures est que la maison soit déplacée sur un autre site et qu’elle soit utilisée à une autre fin que résidentielle. Le rapport donne comme exemple d’autre utilisation sa transformation en pavillon de parc. Il explique que vu l’état de décrépitude de toutes les composantes de la maison, les travaux requis afin de lui redonner une vocation résidentielle ne pourraient pas la rendre conforme aux nouvelles normes de construction applicables aux bâtiments résidentiels. Il ajoute que même si de tels travaux de rénovation étaient possibles, le respect de ces normes ferait perdre à la maison son cachet historique et sa valeur patrimoniale.
- La deuxième mesure proposée consiste plutôt à démolir entièrement la maison après qu’elle aura été reproduite sur une plateforme virtuelle permanente. Une telle reproduction permettrait de conserver « une partie de la matérialité de cet immeuble en 3D virtuel et aussi, [permettrait] de rechercher et d’identifier ses composants ainsi que de conserver ses valeurs supérieures symboliques et sociales dans un état qui ne se détériorera jamais davantage ».
- Dans un deuxième temps, le rapport traite de la dangerosité de l’immeuble. Il conclut que dans l’immédiat, la partie avant du bâtiment ne présente pas de risque d’effondrement, contrairement à sa partie arrière (la rallonge) qui, elle, risque de s’effondrer à tout moment. Il recommande que des travaux temporaires d’étaiement de la partie avant soient faits à court terme à l’aide de poutres verticales extérieures reliées par des câbles et tendeurs, dans le but d’assurer sa sécurité à moyen terme et de permettre de démolir la partie arrière qui, elle, risque de s’effondrer à court terme. La démolition de cette partie arrière ne devrait toutefois être accomplie qu’après cette intervention sur la partie avant puisque sans une telle mesure de solidification, cette partie avant risque de s’effondrer lors de la démolition de la partie arrière.
- Tenant compte de l’état de l’immeuble, des deux mesures proposées (déplacer le bâtiment sur un autre site et l’utiliser à une autre fin que résidentielle, ou le démolir entièrement après qu’il aura été reproduit sur une plateforme virtuelle permanente), et vu l’état de vétusté du bâtiment et les coûts excessifs de consolidation requis préalablement à son éventuel déménagement, NCS Architecture recommande la seconde mesure, soit la reproduction de la maison sur une plateforme virtuelle permanente, suivie de sa démolition.
- Le 7 février 2023, l’intimée présente aux membres du conseil municipal de la Ville sa demande de révision de la décision du CDD. Le 14 février suivant, les membres du conseil municipal adoptent, sur division, la résolution CM-2023, laquelle est précédée de 27 « considérants »[15] :
IL EST […] RÉSOLU QUE ce conseil confirme la décision du Comité sur les demandes de démolition du 25 octobre 2022 et refuse la démolition de la partie avant du bâtiment, représentant le bâtiment original, situé au 207, rue de Notre-Dame-de-l’Île, considérée comme la seule partie patrimoniale du bâtiment.
De plus, que ce conseil prenne acte du fait que la partie arrière du bâtiment, représentant un agrandissement ne présentant pas de valeur patrimoniale, situé au 207, rue de Notre-Dame de-l’Île, représentant moins de 50 % du volume du bâtiment, pourrait être démantelée sans l’autorisation du CDD, sous réserve de respecter les conditions d’émission d’un permis de démolition à cet égard.
- L’audition en Cour supérieure de la demande en démolition de l’intimée fondée sur l’article 231 LAU a lieu les 22, 23 et 24 janvier 2024.
Le jugement de première instance
- Le jugement répond d’abord à l’argument de l’appelante voulant que selon l’article 148.0.5 LAU l’intimée aurait dû aviser le ministre de la Culture et des Communications avant de déposer son recours en démolition, ce qu’elle n’a pas fait et ce qui lui serait fatal.
- La juge explique que cet avis est exigé lors d’une demande en démolition d’un immeuble patrimonial présentée à un comité ayant pour fonctions d’autoriser les demandes de démolition, mais qu’il n’est pas requis comme condition préalable au dépôt du recours prévu à l’article 231 LAU. Le législateur n’a pas soustrait les bâtiments patrimoniaux à l’application de cet article, n’a pas nuancé son application dans les situations ayant fait l’objet d’un refus selon le régime de l’article 148.0.1 LAU et n’y a pas ajouté d’éléments procéduraux ou de critères d’évaluation distincts à l’égard des bâtiments patrimoniaux.
