Laberge c. Municipalité de Saint-Roch-de-Richelieu | 2022 QCCS 1351 | |||||
COUR SUPÉRIEURE | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | richelieu | |||||
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No : | 765-17-002153-213 | |||||
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DATE : | 19 avril 2022 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | katheryne a. desfossés, J.C.S. | ||||
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RÉAL LABERGE | ||||||
Demandeur | ||||||
c. | ||||||
MUNICIPALITÉ DE SAINT-ROCH-DE-RICHELIEU | ||||||
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MUNICIPALITÉ RÉGIONALE DE COMTÉ DE PIERRE-DE-SAUREL (MRC) et NORMAND BEAULIEU Défendeurs | ||||||
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JUGEMENT | ||||||
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[1] Réal Laberge poursuit la Municipalité de Saint-Roch-de-Richelieu ("Municipalité"), la Municipalité régionale de comté de Pierre-de-Saurel ("MRC") et l'inspecteur de la Municipalité, Normand Beaulieu, afin d'obtenir l'annulation du règlement 328-20 adopté par la MRC lequel modifie le schéma d'aménagement, ainsi que les différents règlements et la résolution adoptés par la Municipalité à la suite du règlement 320-20 (le "recours").
[2] Selon monsieur Laberge, la MRC et la Municipalité ne pouvaient agir comme elles l'ont fait puisqu'elles ont essentiellement court-circuité le processus référendaire autrement applicable pour ce type de modification.
[3] Il réclame également de chacun des conseillers de la Municipalité, du maire de celle-ci et de monsieur Beaulieu, la somme de 2 000 $ pour le temps qu'il a consacré au dossier, le stress et l'anxiété que la situation lui occasionne et ses débours.
[4] Monsieur Laberge n’est pas représenté.
[5] La Municipalité, la MRC et monsieur Beaulieu demandent le rejet du recours aux motifs que :
5.1. Monsieur Laberge n'a pas d'intérêt suffisant pour agir et qu’il plaide pour autrui.
5.2. Le recours n'est pas fondé en droit et voué à l'échec, n'ayant pas été entrepris dans un délai raisonnable.
5.3. Le recours n'est pas fondé en droit et voué à l'échec parce que la MRC n'a pas outrepassé ses pouvoirs, la MRC et la Municipalité n'ont pas contourné les règles d'approbation référendaire, la résolution 2020-11-277 n'est pas ultra vires des pouvoirs de la Municipalité et les dommages réclamés ne sont pas fondés.
5.4. Le recours constitue une procédure abusive et monsieur Laberge doit être déclaré quérulent.
[6] Monsieur Laberge conteste la demande de rejet et présente une demande d'irrecevabilité à cet égard. Il soutient que ses prétentions sont bien fondées notamment en raison de la décision rendue dans l’affaire Association des villégiateurs et résidents du lac Cayamant c. Municipalité de Cayamant[1] (l'affaire "Cayamant") sur laquelle reposent les assises juridiques de son recours. Il ajoute que le Tribunal doit faire preuve de prudence à ce stade du dossier.
[7] Le Tribunal doit donc déterminer si le recours de monsieur Laberge est irrecevable ou manifestement mal fondé et conséquemment voué à l'échec. Il doit également déterminer si le recours constitue une procédure abusive et finalement si monsieur Laberge doit être déclaré quérulent.
[8] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que le recours est irrecevable et abusif et que monsieur Laberge est quérulent. Il ne peut donc instituer de nouveau recours contre la MRC, la Municipalité ou leurs représentants, sans l'autorisation du juge en chef de la Cour supérieure.
[9] En début d'audience, monsieur Laberge précise qu'il se désiste de son recours contre monsieur Beaulieu. Le désistement est consigné au procès-verbal de sorte que la Municipalité et la MRC demeurent les seules parties défenderesses.
[10] Également, monsieur Laberge précise qu'il n'entend plus réclamer de dommages des conseillers de la Municipalité, mais plutôt des différents maires de la MRC. Une modification de son recours en ce sens est donc à prévoir ultérieurement.
