Décision

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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Kosicki c. Toronto (Cité), 2025 CSC 28

 

 

Appel entendu : 16 janvier 2025

Jugement rendu  : 19 septembre 2025

Dossier : 40908

 

Entre :

 

Pawel Kosicki et

Megan Munro

Appelants

 

et

 

Cité de Toronto, anciennement la corporation de la municipalité de York

Intimée

 

- et -

 

Procureur général de l’Ontario,

procureur général de la Colombie-Britannique,

City of Surrey,

Advocates for the Rule of Law et

Ville d’Ottawa

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 85)

La juge O’Bonsawin (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Côté, Rowe et Moreau)

 

 

Motifs dissidents :

(par. 86 à 208)

Le juge Kasirer (avec l’accord des juges Karakatsanis, Martin et Jamal)

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 


Pawel Kosicki et

Megan Munro Appelants

c.

Cité de Toronto, anciennement la corporation

de la municipalité de York Intimée

et

Procureur général de l’Ontario,

procureur général de la Colombie-Britannique,

City of Surrey,

Advocates for the Rule of Law et

Ville d’Ottawa Intervenants

Répertorié : Kosicki c. Toronto (Cité)

2025 CSC 28

No du greffe : 40908.

2025 : 16 janvier; 2025 : 19 septembre.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

 Biens — Biens réels — Possession adversative — Terres publiques — Parcs municipaux — Titre détenu par une municipalité sur une partie de terrain située au fond de la cour arrière des demandeurs et désignée dans les plans municipaux comme étant un parc affecté à un usage public — Revendication par les demandeurs d’un titre possessoire sur la partie en litige de la cour arrière sur le fondement de l’utilisation exclusive de cette partie de terrain depuis plus de 10 ans — Rejet de la demande par la juge qui en était saisie pour des raisons de politique d’intérêt général — Rejet de la demande par la Cour d’appel sur la base du test reformulé relatif à la possession adversative de terres publiques en common law — Est-ce qu’un fondement en common law excluant les revendications possessoires à l’égard des terres publiques devrait être reconnu en plus des exceptions existantes prévues par la loi? — La partie en litige de la cour arrière est-elle à l’abri d’une revendication de possession adversative du fait qu’il s’agit d’un parc municipal? — La revendication d’un titre possessoire présentée par les demandeurs devrait-elle être accueillie? — Loi sur la prescription des actions relatives aux biens immeubles, L.R.O. 1990, c. L.15, art. 4, 5(1), 15, 16.

 En 2017, les demandeurs ont fait l’acquisition d’une propriété résidentielle à Toronto. Celleci donne sur une ruelle appartenant à la municipalité, qui sépare la propriété et les propriétés voisines d’un grand parc municipal. Plusieurs années après avoir acquis la propriété, les demandeurs ont appris que la municipalité était détentrice d’un titre de propriété sur une partie de leur cour arrière (« bienfonds en litige »). L’étendue de terrain qui se compose du bienfonds en litige, de la ruelle et du parc a été expropriée par un office de protection de la nature en 1958 et cédée à la municipalité en 1971. Entre 1958 et 1971, une clôture a été érigée autour de la cour arrière de la propriété, empêchant l’accès public au bienfonds en litige.

 Les demandeurs se sont enquis auprès de la municipalité de la possibilité de faire l’acquisition du bien-fonds en litige, mais elle a refusé sur la base d’une politique visant à décourager la vente de terrains, comme le parc et le bienfonds en litige, qui faisaient partie de ses espaces verts. Les demandeurs ont donc sollicité une ordonnance visant l’obtention d’un titre possessoire sur le bienfonds en litige. La juge saisie de la demande a déterminé qu’un test du bénéfice public relatif à la possession adversative de terres publiques avait été formulé dans certaines autres décisions de tribunaux d’instances inférieures, et elle s’est demandé s’il y était satisfait en l’espèce, ce qui entraînerait le rejet de la revendication possessoire des demandeurs. Elle a conclu qu’il n’avait pas été satisfait à ce test parce que la municipalité n’avait pas établi que le bienfonds en litige avait été utilisé par le public avant la mise en place de la clôture. Malgré cette conclusion, elle a rejeté la demande, concluant que l’acquisition du bienfonds en litige avait à l’origine un important objectif d’intérêt public et que, pour des raisons d’intérêt public, un propriétaire privé ne peut clôturer une terre publique et exclure le public puis avoir gain de cause dans une revendication de possession adversative.

 Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont confirmé la décision de la juge saisie de la demande, mais ont reformulé le test du bénéfice public, retirant l’exigence relative à l’utilisation véritable. Ils ont affirmé que les revendications de possession adversative ne seront pas accueillies lorsque le bienfonds a été acheté par la municipalité ou attribué à celleci pour l’usage ou le bénéfice du public, et que la municipalité n’a pas renoncé à ses droits présumés sur le bienfonds, ou reconnu son usage par un propriétaire privé ou acquiescé à un tel usage. Les juges majoritaires ont conclu que la Loi sur la prescription des actions relatives aux biens immeubles LPABI ») de l’Ontario n’empêchait pas l’évolution continue des règles de common law applicables aux biensfonds qui ne sont pas explicitement visés par l’art. 16 de la LPABI, lequel met certains biensfonds à l’abri de la possession adversative, et que les précisions apportées au test du bénéfice public ne contrevenaient pas à l’art. 16, car elles ne prévoyaient pas une immunité absolue contre les intérêts possessoires pour les parcs municipaux, mais créaient une présomption réfutable portant que de tels biensfonds ne se prêtent pas à la possession adversative. Le juge dissident aurait confirmé le titre des demandeurs sur le bienfonds en litige puisqu’ils avaient satisfait aux exigences que prévoit la LPABI pour établir un titre possessoire. À son avis, l’application d’un test du bénéfice public en common law constituerait une modification inappropriée des dispositions de la LPABI, et il n’y avait aucun fondement suffisant pour la création d’une immunité générale contre la possession adversative en faveur des parcs municipaux.

 Arrêt (les juges Karakatsanis, Martin, Kasirer et Jamal sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli.

 Le juge en chef Wagner et les juges Côté, Rowe, O’Bonsawin et Moreau : La reconnaissance d’une nouvelle immunité de common law protégeant les parcs municipaux contre les intérêts possessoires acquis par prescription ne peut être conciliée avec le régime législatif applicable et irait à l’encontre de l’intention du législateur. Ce dernier, s’étant penché sur les terres publiques qui seraient soustraites à l’application de la LPABI dans cette loi même et dans d’autres lois, avait manifestement l’intention de maintenir les intérêts possessoires acquis par prescription. En conséquence, la LPABI, qui prévoit l’extinction du titre et du droit du détenteur du titre documentaire de reprendre possession d’un bienfonds 10 ans après la dépossession, régit le litige en l’espèce. Il n’est pas contesté que les demandeurs ont établi qu’il y avait eu possession publique, notoire, paisible, adversative, exclusive, réelle et continue du bienfonds pendant 10 ans conformément aux art. 4 et 5(1) de la LPABI et qu’il n’y a aucune exception applicable, que ce soit à l’art. 16 de la LPABI ou dans d’autres lois, qui fait obstacle à la revendication possessoire de parcs municipaux. Le titre de la municipalité sur le bienfonds en litige s’est éteint comme le prévoit l’art. 15 de la LPABI il y a plus d’une quarantaine d’années. Conformément au par. 44(1) de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, le bienfonds en litige est devenu assujetti au titre possessoire des demandeurs dès l’enregistrement. Les demandeurs devraient être déclarés propriétaires en fief simple du bienfonds en litige.

 En Ontario, la LPABI énonce les règles qui régissent les revendications de titres possessoires, communément appelées aussi droits de possession adversative ou droits des intrus. Lorsqu’il y a ouverture à revendication de possession adversative, les tribunaux appliquent les dispositions législatives pertinentes afin de déterminer si celleci est bien fondée. Par application des art. 4, 5(1) et 15 de la LPABI, l’intérêt foncier du véritable propriétaire est éteint en faveur du titre possessoire acquis par un intrus lorsque ce dernier établit qu’il y a eu dépossession pendant 10 ans, dont les éléments ont été établis dans la jurisprudence : (1) la possession réelle du bienfonds par l’intrus pendant la période prescrite par la loi; (2) l’intention d’exclure le véritable propriétaire de son bienfonds; et (3) l’exclusion effective du véritable propriétaire de son bienfonds. La possession réelle est établie lorsque la possession est publique et notoire, adversative, exclusive, paisible, réelle et continue.

 Les tribunaux doivent recourir à la common law pour appliquer les termes clairs, mais indéfinis, des dispositions pertinentes de la LPABI, mais les règles régissant la possession adversative sont également marquées par un long historique de textes législatifs, qui ont codifié des parties de la common law et en ont modifié d’autres. Pour statuer sur une réclamation possessoire, les tribunaux doivent s’assurer du respect de l’intention du législateur et appliquer les principes de common law conformément au régime législatif. À l’art. 16 de la LPABI, le législateur soustrait certaines terres publiques à l’application de la LPABI depuis plus d’un siècle, y compris les biensfonds en friche ou nus de la Couronne, les emplacements affectés à une route et les voies publiques. Toutefois, ces modifications ont maintenu expressément les droits, titres et intérêts qui étaient déjà acquis en 1922 à l’égard des emplacements affectés à une route et des voies publiques. Bien que de nouvelles exceptions pour d’autres catégories de terres publiques aient été édictées dans des lois connexes depuis les dernières modifications apportées à la LPABI, elles ne font pas mention des parcs municipaux.

 Tenter de créer une exception de common law en faveur des parcs municipaux compromet le choix de politique d’intérêt général clair du législateur consistant à conférer une immunité uniquement à certaines catégories de terres publiques et à maintenir les titres possessoires acquis par prescription. Il est nécessaire que les tribunaux examinent attentivement la loi pour décider si le recours à une nouvelle règle de common law, comme le test du bénéfice public, serait contraire à l’intention du législateur. Une interprétation des dispositions pertinentes dans le contexte du régime législatif général régissant la possession adversative en Ontario révèle que le législateur n’avait pas l’intention de soustraire les parcs municipaux des effets de la LPABI. Le législateur a maintenu les intérêts possessoires acquis par prescription, bien qu’il ait aboli prospectivement la possibilité d’acquérir un titre possessoire sur un bienfonds enregistré en vertu de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, ce qui concorde avec l’objet de la LPABI en tant que loi destinée à assurer la tranquillité d’esprit (« statute of repose »). Le fait que le législateur a dressé une liste des catégories de terres publiques soustraites à l’application de la LPABI dans cette loi même et dans d’autres lois est d’une importance cruciale. Compte tenu du sens ordinaire des termes de l’art. 16, lequel établit une liste exhaustive des exceptions qui ne comprennent pas les parcs municipaux, on peut fortement s’attendre à ce que le législateur aurait expressément énoncé les parcs municipaux dans cette disposition s’il avait voulu que ceuxci fassent l’objet d’une exception. Il est révélateur que la disposition comprenne expressément les emplacements affectés à des routes ou des voies publiques qui ont été dévolus à une municipalité, mais aucun autre bien municipal. En plus de l’adoption d’un régime d’enregistrement des droits immobiliers de type Torrens en application de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, le législateur a aussi modifié la Loi sur les terres publiques et la Loi de 2006 sur les parcs provinciaux et les réserves de conservation en 2021 afin de soustraire certaines catégories de terres publiques à l’application de la LPABI, mais il a maintenu les intérêts possessoires acquis par prescription.

 L’application d’une exception de common law aux parcs municipaux serait incompatible avec le traitement que réserve le législateur au titre possessoire. Le fait que le législateur n’a pas complètement écarté la common law ne permet pas aux tribunaux de compléter une loi d’une façon qui est incompatible avec l’intention du législateur. Le test du bénéfice public formulé par les juges majoritaires de la Cour d’appel ferait dans les faits obstacle à toute revendication possessoire visant des parcs municipaux. Une revendication pourrait être accueillie seulement si la municipalité a explicitement consenti à la possession, ce qui n’est pas compatible avec les principes généraux de la possession adversative et écarte effectivement l’effet de la loi. Exiger de la part de la municipalité qu’elle ait pleinement connaissance de la possession et qu’elle s’engage à ne pas la perturber exige en fait qu’un intrus ait l’autorisation d’être en possession adversative, et pourtant la possession adversative ne peut être autorisée. Si une reconnaissance ou un acquiescement était requis, les autres exigences de la possession adversative ne joueraient qu’un rôle négligeable, puisqu’un transfert de titre dans de tels cas serait essentiellement consensuel.

 Les juges Karakatsanis, Martin, Kasirer et Jamal (dissidents) : Le pourvoi devrait être rejeté. Le bien-fonds en litige n’a pas été acquis par les demandeurs à titre de prolongement de leur cour arrière par possession adversative. La position la plus conforme à la jurisprudence et au contexte législatif est que le test du bénéfice public en common law reste applicable parallèlement à la LPABI. Bien que les demandeurs répondent à la condition d’avis imputé de la possession adversative, ils ne satisfont pas au test plus rigoureux exigeant que, à l’époque pertinente, la municipalité ait acquiescé à l’usage privé du bien-fonds public.

 Il y a accord avec les juges majoritaires sur l’essentiel du test de common law en matière de possession adversative, mais désaccord avec eux sur la question de savoir si les revendications de possession adversative de biensfonds publics, et en particulier les biensfonds municipaux, sont distinctes d’une manière qui reflète la nature de ces biensfonds. Bien que l’acquisition d’un titre foncier par possession adversative puisse, dans les circonstances qui s’y prêtent, servir le bien commun, les explications traditionnelles quant à la possession adversative ont une résonance limitée lorsque le propriétaire titré du bienfonds est une entité publique qui détient la propriété au bénéfice de la collectivité. Il sera difficile pour un possesseur privé de démontrer que le droit qu’il revendique à titre personnel à l’égard d’un parc de la municipalité est plus productif que l’usage ou le bénéfice que l’ensemble de la collectivité retire d’un espace vert public. L’idée qu’une municipalité devrait être pénalisée pour son omission de patrouiller ou de surveiller les limites de milliers d’acres d’espaces verts à caractère patrimonial dans des centaines de parcs ne tient pas compte des coûts sociaux et économiques pour le public de cette surveillance, notamment des coûts pour les contribuables.

 La common law peut reconnaître et reconnaît bel et bien la nature distincte des biensfonds publics municipaux en ce qui concerne la limitation de la théorie de la possession adversative. En Ontario, le bienfonds qu’une municipalité réserve à l’usage ou au bénéfice du public à titre de parc devrait être présumé utilisé par le public et protégé contre la possession adversative. Pour renverser cette présomption, le demandeur doit démontrer que la municipalité a changé la vocation du bienfonds, qui était destiné à l’usage du public à titre de parc, ou encore qu’elle a reconnu son usage privé ou y a acquiescé. La norme de preuve associée à l’analyse est élevée. L’acquiescement exige généralement une preuve de connaissance de la part de la municipalité. Vu la nature de l’intérêt public à l’égard du bienfonds et les exigences liées à la surveillance des parcs par la municipalité, lorsque la preuve de connaissance imputée sert également à réfuter la présomption, cette preuve doit satisfaire à une norme élevée.

 Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont dégagé une règle générale applicable à la common law de l’Ontario; ils ont affiné les exigences de la common law pour ce qui est des actes constituant une dépossession dans le contexte d’un parc municipal dans la présente affaire, plutôt que d’ajouter une nouvelle exception similaire aux catégories d’exceptions relatives aux biensfonds publics figurant dans la liste que l’on retrouve à l’art. 16 de la LPABI. La précision apportée à la jurisprudence comporte deux caractéristiques principales. Premièrement, elle a regroupé la formulation employée auparavant en une seule question : celle de savoir si le bienfonds municipal en cause a été affecté au bénéfice du public. Deuxièmement, reconnaissant que les décisions ne consacraient pas une immunité, elle a expliqué qu’elles reposaient sur une présomption réfutable selon laquelle les biensfonds acquis pour le bénéfice public ou affectés à cette fin sont utilisés ainsi jusqu’à preuve du contraire, car il existe des circonstances selon la common law en Ontario dans lesquelles il a toujours été difficile d’acquérir un bienfonds municipal par possession adversative. Cette précision illustre une caractéristique bien connue du raisonnement de common law selon laquelle les juges peuvent parvenir à un principe par un processus d’induction à partir d’une série de décisions judiciaires rendues dans des affaires individuelles. La jurisprudence a indiqué que les tribunaux éprouvent constamment un malaise à l’idée d’accueillir les revendications de possession adversative présentées par des propriétaires privés à l’égard de biensfonds publics municipaux, et les juges majoritaires de la Cour d’appel ont donné un sens à cette série de décisions disparates qui ont dit des choses semblables de manières différentes : le bienfonds municipal, en raison de sa nature et de sa vocation, ne peut pas faire l’objet d’une acquisition par possession adversative de la même manière qu’un bienfonds détenu par un propriétaire privé.

 Cette règle de common law n’a pas été écartée par une loi en Ontario, y compris par la LPABI. Bien interprétée, la LPABI n’emporte pas l’inférence selon laquelle, en omettant de mentionner les parcs municipaux dans les exemptions prévues par la loi, le législateur voulait que ces biensfonds soient traités, pour les besoins de la possession adversative, comme s’ils étaient détenus par des propriétaires privés. La LPABI n’est pas un code complet régissant la possession adversative de bienfonds, étant donné que la mesure de la possession adversative fait ellemême l’objet d’un test en common law, en dehors des règles de prescription prévues par la loi. La LPABI pourrait écarter la règle de common law applicable aux biensfonds publics si le législateur choisissait de le faire explicitement ou par implication nécessaire. Il y a accord avec les juges majoritaires lorsqu’ils affirment que l’intention du législateur doit être respectée, mais désaccord avec eux lorsqu’ils disent qu’au regard de la loi, la common law relative aux biensfonds municipaux présumés détenus pour l’usage ou le bénéfice du public n’a pas été modifiée par le législateur.

 La LPABI ne révèle aucun objectif du législateur d’écarter la common law. Le régime législatif de la LPABI présente des incohérences internes et témoigne donc d’objectifs législatifs limités et changeants. La LPABI a hérité d’un regroupement de dispositions qui ont été conservées sans révision législative en profondeur, et elle semble être une mosaïque de dispositions disparates qui a été élaborée par àcoups et sur de longues périodes. L’article 16 de la LPABI est l’expression de différentes modifications apportées au fil de plusieurs décennies, et dans au moins un de ces cas, le législateur n’est intervenu que lorsque les tribunaux ne l’ont pas fait. Il y a désaccord avec la position des juges majoritaires selon laquelle l’art. 16 fonctionne comme une liste exhaustive des biensfonds soustraits à la possession adversative, et que l’évolution législative témoigne d’un processus délibéré et concerté en vue d’écarter ou d’évincer la common law telle qu’elle s’applique aux parcs municipaux. Le libellé et la structure de l’art. 16 ne révèlent pas une intention de définir de manière exhaustive tous les biensfonds à l’abri de la possession adversative, à l’exclusion du traitement réservé par la common law aux catégories de biensfonds publics qui ne figurent pas sur la liste, et l’art. 16 n’exclut pas non plus le pouvoir de common law de reconnaître, parallèlement aux catégories de biensfonds bénéficiant d’une immunité totale qui sont expressément reconnues, d’autres catégories de biensfonds publics. Il faut voir l’art. 16 comme une disposition qui a introduit des exemptions spécifiques qui continuent de s’appliquer à l’intérieur du cadre plus large de la common law.

 Comme elle n’a pas été écartée par la loi, la règle de common law relative aux parcs municipaux s’applique donc au bienfonds en litige dans la présente affaire. Même si les demandeurs et leurs prédécesseurs ont possédé le bienfonds en litige pendant une période qui aurait donné lieu à l’acquisition par possession adversative si le bienfonds avait appartenu à un propriétaire privé plutôt qu’à la municipalité en tant que parc, et même s’il peut bien s’agir d’une parcelle de terre relativement petite, le bienfonds en litige faisait partie du précieux espace vert que la municipalité a destiné à l’usage ou au bénéfice du public en tant que partie du parc pendant toute la période de possession. L’attribution du bienfonds aux demandeurs aurait pour effet de priver à perpétuité la collectivité de cette partie du parc. Le public ferait un usage plus utile de ce bienfonds sur le plan social au fil du temps que pourrait n’en faire une seule personne : c’est le principe même de l’usage ou du bénéfice public sur lequel repose l’existence des parcs. Cet intérêt public est amplifié dans un milieu urbain densément peuplé comme la municipalité où les espaces verts accessibles au public représentent un patrimoine naturel important et ont une valeur récréative qui bénéficie au public.

 La preuve au dossier ne suffit pas à réfuter la présomption ni à fonder une demande préservée en vertu du par. 51(2) de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers. Le bienfonds en litige a été désigné comme parc durant toute la période en cause. La clôture préexistante peut empêcher l’utilisation du bienfonds par le public, mais elle ne change rien au fait que le parc est voué au bénéfice du public, pas plus qu’elle ne donne naissance à une attente bien établie selon laquelle la municipalité a acquiescé à la possession. Le caractère public du bienfonds en litige, renforcé par sa désignation comme espace vert, reste inchangé. Cette interprétation de la présomption du bénéfice public à l’encontre de la possession adversative d’un parc municipal n’est pas injuste envers les demandeurs en l’espèce. Les demandeurs ne peuvent pas dire qu’ils ont une revendication valide de nature adversative en raison de leur possession exclusive, alors que cette exclusivité est une conséquence de la clôture même qui a empêché le public d’utiliser un bienfonds destiné au bénéfice de la collectivité. Parce que le principe expliqué par les juges majoritaires de la Cour d’appel n’était pas du droit nouveau, mais simplement une formulation plus claire d’une règle de common law établie de longue date, les demandeurs ne peuvent pas affirmer que leur revendication s’est cristallisée en un droit de propriété devenu acquis par prescription avant un quelconque changement du droit applicable.

Jurisprudence

Citée par la juge O’Bonsawin

 Distinction d’avec l’arrêt : R. c. Basque, 2023 CSC 18; arrêts examinés : Oro-Medonte (Township) c. Warkentin, 2013 ONSC 1416, 30 R.P.R. (5th) 44; Nelson (City) c. Mowatt, 2017 CSC 8, [2017] 1 R.C.S. 138; R. c. McCormick (1859), 18 U.C.Q.B. 131; Prescott & Russell (United Counties) c. Waugh (2004), 15 M.P.L.R. (4th) 314; Woychyshyn c. Ottawa (City) (2009), 88 R.P.R. (4th) 155; Richard c. Niagara Falls, 2018 ONSC 7389, 4 R.P.R. (6th) 238; Hackett c. Colchester South, [1928] R.C.S. 255; arrêts mentionnés : Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. Saint John Shipbuilding Ltd., [1997] 3 R.C.S. 1210; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Bank of Montreal c. Iskenderov, 2023 ONCA 528, 168 O.R. (3d) 1; Pflug c. Collins, [1952] O.R. 519; Keefer c. Arillotta (1976), 13 O.R. (2d) 680; Teis c. Ancaster (Town) (1997), 35 O.R. (3d) 216; Masidon Investments Ltd. c. Ham (1984), 45 O.R. (2d) 563; Fletcher c. Storoschuk (1981), 35 O.R. (2d) 722; Giffen (Re), [1998] 1 R.C.S. 91; R. c. Holmes, [1988] 1 R.C.S. 914; R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Directrice de la protection de la jeunesse du CISSS A, 2024 CSC 43; Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724; British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2017 CSC 62, [2017] 2 R.C.S. 795; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; R. c. Wolfe, 2024 CSC 34; Canada c. Loblaw Financial Holdings Inc., 2021 CSC 51, [2021] 3 R.C.S. 687; Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721; Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467; Green c. Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, [2017] 1 R.C.S. 360; Gravel c. Cité de St-Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660; R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471; McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020; Procureur général de l’Ontario c. Walker, [1975] 1 R.C.S. 78; Attorney-General for New South Wales c. Love, [1898] A.C. 679; Household Realty Corp. Ltd. c. Hilltop Mobile Home Sales Ltd. (1982), 136 D.L.R. (3d) 481; Gooderham c. The City of Toronto (1895), 25 R.C.S. 246; Bailey c. City of Victoria (1919), 60 R.C.S. 38; Di Cenzo Construction Co. Ltd. c. Glassco (1978), 21 O.R. (2d) 186; Canada 3000 Inc. (Re), 2006 CSC 24, [2006] 1 R.C.S. 865; Durrani c. Augier (2000), 50 O.R. (3d) 353; Lawrence c. Maple Trust Co., 2007 ONCA 74, 84 O.R. (3d) 94; Frazer c. Walker, [1967] 1 A.C. 569; Barbour c. Bailey, 2016 ONCA 98, 66 R.P.R. (5th) 173; Sipsas c. 1299781 Ontario Inc., 2017 ONCA 265, 85 R.P.R. (5th) 24; Pepper c. Brooker, 2017 ONCA 532, 139 O.R. (3d) 67; Aragon (Wellesley) Development (Ontario) Corp. c. Piller Investments Ltd., 2018 ONSC 4607, 94 R.P.R. (5th) 236; R. c. Safarzadeh-Markhali, 2016 CSC 14, [2016] 1 R.C.S. 180; Cholmondeley c. Clinton (1820), 2 Jac. & W. 1, 37 E.R. 527; Harris c. Mudie (1882), 7 O.A.R. 414; M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6; Telus Communications Inc. c. Fédération canadienne des municipalités, 2025 CSC 15; Hamilton c. The King (1917), 54 R.C.S. 331; Armstrong c. Moore, 2020 ONCA 49, 15 R.P.R. (6th) 200; Wright c. Village of Long Branch, [1959] R.C.S. 418; Gibbs c. Grand Bend (Village) (1995), 26 O.R. (3d) 644; Waterstone Properties Corporation c. Caledon (Town), 2017 ONCA 623, 64 M.P.L.R. (5th) 179; Zeitel c. Ellscheid, [1994] 2 R.C.S. 142.

Citée par le juge Kasirer (dissident)

 R. c. Basque, 2023 CSC 18; R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402; 27473174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919; Zaidan Group Ltd. c. London (Ville), [1991] 3 R.C.S. 593; Urban Mechanical Contracting Ltd. c. Zurich Insurance Co., 2022 ONCA 589, 163 O.R. (3d) 652; R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654; Nelson (City) c. Mowatt, 2017 CSC 8, [2017] 1 R.C.S. 138; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Hackett c. Colchester South, [1928] R.C.S. 255 conf. [1927] 4 D.L.R. 317; Oro-Medonte (Township) c. Warkentin, 2013 ONSC 1416, 30 R.P.R. (5th) 44; Teis c. Ancaster (Town) (1997), 35 O.R. (3d) 216; Household Realty Corp. Ltd. c. Hilltop Mobile Home Sales Ltd. (1982), 136 D.L.R. (3d) 481; Prescott & Russell (United Counties) c. Waugh (2004), 15 M.P.L.R. (4th) 314; Woychyshyn c. Ottawa (City) (2009), 88 R.P.R. (4th) 155; Richard c. Niagara Falls, 2018 ONSC 7389, 4 R.P.R. (6th) 238, conf. par 2019 ONCA 531, 4 R.P.R. (6th) 248; R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609; Hughes c. Fredericton (City) (1999), 216 R.N.B. (2e) 387; Ostiguy c. Allie, 2017 CSC 22, [2017] 1 R.C.S. 402; Douglas Consultants inc. c. Unigertec inc., 2021 QCCA 384; Karkoukly c. Westmount (Ville de), 2014 QCCA 1816; Krause c. Happy, [1960] O.R. 385; Tichborne c. Weir (1892), 67 L.T. 735; Procureur général de l’Ontario c. Walker, [1975] 1 R.C.S. 78; Dawes c. Hawkins (1860), 8 C.B. (N.S.) 848, 141 E.R. 1399; Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 19, [2016] 1 R.C.S. 306; Lake of Bays (Township) c. 456758 Ontario Ltd., 2005 CanLII 23096.