- La juge écarte ensuite le moyen invoqué par la Ville voulant que l’intimée ne pouvait pas demander la démolition de la maison en vertu de l’article 231 LAU puisqu’elle devait plutôt se pourvoir en contrôle judiciaire à l’encontre de la résolution CM-2023 adoptée par le conseil municipal le 14 avril précédent. La juge explique que la possibilité d’ainsi se pourvoir n’exclut pas d’emblée l’exercice de la juridiction conférée par l’article 231 LAU à la Cour supérieure lorsque les conditions d’ouverture de ce recours sont réunies.
- La juge passe ensuite à l’analyse des critères prévus à l’article 231 LAU et au rôle du juge lorsqu’appelé à décider d’une demande en démolition.
- Pour la juge, ce rôle consiste dans un premier temps à vérifier si le bâtiment présente un danger pour des personnes et, dans un deuxième temps, à s’assurer qu’il n’existe pas de remède utile autre que sa démolition afin de mettre fin à ce danger, auquel cas elle en ordonnera la démolition. La juge écrit que l’article « 231 LAU, d’application exceptionnelle et d’interprétation restrictive, figure à la LAU, malgré le processus de demande de démolition prévue à 148.0.1 et suivants de la Loi. Le législateur dont on présume la cohérence entre les diverses sections d’une même loi, n’apporte aucune réserve ou nuance à l’application de 231 LAU dans l’éventualité où le Conseil municipal s’est prononcé sur une demande de démolition et que la construction soit ou non classée au registre du patrimoine bâti ». Ainsi, estime-t-elle, « [l]e seul angle d’analyse en l’instance est donc la sécurité des personnes […] [et] le risque pour la sécurité dont traite 231 LAU n’a pas à être immédiat. La demande n’est pas formulée selon le deuxième alinéa de 231 LAU dans le contexte d’une urgence exceptionnelle qui appellerait à une démolition sur le champ. Le risque doit cependant être bien réel »[16].
- La juge se penche ensuite sur l’état du bâtiment en litige et du danger qu’il représente pour les personnes. Elle expose ce que sont ses principales problématiques en se référant au rapport d’inspection visuelle sommaire du 13 novembre 2020 préparé par Éric De Foy déposé en preuve afin d’exposer la chronologie des évènements. Elle s’arrête ensuite sur le rapport de Francis Landry de CIMA+ et celui de Nathalie Smith et Luc Pelletier de NCS Architecture afin de déterminer « si la preuve démontre par prépondérance que la construction est actuellement dangereuse » pour la sécurité des personnes[17].
- Du rapport de l’expert Landry de CIMA+, elle retient que « la structure de bois s’effrite, la fondation est fissurée et fragile et que l’ensemble est hors cadre. Finalement, en plus du risque pour les visiteurs, le risque d’effondrement est réel et imminent, sans que sa matérialisation puisse être prédite avec exactitude »[18]. Elle accorde à ce rapport une grande crédibilité étant donné que l’expert a été choisi conjointement par l’intimée et la Ville.
- L’attention de la juge porte alors sur le rapport de NDI Architecture. Elle note l’avis de l’expert Pelletier selon lequel la partie avant ne présenterait pas de danger dans l’immédiat, mais que des interventions sont requises pour assurer sa sécurité à moyen terme et permettre la démolition de la partie arrière qui, elle, est dangereuse et doit être démolie. La juge écrit que l’expert aurait admis lors de son témoignage que « l’ensemble pose un risque réel et immédiat, notamment pour l’édifice voisin »[19]. Elle estime par conséquent que ce rapport ne permet pas d’écarter l’opinion de l’expert Landry de CIMA+ sur la dangerosité de la construction, laquelle doit être appréciée « dans un tout : un tout qui inclut présentement toutes ses composantes, et qui est sans équivoque, de l’aveu même de l’expert Pelletier, dangereux pour la sécurité du public »[20], puis conclut « que l’état actuel de la construction met en danger la sécurité des personnes »[21].