[11] Rappelons toutefois que les conseillers de la Municipalité ou les différents maires de la MRC ne figurent pas parmi les parties poursuivies.
[12] Depuis le mois de juillet 2020, monsieur Laberge est un résident de la municipalité de Sainte-Victoire-de-Sorel. Antérieurement, il était résident de la Municipalité.
[13] Le 8 juillet 2020, la MRC adopte le règlement 328-20 qui modifie le schéma d'aménagement[2]. Plus spécifiquement, l'article 6 du règlement 328-20 prévoit:
À la suite du paragraphe 2 du chapitre E, à la page 112, le paragraphe ci-dessous est ajouté :
« 3. INTÉRÊT ÉCOLOGIQUE ET EXTRACTION TEMPORAIRE
Une portion du boisé de Contrecœur située dans la municipalité de Saint-Roch-de-Richelieu est reconnue comme un territoire d’intérêt particulier écologique et extraction temporaire. Considérant le potentiel de ce secteur pour les activités d’extraction de sable et la forte présence, actuelle et antérieure, de sablières dans le secteur, une portion de ce boisé peut être exploitée sous condition que le site soit réhabilité et reboisé tel que requis au document complémentaire. »
[14] Il résulte de cette modification que le schéma d'aménagement de la MRC autorise désormais les sablières dans le secteur visé de la Municipalité, bien que certaines sablières étaient déjà en activité dans le secteur en raison de droits acquis dont elles profitent[3].
[15] Le 3 novembre 2020, la Municipalité adopte les règlements de concordance 219-02-2020[4] et 220-51-2020[5] qui visent à arrimer son plan d'urbanisme et sa règlementation de zonage au nouveau schéma d'aménagement de la MRC. L'exploitation d'une sablière est donc dorénavant expressément permise dans une portion du boisé de Contrecœur.
[16] Le même jour, la Municipalité adopte la résolution 2020-11-277 qui appuie une demande de l'entreprise Sables Collette Ltée auprès de la CPATQ afin qu'elle puisse entreposer des résidus de minéraux qui sont accessoires à la sablière qu'elle exploite[6].
[17] Le 5 mars 2021, monsieur Laberge dépose son recours qu'il intitule "Demande en cassation et pourvoi en révision judiciaire de règlements et résolutions adoptées par la MRC et la Municipalité".
[18] Le recours vise principalement l'annulation du règlement 328-20 de la MRC, des règlements de concordance 219-02-2020 et 220-51-2020 ainsi que de la résolution 2020-11-277 de la Municipalité[7].
[19] Une simple lecture du recours permet de comprendre que monsieur Laberge demande l'annulation du règlement 328-20 en raison de son article 6 qui permet l'exploitation de sablières dans une partie de la Municipalité. Monsieur Laberge y est vivement opposé.
[20] Pourtant, monsieur Laberge n'habite plus la Municipalité.
[21] L'article
[22] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, la Cour suprême identifie les critères que les tribunaux doivent soupeser afin de déterminer si une partie peut introduire une demande en justice dans l’intérêt public[9] :
37. Lorsqu’ils exercent le pouvoir discrétionnaire de reconnaître ou non la qualité pour agir dans l’intérêt public, les tribunaux doivent prendre en compte trois facteurs : (1) une question justiciable sérieuse est-elle soulevée? (2) le demandeur a-t-il un intérêt réel ou véritable dans l’issue de cette question? et (3) compte tenu de toutes les circonstances, la poursuite proposée constitue-t-elle une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux? : Borowski, p. 598; Finlay, p. 626; Conseil canadien des Églises, p. 253; Hy and Zel’s, p. 690; Chaoulli, par. 35 et 188. Le demandeur qui souhaite se voir reconnaître la qualité pour agir doit convaincre la cour que ces facteurs, appliqués d’une manière souple et téléologique, militent en faveur de la reconnaissance de cette qualité. Toutes les autres considérations étant égales par ailleurs, un demandeur qui possède de plein droit la qualité pour agir sera généralement préféré.