Lois et règlements cités

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By-law to dedicate certain land extending south easterly from Lundy Avenue along the rear of premises 2 Lundy Avenue and 51 to 23 Warren Crescent for public lane purposes, Cité de Toronto, Règlement no 1021-2007, 27 septembre 2007.

Code civil du Québec, art. 916.

Désignation et classification des parcs provinciaux, Règl. de l’Ont. 316/07.

Limitations Act, R.S.O. 1914, c. 75, art. 17.

Limitations Act, R.S.O. 1960, c. 214.

Limitations Act, S.O. 1910, c. 34, art. 17.

Limitations Act, 1922, S.O. 1922, c. 47, art. 2.

Loi de 2006 sur la cité de Toronto, L.O. 2006, c. 11, ann. A.

Loi de 2002 sur la prescription des actions, L.O. 2002, c. 24, ann. B.

Loi de 2001 sur les municipalités, L.O. 2001, c. 25, art. 9.

Loi de 2006 sur les parcs provinciaux et les réserves de conservation, L.O. 2006, c. 12, art. 14.5, 31(1), 54(1).

Loi de 2021 visant à soutenir la population et les entreprises, L.O. 2021, c. 34.

Loi sur l’enregistrement des actes, L.R.O. 1990, c. R.20.

Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, L.R.O. 1990, c. L.5, art. 32(1), 44, 51.

Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1990, c. L.15.

Loi sur la prescription des actions relatives aux biens immeubles, L.R.O. 1990, c. L.15, art. 1 « bienfonds », 3, 4, 5, 15, 16.

Loi sur les terres publiques, L.R.O. 1990, c. P.43, art. 1, « terres publiques », 17.1.

Municipal Government Act, R.S.A. 2000, c. M26, art. 609.

Real Property Limitation Act, 1833 (R.U.), 3 & 4 Will. 4, c. 27.

Statute Law Revision Act, 1902, S.O. 1902, c. 1, art. 17, 19.

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 POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges MacPherson, Brown et Sossin), 2023 ONCA 450, 167 O.R. (3d) 401, 43 M.P.L.R. (6th) 1, 50 R.P.R. (6th) 173, 483 D.L.R. (4th) 583, [2023] O.J. No. 2835 (Lexis), 2023 CarswellOnt 9689 (WL), qui a confirmé une décision de la juge Donohue, 2022 ONSC 3473, 32 M.P.L.R. (6th) 306, 43 R.P.R. (6th) 118, [2022] O.J. No. 2708 (Lexis), 2022 CarswellOnt 8307 (WL). Pourvoi accueilli, les juges Karakatsanis, Martin, Kasirer et Jamal sont dissidents.

 Sarah J. Turney, Daniel T. Richer et Jasmeen Kabuli, pour les appelants.

 Michele Brady, Alison Mintoff et Amy Tieu, pour l’intimée.

 Michael J. Sims et Michael Saad, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

 Heather Cochran, Phong Phan et Tim Quirk, pour l’intervenant le procureur général de la ColombieBritannique.

 Allan Wu, Philip C. M. Huynh et Benjie Lee, pour l’intervenante City of Surrey.

 Gregory Ringkamp, Connor Bildfell et Adam Goldenberg, pour l’intervenant Advocates for the Rule of Law.

 Anne Tardif, pour l’intervenante la Ville d’Ottawa.

 Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Côté, Rowe, O’Bonsawin et Moreau rendu par

 La juge O’Bonsawin —

  1. Aperçu
  1.                               La question à trancher dans le présent pourvoi consiste à déterminer si les appelants, Pawel Kosicki et Megan Munro, peuvent avoir gain de cause dans leur revendication d’un titre possessoire sur le fondement de la Loi sur la prescription des actions relatives aux biens immeubles, L.R.O. 1990, c. L.15 (« LPABI »). Depuis 2017, les appelants possèdent conjointement une propriété résidentielle à Toronto. Plusieurs années après avoir acquis cette propriété, ils ont appris que l’intimée, la Cité de Toronto (« Ville »), est détentrice d’un titre de propriété sur une partie de leur cour arrière, qui est entourée d’une clôture à mailles losangées.
  2.                               La Ville reconnaît que les appelants ont satisfait au test relatif à la possession adversative. Il n’est pas contesté que la parcelle de terrain en cause est clôturée, de façon publique et continue, depuis au moins 1971. Cependant, la Ville soutient que la revendication ne peut être accueillie en common law parce que la parcelle de terrain en litige est désignée dans les plans municipaux comme parc affecté à un usage public. La juge saisie de la demande a conclu que la Ville n’avait pas établi que la parcelle de terrain, selon le « test du bénéfice public » formulé dans certaines autres décisions de tribunaux d’instances inférieures, échappait à la possession adversative. Toutefois, elle a jugé qu’il était néanmoins inapproprié que le titre de la Ville soit éteint pour [traduction] « des raisons d’intérêt public » (2022 ONSC 3473, 32 M.P.L.R. (6th) 306, par. 7678). La Cour d’appel a confirmé la décision, mais a reformulé le test du bénéfice public. Elle a statué que les revendications fondées sur la possession adversative seront rejetées lorsque la municipalité n’a pas renoncé à ses droits sur le bien-fonds, n’a pas reconnu son usage ou n’y a pas acquiescé.
  3.                               À mon avis, la LPABI, qui prévoit l’extinction du titre et du droit du détenteur du titre documentaire de reprendre possession d’un bienfonds 10 ans après la dépossession, régit le présent litige. Le législateur soustrait certaines terres publiques à l’application de la LPABI depuis plus d’un siècle. De nouvelles exceptions pour d’autres catégories de terres publiques ont été édictées dans des lois connexes depuis les dernières modifications apportées à la LPABI. Bien que ces nouvelles exceptions excluent explicitement les parcs provinciaux de l’application de la LPABI, elles ne font pas mention des parcs municipaux. En outre, bien qu’il ait aboli prospectivement la possibilité d’acquérir un titre possessoire sur un bienfonds enregistré en vertu de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, L.R.O. 1990, c. L.5 (« LEDI »), le législateur a maintenu les intérêts possessoires acquis par prescription. Le maintien des titres possessoires acquis concorde également avec l’objet de la LPABI en tant que loi destinée à assurer la tranquillité d’esprit (« statute of repose »). Dans ce contexte législatif, la reconnaissance d’une nouvelle exception de common law en plus des exceptions énoncées par le législateur à l’art. 16, qui aurait pour effet de priver rétroactivement du titre possessoire acquis la personne qui le revendique, irait à l’encontre de l’intention du législateur.
  4.                               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi. Selon les règles législatives applicables, le titre de la Ville sur la parcelle de terrain a été éteint il y a plus d’une quarantaine d’années. Retenir l’argument de la Ville porterait atteinte à l’intérêt possessoire des appelants acquis par prescription et ferait fi du régime législatif applicable.
  1. Contexte
  1.                               En 2017, les appelants ont fait l’acquisition d’une propriété résidentielle à Toronto. La propriété comporte une cour arrière et donne sur une ruelle appartenant à la Ville, laquelle longe le côté sud de plusieurs propriétés et sert d’accès aux garages situés à l’arrière des propriétés. La Ville est aussi la propriétaire enregistrée d’une parcelle de terrain, les parties 2 et 3 indiquées sur le Plan 66R23112 enregistré au bureau d’enregistrement immobilier de Toronto, de forme approximativement trapézoïde, qui fait partie de la cour arrière de la propriété (« bienfonds en litige »).
  2.                               La ruelle sépare la propriété et les propriétés voisines du grand parc municipal ÉtienneBrûlé, qui borde la rivière Humber. L’étendue de terrain qui se compose du bienfonds en litige, de la ruelle et du parc a été expropriée par l’Office de protection de la nature de Toronto et de la région en 1958 et cédée à la Ville en 1971. Le dossier n’indique pas la date à laquelle le parc a été créé. En 2003, le Service d’urbanisme de la Ville a conçu le plan officiel de la Ville, qui désignait le parc et le bienfonds en litige comme faisant partie de son « Réseau d’espaces verts », et plus particulièrement des « Parcs et espaces ouverts » destinés à la création de parcs publics et d’autres possibilités récréatives.
  3.                               En 1971, un plan d’arpentage a été préparé et déposé auprès du registrateur en vue de la cession à la Ville de l’étendue de terrain décrite plus tôt. Comme l’indique le plan, une clôture entoure la cour arrière de la propriété; celleci, érigée entre 1958 et 1971, empêche l’accès public au bienfonds en litige depuis au moins 54 ans. La Ville n’a produit aucun élément de preuve établissant que le bienfonds en litige avait été affecté à un usage public avant 1971. Une voisine des appelants, la personne à qui appartient la propriété résidentielle située directement à côté de la propriété en question, affirme que la clôture existe depuis qu’elle a fait l’acquisition de sa propriété en 1975.
  4.                               Après avoir fait l’acquisition de leur propriété, les appelants ont payé l’impôt foncier calculé en fonction d’une superficie du lot qui comprenait le bienfonds en litige jusqu’en 2020. Ils ont entretenu le bien-fonds comme s’il était le leur et l’ont utilisé comme aire de jeu pour leurs enfants. En 2021, après qu’ils eurent constaté que le bienfonds en litige était enregistré comme bienfonds municipal, les appelants se sont enquis auprès de la Ville de la possibilité d’en faire l’acquisition. La Ville a refusé sur la base d’une politique visant à décourager la vente de terrains faisant partie de son Réseau d’espaces verts. Elle a fait savoir que, si elle reprenait possession du bienfonds en litige, celuici pourrait servir à agrandir le point d’accès actuel au parc et installer des panneaux supplémentaires afin de faciliter l’orientation.
  1. Historique judiciaire
    1. Cour supérieure de justice de l’Ontario, 2022 ONSC 3473, 32 M.P.L.R. (6th) 306 (la juge Donohue)
  1.                               Devant la juge saisie de la demande, les appelants ont sollicité une ordonnance visant l’obtention d’un titre possessoire sur le bienfonds en litige. La juge a reconnu que l’application du test [traduction] « traditionnel » relatif à la possession adversative aurait permis aux appelants d’avoir gain de cause (au par. 68), mais a conclu que leur revendication ne pouvait toutefois pas être accueillie dans les circonstances.
  2.                           La juge saisie de la demande a d’abord examiné un certain nombre de décisions concernant des revendications d’intérêts possessoires à l’égard de biensfonds municipaux. Elle a fait remarquer que les conditions du test relatif à la possession adversative n’avaient pas été remplies dans la plupart des décisions mentionnées, de sorte que le titre possessoire n’avait pas été établi. Toutefois, elle a noté que les auteurs de ces décisions ont exprimé l’avis général que des exigences plus rigoureuses devraient s’appliquer pour qu’il y ait extinction du titre d’une municipalité sur un bienfonds utilisé pour le bénéfice du public.
  3.                           La juge saisie de la demande a déterminé qu’un « test du bénéfice public » avait été formulé dans la décision Oro-Medonte (Township) c. Warkentin, 2013 ONSC 1416, 30 R.P.R. (5th) 44, puis elle s’est demandé s’il était respecté en l’espèce, ce qui entraînerait le rejet de la revendication possessoire des appelants. Comme la Ville n’a pas établi que le bienfonds en litige avait été utilisé par le public avant la mise en place de la clôture, la juge a conclu qu’il n’avait pas été satisfait à ce test.
  4.                           Cependant, notant que la Ville n’avait que tout récemment découvert qu’elle n’avait pas accès à son bienfonds, la juge saisie de la demande a poursuivi son analyse et a jugé qu’il serait inéquitable d’exiger d’une entité publique qu’elle exerce [traduction] « la même vigilance qu’un propriétaire privé à l’égard des limites de son bienfonds » (par. 74). Concluant que l’acquisition du bienfonds en litige avait à l’origine un important objectif d’intérêt public, la juge a statué que, dans de telles circonstances, un [traduction] « propriétaire privé ne peut clôturer une terre publique et en exclure le public, puis avoir gain de cause dans sa revendication de possession adversative » (par. 77). Elle a ajouté que [traduction] « [p]our des raisons d’intérêt public, accueillir la revendication créerait un dangereux précédent » (par. 78).
    1. Cour d’appel de l’Ontario, 2023 ONCA 450, 167 O.R. (3d) 401

(1) Motifs des juges majoritaires (les juges MacPherson et Sossin)

  1.                           Comme la juge saisie de la demande, les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Ontario ont conclu que la revendication des appelants à l’égard du bienfonds en litige ne pouvait pas être accueillie. Après avoir examiné les raisons qui, selon les auteurs, appuient traditionnellement la doctrine de la possession adversative, les juges majoritaires ont déterminé qu’elles ne s’appliquaient pas aux parcs municipaux.
  2.                           Les juges majoritaires ont cru opportun de [traduction] « reformule[r] » le test relatif à la possession adversative d’un bienfonds public et ont posé comme règle générale que « les revendications de possession adversative qui seraient autrement établies à l’endroit d’un bienfonds municipal ne seront pas accueillies lorsque le bienfonds a été acheté par la municipalité ou attribué à celleci pour l’usage ou le bénéfice du public, et que la municipalité n’a pas renoncé à ses droits présumés sur le bienfonds, ou reconnu son usage par un ou plusieurs propriétaires privés ou acquiescé à un tel usage » (par. 47). Ce faisant, les juges majoritaires ont retiré du test du bénéfice public l’exigence relative à l’utilisation véritable du bienfonds, qui était énoncée dans la jurisprudence antérieure. Ils ont établi qu’un bienfonds acquis par une municipalité dans le but de créer un espace public doit être traité comme étant présumé avoir un usage pour le bénéfice public.
  3.                           Enfin, selon les juges majoritaires, la LPABI n’empêchait pas l’évolution continue des règles de common law applicables aux biensfonds qui ne sont pas explicitement visés par son art. 16, lequel met certains biensfonds à l’abri de la possession adversative. Ils ont conclu que les précisions apportées au test du bénéfice public ne contrevenaient pas à l’art. 16, car elles ne prévoyaient pas une immunité absolue contre les intérêts possessoires pour les parcs municipaux, mais créaient une présomption réfutable portant que de tels biensfonds ne se prêtent pas à la possession adversative.

(2) Motifs du juge dissident (le juge Brown)

  1.                           Le juge dissident aurait accueilli l’appel et confirmé le titre des appelants sur le bienfonds en litige. À son avis, le législateur a entrepris une codification et une réforme des règles régissant la possession adversative il y a presque 200 ans, qui ont abouti à la LPABI. Compte tenu de ce contexte législatif, le juge dissident a conclu que l’application d’un test du bénéfice public en common law constituerait une modification inappropriée des dispositions de la LPABI. Il n’était pas contesté que les appelants avaient satisfait aux exigences que prévoit la LPABI pour établir un titre possessoire sur le bienfonds en litige. Le juge dissident a également critiqué le fondement jurisprudentiel du test du bénéfice public, soulignant que ce test est issu d’une poignée de décisions de tribunaux d’instances inférieures rendues au cours des 25 dernières années. Après avoir examiné les décisions pertinentes, il a conclu qu’aucune ne fournissait de fondement suffisant pour la création d’une immunité générale contre la possession adversative en faveur des parcs municipaux.
  1. Question en litige
  1.                           La seule question en litige devant notre Cour est celle de savoir si la revendication d’un titre possessoire par les appelants, qui satisfait par ailleurs aux exigences de la LPABI, peut être rejetée au motif que le bienfonds en litige fait partie d’une plus grande étendue de terrain devenue par la suite un parc municipal. Les parties s’entendent sur l’effet juridique des art. 4, 5(1) et 15 de la LPABI. Personne ne conteste que, selon une application stricte de la loi, les appelants auraient droit au titre sur le bienfonds en litige. Cependant, les parties ne s’accordent pas sur la question de savoir si le bienfonds échappe néanmoins à l’application de la loi par l’effet de la common law. Pour trancher la question, il faut donc également se demander si, étant donné le régime législatif applicable en Ontario, il convient de reconnaître un nouveau fondement de common law excluant les revendications possessoires en plus de ceux déjà prévus dans la loi.
  1. Prétentions des parties
  1.                           Selon les appelants, la LPABI est un code complet qui régit la possession adversative dans la province et qui s’applique à tous les biensfonds, à l’exception de ceux qui sont expressément exclus. Ils font valoir que le législateur a expressément maintenu les intérêts possessoires acquis par prescription lorsqu’il a adopté la LEDI et qu’il a reconnu l’immunité de certaines terres publiques à l’égard des revendications possessoires dans la Loi sur les terres publiques, L.R.O. 1990, c. P.43 (« LTP »), et la Loi de 2006 sur les parcs provinciaux et les réserves de conservation, L.O. 2006, c. 12 (« LPPRC »). Les appelants insistent devant notre Cour sur le caractère inapproprié de la création d’une immunité de common law dans ce contexte législatif, et soutiennent que, quoi qu’il en soit, les décisions citées par les tribunaux d’instances inférieures à l’appui du test du bénéfice public n’étayent pas l’existence d’une immunité en faveur des parcs municipaux.
  2.                           La Ville répond que la LPABI, constituée d’un ensemble de règles archaïques, n’est pas un code complet et que l’application de ses dispositions exige le recours à la common law. Comme la LPABI a été [traduction] « importée » dans le droit de l’Ontario et qu’elle a depuis été modifiée petit à petit, la Ville fait valoir qu’il est impossible de conclure que le législateur avait l’intention d’édicter un code complet régissant la possession adversative. C’est pourquoi elle avance que la LPABI n’empêche pas l’évolution des règles qui régissent la possession adversative et que les précisions apportées par les juges majoritaires de la Cour d’appel au test du bénéfice public constituent une évolution acceptable et nécessaire de la common law. Pour la Ville, ce test introduit des changements graduels et prévisibles; elle soutient que les raisons d’être de la doctrine de la possession adversative ne justifient pas son application aux parcs municipaux compte tenu d’une [traduction] « conception moderne de l’équité et de la justice » (m.i., par. 131, citant Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. Saint John Shipbuilding Ltd., [1997] 3 R.C.S. 1210, par. 94).
  1. Analyse
  1.                           La question soulevée dans le présent pourvoi oblige notre Cour à interpréter le texte des dispositions pertinentes de la LPABI dans leur contexte global et en fonction de leur objet (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, et Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26, citant tous les deux E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87). À mon avis, s’il est vrai que la common law continue de jouer un rôle dans les règles qui régissent la possession adversative en Ontario, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont eu tort de soustraire la présente revendication possessoire à l’application des dispositions de la LPABI. Il ressort clairement d’une analyse contextuelle des dispositions que le législateur n’entendait pas soustraire les parcs municipaux à l’application de la LPABI et qu’il avait l’intention de maintenir les intérêts possessoires acquis par prescription.
  2.                           Ciaprès, j’examine d’abord l’interaction entre la common law et la LPABI, lesquelles régissent collectivement les revendications de possession adversative en Ontario. J’explique ensuite les raisons pour lesquelles, suivant une interprétation correcte de la LPABI, ses dispositions régissent la revendication possessoire des appelants.
    1. Les règles de possession adversative en Ontario
  3.                           En Ontario, la LPABI énonce les règles qui régissent les revendications de titres possessoires, communément appelées aussi droits de possession adversative ou droits des intrus, qui comprennent les droits du possesseur précédent du bienfonds — habituellement le détenteur du titre documentaire, qui est donc désigné comme étant le « véritable propriétaire » — de reprendre possession du bienfonds. Par application des art. 4, 5(1) et 15 de la LPABI, l’intérêt foncier du véritable propriétaire est éteint en faveur du titre possessoire acquis par un intrus lorsque ce dernier établit la « dépossession ». L’examen de la LPABI et de la jurisprudence révèle que les tribunaux doivent recourir à la common law pour appliquer les termes clairs, mais indéfinis, des dispositions pertinentes. Pour cette raison, je ne puis souscrire à l’observation du juge dissident de la Cour d’appel selon laquelle [traduction] « [a]ucune règle résiduelle de common law régissant la possession adversative ne subsiste à ce jour » (par. 197). Toutefois, les règles régissant la possession adversative sont également marquées par un long historique de textes législatifs, qui ont codifié des parties de la common law et en ont modifié d’autres, y compris au cours des dernières années. Pour statuer sur une revendication possessoire, les tribunaux doivent s’assurer du respect de l’intention du législateur et appliquer les principes de common law conformément au régime législatif (Nelson (City) c. Mowatt, 2017 CSC 8, [2017] 1 R.C.S. 138, par. 27).
  4.                           Notre Cour a observé que la doctrine de possession adversative est une « règle de common law bien établie », qui sert à déterminer à quel moment la dépossession est survenue (Mowatt, par. 17). Ce point de vue est aussi celui des auteurs, selon lesquels la doctrine [traduction] « existe depuis longtemps dans la common law » (E. Kaplinsky, M. Lavoie et J. Thomson, Ziff’s Principles of Property Law (8e éd. 2023), p. 164). La doctrine [traduction] « se porte bien » dans certaines parties du Canada, même après avoir fait l’objet d’une codification des règles anglaises, lesquelles ont été reproduites en grande partie dans les lois des provinces (ibid.; A. W. La Forest, Anger & Honsberger Law of Real Property (3e éd. (feuilles mobiles)), § 29:8; G. Mew, D. Rolph et D. Zacks, The Law of Limitations (4e éd. 2023), p. 504505; Mowatt, par. 17).
  5.                           Les règles anglaises susmentionnées ont été codifiées dans la loi impériale intitulée Real Property Limitation Act, 1833 (R.U.), 3 & 4 Will. 4, c. 27, dont les dispositions sont à la base de la loi de l’Ontario intitulée An Act to amend the Law respecting Real Property, and to render the proceedings for recovering possession thereof in certain cases, less difficult and expensive, S.U.C. 1834, 4 Will. 4, c. 1. Plus particulièrement, les lois en matière de prescription ont aboli certains recours en reprise de possession de bienfonds et certaines actions techniques prévues par la common law (La Forest, § 29:929:10). Par exemple, suivant la common law, le véritable propriétaire pouvait encore recouvrer le bienfonds qui faisait l’objet d’une possession adversative à condition qu’il le fasse de manière paisible, même s’il avait perdu le droit d’intenter une poursuite (Kaplinsky, Lavoie et Thomson, p. 165). Les lois en matière de prescription ont empêché ce type de reprise de possession (ibid.). Les articles 4, 5(1) et 15 de la LPABI reprennent fidèlement les dispositions de la loi impériale, qui prévoient que le droit d’un propriétaire de recouvrer un bienfonds est prescrit à l’expiration du délai prévu par la loi, laquelle emporte l’extinction du titre qu’il détenait sur ce bienfonds. Bien que la durée du délai de prescription ait varié depuis l’adoption de ces dispositions, le libellé pertinent est demeuré le même (Bank of Montreal c. Iskenderov, 2023 ONCA 528, 168 O.R. (3d) 1, par. 17).
  6.                           La loi ontarienne a été modifiée au début du 20e siècle de manière à ce que des exceptions précises soustraient à l’application des dispositions susmentionnées les biensfonds en friche ou nus de la Couronne, les emplacements affectés à une route et les voies publiques. Toutefois, les modifications ont maintenu expressément les droits, titres et intérêts qui étaient acquis en juin 1922 à l’égard des emplacements affectés à une route et des voies publiques. Ensemble, ces modifications forment l’art. 16 de la LPABI.
  7.                           Un travail substantiel a été consacré à la modification des règles de prescription en Ontario à compter de 1969, aboutissant à l’adoption de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, L.O. 2002, c. 24, ann. B (voir, p. ex., Commission de réforme du droit de l’Ontario, Report on Limitation of Actions (1969)). Toutefois, cette loi n’a pas modifié les règles de prescription s’appliquant aux biens immeubles et les tentatives de modification ont été abandonnées (Mew, Rolph et Zacks, p. 10). Comme je l’explique plus loin, des textes législatifs adoptés ultérieurement en matière de droits de propriété, dont la LEDI, la LTP et la LPPRC, ont néanmoins eu une incidence importante sur l’effet de la possession adversative, car ils ont éliminé la possibilité d’acquérir un titre possessoire sur le fondement de la LPABI, mais maintenu les intérêts possessoires acquis par prescription.
  8.                           Lorsqu’il y a ouverture à revendication de possession adversative, les tribunaux appliquent les dispositions législatives pertinentes afin de déterminer si celleci est bien fondée. La LPABI prévoit que le délai de prescription commence à courir à la date de la « dépossession » (par. 5(1)), dont les éléments ont été établis dans la jurisprudence. Pour avoir gain de cause dans sa revendication, l’intrus doit établir : (1) la possession réelle du bienfonds par l’intrus pendant la période prescrite par la loi; (2) l’intention d’exclure le véritable propriétaire de son bien-fonds; et (3) l’exclusion effective du véritable propriétaire de son bienfonds (Pflug c. Collins, [1952] O.R. 519 (H.C.J.); Keefer c. Arillotta (1976), 13 O.R. (2d) 680 (C.A.); Teis c. Ancaster (Town) (1997), 35 O.R. (3d) 216 (C.A.)). La possession réelle est établie lorsque la possession est publique et notoire, adversative, exclusive, paisible, réelle et continue, ces qualités devant toutes être réunies pour que la revendication soit accueillie (Mowatt, par. 18; Masidon Investments Ltd. c. Ham (1984), 45 O.R. (2d) 563 (C.A.), citant Fletcher c. Storoschuk (1981), 35 O.R. (2d) 722 (C.A.)).
  9.                           Comme l’a reconnu notre Cour lorsqu’elle a examiné la loi équivalente de la ColombieBritannique, bien que « [l]es tribunaux [aient] un rôle à jouer lorsqu’il s’agit de définir ce que constitue une dépossession sous le régime de la législation de la ColombieBritannique sur la prescription[,] [l]’intention du législateur doit néanmoins être respectée » (Mowatt, par. 27). Bien que le législateur puisse redéfinir un terme de common law (Giffen (Re), [1998] 1 R.C.S. 91, par. 26), il doit signaler son intention de le faire; autrement, le mot sera considéré comme conservant le sens qu’il a en common law (R. c. Holmes, [1988] 1 R.C.S. 914, p. 929930; R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402, par. 20; R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd. 2022), § 17.01.Pt2[1]).
  10.                           Bien que la loi ait maintenu les règles de common law servant à établir la dépossession, il ressort néanmoins clairement de l’historique des modifications législatives dans ce domaine que les tribunaux doivent faire preuve de prudence pour respecter l’intention du législateur (voir R. c. Basque, 2023 CSC 18, par. 40 et 45). À cet égard, je note que le test du bénéfice public examiné par les tribunaux d’instances inférieures est relativement récent. Contrairement à l’arrêt Basque, où la Cour a examiné l’incidence d’une disposition législative sur une règle de common law existante, nous devons en l’espèce examiner l’incidence de décisions rendues après l’adoption des dispositions pertinentes de la LPABI. Dans un tel cas, le point de départ approprié est le régime législatif. Il est nécessaire que les tribunaux examinent attentivement la loi pour décider si le recours à une nouvelle règle de common law serait contraire à l’intention du législateur (voir Sullivan, § 17.02[1]).
    1. Aucune immunité de common law en faveur des parcs municipaux ne fait obstacle aux revendications de titres possessoires acquis par prescription
  11.                           La Ville concède que les parcs municipaux ne sont pas visés par les exceptions législatives expresses à l’application des art. 4, 5(1) et 15 de la LPABI, énoncées à l’art. 16, mais soutient que les tribunaux d’instances inférieures pouvaient établir et appliquer un test du bénéfice public pour rejeter la revendication d’intérêts possessoires acquis par prescription des appelants (m.i., par. 48 et 72). À mon avis, une interprétation des dispositions pertinentes dans le contexte du régime législatif général régissant la possession adversative en Ontario révèle que le législateur n’avait pas l’intention de soustraire les parcs municipaux des effets de la LPABI. Le législateur, bien qu’il ait écarté la possession adversative, a codifié certaines immunités de common law contre la possession adversative, tout en protégeant les titres découlant de revendications d’intérêts possessoires acquis par prescription. En tentant de créer une exception de common law en faveur des parcs municipaux, la Cour d’appel, dans sa décision, compromet le choix de politique d’intérêt général clair du législateur consistant à conférer une immunité uniquement à certaines catégories de terres publiques et à maintenir les titres possessoires acquis par prescription.