- Le jugement aborde ensuite la question du « remède utile » auquel fait référence l’article 231 LAU lorsque la dangerosité d’un bâtiment est démontrée. La juge écrit que la démonstration doit être faite que l’application du remède autre que la démolition permettra de rendre le bâtiment utilisable, et donc que « l’utilité » du remède à laquelle renvoie le premier paragraphe de l’article 231 LAU « est celle que le bâtiment offrira après l’intervention proposée »[22].
- La juge vérifie alors s’il existe un tel « remède utile », c’est-à-dire s’il est possible d’accomplir des travaux qui, une fois complétés, donneraient une utilité au bâtiment. Elle passe en revue un à un les usages potentiels mentionnés dans les rapports des experts ou lors des témoignages[23] et conclut qu’aucun n’est viable, sauf la conservation photographique de la maison sur une plateforme virtuelle.
- La juge ordonne donc la démolition complète du bâtiment, après qu’il aura été « conservé » virtuellement.
Les moyens d’appel et analyse
Premier moyen d’appel
- Comme premier moyen d’appel, l’appelante soutient que la juge a erré en ne considérant pas son argument selon lequel le recours en démolition aurait dû être précédé de l’envoi d’un avis au ministre de la Culture et du Patrimoine tel que le requiert l’article 138 de la Loi modifiant la Loi sur le patrimoine culturel et d’autres dispositions législatives[24]. L’erreur de la juge consisterait à n’avoir pas analysé le bon article, celle-ci n’ayant traité que de l’avis prévu à l’article 148.0.5 LAU.
Analyse de ce moyen
- L’appelante a raison lorsqu’elle avance que l’avis dont elle a fait état lors des plaidoiries n’est pas celui de l’article 148.0.5 LAU, mais plutôt celui de l’article 138 de la Loi modifiant la Loi sur le patrimoine culturel et d’autres dispositions législatives[25] :
138. Toute municipalité visée au premier ou au troisième alinéa de l’article 137 doit, au moins 90 jours avant la délivrance d’un permis ou d’un certificat d’autorisation relatif à la démolition d’un immeuble construit avant 1940, notifier au ministre de la Culture et des Communications un avis de son intention, accompagné de tout renseignement ou document requis par le ministre, et ce, tant que les conditions suivantes ne sont pas réunies :
1° un règlement conforme aux dispositions du chapitre V.0.1 du titre I de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, telles que modifiées par la présente loi, est en vigueur sur le territoire de la municipalité;
2° l’inventaire prévu au premier alinéa de l’article 120 de la Loi sur le patrimoine culturel, remplacé par l’article 42 de la présente loi, a été adopté à l’égard de son territoire.
[Soulignements ajoutés]
- Toutefois, un tel avis n’était pas requis en l’espèce, étant donné que la démolition demandée n’est pas susceptible de résulter d’une demande d’autorisation conforme aux règlements municipaux en cette matière mais plutôt d’une ordonnance du tribunal en vertu de l’article 231 LAU, processus distinct soumis aux critères particuliers prévus à cet article tel qu’interprétés par la jurisprudence, lorsqu’il est démontré que le bâtiment présente un danger pour les personnes et que l’ordonnance de démolition est le seul remède utile pour assurer leur sécurité[26].
- Ce premier moyen d’appel doit donc être rejeté.
Deuxième moyen d’appel
- L’appelante avance que la juge a erré de façon manifeste et déterminante en ne distinguant pas la partie arrière de la partie avant du bâtiment lors de son analyse du danger pour les personnes qu’il présente. Selon l’appelante, seule la partie arrière est dangereuse.
Analyse de ce moyen
- Pour intervenir, la Cour doit se convaincre que la juge a commis une erreur manifeste et déterminante[27]. Or, l’appelante nous demande de revoir non seulement l’appréciation faite par la juge du contenu des rapports des experts, mais aussi le poids qu’elle leur accorde de même que son appréciation de la crédibilité de leur auteur, ce qui n’est pas le rôle de la Cour.
- Disons immédiatement que je n’accorde aucun poids aux arguments accessoires présentés par l’appelante, comme celui selon lequel le bâtiment ne serait pas dangereux puisque l’intimée a permis à des journalistes d’y pénétrer ou que la juge aurait omis de chiffrer la décrépitude du bâtiment.
