Décision

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Section des affaires immobilières

En matière de fiscalité municipale

 

 

Date : 20 novembre 2024

Référence neutre : 2024 QCTAQ 11249

Dossier  : SAI-M-327630-2310

Devant les juges administratifs :

PHILIPPE TREMBLAY

DANIEL CÔTÉ

 

LOUIS-SIMON RACINE

Partie requérante

c.

VILLE DE MONTRÉAL

Partie intimée

 

 


DÉCISION INCIDENTE

Requête en révision suivant l'article 154 L.J.A.


 


 


Le contexte

  1.                     Le Tribunal est saisi d’une requête de la partie intimée (Ville) formée en vertu du paragraphe 3 de l’article 154 de la Loi sur la justice administrative (LJA).[1] Cette requête vise une décision rendue dans le présent dossier par le Tribunal administratif du Québec le 28 juin 2024 (TAQ1)[2], laquelle fut rectifiée le 7 août 2024 à la demande de la Ville[3].
  2.                     La Ville soumet que la décision de TAQ1 doit être révisée car « entachée d’une erreur manifeste et déterminante, ce qui équivaut à un vice de fond de nature à invalider la Décision. »
  3.                     L’audience sur la présente requête a lieu le 18 septembre 2024 via la plateforme Teams.
  4.                     La partie requérante, M. Louis-Simon Racine, (Requérant), dans son recours intenté devant TAQ1, demande de réduire à 271 796,60 $ la valeur de son immeuble inscrite au rôle foncier pour le rôle triennal 2023-2024-2025. La valeur inscrite au rôle est alors de 364 100 $. Quant à la Ville, celle-ci recommande plutôt une hausse de la valeur à 382 500 $.
  5.                     La date de référence pertinente pour établir la valeur réelle[4] pour ce rôle est le 1er juillet 2021, ce qui n’est pas contesté.
  6.                     L’immeuble en question est l’unité 216 d’un immeuble détenu en copropriété et qui est situé au [...], à Montréal.
  7.                     Devant TAQ1, le Requérant soumet que le prix qu’il a lui-même payé pour l’achat de son unité est représentatif de sa valeur réelle. Il a conclu le contrat d’acquisition (Acte d’acquisition) le 17 juillet 2021 et le prix mentionné est de 271 792,50 $[5]. Cependant, l’Acte d’acquisition découle, en fait, d’une offre d’achat signée en juillet 2018. Le prix payé dans l’Acte d’acquisition est celui stipulé à cette offre d’achat.
  8.                     Malgré ces circonstances, le Requérant soutient tout de même devant TAQ1 que le prix mentionné dans l’Acte d’acquisition est la meilleure indication de la valeur réelle de l’immeuble bien qu’établi et convenu trois ans avant la date de référence.
  9.                     Parallèlement à son argument basé sur le prix mentionné à l’Acte d’acquisition, le Requérant met de l’avant devant le TAQ1 la valeur de 306 340 $ utilisée par la Ville pour lui facturer des droits de mutation découlant de cet achat. Le Requérant soumet que la Ville se contredit elle-même car cette valeur de 306 340 $ est différente et bien moindre que celle qu’elle recommande maintenant pour son immeuble qui est à 382 500 $.
  10.                De son côté, la Ville, lors de l’audience devant TAQ1, a déposé, au soutien de sa recommandation de hausser la valeur, un rapport d’expertise détaillé préparé par son évaluateur[6] établissant la valeur réelle de l’immeuble en date du 1er juillet 2021 à 382 500 $. Ce rapport réfère notamment à la vente d’une unité à toutes fins pratiques identique à celle ici visée. Cette vente survient en août 2021 et concerne une unité située dans le même immeuble et en face de l’unité détenue par le Requérant[7].
  11.                Dans sa décision, TAQ1 accueille en partie le recours du Requérant et réduit la valeur foncière de l’immeuble à 306 340 $[8]. Pour ce faire, TAQ1 rejette d’abord le prix mentionné à l’Acte d’acquisition car il fut établi en 2018 lors de la signature de l’offre d’achat. Ensuite, il choisit de se baser sur la valeur utilisée par la Ville pour la détermination des droits de mutation et qui correspond, selon lui, à la date pertinente à examiner ici, soit le 1er juillet 2021.