(1) La LPABI ne crée que des exceptions limitées, qui ne comprennent pas les parcs municipaux

  1.                           Tout d’abord, je vais examiner le sens ordinaire et grammatical des dispositions pertinentes de la LPABI, c’estàdire « “le sens naturel” qui se dégage à la simple lecture de la disposition dans son ensemble » (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Directrice de la protection de la jeunesse du CISSS A, 2024 CSC 43 CISSS A »), par. 28, citant Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724, p. 735). En l’espèce, le texte des dispositions indique que les art. 4 et 15 ont une large portée. De plus, le terme non défini « dépossession » employé au par. 5(1) peut être mis en opposition avec les termes précis utilisés à l’art. 16, qui confère un statut spécial à des catégories restreintes de terres publiques.
  2.                           L’article 4 de la LPABI prévoit un délai de prescription de 10 ans à l’intérieur duquel un détenteur de titre doit intenter une action en reprise de possession d’un bienfonds, et assujettit en termes généraux toute personne et tout bienfonds à l’effet de la LPABI :

4 Le droit d’une personne d’entrer [. . .] ou d’intenter une action en revendication d’un bienfonds [. . .] se prescrit par dix ans à compter de la naissance du droit en faveur de la personne qui exerce le droit ou en faveur de son auteur . . .

  1.                           Par l’emploi de l’article indéfini « un », la LPABI ne fait pas de distinction entre les catégories de biensfonds, et surtout elle ne fait pas de distinction entre les entités publiques ou privées : dans cette disposition générale, le délai de prescription s’applique à tous les biensfonds et à toutes les personnes de la même façon. Le terme « bienfonds » est défini à l’art. 1 de la LPABI; cette définition est large et très générale. Si le législateur avait voulu exclure les terres publiques de l’application de l’art. 4, il aurait pu le faire en employant un terme plus précis. Qui plus est, l’emploi du mot « personne », un terme forcément large, englobe les municipalités (Loi de 2001 sur les municipalités, L.O. 2001, c. 25, art. 9). Encore une fois, si le législateur n’avait pas voulu donner à la LPABI une application aussi vaste, il aurait pu employer le mot « individu » au lieu du mot « personne » (British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2017 CSC 62, [2017] 2 R.C.S. 795, par. 34).
  2.                           Le paragraphe 5(1) de la LPABI précise en outre que le délai de prescription de 10 ans qui s’applique au droit de revendication commence à courir « à la date de la dépossession » :

5 (1) Si la personne revendiquant ce bienfonds [. . .] a, relativement au domaine ou à l’intérêt revendiqué, été en possession de ce bienfonds [. . .] et a, alors qu’elle y avait droit, été dépossédée, ou qu’elle a discontinué cette possession [. . .], le droit d’entrer [. . .] ou d’intenter une action en revendication du bienfonds [. . .], est réputé avoir pris naissance à la date de la dépossession ou de la discontinuation de possession . . .

Comme nous l’avons vu plus tôt, la LPABI ne définit pas le terme « dépossession », qui conserve le sens de common law que lui ont donné les tribunaux (Mowatt, par. 27). J’y reviens plus loin, dans mon examen de la liste exhaustive figurant à l’art. 16.

  1.                           Comme l’art. 4, l’art. 15 de la LPABI emploie l’article indéfini « une », ce qui témoigne de l’étendue de l’application de cette règle, qui éteint le titre d’« une personne » qui n’a pas intenté une action en revendication du bienfonds avant l’expiration du délai de prescription de 10 ans :

15 À l’expiration du délai que la présente loi accorde à une personne pour exercer un droit d’entrée [. . .] ou intenter une action, le droit et le titre de cette personne sur le bienfonds [. . .], pour la revendication duquel cette entrée [. . .] aurait pu être effectuée ou cette action intentée, sont éteints.

Il importe de souligner que, au lieu de conférer un titre au possesseur adversatif, l’art. 15 éteint les droits du détenteur du titre documentaire. Cela confère au possesseur adversatif la revendication la plus solide à l’égard du bienfonds en raison de sa possession (La Forest, § 29:14). Le législateur a codifié dans la loi la « règle [de common law] qui permet à [un] occupant subséquent d’obtenir la propriété d’un bienfonds après l’expiration d’un certain délai » (Mowatt, par. 17).

  1.                           Toutefois, la règle n’est pas absolue; des exceptions à son application se trouvent dans la LPABI et dans d’autres lois. Pour les besoins du présent pourvoi, il est important de retenir que la LPABI énonce à l’art. 16 plusieurs exceptions qui visent des biensfonds de nature publique, que les parties et les tribunaux d’instances inférieures considèrent comme des immunités :

16 Les articles 1 à 15 ne s’appliquent ni aux biensfonds nus ou en friche de la Couronne, qu’ils soient ou non arpentés, ni aux biensfonds compris dans un emplacement affecté à une route dont on a fait le levé et le tracé avant ou après l’entrée en vigueur de la présente loi, ni aux biensfonds réservés ou tracés comme voies publiques lorsque la propriété franche de cet emplacement affecté à une route ou de cette voie est dévolue à la Couronne, à une municipalité, à une commission ou à un autre organisme public. Toutefois le présent article n’est pas réputé porter atteinte à un droit, à un titre ou à un intérêt acquis par une personne avant le 13 juin 1922.

  1.                           Selon le sens grammatical et ordinaire du texte de l’art. 16, considéré globalement, les art. 4, 5(1) et 15 de la LPABI ne peuvent avoir pour effet d’éteindre le titre sur des types précis de biensfonds, qui sont expressément énoncés. Il ressort du texte même de l’art. 16 que celui-ci comporte une liste exhaustive. La disposition emploie des termes clairs et précis pour énumérer et décrire les exceptions. Comme l’a récemment souligné notre Cour, le texte est le point d’ancrage de l’interprétation, et cela est d’autant plus vrai lorsque le libellé de la loi est « précis et non équivoque » (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, par. 10; CISSS A, par. 24).
  2.                           La liste d’exceptions formulées avec des termes précis à l’art. 16 de la LPABI doit être mise en contexte avec l’application générale prévue aux art. 4 et 15. Bien que nul ne conteste que les tribunaux jouent un rôle dans la détermination de ce qui constitue la « dépossession » dont il est question au par. 5(1), terme que n’a pas défini le législateur, rien dans le libellé de l’art. 16 n’indique que le législateur entendait laisser aux tribunaux le soin d’ajouter des exceptions de nature législative.
  3.                           La maxime d’interprétation expressio unius est exclusio alterius  la mention de l’un implique l’exclusion de l’autre ») est aussi particulièrement utile en l’espèce. Il est possible d’inférer qu’il y a exclusion implicite lorsque l’on peut s’attendre à ce que [traduction] « le législateur, s’il avait voulu inclure une chose en particulier dans sa loi, l’aurait mentionnée expressément » (Sullivan, § 8.09[1]; voir R. c. Wolfe, 2024 CSC 34, par. 25; Canada c. Loblaw Financial Holdings Inc., 2021 CSC 51, [2021] 3 R.C.S. 687, par. 59; Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721, par. 108).
  4.                           À mon avis, compte tenu du sens ordinaire des termes de la disposition, laquelle établit une liste exhaustive des exceptions, on peut fortement s’attendre à ce que le législateur aurait expressément énoncé les parcs municipaux à l’art. 16 de la LPABI s’il avait voulu que ceuxci fassent l’objet d’une exception. Je suis d’accord avec le juge dissident de la Cour d’appel pour dire qu’il est révélateur que la disposition comprenne expressément certains biens municipaux, soit les emplacements affectés à des routes ou des voies publiques qui ont été dévolus à une municipalité, mais aucun autre (voir le par. 101). Je note également que l’art. 16 énonce des exceptions précises et explicites à l’application de règles rédigées en termes généraux qui empêchent la revendication d’« un bienfonds » par « une personne » après l’expiration du délai de prescription (LPABI, art. 4 et 15) (voir Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467, p. 480481).
  5.                           Je reconnais que le raisonnement relatif à l’exclusion implicite ne doit pas être considéré comme étant déterminant, comme le soutient la Ville (m.i., par. 68). Toutefois, il demeure un outil d’interprétation utile et, le cas échéant, son poids variera en fonction des facteurs contextuels et de l’objet du régime (voir Sullivan, § 8.09[5]; Green c. Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, [2017] 1 R.C.S. 360, par. 37). J’estime que son poids est significatif en l’espèce, d’autant plus que, comme je l’explique plus loin, l’inférence est renforcée par d’autres lois qui soustraient certaines catégories de biensfonds à l’application de la LPABI.

(2) L’évolution législative de l’art. 16 de la LPABI indique une constante de codification des immunités

  1.                           Avant de passer au contexte législatif général et à l’objet de la loi, je vais examiner l’argument de la Ville portant qu’une inférence d’exclusion implicite n’est pas possible en l’espèce parce que le législateur ne faisait que rendre compte du traitement que réserve la common law à des catégories précises, et rien ne permet de croire que tous les biensfonds exclus seraient énumérés (m.i., par. 69). Malgré ce qu’avance la Ville, un survol historique de l’évolution législative de l’art. 16 de la LPABI étaye amplement la conclusion selon laquelle le législateur, après un examen de la common law, a choisi d’intégrer à son régime les aspects qu’il jugeait souhaitables. Vu cette constante, je suis d’accord avec les appelants pour dire qu’il est révélateur que le législateur n’ait pas cherché à codifier une exception à l’application de la LPABI pour les parcs municipaux.
  2.                           Il est établi que le recours à l’évolution législative d’une disposition est un important outil d’interprétation des lois (Sullivan, § 23.02[2]), car les textes de loi antérieurs — y compris leurs origines en common law — peuvent aider à faire la lumière sur l’intention qu’avait le législateur en les abrogeant, les modifiant, les remplaçant ou y ajoutant (Gravel c. Cité de St-Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660, p. 667; R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867, par. 33; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, par. 43). Il est également bien établi que le principe de l’exclusion implicite est d’autant plus pertinent lorsqu’il est question de la codification de la common law : [traduction] « . . . un tribunal peut se fonder sur le raisonnement relatif à l’exclusion implicite pour conclure que le législateur avait l’intention d’exclure la partie du droit qui n’est pas mentionnée en termes exprès » (Sullivan, § 17.02[5]; voir McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020). Cela est compatible avec la présomption selon laquelle le législateur est censé connaître le droit existant, qui comprend la common law (Sullivan, § 8.02[1]).
  3.                           S’agissant de l’art. 16, comme le souligne la Ville, le législateur a édicté les exceptions peu à peu sur une période de 20 ans. En 1902, l’Ontario a adopté la loi intitulée The Statute Law Revision Act, 1902, S.O. 1902, c. 1, art. 19, qui introduisait la première exception législative à l’application de la LPABI, afin de protéger les [traduction] « biensfonds en friche de la Couronne ». La disposition a été modifiée en 1910 afin d’étendre la protection contre les intérêts possessoires aux biens-fonds nus de la Couronne (The Limitations Act, S.O. 1910, c. 34, art. 17). La disposition a été modifiée une troisième et dernière fois en 1922 en vue d’étendre la protection de la loi contre la possession adversative aux emplacements affectés à une route et aux voies publiques (The Limitations Act, 1922, S.O. 1922, c. 47, art. 2).
  4.                           Je suis d’accord pour dire que ces dispositions reflètent en grande partie la jurisprudence et les règles de common law de l’époque; mais en incorporant dans une loi les exceptions à l’acquisition d’un titre possessoire, le législateur a également choisi de modifier, ou dans certains cas de rejeter, la common law.
  5.                           Par exemple, la première exception ajoutée à la LPABI, qui exclut de son application les biensfonds en friche de la Couronne, a été introduite afin de combler le fossé incommensurable entre la décision d’un tribunal d’instance inférieure et celle du Comité judiciaire du Conseil privé (« CJCP ») (voir, de façon générale, Procureur général de l’Ontario c. Walker, [1975] 1 R.C.S. 78, p. 8284). Dans la décision R. c. McCormick (1859), 18 U.C.Q.B. 131, la Cour du Banc de la Reine du HautCanada a examiné l’application de la Crown Suits Act, 1769 (R.U.), 9 Geo. 3, c. 16, communément appelée la Nullum Tempus Act, à une revendication de possession adversative. Cette loi créait un délai de prescription de 60 ans pour les actions intentées par la Couronne, mais prévoyait quelques exceptions (Walker, p. 82). Dans la décision McCormick, la cour a conclu que la loi en question n’écartait pas le droit de la Couronne de recouvrer des biensfonds en friche, décrits comme des terres ni arpentées ni délimitées en prévision de l’occupation. Or, dans la décision Attorney-General for New South Wales c. Love, [1898] A.C. 679 (C.P.), le CJCP est arrivé à la conclusion contraire et a fait droit à la revendication de possession adversative contre la Couronne. Le législateur a ensuite choisi, dans la loi de 1902, de codifier la règle établie dans la décision McCormick, qui était contraire à la conclusion du CJCP.
  6.                           La protection législative contre les revendications possessoires a ensuite été étendue aux biensfonds « nus » de la Couronne, et ne semble pas avoir un fondement clair en common law, contrairement aux autres exceptions prévues à l’art. 16 de la LPABI. Bien que la jurisprudence se soit peu penchée sur ce type de bienfonds, notre Cour a observé dans l’arrêt Walker que cette protection pourrait s’appliquer à des biens qui ne sont pas des biensfonds en friche (p. 8485).
  7.                           D’autres modifications ont ensuite été apportées à la LPABI en 1922 afin d’introduire des protections de nature législative contre les revendications possessoires pour les emplacements affectés à une route et les voies publiques. Conformément à la doctrine de l’affectation en common law, qu’illustre la maxime [traduction] « route un jour route toujours », les voies publiques sont protégées contre la possession adversative (Household Realty Corp. Ltd. c. Hilltop Mobile Home Sales Ltd. (1982), 136 D.L.R. (3d) 481 (C.A. Ont.), p. 489, citant I. M. Rogers, The Law of Canadian Municipal Corporations (2e éd. (feuilles mobiles)), p. 1096; voir, de façon générale, D. J. Manderscheid, « Dedication of Public Highways at Common Law » (1997), 37 M.P.L.R. (2d) 215). Les modifications législatives de 1922 ont élargi les catégories de biensfonds profitant de cette protection, ce qui n’était pas possible en common law, tout en maintenant les titres possessoires validement acquis avant 1922. Même si seules les voies publiques étaient protégées par la common law, la modification étendait la protection aux emplacements affectés à une route. Auparavant, un tel emplacement qui n’avait été ni ouvert au public ni utilisé par celuici à cette fin ne constituait pas une voie publique (Gooderham c. The City of Toronto (1895), 25 R.C.S. 246, p. 260). La doctrine de l’affectation exige que le public accepte réellement l’affectation ou que l’affectation soit acceptée par un organisme public exerçant au nom du public les pouvoirs que lui confère la loi (voir Bailey c. City of Victoria (1919), 60 R.C.S. 38, p. 53). Par conséquent, un emplacement affecté à une route qui n’est pas ouvert, lequel n’aurait donc jamais été utilisé par le public, n’aurait pas pu bénéficier de la protection contre la possession adversative en common law. En outre, comme l’a reconnu la Cour d’appel de l’Ontario, la modification autorisait l’acquisition de titres possessoires avant son entrée en vigueur (Di Cenzo Construction Co. Ltd. c. Glassco (1978), 21 O.R. (2d) 186 (C.A.); Household Realty, p. 489490).
  8.                           Comme l’a reconnu le juge Thorson de la Cour d’appel dans l’arrêt Household Realty, [traduction] « si le législateur avait seulement voulu codifier la common law, la modification aurait simplement indiqué que les art. 1 à 15 ne s’appliquent pas aux voies publiques et sont réputés ne s’y être jamais appliqués » (p. 490). Or, l’art. 16 de la LPABI prévoit que « le présent article n’est pas réputé porter atteinte à un droit, à un titre ou à un intérêt acquis par une personne avant le 13 juin 1922 ».
  9.                           Compte tenu de cette tendance du législateur à codifier des règles de common law en y apportant toutefois des modifications, il est révélateur que celuici n’ait pas expressément créé par voie législative une immunité contre la possession adversative en faveur des parcs municipaux. En outre, je ne souscris pas à l’argument de la Ville portant que le silence du législateur a peu d’importance vu qu’aucune modification n’a été apportée à l’art. 16 de la LPABI depuis 1922, ou encore vu le texte complexe de la loi, qui est à l’image de ses origines historiques (voir le m.i., par. 43). Bien que l’art. 16 en tant que tel n’ait pas été modifié, des dispositions législatives ont eu une incidence sur l’effet et l’application de la LPABI; je les examine plus loin. Dans un tel contexte législatif, je ne saurais écarter sommairement l’absence d’une exception expresse en faveur des parcs municipaux.

(3) Le contexte législatif général confirme la constante de codification et étaye le maintien des titres possessoires acquis

  1.                           J’examine à présent le traitement législatif plus large de la possession adversative, lequel a eu une incidence importante sur l’application de la doctrine en Ontario. Le législateur s’est maintes fois penché sur les revendications de titres possessoires, notamment en ce qui concerne les terres publiques, et il a précisé les cas où l’acquisition de tels titres n’est plus possible. Dans ce contexte, il existe de bonnes raisons de croire que le législateur aurait expressément soustrait les parcs municipaux à l’application de la LPABI s’il l’avait voulu. Comme l’écrit la professeure Sullivan, l’attente qu’une mention expresse emporte une exclusion implicite ne découle pas nécessairement d’une loi donnée; elle peut découler de l’examen de [traduction] « lois connexes qui font partie du corpus législatif du ressort ayant légiféré ou encore d’autres ressorts » (§ 8.09[3]). Notre Cour a également reconnu le « principe d’interprétation qui présume l’harmonie, la cohérence et l’uniformité entre les lois traitant du même sujet » (Ulybel, par. 52; Bell ExpressVu, par. 27; Canada 3000 Inc. (Re), 2006 CSC 24, [2006] 1 R.C.S. 865, par. 54).
  2.                           Un examen des régimes législatifs connexes révèle que le législateur s’est penché sur l’application continue de la LPABI et a maintenu les titres possessoires acquis par prescription suivant cette loi, même s’il a choisi d’abolir prospectivement la doctrine de la possession adversative en Ontario au moyen de l’adoption de la LEDI.
  3.                           L’adoption d’un régime d’enregistrement des droits immobiliers de type Torrens en application de la LEDI, qui a succédé au système d’enregistrement foncier prévu dans la Loi sur l’enregistrement des actes, L.R.O. 1990, c. R.20, offre une façon simplifiée de certifier des titres qui [traduction] « permet au public de bénéficier d’un titre sûr et de faciliter les transferts » (Durrani c. Augier (2000), 50 O.R. (3d) 353 (C.S.J.), par. 41; Lawrence c. Maple Trust Co., 2007 ONCA 74, 84 O.R. (3d) 94, par. 30). Le régime d’enregistrement des droits immobiliers de type Torrens garantit que la personne dont le nom est inscrit au registre détient un titre indéfectible : le registre des parcelles devrait correspondre exactement à l’état du titre; aucune vérification de titre ne devrait être nécessaire; et l’exactitude du registre est garantie par l’État (M. Neave, « Indefeasibility of title in the Canadian context » (1976), 26 U.T.L.J. 173, p. 174; Kaplinsky, Lavoie et Thomson, p. 546547). L’indéfectibilité a été décrite comme étant une [traduction] « immunité dont jouit le propriétaire enregistré contre les revendications ou les intérêts de nature adversative à l’égard du bienfonds sur lequel il détient un titre » (Frazer c. Walker, [1967] 1 A.C. 569 (C.P.), p. 580).
  4.                           L’acquisition par un intrus d’un titre possessoire porte atteinte à l’indéfectibilité du titre et, en conséquence, le par. 51(1) de la LEDI élimine cette possibilité lorsque le bienfonds est enregistré sous le régime d’enregistrement des droits immobiliers, malgré la LPABI. Sous la rubrique intitulée « Pas de prescription acquisitive, etc. », le par. 51(1) prévoit ce qui suit :

Malgré les dispositions de la présente loi, de la Loi sur la prescription des actions relatives aux biens immeubles ou d’une autre loi, un titre ou un droit, contraire ou dérogatoire au titre du propriétaire enregistré d’un bienfonds enregistré sous le régime de la présente loi, ne peut être acquis, ni être réputé avoir été acquis par possession d’une durée quelconque ou par prescription.

  1.                           Par application de cette disposition, tous les biensfonds enregistrés sous le régime d’enregistrement des droits immobiliers, y compris les parcs municipaux, bénéficient d’une protection contre les revendications possessoires. Par l’entremise du par. 32(1) de la LEDI, qui permet au registrateur d’enregistrer tout bienfonds assujetti à la Loi sur l’enregistrement des actes sous le régime d’enregistrement des droits immobiliers, l’Ontario a converti pratiquement tous les titres se rattachant aux biensfonds sur son territoire en titres fonciers électroniques (J. R. Wood, « Understanding Electronic Registration : Rights of Way and Property Rights Generally » (2014), 38 R.P.R. (5th) 4, p. 72). En 2013, moins de 0,1 pour cent des titres en Ontario étaient toujours régis par la Loi sur l’enregistrement des actes (p. 4, note 1).
  2.                           Je note que le bienfonds municipal en l’espèce a été converti au régime d’enregistrement des droits immobiliers le 22 octobre 2001 (d.a., vol. I, p. 155), après quoi le parc ÉtienneBrûlé était désormais protégé contre toute future revendication de possession adversative en vertu du par. 51(1) de la LEDI. Compte tenu de la protection contre la possession adversative que confère le par. 51(1) de la LEDI, rien dans la preuve n’appuie la prétention de la Ville selon laquelle elle aurait à mobiliser des ressources et des efforts considérables pour protéger les parcs contre les revendications possessoires (m.i., par. 10 et 95).
  3.                           Sous le régime de la LEDI, cependant, le législateur a assujetti l’exactitude du régime d’enregistrement des droits immobiliers à des priorités concurrentes, notamment le maintien des titres possessoires acquis. Le paragraphe 51(2) de la LEDI prévoit que les intérêts possessoires acquis par prescription avant l’enregistrement du bienfonds sont maintenus et qu’un titre possessoire peut être obtenu (Barbour c. Bailey, 2016 ONCA 98, 66 R.P.R. (5th) 173, par. 31; Sipsas c. 1299781 Ontario Inc., 2017 ONCA 265, 85 R.P.R. (5th) 24, par. 18; Pepper c. Brooker, 2017 ONCA 532, 139 O.R. (3d) 67, par. 42). Un titre possessoire acquis par prescription sur un bienfonds pourrait être perdu si le possesseur adversatif ne conteste pas l’enregistrement du bienfonds sous le régime d’enregistrement des droits immobiliers au nom du détenteur du titre documentaire, après avoir été avisé de l’enregistrement (Aragon (Wellesley) Development (Ontario) Corp. c. Piller Investments Ltd., 2018 ONSC 4607, 94 R.P.R. (5th) 236, par. 125).
  4.                           Le choix de politique législative de maintenir les intérêts possessoires acquis par prescription est confirmé par le par. 44(1) de la LEDI, qui prévoit que dès le premier enregistrement, le bienfonds enregistré demeure grevé de certains droits, intérêts et responsabilités, peu importe s’ils sont enregistrés sur le titre. Ceuxci comprennent le titre que le propriétaire d’un bienfonds contigu a acquis par possession (disp. 44(1) 3). En l’espèce, le registre des parcelles du bienfonds en litige indique explicitement que l’enregistrement est assujetti aux droits sur le bienfonds qui sont acquis par [traduction] « possession adversative » (d.a., vol. II, p. 78).
  5.                           Plus récemment, le législateur s’est encore une fois penché sur la LPABI, notamment lorsqu’il a modifié des lois visant des terres publiques en Ontario, soit des parcs provinciaux, des réserves de conservation et d’autres terres publiques. En 2021, le législateur a modifié la LTP (art. 17.1) et la LPPRC (art. 14.5) afin de soustraire certaines catégories de terres publiques à l’application de la LPABI, mais il a maintenu les intérêts possessoires acquis par prescription (Loi de 2021 visant à soutenir la population et les entreprises, L.O. 2021, c. 34).
  6.                           La LTP protège les « terres publiques » contre l’acquisition de titres possessoires sur le fondement de la LPABI (LTP, art. 17.1). Les terres publiques s’entendent « des terres désignées avant l’entrée en vigueur de la présente loi comme terres de la Couronne, terres scolaires et terres du clergé » (LTP, art. 1). Le paragraphe 17.1(2) de la LTP précise en outre que pour l’application de l’exception relative aux revendications possessoires, les terres publiques s’entendent notamment « des terres acquises à tout moment par la Couronne du chef de l’Ontario aux fins d’un programme actuel ou antérieur du ministère ». Pour sa part, la LPPRC soustrait à l’application de la LPABI : (1) les terres publiques qui sont situées dans un parc provincial ou une réserve de conservation; et (2) les terres publiques acquises pour l’application de la LPPRC qui ne sont pas situées dans un parc provincial ou une réserve de conservation (LPPRC, par. 14.5(1)). Les parcs provinciaux et les réserves de conservation sont désignés par règlement (LPPRC, par. 54(1)). Selon la LPPRC, tout bienfonds qui fait partie d’une municipalité, mais qui a été désigné comme parc provincial ou réserve de conservation, est expressément réputé distinct de cette municipalité, tant que la désignation est en vigueur (par. 31(1)).
  7.                           Ces modifications récentes fragilisent la prétention de la Ville selon laquelle le législateur ne s’est pas intéressé à l’art. 16 de la LPABI depuis plus d’un siècle (m.i., par. 69). Bien que ces nouvelles « immunités » ne figurent pas dans le texte de l’art. 16, en pratique, elles élargissent les catégories de biensfonds qui sont soustraites à l’application de la LPABI. Les biensfonds municipaux n’en font pas partie, à moins qu’ils soient désignés sous le régime de la LPPRC (voir Désignation et classification des parcs provinciaux, Règl. de l’Ont. 316/07).
  8.                           En phase avec la LEDI, le législateur a également maintenu les intérêts possessoires qui étaient acquis par prescription avant l’entrée en vigueur de la Loi de 2021 visant à soutenir la population et les entreprises. Le paragraphe 17.1(1) de la LTP et le par. 14.5(1) de la LPPRC expriment tous deux dans des termes essentiellement identiques que « nul ne peut acquérir un droit, titre ou intérêt [. . .] par l’usage, la possession ou l’occupation de [terres publiques] ou encore par prescription le jour où la Loi de 2021 visant à soutenir la population et les entreprises reçoit la sanction royale ou par la suite ». Bien que le législateur ait éliminé la possibilité qu’un titre possessoire soit acquis sur les terres publiques susmentionnées, il a décidé de le faire d’une manière prospective.
  9.                           En deuxième lecture de la Loi de 2021 visant à soutenir la population et les entreprises, la ministre responsable a énoncé l’objectif des modifications, lequel consistait à [traduction] « éviter que les gens puissent revendiquer sans y avoir droit la propriété de terres publiques au bénéfice des Ontariens et Ontariennes » (Assemblée législative de l’Ontario, Journal des débats (Hansard), no 10A, 2e sess., 42e lég., 26 octobre 2021, p. 396 (hon. Nina Tangri)). Bien que les énoncés d’objectifs puissent se révéler vagues ou imprécis, « la communication de données et d’explications sur une mesure législative proposée correspond à une responsabilité ministérielle importante, et les tribunaux tiennent compte à bon droit de cette information pour cerner l’objectif d’une disposition contestée » (R. c. Safarzadeh-Markhali, 2016 CSC 14, [2016] 1 R.C.S. 180, par. 36). L’énoncé de l’objectif formulé par la ministre responsable permet fort bien de conclure que le législateur s’est soucié de la nécessité de protéger certaines catégories additionnelles de terres publiques contre les revendications possessoires pour le bénéfice public. À l’époque où ces modifications ont été apportées, le test du bénéfice public avait déjà fait l’objet de nombreuses décisions de tribunaux d’instances inférieures (voir, p. ex., Prescott & Russell (United Counties) c. Waugh (2004), 15 M.P.L.R. (4th) 314 (C.S.J. Ont.); Woychyshyn c. Ottawa (City) (2009), 88 R.P.R. (4th) 155 (C.S.J. Ont.); Oro-Medonte; Richard c. Niagara Falls, 2018 ONSC 7389, 4 R.P.R. (6th) 238).
  10.                           Il importe de souligner qu’aucun autre texte législatif pertinent ne mentionne que les parcs municipaux échappent à la possession adversative (voir, p. ex., Loi de 2001 sur les municipalités; Loi de 2006 sur la cité de Toronto, L.O. 2006, c. 11, ann. A). Je note que l’Alberta a expressément créé une immunité contre les revendications possessoires pour les biensfonds municipaux (voir, p. ex., Municipal Government Act, R.S.A. 2000, c. M26, art. 609).
  11.                           En Ontario, le législateur a fait le choix de politique d’intérêt général d’accorder un traitement législatif spécial à une catégorie limitée de terres publiques et de maintenir les titres possessoires acquis par prescription. Compte tenu des dispositions législatives adoptées récemment qui abordent expressément l’applicabilité de la possession adversative aux terres publiques, je suis d’avis que la reconnaissance d’une protection de common law contre de telles revendications visant des parcs municipaux irait à l’encontre de l’intention du législateur.