- Je ne peux non plus accorder une grande importance à son argument voulant que la juge ait appuyé son raisonnement sur le rapport d’inspection visuelle sommaire du 13 novembre 2020 préparé par Éric De Foy et l’étude patrimoniale de juin 2021 préparé par Brodeur Frenette traitant des caractéristiques de la maison. Ces rapports, qui peignent un tableau très négatif de l’état du bâtiment sans faire de distinction entre sa partie avant (la maison) et la rallonge à l’arrière, n’avaient été déposés en preuve qu’afin d’exposer la trame des évènements et non afin de démontrer la dangerosité de la maison[28]. Ses auteurs n’ont d’ailleurs pas témoigné.
- S’il est vrai que la juge reproduit de longs extraits de ces rapports dans ses motifs, elle ne s’y réfère aucunement au moment d’analyser et d’apprécier l’état du bâtiment et son degré de dangerosité. Son analyse se concentre sur les rapports et témoignages des experts dûment mis en preuve, soit ceux de l’expert Landry de CIMA+ et de Nathalie Smith et Luc Pelletier de NCS Architecture, tant sur l’élément dangerosité de la construction que sur le remède utile afin d’y mettre fin.
- L’appelante soutient aussi que la juge a fondé sa conclusion selon laquelle le bâtiment est dangereux dans son entièreté sur une admission que l’expert Pelletier a faite lors de son témoignage. Elle écrit :
[99] En conclusion, l’état actuel de la construction s’apprécie dans un tout : un tout qui inclut présentement toutes ses composantes, et qui est sans équivoque, de l’aveu même de l’expert Pelletier, dangereux pour la sécurité du public.
[100] Dans ce contexte, le Tribunal conclut que l’état actuel de la construction met en danger la sécurité des personnes.
[Soulignements ajoutés]
- L’appelante a raison de souligner cette erreur de la juge, l’expert Pelletier ayant tout au long de son témoignage pris soin de faire une distinction entre la partie avant, qui, malgré un ventre de bœuf présent depuis au moins 2012 sur un des murs, ne présente pas selon lui de danger à court terme, et la partie arrière qui, au contraire, présente un risque immédiat d’effondrement sur le bâtiment voisin[29].
- Toutefois, aussi manifeste soit-elle, cette erreur n’est pas déterminante. D’abord, contrairement à ce que soutient l’appelante, l’expert Landry reconnaît, à l’instar de l’expert Pelletier, que la partie avant et la partie arrière sont distinctes l’une de l’autre. Là où leur opinion diverge, c’est sur la dangerosité de ces deux parties avant et arrière, l’expert Pelletier étant d’avis que seule la partie arrière est dangereuse dans l’immédiat alors que l’expert Landry opine plutôt que les deux parties le sont.
- Or, la juge a accordé une plus grande crédibilité à l’opinion de l’expert Landry qu’à celle de l’expert Pelletier :
[89] Enfin, le Tribunal souligne que bien que l’expertise de Monsieur Landry soit soumise au soutien de la présente demande introductive, à l’origine, son mandat a été encadré par un employé de la Ville, dont le service a ensuite endossé les conclusions. Certes, cet élément ne lie pas le Conseil municipal et ses comités. Cependant, dans la présente instance, cet élément crée une certaine distance entre l’expert et la demanderesse et accroît d’autant son objectivité.
[90] Finalement, le Tribunal reteint du témoignage de cet expert, une ferme conviction dans son opinion, que le Tribunal retient, et le désir d’instruire le Tribunal et non de défendre une position.
- À cela s’ajoute l’avis de l’expert Pelletier souligné par la juge sur la dangerosité de la partie avant du bâtiment, avis qui, sans être identique à celui de l’expert Landry, ne le contredit pas aussi franchement que le plaide l’appelante. La juge écrit :
[94] Pour l’avant, il ne voit pas de danger immédiat pour la sécurité du public. Toutefois, il ajoute que des interventions sont requises pour assurer une sécurité à moyen terme et permettre les interventions sur la partie arrière. Laquelle partie devait être démolie.
[95] Il recommandait alors à court terme que l’arrière soit démoli, après que l’avant ait été étayé (soutenu).