1.3 Discussion
[23] Selon monsieur Laberge, toute question relative à l'environnement est d'intérêt public. Puisque les règlements contestés permettent l'exploitation de sablières dans un secteur de la Municipalité qui est autrement un territoire d'intérêt écologique et récréatif, il se dit en droit, comme tout citoyen de la MRC, de contester les actions illégales de cette dernière.
[24] D'ailleurs, au paragraphe 4 de son recours, il allègue[10]:
4. Les citoyens ont le privilège d'y pratiquer plusieurs activités de plein air tel, le ski, la raquette, la motoneige, les tout-terrains, les randonnées pédestre et bien d'autres, ces activités sociales y sont pratiquées à l'année longe. Cette zone écologique représente une Forêt où l'on retrouve en grande partie des érables, qui a donné lieu à l'implantation de 5 érablières qui entaille chacune d'entre elle, en moyenne 2,000 érables, pour y produire une très bonne qualité de sirop d'érable. Cette zone écologique représente un précieux gage que la nature nous a offerte, il est tout à fait légitime de vouloir la préserver et la conservé. (…)
[25] Or, monsieur Laberge n'est plus citoyen ni contribuable de la Municipalité.
[26] Également, les terrains visés par les règlements attaqués appartiennent à des tiers.
[27] Les règlements et la résolution dont il demande l'annulation ne l'affectent donc pas directement et monsieur Laberge ne peut prétendre à un quelconque droit d'exercer des activités de plein air sur des terrains privés.
[28] Il en résulte donc qu'il n'a aucun intérêt personnel au sens de l’article
[29] Au surplus, monsieur Laberge n'étant pas avocat, il ne peut agir pour autrui[11]. Pourtant, c'est ce qu'il semble faire. À titre d'exemple, au paragraphe 14 de son recours, il allègue[12]:
14. (…) Et ce dans l'ultime but de privé les citoyens de la Côte St-Jean (350 résidents) d'un scrutin référendaire et du processus référendaire. (…)
[30] Ainsi, même s'il est possible que des citoyens puissent contester le bien-fondé des règlements pour en demander l'annulation, monsieur Laberge ne peut le faire à leur place.
[31] De surcroit, si tant est qu'un processus référendaire eut été requis comme il le soutient, puisque monsieur Laberge n'est pas propriétaire d'un lot affecté par les règlements, il n'aurait pas été appelé à voter dans le cadre de ce référendum.
[32] Bien qu'il puisse être louable de vouloir se porter à la défense d’autrui, ce désir à lui seul n'accorde pas à un individu l'intérêt suffisant pour ester en justice.
[33] Ainsi, l’intérêt public que monsieur Laberge allègue être la pierre d’assise de son recours ne lui permet pas d’agir en l’instance, puisqu’il n’a aucun intérêt réel ou véritable dans l’issue des questions qu’il soumet. À cet égard, la Cour suprême précise[13] :
1. (…) Des restrictions s’imposent donc en matière de qualité pour agir afin d’assurer que les tribunaux ne deviennent pas complètement submergés par des poursuites insignifiantes ou redondantes, d’écarter les trouble‑fête et de s’assurer que les tribunaux entendent les principaux intéressés faire valoir contradictoirement leurs points de vue et jouent le rôle qui leur est propre dans le cadre de notre système démocratique de gouvernement : Finlay c. Canada (Ministre des Finances),
[34] Pareillement, bien que la question de la validité de la règlementation de la MRC et, subséquemment de la Municipalité, puisse a priori être sérieuse, le fait demeure qu’un citoyen de la Municipalité directement affecté par ces règlements pourrait saisir le tribunal. Le recours de monsieur Laberge ne constitue donc pas une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux[14].
[35] D’ailleurs, les tribunaux ont maintes fois refusé de considérer qu’une personne a un intérêt véritable dans la contestation d’une loi ou d’un règlement, lorsque celle-ci n’est pas affectée par la loi ou la réglementation contestée[15]. La doctrine opine généralement dans le même sens[16].
[36] En conséquence, le Tribunal conclut que le recours de monsieur Laberge est irrecevable, faute pour lui d'avoir un intérêt suffisant pour agir.