(4) Une interprétation téléologique étaye le maintien des titres possessoires acquis par prescription

  1.                           La reconnaissance d’une autre exception de common law à l’application des art. 4 et 15 de la LPABI serait également incompatible avec son objet en tant que loi de prescription. Il est admis depuis longtemps que la LPABI, une loi principalement destinée à assurer la tranquillité d’esprit (« statute of repose »), vise à prévenir les iniquités lorsque le possesseur s’est servi du bienfonds pendant un certain temps (voir Cholmondeley c. Clinton (1820), 2 Jac. & W. 1, 37 E.R. 527, p. 577). Dans la tradition de common law, la possession est une notion fondamentale et a permis de renforcer la revendication de titres fondée sur les faits, dans les cas où l’exactitude d’un registre n’était pas assurée (voir C. M. Rose, « Possession as the Origin of Property » (1985), 52 U. Chicago L. Rev. 73; Kaplinsky, Lavoie et Thomson, p. 164). La LPABI, la LEDI, la LTP et la LPPRC concordent toutes à cet égard : elles visent à maintenir les titres possessoires validement acquis avant une date donnée.
  2.                           Même si la décision d’accueillir une revendication intentée sur le fondement de la LPABI prive le détenteur du titre documentaire de son bienfonds en faveur du possesseur adversatif, il faut comprendre que cette privation est une conséquence de l’application de la loi et qu’il ne s’agit pas de son principal objectif :

[traduction] Le choix de politique d’intérêt général visait, dans l’intérêt de la communauté, à faire obstacle à la remise en question de la possession d’un bienfonds après qu’il a fait l’objet d’une jouissance d’une durée telle qu’il est déraisonnable, aux yeux de la loi, d’exiger une preuve extrinsèque établissant qu’elle résultait d’un titre fondé sur une autre source suffisamment probante, une telle preuve ne pouvant être facilement obtenue en raison de l’écoulement du temps. Il est impossible que le législateur ait eu l’intention d’encourager quiconque à accéder illégalement au bienfonds d’autrui, même si le texte de loi a parfois pour effet de protéger la possession en l’absence d’un titre en règle ou en l’absence d’un titre; je crains toutefois que cet effet soit une conséquence de la loi, et non son objet.

(Mew, Rolph et Zacks, p. 509, citant Harris c. Mudie (1882), 7 O.A.R. 414 (C.A.), p. 421.)

  1.                           Cela concorde avec ce que notre Cour a qualifié d’objets sousjacents des lois en matière de prescription en général, lesquels se rattachent à des considérations de certitude, de preuve et de diligence (M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6). Les actions doivent être intentées dans un délai raisonnable afin que les défendeurs éventuels ne vivent pas dans la crainte constante d’être poursuivis en justice et que la qualité et la disponibilité de la preuve pertinente demeurent intactes pour que le tribunal puisse statuer (Mew, Rolph et Zacks, p. 1921).
  2.                           J’insiste sur le fait que malgré un certain chevauchement entre les justifications qui soustendent les lois en matière de prescription et la doctrine de la possession adversative, cellesci demeurent distinctes. En l’espèce, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont refusé d’appliquer la LPABI au motif que les raisons qui justifient l’existence de la doctrine de la possession adversative ne soutiennent pas son application aux parcs municipaux (par. 1619). Ils ont ajouté que [traduction] « il est difficile de trouver une quelconque raison justifiant l’application de la possession adversative à un parc municipal » (par. 20 (en italique dans l’original)). La Ville a en grande partie réitéré cet argument devant notre Cour (m.i., par. 93 et suiv.).
  3.                           Or, l’argument de la Ville ne tient pas compte de l’une des justifications les plus convaincantes de la doctrine, soit la protection des attentes fondées (Kaplinsky, Lavoie et Thomson, p. 167; J. W. Singer, « The Reliance Interest in Property » (1988), 40 Stan. L. Rev. 611; M. H. Lubetsky, « Adding Epicycles : The Inconsistent Use Test in Adverse Possession Law » (2009), 47 Osgoode Hall L.J. 497, p. 532; S. E. Hamill, « Common Law Property Theory and Jurisprudence in Canada » (2015), 40 Queen’s L.J. 679, p. 695). Cette justification est particulièrement déterminante lorsque l’intérêt possessoire découle d’une erreur de bonne foi. Le professeur Singer explique qu’au fil du temps, l’intérêt du possesseur adversatif sur le bienfonds s’accroît, soutenu par ses attentes légitimes, alors que celui du propriétaire véritable s’amoindrit en raison de son acquiescement à l’usage du bienfonds par le possesseur (p. 665669).
  4.                           Il convient de mentionner que les justifications traditionnelles mises de l’avant par la Ville ont été la cible de critiques de la part d’auteurs, car elles se rapportent à la possession adversative de tout type de biensfonds (voir, p. ex., Kaplinsky, Lavoie et Thomson, p. 165167). Cependant, compte tenu du traitement que la loi réserve à la possession adversative et du choix du législateur de maintenir sa pertinence continue pour les intérêts acquis par prescription, un désaccord avec les raisons d’être de la doctrine n’est pas un motif valable pour rejeter la revendication des appelants. Il peut y avoir de bonnes raisons d’ordre public de veiller à ce que les terres de la Couronne et les terres publiques ne fassent pas l’objet de revendications possessoires et, comme il a été noté, une province a expressément protégé tous ses biensfonds municipaux au moyen d’une loi (voir S. Petersson, « Something for Nothing : The Law of Adverse Possession in Alberta » (1992), 30 Alta. L. Rev. 1291, p. 1314). L’Ontario a choisi d’élargir la protection à certaines terres publiques, mais de maintenir les intérêts acquis par prescription. La question de savoir si la doctrine de la possession adversative demeure utile de nos jours est une question de politique d’intérêt général qui relève du législateur (voir Telus Communications Inc. c. Fédération canadienne des municipalités, 2025 CSC 15, par. 32, citant Sullivan, § 6.01[3]), et dont il a continué de tenir compte dans les textes législatifs récents qui concilient différents intérêts et considérations.
    1. L’application d’une exception de common law aux parcs municipaux est incompatible avec le traitement que réserve le législateur au titre possessoire
  5.                           Vu mes conclusions sur l’interprétation de la LPABI, je suis d’avis que les tribunaux d’instances inférieures ont eu tort de soustraire la revendication des appelants à l’effet de ses dispositions en créant une nouvelle immunité contre la possession adversative pour les parcs municipaux. Contrairement au raisonnement de la juge saisie de la demande, la question soumise à notre Cour n’est pas de déterminer si la reconnaissance du titre possessoire en l’espèce constitue une bonne politique publique (par. 78). Notre Cour doit plutôt se demander si la manière dont les tribunaux d’instances inférieures ont soustrait la présente revendication à l’application de la loi, sur le fondement d’une règle jurisprudentielle, peut être conciliée avec le traitement que réserve le législateur aux immunités contre la possession adversative (voir Sullivan, § 17.02[1]; Basque, par. 40 et 45). Conformément au principe de la souveraineté législative, [traduction] « une loi validement adoptée l’emporte sur la common law », et les tribunaux doivent donner effet à l’intention du législateur, « malgré toute réserve qu’ils pourraient avoir à l’égard de la sagesse de celleci » (Sullivan, § 17.01.Pt1[1]).
  6.                           Le fait que le législateur n’a pas complètement écarté la common law ne permet pas aux tribunaux de compléter une loi d’une façon qui est incompatible avec l’intention du législateur. Comme l’a écrit la professeure Sullivan, dans l’examen de la question de savoir si la common law peut permettre de compléter une loi, [traduction] « [l]e recours à la common law n’est pas permis lorsqu’il modifierait les politiques intégrées dans la loi ou irait à l’encontre de son objet » (§ 17.02[3]). L’Ontario a légiféré au sujet des revendications d’intérêts acquis par possession, notamment en ce qui concerne certaines terres publiques. Dans ses observations sur le rôle des tribunaux dans un tel contexte, le professeur Ziff a expliqué que, contrairement à d’autres domaines de droit privé, le droit des biens a été modifié en profondeur et sur le fond par des changements législatifs. Il s’ensuit que lorsque les tribunaux se prononcent sur des questions d’interprétation législative, on doit s’attendre à ce que leur [traduction] « créativité soit restreinte » (B. Ziff, « Property Law and the Supreme Court : Of Gardens and Fields » (2017), 78 S.C.L.R. (2d) 357, p. 365).
  7.                           Notre Cour a reconnu cette contrainte nécessaire dans l’arrêt Mowatt, où elle a précisé que la question devant être tranchée par la Cour n’était pas celle de savoir si l’exigence de l’usage incompatible était « nécessaire ou souhaitable », mais « celle de savoir si cette exigence fait partie du droit de la ColombieBritannique et aurait donc dû être appliquée par les tribunaux d’instances inférieures » (par. 21). Le juge Brown, s’exprimant au nom de la Cour à l’unanimité, a expressément tenu compte de l’intention contraire du législateur pour conclure qu’elle ne faisait pas partie du droit (par. 27).
  8.                           En l’espèce, le fait que le législateur a dressé une liste des catégories de terres publiques soustraites à l’application de la LPABI dans cette loi même et dans d’autres lois est d’une importance cruciale. Le législateur s’est penché sur l’applicabilité de la possession adversative à l’égard des biensfonds municipaux et des parcs en Ontario lorsqu’il a adopté des protections pour certains biensfonds municipaux et certains parcs. De plus, dans la mesure où le test du bénéfice public priverait rétroactivement les appelants de leur titre possessoire, il irait à l’encontre du choix de politique d’intérêt général clair du législateur consistant à maintenir les intérêts possessoires acquis par prescription. Il semblerait tout à fait inéquitable que la revendication possessoire des appelants soit rejetée sur le fondement d’un test de common law qui a été établi après que l’art. 15 de la LPABI a éteint le titre de la Ville à l’égard du bienfonds en litige. J’observe que dans l’arrêt Hamilton c. The King (1917), 54 R.C.S. 331, notre Cour a refusé de donner un effet rétroactif à des modifications législatives qui auraient fait obstacle à l’acquisition d’un titre possessoire aux dépens de la Couronne, concluant qu’il [traduction] « semblerait tout à fait déraisonnable de donner un effet rétroactif à la loi de 1902 qui emporterait l’extinction d’un titre dûment acquis conformément à la loi des années auparavant, et qui ferait renaître un titre éteint » (p. 346).
  9.                           La Ville, comme les juges majoritaires de la Cour d’appel, affirme que le test du bénéfice public n’enfreint pas l’intention du législateur, car il fait fonction de présomption réfutable et non d’immunité, ce qui veut dire que l’acquisition d’un titre possessoire demeure possible (voir les motifs de la C.A., par. 62 et 6970). Je ne suis pas de cet avis et je suis d’accord avec les appelants pour dire que l’effet de la décision de la Cour d’appel n’est guère différent d’une immunité (m.a., par. 63).
  10.                           Selon le test formulé par les juges majoritaires de la Cour d’appel, une revendication possessoire peut être accueillie seulement si la municipalité a explicitement consenti à la possession, soit [traduction] « en reconnaissant la possession adversative d’un propriétaire privé et en consentant au transfert du titre [. . .] ou simplement par l’acquiescement de la municipalité à la possession adversative, lorsqu’elle a pleinement connaissance de la possession adversative de son bienfonds par des propriétaires privés et qu’elle s’engage à ne prendre aucune mesure qui ferait obstacle à la possession adversative » (par. 33). Un tel test n’est pas compatible avec les principes généraux de la possession adversative et écarte effectivement l’effet de la loi. Exiger de la part de la municipalité qu’elle ait pleinement connaissance de la possession et qu’elle s’engage à ne pas perturber la possession des appelants exige en fait que ceuxci aient l’autorisation d’être en possession adversative, et pourtant la possession adversative ne peut être autorisée (Kaplinsky, Lavoie et Thomson, p. 172; Teis, p. 221222; Armstrong c. Moore, 2020 ONCA 49, 15 R.P.R. (6th) 200, par. 2124). Si une reconnaissance ou un acquiescement était requis, les autres exigences de la possession adversative ne joueraient qu’un rôle négligeable, puisqu’un transfert de titre dans de tels cas serait essentiellement consensuel.
  11.                           Qui plus est, si, comme l’a conclu mon collègue, la preuve en l’espèce ne suffit pas pour établir la connaissance imputée, on peut se demander quels éléments de preuve pourraient étayer une revendication, faute de preuve selon laquelle les représentants de la Ville étaient au courant de la possession. Une preuve évidente de la possession adversative des appelants ressortait du plan d’arpentage déposé auprès du registrateur, plan auquel renvoie explicitement l’acte utilisé pour céder le bienfonds de l’Office de protection de la nature à la Ville (d.a., vol. II, p. 7276). Soit dit en tout respect, le test du bénéfice public formulé par les juges majoritaires de la Cour d’appel et adopté par mon collègue semble dans les faits faire obstacle à toute revendication visant des parcs municipaux.
  12.                           Compte tenu de mes conclusions sur l’interprétation législative, il n’est pas nécessaire que je me prononce davantage sur le bienfondé du test du bénéfice public, lequel a été analysé dans diverses décisions des tribunaux d’instances inférieures (voir Waugh; Woychyshyn; Richard; Oro-Medonte). Toutefois, je tiens à souligner brièvement que ce test n’est pas encore bien établi. Les appelants ont raison de dire que dans la majorité des affaires où le test a été invoqué afin de faire rejeter une revendication possessoire, celleci a été rejetée pour d’autres motifs (m.a., par. 52).
  13.                           Dans les décisions Waugh et Woychyshyn, les revendications possessoires ont été rejetées en raison de l’insuffisance de la preuve (Waugh, par. 8; Woychyshyn, par. 11). Dans la décision Richard, les revendications possessoires ont été rejetées parce qu’il a été jugé que le public n’avait pas été exclu du bienfonds municipal (par. 33). De même, dans la décision Oro-Medonte, l’intérêt possessoire à l’égard du bienfonds municipal n’a pas pu être établi, car la possession exclusive n’a pas été prouvée (par. 134). Dans l’arrêt Mowatt, notre Cour a conclu que les décisions où les revendications possessoires avaient été rejetées parce qu’il n’y avait pas eu possession exclusive ne permettaient pas de conclure que le droit de la ColombieBritannique en matière de possession adversative avait adopté l’exigence de l’usage incompatible, malgré les observations selon lesquelles les tribunaux avaient tenu compte des intentions des détenteurs des titres documentaires relativement à l’usage des biensfonds (par. 2426). Ce raisonnement s’applique également au test du bénéfice public dont il est question en l’espèce.
  14.                           En outre, un examen de ces décisions des tribunaux d’instances inférieures révèle que le test du bénéfice public tire en grande partie son origine de deux sources, la première étant les remarques incidentes du juge Laskin dans l’arrêt Teis : [traduction] « Quant à la question de savoir si, sans une réforme législative, la protection contre la possession adversative dont bénéficient les rues municipales et les autoroutes devrait être élargie aux biensfonds municipaux utilisés comme parcs publics, elle devrait être examinée dans le cadre d’une affaire où les parties soulèvent clairement la question » (p. 229). Le juge Laskin a reconnu la pertinence éventuelle d’une loi dans ce domaine et n’a pas tranché la question.
  15.                           La deuxième source, soit un ensemble d’extraits provenant des ouvrages intitulés Anger & Honsberger Law of Real Property et The Law of Canadian Municipal Corporations, renvoie à la décision de notre Cour dans l’arrêt Hackett c. Colchester South, [1928] R.C.S. 255. Étant donné que le bienfonds municipal dans l’affaire Hackett a été attribué conformément aux modalités d’une fiducie expresse (à la p. 256), je conviens avec le juge dissident de la Cour d’appel que cet arrêt n’appuie pas nécessairement la proposition générale énoncée dans les ouvrages précités (par. 167). De plus, les remarques incidentes du juge Duff dans l’arrêt Hackett indiquent qu’il était [traduction] « fort impressionné » par la proposition d’élargissement de la doctrine de l’affectation et de l’acceptation à des biensfonds autres que les voies publiques (p. 256). Cela est clair lorsqu’il parle de [traduction] « biensfonds [. . .] affectés à un usage public » et d’« une affectation ayant été acceptée par le public », qui « a donné lieu aux droits de jouissance du public, lesquels ressemblent beaucoup aux droits du public à l’égard des voies publiques » (ibid.). En définitive, le juge Duff a eu raison lorsqu’il a affirmé qu’il [traduction] « y aurait bien des choses à dire en faveur de ce point de vue » (ibid.), étant donné que notre Cour a accepté d’élargir l’application de la doctrine de l’affectation audelà des voies publiques dans l’arrêt Wright c. Village of Long Branch, [1959] R.C.S. 418. Toutefois, contrairement aux exigences de l’affectation, le test du bénéfice public n’exige pas qu’il y ait acceptation réelle et usage public (Bailey, p. 53; Wright, p. 422423; voir aussi Gibbs c. Grand Bend (Village) (1995), 26 O.R. (3d) 644 (C.A.), et Waterstone Properties Corporation c. Caledon (Town), 2017 ONCA 623, 64 M.P.L.R. (5th) 179, où il y a application de la doctrine de l’affectation aux parcs).
  16.                           Compte tenu du régime législatif et de la common law existante décrits précédemment, la reconnaissance par la juge de première instance d’une nouvelle immunité rétroactive générale en faveur des parcs municipaux a eu pour effet de miner l’intention du législateur. Même si les juges majoritaires de la Cour d’appel ont tenté de formuler leur décision sous un angle différent, en qualifiant le test du bénéfice public de présomption réfutable (au par. 62), je conclus qu’ils ont également eu tort d’élargir la common law alors que le législateur, s’étant penché sur les terres publiques qui seraient soustraites à l’application de la LPABI, avait manifestement l’intention de maintenir les intérêts possessoires acquis par prescription. Comme l’a écrit notre Cour dans l’arrêt Zeitel c. Ellscheid, [1994] 2 R.C.S. 142, une affaire portant également sur la revendication d’un intérêt possessoire, « [l]es tribunaux n’ont pas compétence pour modifier un régime législatif soigneusement conçu simplement parce qu’ils désapprouvent le résultat qu’une loi engendre dans un cas donné » (p. 152). La reconnaissance d’une nouvelle immunité de common law protégeant les parcs municipaux contre les intérêts possessoires acquis par prescription ne peut être conciliée avec le régime législatif applicable.
  1. Application
  1.                           Me fondant sur une juste interprétation de la LPABI, je conclus que les art. 4 et 15 s’appliquent en l’espèce, et qu’il n’y a aucune exception applicable, que ce soit à l’art. 16 ou dans d’autres lois, qui fait obstacle à la revendication possessoire des appelants. Il n’est pas contesté que les appelants ont établi qu’il y avait eu possession publique, notoire, paisible, adversative, exclusive, réelle et continue du bienfonds pendant 10 ans conformément à l’art. 4 et au par. 5(1) de la LPABI; le titre de la Ville sur le bienfonds en litige s’est éteint comme le prévoit l’art. 15 de la même loi. Il est important de souligner que conformément au par. 44(1) de la LEDI, le bienfonds en litige est devenu assujetti au titre possessoire des appelants dès l’enregistrement. Le titre de la Ville sur le bienfonds en litige est éteint depuis longtemps; il n’est pas possible de le faire renaître.
  1. Dispositif
  1.                           Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens devant toutes les cours. L’ordonnance de la Cour d’appel et le jugement de la Cour supérieure de justice de l’Ontario sont infirmés et la demande des appelants est accueillie. Il est déclaré que les appelants sont les propriétaires en fief simple du bienfonds en litige et que le registrateur de la division du bureau d’enregistrement de Toronto est tenu de modifier le registre de parcelles afin que le PIN 105260078 (LT) comprenne le bienfonds en litige.