Analyse du Tribunal

  1.                Le Tribunal estime que la référence au critère « d’erreur manifeste et déterminante » faite par la Ville est le critère d’intervention de l’appel et qu’il ne devrait pas être confondu avec le critère d’intervention dans le cadre d’un recours entrepris sous l’article 154 de la LJA.
  2.                Il est d’abord utile de rappeler le libellé de l’article 154 LJA qui fonde la présente requête :

154.  Le Tribunal peut, sur demande, réviser ou révoquer toute décision qu’il a rendue :

  lorsqu’est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

  lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

  lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision…

Exception :

Dans le cas visé au paragraphe 3˚, la décision ne peut être révisée ou révoquée par les membres qui l’ont rendue.

[ Soulignements du Tribunal ]

  1.                Le critère sous ce dernier article est plus exigeant que celui de l’appel d’une décision du Tribunal. À cet égard, le Tribunal rappelle les propos suivants de la Cour d’appel dans l’affaire Godin[9] :

 

[47]   Of this I am above all else convinced: Section 154(3) of the ARAJ was not intended to empower one panel of the TAQ to revoke or revise the decision of another panel of the TAQ simply because it takes a different view of the facts, the relevant statutory provisions, or the applicable regulations.

 

[48]   The second panel may only intervene where it can identify a fatal error in the impugned earlier decision. By the very terms of the provision, the error must, on account of its significance, be "of a nature likely to invalidate the decision", within the meaning of section 154(3).

 

[49]   And I would ascribe to the verb "invalidate", in this context, the meaning given to its corresponding adjective by the Canadian Oxford Dictionary :

 

invalid 1. not officially acceptable or usable, esp. having no legal force.

2.not true or logical; not supported by reasoning (an invalid argument).

 

[50]   In short, section 154(3) does not provide for an appeal to the second panel against findings of law or fact by the first. On the contrary, it permits the revocation or review by the Tribunal of its own earlier decision not because it took a different though sustainable view of the facts or the law, but because its conclusions rest on an unsustainable finding in either regard. 

 

[ Soulignements du Tribunal ]