[37] Malgré la conclusion du Tribunal relativement au défaut d’intérêt suffisant pour agir, pour offrir une solution complète au litige, le Tribunal procède maintenant à l’analyse du délai à l’intérieur duquel monsieur Laberge a entrepris son recours.
2.1 Faits pertinents à la question en litige
[38] Le 8 juillet 2020, la MRC adopte le règlement 328-20.
[39] Le 15 septembre 2020, le règlement 328-20 entre en vigueur.
[40] Le 30 septembre 2020, la MRC publie un avis public informant les contribuables de la MRC de l'entrée en vigueur de ce règlement[17].
[41] Le 3 novembre 2020, la Municipalité adopte les règlements de concordance 219-02-2020[18] et 220-51-2020[19] ainsi que la résolution 2020-11-277[20].
[42] Le 5 mars 2021, monsieur Laberge intente son recours visant l'annulation de ces règlements et de cette résolution.
[43] L'article
[44] Il est généralement reconnu qu'un délai approximatif de 30 jours constitue un délai raisonnable pour signifier un pourvoi en contrôle judiciaire[21]. Cependant, ce délai peut être prolongé si le demandeur allègue des circonstances exceptionnelles qui le justifient.
2.3 Discussion
[45] Au plus tard le 12 novembre 2020, monsieur Laberge connaît l'ensemble des faits pertinents à son recours[22]. En réalité, monsieur Laberge a certainement connaissance de l'adoption du règlement 328-20 bien avant ce moment puisque cette information est rendue publique le 30 septembre 2020 et qu'il affirme suivre de près les activités de la MRC et de la Municipalité.
[46] Quoi qu'il en soit, aux fins de la présente analyse, le Tribunal retient la date du 12 novembre 2020 qui est la date la plus favorable à monsieur Laberge.
[47] Or, monsieur Laberge ne dépose son recours que le 5 mars 2021, près de huit mois après l'adoption du règlement 328-20, quatre mois après l'adoption des règlements de concordance 219-02-2020 et 220-51-2020 et de la résolution 2020-11-277, mais surtout 113 jours après la date ultime où il a connaissance de l'ensemble des faits pertinents.
[48] Malgré cela, monsieur Laberge n'allègue aucune circonstance exceptionnelle expliquant qu'un délai largement supérieur à 30 jours soit justifié en l'occurrence.
[49] Plutôt, il plaide à sa demande en irrecevabilité que ce n'est que le 15 février 2021 qu'il a pris connaissance de la décision rendue dans l’affaire Cayamant sur laquelle repose ses prétentions juridiques.
[50] Dit autrement, ce n'est que le 15 février 2021 qu'il a pris connaissance des arguments dont il estime disposer pour contester le bien-fondé des règlements.
[51] Séance tenante, monsieur Laberge plaide qu'il n'est pas donné au commun des mortels de trouver aisément les décisions pertinentes en jurisprudence et qu'il ne pouvait savoir avant ce moment sur quelle base contester la validité des règlements. Il ajoute que le recours est complexe et que le Tribunal ne devrait pas conclure à son rejet hâtivement.
[52] L'ignorance d'une loi ou du droit n'évite à personne ses effets.
[53] Le fait que monsieur Laberge choisit de se représenter seul et d'effectuer lui-même les démarches lui permettant de s'instruire sur le droit applicable ne justifie pas qu'un délai beaucoup plus long que la norme reconnue lui soit alloué. Ceci est d'autant plus vrai considérant qu'il n'en est pas à sa première expérience avec des procédures judiciaires incluant le contrôle judiciaire[23].
[54] De surcroit, monsieur Laberge admet candidement avoir consulté diverses personnes et entités incluant le ministère des Affaires municipales et de l'Habitation qui lui auraient toutes dit que les règlements étaient valides. Ce n'est que sa découverte de la décision dans l’affaire Cayamant qui lui donne espoir.
[55] Ainsi, le délai pris par monsieur Laberge pour instituer son recours n'a pas servi à sa compréhension d'un dossier complexe, mais plutôt à l'identification d'une assise juridique pour mener son combat. Ce moment ne peut marquer le point de départ du délai applicable.
[56] Conséquemment, il y a également lieu de conclure que le recours de monsieur Laberge est voué à l'échec, faute pour lui de l'avoir institué dans un délai raisonnable.