 Version française des motifs des juges Karakatsanis, Martin, Kasirer et Jamal rendus par

 Le juge Kasirer —

  1. Aperçu
  1.                           J’ai eu l’avantage de lire les motifs de ma collègue la juge O’Bonsawin et, avec le plus grand respect pour les opinions contraires, je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le bienfonds en litige dans la présente affaire — une partie du parc ÉtienneBrûlé dans la Cité de Toronto — n’a pas été acquis par les appelants à titre de prolongement de leur cour arrière avoisinante par possession adversative.
  2.                           Il est depuis longtemps admis que l’acquisition d’un titre foncier par possession adversative peut, dans les circonstances qui s’y prêtent, servir le bien commun. Ceci est vrai même si, selon un commentaire bien connu, la possession adversative est [traduction] « un cas anormal de transformation d’un tort en un droit contrairement à l’un des axiomes les plus fondamentaux du droit » (H. W. Ballentine, « Title by Adverse Possession » (1919), 32 Harv. L. Rev. 135, p. 135). Fondée sur ce qu’on appelle parfois les justifications morales ou utilitaires de la possession adversative, la raison d’être de la règle qui permet à un possesseur intrus d’acquérir un titre foncier au fil du temps est bien connue. La possession adversative fait primer de manière légitime l’utilisation productive d’un bienfonds par un possesseur aux dépens du détenteur indolent d’un titre documentaire. Elle décourage le propriétaire foncier titré de dormir sur ses droits et l’incite à effectuer une surveillance socialement utile des limites de la propriété afin de repousser tout empiétement indésirable. De plus, la reconnaissance des droits d’un possesseur offre une promesse de stabilité en remédiant aux vices pour valider le titre à long terme (voir, de façon générale, E. Kaplinsky, M. Lavoie et J. Thomson, Ziff’s Principles of Property Law (8e éd. 2023), p. 164170; J. E. Stake, « The Uneasy Case for Adverse Possession » (2001), 89 Geo. L.J. 2419, p. 2434 et suiv.).
  3.                           Ces justifications reflètent des décennies de décisions de justice tranchant des revendications opposées entre, d’une part, les possesseurs d’un bienfonds et, d’autre part, les détenteurs du titre portant sur celuici. Très souvent, tous les deux sont des propriétaires privés de biensfonds adjacents qui ne s’entendent pas sur l’endroit où la limite entre leurs propriétés devrait être tracée. Mais le présent pourvoi ne découle pas d’un différend entre deux propriétaires privés. Le bienfonds que les appelants cherchent à acquérir et qui prolongerait leur cour arrière appartient à l’intimée, la Cité de Toronto (« Ville »). Le bienfonds en litige n’est pas seulement un terrain municipal, il s’agit d’un terrain destiné à l’usage ou au bénéfice du public à titre de parc urbain.
  4.                           Les explications traditionnelles quant à la possession adversative ont une résonance limitée lorsque le propriétaire titré du bienfonds est une entité publique qui détient la propriété au bénéfice de la collectivité. De toute évidence, il sera difficile pour un possesseur privé de démontrer que le droit qu’il revendique à titre personnel à l’égard du parc de la Ville constitue un usage plus productif que l’usage ou le bénéfice que l’ensemble de la collectivité — potentiellement une multitude d’adultes et d’enfants, résidents et visiteurs de Toronto — retire d’un espace vert public. Dans la même veine, l’idée que la Ville devrait être pénalisée pour son omission de patrouiller ou de surveiller les limites de milliers d’acres d’espaces verts à caractère patrimonial dans des centaines de parcs à travers Toronto ne tient pas compte des coûts sociaux et économiques pour le public de cette surveillance, notamment des coûts pour les contribuables. Comme l’a écrit un auteur au sujet de certains biensfonds publics qui sont soustraits aux règles de la possession adversative en Alberta, [traduction] « [l]es terres de la Couronne et les terres publiques sont détenues au bénéfice de tous les citoyens, et il serait injuste que quelqu’un prive ceuxci de l’ensemble ou d’une partie de ce bénéfice [et,] compte tenu de la grande superficie de ces terres, il est impossible d’exercer une surveillance à l’égard des possesseurs adversatifs » (S. Petersson, « Something for Nothing : The Law of Adverse Possession in Alberta » (1992), 30 Alta. L. Rev. 1291, p. 1314).
  5.                           Il est vrai que les appelants, Pawel Kosicki et Megan Munro, ont possédé le bienfonds en litige pendant une période qui aurait donné lieu à l’acquisition par possession adversative si le bienfonds avait appartenu à un propriétaire privé plutôt qu’à la Ville en tant que parc. Et il peut bien s’agir d’une parcelle de terre relativement petite — un [traduction] « timbreposte » séparé du reste du parc au moyen d’une clôture par les appelants et leurs prédécesseurs, selon le juge dissident de la Cour d’appel (2023 ONCA 450, 167 O.R. (3d) 401, par. 82). Mais le bienfonds en litige faisait partie du précieux espace vert que la Ville a destiné à l’usage ou au bénéfice du public en tant que partie du parc ÉtienneBrûlé pendant toute la période de possession.
  6.                           L’attribution du bienfonds aux appelants aurait pour effet de priver à perpétuité la collectivité de cette partie du parc. Le public ferait un usage plus utile sur le plan social de ce bienfonds au fil du temps — timbreposte ou non — que pourrait n’en faire une seule personne : c’est le principe même de l’usage ou du bénéfice public sur lequel repose l’existence des parcs. Pour ce qui est des parcs municipaux, cet intérêt public est même amplifié dans un milieu urbain densément peuplé comme la Ville. Bien que je ne souscrive pas à la conclusion proposée par le juge dissident en l’espèce, je partage son point de vue selon lequel les parcs de Toronto sont [traduction] « indispensables pour que tout un chacun puisse garder l’esprit sain et tisser des liens avec ses voisins dans une mer urbaine d’acier et de verre » (motifs de la C.A. par. 77). De plus, on ne peut nier, comme l’ont fait remarquer les juges majoritaires de la Cour d’appel, que les espaces verts de Toronto accessibles au public représentent un [traduction] « patrimoine naturel important » et ont une valeur « récréative » qui bénéficie au public (par. 3). Bien que la législation actuelle sur les titres fonciers interdise toute nouvelle revendication fondée sur la possession adversative de terres enregistrées, le fait d’accueillir la demande des appelants en se fondant sur leurs droits prétendument acquis priverait le public de ce bénéfice. Et le coût pour la Ville de surveiller 8 000 hectares de biensfonds municipaux répartis dans 1 500 parcs — car c’est ce que révèle le dossier en ce qui concerne les biensfonds désignés comme parcs — afin de détecter potentiellement des milliers d’empiétements semblables de la taille d’un timbreposte à travers des centaines de parcs à Toronto — serait prohibitif.
  7.                           Suivant la common law telle qu’elle a évolué en Ontario, le bienfonds qu’une municipalité réserve à l’usage ou au bénéfice du public à titre de parc devrait être présumé utilisé par le public et protégé contre la possession adversative. Pour renverser cette présomption, le demandeur doit démontrer que la municipalité a changé la vocation du bienfonds, qui était destiné à l’usage du public à titre de parc, ou qu’elle a acquiescé à son usage privé. L’acquiescement exige généralement une preuve de connaissance de la part de la municipalité. Comme je l’expliquerai, une preuve de connaissance imputée peut suffire, mais la norme est élevée, compte tenu de l’intérêt public en cause.
  8.                           Cette règle de common law n’a pas été écartée par une loi de l’Ontario, comme la Loi sur la prescription des actions relatives aux biens immeubles, L.R.O. 1990, c. L.15 (« LPABI »), qui énonce les cas où certains autres biensfonds publics sont soustraits à la possession adversative. Bien interprétée, la LPABI n’emporte pas l’inférence selon laquelle, en omettant de mentionner les parcs municipaux dans les exemptions prévues par la loi, le législateur voulait que ces biensfonds soient traités, pour les besoins de la possession adversative, comme s’ils étaient détenus par des propriétaires privés. La LPABI n’est pas un « code complet » régissant la possession adversative de bienfonds, étant donné que la mesure de la possession adversative fait ellemême l’objet d’un test en common law, en dehors des règles de prescription prévues par la loi. Je reconnais toutefois que, code complet ou non, la LPABI pourrait écarter la règle de common law applicable aux biensfonds publics si le législateur choisissait de le faire explicitement ou par implication nécessaire (R. c. Basque, 2023 CSC 18, par. 40, citant R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402, par. 21, le juge Cromwell). Bien entendu, l’intention du législateur doit être respectée. Mais au regard de la loi, la common law relative aux biensfonds municipaux présumés détenus pour l’usage ou le bénéfice du public n’a pas été modifiée par le législateur.
  9.                           Comme elle n’a pas été écartée par la loi, cette règle de common law relative aux parcs municipaux s’applique donc au bienfonds en litige dans la présente affaire.
  10.                           Le bienfonds en litige a été désigné comme parc durant toute la période en cause. Bien que la clôture des appelants ait été inscrite sur la carte cadastrale réalisée en 1971, cela ne répond pas, selon moi, à la norme élevée requise pour renverser la présomption d’usage public. De plus, malgré la carte cadastrale de 2007 jointe à un règlement municipal indiquant la présence de la clôture, les rapports de la Ville avec une voisine aux prises avec un problème semblable et le paiement de certains impôts fonciers sur le bienfonds comme le ferait un propriétaire, tous ces faits sont survenus après l’enregistrement du bienfonds au titre de la Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers, L.R.O. 1990, c. L.5 (« LEDI »), laquelle interdit toute revendication de possession adversative acquise par prescription après cette date. Ces événements ne sauraient emporter connaissance, réelle ou imputée, par l’autorité publique de la possession adversative revendiquée.
  11.                           La clôture préexistante des appelants — et les clôtures jouxtant les parcs partout dans la Ville — peut empêcher l’utilisation du bienfonds par le public, mais elle ne change rien au fait que le parc est voué au bénéfice du public, pas plus qu’elle ne donne naissance à une attente bien établie selon laquelle la Ville a acquiescé à la possession des appelants. Cette interprétation de la présomption du bénéfice public à l’encontre de la possession adversative de parcs municipaux n’est pas injuste envers les appelants en l’espèce. Les appelants ne peuvent pas dire qu’ils ont une revendication valide de nature adversative en raison de leur possession exclusive, alors que cette exclusivité est une conséquence de la clôture même qui a empêché le public d’utiliser un bienfonds destiné au bénéfice de la collectivité. Et parce que le principe expliqué par les juges majoritaires de la Cour d’appel n’était pas du « nouveau droit », mais simplement une formulation plus claire d’une règle de common law établie de longue date, les appelants ne peuvent pas affirmer que leur revendication s’est « cristallisée » en un droit de propriété devenu acquis par prescription avant un quelconque changement du droit applicable.
  12.                           Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi. À la lumière d’observations faites par la Ville à l’audience, je réserverais cependant le droit des appelants de présenter une demande contre cette dernière pour le remboursement de l’impôt foncier payé par erreur sur le bienfonds en litige.
  1. Les arguments des appelants et le cadre d’analyse applicable
  1.                           Pour trancher le présent pourvoi, il faut répondre à une question bien connue en droit canadien : De quelle façon les tribunaux doiventils déterminer si un régime législatif écarte ou modifie un principe de common law établi, ou encore coexiste avec lui? La question se pose en l’espèce lorsqu’il s’agit d’examiner si le principe du bénéfice public existe et continue de s’appliquer, parallèlement à la LPABI, principe que contestent les appelants, mais que le juge Sossin a reconnu comme faisant partie de la common law en matière de possession adversative.
  2.                           La décision de notre Cour dans Basque, invoquée tant par les appelants que par la Ville dans leurs plaidoiries, fournit la méthode appropriée pour répondre à cette question. Le cadre en deux étapes utilisé pour analyser l’interaction entre la loi et la common law est bien connu (2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, par. 97, la juge L’HeureuxDubé). Premièrement, le tribunal doit identifier et énoncer clairement la règle de common law applicable; deuxièmement, il faut examiner la disposition législative pertinente selon la méthode moderne d’interprétation, afin de déterminer si le législateur avait l’intention de codifier, d’écarter, de limiter, de compléter ou de laisser intacte cette règle de common law (Basque, par. 40, 45 et 52). Ce cadre juridique était déjà bien établi en Ontario lorsque la Cour d’appel a traité de cette question (voir, p. ex., Zaidan Group Ltd. c. London (Ville), [1991] 3 R.C.S. 593; Urban Mechanical Contracting Ltd. c. Zurich Insurance Co., 2022 ONCA 589, 163 O.R. (3d) 652, par. 45). Bien que la Cour d’appel n’ait pas eu l’avantage de disposer de l’arrêt Basque lorsqu’elle a rendu son arrêt, l’opinion des juges majoritaires a suivi ces deux étapes à la lettre afin de discerner l’interaction entre la common law et la loi en l’espèce.
  3.                       Bien entendu, le législateur peut écarter la common law, et si telle est son intention, elle doit être respectée. Mais le cadre applicable ne présume pas l’existence d’un conflit. Les dispositions législatives et les règles de common law peuvent « coexister harmonieusement », à moins que le législateur n’indique le contraire avec la précision requise (Basque, par. 6). Parallèlement, cette approche renforce l’importance de la discipline interprétative : les tribunaux doivent être attentifs au texte et à l’objectif de la loi, et éviter d’introduire des modifications aux régimes législatifs par le biais d’innovations judiciaires inopportunes. Cela reflète également le principe énoncé dans l’arrêt R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654, selon lequel la réforme structurelle relève du législateur, tandis que les tribunaux n’ont pour tâche que d’assurer une évolution graduelle nécessaire au maintien de la cohérence du droit (p. 670).
  4.                       À la première étape, les appelants affirment que le test de common law en matière de possession adversative est clair : citant le jugement de notre Cour dans Nelson (City) c. Mowatt, 2017 CSC 8, [2017] 1 R.C.S. 138, par. 18, les appelants rappellent à juste titre que la possession adversative doit être publique, notoire, adversative, exclusive, paisible, réelle et continue pour déclencher le début de la période de prescription. Cependant, les appelants contestent les précédents cités par la Cour d’appel qui portent à croire que la common law en matière de possession adversative traite les biensfonds publics différemment des biensfonds détenus par des propriétaires privés, soutenant que toutes ces affaires ont été ou auraient pu être tranchées en fonction de ce test de common law traditionnel.
  5.                       À la deuxième étape, les appelants adoptent à juste titre la méthode moderne d’interprétation des lois approuvée par notre Cour dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, et la jurisprudence subséquente, pour déterminer le sens de la LPABI. S’attardant en particulier aux art. 4, 15 et 16, ils affirment que le sens à donner à la LPABI est clair : le législateur n’a pas ordonné que les parcs municipaux soient soustraits aux règles de common law en matière de possession adversative applicables au bienfonds détenu par un propriétaire privé, alors que d’autres biensfonds publics ont été expressément considérés comme échappant à ces règles. Ils affirment que cela renforce l’inférence selon laquelle le législateur n’avait pas l’intention de protéger les parcs municipaux contre la possession adversative. De plus, les appelants soutiennent que la LPABI fait partie d’un régime législatif plus large en Ontario qui préserve les revendications de possession adversative acquise par prescription. En conséquence, il ne fait aucun doute, selon les appelants, qu’ils ont possédé le bienfonds en litige pendant le temps requis et conformément aux principes de possession adversative. Leur requête en ordonnance portant qu’ils sont propriétaires du bienfonds aurait dû être accueillie.
  6.                       Je propose de suivre le cadre de l’arrêt Basque que les appelants suggèrent d’utiliser. Je passerai d’abord en revue les règles de common law en matière de possession adversative applicables au bienfonds en litige, qui appartient à la Ville et qui est désigné comme faisant partie du parc ÉtienneBrûlé. Deuxièmement, j’examinerai comment les règles de common law interagissent avec la loi et, en particulier, si le régime de common law en matière de possession adversative de biensfonds municipaux a été écarté par la LPABI. Je termine en appliquant le droit au bienfonds en litige dans la présente affaire.
  1. La common law applicable
  1.                       Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont souscrit à la conclusion de la juge de première instance selon laquelle les appelants n’avaient pas acquis le bienfonds en litige par possession adversative. Mais les juges majoritaires n’étaient pas d’accord avec elle pour dire que le [traduction] « test du bénéfice public » obligeait la Ville à démontrer que le bienfonds avait été utilisé par le public avant qu’il ne soit clôturé (voir le par. 41; 2022 ONSC 3473, 32 M.P.L.R. (6th) 306, par. 69 et 7779). S’exprimant en son nom et au nom de son collègue le juge MacPherson, le juge Sossin a formulé comme suit le test de common law :

[traduction] Par conséquent, je reformulerais comme suit le test relatif à la possession adversative d’un bienfonds public élaboré dans des décisions comme Warkentin et Richard, et adopté par la juge de première instance : les revendications de possession adversative qui seraient autrement établies à l’endroit d’un bienfonds municipal ne seront pas accueillies lorsque le bienfonds a été acheté par la municipalité ou affecté par celleci à l’usage ou au bénéfice du public, et que la municipalité n’a pas renoncé à ses droits présumés sur le bienfonds, ou reconnu son usage par un ou plusieurs propriétaires privés ou acquiescé à un tel usage. [Je souligne; par. 47.]