[96] Devant le Tribunal, il s’étonne d’abord que la partie arrière soit toujours debout. Quant à la dangerosité actuelle, qu’il n’identifiait pas en 2023, il témoigne que dans l’état actuel, l’ensemble pose un risque réel et immédiat, notamment pour l’édifice voisin.
[97] Interrogé sur la portée actuelle de son opinion de février 2023, M. Pelletier ne peut pas réitérer ses concluions quant à la dangerosité pour le public. Pour le faire, il devrait effectuer une nouvelle inspection. Cette démarche est essentielle notamment pour évaluer l’état du ventre de bœuf et sa progression depuis l’an dernier. Il ajoute cependant l’avoir revu sommairement avant le procès (en passant devant la maison) sans voir de signes de détérioration.
[98] Le Tribunal estime que cette preuve ne permet pas d’écarter l’opinion de l’expert Landry sur la dangerosité de la construction présentement.
[Soulignement dans l’original]
- Cette appréciation du poids à donner aux témoignages des experts était du ressort de la juge et la Cour lui doit déférence.
- Les conclusions de l’expert Landry portant sur la dangerosité de tout le bâtiment retenues par la juge[30] sont à ce sujet non équivoques :
4. CONCLUSION
Le bâtiment présente des déficiences majeures à l’ensemble de ses composantes structurales. Il y a présence potentielle d’amiante et la structure et les finis sont en décrépitude. Les éléments structuraux du toit, des planchers du RDC et de l’étage sont affectés par les infiltrations d’eau qui ont considérablement réduit leur intégrité et comportement structural. Les éléments structuraux porteurs des murs extérieurs sont également très affectés et nécessitent des renforcements majeurs. La fondation est fissurée et compromise particulièrement au mur droit.
Les fondations doivent être démolies et reconstruites avec du béton armé. Pour ce faire, il faudrait supporter la charpente et la soulever à l’aide de poutres en acier insérées sous le plancher du RDC. Cette opération n’est pas envisageable avec l’état de la charpente actuelle. Celle-ci est affectée par la pourriture et est hors d’équerre et de construction artisanale rendant cette opération très risquée. Le mur droit est dangereusement incliné vers le bâtiment voisin et risque de céder prochainement. Il faudrait procéder à des travaux de renforcement, de retenue temporaire et de remise au niveau du mur droit, mais pour ce faire il faudrait soulager le mur extérieur droit du poids de la toiture et du plancher d’étage en distribuant le tout sur le plancher de l’étage et du RDC. Cette option est impossible étant donné l’état de la charpente des planchers. Le remplacement de la fondation est compromis par l’état de la charpente et les renforcements à la charpente sont compromis puisque les planchers sont dangereusement diminués par leur état et leur composition artisanale. Il faut aussi noter que la charpente repose dangereusement sur la fondation hors d’équerre et fissurée. Il y a tout simplement trop de risques reliés à des renforcements de la charpente et une nouvelle fondation est impensable étant donné l’état de la charpente à soulever. On est pris dans un cercle vicieux ici. Des travaux de remplacement des fondations sont nécessaires et pour ce faire on doit soulever la charpente. Pour soulever la charpente, celle-ci doit être solide, mais elle est hors d’équerre et instable étant donné qu’elle repose sur une fondation compromise et hors d’équerre.
Le revêtement extérieur est aussi très affecté par l’eau rendant sa remise en état très ambitieuse. En effet, la grande majorité des planches de déclin doivent être jetées étant donné leur pourriture et fissuration.
Avec tous les défauts d’ordre structural relevés lors de l’inspection, nous concluons que la récupération des éléments du bâtiment n’est pas envisageable sécuritairement. L’accès au bâtiment doit demeurer interdit. La démolition doit être prévue à court terme avant les accumulations de neige qui occasionneront des charges encore plus importantes et compromettront la structure définitivement.
5. RECOMMANDATION
Il est clair que la rénovation ou la récupération de la majorité des parties du bâtiment n’est pas viable. De sérieuses améliorations et renforcements majeurs à la structure du bâtiment sont nécessaires pour l’utilisation appropriée du bâtiment. Très peu d’éléments pourraient être récupérés et ceux-ci ne présenteraient que peu d’intérêt. Pour ces raisons, CIMA+ recommande la démolition complète du bâtiment.