  1.                Fort de cet enseignement, examinons maintenant ce qui est reproché au TAQ1.
  2.                Essentiellement, la Ville soumet que TAQ 1 a, à bon droit, écarté l’Acte d’acquisition comme comparable puisque le prix de vente avait été réellement négocié en juillet 2018 et n’est donc pas concomitant avec la date de référence pertinente du 1er juillet 2021. Cependant, elle reproche à TAQ1 d’avoir ensuite fait exactement le contraire en acceptant la valeur utilisée par la Ville pour le calcul des droits de mutation découlant de l’Acte d’acquisition comme une indication de la valeur réelle de l’immeuble en cause. Or, soutient-elle, cette valeur est extraite du rôle 2020-2021-2022 et dont la date de référence est le 1er juillet 2018.
  3.                En effet, la valeur utilisée pour le calcul des droits de mutation est établie d’une manière fort distincte de la valeur réelle au sens de la Loi sur la fiscalité municipale (LFM)[10].
  4.                Selon la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières[11], dans le cas d’une unité d’évaluation, comme l’immeuble ici, qui est inscrite au rôle d’évaluation[12] la valeur utilisée pour le calcul des droits a été basée sur sa « valeur marchande » au sens qui lui est donnée dans cette dernière loi au moment de son transfert[13].
  5.                Cette « valeur marchande » constitue « ...le produit que l’on obtient en multipliant la valeur inscrite au rôle de l’unité…par le facteur du rôle établi conformément à l’article 264 de la Loi sur la fiscalité municipale… »[14]. Comme le soumet la Ville, le rôle auquel on réfère ici est donc celui en vigueur au moment de la transaction, soit le rôle 2020-2021-2022 et ayant comme date de référence le 1er juillet 2018, soit trois ans avant la date d’évaluation fixée par la LFM à l’égard du recours dont est saisi TAQ1. Le législateur a donc fait le choix d’établir les droits de mutation par un calcul sommaire basé sur une valeur qui ne représente pas la valeur réelle au sens de la LFM.
  6.                Rappelons que la valeur réelle au sens de la LFM[15] correspond, essentiellement, à la valeur d’échange de l’immeuble selon un marché libre et ouvert à la concurrence et que l’on doit établir, en l’espèce, à la date de référence du 1er juillet 2021 puisqu’il s’agit du rôle 2022-2023-2024 qui est en jeu. Il ne s’agit donc pas d’une valeur basée sur les conditions du marché en juillet 2018 ajustée du facteur général mentionné à l’article 264 de la LFM. La valeur réelle doit être prouvée, généralement par une preuve d’expertise ou par des transactions d’immeubles comparables intervenues à la date d’évaluation pertinente.
  7.                Comme on le constate, la « valeur marchande » au sens de Loi concernant les droits sur les mutations immobilières et la valeur réelle au sens de la LFM doivent donc être distinguées et une confusion à cet égard conduit inéluctablement à des conclusions erronées. Cela dit avec égards, c’est la confusion dans laquelle s’est retrouvé TAQ1 en se référant à cette « valeur marchande » pour établir la valeur réelle de l’immeuble en cause.
  8.                Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal estime que TAQ1 a effectivement commis une erreur qui vicie fatalement sa décision en utilisant la valeur utilisée par la Ville pour le calcul des droits de mutation.
  9.                Le Tribunal n’a pas d’hésitation à retenir plutôt la valeur de 382 500 $ à laquelle conclut l’expert de la Ville dans son rapport d’expertise, lequel lui apparaît probant et crédible. Ce rapport fait état de trois ventes d’unités identiques ou similaires, dont la plus concluante est transigée à quelques semaines de la date de référence et ne nécessite ainsi que de très peu d’ajustements aux fins de la comparer à l’immeuble du Requérant.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

RÉVISE la décision rendue par le Tribunal le 28 juin 2024 et rectifiée le 7 août 2024;

FIXE ainsi la valeur réelle de l’unité 216 située au [...], à Montréal pour le rôle triennal 2023-2024-2025 en prenant compte le facteur comparatif de 1.00 :

 Terrain :   55 700 $

 Bâtiment : 326 800 $

 Immeuble : 382 500 $

LE TOUT, sans frais.


 

PHILIPPE TREMBLAY, j.a.t.a.q.

 

 

DANIEL CÔTÉ, j.a.t.a.q.


 

Gagnier, Guay, Biron

Me Justine Deschênes

Avocate de la partie intimée


 


[1]  RLRQ, chapitre J-3.

[2]  2024 QCTAQ 06534.

[3]  2024 QCTAQ 08163.

[4]  Article 46 de la Loi sur la fiscalité municipale, RLRQ, chapitre F-2.1.

[5]  Tel qu’indiqué dans son « Résumé des faits » lors de l’audience devant TAQ1. Dans les notes explicatives accompagnant sa Demande de révision (DDR), il indique plutôt le chiffre de 271 792,60 $. Enfin, l’expert de la Ville indique plutôt un prix d’acquisition de 271 973 $ dans son expertise.

[6]  Rapport d’expertise du 3 mai 2024 préparé par M. Jean-Baptiste Dinelson et produit sous I-1 devant TAQ1.

[7]  Vente 1, p. 13 et 15 du rapport d’expertise pour les détails de cette transaction.

[8]  Selon décision rectifiée de TAQ1.

[9]  Tribunal administratif du Québec c. Godin (C.A., 2003-08-18), SOQUIJ AZ-50188854, J.E. 2003-1695, [2003] R.J.Q.

[10]  RLRQ chapitre F-2.1.

[11]  RLRQ chapitre D-15.1, article 1.1.

[12]  Article 1.1 de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières.

[13]  Article 2, paragraphe 3 du deuxième alinéa de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières.

[14]  Article 1.1 de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières.

[15]  Voir notamment article 43.

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