  1.                       L’argument fondamental soumis par les appelants à notre Cour est que, [traduction] « [e]n Ontario, le droit de la possession adversative est codifié dans la LPABI » (m.a., par. 25). Ils affirment que leur acquisition du bienfonds en litige découle de l’application ordinaire de la loi. Selon eux, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont mal interprété la common law pour créer une règle qui soustrairait les parcs municipaux aux revendications de possession adversative permises par la LPABI ou les mettrait à l’abri de ces revendications. En outre, ils soutiennent que la jurisprudence citée par les juges majoritaires est inapplicable, mal fondée, ou se distingue de la présente affaire (par. 52).
  2.                       Je suis d’accord avec les appelants pour dire que les tribunaux devraient faire preuve de prudence avant de modifier de façon fondamentale la common law relative aux biens immeubles — une tâche qu’il vaut mieux laisser au législateur. Mais les appelants interprètent mal le jugement en appel lorsqu’ils affirment que [traduction] « les juges majoritaires ont outrepassé la compétence de la Cour d’appel quand ils ont établi une nouvelle immunité contre les revendications de possession adversative » (m.a., par. 6). La description de la common law faite par les juges majoritaires n’équivaut pas, si on la comprend bien, à une « nouvelle immunité » contre la possession adversative dans le cas des biensfonds municipaux ni même à une modification importante du droit fondée sur des décisions erronées ou se distinguant de la présente espèce. Comme le suggère avec raison la Ville, l’énoncé fait par le juge Sossin du test de common law comportait une [traduction] « clarification . . . de la jurisprudence ontarienne » qui a « synthétisé » les décisions antérieures relatives au test du bénéfice public en ce qui concerne la possession adversative d’un bienfonds municipal (m.i., par. 110 et 120). Le juge Sossin en était pleinement conscient lorsqu’il a écrit que son but était de [traduction] « reformule[r] le test relatif à la possession adversative d’un bienfonds public » élaboré dans la jurisprudence pertinente (par. 47 (je souligne); voir aussi le par. 48).
  3.                       La common law n’est évidemment pas immobile. Elle évolue de la meilleure façon grâce à des jugements prudents et éclairés qui tranchent des différends réels. Cette évolution peut se faire de différentes façons. Parfois, la jurisprudence peut apporter des changements graduels au droit. Mais très souvent, y compris dans les domaines où un différend montre que la common law n’est pas claire, les tribunaux se contentent de reformuler, en termes plus clairs, le droit tel qu’il est. Dans l’arrêt Salituro, notre Cour a conclu que les juges « peuvent et doivent » reconnaître les changements graduels apportés à la common law pour adapter les règles de droit aux changements sociaux (p. 666). Mais en tant que « gardiens de la common law » (p. 678), les tribunaux peuvent également affiner le droit sans le modifier de façon importante. En exprimant de manière plus incisive les principes existants, ils montrent ainsi que le droit n’a pas besoin de changement, mais qu’il a simplement besoin d’une explication plus claire d’un principe énoncé auparavant de façon imparfaite dans la jurisprudence.
  4.                       Pour affiner le droit, il faut bien comprendre la façon dont les tribunaux, par le passé, ont expliqué le droit dans différents contextes factuels, et il faut cerner le constat sur lequel repose le dispositif. Cela signifie souvent aller audelà de la ratio decidendi que les juges ont ensuite tirée de ces décisions et ont réifiée. Dans l’exercice de leurs responsabilités en tant que gardiens de la common law, les tribunaux doivent bien sûr appliquer un précédent avec précision, mais ils ne se limitent pas à cette tâche lorsqu’ils cherchent à comprendre l’importance d’une décision pour ce que dit le droit. Pour saisir une théorie juridique, il est parfois nécessaire de retracer de manière critique l’évolution d’un principe de common law au fil du temps.
  5.                       Parfois, l’exercice consistant à affiner le droit met en évidence des aspects d’une affaire qui, au vu des faits de ce litige, revêtaient moins d’importance, mais qui peuvent néanmoins se rapporter à une question similaire dont est saisi un autre tribunal. Certaines déclarations de tribunaux, considérées au départ comme des obiter dicta, acquièrent une valeur de précédent parce qu’elles sont souvent invoquées et se révèlent applicables dans la pratique (R. J. Sharpe, Good Judgment : Making Judicial Decisions (2018), p. 150151).
  6.                       La Ville affirme à juste titre que cet exercice a été entrepris correctement par les juges majoritaires en l’espèce. En toute déférence, je ne souscris pas à l’opinion du juge dissident, adoptée par les appelants, voulant que la décision des juges majoritaires de la Cour d’appel [traduction] « représente un des exemples les plus clairs d’un tribunal qui utilise la common law pour exercer le rôle d’architecte de politiques » (m. a., par. 61). La Cour d’appel n’a pas « outrepassé sa compétence » en faisant du droit radicalement nouveau en matière de possession adversative d’une manière qui relève à bon droit du législateur. Au contraire, comme le soutient la Ville, les juges majoritaires de la Cour d’appel se sont contentés d’un [traduction] « affinage des exigences de la common law pour ce qui est des actes constituant une dépossession dans le contexte d’un parc municipal » dans la présente affaire, plutôt que d’ajouter une nouvelle exception similaire aux catégories d’exceptions relatives aux biensfonds publics figurant dans la liste que l’on retrouve à l’art. 16 de la LPABI (m.r.i. (modifié), par. 9 (souligné dans l’original)).
  7.                       Surtout, l’explication donnée par le juge Sossin quant au caractère présomptif du test du bénéfice public en common law ne crée pas une nouvelle immunité, mais reconnaît plutôt qu’il existe des circonstances selon la common law en Ontario dans lesquelles il a toujours été difficile d’acquérir un bienfonds municipal par possession adversative. Selon ma compréhension, les motifs du juge Sossin ne créent pas du nouveau droit sur ce point, mais visent à affiner les décisions antérieures afin de les rendre intelligibles dans le cas présent, ce qui illustre une caractéristique bien connue du raisonnement de common law.
  8.                       Les parties s’entendent sur l’essentiel du test de common law en matière de possession adversative; ils s’entendent, par exemple, sur la qualité de possession qui peut fonder une demande. Ce qui est en litige, c’est la question de savoir si les revendications de possession adversative de biensfonds publics — et en particulier de biensfonds municipaux — sont distinctes d’une manière qui reflète la nature de ces biensfonds. Lors de son examen de la jurisprudence portant sur cette question, le juge Sossin a dégagé une règle générale applicable à la common law de l’Ontario, à savoir que les biensfonds municipaux accessibles au public sont présumés « avoir un usage pour le bénéfice public » et de ce fait protégés contre la possession adversative, à moins que le possesseur présumé ne puisse prouver que, dans les faits, la municipalité a « reconnu » son usage privé « ou acquiescé » à celuici (par. 38, 41 et 47 (en italique dans l’original)).
  9.                       Étant donné l’intérêt public dans le bienfonds, les juges majoritaires ont conclu qu’un bienfonds municipal en Ontario ne peut pas être acquis par possession adversative de la même façon qu’un bienfonds détenu par un propriétaire privé, sauf dans un ensemble restreint de circonstances. Les juges majoritaires ont tiré cette règle de la jurisprudence qu’ils ont soigneusement cernée en lui donnant une formulation intelligible. Le juge Sossin n’a pas inventé, par une forme quelconque de décision judiciaire illégitime ou un autre moyen, une nouvelle exception de common law à la possession adversative d’un parc municipal. Il a plutôt entrepris une tâche familière consistant à synthétiser une série d’affaires jugées qui reflétaient une dimension tout à fait légitime du raisonnement de la common law, identifiée récemment par le président de la Cour suprême du RoyaumeUni, selon laquelle [traduction] « les juges . . . peuvent parvenir à un principe par un processus d’induction à partir d’une série de décisions judiciaires rendues dans des affaires individuelles » (Lord Reed, Time Present and Time Past : Legal Development and Legal Tradition in the Common Law — The Neill Law Lecture, 25 février 2022 (en ligne), p. 2).
  10.                       En dégageant une règle générale de la jurisprudence ontarienne concernant les revendications de possession adversative portant sur les biensfonds publics dans la common law telle qu’elle existait alors, le juge Sossin s’est effectivement livré à un raisonnement par induction. Fait habilement en l’espèce, cet exercice n’est pas par ailleurs remarquable comme élément de la méthodologie de la common law. Le raisonnement par induction est une technique qui est, comme l’a écrit autrefois le professeur C. K. Allen, [traduction] « caractéristique du droit anglais », une technique par laquelle un juge « part du particulier pour aller vers le général » (Law in the Making (2e éd. 1930), p. 110). Le juge Sossin n’a pas dérogé au droit établi ni même comblé une lacune identifiée que la loi a laissée dans le droit. Il a plutôt donné un sens à une série de décisions disparates qui ont dit des choses semblables de manières différentes : le bienfonds municipal, en raison de sa nature et de sa vocation, ne peut pas faire l’objet d’une acquisition par possession adversative de la même manière qu’un bienfonds détenu par un propriétaire privé. Avec égards, je ne souscris pas à l’opinion du juge dissident, qui a considéré cela comme une transgression du rôle légitime du juge : le juge Sossin a simplement reformulé de manière synthétique le droit existant, plutôt que d’élaborer une nouvelle règle, dans le cadre de l’exercice de la fonction de juge qui lui revient et qui, pour reprendre les propos du professeur Allen, est un [traduction] « effort [qui] consiste à rechercher le droit, et non à le fabriquer » (p. 184).
  11.                       La distinction est importante ici. Une partie du grief des appelants tire son origine de ce qui leur semble être une injustice, à savoir que le juge Sossin a créé du nouveau droit après le moment où, disentils, leur demande d’acquisition de titre par possession adversative était devenue mûre. Ils prétendent que, [traduction] « conformément au droit tel qu’il existait avant la décision des juges majoritaires, [ils] étaient propriétaires du bienfonds en litige par possession » (m.a., par. 59). Cet argument est fondé, en grande partie, sur leur avis que les juges majoritaires de la cour n’avaient pas [traduction] « compétence » pour modifier la common law d’une façon aussi fondamentale qu’ils l’ont fait (par. 60 et suiv.). L’examen des motifs du juge Sossin sur ce point révèle que la rupture perçue dans la common law est sans fondement. Il y a plutôt lieu de penser qu’il a reformulé une règle existante de sorte que, contrairement à ce que plaident les appelants, leur demande n’était pas mûre au moment où la Cour d’appel a rendu son arrêt. Au lieu de cela, en raison du droit reconnu par les juges majoritaires comme faisant partie de la common law de l’Ontario, la relation entre les appelants et le bienfonds au fil des ans ne pouvait pas du tout être considérée comme étant une possession adversative acquise par prescription. Il ne s’agit pas de l’application rétrospective d’une nouvelle règle de droit à un droit de propriété qui s’était déjà cristallisé.
    1. Les origines en common law du test du bénéfice public
  12.                       Dans son analyse des décisions de common law, le juge Sossin a eu raison de cerner un thème de longue date selon lequel le bienfonds municipal est généralement, mais pas toujours, protégé contre la revendication de possession adversative faite par un possesseur privé. L’hésitation à permettre l’acquisition d’un bienfonds public par possession adversative en Ontario et ailleurs n’est pas simplement une question de souci pragmatique ou de malaise de la part des tribunaux. Elle est également ancrée dans des principes fondamentaux de common law concernant la nature de la propriété publique. Comme le juge Sossin l’a écrit au par. 23, [traduction] « lorsqu’il ne peut généralement pas faire l’objet d’une possession adversative, mais qu’aucune exclusion ou immunité totale n’est applicable, les tribunaux ont mis au point le test du “bénéfice public” afin de déterminer si le bienfonds municipal en cause est à l’abri de la possession adversative ». Je ne souscris pas à l’affirmation des appelants selon laquelle cette opinion constitue une interprétation erronée de la jurisprudence pertinente.
  13.                       Les tribunaux ont souvent commenté la place unique qu’occupent les biensfonds publics dans la théorie de la possession adversative en droit ontarien. Dans l’arrêt Hackett c. Colchester South, [1928] R.C.S. 255 (« Hackett CSC »), notre Cour a confirmé une décision du juge Hodgins en faveur de la municipalité et contre une revendication de possession adversative ([1927] 4 D.L.R. 317 (C.S. Ont. (Div. app.)) (« Hackett CA »)). Le bienfonds en cause avait été cédé à la municipalité par la Couronne du chef de l’Ontario, et les conditions de cette cession stipulaient que la municipalité devait détenir le bienfonds [traduction] « à perpétuité en fiducie pour un quai public et à des fins publiques connexes » (Hackett CA, p. 323).
  14.                       Voilà pourquoi le juge Hodgins a fait remarquer que le titre de la municipalité sur la propriété était celui d’un [traduction] « fiduciaire pour le public » (Hackett CA, p. 320), et que, « [c]ompte tenu des droits publics en jeu, [. . .] il d[evai]t être clairement établi que ces droits publics [avaient] été violés » (p. 322). Il a ensuite comparé les biensfonds détenus pour le bénéfice public aux terres de la Couronne, faisant observer que [traduction] « [l]es raisons qui rendent la Loi sur la prescription inapplicable à la Couronne semblent s’appliquer également lorsque les droits du public sont ceux qui sont communs à tous les sujets de la Couronne » (p. 323). Par conséquent, [traduction] « appliquer [la Loi sur la prescription] à ces droits permettrait que la négligence du fiduciaire entraîne l’aliénation des biens en fiducie et la destruction du droit du public, ce que le fiduciaire ne pourrait pas faire directement en toute légalité » (ibid.). Cela dit, le juge Hodgins a conclu qu’il n’était pas nécessaire en dernière analyse de statuer sur le pourvoi pour ces motifs, car il était suffisant de conclure, comme il l’a fait, que la possession alléguée dans cette affaire n’était pas réelle, constante et visible (p. 324).
  15.                       S’exprimant au nom de notre Cour, le juge Duff a souscrit aux motifs du juge Hodgins. Il s’est dit [traduction] « fort impressionné » par la thèse que les biensfonds de la municipalité étaient [traduction] « affectés à un usage public »; que « cette affectation a donné lieu aux droits de jouissance du public, lesquels ressemblent beaucoup aux droits du public à l’égard des voies publiques »; et que « ces droits ne [. . .] peuvent pas être annulés en raison de la possession adversative » (Hackett CSC, p. 256). Néanmoins, à l’instar de la division d’appel, le juge Duff a refusé de trancher le pourvoi sur ce fondement, affirmant au contraire qu’il n’y avait pas eu dépossession (p. 257).
  16.                       De toute évidence, Hackett CSC ne constitue pas en soi un arrêt ayant force obligatoire quant à l’inapplicabilité de la possession adversative aux biensfonds publics municipaux. Ni le pourvoi dont était saisie notre Cour ni celui dont était saisie la division d’appel ne portaient sur cette question. Néanmoins, les obiter dicta des juges Duff et Hodgins ont exprimé la crainte que les biensfonds détenus pour l’usage public, revêtant un caractère juridique similaire à celui d’une fiducie, puissent être incompatibles avec l’acquisition privée par possession adversative. Bien que l’arrêt Hackett CSC traite de la doctrine de l’affectation, les motifs du juge Duff envoient néanmoins un signal fort que l’usage public entre en conflit avec l’application des règles ordinaires menant à l’acquisition privée fondée sur la possession. Voilà pourquoi le juge Sossin a considéré ce message comme un obiter dictum mais pertinent pour l’évolution de la common law. En effet, ce raisonnement dans l’arrêt Hackett CSC sera plus tard cité dans la décision Oro-Medonte (Township) c. Warkentin, 2013 ONSC 1416, 30 R.P.R. (5th) 44, où les contours du test du bénéfice public commenceront à prendre une forme définie.
  17.                       La nature distincte des biensfonds publics a fait l’objet d’une attention renouvelée dans l’arrêt Teis c. Ancaster (Town) (1997), 35 O.R. (3d) 216 (C.A.). Dans cette affaire, le juge Laskin, s’exprimant au nom de la cour, a confirmé la conclusion du juge de première instance selon laquelle les demandeurs étaient propriétaires, par possession adversative, de deux bandes de parc municipal adjacentes à leur lot. La municipalité n’avait pas fait valoir que son titre sur les biensfonds publics était protégé contre la possession adversative ou soumis à des considérations particulières. Ainsi, la prémisse de départ des arguments des parties était que les biensfonds municipaux étaient soumis au même test relatif à la possession adversative que les biensfonds privés. La municipalité a simplement soutenu que le comportement des demandeurs ne satisfaisait pas à ce test, et sur cette question précise, le juge Laskin a donné raison aux demandeurs.
  18.                       Toutefois, constatant la faille dans les arguments de la municipalité, le juge Laskin a fait remarquer en obiter que plusieurs ressorts aux ÉtatsUnis et un ressort canadien, l’Alberta, avaient mis les biens municipaux à l’abri des revendications de possession adversative — certains par voie législative, d’autres par l’évolution de la common law. Il a également cité des remarques extrajudiciaires selon lesquelles le bienfonds municipal détenu pour le bénéfice public ne se prêtait pas à la possession adversative [traduction] « en règle générale », et que le législateur avait « expressément déclaré » cette règle en ce qui concerne les emplacements affectés à une route (Teis, p. 229, citant Household Realty Corp. Ltd. c. Hilltop Mobile Home Sales Ltd. (1982), 136 D.L.R. (3d) 481 (C.A. Ont.), p. 489). Le juge Laskin a ensuite posé, sans y répondre, la question de savoir si, [traduction] « sans une réforme législative, la protection contre la possession adversative dont bénéficient les rues municipales et les autoroutes devrait être élargie aux biensfonds municipaux utilisés comme parcs publics » (Teis, p. 229). Dans un commentaire, qui a été souligné plus tard par d’autres, le juge Laskin a écrit qu’il éprouvait [traduction] « un certain malaise à l’idée de confirmer un titre possessoire sur un bienfonds que la ville aurait sinon utilisé pour agrandir son parc public au bénéfice de ses résidents » (p. 228).
  19.                       Dans le but de replacer l’arrêt Teis dans son contexte, le juge Sossin a estimé que les motifs du juge Laskin voulaient dire qu’une municipalité peut [traduction] « renoncer à son titre présumé sur un parc public » (motifs de la C.A., par. 33). Dans ces conditions, et dans ce cas particulier, la renonciation s’est produite lorsque la municipalité a accepté l’application des règles « ordinaires » de la possession adversative (ibid.). Je reconnais qu’il s’agit là d’une interprétation large de l’affaire, mais elle a le mérite de chercher à concilier le malaise exprimé par le juge Laskin à l’idée d’autoriser la poursuite de la réclamation de possession adversative, et son commentaire dans le dernier paragraphe selon lequel la question de savoir si les parcs municipaux devraient être protégés contre la prescription adversative n’avait pas été [traduction] « clairement soulevé[e] » compte tenu de la position de la municipalité dans le litige (Teis, p. 229).
  20.                       La renonciation en tant que telle n’était pas le fondement de la décision, du moins pas expressément, et je ne considère pas que l’arrêt Teis permet de l’affirmer. Le juge Laskin a simplement pris note qu’il se sentait limité dans sa capacité à faire davantage qu’exprimer son malaise, étant donné la manière dont les parties ont lié contestation quant aux questions en litige dans leurs observations. Mais l’arrêt Teis reste un indicateur pertinent, vu l’obiter dictum exprès et soutenu du juge Laskin, qui reconnaît que la common law en matière de possession adversative peut aller audelà de l’affaire jugée. Considérée dans le courant jurisprudentiel plus large, l’importance de l’arrêt Teis réside dans sa reconnaissance expresse d’une question doctrinale non résolue. Alors que l’arrêt Hackett CSC a attribué un caractère distinct, analogue à celui d’une fiducie, aux biensfonds municipaux affectés au bénéfice public, l’arrêt Teis a envisagé la possibilité que la common law en matière de possession adversative en Ontario puisse s’adapter à des développements qui reconnaissent une telle distinction. En ce sens, le compte rendu de l’affaire rédigé par le juge Sossin n’ébranle pas sa conclusion finale.
  21.                       Le malaise du juge Laskin sera plus tard abordé dans la décision Prescott & Russell (United Counties) c. Waugh (2004), 15 M.P.L.R. (4th) 314 (C.S.J. Ont.). Dans cette affaire, la municipalité a présenté une requête en ordonnance de libre possession de deux bandes de terrain adjacentes à la propriété des intimés, dont l’une avait été réservée par la municipalité à des [traduction] « fins forestières » (par. 3). Les intimés exploitaient une scierie sur leur propriété, mais avaient également construit des remises et d’autres structures sur les bandes de terrain contestées. Par voie de motion, les parties ont demandé à la cour de se prononcer sur une question juridique préliminaire qui visait en partie à déterminer si les défendeurs étaient dans l’impossibilité d’acquérir un titre possessoire vu que les biensfonds étaient détenus pour le [traduction] « bénéfice public » (par. 89). En ce qui concerne les terres réservées à la foresterie, le juge Charbonneau a statué que, [traduction] « afin de protéger cet intérêt public vital et pour des raisons d’ordre public, les biensfonds détenus par une municipalité dans de telles circonstances ne peuvent pas faire l’objet d’une revendication de possession adversative » (par. 21).
  22.                       Peu après, dans la décision Woychyshyn c. Ottawa (City) (2009), 88 R.P.R. (4th) 155 (C.S.J. Ont.), la cour a également rejeté une revendication de possession adversative d’un parc municipal, estimant que la perte d’un parc public par possession adversative serait contraire à [traduction] « [l]’intérêt élevé du public » (par. 13). Après avoir examiné les jugements Hackett CSC, Teis et Waugh, le juge Ray a estimé que le parc en cause, [traduction] « étant un bienfonds appartenant à la municipalité, ne peut faire l’objet d’une revendication de titre possessoire » (par. 14). On peut alors constater que, suivant l’opinion émergente des tribunaux ontariens, la nature distincte des biensfonds publics municipaux exigeait au moins une certaine protection contre la possession adversative.
  23.                       Cette conception de l’intérêt du public lié à certains biensfonds municipaux et sa pertinence en matière de possession adversative a fait l’objet de son examen judiciaire le plus détaillé dans la décision Oro-Medonte. Dans cette affaire, la municipalité était propriétaire d’une bande de terrain qui séparait des dizaines de lots privés des rives du lac Simcoe. Les propriétaires privés des biensfonds avoisinants ont contesté la propriété de la municipalité, invoquant la possession adversative. La municipalité a alors présenté une requête en jugement déclaratoire, alléguant que le bienfonds en litige avait été acquis pour servir de voie publique et qu’il était utilisé à cette fin.
  24.                       Le juge Howden a statué que la municipalité n’aurait pas pu valablement acquérir le bienfonds pour l’utiliser comme voie publique, car elle n’avait pas le pouvoir de le faire en vertu de la législation provinciale (Oro-Medonte, par. 6970). Néanmoins, il a également conclu que le bienfonds en cause était mis à la disposition de la municipalité par son ancien propriétaire [traduction] « afin qu’il serve [. . .] l’intérêt public en tant que voie d’accès et espace commun pour la jouissance des propriétaires de lots et du public » (par. 69; voir aussi les par. 9697). Pour cette raison, et après avoir examiné les jugements Hackett CSC, Teis, Waugh et Woychyshyn, le juge Howden a établi un cadre permettant de déterminer quand un bienfonds municipal n’est pas susceptible de possession adversative. Il a décidé qu’une revendication de titre possessoire sur un bienfonds public municipal ne peut être accueillie lorsque (1) le bienfonds est acquis par la municipalité ou mis à sa disposition pour l’usage ou le bénéfice du public, et que (2) le bienfonds a été utilisé par le public et lui a procuré un bénéfice (par. 118119). Au regard de cette norme, il a accueilli la requête en jugement déclaratoire de la municipalité.
  25.                       Tout comme dans la présente affaire, la décision Oro-Medonte a consolidé la jurisprudence existante. Comme cela a été fait dans certaines des décisions plus anciennes, le juge Howden a souligné le caractère public du bienfonds — sa vocation et sa disponibilité — et l’a examiné à la lumière de la raison d’être et de la justification qui soustendent la possession adversative. Le cadre qu’il a élaboré à partir de son examen de la jurisprudence était déterminant pour la requête dont il était saisi. OroMedonte a ensuite été appliquée dans la décision Richard c. Niagara Falls, 2018 ONSC 7389, 4 R.P.R. (6th) 238 (voir, de façon générale, les par. 27 et 3539, conf. pour d’autres motifs, 2019 ONCA 531, 4 R.P.R. (6th) 248).
    1. Synthétiser la jurisprudence
  26.                       Considérée dans son ensemble, la jurisprudence indique que les tribunaux éprouvent constamment un « malaise » à l’idée d’accueillir les revendications de possession adversative présentées par des propriétaires privés à l’égard de biensfonds municipaux à caractère d’intérêt public. Le fait que les premières manifestations de ce malaise constituaient des remarques incidentes ne signifie pas, lorsqu’il s’agit de mesurer l’évolution du droit, que leur influence doit être totalement écartée. Comme l’a expliqué le juge Binnie dans l’arrêt R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609, « une ligne de démarcation très nette » entre la ratio decidendi et les obiter dicta simplifie à l’excès le mode évolutif des principes juridiques au fil du temps (par. 52). En effet, prises ensemble, les décisions expriment, avec une fermeté croissante, le point de vue que le caractère public d’un bienfonds municipal aura une incidence sur la possibilité de perte par possession adversative.
  27.                       À mon avis, il s’agit d’un thème important que le juge Sossin a tiré des jugements dans ses motifs. Comme il l’a fait remarquer à juste titre, le test du bénéfice public formulé dans la décision Oro-Medonte se composait de deux éléments. Le premier exigeait que le bienfonds en cause ait été acquis par la municipalité ou mis à sa disposition pour l’usage ou le bénéfice du public. Le second prévoyait que le terrain devait bel et bien avoir été utilisé à cette fin (Oro-Medonte, par. 118119). Fait important, le juge Sossin a compris que, même si le juge Howden a mentionné en passant que les biensfonds qui satisfont à ces deux éléments sont « à l’abri » des revendications de possession adversative (par. 119), le deuxième élément de la formulation employée dans la décision OroMedonte donne à penser que cette « immunité » serait éclipsée si le bienfonds en cause ne servait plus à l’usage ou au bénéfice du public. La formulation dans la décision Oro-Medonte ne fournissait pas, à elle seule, une feuille de route sur la marche à suivre. Elle laissait de côté la question de savoir comment une municipalité peut prouver que le bienfonds a bel et bien été utilisé par et pour le public lorsque la partie qui revendique la possession adversative fait valoir simultanément la possession exclusive. Dans la présente affaire, par exemple, la juge de première instance a estimé que la clôture prolongée des appelants bloquait l’accès du public (par. 63). En l’espèce, le juge Sossin s’appuie sur les conditions du test énoncé dans Oro-Medonte et les peaufine en faisant remarquer que les biensfonds acquis ou destinés [traduction] « à être accessibles au public [. . .] doivent être présumés avoir un usage pour le bénéfice public » et qu’« [i]l ne suffit pas de démontrer que les actes de propriétaires privés ont en fait empêché le public d’avoir accès au bienfonds » (par. 41 (en italique dans l’original)). Il s’agissait là d’un élément légitime de l’exercice de « recadrage » entrepris par le juge Sossin qui s’inspire clairement de la jurisprudence antérieure plutôt que de rompre avec elle.
  28.                       De plus, la formulation dans la décision Oro-Medonte a laissé sans réponse la question de savoir si la municipalité peut affecter ses propres biensfonds à un usage public afin de satisfaire au premier élément, ou si cette affectation doit avoir lieu au moment où la municipalité acquiert le titre de propriété. Dans l’arrêt Hughes c. Fredericton (City) (1999), 216 R.N.B. (2e) 387 (C.A.), un arrêt du NouveauBrunswick dont le juge Sossin a tenu compte à juste titre en raison de sa valeur persuasive, la cour a statué [traduction] « qu’en common law, le bienfonds municipal zoné comme parc est détenu en fiducie pour le public et ne peut généralement pas faire l’objet d’une possession adversative » (motifs de la C.A., par. 22, citant Hughes, par. 12).
  29.                       Si l’on accepte, comme le laisserait croire la jurisprudence, que (1) une municipalité peut affecter à un usage public ses propres biensfonds (ou des biensfonds acquis auprès d’une autre partie ou affectés par celleci) à cet usage, et que ce faisant (2) cette affectation crée une présomption que le bienfonds est effectivement utilisé à cette fin (motifs de la C.A., par. 42), alors les premier et deuxième éléments de la formulation employée dans la décision Oro-Medonte se réduisent simplement à une seule question : celle de savoir si le bienfonds municipal en cause a été affecté au bénéfice du public. Dans l’affirmative, le deuxième élément est présumé présent. Ces liens ont été implicitement reconnus par le juge Sossin lorsqu’il a fait remarquer que [traduction] « la juge de première instance a traité comme deux considérations distinctes ce qui devrait être considéré comme une seule question » (par. 41).
  30.                       La précision apportée par le juge Sossin à la jurisprudence comporte donc deux caractéristiques principales. Premièrement, il a regroupé la formulation employée dans la décision Oro-Medonte en une seule question. Deuxièmement, reconnaissant que les décisions ne consacraient pas une immunité, il a expliqué qu’elles reposaient sur une présomption réfutable selon laquelle les biensfonds acquis pour le bénéfice public ou affectés à cette fin sont utilisés ainsi jusqu’à preuve du contraire. Ces conclusions ne sont pas nouvelles, mais découlent d’une lecture attentive et approfondie de décisions qui, prises individuellement, ne fournissaient pas d’indications déterminantes pour le présent litige. Ces précisions ont conduit à la formulation finale du test du bénéfice public par le juge Sossin : [traduction] « . . . les revendications de possession adversative qui seraient autrement établies à l’endroit d’un bienfonds municipal ne seront pas accueillies lorsque le bienfonds a été acheté par la municipalité ou affecté par celleci à l’usage ou au bénéfice du public, et que la municipalité n’a pas renoncé à ses droits présumés sur le bienfonds, ou reconnu son usage par un ou plusieurs propriétaires privés ou acquiescé à un tel usage » (par. 47). Il ne s’agit pas d’une règle d’immunité, car le malaise exprimé dans la jurisprudence ontarienne pertinente ne va pas jusquelà. Sa formulation ne fait pas obstacle aux revendications à l’égard de biensfonds municipaux dans tous les cas. Elle articule plutôt une analyse structurée qui avait été occultée dans la jurisprudence traitant des préoccupations distinctes soulevées par les revendications de possession adversative à l’endroit de biensfonds publics municipaux.
  31.                       Je m’arrête brièvement ici pour souligner les menus détails du principe juridique énoncé par le juge Sossin et la manière dont il s’inscrit dans la tendance jurisprudentielle plus large examinée cidessus. Il avance que la reconnaissance et l’acquiescement témoignent d’une certaine connaissance de la part de la municipalité. En règle générale, la reconnaissance suppose une renonciation ou un accord effectif, tandis que l’acquiescement dénote un consentement tacite, mais éclairé. Cela est logique si le renversement de la présomption associée au test de l’intérêt public est assujetti à un critère rigoureux, ce qui serait comparable à la décision d’une municipalité, par exemple, de modifier la vocation d’un parc par un changement de zonage.
  32.                       Prenant les motifs du juge Sossin dans leur ensemble, il a décidé que, pour écarter la présomption d’usage public, il fallait généralement un élément de connaissance dans les deux cas. Il n’a pas examiné la question de savoir si, conformément à l’idée qu’un avis imputé puisse normalement suffire à établir la possession adversative, quelque chose de moins que la connaissance réelle de la municipalité pourrait suffire à renverser la présomption d’usage public. Je tiens à préciser que la doctrine de la possession adversative exige une preuve spécifique permettant d’établir qu’il y a eu avis imputé. Vu la nature de l’intérêt public à l’égard du bienfonds et les exigences liées à la surveillance des parcs par la municipalité, lorsque la preuve de connaissance imputée sert également à réfuter la présomption, cette preuve doit satisfaire à une norme élevée. Par exemple, la municipalité ne pourrait être avisée par imputation que si son acquiescement à un usage privé, par son comportement, est évident. En établissant une règle pour les biensfonds municipaux destinés à l’usage ou au bénéfice du public, ceuxci seront protégés contre la possession adversative à moins que la municipalité n’ait officiellement changé leur vocation ou qu’elle ait une connaissance (soit par imputation, soit dans les faits) de leur usage par un propriétaire privé et qu’elle y ait acquiescé. Je m’empresse de dire que, lorsque la preuve d’une connaissance imputée est présentée par le possesseur adversatif, elle peut être pertinente pour satisfaire à la fois à la norme élevée requise pour réfuter la présomption d’usage public et à la condition distincte d’établir les éléments de la possession adversative selon le test ordinaire de common law. Comme je vais m’efforcer de le démontrer, la preuve présentée par les appelants en l’espèce répondait à la condition d’avis imputé de la possession adversative, mais ne satisfaisait pas au test plus rigoureux selon lequel, à l’époque pertinente, la Ville avait acquiescé à l’usage privé du parc.
  33.                       La présente espèce doit être tranchée en fonction du droit de l’Ontario, en tenant particulièrement compte de la manière dont l’évolution de la common law qui protège les biensfonds municipaux de la possession adversative interagit avec la loi sur la prescription et d’autres lois relatives à l’acquisition de biensfonds dans cette province. Toutefois, à l’appui de leurs points de vue respectifs, tant les appelants que la Ville invoquent, en tant que source faisant autorité de manière persuasive, les règles émanant d’autres ressorts que l’Ontario.
  34.                       La Ville affirme que la jurisprudence américaine aide à expliquer le point de vue des juges majoritaires de la Cour d’appel en l’espèce selon lequel certains types de biensfonds publics sont moins susceptibles, ou différemment susceptibles, de possession adversative que les biensfonds privés. La Ville ajoute qu’aux ÉtatsUnis, les tribunaux ont reconnu le principe de longue date voulant que les biensfonds publics ne puissent faire l’objet d’une possession adversative en common law. Les règles traditionnelles de common law observées aux ÉtatsUnis, selon lesquelles les biensfonds appartenant à une entité gouvernementale étaient à l’abri d’une possession adversative, s’expliquent par l’idée que les terres du gouvernement sont détenues [traduction] « en fiducie » pour tous les citoyens : « Ainsi, » a écrit John G. Sprankling, « l’objectif que vise à atteindre la possession adversative — le bienêtre général de la société — est le mieux protégé par le maintien de la propriété publique, et non par le transfert de titre à un propriétaire privé » (Understanding Property Law (5e éd. 2023), p. 482). Comme je l’ai souligné d’entrée de jeu, la justification traditionnelle du fait de permettre à un possesseur productif d’acquérir un bienfonds appartenant au détenteur inactif d’un titre documentaire n’explique pas pourquoi la loi autoriserait un possesseur privé à priver une municipalité d’un bienfonds destiné au bénéfice du public, tel un parc. Certains universitaires américains ont fait valoir que l’idée même d’un usage plus productif pourrait ne pas englober la valeur du bienfonds public pour la collectivité. Le parc conserve sa valeur pour la collectivité parce qu’il n’est pas exploité de manière productive; les valeurs associées à la préservation d’un environnement écologique et naturel sont la raison même pour laquelle de nombreuses collectivités considèrent les parcs comme étant d’intérêt public (voir, p. ex., A. B. Klass, « Adverse Possession and Conservation : Expanding Traditional Notions of Use and Possession » (2006), 77 U. Colo. L. Rev. 283, cité dans Kaplinsky, Lavoie et Thomson, p. 167).
  35.                       Fait remarquable, dans leur analyse respective du droit canadien, tant les appelants que la Ville invoquent le droit québécois relatif à l’acquisition des immeubles par prescription acquisitive à l’appui de leurs points de vue. Les appelants invoquent les règles sur la prescription acquisitive prévues au Code civil du Québec  C.c.Q. »), telles qu’elles ont été traitées par notre Cour dans l’arrêt Ostiguy c. Allie, 2017 CSC 22, [2017] 1 R.C.S. 402, où le juge Gascon a reconnu à juste titre que « la fonction première de la prescription acquisitive est d’assurer la stabilité des droits de propriété » (par. 26; voir le m.a., par. 99). Cependant, aussi utile que soit l’arrêt Ostiguy pour mettre en évidence une communauté d’idées et d’objectifs entre les règles du droit civil sur la prescription acquisitive et la possession adversative en common law, les appelants ne soulignent pas que ce pourvoi concernait un litige entre deux propriétaires privés voisins et ne portait pas sur l’acquisition d’un terrain public ou municipal comme dans le présent pourvoi. De manière plus utile, la Ville fait remarquer que l’art. 916 C.c.Q. prévoit, dans le cadre du [traduction] « droit commun » codifié du Québec, que les biens des personnes morales de droit public — y compris les municipalités — ne peuvent être acquis par prescription lorsque ces biens sont « affectés à l’utilité publique » (m.i., par. 82, note en bas de page 93). Le droit québécois crée ce qu’on appelle parfois une « dualité domaniale » pour les municipalités : un domaine public, où la destination de l’immeuble à l’usage ou au bénéfice du public le protège contre l’acquisition par prescription, et un « domaine privé » de la municipalité qui, comme un bien détenu par un propriétaire privé, est susceptible de faire l’objet d’une telle acquisition.
  36.                       De manière similaire à l’exposé fourni par le juge Sossin en l’espèce pour les biensfonds municipaux en Ontario, l’affectation d’un immeuble à l’utilité publique en droit québécois réfère à la destination ou à la mission attribuée à l’immeuble par la municipalité ou une autre autorité publique, et non à l’usage qui en est réellement fait (Douglas Consultants inc. c. Unigertec inc., 2021 QCCA 384, par. 1314). L’immeuble municipal qui a été affecté à l’utilité publique, parce qu’il relève de ce qu’on considère son domaine public, est protégé contre la prescription acquisitive jusqu’à ce que la municipalité prenne des mesures pour permettre le transfert de l’immeuble dans son domaine privé, auquel cas il peut être acquis par prescription (voir S. Normand, Introduction au droit des biens (3e éd. 2020), p. 490491).
  37.                       L’article 916 C.c.Q. a été interprété de manière à inclure les parcs municipaux dans le domaine public, en vue de permettre la protection et la conservation des espaces naturels, au bénéfice de tous. Dans ce cas, le parc est donc affecté à l’utilité publique et, à ce titre, n’est pas susceptible de prescription acquisitive (Karkoukly c. Westmount (Ville de), 2014 QCCA 1816, par. 2124). Mais d’une manière qui à nouveau fait écho à l’explication donnée par le juge Sossin à la common law de l’Ontario, un immeuble municipal au Québec peut perdre son statut de bien du domaine public lorsque sa destination est modifiée par la municipalité de telle sorte qu’il n’est plus affecté à l’utilité publique. Cela se produit lorsque l’affectation de l’immeuble est modifiée par un acte officiel de la municipalité, tel qu’un règlement de zonage (Karkoukly, par. 31, citant J. Hétu et Y. Duplessis, avec la collaboration de L. Vézina, Droit municipal : Principes généraux et contentieux (2e éd. (feuilles mobiles)), vol. 1, par. 7.51).
  38.                       L’analyse de la jurisprudence ontarienne par le juge Sossin a fait état non seulement aux idées qui ont animé la common law de l’Ontario, mais aussi aux valeurs associées à l’intérêt public dans certains types de biensfonds municipaux, telles qu’elles sont reconnues dans d’autres systèmes juridiques. Les motifs du juge Sossin ont traité de la jurisprudence dans toute sa diversité et toute son ampleur, parfois inégales, en tenant compte à la fois des remarques en obiter et des dicta contraignants. Ce faisant, il a pu identifier et articuler, à partir d’éléments disparates de commentaires faits par les tribunaux, un principe fonctionnel qui permet de trancher le présent pourvoi. Après avoir examiné son analyse, je conviens que la common law peut reconnaître et reconnaît bel et bien la nature distincte des biensfonds publics municipaux en ce qui concerne la limitation de la théorie de la possession adversative. Par conséquent, selon la common law telle qu’elle a évolué en Ontario, le bienfonds réservé par une municipalité à l’usage ou au bénéfice du public en tant que parc doit être présumé utilisé pour le public et protégé contre la possession adversative. Pour renverser cette présomption, le demandeur doit démontrer que la municipalité a modifié la vocation du bienfonds par rapport à celle qui lui était destinée pour usage public à titre de parc, ou qu’elle avait une connaissance réelle ou imputée de son usage privé, et qu’elle y a donc acquiescé.
  39.                       Avec égards, les appelants ne font que mentionner brièvement la formulation du test du bénéfice public par le juge Sossin et la jurisprudence sur laquelle elle s’appuie. On ne peut pas juger en toute connaissance de cause si la common law est complètement écartée par les dispositions de la LPABI sans se pencher en détail sur la jurisprudence. Agir autrement serait contraire à l’opinion établie de longue date selon laquelle « [a]fin de déterminer les interrelations entre la common law et le droit statutaire, on doit premièrement analyser, identifier et énoncer la common law applicable » (2747-3174 Québec Inc., par. 97; voir aussi R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd. 2022), § 17.01[1]). De plus, un examen du texte, de l’objet et du contexte de la LPABI remet en question l’idée qu’il s’agit d’un code complet incompatible avec la common law. C’est à cet exercice que je me livre maintenant, conformément à la deuxième question dans l’analyse proposée dans l’arrêt Basque.
  1. La législation applicable
  1.                       Les appelants font valoir que la qualité de leur possession du bienfonds en litige en vertu de la common law applicable était suffisante pour déclencher le délai de prescription prévu par la loi. Par la suite, la LPABI, bien comprise et appliquée à leur situation, règle le pourvoi en leur faveur. Ils affirment que, selon les art. 4 et 15 de la LPABI, leur revendication de titre par possession adversative était recevable, et que, par application de l’art. 44 et du par. 51(2) de la LEDI, cette revendication recevable a été préservée. Ils soutiennent que l’art. 16 de la LPABI met certains biensfonds publics à l’abri de la possession adversative, mais que le législateur n’avait pas l’intention d’étendre cette exemption aux parcs municipaux.
  2.                       D’après les appelants, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont négligé le fait que, par le biais de la LPABI et de la LEDI, le législateur [traduction] « a codifié le droit de la possession adversative » (m.a., par. 5). En concluant que les appelants n’avaient aucun droit en vertu de la LPABI, les juges majoritaires ont créé une nouvelle immunité contre la possession adversative dans le cas des parcs municipaux, ce qui a eu pour effet de modifier, par une intervention judiciaire illégitime, un [traduction] « régime législatif complet et valablement adopté » (m.a., par. 3), agissant ainsi contrairement au principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs entre les branches législative et judiciaire du gouvernement. Les appelants demandent à notre Cour de leur accorder les mesures de redressement qu’ils ont sollicitées en première instance, notamment un jugement déclaratoire portant qu’ils sont propriétaires du bien-fonds en litige par possession adversative.
  3.                       Les appelants ont bien sûr raison de dire que la LPABI régit, de différentes manières et dans différents contextes, les revendications pour le recouvrement de biensfonds (P. M. Perell et J. W. Morden, The Law of Civil Procedure in Ontario (5e éd. 2024), ¶2.430). Elle édicte, entre autres, certains délais de prescription pour la revendication de biensfonds, ce qui a pour effet d’empêcher un propriétaire dépossédé d’intenter une action en justice audelà de ces délais (LPABI, art. 4; voir aussi Commission de réforme du droit de l’Ontario, Report on Limitation of Actions (1969), p. 10). La loi dispose également que, dans de tels cas, le droit initial du propriétaire s’éteint (LPABI, art. 15; voir aussi Kaplinsky, Lavoie et Thomson, p. 164). Mais en Ontario, la loi ne prévoit pas ellemême toutes les conditions requises pour transférer le titre au possesseur. Comme le font remarquer les auteurs Michel Bastarache et Andréa Boudreau Ouellet, « [l]’application de la prescription extinctive n’a pas pour effet d’accorder un titre à l’intrus; elle n’opère pas transport du titre » (Précis du droit des biens réels (2e éd. 2001), p. 256, citant Krause c. Happy, [1960] O.R. 385 (C.A.)). Cela, expliquentils, dépend de la théorie de la prescription extinctive en common law qui coexiste avec la loi (ibid.).
  4.                       Les articles 4, 15 et 16 de la LPABI présentent un intérêt particulier pour les besoins du présent pourvoi. De manière générale, l’art. 4 fixe un délai de prescription pour les actions en revendication de bienfonds qui expire 10 ans après la dépossession; l’art. 15 éteint le titre à l’expiration du délai de prescription; l’art. 16 soustrait à la prescription certains biensfonds de la Couronne, les biensfonds compris dans un emplacement affecté à une route et les biensfonds réservés ou tracés comme voies publiques. L’effet pratique de l’art. 16 est que les catégories de biensfonds énumérées sont à l’abri de l’extinction et, partant, de la possession adversative.
  5.                       L’issue du présent pourvoi dépend en grande partie de la question de savoir si l’art. 16 établit une liste fermée et exhaustive destinée, par le législateur, à écarter et à supplanter la common law. Si tel est le cas, alors le test du bénéfice public ne s’applique pas au bienfonds en cause. Ainsi que la Cour l’a confirmé dans l’arrêt Basque, cette question de savoir si le législateur cherchait à écarter les règles de common law doit être tranchée par interprétation de la loi. À cette fin, je propose maintenant d’examiner le texte, le contexte et l’objet de l’art. 16.
    1. Le texte de l’art. 16 ne traite pas de l’application de la common law
  6.                       L’article 16 de la LPABI est ainsi libellé :