Tel que demandé, nous avons évalué la possibilité de construire une structure qui viendrait conserver la façade et qui pourrait être intégrée au futur bâtiment (adossement). Après analyse, ces travaux sont jugés trop complexes et dangereux puisque les matériaux en place qu’il faudrait venir supporter sont trop endommagés de même que la structure à laquelle on devrait s’attacher pour soutenir le tout. Nous recommandons plutôt de répliquer la façade existante en la reconstruisant et en l’intégrant sur la nouvelle structure projetée en façade. En effet, l’état des fondations, de la charpente et du revêtement rendent impossible la conservation de la façade en tout ou en partie. Aucune estimation des coûts de travaux n’est donc nécessaire puisque les travaux de renforcement pour adossement sont jugés inutiles et dangereux.[31]
- La juge conclut donc que le bâtiment en entier représente un danger pour les personnes et l’appelante ne me convainc pas que la juge a commis à cet égard une erreur révisable.
Troisième moyen d’appel
- La Ville soutient ensuite que la conclusion de la juge ordonnant à l’intimée d’exécuter des mesures de préservation virtuelle d’éléments patrimoniaux est illégale puisque rendue ultra petita. Elle présente son moyen comme suit :
[63] N’étant pas saisie d’une demande à cet effet, l’Appelante soumet que la juge de première instance ne pouvait pas se prononcer, de son propre chef, sur l’opportunité de préserver des éléments patrimoniaux, sur la conservation virtuelle de l’immeuble et prononcer, ultimement, des ordonnances à cet effet, sans que celles-ci soient rendues ultra petita.
[64] L’Appelante soumet que l’article 231 LAU, en l’espèce, n’autorisait pas une exception à la règle de l’ultra petita, contrairement à d’autres dispositions législatives qui autorisent le tribunal à rendre « toute ordonnance qu’elle estime appropriée, que cette ordonnance ait, ou non, été demandée ».
[65] À cet égard, l’Appelante est d’avis que le pouvoir inhérent dont est investie la Cour supérieure ne lui permettait pas, non plus, de recadrer le débat ou encore de trancher des arguments qui n’étaient par ailleurs pas en litige ou de sa compétence.
[66] L’Appelante soumet que de tels pouvoirs étant subsidiaires, ils n’auraient pas validement permis à la juge de première instance de rendre une ordonnance dont la compétence relève du conseil municipal et du MCC, de tels pouvoirs ne lui permettant pas d’empiéter sur une compétence qui ne lui appartient pas […].
[Renvois omis]
- L’appelante ajoute que la juge a fait l’erreur de ne s’attarder qu’« à la possibilité de rénover l’immeuble sur une base commerciale et dans l’objectif ultime de remettre celui-ci aux normes de construction présentement en vigueur et non en lien avec son aspect patrimonial »[32].
Analyse de ce moyen
- Cet argument est sans mérite.
- D’abord, puisque cette ordonnance n’est dirigée que contre l’intimée, elle seule aurait pu s’en plaindre en la portant en appel, ce qu’elle n’a pas fait.
- Je suis d’accord avec la proposition de l’appelante voulant que le choix du mode de préservation relève de la discrétion du CDD et du conseil municipal, en cas de révision. Toutefois, pour que cette discrétion leur soit ainsi dévolue, encore faut-il que la démolition du bâtiment concerné par le Règlement requière une autorisation du CDD, ce qui n’est pas ici le cas puisque la démolition a été ordonnée par un tribunal[33].
- Par ailleurs, il est vrai qu’en plus d’avoir analysé la dangerosité du bâtiment et conclu qu’il présente bien un danger pour les personnes qui justifient l’intervention du tribunal, la juge aborde, lors de son analyse, les remèdes utiles afin de mettre fin à ce danger ainsi que ses utilisations potentielles suivant les rapports et témoignages des experts. Elle en retient, quant à l’aspect patrimonial du bâtiment, que même les experts de l’appelante, Nathalie Smith et Luc Pelletier de NCS Architecture, concluent que toute intervention sur l’immeuble au mieux lui ferait perdre tout intérêt patrimonial, d’où, vu la vétusté de l’ensemble de ses composantes, leur recommandation de le démolir après en avoir préservé virtuellement ses éléments patrimoniaux.