[57] Bien que la lecture du recours soit peu fluide, on y comprend que monsieur Laberge reproche à la MRC d'avoir outrepassé ses pouvoirs en modifiant son schéma d'aménagement de manière à empiéter sur les pouvoirs de la Municipalité.
[58] Similairement, il allègue que la MRC et la Municipalité ont sciemment contourné les règles d'approbation référendaire pour parvenir à leurs fins[24].
[59] L'ensemble de son argumentaire repose sur l'analyse de la juge Bédard dans l'affaire Cayamant. C'est d'ailleurs presque uniquement sur cette affaire que reposent ses arguments lors de l'audience sur la demande en rejet.
[60] La MRC et la Municipalité soutiennent qu'elles peuvent modifier leurs règlements à leur discrétion. Elles ajoutent que l'article
[61] S'appuyant aussi sur l'affaire Cayamant, la MRC soutient qu'elle a agi dans les limites des interventions spécifiques qui y sont mentionnées.
[62] De surcroît, la Municipalité argue que la modification d'un plan d'urbanisme n'est jamais susceptible d'approbation référendaire et que la modification d'un règlement de zonage visant à se conformer à une modification au schéma d'aménagement de la MRC n'est pas non plus susceptible d'approbation référendaire.
[63] Ainsi, selon la MRC et la Municipalité, la jurisprudence est claire et favorable à sa position en droit. Le recours de monsieur Laberge est donc voué à l'échec.
3.2 Principes juridiques
[64] Le moyen d’irrecevabilité fondé sur l’article
[65] La demande en rejet d’une procédure fondée sur l’article
[66] Compte tenu de la nature sommaire de la preuve dont dispose le Tribunal lorsqu’il décide du sort d’une demande en rejet, la prudence et la modération sont de mise[27].
3.3 Discussion
[67] Les arguments de la MRC et de la Municipalité sont pertinents.
[68] Toutefois, puisque monsieur Laberge avance, à tort ou à raison, qu'il y a eu perversion du pouvoir réglementaire qui justifie une intervention judiciaire, le Tribunal ne peut rejeter son recours sans procéder à une analyse complète des allégations et de la preuve qui serait faite à leur soutien.
[69] Or, un tel exercice ne peut se faire à ce stade-ci du dossier.
[70] S'il peut paraître peu probable que monsieur Laberge puisse démontrer que la MRC et la Municipalité aient agi de manière à poursuivre un but illégitime, il n'est pas clair que son recours est voué à l'échec. Seul le juge du procès sera en mesure de faire cette détermination.
[71] Ainsi, n'eût été de l'absence d'intérêt de monsieur Laberge et du délai trop long pris par ce dernier pour instituer son recours, le Tribunal aurait référé la demande en rejet de la MRC et de la Municipalité au juge du fond.
[72] La MRC et la Municipalité plaident que monsieur Laberge « s'est investi d'une mission, d'un devoir et d'une responsabilité d'entreprendre les présentes procédures afin "de tenir ses engagements envers ses collègues du secteur" (…) ». Elles ajoutent qu'il « continue abusivement, par la voie judiciaire, ce qu'il a tenté sans succès de faire par la voie politique ».