16 Les articles 1 à 15 ne s’appliquent ni aux biens-fonds nus ou en friche de la Couronne, qu’ils soient ou non arpentés, ni aux biensfonds compris dans un emplacement affecté à une route dont on a fait le levé et le tracé avant ou après l’entrée en vigueur de la présente loi, ni aux biensfonds réservés ou tracés comme voies publiques lorsque la propriété franche de cet emplacement affecté à une route ou de cette voie est dévolue à la Couronne, à une municipalité, à une commission ou à un autre organisme public. Toutefois, le présent article n’est pas réputé porter atteinte à un droit, à un titre ou à un intérêt acquis par une personne avant le 13 juin 1922.

 

16 Nothing in sections 1 to 15 applies to any waste or vacant land of the Crown, whether surveyed or not, nor to lands included in any road allowance heretofore or hereafter surveyed and laid out or to any lands reserved or set apart or laid out as a public highway where the freehold in any such road allowance or highway is vested in the Crown or in a municipal corporation, commission or other public body, but nothing in this section shall be deemed to affect or prejudice any right, title or interest acquired by any person before the 13th day of June, 1922.

  1.                       Le texte de l’art. 16 est silencieux quant à la question de savoir si sa liste est exhaustive. Bien qu’il soustraie certains biensfonds à l’application des art. 1 à 15 de la LPABI, et protège ainsi ces biensfonds contre l’extinction et la possession adversative, il ne précise pas si les autres biensfonds publics sont ou non susceptibles de possession adversative. Cela est vrai tant pour la version française que pour la version anglaise de la disposition. Par ailleurs, l’art. 16 ne contient pas de texte prévoyant d’autres exemptions en common law. Il est pourtant vrai que le législateur n’utilise pas de formulation telle que « sans se limiter à ce qui précède » qui donnerait à penser que la liste est ouverte.
  2.                       Les appelants prétendent que l’omission des parcs municipaux de la liste est déterminante. Selon eux, la spécificité du libellé de l’art. 16, combinée à l’absence de tout signe d’ouverture, signifie que le législateur a délibérément choisi de ne pas soustraire ces biensfonds. La Ville soutient que le libellé de l’art. 16 ne vise pas à codifier toute la portée des biensfonds publics protégés contre la possession adversative. Bien que l’art. 16 soustraie certains biensfonds à l’application de la LPABI, il n’interdit pas aux tribunaux d’établir d’autres limites en vertu de la common law.
  3.                       Avec égards, je ne partage pas l’opinion selon laquelle la maxime d’interprétation expressio unius est exclusio alterius la mention de l’un implique l’exclusion de l’autre »), lorsqu’on l’applique en l’espèce, porte à croire que l’art. 16 fonctionne comme une liste exhaustive des biensfonds soustraits à la possession adversative. Le législateur n’a pas adopté la disposition dans un but unique ou uniforme. L’article 16 est plutôt l’expression de modifications disparates apportées au fil de plusieurs décennies, et dans au moins un de ces cas, le législateur n’est intervenu que lorsque les tribunaux ne l’ont pas fait. Il ne faut pas appliquer la maxime lorsque l’intention du législateur est mieux expliquée autrement. Dans l’arrêt Basque, la Cour a fait une remarque similaire en soulignant que « le contexte ne perme[t] pas toujours de présumer la pensée non exprimée d’un législateur » (par. 49). L’historique de l’art. 16 de la LPABI dressé cidessous ne permet pas de conclure qu’en énumérant des exemples de biensfonds publics à l’abri de la possession adversative, le législateur avait nécessairement l’intention de reconnaître que d’autres types de biensfonds publics non mentionnés à l’art. 16 pouvaient être acquis de cette manière.
  4.                       D’après leur sens ordinaire, le libellé et la structure de l’art. 16 ne révèlent pas une intention de définir de manière exhaustive tous les biensfonds à l’abri de la possession adversative, à l’exclusion du traitement réservé par la common law aux catégories de biensfonds publics qui ne figurent pas sur la liste. L’article 16 n’exclut pas non plus le pouvoir de common law de reconnaître, parallèlement aux catégories de biensfonds bénéficiant d’une immunité totale qui sont expressément reconnues, d’autres catégories de biensfonds publics qui — à l’instar des parcs municipaux — bénéficient d’un test beaucoup plus rigoureux en matière de possession adversative.
    1. Le contexte historique semble indiquer une coexistence avec la common law
  5.                       La LPABI reflète l’influence persistante du droit anglais du XIXe siècle. Même aujourd’hui, elle est décrite comme [traduction] « sui[vant] de près les lois impériales » (G. Mew, D. Rolph et D. Zacks, The Law of Limitations (4e éd. 2023), § 12.01). Un examen de son origine législative donne à penser que ses racines remontent à la Real Property Limitation Act, 1833, 3 & 4 Will. 4, c. 27, de l’Angleterre. La législature de l’Ontario prendra ses propres mesures législatives en 1902, 1914 et 1922, lesquelles seront amalgamées en 1960 et, à nouveau, en 1990 (The Statute Law Revision Act, 1902, S.O. 1902, c. 1; The Limitations Act, R.S.O. 1914, c. 75 (« Limitations Act, 1914 »); The Limitations Act, 1922, S.O. 1922, c. 47; Limitations Act, R.S.O. 1960, c. 214; Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1990, c. L.15).
  6.                       Dans sa forme actuelle, la LPABI est la loi qui succède à la partie I de la loi de 1990. D’autres parties de cette loi ont été modernisées et consolidées dans l’actuelle Loi de 2002 sur la prescription des actions, L.O. 2002, c. 24, ann. B (J. Lee, « An Overview of the Ontario Limitations Act, 2002 » (2004), 28 Advocates’ Q. 29, p. 32). Toutefois, les dispositions relatives aux biens immeubles de la loi de 1990 ont été conservées sans modification (Marriott and Dunn : Practice in Mortgage Remedies in Ontario (5e éd. (feuilles mobiles)), § 1:8; Mew, Rolph et Zacks, § 12.01; Lee, p. 32). En fait, un examen du texte de la LPABI révèle que ses dispositions sont restées pratiquement inchangées depuis 1960.
  7.                       Loin d’avoir été écartée par la LPABI et la loi qui l’a précédée, la common law a continué de s’appliquer parallèlement aux lois existantes régissant les biens immeubles. Il convient de souligner que, dès l’époque des lois impériales du 19e siècle, les interventions législatives ne servaient qu’à éteindre le titre du propriétaire initial. Elles n’ont pas non plus précisé que le squatteur obtiendrait par la suite un titre possessoire en fief simple. Commentant la loi anglaise de 1833, le professeur Luke Rostill propose un argument convaincant selon lequel la source du titre du squatteur n’est pas, comme on le pense parfois, l’application de la loi à l’expiration du délai prévu par celleci (Possession, Relative Title, and Ownership in English Law (2021), p. 85, citant Tichborne c. Weir (1892), 67 L.T. 735 (C.A.), p. 737 : [traduction] « . . . la loi a non pas pour effet de transférer le droit d’une personne à une autre, mais d’éteindre et de détruire ce droit » (voir aussi la p. vi)).
  8.                       Une relation complémentaire semblable entre la loi et la common law ressort de l’historique de l’art. 16 luimême. Cette disposition consolide plusieurs interventions législatives qui protègent certains biensfonds contre l’extinction et la possession adversative. Ainsi, en 1902, le législateur a adopté un délai de prescription de 60 ans pour la revendication d’un bienfonds détenu par la Couronne (The Statute Law Revision Act, 1902, art. 17; voir, de façon générale, Procureur général de l’Ontario c. Walker, [1975] 1 R.C.S. 78, p. 82). Cependant, en 1914, il a soustrait les [traduction] « biensfonds nus ou en friche de la Couronne » à l’application des délais de prescription, les protégeant ainsi contre l’extinction et la possession adversative (Limitations Act, 1914, art. 17). Et en 1922, le législateur a élargi les catégories de biensfonds protégés contre l’extinction et la possession adversative afin d’y inclure les voies publiques et les emplacements affectés à une route non ouverte (The Limitations Act, 1922, art. 2).
  9.                       L’intervention législative de 1922 est particulièrement digne de mention. À cette époque, les tribunaux de common law avaient déjà confirmé à maintes reprises qu’une route était, de par sa nature, protégée contre l’extinction et la possession adversative. Par exemple, dans l’arrêt Hackett CA, à la p. 323, le juge Hodgins a mentionné que [traduction] « route un jour route toujours », citant le juge Byles dans Dawes c. Hawkins (1860), 8 C.B. (N.S.) 848, 141 E.R. 1399, p. 1403. Les tribunaux ont cependant refusé d’aller plus loin et de confirmer la même chose en ce qui concerne les emplacements affectés à une route non ouverte (voir Household Realty Corp. Ltd., p. 492). Il semble que ce soit en raison de cette hésitation de la part des juges que le législateur est intervenu pour protéger les emplacements affectés à une route non ouverte. Le fait que cette intervention a été motivée par l’évolution de la jurisprudence donne à penser que l’art. 16, tout comme la LPABI dans son ensemble, a évolué parallèlement à la common law, et non séparément de celleci, et que les deux continuent de s’appliquer conjointement.
    1. La LPABI ne révèle aucun objectif du législateur d’écarter la common law
  10.                       Il est difficile d’attribuer un seul objectif dominant à l’adoption de la LPABI. Comme je l’ai déjà mentionné, les règles accumulées régissant les délais de prescription ont finalement été fusionnées dans la Limitations Act de 1960. Cette loi contenait [traduction] « un ensemble de dispositions tirées de treize lois anglaises édictées entre 1588 et 1888 », et était « complexe, confuse et obscure » (Commission de réforme du droit de l’Ontario, p. 7 et 65). Les dispositions relatives aux biens immeubles ont néanmoins été maintenues dans les lois qui ont suivi, et elles sont restées pratiquement inchangées.
  11.                       Cette conclusion est également appuyée par un examen du régime législatif de la LPABI, qui présente des incohérences internes et témoigne donc d’objectifs législatifs limités et changeants. Un exemple frappant concerne le traitement des biensfonds de la Couronne mentionné dans au moins trois dispositions distinctes. Le paragraphe 3(1) établit un délai de prescription de 60 ans pour les actions intentées par la Couronne en revendication de bienfonds, et le par. 3(2) prévoit expressément l’application de l’art. 15 aux biensfonds de la Couronne. Ces dispositions impliquent que le titre de propriété de la Couronne sur un bienfonds peut être éteint et faire l’objet d’une possession adversative. D’autre part, l’art. 16 soustrait certains biensfonds de la Couronne à l’application des art. 3 et 15. Ces dispositions incohérentes tendent à indiquer que la LPABI consolide plusieurs niveaux de logique législative qui souffrent d’un manque de principe harmonisateur permettant de les rendre cohérentes (voir, de façon générale, Mew, Rolph et Zacks, § 12.01; Lee, p. 2930).
  12.                       Des observations similaires peuvent être formulées lorsque la LPABI est examinée dans le contexte législatif plus large régissant les biens immeubles en Ontario. L’article 51 de la LEDI en est un bon exemple. Cette disposition prévoit qu’à quelques exceptions près, aucun titre de propriété sur un bienfonds enregistré ne peut être acquis par possession adversative après son enregistrement. La LPABI ne fait toutefois aucune mention du statut d’enregistrement, ni ne restreint ainsi l’application de ses dispositions relatives à l’extinction, y compris les art. 4 et 5. Ces lois se recoupent de manière nuancée, mais ne prévoient aucun mécanisme d’harmonisation (voir B. Bucknall, « Limitations Act, 2002 and Real Property Limitations Act : Some Notes on Interpretative Issues » (2005), 29 Advocates’ Q. 1, p. 89; V. Di Castri, Registration of Title to Land (feuilles mobiles), § 18:79). La Loi sur les terres publiques, L.R.O. 1990, c. P.43, régit les biensfonds détenus par la Couronne du chef de l’Ontario, et interdit expressément l’acquisition de tout intérêt sur ces biensfonds par possession adversative ou prescription. En particulier, la Loi sur les terres publiques prévoit que cette interdiction de la possession adversative s’applique malgré toute autre règle de droit, « notamment la [LPABI], toute autre loi ou toute règle de common law » (par. 17.1(1)). Non seulement ce libellé entretil en conflit apparent avec la LPABI, mais il envisage également le maintien de l’application de la common law aux intérêts découlant de la possession adversative. Cela reflète une tendance générale à la fragmentation législative et étaye la conclusion selon laquelle la LPABI n’a pas été conçue pour servir de code complet ou exclusif (Lee, p. 2930 et 32). Elle suppose plutôt un contexte juridique dans lequel ses dispositions s’appliquent parallèlement à d’autres régimes, notamment la common law, et sont façonnées par ceuxci (Q. M. Annibale, Municipal Lands : Acquisition, Management and Disposition (feuilles mobiles), § WP:5.50).
  13.                       Ce contexte définit la démarche interprétative que les tribunaux doivent adopter à l’égard de la LPABI. Contrairement à la Loi de 2002 sur la prescription des actions en vigueur, qui est le fruit d’une initiative de modernisation soutenue (Lee, p. 29 et 32), la LPABI a hérité d’un regroupement de dispositions qui ont été conservées sans révision législative en profondeur (Mew, Rolph et Zacks, § 12.01). La LPABI ne contient ni préambule ni disposition interprétative, et ne formule pas non plus expressément d’objectif dominant. Loin d’être un code complet manifestant une intention délibérée du législateur, la LPABI semble plutôt être davantage une [traduction] « mosaïque de dispositions disparates » (§ 1.02) qui a été élaborée par àcoups et sur de longues périodes.
  14.                       L’article 16 en est un bon exemple. Tel qu’il est exposé plus haut, l’art. 16 regroupe plusieurs protections adoptées par le législateur au début du 20e siècle contre l’extinction et la possession adversative. La décision de protéger expressément les routes et les emplacements affectés à une route non ouverte a été prise en réaction et parallèlement à l’évolution de la common law. L’omission des parcs à l’art. 16 ne reflète pas un choix nécessaire du législateur de refuser des protections supplémentaires si cellesci devaient être reconnues en vertu de la common law. Au contraire, le fait que l’intervention législative de 1922 semble avoir été motivée par l’évolution de la jurisprudence tend à indiquer que l’art. 16 a évolué parallèlement à la common law, et non indépendamment de celleci. Ainsi, même si on peut dégager un objectif symbolique à l’égard de l’art. 16 — en ce qu’il met certains biensfonds à l’abri de l’extinction et de la possession adversative — la logique qui soustend la manière dont ces biensfonds ont été identifiés révèle que l’art. 16 s’appliquera parallèlement à la common law.
  15.                       Par conséquent, en toute déférence, je ne partage pas l’opinion selon laquelle l’évolution législative de l’art. 16 témoigne d’un processus délibéré et concerté en vue d’écarter ou d’évincer la common law telle qu’elle s’applique aux parcs municipaux. Il n’y a pas de directive expresse dans un sens ou dans l’autre, et je ne vois aucun signe d’un dessein de la part du législateur permettant de conclure que le silence à l’égard des parcs municipaux reflète une intention délibérée. Bien que le législateur ait pu introduire des exemptions pour certaines catégories de biensfonds — tels que les biensfonds nus ou en friche de la Couronne et les voies publiques — au fil du temps, rien n’indique qu’il ait cherché simultanément à exclure les biensfonds publics municipaux de toute protection prévue par la common law. Il n’a tout simplement pas conféré, par la loi, l’immunité à ces biensfonds.
  16.                       Il faut voir l’art. 16 comme une disposition qui a introduit des exemptions spécifiques qui continuent de s’appliquer à l’intérieur du cadre plus large de la common law. Comme le fait remarquer l’intervenante la ville d’Ottawa, l’art. 16 est allé audelà de la common law à certains égards, plus particulièrement en soustrayant les biensfonds en friche de la Couronne et les emplacements affectés à une route non ouverte aux revendications de titre possessoire, mais rien n’indique qu’il visait à écarter d’autres théories établies, telles que l’affectation (m. interv., par. 2425). Cela s’accorde avec l’avis des auteurs juridiques selon lequel, lorsque la loi n'écarte pas expressément les principes de common law, elle doit être interprétée à la lumière du cadre juridique dans lequel elle a été adoptée (Sullivan, § 15.05[1] et 17.01.Pt1[4][5]).
  17.                       Lorsque la loi est silencieuse, on ne peut présumer l’intention d’écarter les principes de common law existants, surtout en l’absence d’un libellé législatif clair ou d’une formulation qui, par implication nécessaire, semble dire le contraire (Sullivan, § 15.05[1]; voir Basque, par. 49, citant D.L.W., par. 21; voir aussi Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 19, [2016] 1 R.C.S. 306, par. 36). Cette interprétation s’aligne sur l’opinion, exprimée tant dans la jurisprudence que dans la doctrine, selon laquelle la LPABI s’applique de concert avec les principes de common law et n’empêche pas leur application continue. La question de savoir si l’omission des parcs municipaux témoigne d’une intention de la part du législateur ou des aléas de l’histoire doit être abordée dans cette perspective plus large. Je me pencherai maintenant sur cette relation entre la loi et la common law.
  1. Cerner la relation entre la common law et la LPABI
  1.                       Comme je l’ai déjà dit, une fois lue dans toute son étendue et toutes ses nuances, la jurisprudence appuie la reconnaissance par le juge Sossin du caractère distinct des parcs publics municipaux dans le contexte de la possession adversative. À mon avis, cette jurisprudence reflète un principe établi et intelligible : le bienfonds réservé par une municipalité à l’usage ou au bénéfice du public en tant que parc doit être présumé utilisé par le public et, à ce titre, protégé contre la possession adversative. Pour renverser cette présomption, le demandeur doit démontrer que la municipalité a modifié la vocation du bienfonds par rapport à celle qui lui était destinée pour l’usage du public à titre de parc, ou qu’elle avait une connaissance réelle ou imputée de son usage privé, et qu’elle y a donc acquiescé.
  2.                       Aucun élément du texte de l’art. 16, ou de la LPABI de manière plus générale, ne donne à penser que le législateur voulait écarter le test du bénéfice public en common law. Bien que le texte de l’art. 16 n’apporte pas de réponse claire, son contexte et son objet témoignent du souci récurrent du législateur de protéger les biensfonds essentiels aux infrastructures publiques et au développement civique, sans exclure la possibilité d’autres protections prévues par la common law. Par conséquent, il n’existe aucune intention discernable du législateur d’écarter la common law ou de rendre tous les biensfonds publics non énumérés vulnérables à l’extinction et à la possession adversative de titre.
  3.                       Les parties ont consacré beaucoup d’énergie à la question de savoir si la LPABI constituait un code complet en matière de possession adversative, et en particulier si cela signifiait que la liste figurant à l’art. 16 était nécessairement exhaustive. Mais que le législateur ait voulu que l’art. 16 fasse partie ou non d’un code complet, la véritable question est de savoir si la loi a écarté la common law pour d’autres catégories de biensfonds publics, explicitement ou par implication nécessaire. À mon avis, une grande partie du droit en matière de possession adversative demeure ancrée dans la common law; tant les appelants que la Ville reconnaissent que les qualités traditionnelles de la possession proviennent de la common law, et non de la loi.
  4.                       Comme l’a utilement fait valoir l’intervenant le procureur général de la ColombieBritannique, [traduction] « la LPABI n’a pas besoin de constituer un code complet pour avoir pour effet de limiter ou d’écarter la common law » (m. interv., par. 37). La clé, c’est de discerner l’intention du législateur de soumettre les biensfonds publics municipaux à la possession adversative eu égard au choix de ne pas les inclure dans la liste des biensfonds exemptés à l’art. 16. Je suis du même avis que les appelants : si le législateur voulait que la common law soit écartée, au lieu d’être modifiée ou interprétée comme coexistant avec la loi, cette intention doit être respectée par les tribunaux (m.a., par. 17; voir aussi Mowatt, par. 27, le juge Brown).
  5.                       Je conviens également que les tribunaux doivent éviter de statuer d’une manière qui viderait de tout son sens quelque partie de la LPABI, ce qui pourrait être interprété comme une violation indirecte de l’intention du législateur. Le procureur général de la ColombieBritannique se demande quelle utilité conserverait l’art. 16 en ce qui a trait aux biensfonds municipaux si tous les biensfonds appartenant à une municipalité étaient soustraits à la possession adversative.
  6.                       La réponse dans ce cas est claire. Le juge Sossin n’a pas décidé que tous les biensfonds appartenant à une municipalité étaient soustraits à la possession adversative ou à l’abri de celleci. Il a plutôt reconnu que la common law considérait une catégorie de biensfonds municipaux, en particulier les parcs en l’espèce, non pas comme étant immunisés, mais comme étant présumés protégés contre la possession adversative lorsqu’ils sont destinés au bénéfice et à l’usage du public. De plus, en s’appuyant sur la jurisprudence, il a expliqué le fondement sur lequel la présomption pouvait être renversée par des demandeurs tels que M. Kosicki et Mme Munro. Son interprétation est entièrement compatible avec l’art. 16 de la LPABI. Selon le test du bénéfice public applicable aux parcs municipaux, tel qu’expliqué par le juge Sossin, il demeure possible d’acquérir le bienfonds public en question, ce qui n’est pas le cas des routes, des biensfonds nus ou d’autres catégories de biensfonds publics pour lesquels l’art. 16 de la LPABI prévoit une immunité complète contre la possession adversative.
  7.                       Enfin, je suis d’accord avec la Ville pour dire que l’analyse servant à déterminer si le test du bénéfice public applicable aux biensfonds municipaux, tel que reformulé par les juges majoritaires de la Cour d’appel, est conforme à l’intention du législateur ne peut faire abstraction des autres dispositions de la LPABI. Par exemple, la « dépossession ou [. . .] l’interruption de possession » du propriétaire d’un bienfonds visé au par. 5(1) de la LPABI — la disposition qui déclenche le début du délai de prescription prévu à l’art. 4 — n’est pas définie dans la LPABI, et les éléments pertinents de la possession adversative ont été élaborés par les tribunaux (Mowatt, par. 1718). Non seulement le test du bénéfice public dont parle le juge Sossin estil compatible avec l’art. 16, mais il s’accorde également avec ce qui constitue une dépossession dans un cas où on ne peut faire abstraction de la nature du bienfonds — en l’occurrence un parc municipal.
  8.                       Je conclus, en toute déférence, que la position la plus conforme à la jurisprudence et au contexte législatif est que le test de l’utilité publique en common law reste applicable parallèlement à la LPABI. La prochaine étape consiste donc à déterminer si, au vu des faits, la Ville a une connaissance réelle ou imputée de l’usage privé du bienfonds en litige et y a acquiescé.
  1. Application
  1.                       Il est vrai que M. Pawel Kosicki et Mme Megan Munro, ainsi que leurs prédécesseurs, ont possédé le bienfonds en litige pendant une période qui aurait donné lieu à leur acquisition par possession adversative si le bienfonds avait appartenu à un propriétaire privé plutôt qu’à la Ville à titre de parc. Toutefois, compte tenu du fait que la LPABI n’a pas écarté la common law en ce qui concerne la question qui est au cœur du présent pourvoi, il faut se demander si le bienfonds en litige satisfait au test du bénéfice public. En d’autres termes, le bienfonds en litige étaitil destiné au bénéfice public et, dans l’affirmative, la Ville atelle reconnu son usage par un propriétaire privé ou y a acquiescé, renversant ainsi la présomption selon laquelle le bienfonds en litige est un parc détenu pour l’usage ou le bénéfice du public?
  2.                       Même si le parc est partiellement protégé contre la possession adversative en conformité avec la règle de common law telle que reformulée par les juges majoritaires de la Cour d’appel, les appelants soutiennent que la Ville ne peut s’opposer à leur revendication de possession adversative, car, de par son comportement, elle avait connaissance de leur possession et n’a rien fait pour faire valoir son titre sur le bienfonds pendant le délai de prescription. Les appelants affirment que leur usage adversatif était public, notoire, sans autorisation (et en ce sens « adversatif »), continu, exclusif et paisible pendant toute la période prévue par la loi. Cela suffisait pour informer la Ville, mais elle n’a pas fait valoir ses droits.
  3.                       La Ville répond qu’elle n’avait aucune connaissance de la possession adversative des appelants et qu’il serait injuste de lui imputer cette connaissance. [traduction] « La nature des parcs municipaux », explique la Ville, « est telle qu’une municipalité ne peut pas surveiller leur occupation par des possesseurs adversatifs de la même façon qu’un propriétaire foncier est à la fois censé surveiller la propriété privée et capable de le faire » (m.r.i. (modifié), par. 8).
  4.                       Les appelants affirment que la Ville a été informée d’un plan d’arpentage faisant état de leur clôture, qu’elle a traité avec une voisine qui avait un problème similaire et qu’elle a volontairement perçu auprès d’eux de l’impôt foncier sur le bienfonds en litige. Il serait injuste de permettre à la Ville de prétendre qu’elle n’a pas été dûment avisée de la possession adversative des appelants.