- Il est vrai que « l’utilité » du remède à laquelle renvoie le premier paragraphe de l’article 231 LAU n’est pas « celle que le bâtiment offrira après l’intervention proposée »[34] comme l’écrit la juge, mais bien celle des travaux ou ouvrages nécessaires afin de faire disparaître le danger pour les personnes, danger, lorsque prouvé, qui habilite le tribunal. Une fois le danger éliminé, il revient au propriétaire de décider du sort du bâtiment, sous réserve, bien entendu, des contraintes réglementaires.
- Toutefois, en l’espèce, la démolition du bâtiment était ce que le propriétaire recherchait. Par ailleurs, si la juge semble s’être ici aventurée dans le champ de compétence du CDD en retenant la recommandation des experts, c’est de façon superfétatoire étant donné que, vu l’état du bâtiment et le danger qu’il représente, aucun autre remède utile que la démolition ne s’offrait à elle. L’argument présenté par l’appelante en première instance, voulant que seul le pourvoi en contrôle judiciaire s’offre à l’intimée, a été rejeté par la juge. L’appelante ayant choisi de ne pas porter cette conclusion en appel, la Cour ne l’examinera pas.
- Enfin, l’appelante soutient que la juge de première instance aurait dû accorder une plus grande importance à la responsabilité de l’intimée quant à l’état de la maison. L’appelante soutient que son état de vétusté « est dû en grande partie à son inaction, une preuve non contestée à l’audience révélant que l’Intimée, à titre de propriétaire de l’immeuble, néglige d’entretenir celui-ci depuis son acquisition, malgré les avis et constats d’infractions répétés lui ayant été transmis »[35].
- Ce reproche de l’appelante envers l’intimée n’est pas fondé.
- L’appelante a transmis à l’intimée six avis d’infractions entre le 29 mars 2021 et le 19 octobre 2023. Les trois premiers (29 mars 2021, 30 juillet 2021 et 28 avril 2022) exigeaient comme « correctifs requis » de barricader le bâtiment, de réparer les sections de tôles sur la toiture afin d’éviter qu’elles ne tombent, de remplacer au besoin le revêtement extérieur et les fenêtres, de nettoyer la propriété et le bâtiment « afin de préserver l’apparence de propreté et la sécurité de ceux-ci » et de « consolider la construction dangereuse ou la rendre inaccessible » (avis du 28 avril 2022). L’avis du 27 octobre 2022 lui demandait de « consolider la construction dangereuse ». Les deux derniers avis (du 25 septembre 2023 et du 19 octobre 2023), plus exhaustifs et précis quant aux correctifs demandés, prenaient appui sur le nouveau Règlement relatif à la salubrité, à l’occupation et à l’entretien des bâtiments no 538-2003.
- De cela, on constate que les seuls avis, ceux du 29 mars 2021 et 30 juillet 2021, transmis par la Ville à l’intimée avant que celle-ci dépose sa demande de permis de démolition (le 3 août 2021) ne requéraient comme correctifs que de « réparer ou de remplacer, au besoin, les revêtements des murs extérieurs et les fenêtres », de « réparer et voir à fixer solidement les sections de la tôle sur la toiture afin d’éviter qu’elles ne tombent à nouveau » et de barricader le bâtiment. On ne peut ainsi certainement pas reprocher à l’intimée d’avoir « agi intentionnellement ou [d’avoir] fait preuve de négligence ou d’insouciance », celle-ci ayant acquis peu de temps auparavant une maison de bois vieille de plus de 110 ans que les anciens propriétaires avaient depuis des décennies laissée dépérir, si ce n’est que quelques travaux de rafistolage exécutés afin d’éviter qu’elle ne s’effondre et qu’elle puisse être habitée malgré ses multiples déficiences. D’ailleurs, un certain nombre de ses attraits architecturaux (l’escalier à l’avant et la rampe, par exemple) relevés dans le cadre de l’inventaire de 2008 avaient disparu au moment de son acquisition par l’intimée plus de dix ans plus tard sans que quiconque n’intervienne. Les correctifs demandés par l’appelante entrent donc dans la catégorie « trop peu, trop tard ».
- Je suis donc d’avis de rejeter l’appel, avec les frais de justice.
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| STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. |
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