[73] À cet égard, elles précisent d'entrée de jeu, à leur plan d'argumentation :
2. À partir de 2018, Réal Laberge ("Laberge"), alors citoyen de la Municipalité, multiplie ses interventions aux séances du conseil et sur les réseaux sociaux à l'égard, notamment des sablières; parfois en faveur de leur agrandissement et parfois en défaveur de leur agrandissement;
3. En 2019, il se présente aux élections municipales à titre de maire et fait du dossier des sablières l'un des deux seuls enjeux de son programme électoral;
4. Il perd ses élections contre le maire actuel;
5. À partir de cette date, incapable de faire avancer ses idées par la voie politique, Laberge continue par la voie judiciaire, sans fondement légal et se représentant lui-même;
6. Ainsi, le ou vers le mois d'octobre 2019, Laberge a entrepris un premier recours en contrôle judiciaire contre la Municipalité, le maire et l'inspecteur municipal de la Municipalité (765-17-002022-194) concernant, notamment des décisions municipales sur les sablières, l'inhabilité du maire, l'adoption d'un règlement d'emprunt et une entente intervenue avec un promoteur;
7. Laberge, dans le cadre de ce recours, a été condamné à des dommages punitifs et compensatoires pour avoir produit une procédure contenant « […] des allégations graves à l'égard des avocats des défendeurs et le juge Castiglio notamment aux paragraphes 1, 9 et 13 à 17" et contenant "[…] un vocabulaire indigne d'une plaideur même s'il n'est pas avocat »;
[74] Elles ajoutent plus loin à leur plan d'argumentation:
102. Le recours entrepris par Laberge n'est pas sans rappeler les précédents du demandeur, qui n'en est pas à ses premières tentatives pour multiplier les recours contre les organismes avec qui il est en conflit;
103. En effet, suite à un congédiement, Laberge a multiplié les recours contre la Société des alcools du Québec et fut déclaré quérulent [dans] Société des alcools du Québec c. Laberge,
104. À Saint-Roch-de-Richelieu, le comportement obsessif de Laberge concerne notamment les sablières;
105. En effet, dès 2018, Laberge multiplie ses interventions aux séances du conseil et sur les réseaux sociaux à l'égard des sablières;
[75] Monsieur Laberge plaide plutôt qu'il a appris de ses erreurs passées, que ses propos sont davantage tempérés et conséquemment qu'il n'agit pas de manière quérulente. D'ailleurs, il souligne que son recours actuel n'est que le deuxième recours qu'il institue contre la Municipalité et le premier contre la MRC.
4.2 Principes juridiques
[76] L'article
[77] À cet égard, dans 2741-8854 Québec inc. c. Restaurant King Ouest inc.[28], la Cour d’appel résume l’application de l’article
26. Pour l’essentiel, le libellé de l’article
[78] Par ailleurs, dans Biron c. 150 Marchand Holdings inc., la Cour d’appel précise[29] :
126. L’article
[79] Relativement à la quérulence, l'article
Lorsque l'abus résulte de la quérulence d'une partie, le tribunal peut, outre les autres mesures, interdire à la partie d'introduire une demande en justice ou de présenter un acte de procédure dans une instance déjà introduite sans l'autorisation du juge en chef et selon les conditions que celui-ci détermine
[80] Dans Antoun c. Montréal (Ville de), la Cour d'appel mentionne les différents éléments à considérer dans l'analyse visant à déterminer si une personne est quérulente ou non [30] :
[39] La quérulence se manifeste notamment lorsqu'une personne exerce son droit d'ester en justice de manière excessive et déraisonnable. Les principes jurisprudentiels pertinents à l'évaluation de ce genre de comportement sont bien connus. Ils ont été énoncés par le juge Gascon, alors à la Cour supérieure, dans Pogan c. Barreau du Québec, et repris par la Cour notamment dans Brousseau c. Montréal (Ville de):
[82] Ces facteurs indicatifs se résument pour l'essentiel à ceci :
1º Le plaideur quérulent fait montre d'opiniâtreté et de narcissisme;
2º Il se manifeste généralement en demande plutôt qu'en défense;
3º Il multiplie les recours vexatoires, y compris contre les auxiliaires de la justice. Il n'est pas rare que ses procédures et ses plaintes soient dirigées contre les avocats, le personnel judiciaire ou même les juges, avec allégations de partialité et plaintes déontologiques;
4º Il réitère les mêmes questions par des recours successifs et ampliatifs : la recherche du même résultat malgré les échecs répétés de demandes antérieures est fréquente;
5º Les arguments de droit mis de l'avant se signalent à la fois par leur inventivité et leur incongruité. Ils ont une forme juridique certes, mais à la limite du rationnel;
6º Les échecs répétés des recours exercés entraînent à plus ou moins longue échéance son incapacité à payer les dépens et les frais de justice afférents;
7º La plupart des décisions adverses, sinon toutes, sont portées en appel ou font l'objet de demandes de révision ou de rétractation;
8º Il se représente seul;
9º Ses procédures sont souvent truffées d'insultes, d'attaques et d'injures.