  5.                       Je reconnais, comme l’ont écrit les auteurs de l’ouvrage Ziff’s Principles of Property Law, qu’en ce qui concerne une action intentée par un possesseur contre un propriétaire privé, [traduction] « le propriétaire n’a pas besoin de savoir effectivement qu’une revendication de possession adversative est en cours. Un avis imputé suffira. Pour reprendre le libellé que l’on retrouve maintenant en lien avec le droit applicable aux prescriptions en général, les actes du squatteur doivent être décelables » (p. 171).
  6.                       À mon avis, dans le cadre d’une revendication de possession adversative présentée contre une municipalité relativement à un parc détenu pour le bénéfice ou l’usage du public, le demandeur doit présenter une preuve solide d’avis ou d’avis imputé pour obtenir gain de cause. Étant donné la nature du bienfonds et la difficulté d’en surveiller l’usage, l’exigence en matière d’avis tirée du droit général de la possession adversative doit satisfaire à une norme plus élevée que celle à laquelle sont soumis les propriétaires privés avant que la présomption évoquée par le juge Sossin ne soit réfutée, compte tenu des intérêts publics en jeu.
  7.                       Chose certaine, si la municipalité est au courant de la présence du squatteur et ne fait rien, cela suffira généralement pour que commence à courir le délai de prescription. Le juge Sossin n’a pas écarté la possibilité que la municipalité puisse, [traduction] « en toute connaissance de cause », reconnaître l’usage du bienfonds au bénéfice de propriétaires privés ou y acquiescer (par. 42). La Ville fait valoir que la connaissance réelle est requise dans tous les cas et qu’elle fait défaut en l’espèce.
  8.                       J’estime qu’il n’y a pas lieu d’imposer une règle selon laquelle la connaissance réelle de la municipalité est requise dans tous les cas. Il existe des circonstances dans lesquelles même une municipalité à qui incombe la lourde tâche de surveiller un vaste territoire public peut être considérée à bon droit comme étant informée en l’absence de connaissance réelle, et son inaction peut constituer un acquiescement à l’usage privé.
  9.                       À mon avis, il convient de dire que la preuve d’avis imputé que doit présenter le demandeur pour faire renverser la présomption doit être convaincante. Pour démontrer que la possession adversative était publique et notoire, compte tenu du vaste territoire que la municipalité doit surveiller pour découvrir les possesseurs adversatifs, la possession doit être ellemême solide pour justifier une conclusion d’avis imputé. Là encore, les auteurs de l’ouvrage Ziff’s Principles of Property Law, en parlant des propriétaires privés, écrivent que [traduction] « [l]e possesseur adversatif doit lancer un appel clair au propriétaire qui, s’il écoute, doit se rendre compte que quelque chose ne va pas » (p. 170). Pour justifier la dépossession d’un parc municipal réservé au bénéfice du public, cet appel clair doit être suffisamment fort pour attirer l’attention de la municipalité, responsable de l’ensemble du territoire, et signaler qu’un intérêt privé cherche à priver la municipalité d’un bénéfice collectif.
  10.                       De quelle manière ces principes devraientils s’appliquer en l’espèce?
  11.                       Je m’arrête ici pour souligner que la preuve au dossier révèle le fardeau administratif qui incombe à la Ville de surveiller les revendications fondées sur la possession adversative si un parc n’est pas reconnu comme un bienfonds présumé réservé au bénéfice du public. Cela reste vrai en dépit de la portée limitée de la reconnaissance des revendications cristallisées de possession adversative à l’endroit de biensfonds enregistrés au titre du par. 51(2) de la LEDI. Comme l’affirme la Ville, la question de savoir si le droit des appelants s’est cristallisé avant la conversion du titre foncier [traduction] « est la question en litige » (m.i., par. 127). Dans sa déclaration assermentée déposée en preuve, M. Ronald Ro, un directeur de la Ville, décrit le portefeuille immobilier de la municipalité comme [traduction] « l’un des plus grands et des plus complexes [. . .] au Canada » (d.a., vol. II, onglet 12, par. 3). Il explique que, vu la taille de ce portefeuille, il y a probablement [traduction] « de nombreuses parcelles de terrain appartenant à la Ville qui sont utilisées ou enclavées par des propriétaires privés dont la Ville n’a pas une connaissance effective » (par. 31). À l’instar du bienfonds des appelants, ces parcelles pourraient faire l’objet de revendications de possession adversative nonobstant la LEDI. La question de savoir si le bienfonds est protégé contre les intérêts possessoires cristallisés demeure une préoccupation constante pour la Ville.
  12.                       Au vu des faits de l’espèce, le bien-fonds en litige a été acquis et destiné au bénéfice du public dès 1958. Cette désignation a été maintenue et même renforcée par le plan officiel de la Ville, publié en 2003, et par les règlements de zonage qui ont suivi. En outre, le bienfonds en litige a été enregistré sous le régime de la LEDI en octobre 2001. Le paragraphe 51(1) de la LEDI a pour effet d’empêcher l’établissement d’une possession adversative après la date d’enregistrement, mais le par. 51(2) préserve les droits acquis avant cette date. Par conséquent, pour avoir gain de cause, les intérêts relatifs au bien-fonds en litige doivent s’être cristallisés avant 2001. Comme je vais l’expliquer, rien ne prouve que la Ville ait pris quelque mesure que ce soit en vue de modifier la nature publique de ce bienfonds. Il n’y a pas non plus d’éléments de preuve permettant de respecter la norme élevée à satisfaire pour établir la connaissance, réelle ou imputée, que la Ville a acquiescé à son usage privé avant octobre 2001. À ce titre, le bienfonds en litige conserve son caractère public et reste à l’abri de la revendication de possession adversative présentée par les appelants.
    1. La désignation par la Ville du bien-fonds voué au bénéfice du public
  13.                       Le bienfonds en litige a été exproprié aux fins de conservation en 1958 par une autorité publique créée par la province à la demande de plusieurs municipalités, puis transformé en parc public (motifs de la C.S., par. 1728). Le plan officiel de la Ville, rédigé en 2003, désigne le bienfonds en litige comme faisant partie du réseau d’espaces verts de la Ville, où il est classé dans la catégorie des parcs et espaces ouverts. L’aménagement est généralement interdit sur les biensfonds désignés comme tels, à l’exception des installations récréatives et culturelles, des projets de conservation, des cimetières, des transports en commun ainsi que des travaux et services publics essentiels. De plus, conformément à la politique municipale, aucun bienfonds appartenant à la Ville et faisant partie du réseau d’espaces verts ne peut être vendu ou aliéné.
  14.                       Le règlement de zonage de la Ville a été adopté en 2013. Alors que le plan officiel définit les politiques et la vision de la Ville en ce qui concerne son utilisation du territoire, le règlement de zonage met en œuvre ce plan en prescrivant des exigences précises et juridiquement contraignantes en matière d’utilisation et d’aménagement du territoire. D’après ce règlement de zonage, le bienfonds en litige est désigné comme [traduction] « espace ouvert — zone naturelle (ON) ». La zone ON a pour objectif la conservation d’aires comme les ravins et les cours d’eau qui font partie du réseau naturel.
  15.                       Rien au dossier n’indique que la Ville a, à quelque moment que ce soit, modifié le zonage du bienfonds en litige ou l’a réservé à d’autres fins. Par conséquent, le plan officiel de la Ville et son règlement de zonage montrent que la Ville a constamment destiné ce bienfonds au bénéfice du public à titre de partie du parc ÉtienneBrûlé. Son zonage en tant que tel reflète non seulement l’intention de la Ville de consacrer le bienfonds à une fin publique, mais peut également être considéré comme une protection explicite contre son appropriation ou son aménagement par des possesseurs privés.
  16.                       À l’audience, on a évoqué la situation de la voisine des appelants, Mme Marie Turek, pour affirmer qu’en réalité, des biensfonds peuvent faire l’objet d’une possession adversative malgré la raison donnée pour leur zonage. En 2013, la Ville a consenti à la revendication de possession adversative présentée par Mme Turek relativement à certains biensfonds jouxtant le parc (motifs de la C.S., par. 55; motifs de la C.A., par. 43). En Cour d’appel, la Ville a fait valoir dans sa plaidoirie que le consentement à cette déclaration pouvait être simplement une erreur, fondée sur la croyance erronée que la parcelle en cause avait été zonée à des fins résidentielles lorsque le bienfonds avait été cédé à la Ville par son prédécesseur, la municipalité de York (motifs de la C.A., par. 43). En effet, la déposante Jane Weninger a confirmé que la parcelle de Mme Turek était en fait désignée en tant que district d’espace vert ouvert (G), et cette désignation est demeurée en vigueur jusqu’en 2013 (d.i, onglet 2, par. 19). Par conséquent, la dépossession qui s’est produite dans le cas de Mme Turek n’était pas conforme à la désignation d’usage public faite par la Ville. Bien qu’elle puisse être considérée comme définitive, la décision erronée de la Ville de consentir à la revendication de Mme Turek ne peut lier la Ville en ce qui concerne les futures revendications de possession adversative.
    1. Les plans d’arpentage de 1971 et de 2007 ne constituaient pas un acquiescement
  17.                       Les appelants font également valoir qu’un plan d’arpentage datant de 1971, qui a été déposé auprès du registrateur, montrait une clôture entourant le bienfonds en litige, et que, selon eux, l’inaction de la ville face à la présence de cette clôture sur le plan équivalait à un acquiescement en connaissance de cause. Dans le même ordre d’idées, lors des plaidoiries devant notre Cour, la question du Règlement municipal n° 10212007 de la Ville a été soulevée. Ce règlement fait référence à un plan d’arpentage, réalisé en 2007, faisant état lui aussi de l’existence de la clôture en question. On a affirmé que l’existence du plan de 2007 et de sa mention dans le règlement indiquait que, même si la Ville n’était pas vraiment au courant de l’usage privé du bienfonds en litige par les appelants, elle aurait dû l’être. En d’autres termes, même s’il n’existait aucune connaissance réelle susceptible d’étayer une allégation d’acquiescement, il pourrait y avoir lieu de conclure à une connaissance imputée.
  18.                       Le simple fait que la clôture en question a été mentionnée dans les plans d’arpentage ne saurait, à mon avis, faire pencher le test du bénéfice public en faveur des appelants. Je dis cela, en toute déférence, pour des raisons différentes de celles de la juge de première instance, qui est parvenue à la même conclusion, mais en partant du principe que la possession des appelants n’était pas de bonne foi (par. 77). Ma conclusion repose plutôt sur le fait que l’argument des appelants avance une conception de la connaissance imputée qui est incompatible avec les réalités de la gestion municipale des biensfonds publics. La déposante Suzanne Coultes confirme qu’étant donné la taille du portefeuille immobilier de la Ville, soit plus de 8 000 hectares de parcs, [traduction] « il peut être difficile de gérer des espaces verts et d’en rendre compte pour chaque mètre carré » (d.i., onglet 1, par. 19). On ne peut donc pas attribuer équitablement cette connaissance à la Ville en raison de la simple existence d’un plan d’arpentage, sans autre preuve.
  19.                       Rappelons que le fardeau de prouver que la Ville a reconnu ou acquiescé incombe aux appelants. Sans plus, la simple existence d’un plan d’arpentage dans laquelle se trouve une mention discrète indiquant l’existence d’une clôture autour du bienfonds en litige ne suffit pas à prouver une connaissance réelle ou imputée, et ne saurait être invoquée pour priver le terrain de son caractère public. Conclure le contraire obligerait en effet les municipalités à examiner minutieusement chaque détail de chaque plan d’arpentage, une tâche qui n’a aucun rapport avec la réalité de la gestion municipale des biens immeubles.
  20.                       Comme l’a fait remarquer l’avocate de la Ville à l’audience, les circonstances du présent pourvoi peuvent être comparées aux faits de l’affaire Teis. Dans cette affaire, la Cour d’appel a relevé que le directeur administratif de la municipalité avait eu connaissance de l’usage privé en cause. Dans une note adressée au directeur de la culture et des loisirs de la municipalité, le directeur administratif a demandé à celuici [traduction] « [d’]informer l’agriculteur qui occupe cinq mètres de notre propriété [. . .] de cesser d’utiliser le bienfonds public », et a constaté que « si cet homme obtient de la municipalité l’occupation des lieux sans opposition pendant 10 ans, il pourrait se retrouver dans une situation où nous ne pourrions plus l’expulser de notre propriété » (p. 219). Le directeur ne l’a pas fait. Ainsi, dans cette affaire, il existait des éléments de preuve indiquant qu’un fonctionnaire agissant au nom de la municipalité et disposant de l’autorité nécessaire pour faire respecter ou faire appliquer le titre de propriété de la municipalité connaissait la vocation de la zone en litige en tant que bien-fonds municipal public ainsi que son usage privé. Je ne veux pas dire qu’il s’agit là de la norme à respecter pour établir la connaissance, mais je donne cet exemple pour montrer qu’il n’y a aucune preuve, ni en degré ni en nature, d’une telle connaissance en l’espèce.
  21.                       À l’inverse, en l’espèce, la juge de première instance a estimé que, pour commencer, il n’y avait [traduction] « aucune preuve que la Ville savait que les biensfonds étaient publics » avant le dépôt de la requête à l’origine du présent pourvoi (par. 54). Il n’y a aucune raison de modifier cette conclusion. L’absence de preuve quant à la manière dont le plan d’arpentage a été utilisé, et par qui, signifie que la présomption d’usage public n’est pas réfutée et que le bienfonds en litige reste protégé contre la possession adversative (transcription, p. 7980).
  22.                       Il vaut la peine de signaler ici que le plan d’arpentage de 1971 est la seule preuve présentée qui soit antérieure à la conversion, en 2001, du bienfonds en litige au régime d’enregistrement des droits immobiliers. Bien que le par. 51(2) de la LEDI préserve les intérêts possessoires acquis par prescription avant la conversion, la preuve présentée ne suffit pas à étayer la conclusion selon laquelle le titre des appelants a été acquis avant cette date.
  23.                       À l’appui de leur argument, les appelants soulignent également le renvoi fait par le conseil municipal à un plan d’arpentage réalisé en 2007 qui fait état de la clôture dans le Règlement municipal no 10212007. Étant donné la conversion au régime d’enregistrement des droits immobiliers en 2001, il n’est pas nécessaire, dans le cadre du présent pourvoi, de déterminer si ce plan d’arpentage ou le renvoi contenu dans ce règlement municipal peut justifier une conclusion contraire. Que la Ville ait dû ou non être au courant de la mention faite ailleurs dans le plan d’arpentage pour signaler la clôture en cause, cela ne règle pas l’affaire, étant donné que le litige a pris naissance après 2001. En fin de compte, à mon avis, la preuve des appelants est insuffisante pour établir une connaissance ou un avis réel ou imputé de l’usage du bienfonds, afin de réfuter la présomption protégeant le bienfonds en litige.
    1. L’usage réel n’est pas déterminant dans le présent pourvoi
  24.                       Dans le même ordre d’idées, les appelants font valoir que le bienfonds en litige n’était pas vraiment [traduction] « utilisé » comme un parc (m.a., par. 12). La juge de première instance a conclu que l’installation d’une clôture à mailles losangées empêchait en fait le public d’utiliser ce bienfonds ou d’y accéder depuis au moins 1971 (par. 50). Les appelants agissent en fonction d’attentes bien établies selon lesquelles ils peuvent continuer à posséder le bienfonds en litige, celuici faisant partie de leur cour arrière.
  25.                       La réponse à cet argument est que les attentes bien établies des usagers privés ne sauraient l’emporter sur la désignation d’un bienfonds voué au bénéfice public qui n’est par ailleurs entachée d’aucun vice, et qui fonde une présomption d’usage, surtout lorsqu’on peut faire remonter ce prétendu fondement à un acte unilatéral de la part d’un demandeur privé. Il y a quelque chose d’intrinsèquement incongru dans le fait d’invoquer une attente bien établie en matière de droit privé lorsque cette attente n’a été rendue possible que par l’exclusion par le demandeur du public d’un bienfonds destiné au bénéfice de ce dernier. Cette tension entre les actes privés imposant l’exclusivité et le bienfonds détenu en fiducie pour le public justifie une approche plus rigoureuse dans le contexte public, où le droit présume qu’il n’y a pas dépossession en l’absence d’une preuve claire et convaincante d’acquiescement municipal. Et c’est précisément pour cette raison que le test du bénéfice public tel que précisé par le juge Sossin repose non pas sur une preuve d’usage, mais sur une preuve de désignation, à partir de laquelle l’usage est présumé.
  26.                       Dans cette optique, M. Kosicki et Mme Munro soutiennent qu’ils avaient une attente bien établie que le bienfonds en litige continuerait à faire partie de leur cour arrière en raison de leur possession du bien et de l’inaction de la Ville, bien que cette dernière soit informée par imputation de leur présence. Néanmoins, il leur incombe de démontrer que cela suffisait pour établir que la Ville reconnaissait cette attente ou y acquiesçait. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. Les choix de zonage de la Ville reflètent plutôt un engagement continu envers le caractère public du bienfonds en litige par sa conservation et sa désignation comme parc. Tel qu’il est exposé cidessus, ni l’existence des plans d’arpentage de 1971 et de 2007, ni les choix faits subséquemment par la Ville pour résoudre un litige similaire avec la voisine des appelants ne suffisent à satisfaire au critère de preuve exigeant nécessaire à l’établissement de la connaissance réelle ou imputée requise pour que leur revendication de possession adversative soit accueillie.
    1. Le paiement de l’impôt foncier n’est pas déterminant
  27.                       Un dernier point concernant le prétendu acquiescement de la Ville invoqué par les appelants est que la Ville a perçu de l’impôt foncier sur le bienfonds en litige jusqu’en 2020 (m.a., par. 10). Ce fait n’écarte pas nécessairement la désignation du bienfonds voué au bénéfice public, ni ne constitue nécessairement une reconnaissance ou un acquiescement en connaissance de cause. Si, selon le contexte factuel précis, la taxation peut faire partie d’un ensemble de preuves plus large susceptible de réfuter la présomption, cela ne sera pas le cas dans toutes les circonstances. La difficulté en l’espèce réside dans le fait que le dossier ne contient aucun élément contextuel plus général de cette nature qui justifierait la revendication des appelants. Je signale en particulier que les appelants n’ont pas établi avoir payé de l’impôt foncier avant leur acquisition du bienfonds en litige en 2017, bien après la conversion au régime d’enregistrement des droits immobiliers en 2001. Par conséquent, tout comme le plan d’arpentage et le règlement de 2007, le paiement de l’impôt foncier par les appelants ne pouvait établir une connaissance réelle ou imputée de la Ville de sorte que l’intérêt des appelants a été acquis par prescription avant 2001.
  28.                       Dans l’affaire Lake of Bays (Township) c. 456758 Ontario Ltd., 2005 CanLII 23096, une situation similaire s’est présentée devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, où un propriétaire privé a fait valoir que le paiement de l’impôt foncier signifiait que le bienfonds ne pouvait pas être affecté à un usage public. La juge de première instance a conclu que le paiement de l’impôt foncier ne peut [traduction] « reprendre ce qui a déjà été donné » (par. 27). En d’autres termes, une fois qu’un bienfonds est destiné à tel usage, des actes privés ne peuvent pas en modifier le caractère essentiel. Il reste public, sauf décision, reconnaissance ou acquiescement de la Ville à l’effet contraire.
  29.                       Bien que le paiement de l’impôt foncier ne soit pas, en soi, déterminant, je reconnais que sa perception continue pendant de nombreuses années peut, ce qui est compréhensible, faire naître une perception d’injustice. Pour remédier au problème fiscal et compte tenu de l’observation formulée par la Ville à l’audience, je réserverais le droit des appelants de réclamer le remboursement de l’impôt foncier versé à la Ville à cause d’une erreur de fait relativement au bienfonds en litige. Bien que les appelants aient joui du bienfonds en litige depuis leur arrivée sur celuici en 2017, à l’audience, le procureur de la Ville a reconnu qu’il y avait un [traduction] « sentiment d’injustice si quelqu’un a payé de l’impôt foncier sur quelque chose [qui] ne faisait pas réellement partie de sa propriété » (transcription, p. 53). La Ville a reconnu qu’il est possible de statuer séparément sur toute injustice perçue découlant d’une erreur d’ordre fiscale.
    1. La cristallisation n’était pas possible
  30.                       Les appelants font également valoir que leurs intérêts dans le bienfonds en litige se sont cristallisés à la date à laquelle le titre a été converti sous le régime de la LEDI. En conséquence, nonobstant la validité du test du bénéfice public au sens large, leur parcelle serait protégée contre ses effets. La règle de common law précisée par les juges majoritaires de la Cour d’appel n’est toutefois pas, par nature, uniquement d’application prospective. L’idée même que le bienfonds en litige ait été affecté à une fin publique existe depuis au moins 1958, alors qu’il faisait partie d’une plus grande parcelle de terrain expropriée à des fins publiques (motifs de la C.S., par. 1618). Depuis cette annéelà, rien n’indique que la Ville ait pris quelque mesure que ce soit pour retirer au bienfonds en litige sa nature publique ou le rendre susceptible d’être acquis par des propriétaires privés. Au contraire, les affidavits d’un gestionnaire principal de projet et d’un urbaniste principal de la Ville démontrent les multiples moyens employés par la Ville pour confirmer la nature publique du bienfonds en litige par le biais du zonage et de l’aménagement du territoire.
  31.                       À l’audience, l’avocate des appelants a convenu que si le parc était exclu du champ d’application de la LPABI, il n’y aurait pas de droit cristallisé (transcription, p. 2930). En octobre 2001, les biensfonds municipaux, qui comprennent le bienfonds en litige, ont été convertis au régime d’enregistrement des droits immobiliers (voir les motifs de la C.A, par. 73). Depuis ce mois, le bienfonds est à l’abri des revendications de possession adversative selon le par. 51(1) de la LEDI. Toutefois, le par. 51(2) préserve les intérêts possessoires acquis par prescription avant la date de conversion. Cette disposition s’applique de manière à protéger les droits acquis antérieurs à l’enregistrement, mais n’abaisse pas le seuil requis pour établir un tel droit. L’immunité d’origine législative a un effet prospectif, et n’éteint pas les droits de possession acquis par prescription, mais le fardeau de prouver cette cristallisation incombe toujours au demandeur.
  32.                       Les appelants ont appuyé leur revendication de possession adversative en grande partie sur le plan d’arpentage de 1971, qui fait état de l’existence d’une clôture. Même en adoptant la position la plus favorable aux appelants, cet élément de preuve ne démontre pas qu’un intérêt possessoire s’était constitué avant la conversion du bienfonds au régime d’enregistrement des droits immobiliers. Comme je l’ai déjà expliqué, l’analyse préliminaire consiste à déterminer si la présomption selon laquelle le bienfonds est détenu pour un bénéfice public a été réfutée. Il n’a pas été satisfait à ce critère. En l’absence d’une preuve manifeste de reconnaissance ou d’acquiescement de la part de la municipalité, le bienfonds conserve son caractère public. Comme je l’ai signalé précédemment, la possession du bienfonds en litige aurait donné lieu à une acquisition par possession adversative si le bienfonds avait appartenu à un propriétaire privé. Cependant, le plan d’arpentage de 1971, pris isolément, ne démontre pas l’acquiescement — imputé ou autre — de la municipalité à l’usage privé du bienfonds en litige. Même si on l’examine sous un angle favorable aux appelants, la preuve au dossier ne suffit pas à réfuter la présomption ni à fonder une demande préservée en vertu du par. 51(2) de la LEDI.
  33.                       En fin de compte, les appelants n’ont, à mon humble avis, pas respecté le critère requis sur ces deux points. Il convient de répéter que la norme de preuve associée à l’analyse est élevée. La reconnaissance et l’acquiescement supposent tous deux une certaine connaissance réelle ou imputée de la question en litige, élément que les appelants n’ont pas démontré. Pour répondre à l’exigence de reconnaissance, les appelants doivent démontrer que la Ville a, par un acte explicite, reconnu l’usage privé du bienfonds. Pour pouvoir invoquer l’acquiescement, ils doivent prouver que la Ville, ayant connaissance — réelle ou imputée — de l’usage privé, y a tacitement consenti. Le caractère public du bienfonds en litige, renforcé par sa désignation comme parcs et espaces ouverts au sein du réseau d’espaces verts, reste inchangé.
  1. Dispositif
  1.                       Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

 Pourvoi accueilli avec dépens devant toutes les cours, les juges Karakatsanis, Martin, Kasirer et Jamal sont dissidents.

 Procureurs des appelants : Fasken Martineau DuMoulin, Toronto.

 Procureur de l’intimée : Cité de Toronto, Toronto.

 Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Ministère du Procureur général, Toronto.

 Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique : Ministry of the Attorney General of British Columbia, Victoria.

 Procureur de l’intervenante City of Surrey : City of Surrey, Surrey.

 Procureurs de l’intervenant Advocates for the Rule of Law : McCarthy Tétrault, Toronto.

 Procureurs de l’intervenante la Ville d’Ottawa : Gowling WLG (Canada), Ottawa.

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