[83] Pour sa part, le Tribunal ajouterait à cette énumération deux autres traits assez courants en la matière :
a) La recherche de condamnations monétaires démesurées par rapport au préjudice réel allégué et l'ajout de conclusions atypiques n'ayant aucune commune mesure avec l'enjeu véritable du débat;
b) L'incapacité et le refus de respecter l'autorité des tribunaux dont le plaideur quérulent revendique pourtant l'utilisation et l'accessibilité.
[40] Le juge Gascon rappelle, au paragr. [84] de ses motifs dans Pogan, qu'il ne faut pas que tous ces critères soient présents pour justifier une déclaration de quérulence : « Chaque cas est d'espèce. C'est la globalité de l'analyse qui importe ».
4.3 Discussion
[81] Le Tribunal a déjà décidé qu'il est impossible, à ce stade-ci, de conclure que les arguments juridiques avancés par monsieur Laberge sont sans fondement. Il en résulte qu'il est également impossible de conclure à ce stade que le recours est abusif parce que ses assises juridiques sont mal fondées en droit.
[82] Cependant, certains faits demeurent:
82.1. Monsieur Laberge n'a pas l'intérêt pour agir.
82.2. Il tarde dans l’institution de son recours qu’il ne dépose qu’après la découverte du jugement dans l’affaire Cayamant qui devient son cheval de bataille.
82.3. Le recours est initialement dirigé contre monsieur Beaulieu personnellement alors que monsieur Laberge se désiste contre ce dernier le matin de l'audience. C'est d'ailleurs la deuxième fois que monsieur Laberge poursuit monsieur Beaulieu[31].
82.4. Par son recours, monsieur Laberge réclame des dommages-intérêts qui sont questionnables, mais surtout qui sont demandés de personnes qui ne sont pas parties au litige. De plus, le matin de l'audience, monsieur Laberge annonce qu'il entend modifier son recours en dommages afin de les réclamer non plus des conseillers de la Municipalité, mais plutôt des différents maires de la MRC.
[83] Ces éléments démontrent que le recours de monsieur Laberge est peu réfléchi et conséquemment frivole. Il y a donc lieu de conclure qu'il est abusif.
[84] Puisque le Tribunal a déjà conclu au rejet du recours en raison de son irrecevabilité, il n'est pas opportun de le rejeter plus amplement. Cela étant, le caractère abusif du recours en justifierait également le rejet.
[85] Y a-t-il lieu pour autant de déclarer monsieur Laberge quérulent?
[86] Une déclaration de quérulence se veut inévitablement une sanction future en raison d'agissements passés. Cela étant, il faut que ces agissements passés justifient une telle sanction dans le présent dossier.
[87] Monsieur Laberge a été déclaré plaideur quérulent dans son dossier judiciaire l'opposant à son ex-employeur. Dans ses motifs, le juge Brossard indique[32]:
45. Force est de constater, sans qu'il soit nécessaire d'aborder chacun des critères et de développer sur certaines évidences que nombre des facteurs reconnus par les tribunaux comme étant indicatifs d'un plaideur quérulent sont présents chez Monsieur Laberge.
[88] Plusieurs de ces mêmes facteurs se retrouvent dans la présente instance:
88.1. Monsieur Laberge se représente seul.
88.2. Il fait preuve d'opiniâtreté. Il croit fermement en ses opinions relatives aux sablières et n'entend pas baisser les bras. Il affirme d'ailleurs avoir l'intention de suivre dorénavant de plus près l'ensemble des agissements de la MRC.
88.3. Il agit en demande dans le présent recours, tout comme dans celui institué contre la Municipalité, monsieur Beaulieu et Alain Chapdelaine en 2019.
88.4. Il réitère les mêmes préoccupations relatives aux sablières dans des procédures distinctes.
88.5. Il vise sciemment des représentants de la Municipalité personnellement pour ensuite annoncer un changement à cet égard et ainsi viser les différents maires de la MRC personnellement. Pourtant, le 20 mai 2021, sa réclamation en dommages fait l'objet d'une gestion de l'instance où il est appelé à préciser le préjudice auquel il rattache sa demande de compensation. Jamais à cette occasion ne mentionne-t-il qu'il entend se désister contre monsieur Beaulieu ni qu'il entend modifier son recours pour réclamer des dommages des différents maires de la MRC.
[89] En somme, monsieur Laberge exerce son recours à la va-comme-je-te-pousse, sans se soucier des conséquences d'un tel recours sur les parties poursuivies ou le système judiciaire. Cette façon de faire est blâmable.
[90] Dans ces circonstances et considérant l'ensemble des éléments mentionnés précédemment, le Tribunal conclut qu'il y a lieu de déclarer monsieur Laberge quérulent et ainsi assujettir à l'autorisation du Juge en chef de la Cour supérieure le dépôt d'une autre demande en justice ou procédure contre la MRC, la Municipalité ou leurs représentants, ou faisant intervenir celles-ci ou ceux-ci à la demande, à la procédure ou à l'acte de procédure à titre de mis-en-cause ou à quelque autre titre que ce soit.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[91] REJETTE la Demande en cassation et pourvoir en révision judiciaire de règlements et résolutions adoptées par la MRC et la Municipalité;
[92] DÉCLARE Réal Laberge plaideur quérulent;
[93] INTERDIT à Réal Laberge de déposer une demande en justice ou procédure contre la Municipalité régionale de comté de Pierre-de-Saurel, la Municipalité de Saint-Roch-de-Richelieu ou leurs représentants, ou faisant intervenir celles-ci ou ceux-ci à la demande, à la procédure ou à l'acte de procédure à titre de mis-en-cause ou à quelque autre titre que ce soit, sans avoir obtenu l'autorisation du Juge en chef de la Cour supérieure;
[94] DÉCLARE que tout officier du greffe de la Cour supérieure du district de Richelieu doit refuser le dépôt de toute procédure de Réal Laberge visée par le présent jugement, sauf si telle procédure a été autorisée préalablement par le Juge en chef de la Cour supérieure;
[95] LE TOUT avec frais de justice.
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| __________________________________katheryne a. desfossés, j.c.s. | |
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Réal Laberge | ||
Partie non représentée | ||
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Me Sébastien Dorion | ||
DUNTON RAINVILLE | ||
Avocats des défendeurs | ||
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Date d’audience : | 29 mars 2022 | |
[1]
[2] Pièce P-17.
[3] Monsieur Laberge soutient que les sablières en question ne profitent pas de droits acquis.
[4] Pièce P-18.
[5] Pièce P-19.
[6] Pièce P-7.
[7] Tel qu'indiqué précédemment, monsieur Laberge réclame également des dommages.
[8] Art. 168 al.
[9]
[10] Le Tribunal reprend le paragraphe intégralement, sans en corriger l'orthographe ou la syntaxe.
[11] Art.
[12] La citation est textuelle.
[13] Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society,
[14] Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal,
[15] Ministre de la Justice (Can.) c. Borowski,
[16] Pierre GIROUX, Stéphane ROCHETTE et Nicholas JOBIDON, « Les recours judiciaires en droit public » dans Collection de droit 2021-2022, École du Barreau du Québec, vol. 8, Droit public et administratif, Montréal, Éditions Yvon Blais, p. 243, à la p. 245.
[17] Pièce P-17.
[18] Pièce P-18.
[19] Pièce P-19.
[20] Pièce P-7.
[21] Transport Rosemont inc. c. Ville de Montréal,
[22] Pièce P-27.
[23] Laberge c. Municipalité de Saint-Roch-de-Richelieu,
[24] Séance tenante monsieur Laberge plaide que la MRC et la Municipalité n'ont pas agi de mauvaise foi, mais ce n'est pas ce que la rédaction de son recours laisse comprendre.
[25] L.R.Q., c. A-19.1.
[26] Art.
[27] OMsignal inc. c. Carré Technologies inc.,
[28]
[29]
[30]
[31] Laberge c. Municipalité de Saint-Roch-de-Richelieu,
[32] Société des alcools du Québec c. Laberge,
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